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     T-1216-99

Judy Chua (demanderesse)

c.

Le ministre du Revenu national (défendeur)

Répertorié: Chuac. M.R.N. (1reinst.)

Section de première instance, juge McKeown-- Vancouver, 1er juin; Ottawa, 6 novembre 2000.

Impôt sur le revenu -- Dettes fiscales étrangères -- Le M.R.N. a plaidé en faveur d'une suspension de deux ans de la déclaration d'invalidité de l'art. 21, par. 3, de la Convention entre le Canada et les États-Unis en matière d'impôts, afin de donner au Parlement le temps nécessaire pour harmoniser la loi avec la Charte -- L'invalidation de la disposition attaquée aurait pour résultat de prémunir les citoyens visés par la Convention, les particuliers, les sociétés, les successions et les fiducies contre les dispositions d'assistance en matière de perception -- La suspension est nécessaire pour donner au Parlement le temps requis pour corriger l'inconstitutionnalité, et pour négocier des changements avec les États-Unis -- Il est accordé deux ans au Parlement pour édicter un nouveau texte de loi, autrement la disposition attaquée est déclarée invalide.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Recours -- La demanderesse n'a pas droit à des dommages-intérêts au titre de la réparation prévue par l'art. 24(1) de la Charte, accessoirement à une action déclaratoire en invalidité intentée en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 -- La demande de dommages-intérêts présentée par la demanderesse reposait uniquement sur une simple allégation d'inconstitutionnalité -- Des dommages-intérêts seront rarement adjugés en raison des effets d'une loi qui est par la suite déclarée invalide.

Pratique -- Frais et dépens -- La demanderesse a sollicité les dépens avocat-client -- Les dépens avocat-client sont exceptionnels et ne sont en général adjugés que lorsque l'une des parties a montré une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante -- Les arguments de la demanderesse pour que lui soient adjugés les dépens avocat-client ne sont pas impérieux -- Les cas types ne donnent pas droit en tant que tels au plaideur qui obtient gain de cause à des dépens accrus -- Les dépens de la demanderesse sont réduits de 25 p. 100 parce que son argument oral concernant la Charte était totalement différent de celui qui figurait dans son avis de demande et son mémoire des faits et du droit.

    lois et règlements

        Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 24(1).

        Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, qui constitue l'annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, ch. 20, art. XXXI.

        Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

        Loi modifiant la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, L.C. 1995, ch. 34, art. 3, ann. IV, art. 21.

        Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

        Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, tarif B.

    jurisprudence

        décision appliquée:

        Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347; (1996), 138 D.L.R. (4th) 647; 43 Admin. L.R. (2d) 44; 110 C.C.C. (3d) 223; 3 C.P.C. (4th) 1; 22 M.V.R. (3d) 251; 201 N.R. 380.

        décisions citées:

        Rice c. Nouveau-Brunswick (1999), 181 D.L.R. (4th) 643; 39 C.P.C. (4th) 195 (C.A. N.-B.); Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances) (1999), 40 C.P.C. (4th) 107 (C.A.N.-B.).

ORDONNANCE rendue à la suite de conclusions des parties sur les réparations, de la préparation d'un projet d'ordonnance par la demanderesse et de la réponse du défendeur quant à la forme et au fond du projet d'ordonnance.

    ont comparu:

    Leslie M. Little, c.r., Thomas J. Clearwater et Christopher Harvey, c.r., pour la demanderesse.

    Linda L. Bell et Robert Carvalho pour le défendeur.

    avocats inscrits au dossier:

    Thorsteinssons, Vancouver, et Fasken Martineau DuMoulin LLP, Vancouver, pour la demanderesse.

    Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

[1]Le juge McKeown: Les deux parties souscrivent aux paragraphes b) et c) de l'ordonnance. Le défendeur a souscrit au paragraphe a) proposé par la demanderesse, sauf qu'il a proposé qu'il y ait suspension de la déclaration pendant une période de deux ans afin de donner au Parlement la possibilité d'harmoniser le texte de loi avec la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. À mon avis, puisque la Convention entre le Canada et les États-Unis d'Amérique en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune [qui constitue l'annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, ch. 20], (la Convention), est un accord conclu entre deux pays souverains, les parties à l'accord, soit les États-Unis et le Canada, voudront évidemment revoir l'accord à la lumière du fait qu'une de ses dispositions est aujourd'hui inopérante.

[2]En vertu de l'Article XXXI, paragraphe 3, de la Convention, le Canada et les États-Unis doivent se consulter en vue de résoudre les questions qui surgissent lorsqu'un changement important introduit dans la législation fiscale de l'un des États contractants devrait s'accompagner d'une modification de la Convention. Si les États contractants ne peuvent d'une manière satisfaisante résoudre la question, l'État qui demande la modification peut dénoncer la Convention conformément à la procédure établie dans la Convention. Une conclusion selon laquelle le paragraphe 3 de l'article 21 du Troisième Protocole [L.C. 1995, ch. 34, art. 3] contrevient à la Charte peut tomber dans cette catégorie, et des négociations devraient évidemment avoir lieu entre le Canada et les États-Unis à la suite d'une telle conclusion.

[3]Il importe également de noter que l'invalidation du paragraphe 3 de l'article 21 du Troisième Protocole aurait pour effet de prémunir non seulement les citoyens visés par la Convention contre les dispositions d'assistance en matière de perception, mais également toute personne, société, succession ou fiducie (y compris les non-citoyens), groupes qui n'ont pas été pris en compte par les parties ou par la Cour dans les motifs de l'ordonnance (sociétés, successions et fiducies) ou dont on a dit expressément et à maintes reprises qu'ils n'étaient pas l'objet de la présente affaire ni des motifs de l'ordonnance (non-citoyens). À l'évidence, les parties à la Convention voudront examiner si cela est approprié.

[4]La suspension demandée de 24 mois est nécessaire non seulement parce que le Parlement aura besoin de temps pour examiner les solutions propres à corriger l'inconstitutionnalité et pour adopter le texte de loi requis, mais aussi parce qu'un délai doit être accordé pour la négociation avec les États-Unis des changements à apporter, sans compter le délai requis pour que la législation appropriée soit adoptée aux États-Unis ainsi qu'au Canada.

[5]À mon avis, la demanderesse n'a pas droit à des dommages-intérêts au titre de la réparation prévue par le paragraphe 24(1) de la Charte, accessoirement à une action déclaratoire en invalidité intentée en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Et surtout, c'est uniquement en argumentant au sujet de la réparation que la demanderesse demande maintenant des dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte. Aucune preuve recevable n'a été produite dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire introduite en vertu de l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7]. La seule preuve figure dans les conclusions de la demanderesse relatives à la réparation. Je souscris à l'avis du défendeur selon lequel ces documents ne sont pas recevables. En l'absence de preuve, la demande de dommages-intérêts présentée par la demanderesse repose uniquement sur une simple allégation d'inconstitutionnalité. Dans l'arrêt Guimond c. Québec (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 347, la personne concernée demandait réparation en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte en alléguant simplement l'inconstitutionnalité du texte de loi. Arrivant à la conclusion que la demande de réparation présentée en vertu de ce paragraphe sur simple allégation d'inconstitutionnalité ne justifiait pas une entorse à la règle générale, la Cour suprême a fait appel aux principes découlant du droit civil selon lesquels ni le législateur fédéral ni un législateur provincial ne sont tenus au paiement de dommages-intérêts pour avoir promulgué une loi qui est par la suite jugée invalide. Ce n'est que dans de rares cas que des dommages-intérêts seront adjugés en raison des effets d'une loi qui est par la suite déclarée invalide. Rice c. Nouveau-Brunswick (1999), 181 D.L.R. (4th) 643 (C.A.N.-B.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. accordée, [2000] C.S.C.R. no 21; Mackin c. NouveauBrunswick (Ministre des Finances) (1999), 40 C.P.C. (4th) 107 (C.A.N.-B.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. accordée, [2000] C.S.C.R. no 21.

[6]La demanderesse a sollicité les dépens avocatclient, mais ceux-ci sont exceptionnels et ne sont en général adjugés que lorsque l'une des parties a montré une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante. Je n'ai fait aucune allusion dans mes motifs à une inconduite dont se serait rendu coupable le défendeur et la demanderesse n'en mentionne aucune par la suite dans ses conclusions. Je trouve qu'aucune des raisons invoquées par la demanderesse pour que lui soient adjugés les dépens avocat-client n'est impérieuse. D'ailleurs, l'argument selon lequel l'issue de l'appel touchera de nombreuses personnes ne justifie pas lui non plus l'adjudication de dépens avocat-client. Les cas types, qu'il s'agisse de cas types pour de nombreux appels ou de cas types pour des points de droit inédits, ne donnent pas droit en tant que tels au plaideur qui obtient gain de cause à des dépens accrus. Ce n'est pas la nature du procès, mais la manière dont il est conduit, qui justifie l'octroi de dépens avocatclient.

[7]Je ne suis pas disposé à accorder à la demanderesse l'intégralité de ses dépens dans la présente affaire parce que son argument oral concernant la Charte était totalement différent de celui qui figurait dans son avis de demande et son mémoire des faits et du droit. L'audience aurait été plus ciblée et plus brève si la demanderesse avait limité dès le début ses conclusions concernant la Charte aux citoyens visés par la Convention et si elle avait notifié à l'avance au défendeur sa nouvelle position. J'ai donc réduit de 25 % les dépens de la demanderesse pour tenir compte de cet aspect.

[8]Pour les motifs qui précèdent, l'ordonnance sera rédigée ainsi:

a) J'accorde au Parlement deux ans pour promulguer un nouveau texte de loi, autrement le paragraphe 3 de l'article 21 du Troisième Protocole de la Convention, édicté en tant qu'annexe IV de la Loi modifiant la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, L.C. 1995, ch. 34, est inconstitutionnel et déclaré invalide. Cette décision s'appliquerait toutefois à toute affaire où la disposition a été contestée et où les procédures s'y rapportant sont encore pendantes;

b) les enregistrements des deux certificats que le défendeur a déposés auprès de la Cour sont annulés;

c) les enregistrements des certificats à l'encontre du titre de la maison familiale de la demanderesse au Bureau d'enregistrement immobilier sont annulés et le défendeur obtiendra sans délai leur radiation du Bureau d'enregistrement immobilier;

d) le défendeur paiera à la demanderesse les trois quarts de ses dépens, en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106].

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