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Référence :

Première nation dakota de Standing Buffalo c. Enbridge Pipelines Inc.,

2009 CAF 308, [2010] 4 R.C.F. 500

A-537-08

A-541-08

A-542-08

A-475-08

2009 CAF 308

A-537-08

La Première nation dakota de Standing Buffalo, et le chef Rodger Redman et les conseillers Wayne Goodwill, Dion Yuzicappi, Vergil Bear, Herman Goodpipe, Stella Isnana, et Conrad Tawiyaka, en qualité de représentants des membres de la Première nation dakota de Standing Buffalo (appelants)

c.

Enbridge Pipelines Inc., l’Association canadienne des producteurs pétroliers et l’Office national de l’énergie (intimés)

et

Le procureur général de la Saskatchewan, le procureur général de l’Alberta et le procureur général du Canada (intervenants)

A-541-08

La Première nation dakota de Standing Buffalo, et le chef Rodger Redman et les conseillers Wayne Goodwill, Dion Yuzicappi, Vergil Bear, Herman Goodpipe, Stella Isnana, et Conrad Tawiyaka, en qualité de représentants des membres de la Première nation dakota de Standing Buffalo (appelants)

c.

Enbridge Southern Lights GP Inc. au nom de Enbridge Southern Lights LP et Enbridge Pipelines Inc., l’Association canadienne des producteurs pétroliers, et l’Office national de l’énergie, et (intimés)

et

Le procureur général du Canada (intervenant)

A-542-08

La Première nation dakota de Standing Buffalo, et le chef Rodger Redman et les conseillers Wayne Goodwill, Dion Yuzicappi, Vergil Bear, Herman Goodpipe, Stella Isnana, et Conrad Tawiyaka, en qualité de représentants des membres de la Première nation dakota de Standing Buffalo (appelants)

c.

TransCanada Keystone Pipeline GP Ltd., l’Office national de l’énergie, et l’Association canadienne des producteurs pétroliers (intimés)

et

Le procureur général du Canada (intervenant)

A-475-08

La Première nation de Sweetgrass, et la Première nation de Moosomin (appelantes)

c.

L’Office national de l’énergie, Enbridge Pipelines Inc., le procureur général du Canada, et l’Association canadienne des producteurs pétroliers (intimés)

et

Le procureur général de l’Alberta et le procureur général de la Saskatchewan (intervenants)

Répertorié : Première nation dakota de Standing Buffalo c. Enbridge Pipelines Inc.

Cour d’appel fédérale, juges Noël, Layden-Stevenson et Ryer, J.C.A.—Ottawa, 13 et 23 octobre 2009.

Peuples autochtones — Terres — Obligation de consulter —  Appels de décisions de l’Office national de l’énergie (l’O.N.É.) accueillant des demandes d’approbation visant trois projets de pipelines dans l’ouest du Canada — L’O.N.É. a délivré un certificat d’utilité publique en vertu de l’art. 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie dans le cadre des trois décisions — Les appelants soulevaient la question nouvelle de savoir s’il fallait que l’O.N.É. détermine, avant de statuer sur les demandes, si la Couronne avait l’obligation, aux termes de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), de consulter les appelants au sujet des effets préjudiciables des projets — En l’espèce, l’O.N.É. ne s’est pas prononcée sur l’existence de l’obligation aux termes de l’arrêt Nation haïda — Les demandes dont l’O.N.É. a été saisi avaient été soumises par des entreprises du secteur privé, pas la Couronne ou un mandataire de celle-ci — L’O.N.É. lui-même n’assume pas d’obligation de type Nation haïda parce qu’il est un organisme quasi-judiciaire et qu’il n’agit pas comme entité ou mandataire de la Couronne — La demande en vue d’obtenir un certificat d’utilité publique constitue un processus distinct qui fait en sorte que les droits ancestraux existants sont dûment pris en compte — L’O.N.É. n’a pas compétence pour procéder à l’analyse Nation haïda lorsqu’il s’agit de la Couronne du chef d’une province — Une décision portant que l’O.N.É. n’était pas tenu de déterminer si la Couronne assumait une obligation de type Nation haïda n’empêche pas l’examen de ces questions par un tribunal judiciaire compétent — Appels rejetés.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Peuples autochtones — L’Office national de l’énergie (l’O.N.É.) a accueilli des demandes d’approbation visant trois projets de pipelines dans l’ouest du Canada conformément à l’art. 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie (Loi sur l’ONÉ) — Dans l’exercice de sa fonction décisionnelle, l’O.N.É. doit agir conformément à la Loi constitutionnelle de 1982, notamment l’art. 35(1) — L’O.N.É. doit donc veiller à ce que le demandeur du certificat d’utilité publique respecte les droits ancestraux garantis par l’art. 35(1) — Les affirmations selon lesquelles la Loi sur l’ONÉ ou des dispositions de cette loi sont inconstitutionnelles parce qu’elles violent l’art. 35(1) de la Constitution ne démontraient pas que la Loi sur l’ONÉ ou des dispositions de cette loi portaient atteinte à des droits ancestraux ou issus de traités que les appelants peuvent avoir — Bien que l’O.N.É. doive exercer son pouvoir décisionnel dans le respect de l’art. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, le fait que la Loi sur l’ONÉ n’énonce pas expressément cette obligation à l’art. 52 ou ailleurs ne suffit pas pour rendre l’art. 52 invalide.

Énergie — Appels de décisions de l’Office national de l’énergie (l’O.N.É.) accueillant des demandes d’approbation visant trois projets de pipelines dans l’ouest du Canada — Les appelants soulevaient la question nouvelle de savoir s’il fallait que l’O.N.É. détermine, avant de statuer sur les demandes, si la Couronne avait l’obligation, aux termes de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), de consulter les appelants au sujet des effets préjudiciables des projets — Dans les décisions contestées, l’O.N.É. ne s’est pas prononcée sur l’existence de l’obligation aux termes de l’arrêt Nation haïda — Les demandes avaient été soumises par des entreprises du secteur privé — L’O.N.É. lui-même n’assume pas d’obligation de type Nation haïda parce qu’il est un organisme quasi-judiciaire et qu’il n’agit pas comme entité ou mandataire de la Couronne — Rien dans la Loi sur l’Office national de l’énergie ou dans une autre loi n’empêche l’O.N.É. de délivrer un certificat d’utilité publique en vertu de l’art. 52 sans avoir au préalable effectué l’analyse Nation haïda ou qui l’habilite à ordonner à la Couronne de procéder à la consultation définie dans Nation haïda. 

Il s’agissait de quatre appels de trois décisions dans lesquelles l’Office national de l’énergie (l’O.N.É.) a accueilli, après audiences, des demandes d’approbation visant trois projets de pipelines dans l’ouest du Canada. Les appelants soulevaient la question nouvelle de savoir s’il fallait que l’O.N.É. détermine, avant de statuer sur les demandes, si la Couronne, qui n’était pas partie aux demandes et n’avait pas pris part aux audiences, avait l’obligation, aux termes de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), de consulter les appelants au sujet des effets préjudiciables que les projets pourraient avoir sur eux et, le cas échéant, si elle s’était bien acquittée de cette obligation.

Les projets visés par les demandes étaient le projet Keystone, le projet Southern Lights et le projet Alberta Clipper. À l’audience concernant le projet Keystone, la Première nation Dakota de Standing Buffalo (PNDSB) a témoigné qu’elle avait négocié avec le Canada au sujet de revendications visant des titres ancestraux non éteints sur des terres, des droits à l’autonomie gouvernementale et son statut d’alliée de la Couronne. Cependant, elle soutenait que la Couronne a rompu les négociations et, pour cette raison, la PNDSB a décidé d’intervenir aux audiences afin de défendre ses intérêts. À l’audience relative au projet Alberta Clipper, le représentant de la Première nation de Sweetgrass et de la Première nation de Moosomin (PNS/M) a fait état des craintes à l’égard des effets préjudiciables que le projet pourrait avoir sur des sites sacrés et sur la cueillette de plantes servant à des fins traditionnelles ou médicinales. Devant la Cour, les PNS/M ont soulevé la question des effets préjudiciables du projet Alberta Clipper sur leurs droits fonciers, qui formait en partie l’assise de leur droit d’être consultées conformément à l’arrêt Nation haïda. Un certificat d’utilité publique a été délivré en vertu de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie (la Loi sur l’ONÉ) (un certificat d’utilité publique) dans le cadre des trois décisions de l’O.N.É. relatives aux projets de pipeline.

Les questions en litige étaient celles de savoir si, avant d’examiner les demandes d’approbation des projets, l’O.N.É. devait déterminer si la Couronne avait l’obligation de consulter les appelants relativement aux projets et, s’il y avait lieu, de prévoir des mesures d’accommodement à leur égard; et, si la Couronne avait une telle obligation, si elle s’en était acquittée. Il fallait aussi trancher la question de savoir si l’article 52 de la Loi sur l’ONÉ viole le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Arrêt : les appels doivent être rejetés.

Selon l’analyse effectuée dans l’arrêt Nation haïda, l’obligation de consulter prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui-ci. La connaissance d’une revendication crédible mais non encore établie suffit à faire naître l’obligation de consulter et d’accommoder. Toutefois, le contenu de l’obligation varie selon les circonstances. Si cette obligation existe, l’étape finale de l’analyse fondée sur l’arrêt Nation haïda consiste à déterminer si la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder. Il est évident que l’existence, la portée et l’exécution de l’obligation visée dans Nation haïda sont des questions pouvant faire l’objet d’une entente entre la Couronne et les groupes autochtones concernés. Toutefois, le recours aux tribunaux pourra s’avérer nécessaire si les parties ne parviennent pas à s’entendre.

Dans ses décisions, l’O.N.É. ne s’est pas prononcée sur l’existence de l’obligation aux termes de l’arrêt Nation haïda. Il s’ensuivait que les observations quant à la portée de l’obligation et la question de savoir si la Couronne l’avait respectée n’avaient pas à être examinées dans les présents appels. La jurisprudence ne permettait pas d’affirmer que l’O.N.É. devait entreprendre l’analyse Nation haïda avant d’examiner au fond les demandes dont il était saisi. Ces demandes avaient été soumises par des entreprises du secteur privé qui ne peuvent être assimilées à la Couronne ou à un mandataire de celle-ci. En outre, l’O.N.É. lui-même n’assume pas d’obligation de type Nation haïda parce qu’il est un organisme quasi-judiciaire et qu’il n’agit pas comme entité ou mandataire de la Couronne lorsqu’il exerce ses fonctions quasi-judiciaires.

Dans l’exercice de sa fonction décisionnelle, l’O.N.É. doit agir conformément aux règles constitutionnelles, notamment le paragraphe 35(1). Dans les circonstances de l’espèce, l’O.N.É. devait statuer sur trois demandes de certificat d’utilité publique. Chaque demande constituait un processus distinct qui mettait l’accent sur le demandeur, auquel l’O.N.É. impose d’importantes obligations de consultation. Ce processus fait donc en sorte que le demandeur prend dûment compte des droits ancestraux existants qui sont reconnus et confirmés au paragraphe 35(1) de la Constitution. En veillant à ce que le demandeur respecte ces droits ancestraux, l’O.N.É. démontre qu’il exerce sa fonction décisionnelle conformément aux règles de cette disposition constitutionnelle. Qui plus est, les appelants ont été incapables de citer la moindre disposition de la Loi sur l’ONÉ ou de toute autre loi qui empêcherait l’organisme de délivrer le certificat visé à l’article 52 sans avoir au préalable effectué l’analyse Nation haïda ou qui l’habilite à ordonner à la Couronne de procéder à la consultation définie dans Nation haïda.

L’O.N.É. n’a pas compétence pour procéder à l’analyse Nation haïda lorsqu’il s’agit de la Couronne du chef d’une province. De plus, une décision portant que l’O.N.É. n’était pas tenu de déterminer, avant de rendre les décisions, si la Couronne assumait une obligation de type Nation haïda et s’en était acquittée, n’empêcherait pas l’examen de ces questions par un tribunal judiciaire compétent. La décision rendue dans l’arrêt Nation haïda indique qu’on peut s’adresser aux tribunaux judiciaires dans un tel cas.

Les affirmations des PNS/M portant que la Loi sur l’ONÉ ou des dispositions de cette loi sont inconstitutionnelles parce qu’elles violent le paragraphe 35(1) de la Constitution étaient bien loin de satisfaire au fardeau de prouver que la Loi sur l’ONÉ ou des dispositions de cette loi portent atteinte à des droits ancestraux ou issus de traités. Bien que l’O.N.É. doive exercer son pouvoir décisionnel dans le respect des dispositions du paragraphe 35(1) de la Constitution, le fait que la Loi sur l’ONÉ n’énonce pas expressément cette obligation à l’article 52 ou ailleurs ne suffit pas pour rendre cette disposition invalide.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Forest Practices Code of British Columbia Act, R.S.B.C. 1996, ch. 159, art. 96.

Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, n44], art. 35(1).

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, art. 21(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 7, art. 10), 22(1) (mod., idem, art. 11), 52 (mod., idem, art. 18; 1996, ch. 10, art. 238).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 R.C.S. 159; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075.

décisions différenciées :

Kwikwetlem First Nation v. British Columbia (Utilities Commission), 2009 BCCA 68, 308 D.L.R. (4th) 285, [2009] 9 W.W.R. 92; Carrier Sekani Tribal Council v. British Columbia (Utilities Commission), 2009 BCCA 67, [2009] 4 W.W.R. 381, 266 B.C.A.C. 228.

décision examinée :

Paul c. Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission), 2003 CSC 55, [2003] 2 R.C.S. 585.

décisions citées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1.

    APPELS contre des décisions de l’Office national de l’énergie (Relativement à TransCanada Keystone Pipeline GP Ltd., OH-1-2007, motifs de décision en date du 20 septembre 2007; Relativement à Enbridge Southern Lights GP au nom d’Enbridge Southern Lights LP et Enbridge Pipelines Inc., OH-3-2007, motifs de décision en date du 19 février 2008; Relativement à Enbridge Pipelines Inc., OH-4-2007, motifs de décision en date du 22 février 2008) accueillant des demandes d’approbation visant trois projets de pipelines dans l’ouest du Canada à l’issue des audiences dans le cadre desquelles ces demandes ont été examinées. Appels rejetés.

ONT COMPARU

Mervin C. Phillips et Merrilee D. Rasmussen, c.r. pour les appelants la Première nation dakota de Standing Buffalo, le chef Rodger Redman et les conseillers Wayne Goodwill, Dion Yuzicappi, Vergil Bear, Herman Goodpipe, Stella Isnana, et Conrad Tawiyaka en qualité de représentants des membres de la Première nation dakota de Standing Buffalo.

Jeffrey R. W. Rath et Nathalie Whyte pour les appelantes la Première nation de Sweetgrass et la Première nation de Moosomin.

Steven G. Mason et Harry C. G. Underwood pour les intimées Enbridge Pipelines Inc. et Enbridge Southern Lights GP Inc. au nom d’Enbridge Southern Lights LP et d’Enbridge Pipelines Inc.

Andrew R. Hudson et Jody L. Saunders pour l’intimé l’Office national de l’énergie.

Lewis L. Manning et Keith B. Bergner pour l’intimée l’Association canadienne des producteurs pétroliers.

C. Kemm Yates, c.r. et Katie Slipp pour l’intimée TransCanada Keystone Pipeline GP Ltd.

Harry Glinter et Dayna S. Anderson pour l’intervenant le procureur général du Canada (l’intimé dans l’affaire A-475-08).

Richard James Fyfe pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

James Mallet pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Phillips & Co., Regina, pour les appelants la Première nation dakota de Standing Buffalo, le chef Rodger Redman et les conseillers Wayne Goodwill, Dion Yuzicappi, Vergil Bear, Herman Goodpipe, Stella Isnana, et Conrad Tawiyaka en qualité de représentants des membres de la Première nation dakota de Standing Buffalo.

Rath & Company, Priddis, Alberta, pour les appelantes la Première nation de Sweetgrass et la Première nation de Moosomin.

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l, Toronto, pour l’intimée Enbridge Pipelines Inc.

Office national de l’énergie, Calgary, pour l’intimé l’Office national de l’énergie.

Lawson Lundell LLP, Calgary, pour l’intimée l’Association canadienne des producteurs pétroliers.

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l, Toronto, pour l’intimée Enbridge Southern Lights GP Inc. au nom d’Enbridge Southern Lights LP et d’Enbridge Pipelines Inc.

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l, Toronto, pour l’intimée TransCanada Keystone Pipeline GP Ltd.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intervenant le procureur général du Canada (l’intimé dans l’affaire A-475-08).

Ministry of Justice and Attorney General pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Alberta Justice pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]     Le juge Ryer, J.C.A. : Dans les quatre appels dont la Cour est saisie, les appelants cherchent à faire annuler trois décisions dans lesquelles l’Office national de l’énergie (l’O.N.É.) a accueilli, après audiences, des demandes d’approbation visant trois projets de pipeline dans l’ouest du Canada.

[2]     Les appelants soulèvent la question — nouvelle — de savoir s’il fallait qu’avant de statuer sur les demandes, l’O.N.É. détermine si la Couronne, qui n’était pas partie aux demandes et n’a pas pris part aux audiences, avait l’obligation, en vertu de l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, de consulter les appelants au sujet des effets préjudiciables que les projets pourraient avoir sur eux et, le cas échéant, si elle s’était bien acquittée de cette obligation.

[3]     Sur ordonnance de la Cour, les quatre appels ont été instruits ensemble. La décision de la Cour sur ces appels est exposée dans les présents motifs, qui seront déposés dans les dossiers A‑537‑08, A-541-08, A-542-08 et A-475-08.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[4]     Les dispositions législatives applicables sont les paragraphes 21(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 7, art. 10] et 22(1) [mod., idem, art. 11] et l’article 52 [mod., idem, art. 18; 1996, ch. 10, art. 238] de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7 (la Loi sur l’ONÉ) et le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Constitution). Le texte de ces dispositions est reproduit en annexe.

CONTEXTE

[5]     L’O.N.É. a tenu des audiences relativement aux demandes d’approbation des trois projets de pipeline (le projet de pipeline Keystone, le projet Southern Lights et le projet d’agrandissement Alberta Clipper, collectivement appelés les projets). La Première nation dakota de Standing Buffalo (PNDSB), une bande dakota, a participé à titre d’intervenante à toutes les audiences relatives aux projets. La Première nation de Sweetgrass et la Première nation de Moosomin (PNS/M) ont participé à l’audience relative au projet d’agrandissement Alberta Clipper, par l’intermédiaire de Battleford Agency Tribal Chiefs Inc. (BATC), qui est intervenue en leur nom.

[6]     À l’audience concernant le projet Keystone, la PNDSB a témoigné qu’elle avait négocié avec le Canada de 1997 à 2006, par l’intermédiaire du Bureau du commissaire aux traités, au sujet de revendications visant des titres ancestraux non éteints sur des terres, des droits à l’autonomie gouvernementale et l’ochechea (son statut d’alliée de la Couronne). Selon la PNDSB, la Couronne a rompu les négociations en 2006 et, pour cette raison, la PNDSB a décidé d’intervenir à l’audience Keystone afin de défendre ses intérêts. Elle a donc informé la Couronne de sa décision d’intervenir à l’audience et a réitéré son désir de reprendre les négociations.

[7]     À l’audience relative au projet Alberta Clipper, le demandeur a déposé en preuve une lettre en date du 25 juillet 2007 portant la mention « sous toute réserve », exposant la position de la Couronne selon laquelle les Premières nations dakotas, y compris la PNDSB, [traduction] « n’ont pas de droits ancestraux au Canada ».

[8]     Lors de cette même audience, BATC a fait état des craintes des PNS/M à l’égard des effets préjudiciables que le projet pourrait avoir sur des sites sacrés et sur la cueillette de plantes servant à des fins traditionnelles ou médicinales. Devant la Cour, l’avocat des PNS/M a soulevé la question des effets préjudiciables du projet sur leurs droits fonciers; il a soutenu, plus particulièrement, que la possibilité que des terres touchées par le projet leur soient remises pour satisfaire aux revendications qu’elles ont formulées dans le cadre du processus de négociation des droits fonciers issus des traités formait l’assise de leur droit d’être consultées conformément à l’arrêt Nation haïda.

[9]     L’O.N.É. a rendu trois décisions distinctes relativement aux projets. Plus particulièrement :

a. dans l’ordonnance OH-1-2007 [Relativement à TransCanada Keystone Pipeline GP Ltd.] (la décision Keystone), rendue le 20 septembre 2007, l’O.N.É. a accordé les approbations demandées par TransCanada Keystone Pipeline GP Ltd. (Keystone) à l’égard du projet de pipeline Keystone, et a notamment délivré un certificat d’utilité publique en vertu de l’article 52 de la Loi sur l’ONÉ (certificat d’utilité publique);

d. dans l’ordonnance OH-3-2007 [Relativement à Enbridge Southern Lights GP au nom d’Enbridge Southern Lights LP et Enbridge Pipelines Inc.] (la décision Southern Lights), rendue le 19 février 2008, l’O.N.É. a accordé les approbations demandées par Enbridge Southern Lights GP pour le compte d’Enbridge Southern Lights LP et Enbridge Pipelines Inc. (collectivement Enbridge Southern Lights) à l’égard du projet Southern Lights, et elle a notamment délivré un certificat d’utilité publique;

c. dans l’ordonnance OH-4-2007 [Relativement à Enbridge Pipelines Inc.] (la décision Alberta Clipper), rendue le 22 février 2008, l’O.N.É. a accordé les approbations demandées par Enbridge Pipelines Inc. (Enbridge) à l’égard du projet d’agrandissement Alberta Clipper, et elle a notamment délivré un certificat d’utilité publique.

[10]     La question mentionnée au début des présents motifs a été expressément soulevée dans des requêtes présentées par la PNDSB au cours des audiences relatives au projet Southern Lights et au projet d’agrandissement Alberta Clipper. La requête présentée lors de l’audience relative au projet Southern Lights est résumée ainsi, à la page 6 de la décision Southern Lights :

L’avis de requête a été déposé par la suite, sollicitant les décisions suivantes de l’Office :

a)      une décision indiquant que l’Office n’a pas compétence pour considérer le bien‑fondé de la demande de Southern Lights sans d’abord déterminer si Standing Buffalo a des revendications crédibles aux termes de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Nation haïda [. . .] ;

b)     une décision indiquant que l’obligation de traiter équitablement exige que la Couronne se penche sur la revendication de Standing Buffalo et y réponde, et que, à défaut d’une telle réponse de la Couronne, la revendication de Standing Buffalo soit acceptée comme irréfutée et que l’Office doive ensuite déterminer qu’il n’a pas compétence pour déterminer le bien-fondé des demandes de Southern Lights.

[11]     Cette requête soulève également la question connexe de l’obligation pour la Couronne de participer à l’audience et celle des conséquences de sa non‑ participation.

[12]     L’O.N.É. a décidé qu’il ne se prononcerait pas de façon préliminaire sur la requête parce que la preuve présentée à l’audience élargirait le fondement factuel pertinent pour la trancher et que le fait de statuer sur la requête à la fin de l’audience ne causerait pas préjudice à la PNDSB.

[13]     Dans les motifs de la décision Southern Lights, l’O.N.É. a rejeté la requête. Il a déclaré qu’il avait pour mandat d’examiner la demande dont il était saisi en fonction de l’intérêt public, et a indiqué que les préoccupations des Premières nations avaient été prises en compte dans cet examen en raison de l’obligation du demandeur de les consulter et des mesures d’accommodement et d’atténuation qui pouvaient être ordonnées. Il a exprimé l’avis que les exigences pouvant être imposées à d’autres autorités gouvernementales relativement à un projet fédéral de pipeline n’étaient pas pertinentes dans le processus décisionnel de l’O.N.É. concernant ce projet, ajoutant que la question de savoir si d’autres autorités gouvernementales avaient respecté leurs obligations légales afférentes à un projet qui relevait de l’O.N.É. devait être soumise aux tribunaux, non à l’O.N.É. Il a également déclaré qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur des revendications territoriales autochtones. Enfin, il a conclu qu’ayant compétence pour statuer sur la demande dont il était saisi sans avoir à se prononcer sur l’existence d’une revendication crédible au sens de l’arrêt Nation haïda, il n’était pas tenu d’exiger que la Couronne participe à l’audience.

[14]     À l’audience relative au projet d’agrandissement Alberta Clipper, la PNDSB a présenté en substance la même requête qu’à l’audience concernant le projet Southern Lights, sur laquelle l’O.N.É. a statué de façon analogue.

[15]     À l’audience relative au projet de pipeline Keystone, la question soulevée dans les requêtes soumises lors des audiences relatives aux projets Southern Lights et Alberta Clipper n’a pas été abordée par voie de requête de sorte que la décision rendue sur ce projet n’en traite pas de la même façon que les décisions Southern Lights et Alberta Clipper. Toutefois, la PNDSB a soulevé la question dans une demande de révision fondée sur le paragraphe 21(1) de la Loi sur l’ONÉ qu’elle a soumise le 12 octobre 2007 à l’égard de la décision Keystone. L’alinéa 9.c. de cette demande était ainsi formulée :

[traduction] c. l’O.N.É. a commis une erreur en concluant implicitement qu’elle avait compétence pour examiner au fond la demande de certificat d’utilité publique sans s’être d’abord assurée que la Couronne avait procédé aux consultations requises.

[16]     Par lettre en date du 13 février 2008, l’O.N.É. a rejeté la demande de révision de la PNDSB visant la décision Keystone.

[17]     Les appelants ont obtenu l’autorisation prévue au paragraphe 22(1) de la Loi sur l’ONÉ pour porter les décisions en appel.

QUESTIONS EN LITIGE

[18]     Le présent appel soulève les questions suivantes :

a) Avant d’examiner les demandes d’approbation des projets, l’O.N.É. devait‑il déterminer :

i) si la Couronne avait l’obligation de consulter les appelants relativement aux projets et, s’il y a lieu, de prévoir des mesures d’accommodement à leur égard;

ii) si la Couronne assumait une telle obligation, s’en est‑elle acquittée?

b) L’article 52 de la Loi sur l’ONÉ viole‑t‑il le paragraphe 35(1) de la Constitution?

ANALYSE

L’obligation découlant de l’arrêt Nation haïda

 [19]    L’obligation de consulter dont il est question dans les présents appels est l’obligation de la Couronne décrite dans l’arrêt Nation haïda. La Cour suprême du Canada indique, au paragraphe 35 de cet arrêt :

[. . .] cette obligation prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui-ci [. . .]

[20]     La Cour suprême fournit des précisions, au paragraphe 37 de cet arrêt, sur la façon d’établir l’existence d’une telle obligation et d’en déterminer la portée, le cas échéant :

    Il y a une différence entre une connaissance suffisante pour entraîner l’application de l’obligation de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder, et le contenu ou l’étendue de cette obligation dans une affaire donnée. La connaissance d’une revendication crédible mais non encore établie suffit à faire naître l’obligation de consulter et d’accommoder. Toutefois, le contenu de l’obligation varie selon les circonstances, comme nous le verrons de façon plus approfondie plus loin. Une revendication douteuse ou marginale peut ne requérir qu’une simple obligation d’informer, alors qu’une revendication plus solide peut faire naître des obligations plus contraignantes. Il est possible en droit de différencier les revendications reposant sur une preuve ténue des revendications reposant sur une preuve à première vue solide et de celles déjà établies. Les parties peuvent examiner la question et, si elles ne réussissent pas à s’entendre, les tribunaux administratifs et judiciaires peuvent leur venir en aide. Il faut régler les problèmes liés à l’absence de preuve et de définition des revendications en délimitant l’obligation de façon appropriée et non en niant son existence.

[21]     L’étape finale de l’analyse fondée sur l’arrêt Nation haïda consiste à déterminer si la Couronne s’est acquittée de son obligation de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder.

[22]     Il est évident que l’existence, la portée et l’exécution de l’obligation visée dans l’arrêt Nation haïda sont des questions pouvant faire l’objet d’une entente entre la Couronne et les groupes autochtones concernés. Toutefois, le recours aux tribunaux pourra s’avérer nécessaire si les parties ne parviennent pas à s’entendre. En plus de la mention des tribunaux figurant au paragraphe 37 de l’arrêt Nation haïda, on peut lire, au paragraphe 60 de cet arrêt :

Lorsque la conduite du gouvernement est contestée au motif qu’il ne se serait pas acquitté de son obligation de consulter et d’accommoder en attendant le règlement des revendications, la question peut être soumise aux tribunaux pour examen.

La question de la compétence

[23]     Les appelants soutiennent que, pour statuer sur les demandes d’approbation des projets, l’O.N.É. devait préalablement déterminer si la Couronne était tenue de consulter les appelants au sujet desdits projets conformément à l’arrêt Nation haïda et, le cas échéant, il devait établir la portée de l’obligation et déterminer si la Couronne s’en était acquittée. Ils affirment donc que l’O.N.É. devait effectuer toute l’analyse décrite dans l’arrêt Nation haïda avant de pouvoir rendre décision.

Norme de contrôle

[24]     À mon avis, l’argumentation des appelants soulève directement une véritable question relative à la compétence de l’O.N.É., à laquelle s’applique la norme de la décision correcte (voir Dunsmuir c. Nouveau‑ Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 59).

L’O.N.É. n’a pas procédé à l’analyse décrite dans l’arrêt Nation haïda

[25]     Nulle part dans les décisions, l’O.N.É. ne formule de conclusion au sujet de l’existence d’une obligation de la Couronne aux termes de l’arrêt Nation haïda. Autrement dit, l’O.N.É. ne s’est pas prononcé sur cette question. J’estime par conséquent que la portée de l’obligation et la question de savoir si la Couronne l’a respectée n’ont pas à être examinées dans les présents appels et qu’advenant que l’O.N.É. ait commis une erreur en n’effectuant pas la première étape de l’analyse de l’arrêt Nation haïda, les affaires lui seraient renvoyées pour qu’il procède à la totalité de l’analyse.

[26]     En outre, il découle de l’absence de toute analyse de l’arrêt Nation haïda par l’O.N.É. qu’on ne peut considérer que les décisions de l’organisme concluent de quelque façon sur la question de savoir si les consultations faites par les promoteurs des projets pouvaient ou non compter pour une consultation satisfaisant à toute obligation de consulter pouvant incomber à la Couronne en raison de l’arrêt Nation haïda et si elles étaient suffisantes pour ce faire.

Les décisions Paul et Kwikwetlem

[27]     L’avocat des PNS/M a soutenu que les arrêts Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), 2003 CSC 55, [2003] 2 R.C.S. 585, et Kwikwetlem First Nation v. British Columbia (Utilities Commission), 2009 BCCA 68, 308 D.L.R. (4th) 285, font autorité pour ce qui est de la question de la compétence. Je ne suis pas de cet avis.

[28]     Dans l’arrêt Paul, la Forest Appeals Commission de la Colombie‑Britannique avait jugé que M. Paul, un Indien inscrit, avait contrevenu à l’article 96 du Forest Practices Code of British Columbia Act, R.S.B.C. 1996, ch. 159, en abattant quatre arbres devant servir à la construction d’une terrasse chez lui. Il s’agissait de déterminer si le législateur provincial avait validement conféré à la Commission le pouvoir de trancher des questions touchant les titres et droits ancestraux dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle consistant à déterminer s’il y avait eu contravention à l’article 96 du Code, y compris la question de savoir si M. Paul exerçait des droits ancestraux en coupant ces arbres.

[29]     La Cour suprême du Canada a répondu par l’affirmative à ces questions, et le juge Bastarache a formulé un commentaire éclairant au paragraphe 47 :

    Mes conclusions signifient que la commission est compétente pour poursuivre l’instruction de tous les aspects de l’affaire concernant la saisie des quatre troncs d’arbre que M. Paul avait en sa possession. À moins de demander à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique de rendre un jugement déclaratoire relativement à ses droits ancestraux, M. Paul doit faire la preuve de son droit ancestral devant la commission. Jusqu’à maintenant, il s’est contenté d’invoquer son moyen de défense. S’il est insatisfait de la décision de la commission sur le lien entre ses droits garantis par l’art. 35 et l’interdiction de la coupe d’arbres énoncée à l’art. 96 du Code, il pourra demander un contrôle judiciaire devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. La norme de contrôle applicable aux décisions de la commission relatives au droit autochtone est celle de la décision correcte.

[30]     À mon avis, l’arrêt Paul n’étaye pas l’argument voulant que l’O.N.É. était tenu d’entreprendre l’analyse de l’arrêt Nation haïda avant d’examiner au fond les demandes d’approbation des projets. Le paragraphe 47 me semble plutôt indiquer que la compétence juridictionnelle relative aux questions autochtones appartient aux tribunaux judiciaires.

[31]     L’affaire Kwikwetlem First Nation portait sur une demande d’approbation d’un projet de transmission d’électricité présentée par la British Columbia Transmission Corporation. La Utilities Commission de la Colombie‑Britannique avait conclu à l’existence de l’obligation décrite dans l’arrêt Nation haïda, et les parties avaient entrepris des négociations. La Cour d’appel a été appelée à trancher la question de savoir si la Commission pouvait approuver le projet sans avoir d’abord déterminé si l’obligation de consulter avait été remplie à ce point de l’instance. Il importe de signaler que toutes les parties reconnaissaient que la Transmission Corporation était une entité ou un mandataire de la Couronne pour les besoins de l’analyse prescrite par l’arrêt Nation haïda et que les consultations qu’elle avait entreprises avaient été effectuées dans l’accomplissement de l’obligation imposée par cet arrêt. Par conséquent, la question de savoir s’il incombait ou non à la Commission de procéder à toute l’analyse de l’arrêt Nation haïda pour déterminer si le demandeur avait l’obligation de consulter ne se posait pas. L’existence de l’obligation définie dans l’arrêt Nation haïda n’était pas contestée.

[32]     En l’espèce, les demandes soumises à l’O.N.É. émanaient de Keystone, Enbridge Southern Lights et Enbridge, des entreprises du secteur privé qui ne peuvent être assimilées à la Couronne ou à un mandataire de celle‑ci. Je suis donc d’avis que l’affaire Kwikwetlem First Nation ne permet pas d’affirmer que l’O.N.É. doit entreprendre l’analyse de l’arrêt Nation haïda avant d’examiner au fond les demandes de Keystone, Enbridge Southern Lights et Enbridge.

[33]     Puisque dans l’affaire Carrier Sekani Tribal Council v. British Columbia (Utilities Commission), 2009 BCCA 67, [2009] 4 W.W.R. 381, les parties avaient également reconnu que le demandeur était une entité ou un mandataire de la Couronne, j’estime que cet arrêt ne peut non plus étayer l’argument des PNS/M sur ce point.

[34]     J’ajouterais en dernier lieu que l’O.N.É. lui‑même n’assume pas d’obligation de type de l’arrêt Nation haïda et que même les appelants n’ont pas prétendu qu’il était assujetti à une telle obligation. L’O.N.É. est un organisme quasi-judiciaire (voir Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 R.C.S. 159, page 184), et, selon moi, il n’agit pas comme entité ou mandataire de la Couronne lorsqu’il exerce ses fonctions quasi-judiciaires.

L’omission de procéder à l’analyse de l’arrêt Nation haïda viole le paragraphe 35(1) de la Constitution

[35]     Voici le texte du paragraphe 35(1) de la Constitution :

35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

Confirmation des droits existants des peuples autochtones

[36]     En affirmant que l’O.N.É. a commis une erreur en ne procédant pas à l’analyse de l’arrêt Nation haïda avant de rendre ses décisions, les appelants soutiennent en fait que l’O.N.É. doit exercer sa fonction décisionnelle conformément aux règles constitutionnelles, notamment le paragraphe 35(1). Je souscris à cette affirmation, étayée par l’arrêt Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie), à la page 185.

[37]     Les appelants prétendent ensuite que même si l’obligation de consulter que l’O.N.É. a imposée aux promoteurs a pu permettre d’examiner de possibles contraventions aux droits ancestraux par ces promoteurs, il reste que l’omission de l’O.N.É. de procéder à l’analyse de l’arrêt Nation haïda fait en sorte que les contraventions possibles à ces droits par la Couronne ne seront pas examinées. Par conséquent, en n’entreprenant pas cette analyse, l’O.N.É. pourrait cautionner de possibles atteintes aux droits ancestraux par la Couronne et, de ce fait, violer le paragraphe 35(1) de la Constitution.

[38]     Les appelants ajoutent que, dans le contexte d’une demande de certificat d’utilité publique, l’O.N.É. doit tenir compte « de tous les facteurs qu’il estime pertinents », ainsi que l’énonce expressément l’article 52 de la Loi sur l’ONÉ. Selon les appelants, la question de savoir si la Couronne assume une obligation de type de l’arrêt Nation haïda et s’en est acquittée est un facteur pertinent qui doit, en conséquence, être pris en considération à défaut de quoi l’O.N.É. manque à son obligation d’exercer son pouvoir décisionnel conformément aux règles constitutionnelles.

[39]     Il m’est impossible, pour plusieurs raisons, de me rendre à ces arguments.

[40]     Premièrement, comme on l’a vu, l’arrêt Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie) établit que l’O.N.É., lorsqu’il exerce sa fonction décisionnelle, doit se conformer aux règles constitutionnelles et, notamment, au paragraphe 35(1) de la Constitution. En l’espèce, l’O.N.É. devait statuer sur trois demandes de certificat d’utilité publique. Chaque demande constitue un processus distinct, dans lequel un demandeur donné cherche à obtenir une approbation visant un projet déterminé. Le processus met l’accent sur le demandeur, auquel l’O.N.É. impose d’importantes obligations de consultation. Chaque demandeur doit consulter les groupes autochtones, définir leurs préoccupations et tenter d’y répondre, à défaut de quoi l’O.N.É. peut imposer des mesures d’accommodement. Ce processus fait selon moi en sorte que le demandeur prenne dûment compte des droits ancestraux existants qui sont reconnus et confirmés au paragraphe 35(1) de la Constitution. En veillant à ce que le demandeur respecte ces droits ancestraux, l’O.N.É. démontre, à mon avis, qu’il exerce sa fonction décisionnelle conformément aux règles de cette disposition constitutionnelle.

[41]     Deuxièmement, les appelants ont été incapables de citer la moindre disposition de la Loi sur l’ONÉ ou de toute autre loi qui empêcherait l’organisme de délivrer le certificat visé à l’article 52 sans avoir au préalable effectué l’analyse de l’arrêt Nation haïda ou qui l’habilite à ordonner à la Couronne de procéder à la consultation définie dans l’arrêt Nation haïda.

[42]     Troisièmement, la province de la Saskatchewan a soutenu que l’O.N.É. n’a pas compétence pour procéder à l’analyse de l’arrêt Nation haïda lorsque c’est la Couronne du chef d’une province qui est visée par l’allégation qu’il existe une obligation de consulter aux termes de cet arrêt. Les appelants n’ont pas contesté cette restriction de la capacité de l’O.N.É. d’effectuer l’analyse à l’égard d’une province.

[43]     Quatrièmement, la conclusion que l’O.N.É. n’est pas tenu de déterminer, avant de rendre les décisions, si la Couronne assume une obligation de type de l’arrêt Nation haïda et si elle s’en est acquittée, n’empêcherait pas l’examen de ces questions par le tribunal judiciaire compétent. De fait, les citations tirées des paragraphes 37 et 60 de l’arrêt Nation haïda et du paragraphe 47 de l’arrêt Paul indiquent qu’on peut s’adresser aux tribunaux judiciaires dans un tel cas.

[44]     J’ajouterais qu’il ne faudrait pas que la capacité d’un groupe autochtone de saisir le tribunal judiciaire compétent de questions relatives à l’existence d’une obligation de type de l’arrêt Nation haïda à l’égard de l’objet d’une demande de certificat d’utilité publique et, le cas échéant, sur la portée et l’exécution de cette obligation fasse conclure que ce groupe devrait refuser de comparaître devant l’O.N.É. à l’égard du processus d’examen de cette demande. Nous le répétons, ce processus met l’accent sur les obligations du demandeur du certificat d’utilité publique; il établit un cadre pratique et efficace au moyen duquel le groupe autochtone peut demander des assurances à l’égard des incidences du projet sur des questions qui le touchent. Bien que le groupe autochtone soit libre de décider de ce qu’il fera, il serait malheureux qu’il ne se prévale pas de la possibilité offerte par ce processus de faire examiner les questions qui le préoccupent de façon directe et concrète.

LA QUESTION CONSTITUTIONNELLE

[45]     Les PNS/M soutiennent que la Loi sur l’ONÉ ou des dispositions de cette loi sont inconstitutionnelles parce qu’elles violent le paragraphe 35(1) de la Constitution. Dans l’affaire R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, un Autochtone a contesté la validité d’un règlement limitant la longueur de filets de pêche au motif qu’il était incompatible avec le paragraphe 35(1) de la Constitution. La Cour suprême a statué qu’il incombe à celui qui invoque l’invalidité d’une disposition législative d’établir que la disposition porte atteinte à un droit ancestral existant. S’il s’acquitte de ce fardeau de preuve, il appartient alors à la Couronne de démontrer que l’atteinte est justifiée.

[46]     En l’espèce, les affirmations des PNS/M sont bien loin de satisfaire au fardeau de prouver que la Loi sur l’ONÉ ou des dispositions de cette loi portent atteinte à des droits ancestraux ou issus de traités. L’allégation que la totalité de la Loi sur l’ONÉ enfreint un droit ancestral ou issu de traités existant des PNS/M est dénuée de tout fondement.

[47]     Les PNS/M ne mentionnent qu’une disposition de la Loi sur l’ONÉ, l’article 52, et ils affirment qu’elle est invalide parce qu’elle n’énonce pas expressément que l’O.N.É. doit observer les garanties accordées aux droits existants — ancestraux et issus de traités — des peuples autochtones du Canada lorsqu’il s’acquitte de la fonction décisionnelle dont il est investi. Je ne puis accepter cet argument.

[48]     L’arrêt Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l’énergie) de la Cour suprême du Canada établit clairement que l’O.N.É. doit exercer son pouvoir décisionnel dans le respect des dispositions du paragraphe 35(1) de la Constitution. Le fait que la Loi sur l’ONÉ n’énonce pas expressément cette obligation à l’article 52 ou ailleurs ne suffit pas pour rendre cette disposition invalide.

L’appel A-542-08

[49]     Keystone soutient que l’appel de la PNDSB ne devrait viser que la décision statuant sur la demande de révision de la décision Keystone et non la décision Keystone elle‑même. Et comme l’exposé des faits et du droit ne traite pas de la décision relative à la demande de révision, Keystone soutient qu’il y a lieu de rejeter l’appel. Compte tenu de la décision que j’entends rendre sur la question de la compétence et sur la question constitutionnelle, il est inutile que j’examine ce point.

DÉCISION

[50]     Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter chacun des appels et d’adjuger les dépens à l’intimée Enbridge Pipelines Inc. dans les dossiers A-537-08 et A-475-08, à l’intimée Enbridge Southern Lights GP Inc. dans le dossier A-541-08 et à l’intimée TransCanada Keystone Pipeline GP Ltd. dans le dossier A-542-08.

Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

La juge Layden-Stevenson, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

ANNEXE

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7, paragraphes 21(1) et 22(1) et article 52

21. (1) Sous réserve du paragraphe (2), l’Office peut réviser, annuler ou modifier ses ordonnances ou décisions, ou procéder à une nouvelle audition avant de statuer sur une demande.

[. . .]

Révision des ordonnances

22. (1) Il peut être interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale, avec l’autorisation de celle-ci, d’une décision ou ordonnance de l’Office, sur une question de droit ou de compétence.

[. . .]

Appel à la Cour d’appel fédérale

 52. Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil, l’Office peut, s’il est convaincu de son caractère d’utilité publique, tant pour le  son caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, délivrer un certificat à l’égard d’un pipeline; ce faisant, il tient compte de tous les facteurs qu’il estime pertinents, et notamment de ce qui suit :

         a) l’approvisionnement du pipeline en pétrole, gaz ou autre produit;

         b) l’existence de marchés, réels ou potentiels;

         c) la faisabilité économique du pipeline;

         d) la responsabilité et la structure financières du demandeur et les méthodes de financement du pipeline ainsi que la mesure dans laquelle les Canadiens auront la possibilité de participer au financement, à l’ingénierie ainsi qu’à la construction du pipeline;

         e) les conséquences sur l’intérêt public que peut, à son avis, avoir sa décision..

Délivrance

Loi constitutionnelle de 1982, paragraphe 35(1)

35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

Confirmation des droits existants des peuples autochtones

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