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T‑1067‑05

2007 CF 81

G.D. Searle & Co. et Pfizer Canada Inc. (demanderesses)

c.

Novopharm Limited et le ministre de la Santé (défendeurs)

Répertorié : G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd. (C.F.)

Cour fédérale, juge Hughes—Toronto, 8, 9, 10, 11 et 24 janvier 2007.

Brevets — Pratique — Demande visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer à la défenderesse Novopharm un avis de conformité l’autorisant à vendre au Canada des capsules contenant un médicament dénommé célécoxib — Novopharm soutenait que le brevet canadien no 2177576 concernant des composés qui traitent l’inflammation sans causer de troubles gastriques avait été abandonné et était invalide — L’art. 73 de la Loi sur les brevets prévoit qu’une partie présentant une demande de brevet doit répondre de bonne foi aux demandes faites par l’examinateur du bureau des brevets dans le délai prévu, à défaut de quoi la demande sera abandonnée — Les demanderesses n’ont pas démontré l’absence de fondement des allégations d’abandon et d’évidence — Les allégations d’absence d’utilité et d’insuffisance n’étaient pas fondées — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer à la défenderesse Novopharm un avis de conformité (AC) qui l’autoriserait à vendre au Canada des capsules contenant un médicament dénommé célécoxib. Novopharm soutenait que certaines revendications du brevet canadien no 2177576 (le brevet ′576) n’étaient pas pertinentes, ne seraient pas contrefaites et étaient invalides. Le brevet ′576 concerne des composés qui traitent l’inflammation sans causer de troubles gastriques. Puisque la demande a été déposée au Canada en vertu du Traité de coopération en matière de brevets, elle est réputée avoir été déposée auprès du Bureau canadien des brevets en date du 14 novembre 1994. Le paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Règlement AC) permet à la personne qui a présenté la liste de brevets (la demanderesse Searle) de demander à la Cour d’interdire au ministre de délivrer un avis de conformité au fabricant de génériques jusqu’à l’expiration du brevet applicable. Le paragraphe 6(2) dispose que le tribunal rend une ordonnance (interdisant la délivrance d’un AC) en vertu du paragraphe (1) à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations s’il conclut qu’aucune des allégations n’est fondée. Les questions à trancher étaient donc celles de savoir : 1) si l’allégation que la demande de brevet ′576 a été abandonnée était fondée et 2) si les allégations d’invalidité aux motifs de l’évidence, de l’absence d’utilité et de la suffisance étaient fondées.

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) On a allégué que la demande de brevet avait été abandonnée en application du paragraphe 73(1), parce que Searle avait trompé le Bureau canadien des brevets durant l’instruction de la demande du brevet ′576 en affirmant que l’Office européen des brevets avait autorisé que des revendications identiques aux revendications 1 à 16 soient brevetées alors qu’en fait l’Office ne l’avait fait que pour les revendications 1 à 8. L’article 73 de la Loi sur les brevets prévoit qu’une partie présentant une demande de brevet doit répondre « de bonne foi » aux demandes faites par l’examinateur du bureau des brevets à l’intérieur de la période prescrite, à défaut de quoi la demande sera abandonnée. Il y a des précédents permettant d’invalider un brevet, ou de le déclarer échu, en vertu de l’article 73 de la Loi sur les brevets. Il n’est ni déraisonnable ni excessivement sévère de la part de la Cour de considérer la demande, et par conséquent le brevet, comme ayant été abandonnés si, après la délivrance de celui‑ci, elle déclare la divulgation entachée de mauvaise foi. L’affirmation selon laquelle les revendications 1 à 16 des demandes européennes avaient été acceptées ne suffisait pas à justifier une conclusion d’abandon de la demande de brevet fondée sur la mauvaise foi. Les réponses aux questions concernant la référence au brevet Matsuo ne tant que réalisation antérieure appellent cependant une conclusion différente. Le brevet, tel qu’il était demandé, devait porter sur des compositions qui, en plus de traiter les inflammations, produisaient moins d’effets secondaires indésirables. La demanderesse, Searle, a omis d’informer le Bureau des brevets non seulement qu’elle avait déjà découvert qu’au moins un des composés du brevet Matsuo avait des propriétés semblables, mais encore qu’elle avait elle‑même communiqué ce fait au public avant le dépôt de la demande du brevet canadien. La demanderesse aurait dû déclarer tous les faits pertinents dans la demande de brevet même et les communiquer au Bureau des brevets, de manière à permettre à l’examinateur d’évaluer cette demande en complète connaissance de cause et, le cas échéant, d’exiger la modification ou l’annulation d’éléments du mémoire descriptif ou de l’une ou l’autre des revendications proposées. La demanderesse n’a pas fait preuve de « bonne foi » au moment du dépôt de sa demande au Bureau canadien des brevets du fait de l’insuffisance de sa communication touchant Matsuo, ni par la suite dans ses réponses aux questions de l’examinateur concernant Matsuo. Il s’ensuit que la demande de brevet doit être considérée comme ayant été abandonnée. La demanderesse n’a pas démontré le caractère infondé de l’allégation d’abandon.

2) Quant à l’allégation de l’évidence, la personne versée dans l’art aurait identifié le composé Matsuo (également appelé SC‑58125) comme chef de file, étant donné la divulgation au public par Searle de l’efficacité du composé en juin 1994. Une telle personne aurait été suffisamment certaine du résultat de l’opération pour que, en droit canadien, la prétendue invention du célécoxib ait été évidente pour elle à compter de juin 1994. Searle n’a pas démontré l’absence de fondement des allégations de Novopharm concernant l’évidence.

Le droit concernant l’utilité est sans ambiguïté. Il doit y avoir eu, à la date pertinente, une démonstration de l’utilité ou une prédiction valable de celle‑ci, fondée sur l’information et les connaissances scientifiques disponibles au moment de la prédiction. À la date de dépôt au Canada, le 14 novembre 1994, Searle avait établi et exposé une utilité suffisante du célécoxib. En conséquence, Searle avait suffisamment démontré le caractère infondé des allégations de Novopharm concernant le défaut d’utilité.

La revendication 8 du brevet ′576 comportait un exposé suffisant pour que la personne du métier puisse facilement établir, à la date de dépôt au Canada et même avant, la quantité thérapeutiquement efficace de célécoxib. Searle a démontré le caractère infondé des allégations de Novopharm selon lesquelles la revendication 8 était insuffisante.

lois et règlements cités

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 2 « demandeur », 27 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 8; L.C. 1993, ch. 15, art. 31), 28 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 10), 28.1 (édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 33), 28.2 (édicté, idem), 28.3 (édicté, idem), 28.4 (édicté, idem; 2001, ch. 34, art. 63), 43(2) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42), 53, 73 (mod., idem, art. 52), 76 (mod., idem, art. 53), 78.4 (édicté idem, art. 55; 2001, ch. 10, art. 4), 78.5 (édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 55; 2001, ch. 10, art. 4).

Patent Rules of Practice, 37 C.F.R. § 1.56 (1977).

Patents Act (1990) (Cth.), art. 138(3)(d).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, art. 4 (mod. par DORS/98‑166, art. 3), 5 (mod., idem, art. 4; 99‑379, art. 2), 6(1) (mod. par DORS/98‑166, art. 5), (2), (5) (mod., idem).

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 1), 400(3)i), tarif B (mod. par DORS/2004‑283, art. 30, 31, 32), colonne IV.

Règles sur les brevets, DORS/96‑423.

Traité de coopération en matière de brevets, 19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22.

jurisprudence citée

décision différenciée :

Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1332.

décisions examinées :

Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.), [1981] 1 R.C.S. 504; Digital Control Inc. v. Charles Mach. Works, 437 F.3d 1309 (Fed. Cir. 2006); Ranbaxy Australia Pty Ltd. v. Warner‑Lambert Company LLC (No. 2), [2006] F.C.A. 1787 (Aust.); Fada Radio Ltd. v. Canadian General Electric Co., [1927] R.C.S. 520; [1927] 3 D.L.R. 922; Bourgault Industries Ltd. c. Flexi‑Coil Ltd., [1999] A.C.F. no 315 (C.A.) (QL); Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 1 C.F. 325; 2001 CFPI 879; conf. en partie par [2003] 4 C.F. 67; 2003 CAF 121; Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientifique Ltée, [2005] 4 R.C.F. 110; 2004 CF 1672; Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142; Minerals Separation North American Corporation v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C.É. 306; Monsanto Co. v. Merck & Co. Inc., [2000] E.W.J. no 447 (QL); conf. par [2001] EWCA Civ 1610; Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153; 2002 CSC 77; Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283; conf. par 2006 CAF 64.

décisions citées :

Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1421; Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1547; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 220; Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 1558; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 26; Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2005] 2 R.C.F. 269; 2004 CAF 393; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; 2000 CSC 67; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 2 R.C.S. 560; 2006 CSC 49; Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Finances), [2007] 1 R.C.S. 3; 2007 D.T.C. 5029; 2007 CSC 1; Merck & Co. c. Apotex Inc., 2005 CF 755.

DEMANDE visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer à la défenderesse Novopharm un avis de conformité l’autorisant à vendre au Canada des capsules contenant un médicament dénommé célécoxib. Demande rejetée.

ont comparu :

Robert H. C. MacFarlane et Christine M. Pallotta pour les demanderesses.

John F. Rook, c.r., Dino P. Clarizio et Dominique T. Hussey pour la défenderesse Novopharm Limitée.

Personne n’a comparu pour le défendeur le ministre de la Santé.

avocats inscrits au dossier :

Bereskin & Parr, Toronto, pour les demanderesses.

Bennett Jones LLP, Toronto, pour la défenderesse Novopharm Limitée.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur le ministre de la Santé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]Le juge Hughes : Il s’agit d’une demande visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer à la défenderesse Novopharm Limitée (Novopharm) un avis de conformité qui l’autoriserait à vendre au Canada des capsules de 100 et de 200 mg contenant un médicament dénommé célécoxib. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que cette demande doit être rejetée, avec dépens en faveur des défendeurs.

1) L’instance

[2]La présente instance a été introduite par les demanderesses, G.D. Searle & Co. et Pfizer Canada Inc. (ci‑après collectivement désignées Searle), sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (le Règlement AC).

[3]L’avis de demande introductif de la présente instance a été déposé le 21 juin 2005; par conséquent, la décision doit être rendue avant le 21 juin 2007. Le processus d’ensemble, par opposition à l’instance proprement dite, a commencé avec la signification d’un avis d’allégation par Novopharm aux demanderesses le 3 mai 2005. Cet avis d’allégation concernait deux brevets, soit les brevets canadiens nos 2177576 (le brevet ′576) et 2267186 (le brevet ′186). Novopharm y soutenait que certaines revendications de ces brevets n’étaient pas pertinentes, que d’autres ne seraient pas contrefaites et que d’autres enfin étaient invalides.

[4]Les demanderesses, dans l’avis de demande déposé auprès de notre Cour, ont mis en question certaines de ces allégations pour ce qui concerne le brevet ′576 aussi bien que le brevet ′186. Au cours de l’instance, y compris pendant les plaidoiries à l’audience, un certain nombre de questions en litige ont été retirées. La totalité du brevet ′186 a ainsi été retirée du débat, ainsi que toutes les revendications du brevet ′576, sauf les revendications 4 et 8. Une allégation d’abandon concernant l’ensemble du brevet ′576 est restée en litige.

Les questions en litige—généralités

[5]Les questions en litige dans une instance relative à un avis de conformité doivent être formulées d’une façon particulière puisqu’elles sont régies dans une large mesure non seulement par les Règles [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/ 2004-283, art. 1)] et la pratique de notre Cour mais aussi, plus particulièrement, par le Règlement AC. L’article 4 [mod. par DORS/98-166, art. 3] de ce règlement permet à la première personne (Searle en l’occurrence) de présenter au ministre, pour adjonction au registre qu’il tient, une liste de brevets déterminés. L’article 5 [mod., idem, art. 4; 99-379, art. 2] prescrit à la seconde personne (Novopharm dans la présente espèce), qui souhaite obtenir par la voie rapide l’autorisation de vendre une drogue au Canada en faisant renvoi à des documents que la première personne a déposés auprès du ministre, de signifier à Searle un avis alléguant, entre autres, que les brevets inscrits ne seraient pas contrefaits ou sont invalides, avis accompagné d’un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de ces allégations.

[6]Le paragraphe 6(1) [mod. par DORS/98-166, art. 5] du Règlement AC permet à la personne qui a présenté la liste de brevets (Searle en l’occurrence), mais sans le lui prescrire, de demander à la Cour d’interdire au ministre de délivrer un avis de conformité au fabricant de génériques jusqu’à l’expiration du brevet applicable. Le demandeur n’est pas tenu de contester la totalité des allégations du fabricant de génériques, ni d’engager un débat sur l’ensemble des brevets, ou des revendications d’un même brevet, que vise l’avis d’allégation. Le demandeur peut en effet choisir les affirmations de l’avis d’allégation qu’il souhaite contester.

[7]Le paragraphe 6(2) du Règlement AC, qui s’adresse au tribunal saisi de l’affaire, est libellé comme suit :

6. [. . .]

(2) Le tribunal rend une ordonnance [interdisant la délivrance d’un AC] en vertu du paragraphe (1) à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée.

[8]La question que doit trancher la Cour est donc celle de savoir, à propos de toute allégation mise en litige, si cette allégation est fondée.

Les questions en litige dans la présente espèce

[9]Comme je le disais plus haut, un des brevets et plusieurs revendications de l’autre ont été retirés du débat ou abandonnés. Par conséquent, les questions suivantes restent à trancher dans la présente instance :

1. L’allégation que la demande de brevet ′576 a été abandonnée est‑elle fondée?

2. Les allégations d’invalidité de l’une ou l’autre des revendications 4 et 8 du brevet ′576, ou des deux, aux motifs (en bref) :

i.              de l’évidence,

ii.             de l’absence d’utilité,

iii.            de l’insuffisance de l’exposé,

[10]Si Novopharm l’emporte sur l’une quelconque des questions 1 ou 2i), ii) ou iii), notre Cour est tenue de rejeter la présente demande.

Le brevet 576

[11]Le seul brevet qui reste en litige est le brevet canadien no 2177576 (le brevet ′576). Il porte le titre « Benzènesulfonamides de pyrazolyle substitués destinés au traitement des inflammations » et dénomme John J. Talley et 12 autres personnes comme inventeurs.

[12]La demande de ce brevet a été déposée auprès du Bureau canadien des brevets en date d’effet du 14 novembre 1994 et, sauf s’il est déclaré invalide, il expirera 20 ans après cette date, soit le 14 novembre 2014. Ce brevet et la demande correspondante sont régis par les dispositions de la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4] et des Règles sur les brevets [DORS/96-423] applicables aux demandes de brevets postérieures au 1er octobre 1989, ainsi qu’aux brevets dont la durée commence à courir à partir de la date de ces demandes qui ont été délivrés après le 1er octobre 1996. La demande du brevet ′576 a été soumise à l’inspection publique le 8 juin 1995, et ledit brevet a été délivré à Searle le 26 octobre 1999.

[13]Le brevet ′576 revendiquait la priorité en se fondant sur deux demandes déposées auprès du United States Patent Office (office américain des brevets) respectivement le 30 novembre 1993 et le 6 avril 1994. Aucune de ces demandes ne figure dans le dossier de la présente instance.

[14]De façon générale, on peut dire que le brevet concerne des composés qui traitent l’inflammation sans causer de troubles gastriques. Il existe des préparations stéroïdiennes et non stéroïdiennes (AINS) qui traitent l’inflammation. L’aspirine et l’ibuprofène sont des AINS bien connus. Il est dit dans le brevet que certains AINS entraînent des effets secondaires connus, comme l’irritation ou l’ulcération du tractus gastro‑intestinal (GI). Un des objectifs du brevet est de fournir un composé anti‑inflammatoire qui comporte des effets secondaires moins nocifs. Après discussion, l’avocat des demanderesses a admis que des propriétés anti‑ inflammatoires et des effets secondaires moins importants étaient deux conditions nécessaires pour que l’invention revendiquée soit utile.

[15]Le brevet décrit un des mécanismes par lequel on obtient les effets recherchés, soit la théorie de la COX (cyclo‑oxygénase). À une époque, on croyait que les AINS agissaient en inhibant la COX produite dans l’organisme. Plus tard, les scientifiques ont cru qu’il y avait deux cyclo‑oxygénases dans l’organisme, la COX I et la COX II, et qu’un composé qui pourrait inhiber sélectivement la COX II mais pas la COX I pourrait être utilisé pour le traitement de l’inflammation sans entraîner d’effets indésirables appréciables. Le brevet vise de tels composés. Les parties reconnaissent qu’un tel composé, baptisé célécoxib, est celui qui est revendiqué à la revendication 4. Il est vendu par les demanderesses sous le nom de marque « Celebrex ».

[16]Si l’on examine le brevet plus en détail, on trouve à la page 1 une brève introduction suivie d’une déclaration décrivant le contexte de l’invention :

[traduction]

Domaine de l’invention

La présente invention relève du domaine des agents pharmaceutiques anti‑inflammatoires et a trait plus précisément à des composés, compositions et méthodes utilisés pour le traitement de l’inflammation et des troubles associés à l’inflammation, tels que l’arthrite.

Contexte de l’invention

Les prostaglandines jouent un rôle important dans le processus inflammatoire, et l’inhibition de la production de prostaglandines, en particulier des PGG2, PGH2 et PGE2, fait souvent l’objet de travaux visant à découvrir des médicaments anti‑inflammatoires. Il convient cependant de noter que les médicaments anti‑inflammatoires non stéroïdiens (AINS) courants qui agissent en réduisant la douleur induite par les prostaglandines ainsi que l’œdème associé au processus inflammatoire exercent également une action sur d’autres processus régulés par les prostaglandines qui ne sont pas associés au processus inflammatoire. Ainsi, l’utilisation de fortes doses des AINS les plus courants peuvent produire des effets secondaires graves, notamment des ulcères potentielle-ment mortels, ce qui limite leur potentiel thérapeutique. Les corticostéroïdes constituent une solution de rechange aux AINS; ils ont des effets secondaires moins marqués, en particulier si le traitement s’étend sur une longue période.

Les anciens AINS prévenaient la production de prostaglandines en inhibant les enzymes dans la voie de l’acide arachidonique/des prostaglandines chez l’humain, notamment la cyclo‑oxygénase (COX). Grâce à la découverte récente d’une enzyme inductible associée à l’inflammation (appelée cyclo‑oxygénase II (COX II) ou prostaglandine G/H synthase II), on dispose maintenant d’une cible viable dont l’inhibition permet de réduire plus efficacement l’inflammation et produit des effets secondaires moins nombreux et moins prononcés.

[17]Certaines réalisations antérieures sont décrites aux pages 2 et suivantes, la plus pertinente étant la première, un brevet délivré à Matsuo, où certains composés qui sont décrits revêtiront plus loin une grande importance dans les présents motifs. On y dit ce qui suit :

[traduction]  On   a   décrit  l’utilisation  des  pyrazoles  dans le  traitement  de  l’inflammation.  Le  brevet  américain no 5 134 142 délivré à Matsuo et coll. décrit les 1,5‑diaryl pyrazoles, et plus précisément le 1‑(4‑fluorophényl)‑5‑ [4‑ (méthylsulfonyl) phényl]‑3‑trifluorométhypyrazole, comme ayant une action anti‑inflammatoire.

[18]À partir de la page 4, le brevet expose les catégories générales des compositions, suivies par les catégories de plus en plus restrictives de composés, et il énumère de nombreux composés particuliers inté-ressants. Il convient de noter que bien que la discussion à la page 4 commence par une référence à une formule générale, la Formule I, ce n’est qu’une catégorie plus restreinte de composés, définie par la Formule II énoncée à la page 22 qui est revendiquée dans le brevet.

[19]L’utilisation des composés est décrite aux pages 7 et 8 du brevet.

[traduction] Les composés de la Formule I seraient utiles, entre autres, […] Les composés sont utiles comme agents anti‑inflammatoires, notamment pour le traitement de l’arthrite, ayant en plus l’avantage de comporter des effets secondaires beaucoup moins nocifs.

[20]Le moyen « préférable » de mesurer l’utilité est décrit à la page 8, lorsqu’on parle du ratio de « sélectivité » suivant lequel la COX II plutôt que la COX I est bloquée sélectivement par le composé :

[traduction] La présente invention inclut de préférence les composés qui inhibent de façon sélective la cyclo‑oxygénase II plutôt que la cyclo‑oxygénase I. De préférence, les composés ont un CI50 de cyclo‑oxygénase II de moins de 0,2 µM environ et ont également un ratio de sélectivité pour l’inhibition de la cyclo‑oxygénase II par rapport à l’inhibition de la cyclo‑oxygénase I d’au moins 50, et idéalement d’au moins 100. De façon encore plus optimale, les composés ont un CI50 de cyclo‑oxygénase I de plus de 1 µM environ et, encore mieux de plus de 10 µM. Une telle sélectivité privilégiée peut indiquer une capacité de réduire l’incidence des effets secondaires courants induits par les AINS.

[21]L’exemple 2 du brevet aux pages 72 et 73 se rapporte expressément au célécoxib revendiqué à la revendication 4.

[22]Une évaluation biologique des composés, y compris celui de l’exemple 2, débute à la page 175 du brevet. Le tableau XI à la page 177 présente des données sur l’inhibition de l’inflammation à l’aide de plusieurs des composés, notamment celui de l’exemple 2. Le tableau XII aux pages 180 et 181 fournit des données sur l’inhibition de la COX I et la COX II par ces composés, notamment celui de l’exemple 2. Dans l’exemple 2, la COX II est inhibée à moins de 0,1 et la COX I à 15,0, ce qui donne un ratio de plus de 150, soit beaucoup plus que le minimum recherché de 50 ou 100 mentionné à la page 8.

[23]Les seules revendications qui doivent être examinées sont les revendications 4 et 8, qui se lisent comme suit :

[traduction]

4. Le composé de la revendication 2, à savoir le composé 4‑[5‑(4‑méthylphényl)‑3‑(trifluorométhyl)‑1H‑pyrazo‑1‑y1]benzènesulfonamide, ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables.

[24]La revendication 2 renvoie à son tour à la revendication 1 et chacune revendique simplement une catégorie plus générale de composés qui inclut le composé de la revendication 4.

[traduction]

8. Une composition pharmaceutique pour le traitement de l’inflammation ou d’un trouble associé à une inflammation comprenant une quantité thérapeutiquement efficace d’un composé et un véhicule ou diluant pharmaceutiquement acceptable, ledit composé étant choisi parmi les composés mentionnés dans n’importe laquelle des revendications 1 à 7.

[25]L’avocat des demanderesses a déclaré dans son argumentation que la revendication 8 a été incluse uniquement dans la mesure où elle reposait sur la revendication 4.

Interprétation des revendications 4 et 8

[26]Avant d’examiner plus à fond un brevet, la Cour doit interpréter les revendications. Il existe une abon-dante jurisprudence en ce qui concerne l’interprétation des revendications, sur laquelle je ne m’étendrai pas, car peu de points sont remis en question ici sauf celui soulevé par la revendication 8, que j’examinerai plus en détail.

[27]La revendication 4 cite un seul composé chimi-que et inclut un sel pharmaceutiquement acceptable de ce composé. Ce composé peut simplement être appelé par son nom, célécoxib. Aucun usage de ce composé n’est mentionné dans cette revendication mais, comme le reconnaît l’avocat des demanderesses, l’utilité de ce composé est établie dans le mémoire descriptif comme étant double : traitement de l’inflammation et réduction des effets indésirables, tels que les ulcères de l’appareil digestif. Le célécoxib peut être illustré par la structure suivante :

Image

Celecoxib

[28]La revendication 8 concerne l’utilisation dans le traitement de l’inflammation ou d’un trouble associé à une inflammation d’une composition contenant une quantité thérapeutiquement efficace de célécoxib ou d’autres composés mentionnés dans « n’importe laquelle des revendications 1 à 7 ».

[29]Il y a lieu de se demander ce qu’on entend par l’expression « n’importe laquelle des revendications 1 à 7 ». Cette expression inclut‑elle tous les composés dans ces revendications ou est‑ce simplement une façon abrégée de renvoyer à chacune des revendications séparément au lieu d’avoir de nombreuses revendica-tions, l’une renvoyant à la revendication 1, la suivante à la revendication 2, etc.? Le paragraphe 27(5) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31] de la version ultérieure au 1er octobre 1996 de la Loi sur les brevets (ce brevet a été délivré en 1999) apporte la précision suivante :

27. [. . .]

(5) Il est entendu que, pour l’application des articles 2, 28.1 à 28.3 et 78.3, si une revendication définit, par variantes, l’objet de l’invention, chacune d’elles constitue une revendication distincte.

[30]Une revendication formulée de manière très semblable à la revendication 8 ici en question a été examinée par notre Cour, et en dernière instance par la Cour suprême du Canada, dans Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.), [1981] 1 R.C.S. 504. Dans cette affaire, la revendication 16 du brevet 565, 618 portait sur : [traduction] « une structure consolidée telle que revendiquée aux revendications 7, 8 ou 9, dans laquelle les extrémités effilées des copeaux sont en dents de scie ». Les revendications 8 et 9 ont été déclarées invalides; seule la revendication 7 s’est avérée valide. La Cour fédérale, puis la Cour suprême, ont déclaré la revendication 10 valide « dans la mesure où elle [comprenait] la revendication 7 ».

[31]Par contre, notre Cour, dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1332, a prononcé l’invalidité d’une revendication où les ingrédients d’une composition étaient « choisis parmi un groupe comprenant [plusieurs composés respectivement désignés] ». La Cour a conclu, vu la preuve, que certains de ces composés ne possédaient pas l’utilité nécessaire. Je conclus que les revendications examinées dans Abbott sont différentes de la revendication 8 qui nous occupe. Dans l’affaire Abbott, la revendication portait en fait que tous les éléments du groupe étaient utiles, alors que la Cour a conclu de la preuve qu’au moins certains d’entre eux ne l’étaient pas.

[32]Aux fins de la présente espèce, j’interprète la revendication 8 comme renvoyant aux revendications 1 à 7 prises isolément, de sorte qu’elle peut être considé-rée comme se référant à la seule revendication 4. Par conséquent, la revendication 8 porte sur l’utilisation d’une drogue contenant une quantité appropriée de célécoxib pour le traitement des inflammations ou des troubles apparentés.

La charge de la preuve

[33]Les instances relatives à un avis de conformité telles que la présente ne suivent pas le cours normal des actions et demandes portées devant notre Cour. Elles sont régies par le Règlement AC, et par les Règles de notre Cour pour ce qui concerne les aspects que ce règlement ne couvre pas. Ces instances paraissent difficiles à comprendre, voire presque impénétrables, même aux plus expérimentés, s’ils n’appartiennent pas au cercle restreint des spécialistes du domaine.

[34]Le processus commence, non par le dépôt d’un acte devant le tribunal, mais avec un document appelé « avis d’allégation », qu’un fabricant de génériques (la seconde personne) tel que Novopharm prépare et signifie à l’innovateur (la première personne) qui a inscrit des brevets auprès du ministre. La jurisprudence a maintenant établi que l’avis d’allégation doit spécifier tous les fondements sur lesquels sont soulevées les questions telles que l’invalidité et la contrefaçon. Cet avis doit exposer de manière très détaillée la preuve, les antériorités et les opinions sur lesquelles le fabricant de génériques fonde ses allégations, ainsi que des moyens de droit sérieux. Il est presque impossible de modifier l’avis d’allégation; un nouvel avis peut être établi dans certains cas, mais une telle mesure a pour effet de faire recommencer le processus depuis le début, de sorte que l’innovateur a la possibilité de bénéficier d’une nouvelle suspension de deux ans de l’action du ministre chaque fois qu’un nouvel avis d’allégation est signifié.

[35]L’avis d’allégation devient alors la « cible » de l’innovateur, qui peut choisir les allégations qu’il attaquera au motif qu’elles ne sont pas « fondées ». L’innovateur opère une telle contestation en déposant un avis de demande auprès de notre Cour. L’innovateur (la première personne ou le demandeur) choisit les allégations qu’il veut contester et précise bien desquelles il s’agit dans son avis de demande. L’innovateur doit aussi soulever dans son avis de demande toute question qui autrement risquerait de surprendre ou de « contrarier » le fabricant de génériques; voir Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1421, au paragraphe 10. L’innovateur a au moins cet avantage que les Règles des Cours fédérales autorisent, dans les cas où elle se justifie, la modification de l’avis de demande.

[36]Une fois déposé son avis de demande, l’innovateur doit en tant que demandeur, sous le régime des Règles des Cours fédérales, déposer les éléments de preuve qu’il estime propres à étayer sa thèse que ne sont pas « fondées » les allégations du fabricant de génériques qu’il a décidé d’attaquer. Le paragraphe 6(5) [mod. par DORS/98-166, art. 5] du Règlement AC dispose que le fabricant de génériques peut former une requête en rejet de la demande au motif qu’elle constitue un abus de procédure. Si l’avis de demande et la preuve n’établissent pas le bien‑fondé de la cause ou ne satisfont pas à d’autres conditions nécessaires, la Cour peut rejeter tout ou partie de la demande; voir Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1547.

[37]Après que l’innovateur (le demandeur) a déposé sa preuve, le fabricant de génériques (le défendeur) doit, selon les Règles de la Cour, à son tour déposer la sienne. Celle‑ci visera à contester les prétentions formulées dans l’avis de demande et à réfuter la preuve de l’innovateur. La question se pose de savoir si le fabricant de génériques peut, en tout ou partie, se contenter d’invoquer les allégations formulées dans l’avis d’allégation comme si elles faisaient partie de sa preuve, dans la mesure où l’innovateur ne prend pas suffisamment en considération, dans sa propre preuve, le contenu desdites allégations. Il n’a pas encore été définitivement répondu à cette question, mais il serait dans tous les cas imprudent de la part du fabricant de génériques de ne pas étayer ses allégations des éléments de preuve factuelle et des témoignages d’opinion appropriés.

[38]Les choses se compliquent lorsque c’est la validité qu’on met en litige. L’innovateur peut, dans son avis de demande, invoquer la présomption de validité établie au paragraphe 43(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42] de la version d’application postérieure au 1er octobre 1996 de la Loi sur les brevets, selon lequel le brevet est présumé valide  « sauf preuve contraire ». S’il invoque cette présomption, l’innovateur devrait néanmoins produire des éléments de preuve tendant à réfuter les allégations d’invalidité, puisque les Règles l’obligent à déposer le premier sa preuve touchant ces allégations. Le fabricant de génériques devrait ensuite déposer les éléments dont il dispose pour étayer ses allégations et contrer les moyens de preuve de l’innovateur.

[39]La question de la charge de la preuve dans les instances relatives aux AC où sont soulevées des questions de validité a fait l’objet d’un examen approfondi dans les décisions suivantes : Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 220, aux paragraphes 6 à 12; Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 1558, aux paragraphes 85 à 94; et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 26, aux paragraphes 5 à 12. Le défendeur (le fabricant de génériques) doit mettre les allégations d’invalidité en jeu. Le demandeur peut répondre en faisant valoir la présomption de validité. Le demandeur se trouverait sérieusement désavantagé dans le cas où il ne produirait pas de preuve touchant la validité alors que le défendeur le ferait. Une fois la preuve produite, c’est au demandeur qu’incombe la charge ultime d’établir que les allégations d’invalidité ne sont pas fondées.

Le sens du terme « fondée »

[40]Le paragraphe 6(2) du Règlement AC exige que la Cour décide si le demandeur a démontré qu’« aucune des allégations n’est fondée ».

[41]La Cour d’appel fédérale a examiné le sens du terme « fondée » et de son équivalent anglais « justi-fied » dans  Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2005] 2 R.C.F. 269. Elle a conclu que ce terme met en jeu la charge civile ordinaire fondée sur la prépondérance de la preuve.

Historique de l’élaboration du célécoxib

[42]La présente instance consiste en grande partie à essayer d’établir ce que savaient la demanderesse Searle et diverses personnes, dont Mme Seibert et les membres de son groupe d’études biologiques chez Searle, ainsi que ce qu’ont fait ou savaient les inventeurs dénommés dans le brevet (Talley et al.), aux époques pertinentes, et ce que Searle a communiqué au public. Ces éléments sont à comparer à ce que, selon la preuve, la personne du métier était censée savoir aux époques pertinentes.

[43]Comme on le verra plus loin, la preuve se révèle insuffisante sur de nombreux points d’importance cruciale pour cette analyse. Or la Cour doit fonder ses conclusions sur le dossier dont elle dispose.

[44]J’examinerai d’abord le régime de la Loi sur les brevets relativement au brevet ′576, puis la nature de la preuve au dossier et enfin les renseignements pertinents que celle‑ci contient.

Le régime de la Loi sur les brevets

[45]La Loi sur les brevets, bien qu’on lui attribue la référence L.R.C. (1985), ch. P‑4, se divise en fait en trois parties; la première porte sur les demandes de brevet déposées avant le 1er octobre 1989, la deuxième sur les demande déposées entre cette date et le 1er octobre 1993, et la troisième sur les demandes déposées après le 1er octobre 1996. Les brevets délivrés à la suite de demandes qu’on a déposées pendant la période relevant d’une version antérieure de cette Loi seront aussi touchés, dans une certaine mesure, par les versions postérieures de ladite Loi.

[46]La demande du brevet ′576 a été déposée au Bureau canadien des brevets en date du 14 novembre 1994; par conséquent, elle relève de la version de la Loi sur les brevets applicable à la période du 1er octobre 1993 au 1er octobre 1996. Cependant, cette demande a suivi son cours au Bureau canadien des brevets au‑delà du 1er octobre 1996. Le brevet a en fin de compte été délivré le 26 octobre 1999. Les dispositions de la Loi sur les brevets applicables après le 1er octobre 1996 seront donc également pertinentes. Je désignerai ces deux versions comme étant antérieure au 1er octobre 1996 et  postérieure au 1er octobre 1996. Les disposi-tions transitoires de la version d’application postérieure au 1er octobre 1996, soit les articles 78.4 [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 55; 2001, ch. 10, art. 4] et 78.5 [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 55; 2001, ch. 10, art. 4], établissent le régime transitoire à prendre en considération dans la présente instance :

78.4 La présente loi dans sa version du 1er octobre 1996 de même que le paragraphe 27(2) dans sa version du 30 septembre 1996 s’appliquent aux demandes de brevet déposées le 1er octobre 1989 ou par la suite, mais avant le 1er octobre 1996.

78.5 La présente loi de même que le paragraphe 27(2) dans sa version du 30 septembre 1996 s’appliquent aux affaires relatives aux brevets délivrés au titre de demandes déposées le 1er octobre 1989 ou par la suite, mais avant le 1er octobre 1996.

[47]Le paragraphe 27(2) auquel renvoient ces deux articles, dans son texte de la version d’application antérieure au 1er octobre 1996 de la Loi, avait pour objet le cas où un brevet avait été délivré au demandeur dans un autre pays avant que la demande correspondante ne soit déposée au Canada. Il était libellé comme suit :

27. [. . .]

(2) Un inventeur ou représentant légal d’un inventeur, qui a fait une demande de brevet au Canada pour une invention à l’égard de laquelle une demande de brevet a été faite dans tout autre pays par cet inventeur ou par son représentant légal avant le dépôt de sa demande au Canada, n’a pas le droit d’obtenir au Canada un brevet couvrant cette invention sauf si sa demande au Canada est déposée :

a) soit avant la délivrance d’un brevet à cet inventeur ou à son représentant légal couvrant cette même invention dans tout autre pays;

b) soit, si un brevet a été délivré dans un autre pays, dans un délai de douze mois à compter du dépôt de la première demande, par cet inventeur ou son représentant légal, d’un brevet pour cette invention dans tout autre pays.

[48]Les choses se compliquent encore du fait que la demande du brevet ′576 a été déposée au Canada en vertu du Traité de coopération en matière de brevets [19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22] (le PCT). Ce traité stipule qu’il est possible, en déposant une seule demande auprès d’un « office récepteur » compétent de l’un des pays signataires, d’obtenir une date de dépôt valable pour tous ces pays, ou un nombre déterminé d’entre eux, à condition que l’auteur de la demande entre en « phase nationale » dans les pays en question dans le délai prescrit. En l’occurrence, la demande originale « internationale » a été déposée auprès d’un office récepteur des États‑Unis le 14 novembre 1994 et est entrée en phase nationale au Canada le 28 mai 1996 (dossier de la demanderesse, volume 3, page 613). Cependant, en vertu du PCT, cette demande est réputée avoir été déposée auprès du Bureau canadien des brevets en date du 14 novembre 1994.

[49]Selon l’article 2 des deux versions de la Loi sur les brevets, sont assimilés à un demandeur un inventeur et les représentants légaux d’un inventeur, tels que les cessionnaires. Par conséquent, le « demandeur » est une personne agissant à la place ou pour le compte de l’inventeur ou des inventeurs. Searle est en l’occurrence le demandeur de brevet en tant que cessionnaire de Talley et al., les inventeurs dénommés dans le brevet, et à aucun autre titre.

[50]À la date de dépôt au Canada (soit le 14 novembre 1994), les deux versions de la Loi sur les brevets—soit les alinéas 27(1)c) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 8] et d) [mod., idem] de la version d’application antérieure au 1er octobre 1996, et l’alinéa 28.2a) [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 33] du texte d’application postérieure à cette date—disposent que l’invention ne doit pas avoir fait l’objet d’une communication qui l’a rendue accessible au public avant cette date, à la réserve près que le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard dispose d’un délai de grâce de 12 mois précédant cette date en ce qui a trait aux divulgations.

[51]L’article 28.3 [édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 33] de la version de la Loi d’application postérieure au 1er octobre 1996 porte que l’invention ne doit pas être évidente à la « date de la revendication », eu égard à toute communication faite au public avant ladite date, à l’exception des communications faites par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard, auxquelles s’applique un délai de grâce de 12 mois précédant la date de dépôt au Canada.

[52]Les articles 28.1 [édicté, idem] et 28.4 [édicté idem; 2001, ch. 34, art. 63] de la version de la Loi d’application postérieure au 1er octobre 1996 disposent que la « date de la revendication » est la date de dépôt de la demande de brevet au Canada, sauf si l’on a présenté une demande de priorité fondée sur une ou plusieurs demandes de brevet « divulguant l’objet que définit la revendication », déposées de façon régulière dans un autre pays qui protège les droits du déposant « par traité ou convention [. . .] auquel le Canada est partie ». Si une telle demande de priorité a été présentée et que l’objet défini par la revendication a été divulgué avant la date de dépôt au Canada, la date de priorité devient la « date de la revendication » en fonction de laquelle l’évidence peut être évaluée, à condition qu’on puisse démontrer que la demande déposée en priorité révélait la même invention que celle revendiquée dans le brevet en fin de compte délivré. Les articles 27 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 8] et 28 [mod., idem, art. 10] de la version de la Loi d’application antérieure au 1er octobre 1996 portent les mêmes dispositions, à cette réserve près que l’article 28 emploie le verbe « décrire » plutôt que « divulguer »—mais le sens est le même aux fins qui nous occupent.

[53]Par ailleurs, on a ajouté à la Loi sur les brevets un article entré en vigueur le 1er octobre 1996, soit l’article 73 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 52] , selon lequel le demandeur doit « répondre de bonne foi » aux demandes de l’examinateur, payer les taxes applicables et se conformer à d’autres prescriptions, à défaut de quoi sa demande sera considérée comme abandonnée, sous réserve d’une possibilité de rétablissement à certaines conditions. Cet article est libellé comme suit :

73. (1) La demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, selon le cas :

a) de répondre de bonne foi, dans le cadre d’un examen, à toute demande de l’examinateur, dans les six mois suivant cette demande ou dans le délai plus court déterminé par le commissaire;

b) de se conformer à l’avis mentionné au paragraphe 27(6);

c) de payer, dans le délai réglementaire, les taxes visées à l’article 27.1;

d) de présenter la requête visée au paragraphe 35(1) ou de payer la taxe réglementaire dans le délai réglementaire;

e) de se conformer à l’avis mentionné au paragraphe 35(2);

f) de payer les taxes réglementaires mentionnées dans l’avis d’acceptation de la demande de brevet dans les six mois suivant celui‑ci.

(2) Elle est aussi considérée comme abandonnée dans les circonstances réglementaires.

(3) Elle peut être rétablie si le demandeur :

a) présente au commissaire, dans le délai réglementaire, une requête à cet effet;

b) prend les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon;

c) paie les taxes réglementaires avant l’expiration de la période réglementaire.

(4) La demande abandonnée au titre de l’alinéa (1)f) et rétablie par la suite est sujette à modification et à nouvel examen.

(5) la demande rétablie conserve sa date de dépôt.

La nature de la preuve au dossier

[54]Les éléments de preuve pertinents à l’égard des questions de l’évidence et de la franchise de la divulgation sont les suivants :

1. Le texte du brevet ′576 (dossier des demanderesses, volume 1, onglet 4, pages 25 à 221).

2. Le dossier de l’administration du brevet ′576 conservé dans les archives du Bureau canadien des brevets (dossier de la demanderesse, volumes 2 et 3, onglet A, pages 225 à 821). Ce dossier comprend entre autres la demande de brevet telle qu’elle a été déposée à l’origine auprès du Bureau canadien des brevets (volume 3, pages 616 à 821). Il est à noter qu’il ne s’agit là d’aucune des deux demandes prioritaires invoquées dans le brevet.

3. L’affidavit de Mme Karen Seibert, vice‑présidente à la recherche chez Pfizer Inc., ainsi que les pièces y afférentes, cotées de A à J (dossier des demanderesses, volume 5, onglets 10 et A à J, pages 1110 à 1201). Mme Seibert ne compte pas parmi les inventeurs dénommés dans le brevet ′576.

4. La transcription du contre‑interrogatoire de Mme Seibert, ainsi que les pièces y afférentes, cotées 1, 2 et 3 (dossier des défendeurs, ensemble du volume 14, pages 4458 à 4635).

5. Les deux demandes prioritaires invoquées par Searle dans le brevet ′576 (dossier des défendeurs, volume 4, pages 876 à 1128).

[55]Il est important aussi de préciser ce que ne contient pas le dossier :

1. Les éléments de preuve provenant d’un des inventeurs dénommés dans le brevet ′576. Or Mme Seibert a admis au cours de son contre‑interrogatoire qu’un bon nombre d’entre eux sont encore vivants et peuvent être retrouvés (dossier des défendeurs, volume 14, pages 4500 à 4506).

2. Les pièces jointes à l’affidavit de Mme Seibert (A à J), qui portent sur les travaux de laboratoire effectués chez Searle, sont considérablement expurgées de sorte que, apparemment, seuls les passages relatifs au célécoxib y ont été conservés et rien d’autre. Mme Seibert écrit au paragraphe 8 de son affidavit (dossier des demandeurs, volume 5, page 1113) qu’elle a examiné les versions non expurgées, mais elle a déclaré dans son contre‑ interrogatoire (volume 14 du dossier des défendeurs, à partir de la page 4547) que c’est [traduction] « l’équipe juridique » qui avait expurgé  le texte et qu’elle n’avait pas comparé les copies aux registres originaux. Par conséquent, je n’ai pas accordé beaucoup de crédit à ces documents.

3. Aucune autre personne qui aurait eu directement connaissance de ce qui se passait chez Searle à l’époque pertinente n’a témoigné.

Les faits pertinents révélés par la preuve

[56]À la lumière de la preuve présentée dans le dossier décrit ci‑dessus, j’en arrive aux conclusions suivantes :

1. À partir de 1991, ou avant, certaines équipes de scientifiques de Searle ont étudié l’usage potentiel de composés anti‑inflammatoires qui inhiberaient sélectivement ce qui est appelé maintenant la COX II par opposition à la COX I, la théorie étant qu’un tel composé réduirait au minimum les effets secondaires gastro‑intestinaux causés par d’autres composés anti‑ inflammatoires (affidavit de Mme Seibert, paragraphes 3 à 7, dossier des demanderesses, pages 1112 et 1113);

2. Mme Seibert dirigeait l’équipe chargée des questions biologiques qui travaillait avec d’autres scientifiques au projet sur la COX II. M. Peter Isakson supervisait l’ensemble du projet (contre‑interrogatoire de Mme Seibert, dossier des défendeurs, page 4490). Le nom de Mme Seibert ne figure pas dans la liste des inventeurs du brevet 597 (contre‑interrogatoire, dossier des défen-deurs, page 4506) ni celui de M. Isakson (page couverture du brevet, dossier des demandeurs, page 26);

3. Les molécules identifiées dans la figure 1 de la pièce 1 du contre‑interrogatoire de Mme Seibert comme étant 1 (DuPont 697) et 2 (SN‑398) ont été portées à la connaissance de l’équipe de Mme Seibert vers 1992 (contre‑interrogatoire de Mme Seibert, dossier des défendeurs, 4506 à 4516). Ce contre‑interrogatoire montre clairement que Mme Seibert n’est pas le chimiste qui a mis au point les composés, sa tâche consistait à les évaluer du point de vue biologique. Son témoignage ne révèle pas comment ces composés ont été découverts ou mis au point;

4. Au début des années 90, le groupe de Mme Seibert passait au crible un certain nombre de composés choisis au hasard, notamment le SC‑58125, le DuP 697 et le NS‑398, à la recherche de composés appropriés. Le groupe a étudié différents constituants de la structure de ces composés afin de comprendre la relation entre leur structure et leur activité (contre‑interrogatoire de Mme Seibert, dossier des défendeurs, pages 4527 à 4531);

5. Un peu avant octobre 1993, l’équipe de Mme Seibert travaillait sur le célécoxib et d’autres composés, notamment le SC‑58125 en plus du DuP 697 et du NS‑398 (affidavit de Mme Seibert, pièces A et suiv., dossier des demanderesses, pages 1131 et suiv.);

6. En novembre 1993, l’équipe de Mme Seibert avait démontré in vitro que le célécoxib inhibait sélectivement 250 fois plus la COX‑2 que la COX‑1 (affidavit de Mme Seibert, dossier des demanderesses, paragraphe 24, page 1117);

7. Le 30 novembre 1993, la première demande de priorité telle que revendiquée dans le brevet ′597, a été déposée aux États‑Unis (dossier des défendeurs, vol. 4, pages 1006 à 1128). Comme nous le verrons plus loin, le composé maintenant appelé célécoxib n’est pas expressément décrit et aucune donnée biologique n’est fournie sur ce composé. Aucune mention n’est faite de la COX 1 ni de la COX 2;

8. En 1994, la façon dont les scientifiques devaient évaluer les études de toxicité gastrique pour de tels composés était assez bien connue (contre‑interrogatoire de Mme Seibert, dossier des défendeurs, page 4534);

9. Le 14 février 1994, l’équipe de Mme Seibert a établi, à l’aide d’un modèle chez le rat, que le célécoxib présentait des propriétés tant anti‑inflammatoires qu’analgésiques (affidavit de Mme Seibert, dossier des demanderesses, paragraphe 61, page 1129);

10. Le 6 avril 1994, la deuxième demande de priorité telle que revendiquée dans le brevet ′597 a été déposée aux États‑Unis (dossier des défendeurs, vol. 4, pages 876 à 1004). Encore une fois, aucun renseignement spécifique sur le célécoxib n’est divulgué, aucune donnée biologique sur ce composé n’est fournie et on ne mentionne pas la COX 1 ni la COX 2;

11. En juin 1994, l’équipe de Mme Seibert avait établi que le composé SC‑58125 possédait des propriétés anti‑inflammatoires sans avoir d’effets toxiques sur l’estomac (contre‑interrogatoire de Mme Seibert, dossier des défendeurs, pages 4530 et 4531);

12. Lors d’une réunion en juin 1994, Mme Seibert a divulgué publiquement que le SC‑58125 était un agent anti‑inflammatoire qui ne comportait aucune toxicité gastrique (contre‑interrogatoire de Mme Seibert, dossier des défendeurs, page 4531);

13. En août 1994, l’article de Mme Seibert concernant le SC‑58125 a été soumis pour publication dans une revue scientifique dotée d’un comité de lecture. Cet article est paru dans le numéro de décembre 1994 de cette publication. L’article révélait que le composé SC‑58125 traitait l’inflammation sans entraîner d’effets gastriques indésirables (contre‑interrogatoire de Mme Seibert, dossier des défendeurs, pages 4527 à 4534; copie de l’article publié, dossier des  défendeurs, pages 4630 à 4634);

14. Le composé SC‑58125 est l’un des composés visés par un brevet délivré à Matsuo, le brevet américain 5134142 (le brevet ′142) dont il est question à la page 2 du brevet ′576 (pièce 3 du contre‑interrogatoire de Mme Seibert, dossier des défendeurs, page 1635; affidavit de M. Moody, paragraphes 107 à 109, dossier des de-manderesses, pages 225 et 2259; affidavit de M. Knaus, paragraphes 146 à 158, dossier des demanderesses, pages 3733 à 3735);

15. La différence entre le composé 142 de Matsuo (SC‑58125) et un des composés des demanderesses expressément divulgué dans le brevet ′576 dans l’exemple 17 est illustré dans la pièce 3 du contre‑interrogatoire de Mme Seibert :

Image

                          Composé de Matsuo                                                        Composé des demanderesses

La différence tient au fait que dans le composé de Matsuo, il y a une molécule de H3C à l’extrémité supérieure gauche alors que dans le composé de l’exemple 17, c’est une molécule de H3N. On peut ainsi dire que le composé de Matsuo a un groupement méthyle sur le sulfonyle (méthylsulfonyle) et que l’exemple 17 a un groupement amino sur le sulfonyle (aminosulfonyle). Le méthylsulfonyle est, du point de vue chimique, un isostère de l’aminosulfonyle (contre‑interrogatoire de M. Supuran, dossier des défendereurs, page 4993). Le composé de Matsuo diffère du célécoxib en ce que le célécoxib a une molécule de H3C à l’extrémité inférieure plutôt qu’un F de même qu’un aminosulfonyle plutôt qu’un méthylsulfonyle;

16. Le 14 novembre 1994 est la date de dépôt effective au Bureau canadien des brevets de la demande de brevet ′597 (dossier des demanderesses, vol. 3, page 613 et suivantes).

Conclusions concernant la preuve et l’interprétation des revendications

[57]La preuve contenue dans le dossier, jointe aux revendications contenues dans le brevet ′547, suivant l’interprétation que nous en avons donnée ici, nous amène à conclure ce qui suit des allégations formulées par Novopharm. La question que doit trancher la Cour est de savoir si la demanderesse, Searle, a montré ou non que les allégations n’étaient pas justifiées :

1. La revendication 4 du brevet ′576 vise le célécoxib qui a une double utilité, soit traiter l’inflammation tout en réduisant les effets indésirables tels que les ulcères de l’appareil digestif. La revendication 8 vise l’utilisation d’un médicament contenant une quantité adéquate de célécoxib pour le traitement de l’inflammation ou d’un trouble associé à une inflammation;

2. Le célécoxib a d’abord été préparé dans les laboratoires de Searle par une équipe de chimistes un peu avant 1994. Ce composé, de même que de nombreux autres, notamment le DuP 697, le NS‑398 et le SC‑58125, préparés par certains de ces chimistes ont été remis vers le début de 1994 à une autre équipe, soit celle des biologistes dirigée par Mme Seibert, qui devait évaluer leur activité biologique, notamment en ce qui concerne l’inflammation et les effets gastro‑intestinaux. Ces derniers effets ont été mesurés en utilisant comme mesure indirecte l’inhibition de la COX II par rapport à la COX I;

3. Tant l’équipe chargée des questions chimiques que celle chargée des questions biologiques à Searle travaillaient sous la supervision générale de M. Isakson;

4. Dans le brevet ′576, Talley et 12 autres scientifiques sont nommés comme inventeurs, leurs droits sont cédés à Searle (dossier des demanderesses, vol. 2, pages 226 à 252). Searle reste donc le « représentant légal » de ces inventeurs aux fins de la Loi sur les brevets;

5. Ni M. Isakson ni Mme Seibert ni personne de l’équipe de cette dernière ne sont nommés parmi les inventeurs du brevet ′576. Rien n’est indiqué quant à la cession de leurs intérêts. Aux termes de la Loi sur les brevets, Searle n’est pas le « représentant légal » de M. Isakson, de Mme Seibert ou des membres de son équipe;

6. La première date en ce qui a trait au célécoxib, non seulement comme composé mais comme un composé jugé utile pour traiter l’inflammation tout en produisant moins d’effets indésirables, est le 14 février 1994, date à laquelle l’équipe de Mme Seibert a établi ces propriétés. Cette équipe ne comprend apparemment aucun des inventeurs nommés, Talley et al.;

7. La première divulgation du célécoxib et de ses propriétés mentionnée dans la présente instance est la demande déposée au Canada conformément au Traité de coopération en matière de brevets, dont la date d’entrée en vigueur au Canada est le 14 novembre 1994. J’estime que le document de priorité ne décrit ni ne divulgue la même invention revendiquée à la revendication 4 ou 8 du brevet en litige. Tout d’abord, aucune des deux demandes de priorité ne mentionne expressément le célé-coxib et aucune des deux ne fournit des données sur les propriétés biologiques de ce composé. Deuxièmement, la structure (échafaudage) divulguée dans ces demandes de priorité comme étant la Formule II est présentée à la page 1031 du dossier des défendeurs pour le premier document de priorité et à la page 903 pour le second. Cette Formule II est différente de la Formule II dans le brevet ′576 qui présente la structure de base de toutes les revendications du brevet en litige, y compris le célécoxib. La structure de la Formule II dans les documents de priorité contient de l’H3CSO2 dans la portion gauche du composé alors que la Formule II du brevet ′576, à savoir le célécoxib, contient de l’H3NSO2. Toutes les revendications des documents de priorité, lorsqu’on les lit conjointement avec les références à des revendications antérieures (par exemple les revendica-tions 19 et 26 du second document de priorité figurant aux pages 986 et 991 du dossier des défendeurs), sont des références à la structure contenant l’H3CSO2 et non à la structure contenant de l’H3NSO2 des revendications 4 ou 8 du brevet ′576. Ainsi, les documents de priorité ne décrivent ni ne divulguent la « même invention » que les revendications 4 ou 8, la structure est différente et, surtout comme je l’ai mentionné précédemment, on ne décrit ni ne divulgue dans les documents de priorité que le célécoxib est utile dans le traitement de l’inflammation et entraîne moins d’effets secondaires;

8. Mme Seibert a divulgué publiquement en juin 1994 le fait qu’un composé identifié comme étant le SC‑58125 avait des propriétés anti‑inflammatoires et entraînait moins d’effets gastriques indésirables. Il résulte de cette divulgation que la personne versée dans l’art reconnaî-trait alors le composé comme étant un bon chef de file pour d’autres recherches. Un article scientifique décri-vant les résultats de ces recherches a été soumis pour publication en août 1994 et publié en décembre 1994;

9. Le SC‑58125 a une structure, parfois appelée échafaudage, identique à celle du célécoxib et diffère uniquement au niveau de ces deux substituants sur l’échafaudage. Les personnes versées dans l’art sont habituées à faire ce genre de substitution une fois qu’un chef de file a été identifié;

10. Bien que le groupe de Talley et al. nommés comme étant les inventeurs du brevet ′576 et le groupe de Mme Seibert aient tous travaillé chez Searle sous la direction commune de M. Isakson, seuls Talley et al. sont nommés comme inventeurs; ainsi, Searle peut prétendre être le représentant légal uniquement de Talley et al.

[58]Appliquons maintenant ces conclusions à l’économie de la Loi sur les brevets :

1. Un composé étroitement apparenté au célécoxib, soit le SC‑58125, décrit comme ayant la même utilité que celle décrite pour le célécoxib, a été divulgué publique-ment par Mme Seibert en juin 1994. Ni elle ni son groupe ne sont nommés comme inventeurs du brevet en litige et la preuve ne montre pas qu’ils ont obtenu ces connaissances des inventeurs nommés;

2. Les connaissances acquises par le groupe de Mme Seibert relativement à l’activité du SC‑58125, notamment en ce qui concerne l’inflammation et l’absence de toxicité gastrique, ont été acquises par le groupe lui‑même, non pas par Talley et al. La divulgation en juin 1994 ne concernait donc pas l’information provenant des inventeurs nommés, Talley et al. Le fait que Searle soit le « demandeur » du brevet ′576 ne signifie pas qu’il peut prétendre à la propriété commune de l’information de Mme Seibert, vu que selon l’article 2 de la Loi sur les brevets, le terme de « demandeur » ne peut être qu’un représentant légal des inventeurs nommés, Talley et al.;

3. La divulgation en juin 1994 concernant le SC‑58125 précède la première date que peut invoquer Searle à titre d’évidence et la date de dépôt au Canada, soit le 14 novembre 1994, étant donné que le contenu des deman-des de priorité ne décrit ni ne divulgue la même inven-tion que celle revendiquée aux revendications 4 ou 8;

4. Le 14 novembre 1994, Searle savait bien que le SC‑58125 était non seulement un des nombreux composés décrits dans le brevet ′142 de Matsuo, mais l’un des composés les plus pertinents. Searle a inclus ce brevet ′142 de Matsuo comme élément pertinent des réalisations antérieures dans sa demande de brevet déposée au Bureau canadien des brevets et en a parlé à la page 2 de la demande de brevet sans divulguer les propriétés du SC‑58125 dont elle était au courant et qu’elle avait divulguées publiquement en juin 1994 dans la demande de brevet et elle ne l’a pas fait non plus dans les réponses déposées au Bureau canadien des brevets au cours de l’instruction de la demande.

L’abandon

[59]Les premières allégations à considérer comme « fondées » sont les allégations d’abandon. Elles sont formulées comme suit dans l’avis d’allégation :

[traduction]

1.4 La demande qui a donné lieu à la délivrance du brevet ′576 (la demande) a été abandonnée en cours de poursuite et n’a pas été rétablie.

La demande déposée au Canada qui a donné lieu à la délivrance du brevet ′576 (ci‑après désignée la demande) devait être considérée comme abandonnée du fait que la demanderesse n’avait pas répondu de bonne foi, dans le cadre de l’examen, à une demande de l’examinateur. La demanderesse n’ayant pas rétabli la demande abandonnée sous le régime du paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets, l’avis d’acceptation émis par le Bureau des brevets était nul, et le brevet ′576 n’aurait pas dû être délivré.

L’article 73 de la Loi sur les brevets dispose entre autres ce qui suit :

[…]

La demande devait être considérée comme abandonnée lorsqu’il s’est avéré que la demanderesse n’avait pas répondu de bonne foi, dans le délai prescrit de six mois, à la demande de l’examinateur en date du 21 octobre 1998 (la première mesure du Bureau).

Selon la décision Dutch Industries c. Canada (Commissaire des brevets), [2002] 1 C.F. 325 (C.F. 1re inst.), le fait que la demande de brevet puisse être considérée comme ayant été abandonnée avant la délivrance du brevet n’est pas annulé par cette délivrance.

Dans le cadre de la première mesure du Bureau, l’examinateur a fait deux demandes précises à la demanderesse. Premièrement, il lui a demandé, sous le régime de l’article 29 des Règles sur les brevets de [traduction] « spécifier toute antériorité citée à l’égard des demandes correspondantes déposées auprès du United States Patent Office et de l’Office européen des brevets, ainsi que les numéros des brevets, s’ils [avaient] été octroyés à la suite du rapport de recherche internationale ».

Dans sa réponse, en date du 16 février 1999, la demanderesse déclare que [traduction] « [l]es nouvelles revendications déposées par la présente [les revendications 1 à 16] ont été acceptées par l’OEB [l’Office européen des brevets] dans le cadre de la demande européenne correspondante ». La demanderesse réitère cette affirmation lorsqu’elle déclare : [traduction] « nous notons que les mêmes familles de brevets ont été citées dans le rapport d’examen préliminaire international et que les revendications ci‑jointes [les revendications 1 à 16] ont été acceptées par l’OEB sur la base de la citation de ces antériorités ». Enfin, la demanderesse déclare encore une fois que, [traduction] « comme il a été dit plus haut, les nouvelles revendications 1 à 16 ont été acceptées dans le cadre de la demande européenne correspondante ».

Ces déclarations étaient fausses au moment où la demanderesse les a faites, et elle les savait telles. Elle a fait ces déclarations en sachant qu’elles induiraient l’examinateur à croire à tort que l’OEB avait accepté la totalité des revendications 1 à 16. Or, à ce moment, l’OEB n’avait accepté que 8 des revendications de la demande européenne correspondante, à savoir celles portant sur les composés de la formule I (et les revendications dépendantes de portée progressivement plus restreinte) et une autre relative à une composition pharmaceutique. L’OEB n’avait encore accepté aucune des revendications pour l’utilisation (c’est‑à‑dire les revendications 9 à 16 telles que déposées par la demanderesse dans sa réponse du 16 février 1999) à la date de la réponse de la demanderesse.

Ainsi, les déclarations de la demanderesse comme quoi l’OEB avait accepté toutes [traduction] « les nouvelles revendications déposées par la présente » étaient fausses et de nature à induire en erreur, et ne constituaient donc pas une réponse de bonne foi à la demande de l’examinateur.

Deuxièmement, toujours dans le cadre de la première mesure du Bureau, l’examinateur a rejeté l’ensemble des 20 revendications (telles qu’elles figuraient alors au dossier) au motif de leur non‑conformité à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, parce que l’objet défini dans ces revendications aurait été, à la date desdites revendications, évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève cet objet, étant donné les brevets EP 418845 (Matsuo, M. et al.), CA 959838 (Rainer, G.) et CA 2008835 (Matsuo, M. et al.). L’examinateur a déclaré ce qui suit :

« Les 1,5‑aryl/hétéroarylpyrazoles et leur activité anti‑inflammatoire sont bien connus dans le domaine. Les pyrazoles revendiqués (I) ne diffèrent que dans la substitution de ces radicaux aryles/hétéroaryles bien connus (l’aminosulfonyle au lieu du méthylsulfonyle). »

L’examinateur a également ajouté :

« Ainsi, compte tenu de l’état de la technique, les revendications doivent être limitées à ces pyrazoles (l) spécifiques qui représentent une amélioration par rapport aux réalisations antérieures et que la description appuie pleinement. » [Souligné par l’examinateur].

La demanderesse, dans sa réponse datée du 16 février 1999, a mentionné ce qui suit :

« Les présents composés sont caractérisés par le groupement sulfamyle fixé au substituant phényle en position 1 de la fraction pyrazole des présents composés. Ce nouvel élément qu’on retrouve aussi dans l’objet revendiqué présente un effet qui ne peut pas avoir été dérivé ni suggéré dans les réalisations antérieures, soit la sélectivité pour la COX‑II. » [Non souligné dans l’original.]

En répondant de cette façon, la demanderesse a indiqué à l’examinateur que les composés revendiqués sont sélectifs pour la COX‑II alors que les composés de Matsuo et al. et de Rainer ne le sont pas. En effet, la demanderesse a soutenu que l’amélioration par rapport aux réalisations antérieures est la présence du groupement aminosulfonyle, qui a rendu ces 1,5‑diaryl/hétéroarylpyrazoles sélectifs pour la COX‑II alors que dans les réalisations antérieures, les 1,5‑diaryl/hétéroarylpyrazoles n’étaient pas sélectifs pour la COX‑II.

La demanderesse savait que ces affirmations étaient incorrectes et trompeuses. Le 16 février 1999, le demandeur savait, comme le démontre son propre article publié en 1994 (Seibert et al.), qu’au moins un des composés décrits dans l’EP 418,845 (Matsuo, M. et al.), à savoir le 1‑[(4‑méthylsulfonyl)phényl]‑3‑ trifluorométhyl‑5‑(4‑fluorophényl)pyrazole (le composé de Matsuo), était un agent anti‑inflammatoire, un analgésique, n’entraînait pas d’effets gastriques toxiques et était un inhibiteur sélectif de la COX‑2 (c.‑à‑d. CI50 de moins de 0,2 µM et un ratio de sélectivité pour l’inhibition de COX‑2 par rapport à l’inhibition de COX‑1 d’au moins 50).

Le composé de Matsuo est identique à un des composés expressément revendiqués dans les revendications 2, 3 et 7 soumis par la demanderesse, soit le 4‑[5‑(4‑fluorophényl-3‑ (trifluorométhyl)‑1H‑pyrazol‑1‑yl]benzènesulfonamide (le composé de la demanderesse), sauf que le composé de Matsuo a un groupement méthylsulfonyle et que le composé de la demanderesse a un groupement aminosulfonyle. Le composé de Matsuo et le composé de la demanderesse sont illustrés ci‑dessous :

Image

Matsuo Compound                                                                Applicant’s Compound

Ainsi, le remplacement du groupement méthylsulfonyle du composé de Matsuo par un groupement aminosulfonyle (composé de la demanderesse) n’a pas apporté d’amélioration par rapport aux réalisations antérieures. La suggestion par la demanderesse qu’une telle substitution apporte une amélioration (c.‑à‑d. sélectivité pour la COX‑II), alors qu’en fait la demanderesse savait que ce n’était pas une amélioration, montre que celle‑ci n’a pas répondu de bonne foi à la demande de l’examinateur, qui voulait que la demanderesse montre que ses pyrazoles spécifiques constituaient une amélioration par rapport aux réalisations antérieures.

En résumé, compte tenu des faits connus par la demanderesse à l’époque, l’allégation par la demanderesse qu’il s’agissait d’une amélioration par rapport aux réalisations antérieures était sciemment trompeuse et ne constituait pas une réponse franche ni de bonne foi à la demande de l’examinateur. Par ailleurs, la demanderesse n’a pas signalé adéquatement l’amélioration de ses pyrazoles spécifiques et n’a donc pas répondu de bonne foi au rejet de la demande par l’examinateur pour raison d’évidence.

Comme la demanderesse n’a pas répondu de bonne foi dans les 6 mois suivant la date de la décision du Bureau (avant le 21 avril 1999), la demande a été considérée comme abandonnée en date du 21 avril 1999. De plus, la demande n’a pas été rétablie par la demanderesse conformément au paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets dans l’année qui suit le présumé abandon. Par conséquent, il n’y avait en fait aucune demande valide pour appuyer la notification d’acceptation et la délivrance subséquente du brevet ′576.

[60]Bref, on allègue que Searle a trompé (l’avocat de Novopharm a pris soin de ne pas utiliser le mot fraude) le Bureau canadien des brevets à deux égards durant l’instruction de la demande du brevet ′576. Dans le premier cas, on a dit que l’Office européen des brevets avait autorisé que des revendications identiques aux revendications 1 à 16 soient brevetées, alors qu’en fait il ne l’avait fait que pour les revendications 1 à 8. Dans le second cas, on a omis de dévoiler certains renseigne-ments comme la référence à Matsuo, qui figure à la page 2 du brevet et plus tard dans les réponses données à l’examinateur. Searle a uniquement affirmé que la référence à Matsuo, comme telle, n’indique pas qu’au moins un des composés décrits dans cette référence n’a pas causé de problèmes gastriques tout en étant efficace comme anti‑inflammatoire. En fait, comme nous l’avons vu, avant que la demande de brevet canadien ne soit déposée (14 novembre 1999), Searle avait testé au moins un des composés de Matsuo, avait constaté qu’il était utile pour traiter l’inflammation et ne causait pas de problèmes gastriques. Comme nous l’avons vu, Mme Seibert, chef de l’équipe chargée des questions biologiques chez Searle en ce qui concerne les composés de Matsuo, a fait part publiquement de cette conclusion lors d’une conférence scientifique tenue en juin 1994 et a soumis en août 1994 un article sientifique pour publication dans une revue dotée d’un comité de lecture dans le numéro de décembre 1994 de cette revue.

[61]Il n’y a pas de disposition dans la Loi sur les brevets ni dans son règlement d’application qui prévoit directement qu’un tiers a le droit d’invalider un brevet pour fraude ou absence de bonne foi durant l’instruction de la demande. L’article 53 de la Loi prévoit qu’un brevet peut être invalidé si une allégation importante dans la pétition relative à ce brevet n’est pas conforme à la vérité ou si le mémoire descriptif du brevet lui‑même a été sciemment rédigé de façon à présenter ou à omettre de présenter une information importante afin d’induire en erreur. L’article 76 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 53] prescrit qu’une personne qui fournit une fausse information ou de faux documents commet un acte criminel.

[62]L’article 73 de la Loi sur les brevets, disposition invoquée par Novopharm, a été introduit dans la Loi dans le cadre des modifications apportées le 1er octobre 1996. Il exige qu’une partie présentant une demande de brevet réponde « de bonne foi » aux demandes faites par l’examinateur du bureau des brevets à l’intérieur de la période prescrite, à défaut de quoi la demande sera abandonnée. Un processus est prévu pour le rétablisse-ment de la demande. Une partie telle que Novopharm peut‑elle, après la délivrance du brevet, attirer l’attention de la Cour sur une ou plusieurs de ces réponses et demander à la Cour de juger que la demande a été abandonnée parce que les réponses n’ont pas été faites « de bonne foi »?

[63]Il existe aux États‑Unis un ensemble de règles et de droit concernant ce qu’il est convenu d’appeler la conduite inéquitable. On trouve une bonne explication de ce droit dans une décision récente de la Cour d’appel du circuit fédéral, intitulée Digital Control Inc. v. Charles Mach. Works, 437 F.3d 1309, en date du 8 février 2006. Cette Cour fait observer que la doctrine de la conduite inéquitable peut être invoquée pour invalider un brevet lorsque son titulaire a donné de propos délibéré une présentation inexacte de faits importants. Cette doctrine, de création judiciaire, a par la suite été codifiée par la règle 56 [37 C.F.R. § 1.56 (1977)], qui prescrit au demandeur de brevet de communiquer [traduction] « les renseignements dont il dispose sur les faits importants ». La Cour américaine a examiné la question de la norme applicable pour savoir quels sont les faits importants et comment mesurer l’intention du demandeur. Elle conclut essentiellement que plus le fait en question est important, moins il est nécessaire d’établir cette intention.

[64]La Cour fédérale d’Australie a examiné dans une décision très récente—Ranbaxy Australia Pty Ltd. v. Warner‑Lambert Company LLC (No. 2), [2006] F.C.A. 1787—l’alinéa 138(3)d) de la Patents Act, (1990)  (Cth.) de l’Australia, qui dispose expressément qu’un tribunal peut annuler en tout ou partie un brevet obtenu par fraude ou sur la foi de déclarations inexactes ou de nature à induire en erreur. Selon la jurisprudence appliquée par cette Cour, un brevet peut être annulé au motif d’une déclaration visant essentiellement à influencer la décision de l’office des brevets; il n’est pas nécessaire d’établir que celui‑ci n’aurait pas délivré le brevet n’eût été cette déclaration; et il n’est pas nécessaire non plus de prouver le propos délibéré de tromper.

[65]Au Canada, suivant l’arrêt Fada Radio Ltd. v. Canadian General Electric Co., [1927] R.C.S. 520, et les décisions postérieures qui s’y réfèrent, la déclaration formulée dans le document de délivrance du brevet comme quoi les dispositions de la Loi sur les brevets avaient été respectées avait pour effet d’empêcher les contestations de validité fondées sur l’inobservation des prescriptions de procédure pendant la poursuite de la demande. Mais un tel document de délivrance n’est plus joint au brevet depuis des décennies, et aucune déclaration de la nature susdite ne figure maintenant dans le brevet ni ne l’accompagne.

[66]La Cour d’appel fédérale a examiné dans Bourgault Industries Ltd. c. Flexi‑Coil Ltd., [1990] A.C.F. no 315 (C.A.) (QL), un moyen fondé sur le manque de franchise, en l’occurrence le fait de ne pas avoir informé le Bureau des brevets de certaines réalisations antérieures au cours de la demande. Il est à noter que les dispositions de l’actuel article 73 de la Loi sur les brevets n’existaient pas à l’époque de la demande de brevet en question. La Cour d’appel a conclu que toute obligation de divulgation doit être établie par la loi, les règles ou la jurisprudence applicables et que, même s’il existait une telle obligation, elle n’affecterait pas la validité du brevet, mais pourrait influer sur la réparation en equity. On peut lire ce qui suit aux paragraphes 30 et 31 de cet arrêt :

À l’audience, l’avocat de Flexi‑Coil a fortement tablé sur l’arrêt très récent rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Cadbury Schweppes Inc. c. FBI Foods Ltd. (C.S.C., dossier no 25778, 28 janvier 1999, [1999] S.C.J. No. 6) pour soutenir que l’obligation de divulgation est plus exigeante que celle qui était auparavant imposée par la loi ou par la jurisprudence. Il a notamment cité le passage suivant des motifs du juge Binnie, au paragraphe 46 :

Je ne crois pas qu’il soit bien utile pour les intimées en l’espèce d’invoquer le droit de la propriété intellectuelle. Cela ne tient pas compte du « marché » qui est au cœur même de la protection conférée par les brevets. Un brevet est un monopole légal accordé en contrepartie de la divulgation totale et complète de son invention par le breveté. La divulgation est la condition essentielle du marché intervenu entre le breveté, qui obtenait à l’époque un monopole de 17 ans sur l’exploitation de son invention, et le public, qui obtient le libre accès à tous les renseignements nécessaires pour mettre en œuvre l’invention. Par conséquent, au moins un des objectifs de principe qui sous‑tendent les réparations que le titulaire d’un brevet peut demander en vertu de la loi est de rendre la divulgation plus attrayante, et à ainsi faire en sorte que des connaissances utiles soient rendues publiques le plus rapidement possible conformément à l’intérêt public […]

L’avocat attache à ce passage un sens plus large que celui qui est permis. La question soumise à la Cour se rapportait à un abus de confiance et à des secrets commerciaux. La « divulgation totale et complète de son invention par le breveté » dont parle le juge Binnie ne peut être, à mon sens, que celle que la loi, les règles et la jurisprudence (Notamment l’arrêt Consolboard Inc., supra, note 4) exigent déjà. En outre, même si l’obligation de divulgation avait été élargie comme le prétend l’avocat, les répercussions de cette extension se feraient sentir non pas au niveau de la validité du brevet, mais au niveau des réparations, lorsque des considérations d’equity pourraient entrer en jeu.

[67]L’article 73 a été intégré dans la Loi sur les brevets après l’arrêt Flexi‑Coil. D’autres dispositions de l’article 73 prescrivent le paiement des taxes applicables dans les délais réglementaires. La Cour fédérale a statué, dans la décision Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 1 C.F. 325 (1re inst.), que le brevet en litige était tombé en déchéance au motif que son titulaire n’avait pas payé dans les délais le montant total des taxes périodiques exigées. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision sur ce point ([2003] 4 C.F. 67).

[68]Dans Johnson & Johnson Inc. c. Boston Scientifique Ltée, [2005] 4 R.C.F. 110, notre Cour a conclu que le fait de n’avoir pas payé le plein montant de la taxe réglementaire au moment du dépôt de la demande de brevet avait pour effet d’invalider le brevet délivré par la suite. Cette décision a été suspendue en attendant la révision projetée de la législation.

[69]Il y a donc des précédents permettant en fait d’invalider un brevet, ou de le déclarer échu, en vertu de l’article 73 de la Loi sur les brevets. La Cour d’appel fédérale a statué dans Flexi‑Coil, soit avant la promulgation de l’article 73, que le tribunal saisi peut prendre en considération le manque de franchise à tout le moins pour ce qui concerne le redressement en equity.

[70]Dans l’arrêt FBI [Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142] (cité aux paragraphes 30 et 31 de Flexi‑Coil), ainsi qu’au paragraphe 37 de Whirlpool Inc. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, et au paragraphe 12 d’AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la santé), [2006] 2 R.C.S. 560, la Cour suprême du Canada rappelle que la divulgation de l’invention par le breveté constitue une contrepartie essentielle de l’octroi par le Canada du monopole de ladite invention.

[71]Il existe une doctrine de la bonne foi en matière de brevets depuis au moins 60 ans. Le président Thorson de la Cour de l’Échiquier faisait observer, à la page 317 de l’affaire Minerals Separation North American Corporation v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C.É. 306, que l’inventeur doit agir avec la plus entière bonne foi et communiquer tous les renseignements dont il dispose permettant la réalisation optimale, telle qu’il la conçoit, de son invention.

[72]Le brevet est un monopole que le demandeur recherche volontairement : il n’y est pas obligé. La demande de brevet est dans les faits une procédure ex parte, c’est‑à‑dire un dialogue engageant seulement le demandeur et l’examinateur du Bureau des brevets. Par ailleurs, la Loi sur les brevets établit une présomption de validité du brevet lorsqu’il est délivré.

[73]Le brevet n’est pas délivré à seule fin d’offrir à un membre du public la possibilité d’en contester la validité; voir le paragraphe 54 de Kingstreet Investments Ltd. c. Nouveau‑Brunswick (Finances), [2007] 1 R.C.S. 3, où la Cour suprême formule un principe analogue dans le contexte de la législation fiscale. Le demandeur de brevet est tenu d’agir de bonne foi dans ses rapports avec le Bureau des brevets. La demande de brevet comprend un mémoire descriptif et des projets de revendications. Le mémoire descriptif constitue la divulgation en contrepartie de quoi est octroyé le monopole défini par les revendications. Cette divulgation, pour reprendre les termes de la Cour suprême, doit être complète, franche et impartiale. Des renseignements complémentaires peuvent être communiqués au cours du dialogue avec l’examinateur du Bureau des brevets. Depuis au moins le 1er octobre 1996, l’obligation de bonne foi est applicable aux rapports avec l’examinateur. On attend du deman-deur une divulgation complète, franche et impartiale. Ce dernier a toute possibilité, au cours de la poursuite de sa demande, de communiquer des renseignements complé-mentaires, ainsi que de corriger les inexactitudes ou de combler les lacunes de ses déclarations antérieures. Il n’est ni déraisonnable ni excessivement sévère de la part de la Cour de considérer la demande, et par suite le brevet, comme ayant été abandonnés si, après la déli-vrance de celui‑ci, elle déclare la divulgation entachée de mauvaise foi.

[74]Je conclus que l’affirmation selon laquelle les revendications 1 à 16 des demandes européennes avaient été acceptées (la vérité étant que seules les revendica-tions 1 à 8 l’avaient été et que les autres avaient été transférées à une demande complémentaire) ne suffit pas à justifier une conclusion d’abandon de la demande de brevet fondée sur la mauvaise foi. Les revendications 1 à 8 incluent l’objet des revendications 4 et 8 ici en litige. Quant aux revendications 9 à 16, elles ne se rapportent à aucune desdites revendications 4 et 8. Au surplus, la demanderesse a déclaré dans une réponse ultérieure que seules les revendications 1 à 8 avaient été acceptées, encore qu’elle n’ait pas souligné cette information ni ne l’ait rappelée expressément. Aucun élément du dossier n’indique que l’information en question ait influencé l’examinateur dans une mesure importante, et l’on n’y trouve non plus aucun renseignement sur l’intention de la demanderesse ou de son agent de brevets. L’impor-tance du fait est donc faible, et la Cour ne dispose d’aucune preuve d’intention.

[75]Les réponses concernant la référence du brevet Matsuo appellent cependant une conclusion différente. Il est clair que le brevet, tel qu’il était demandé, devait porter sur des compositions qui, en plus de traiter les inflammations, produisaient moins d’effets secondaires indésirables. La demanderesse, Searle, a omis d’informer le Bureau des brevets non seulement qu’elle avait déjà découvert qu’au moins un des composés du brevet Matsuo avait des propriétés semblables, mais encore qu’elle avait elle‑même communiqué ce fait au public avant le dépôt de la demande de brevet canadien.

[76]Je suis conscient du fait que la situation aurait pu être différente si Searle n’avait pas fait cette communi-cation au public. Dans cette hypothèse, elle aurait pu garder le secret sur de telles enquêtes, étant donné qu’elles faisaient partie de la recherche et du processus d’invention. Mais la communication au public du fait en question avant le dépôt de la demande canadienne change tout.

[77]Je conclus que Searle ne peut invoquer ni le fait que la communication au public ait été précédée d’une ou deux demandes prioritaires ni les dispositions de la Loi sur les brevets qui permettent la communication de l’objet d’une revendication par l’inventeur, ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard, dans l’année précédant la date de dépôt de la demande au Canada. Le point essentiel est que la demanderesse aurait dû déclarer tous les faits pertinents dans la demande de brevet même et les communiquer au Bureau des brevets, de manière à permettre à l’examinateur d’évaluer cette demande en complète connaissance de cause et, le cas échéant, d’exiger la modification ou l’annulation d’élé-ments du mémoire descriptif ou de l’une ou l’autre des revendications proposées. Par conséquent, je conclus que la demanderesse n’a pas fait preuve de « bonne foi » au moment du dépôt de sa demande au Bureau canadien des brevets du fait de l’insuffisance de sa communication touchant Matsuo, ni par la suite dans ses réponses aux questions de l’examinateur concernant Matsuo. Il s’ensuit que, en vertu de l’article 73 de la version de la Loi d’application postérieure au 1er octobre 1996, la demande de brevet doit être considérée comme ayant été abandonnée.

[78]En conséquence, Searle n’a pas démontré le caractère infondé de l’allégation d’abandon.

Évidence

[79]Novopharm a déclaré dans son avis d’allégation que le célécoxib et ses propriétés comme anti‑inflammatoire entraînant moins d’effets gastriques indésirables étaient évidents eu égard à un certain nombre de composés déjà divulgués, ce qui aurait amené la personne versée dans l’art à faire des substitutions chimiques évidentes et à arriver « directement et facilement » au célécoxib.

[80]Une page de l’avis d’allégation, que je reproduis ici, illustre certaines des sélections faites par Novopharm parmi ce qu’il décrit comme étant des compositions anti‑ inflammatoires connues qui comportent des effets secondaires moins nocifs; elles sont juxtaposées ici au célécoxib.

Composés connus pour être des agents anti-inflammatoires et avoir des effets secondaires moins nocifs

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Brown et al.                                         Gans et al. et le brevet 827 (DuP 697)              Le brevet ′808

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Mizoule et al.                                                          Le brevet ′065                                         Le brever ′592

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                                Le brevet ′691                                                                                                      Le brevet ′776

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Le brever ′776                                             Le brevet ′721                                                   Amderson et al. et le brevet ′381

[81]L’avis d’allégation traitait abondamment de ces composés et d’autres composés. Pour ce qui est des composés de Matsuo (parfois appelés le brevet ′142 ou le SC‑58125) déjà mentionnés dans les présents motifs, on alléguait ce qui suit :

[traduction] Il convient en outre de noter que certains des inventeurs du brevet ′576 avaient publié en 1994 des résultats concernant un composé identique au composé 17 dévoilé dans le brevet ′576, sauf que le groupement aminosulfonyle était remplacé par un groupement méthylsulfonyle (SC‑58125 ou 1‑[(4‑méthylsulfonyl)phényl]‑3‑trifluorométhyl‑5‑ (4‑fluorophényl)pyrazole; voir Seibert et al.). Les résultats ont montré que le SC‑58125 inhibait l’œdème au siège de l’inflammation et avait des propriétés analgésiques mais ne causait pas de toxicité gastrique. Ils révélaient également que le SC‑58125 était un inhibiteur sélectif de la COX‑2 (c.‑à‑d. CI50 de moins de 0,2 µM et un ratio de sélectivité pour l’inhibition de la COX‑2 par rapport à l’inhibition de la COX‑1 d’au moins 50).

[82]Searle a rejeté ces allégations. Elle n’a présenté aucune réfutation spécifique dans son avis de demande, ne faisant qu’une dénégation générale et affirmant qu’elle s’appuyait sur la présomption de validité prévue dans la Loi sur les brevets. Toutefois, Searle a déposé une grande quantité de données indiquant que le célécoxib n’aurait pas été évident. Une des principales affirmations de Searle était que les composés identifiés par Novopharm n’au-raient pas été facilement identifiés par une personne versée dans l’art comme étant des produits de départ logiques et très apparents et que les substitutions n’auraient pas été facilement faites et n’auraient pas mené « directement et facilement » au célécoxib. Les paragraphes 24 à 26 de l’affidavit de M. Supuran, un des témoins experts de Searle, reflètent la position de Searle :

[traduction] Les arguments de Novopharm sont incorrects. Novopharm cite de nombreux brevets qui divulguent des composés ayant des similitudes structurales à celles du célécoxib. Toutefois, l’argumentation de Novopharm ne tient pas compte du fait que les composés primaires qui, selon elle, ont des similitudes structurales avec le célécoxib sont en fait bien cachés dans les formules génériques de ces brevets, n’ayant apparemment jamais été synthétisés ni testés par les inventeurs (ni personne d’autre) pour vérifier leurs propriétés anti‑ inflammatoires. En tant que spécialiste en chimie médicinale travaillant activement dans le domaine, je n’entreprendrais jamais un nouveau projet de recherche en choisissant un composé qui n’a jamais été synthétisé ni testé, et je ne l’aurais pas fait en 1993 ni en 1994. À mon avis, aucun spécialiste en chimie médicinale ne le ferait maintenant (ni ne l’aurait fait en 1993 ou en 1994). Ce serait complètement illogique.

En outre, selon moi, le fait que Novopharm invoque les principes de l’isostérie et de la bioisostérie ne suffit pas à prouver l’argument selon lequel il serait évident de prédire l’activité biologique du célécoxib à partir des réalisations antérieures. Les concepts de l’isostérie et de la bioisostérie sont trop rudimentaires pour permettre à quiconque de prédire les propriétés biologiques d’un composé, car ces concepts ne peuvent expliquer les importants changements physiochimiques qui surviennent lorsqu’on remplace des isostères ou des bioisostères.

Pour ces raisons, que j’analyserai plus en détail ci‑dessous, je n’accepte pas les allégations de Novopharm selon lesquelles en 1993 ou 1994, il aurait été évident pour un spécialiste en chimie médicinale de synthétiser le composé célécoxib et que le composé aurait une activité anti‑inflammatoire ou ne causerait pas de troubles gastriques.

[83]Le processus suivi couramment par les sociétés pharmaceutiques dans leurs recherches en vue de découvrir de nouveaux composés ayant des propriétés bénéfiques a été décrit par plusieurs témoins, notamment un des experts de Novopharm, M. Knaus, dans son contre‑interrogatoire. En résumé, le processus inclut les étapes suivantes :

1. Identifier la tâche à accomplir, soit trouver un composé qui traitera l’inflammation tout en étant sans danger pour l’appareil digestif;

2. Dépouiller la littérature et d’autres sources comme les informations déjà détenues par l’organisation au sujet d’un composé qui retient actuellement l’attention dans l’industrie, de façon à identifier des candidats susceptibles d’être des « chefs de file »;

3. Préparer les chefs de file et leurs variantes et tester ces composés et leurs variantes pour déterminer s’ils présentent des propriétés intéressantes ou non;

4. Sélectionner parmi les composés testés ceux qui ont le plus de chances d’avoir suffisamment de propriétés intéressantes et le moins de propriétés nocives afin qu’ils fassent l’objet de tests plus approfondis.

[84]C’est un processus long, ardu et coûteux. Certaines parties du processus peuvent être évidentes pour une personne versée dans l’art, la sélection de certains chefs de file et la préparation de certaines variantes peuvent être évidentes pour atteindre un résultat souhaité. La sélection d’autres chefs de file et la préparation de certains types de variantes peuvent être moins évidentes ou pas évidentes du tout. Des experts ont déclaré que même des variantes apparemment mineures de la composition d’une molécule pourraient entraîner des changements assez surprenants parfois. Ce qui nous intéresse en l’espèce, c’est qu’un chef de file, le composé 142 de Matsuo, identifié autrement par Searle comme le SC‑58125, a fait l’objet d’une divulgation publique en juin 1994.

[85]Pour prouver l’évidence, Searle peut se référer à la date de dépôt au Canada, soit le 14 novembre 1994, comme étant la « date de la revendication ». Aucune date antérieure ne peut être invoquée vu que les demandes servant à établir la priorité ne décrivent ni ne divulguent la même invention que les revendications 4 ou 8. Comme nous le savons, les faits montrent qu’en date du 14 février 1994, Mme Seibert et son équipe avaient établi, par des tests biologiques, que le célécoxib remplissait les conditions essentielles, c.‑à‑d. avait une activité anti‑ inflammatoire sans effets gastriques indésirables. Rien ne montre cependant que les inventeurs nommés, Talley et al., le savaient ou l’avaient vérifié à cette époque. Le 14 février 1994 n’est donc pas une date que peut invoquer Searle.

[86]Avant le 14 novembre 1994, date de dépôt effective de la demande canadienne, le composé de Matsuo, le SC‑58125, avait été divulgué publiquement (juin 1994) comme étant un composé qui avait une activité anti‑inflammatoire sans effets gastriques indésirables. Ce n’était pas, comme Searle l’a affirmé, juste un produit parmi des milliers d’autres enfouis dans la littérature. Le composé de Matsuo a été isolé, décrit et sa double utilité essentielle a été démontrée. Il a été divulgué publiquement comme un bon « chef de file » en juin 1994.

[87]Ce qu’il restait à faire pour en arriver au célécoxib, à partir de la divulgation en juin 1994, c’était apporter des modifications aux molécules situées à divers endroits de la structure (échafaudage) et de déterminer si ces variantes étaient aussi efficaces, plus efficaces ou moins efficaces. Une telle variante est celle qui produirait l’exemple 17 du brevet ′576, où on a échangé un groupement méthyle par un groupement amino. Les témoins de Novopharm, comme M. Knaus au paragraphe 152 de son affidavit, affirment que des substitutions auraient été faites par une personne versée dans l’art qui s’attendrait à ce que le composé résultant présente des propriétés similaires. Un autre expert de Novopharm, M. Moody, dit la même chose aux paragraphes 168 à 170 de son affidavit. La preuve de Searle, et les paragraphes 75 à 96 de l’affidavit de M. McGeer en est un bon exemple, met l’accent sur l’argument selon lequel le composé n’est pas présenté dans le brevet ′142 de Matsuo, ce n’est qu’un parmi tant d’autres, et ce brevet ne se démarque pas particulièrement parmi les nombreux autres qui existent. Cette preuve ne tient pas compte du fait que le composé de Matsuo a été divulgué publiquement.

[88]Un autre témoin de Searle, M. Supuran, affirme la même chose aux paragraphes 58 à 98 de son affidavit. M. Supuran réfute l’allégation selon laquelle on aurait facilement reconnu qu’une substitution d’un groupement amino par un groupement méthyle produirait des résultats utiles (voir en particulier les paragraphes 73 à 91). En contre‑interrogatoire (pages 4994 et 4995), M. Supuran a déclaré que bien qu’une telle substitution puisse être faite, on ne serait pas sûr à cent pour cent de son activité tant qu’elle n’a pas été testée. M. Supuran ne dit pas que le composé de Matsuo avait été divulgué publiquement. Il semble qu’on ne l’ait pas mis au courant.

[89]La question pour les scientifiques est donc de savoir dans quelle mesure, en date de juin 1994, une personne versée dans l’art serait intéressée à fabriquer des variantes, compte tenu de la divulgation par Searle du composé SC‑58125 et de son utilité. Cette personne se serait‑elle attendue avec une bonne dose d’assurance à obtenir des résultats efficaces avec une substitution? La preuve indique que la substitution apportée à la structure d’un chef de file donné (échafaudage) ne présente pas de difficultés techniques. Le SC‑58125 étant un chef de file attrayant, il semble, comme le démontre M. Supuran, un expert de Searle, au paragraphe 53 de son affidavit, que des chimistes peuvent être capables de déterminer si des changements apportés à une portion particulière de la molécule influeront sur son activité. Ce type de recherche qu’il décrit au paragraphe 56 n’est pas illogique ni irrationnel. La raison qu’il invoque pour ne pas considérer le composé de Matsuo comme un bon chef de file est décrite aux paragraphes 64 à 67 de son affidavit, soit l’absence de données indiquant que le composé avait été identifié comme un bon chef de file. En fait, il avait été divulgué publiquement en juin 1994 que le composé était un bon chef de file. Searle ne lui a pas apparemment mentionné le fait avant son témoignage.

[90]Il est utile d’examiner la décision du juge Pumfrey de la Chancery Division d’Angleterre dans l’affaire Monsanto Co. v. Merck & Co. Inc., [2000] E.W.J. no 447 (QL). Cette décision concernait un brevet de Searle qui n’est pas l’équivalent européen du brevet en litige ici, mais un autre brevet qui revendique également que des composés ont des propriétés anti‑inflammatoires tout en n’entraînant pas d’effets gastriques indésirables. Ce n’est pas le brevet du célécoxib (voir le paragraphe 2 des motifs). On y allègue toutefois que ce qui était revendiqué dans le brevet en litige dans cette affaire était évident vu l’existence du DuP 697, l’un des composés présentés comme une réalisation antérieure dans le cas qui nous intéresse. Le juge Pumfrey a déclaré les revendications en litige invalides pour motif d’évidence. La décision a été confirmée en appel ([2001] EWCA Civ 1610).

[91]Le juge Pumfrey a récapitulé le droit britannique contemporain touchant l’évidence dans son exposé des motifs, dont j’extrais les 2 paragraphes suivants [170 à 173] :

[traduction] Qu’on me permette, avant d’entreprendre l’examen des documents cités dans les actes de procédure, de passer en revue le droit applicable tel que je le comprends. Pour qu’une revendication se heurte à une antériorité opposable à sa nouveauté, la publication antérieure invoquée doit décrire clairement, ou porter des instructions claires permettant de faire ou de fabriquer, une chose qui contreferait la revendication du breveté si elle était réalisée après la délivrance du brevet de ce dernier. Par contre, si la publication antérieure contient des instructions qu’il est possible d’appliquer d’une manière qui contreferait la revendication du breveté, mais qui pourraient également, au moins aussi vraisemblablement, être exécutées d’une manière qui ne la contreferait pas, ladite revendication ne se heurte pas à une antériorité opposable à sa nouveauté, encore qu’on puisse la rejeter au motif de l’évidence. Mais la seule présence d’un poteau indicateur, si clair qu’il soit, sur la route menant à l’invention du breveté ne suffit pas à cet égard. Il faut établir sans ambiguïté que l’inventeur antérieur avait planté son drapeau avant le breveté précisément à la destination. Ces principes sont posés à la page 484 de l’arrêt de la Cour d’appel General Tire & Rubber Company v. Firestone Tyre and Rubber Company Limited [1972] RPC 457, et constituent le droit contemporain concernant l’antériorité par divulgation. Qui invoque le motif de l’évidence suppose que la revendication ne se heurte pas à une antériorité opposable à sa nouveauté, mais que, néanmoins, le breveté ne peut faire état d’une activité inventive qui justifierait la délivrance d’un brevet. L’évidence est une question de fait, et l’analyse factuelle y afférente est en général menée suivant la méthode qu’expose dans les termes suivants lord Oliver à la page 73 de Windsurfing International v. Tabur Marine [1985] RPC 59 :

Il y a selon nous quatre étapes à franchir pour répondre à la question du jury. Premièrement, il faut définir le concept inventif que renferme le brevet en litige. Deuxièmement, le tribunal doit se mettre à la place de la personne du métier—normalement qualifiée mais dépourvue d’imagination—à la date de priorité, et lui attribuer ce qu’étaient à cette date les connaissances générales communes dans le domaine en question. Troisièmement, il faut recenser, le cas échéant, les différences entre l’objet cité [comme faisant partie de l’état de la technique] et l’invention supposée. Enfin, le tribunal doit se demander si, considérées du point de vue d’une ignorance complète de l’invention, ces différences constituent des étapes qui auraient été évidentes pour la personne du métier ou si elles impliquent tant soit peu d’activité inventive.

On oppose fréquemment à la contestation fondée sur l’évidence un certain nombre d’arguments qu’il convient d’examiner avec soin. Le premier de ces moyens (et peut‑être le plus souvent invoqué) est que, dans le cas où plusieurs voies possibles s’offrent à la personne du métier à la lumière d’une publication donnée, aucune de ces voies n’est évidente. Cet argument est mal fondé : au contraire, toutes les voies non inventives qui apparaissent sont évidentes; voir Brugger v Medicaid [1996] rpc 635. Le deuxième argument est que le critère dans un tel cas consiste à se demander si la personne du métier pourrait adopter, plutôt que si elle adopterait, la voie qui l’entraînerait dans le champ de la revendication. Un critère ainsi formulé invite presque le tribunal à prendre en considération des facteurs non pertinents, par exemple l’attractivité commerciale (Hallen v. Brabantia [1991] RPC 195). Dans chaque cas, la seule question est de savoir si la revendication contient un élément qui était techniquement évident pour la personne du métier à la lumière de la publication dont il s’agit. Des éléments de preuve touchant les pratiques effectives qui avaient cours dans le domaine à l’époque pertinente peuvent se révéler utiles, mais ces pratiques peuvent s’expliquer de nombreuses façons qui n’ont rien à voir avec l’évidence technique. C’est pourquoi on a pu dire qu’il faut ne tenir compte d’une telle preuve que dans le contexte qui lui convient et qu’elle est nécessairement dénuée de valeur à moins qu’on ne puisse démontrer que les personnes dont l’activité est ainsi examinée étaient au courant de l’état de la technique et possédaient les connaissances générales communes dans le domaine; voir Molnlycke v Procter & Gamble [1994] RPC 49 et Hoechst Celanese v BP [1997] FSR 547.

Le concept inventif du brevet en litige peut être formulé brièvement comme suit. Il s’agit d’une classe de composés ayant la structure que spécifie la revendication 1, capables d’une activité anti‑inflammatoire et/ou analgésique sans érosion de l’estomac, ou avec des effets secondaires réduits, du fait de leur aptitude à l’inhibition sélective de la Cox II.

[92]Il a ensuite examiné la preuve relative à l’état de la technique et conclu au paragraphe 215 que les revendi-cations étaient évidentes vu l’existence du DuP 697 :

[traduction] Sur le plan structural, il y a une nette similitude entre le DuP 697 et ses analogues étroitement apparentés substitués en position 3,4. On peut raisonnablement prédire qu’ils auront une activité similaire. Je pense qu’un spécialiste en chimie médicale qui veut examiner la relation structure/activité du DuP 687 songerait à fabriquer ces analogues 3,4‑diaryles en vue de voir s’ils sont actifs. Je crois également que si on met cette personne en présence du DuP 697 et on l’oblige à mettre au point un nouveau composé ayant une activité similaire, la substitution 3,4‑diaryle est l’une des premières choses auxquelles songerait le spécialiste en chimie médicale. Les revendicateurs pointent DuPont du doigt. Pourquoi, disent‑ils, s’il était aussi évident d’utiliser la substitution 3,4‑diaryle, DuPont ne l’a‑t‑il pas fait. La réponse est, selon moi, triple. Premièrement, DuP 697 était un bon composé : il n’a pas été commercialisé non pas parce qu’il avait une piètre biodisponibilité mais parce que sa durée de vie dans le corps était trop longue. Deuxièmement, il était relativement simple à synthétiser. Troisièmement, la preuve de M. Galbraith semble indiquer qu’il y avait un certain degré d’inertie dans le domaine, qui a été dissipé uniquement par la découverte de l’enzyme Cox II inductible. L’ensemble de la preuve m’a donné clairement l’idée que les composés 3,4‑diaryles étaient évidents pour toute personne versée dans l’art qui connaissait le DuP 697, et les produits les plus évidents à essayer (exemples 1 et 2 du mémoire descriptif) sont tous les deux des anti‑inflammatoires sélectifs pour la Cox II qui ne causent pas de troubles gastriques. Il s’ensuit, à mon avis, que la revendication 1 telle qu’accueillie et telle qu’on voulait la modifier est évidente à la lumière de la divulgation de M. Galbraith, qui donne l’idée de tester la sélectivité pour la Cox II. Compte tenu également du fait que l’existence de l’isoforme inductible de l’enzyme COX était généralement connue à la date de priorité, il était évident d’étudier le composé de Gans, qu’on disait ne pas causer de troubles gastriques, afin de découvrir pourquoi.

[93]Le droit canadien relatif à l’évidence est peut‑être un peu différent; voir Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234, aux paragraphes 109 à 113. La différence réside dans le degré de certitude  que peut posséder la personne du métier à l’époque pertinente touchant le point de savoir si elle pouvait « directement et facilement » avoir découvert l’invention revendiquée.

[94]Comme je le faisais observer au paragraphe 116 de l’exposé des motifs de Janssen‑Ortho, il y a des différences entre un procès, où les témoins déposent à la barre, et une demande introduite sous le régime du Règlement AC. La question de l’évidence peut être examinée avec plus de certitude dans le cadre d’un procès, où la Cour peut observer le comportement des témoins et leur poser des questions, alors que dans les instances relatives à un AC, la preuve ne consiste qu’en affidavits et en transcriptions de contre‑interrogatoires. En outre, l’objet des instances relatives à un AC est d’établir, sur la base du dossier dont la Cour est saisie, si le demandeur a démontré que les allégations de l’AA ne sont pas fondées.

[95]Vu la preuve relative à l’évidence produite dans la présente espèce, je suis convaincu que la personne versée dans l’art aurait identifié le SC‑58125 comme chef de file, étant donné la communication faite au public par Searle en juin 1994, soit avant le 14 novembre 1994, date la plus ancienne que Searle puisse invoquer pour l’invention. De plus, la preuve me convainc que la personne du métier aurait normalement opéré les substitutions sur la structure (l’échafaudage) du composé en question. Je conclus suivant la prépondérance de la preuve produite devant moi que la personne versée dans l’art aurait été suffisamment certaine du résultat de l’opération pour que, en droit canadien, la prétendue invention du célécoxib ait été évidente pour elle à compter de juin 1994, étant donné la divulgation par Searle de l’efficacité du composé Matsuo. C’est à Searle qu’il incombait de réfuter les allégations de Novopharm concernant l’évidence. Je conclus que Searle n’a pas démontré l’absence de fondement de ces allégations.

Le défaut d’utilité

[96]Novopharm affirmait dans son avis d’allégation que les revendications pertinentes du brevet ′576 étaient invalides, au motif que ce brevet n’établissait ni l’utilité démontrée ni la prédiction valable d’utilité. Dans ce contexte, Novopharm faisait valoir que la date pertinente pour établir l’utilité était la première date de priorité, soit le 30 novembre 1993. Novopharm soutenait en outre que, si la date pertinente n’était pas la première date de priorité, l’utilité n’avait pas été établie pour l’objet des revendications en litige même à la deuxième date de priorité, c’est‑à‑dire au 6 avril 1994.

[97]À la date de la signification de l’avis d’allégation, soit le 3 mai 2005, la Cour suprême du Canada s’était prononcée sur l’affaire de l’AZT dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, dont je reproduis ci‑dessous les paragraphes 71 et 72 :

Il vaut la peine de répéter que la question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait. Il faut présenter, comme on l’a fait en l’espèce, une preuve de ce qui était connu ou inconnu à la date de priorité. Tout dépendra, dans chaque cas, des particularités de la discipline en cause. En l’espèce, les conclusions de fait nécessaires à l’application de la règle de la « prédiction valable » ont été tirées et j’estime que les appelantes n’ont pas démontré l’existence d’une erreur dominante ou manifeste.

Le 1er mars 1985, Glaxo/Wellcome a reçu du NIH les résultats cruciaux des tests in vitro effectués sur l’AZT pour en vérifier l’action sur le VIH dans une lignée cellulaire humaine. Ces résultats, conjugués aux données que Glaxo/Wellcome avait elle‑même obtenues au sujet de l’AZT, grâce notamment aux tests effectués sur des souris, constituaient un fondement factuel. Le juge de première instance a estimé que la connaissance qu’avait Glaxo/Wellcome du mécanisme de reproduction d’un rétrovirus et de l’« effet bloquant [de l’AZT] sur l’élongation de la chaîne », divulgués dans le brevet, fournissait le raisonnement nécessaire pour établir l’utilité de l’invention à la date de la demande de brevet britannique, soit le 16 mars 1985, qui est également la date de priorité à utiliser afin d’évaluer l’invention pour les besoins du brevet canadien. Même si le juge de première instance n’a pas exactement appliqué la règle de la « prédiction valable », son raisonnement et la décision qu’il a rendue en définitive concordent parfaitement avec l’application de cette règle.

[98]À première vue, Novopharm pensait à ces passages de l’arrêt sur l’AZT lorsqu’elle a établi la date pertinente à l’égard de la question de l’utilité comme étant la date de priorité. Cependant, la Cour suprême a examiné la date de dépôt au Canada aussi bien que la date de priorité dans cette affaire, où il n’était pas d’importance critique de dis-tinguer les deux. C’est dans ce contexte que la juge Mactavish de notre Cour—aux paragraphes 88 à 96 de la décision Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283, confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2006 CAF 64, au paragraphe 30—a conclu que la date pertinente pour la question de l’utilité était la date de dépôt au Canada, qui est en l’espèce le 14 novembre 1994, date que Novopharm ne prend pas en considération dans son avis d’allégation.

[99]Les faits tels qu’ils sont ici présentés, en particulier la preuve de Mme Seibert, montrent que, à la première des dates de priorité, soit au 30 novembre 1993, les travaux n’étaient pas suffisamment avancés pour établir si le célécoxib réunirait les avantages recherchés de l’efficacité contre les inflammations et de l’absence d’effets secon-daires indésirables.

[100]La preuve de Mme Seibert révèle que c’est le ou vers le 14 février 1994 que son groupe de recherche chez Searle, ayant préparé et mis à l’essai le célécoxib, a constaté que ce dernier possédait les caractéristiques recherchées pour le traitement des inflammations tout en provoquant peu d’effets secondaires indésirables.

[101]La demande canadienne de brevet, déposée en date du 14 novembre 1994, expose largement l’utilité du célécoxib; celui‑ci y est décrit, on y divulgue un procédé pour le préparer sous la rubrique de l’exemple 2 et on y consigne des données démontrant son efficacité dans le traitement des inflammations, ainsi que son aptitude à l’inhibition sélective de la COX II.

[102]Le droit est sans ambiguïté concernant l’utilité. Il doit y avoir eu, à la date pertinente, une démonstration de l’utilité ou, à défaut, une prédiction valable de celle‑ci, fondée sur l’information et les connaissances scientifiques disponibles au moment de la prédiction : Merck & Co. c. Apotex Inc., 2005 CF 755, au paragraphe 121; et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 26, aux paragraphes 36 à 40.

[103]Je constate que Searle avait certainement établi et exposé une utilité suffisante à la date de dépôt au Canada. Comme le travail nécessaire avait déjà été fait, la Cour n’a pas à examiner le droit relatif à la prédiction valable, qui n’entre en ligne de compte que lorsque ce travail n’avait pas été effectué à la date pertinente.

[104]L’avocat de Novopharm a fait valoir qu’il ne serait pas équitable, étant donné ce qu’il a défini comme un changement du droit, d’empêcher Novopharm de plaider le défaut d’utilité à la date de dépôt au Canada. Comme j’ai constaté que l’utilité était suffisante à cette date, il n’est pas nécessaire d’examiner cet argument.

[105]En conséquence, je conclus que Searle a suffisamment démontré le caractère infondé des alléga-tions de Novopharm concernant le défaut d’utilité.

Le caractère suffisant

[106]Novopharm soutenait dans son avis d’allégation que la revendication 8 du brevet ′576 était invalide au motif que les termes [traduction] « quantité thérapeuti-quement efficace du composé » n’étaient pas suffisam-ment explicités et étayés dans le mémoire descriptif. Selon certains éléments de la preuve de Novopharm, les quantités spécifiées dans le mémoire descriptif ne seraient guère plus que d’heureuses conjectures.

[107]Je constate, me fondant en particulier sur les affidavits de Warner, Maskowitz, Bookman et Whittle, que le brevet comporte un exposé suffisant pour que la personne du métier puisse facilement établir, à la date de dépôt au Canada et même avant, la quantité thérapeuti-quement efficace de célécoxib.

[108]En conséquence, force m’est de conclure que Searle a démontré le caractère infondé des allégations de Novopharm selon lesquelles la revendication 8 serait insuffisante.

Conclusions

[109]En résumé, je conclus que, vu le dossier dont la Cour est saisie, Searle n’a pas prouvé le caractère infondé des allégations de Novopharm relatives à l’abandon et à l’évidence. Searle a cependant prouvé que les allégations relatives à l’utilité et au caractère suffisant de l’exposé ne sont pas fondées. En conséquence, la présente demande sera rejetée.

[110]En ce qui a trait aux dépens, Searle a admis au cours des plaidoiries que Novopharm avait droit aux dépens concernant les revendications 9 à 13 et 16 du brevet ′576, ainsi que l’ensemble du brevet ′186, éléments à l’égard desquels Searle s’est désistée de sa demande au cours du procès. J’ai pris ce fait en considération pour l’adjudication des dépens, compte tenu en particulier du sous‑alinéa 400(3)i) des Règles et de l’opportunité d’inciter les avocats à ne plaider que sur les questions les plus appropriées. Vu l’ensemble des facteurs en jeu, j’adjuge les dépens à la défenderesse Novopharm, à taxer selon le milieu de la colonne IV du tarif B [mod. par DORS/2004-283, art. 30, 31, 32]. L’officier taxateur fixera les dépens conformément aux directives suivantes :

1. Les honoraires de deux avocats peuvent être accordés pour la préparation du procès et la comparution, le second avocat ayant droit à 50 % des honoraires du premier.

2. Des frais relatifs à un seul avocat pourront être accordés pour le contre‑interrogatoire d’un témoin, au titre de la présence et, le cas échéant, des débours de déplacement.

3. Les indemnités et débours demandés par les témoins seront accordés à condition d’être raisonnables. L’officier taxateur s’alignera à cet égard sur les honoraires demandés par le premier avocat des demanderesses pour la préparation de la preuve des témoins en question et sa présence, le cas échéant, aux contre‑interrogatoires, de telle sorte que le total des indemnités et débours par témoin ne dépasse pas le total des honoraires et débours dudit avocat.

4. Les frais de photocopie seront accordés à raison de 25 cents la page ou suivant le taux réellement payé, s’il est inférieur.

5. L’officier taxateur fera droit aux réclamations de débours autres que ceux prévus au tarif seulement si la preuve produite établit qu’ils étaient justifiés et que leur taux est raisonnable.

6. Il est permis de réclamer la TPS et la TVP, le cas échéant, à condition que la preuve établisse que ces taxes ont été factuéres aux défendeurs et payées par eux.

JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS,

LA COUR STATUE CE QUI SUIT :

1. Les demanderesses se sont désistées de la présente demande à l’égard des revendications 9 à 13 et 16 du brevet canadien 2177576, ainsi que de l’ensemble du brevet canadien 2267186.

2. La demande est rejetée relativement à la totalité des autres questions en litige.

3. La défenderesse Novopharm a droit aux dépens, payables suivant le milieu de la colonne IV et conformément aux directives énoncées à la fin de l’exposé des motifs ci‑joints.

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