Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence :

Charkaoui (Re), 2009 CF 476,

[2010] 3 R.C.F. 102

DES-4-08

DES-4-08

2009 CF 476

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT un certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR);

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR;

ET DANS L’AFFAIRE CONCERNANT Adil Charkaoui;

ET LE BARREAU DU QUÉBEC, intervenant

Répertorié : Charkaoui (Re) (C.F.)

Cour fédérale, juge Tremblay-Lamer—Ottawa, 28, 29, 30 avril et 7 mai 2009.

Renseignement de sécurité — Demande des avocats spéciaux visant l’obtention d’une ordonnance enjoignant aux ministres de déployer tous les efforts raisonnables pour obtenir le consentement des agences étrangères impliquées dans le dossier Charkaoui à la divulgation d’informations transmises au Service canadien du renseignement de sécurité — La question en litige portait sur l’interprétation de la règle des tiers (invoquée pour refuser la divulgation) et sur son application au certificat de M. Charkaoui — Cette règle consiste à ne pas dévoiler la source ou le contenu de renseignements de sécurité sans l’autorisation de l’organisme d’origine — L’exigence de démontrer que des efforts raisonnables ont été faits pour obtenir un consentement ne devait pas être écartée en l’espèce — Le fait de déposer cinq certificats de sécurité concurremment ne peut faire obstacle au droit de l’intéressé à l’application intégrale de la règle des tiers — Cette dernière doit être appliquée objectivement — Le refus global des ministres d’obtenir un consentement sans qu’une solution de rechange ne soit présentée n’était pas conciliable avec la règle — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande des avocats spéciaux visant l’obtention d’une ordonnance enjoignant aux ministres de déployer tous les efforts raisonnables pour obtenir le consentement des agences étrangères impliquées dans le dossier Charkaoui à la divulgation d’informations transmises au Service canadien du renseignement de sécurité (le Service). Cette demande découlait du résumé de la preuve soumis par les ministres conformément à l’alinéa 83(1)(e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Les avocats spéciaux voulaient que de l’information y soit ajoutée afin de refléter le plus fidèlement possible la preuve au dossier de l’intéressé, sans porter atteinte à la sécurité nationale. Un témoin du Service a invoqué la règle des tiers pour justifier l’objection à la divulgation et a informé la Cour qu’une décision exécutive avait été prise à l’effet que le Service ne ferait pas de demande aux agences étrangères visant la levée de la réserve en ce qui concerne les cinq certificats de sécurité présentement devant la Cour. La seule question en litige en l’espèce portait sur l’interprétation faite par le Service et les ministres de la règle des tiers et sur son application au certificat de M. Charkaoui.

Jugement : la demande doit être accuellie.

La règle des tiers, qui concerne l’échange de renseignements entre services du renseignement de sécurité et autres organismes apparentés, consiste essentiellement pour un organisme qui obtient des renseignements à ne pas en dévoiler la source ou le contenu sans l’autorisation de l’organisme d’origine. Le consentement à la divulgation est nécessaire au respect de cette règle, et les organismes d’application de la loi et les agences de renseignement doivent prouver qu’ils ont pris les moyens raisonnables pour obtenir un consentement ou qu’une demande de consentement à la divulgation leur serait refusée. La preuve qu’une demande de consentement serait refusée n’a pas été faite en l’espèce.

Les arguments des ministres à l’effet que le simple fait de contacter les agences étrangères pour demander la levée de la réserve serait préjudiciable à l’habilité du Service de recevoir de l’information dans le futur étaient peu convaincants. La jurisprudence développée dans le cadre des régimes législatifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la preuve au Canada peut aussi s’appliquer dans le cadre de la LIPR. En l’espèce, l’exigence de démontrer à la Cour que des efforts raisonnables ont été faits pour obtenir un consentement ne devait pas être écartée. Plusieurs facteurs menaient à cette conclusion, dont le fait que l’instance devant la Cour fédérale est la seule occasion pour l’intéressé d’être suffisamment informé de la thèse des ministres, et le fait qu’une fois jugé raisonnable, le certificat fait foi de l’interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi. Le fait de déposer cinq certificats de sécurité concurremment ne peut faire obstacle au droit de l’intéressé à l’application intégrale de la règle des tiers. Cette dernière doit être appliquée objectivement. De plus, cette règle fait partie d’un tout et son application s’inscrit dans le cadre réel des relations journalières des agences de renseignement et d’application de la loi. Le refus global des ministres, non adapté aux circonstances en l’espèce, d’obtenir un consentement des agences étrangères sans qu’une solution de rechange ne soit présentée, n’était pas conciliable avec l’application de la règle.

Quant au préjudice invoqué, il proviendrait plutôt d’un manquement à la règle des tiers. Or, il n’était pas question dans le présent scénario de passer outre à la règle des tiers mais au contraire de s’assurer de son respect puisque cette règle implique qu’une autorisation à la divulgation puisse être demandée. Le fardeau de preuve du Service est donc de convaincre la Cour, selon la prépondérance de la preuve, qu’une divulgation vers l’intéressé n’est pas possible parce qu’elle porterait atteinte à la sécurité nationale. Les ministres ont été ordonné de faire rapport à la Cour des efforts raisonnables déployés par le Service pour obtenir le consentement des agences étrangères en vue de permettre la divulgation des informations visées ou de prouver, pour chacune des agences, qu’une telle demande leur serait refusée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38.04 (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141(7)).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 83(1)d) (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), e) (mod., idem).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2008] 3 R.C.F. 248; Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 490, [2008] 1 R.C.F. 547; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.); Charkaoui (Re), 2009 CF 342, [2010] 3 R.C.F. 66; Charkaoui (Re), 2005 CF 1670, [2006] 3 R.C.F. 325; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326.

décisions citées :

Ottawa Citizen Group Inc. c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1552; Canada (Procureur général) c. Ribic, 2002 CFPI 1044.

DEMANDE des avocats spéciaux visant l’obtention d’une ordonnance enjoignant aux ministres de déployer tous les efforts raisonnables pour obtenir le consentement des agences étrangères impliquées dans le dossier Charkaoui à la divulgation d’informations transmises au Service canadien du renseignement de sécurité. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Aucune comparution pour Adil Charkaoui.

Nancie Couture, Lori A. Beckerman, François Joyal et Gretchen A. Timmins pour les ministres.

Denis Couture, François Dadour, avocats spéciaux.

Aucune comparution pour l’intervenant.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Des Longchamps, Bourassa, Trudeau et Lafrance, Montréal, et Doyon & Associés, Montréal, pour Adil Charkaoui.

Le sous-procureur général du Canada pour les ministres.

Denis Couture, Ashton, Ontario, et François Dadour, Montréal, avocats spéciaux.

Filteau, Belleau, Montréal, pour l’intervenant.

Voici les motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus en français par

La juge Tremblay-Lamer :

Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande des avocats spéciaux d’ordonner aux ministres de contacter certaines agences étrangères afin d’obtenir la permission de divulguer publiquement des renseignements obtenus de ces agences concernant l’intéressé. Cette demande fut soumise à la Cour lors d’une audience tenue à huis-clos le 30 avril 2009. Cette audience avait pour but d’entendre les représentations des procureurs quant à la forme et au contenu d’une première proposition de divulgation de la part des avocats spéciaux.

1. Mise en contexte

[2] Le 24 février 2009, la Cour émettait une directive demandant aux ministres si, à la lumière des consentements donnés dans d’autres dossiers, ces derniers avaient l’intention de consentir à la divulgation du contenu de toute interception de communication au cours de laquelle l’intéressé avait participé (contenu, mois et année) ainsi que du contenu de tout rapport de filature le concernant (contenu, mois et année).

[3] Le 18 mars 2009, la Cour ordonnait aux ministres de donner suite immédiatement à leur proposition à chaque fois où ces derniers avaient indiqués qu’ils étaient prêts à émettre une déclaration ou un énoncé général, un résumé et/ou de divulguer de l’information, le tout tel qu’il appert de leur réponse à la première proposition des avocats spéciaux.

[4] Les ministres ont soumis leurs réponses à la directive et à l’ordonnance sous forme de résumé de la preuve conformément à l’alinéa 83(1)e) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[5] Au cours de l’audience tenue à huis-clos, les avocats spéciaux ont fait valoir leur point de vue quant à l’exactitude et le caractère exhaustif ou non des résumés. À cet effet, ils ont demandé que certaines formulations soient revues et que de l’information soit ajoutée afin de refléter le plus fidèlement possible, sans porter atteinte à la sécurité nationale, la preuve au dossier de l’intéressé. Une première divulgation vers l’intéressé en résultera conformément à l’alinéa 83(1)e) de la LIPR.

[6] Lors de cette audience, les ministres ont présenté un témoin pour appuyer leur objection à divulguer certaines informations provenant d’agences étrangères visées par la première proposition des avocats spéciaux.

[7] Le témoin, un employé du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service), a invoqué la règle des tiers pour justifier l’objection à la divulgation et a informé la Cour qu’une décision de l’exécutif avait été prise au sein du Service à l’effet que le Service ne ferait pas de demande aux agences étrangères visant la levée de la réserve (caveat) en ce qui concerne les cinq certificats de sécurité présentement devant la Cour.

[8] Les avocats spéciaux ont alors demandé à la Cour d’émettre une ordonnance enjoignant les ministres de déployer tous les efforts raisonnables pour obtenir le consentement des agences étrangères impliquées dans le dossier Charkaoui à la divulgation d’informations transmises au Service et qui sont visées par les propositions 1, 2, et 3 des avocats spéciaux.

[9] La présente décision se veut la réponse de la Cour à la demande des avocats spéciaux.

2. Question en litige

[10] La question à être tranchée en est une mixte de faits et de droit où les faits sous-jacents à l’affaire sont classifiés et doivent demeurer confidentiels conformément à l’alinéa 83(1)d) [mod., idem] de la LIPR.

[11] D’emblée, la Cour tient à préciser que la question en litige ne porte pas sur l’importance de la règle des tiers puisque celle-ci est reconnue tant par la Cour que par les procureurs présents à l’audience. La seule question porte sur l’interprétation faite par le Service et les ministres de cette règle et sur son application au certificat devant moi, soit celui de M. Charkaoui, de ne pas déployer d’efforts raisonnables pour demander la levée de la réserve et de tenter d’obtenir un consentement à la divulgation de certains renseignements.

3. Version publique

[12] Cette version publique fut facilitée par l’émission publique d’une décision antérieure portant, entre autres, sur la règle des tiers, soit la décision de mon collègue, le juge Simon Noël, dans l’affaire Arar, Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2008] 3 R.C.F. 248. Par conséquent, les arguments de droit qui suivent ont pu être exposés dans leurs grandes lignes. La lecture du jugement de mon collègue m’a permis de constater qu’une position semblable à celle qui me fut soumise par les procureurs des ministres semble avoir déjà été soumise devant la Cour dans le cadre d’une application en vertu de l’article 38.04 [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141(7)] de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (la LPC). Dans cette affaire, le procureur général du Canada sollicitait une ordonnance de la Cour fédérale interdisant la divulgation de certaines portions expurgées du rapport public présenté par la Commission Arar au motif que la divulgation de ces renseignements porterait préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale du seul fait de demander un consentement à la divulgation (paragraphe 74). Pour les fins de la présente je me suis servie de la version publique de son jugement (un jugement parallèle confidentiel existe qui applique aux faits particuliers du dossier les mêmes principes de droit). 

4. Position des ministres 

[13] La procureure des ministres, Me Nancie Couture, a d’abord fait valoir l’importance du témoignage du témoin entendu en insistant sur l’expérience de ce dernier comme agent de renseignement bien informé de la règle des tiers et des relations que le Service a avec les agences étrangères. Pour les ministres, il n’est pas uniquement question du dossier Charkaoui mais de la gestion de cinq certificats de sécurité, de façon simultanée, ce qui représente plusieurs agences étrangères différentes qui ont donné plusieurs informations qui ont été utilisées dans les cinq rapports de renseignement de sécurité (RRS). Par conséquent, le simple fait de demander la levée de la règle des tiers pourrait être préjudiciable à la sécurité nationale. Elle a réitéré les nuances apportées par le témoin qui avait spécifié qu’en fonction du pays auquel un consentement serait demandé, la probabilité du préjudice serait sans doute différente.

[14] La procureure a également invoqué l’effet mosaïque au soutien de ses représentations en affirmant qu’une ordonnance de la Cour sollicitant des agences étrangères la levée du caveat aurait des conséquences significatives au sein de la communauté du renseignement. D’après les ministres une telle ordonnance serait perçue comme un échec du système canadien de protéger l’information qui a été partagée. Cela servirait d’avertissement pour la communauté internationale que l’information partagée en confidence des renseignements privilégiés pourrait éventuellement être divulguée publiquement.

5. Position des avocats spéciaux 

[15] Me Denis Couture, pour les avocats spéciaux, a rappelé que la règle des tiers ne signifie pas une interdiction complète de transmettre l’information mais simplement qu’il faille obtenir le consentement de l’agence de laquelle provient l’information avant de l’utiliser à des fins autres que celles de l’organisme récipiendaire ou de la transmettre. Il a souligné que le témoin entendu ne connaissait aucunement les faits du dossier de l’intéressé (ainsi que ceux des quatre autres dossiers) ou l’importance ou non que peut avoir l’information précise qui, dans le présent dossier de l’avis des avocats spéciaux, se doit d’être portée à l’attention de l’intéressé et de ses procureures.

[16] Celui-ci a précisé que ce n’est pas l’importance de la règle des tiers qui est mise en cause ici. Ce qui est en jeu, c’est la décision du Service de ne même pas faire de demande, contrairement à la jurisprudence qui est claire à ce sujet; celle-ci nous enseigne que les ministres doivent démontrer qu’ils ont déployé tous les efforts raisonnables pour obtenir le consentement des agences étrangères à la divulgation d’informations transmises au service.

6. L’analyse

a) La règle des tiers

[17] La jurisprudence canadienne a énoncé à maintes reprises l’importance de la règle des tiers qui concerne l’échange de renseignements entre services du renseignement de sécurité et autres organismes apparentés. D’emblée la Cour tient à préciser qu’il n’est pas question, pour cette Cour, de minimiser l’importance de la règle des tiers ou de ne pas reconnaître la position du Canada à titre d’importateur net de renseignements.

[18] Cette règle consiste essentiellement pour un organisme qui obtient des renseignements à ne pas dévoiler la source des renseignements ni le contenu sans l’autorisation de l’organisme d’origine (voir le juge en chef Lutfy dans Ottawa Citizen Group Inc. c. Canada, 2006 CF 1552, paragraphe 25).

[19] Le juge Mosley dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 490, [2008] 1 R.C.F. 547 abondait dans le même sens au paragraphe 145 :

L’objet de la règle des tiers est manifestement de protéger et d’encourager l’échange de renseignements sensibles entre le Canada et les États ou organismes étrangers, en protégeant pour cela à la fois la source et le contenu des renseignements échangés, l’unique exception étant que le Canada a toute latitude de communiquer les renseignements et/ou de faire état de leur source si le consentement de la source est obtenu. [Soulignement ajouté.]

[20] Dans l’affaire Arar, précitée, le juge Noël expliquait que cette règle était sacro-sainte parmi les organismes d’application de la loi et les agences de renseignement, une règle, dit-il, fondée sur la confiance mutuelle, la fiabilité et la loyauté. Il résumait les propos de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589, alors que les juges Létourneau, Robertson et Sexton ont commenté sur la règle des tiers dans le contexte de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 et de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, aux paragraphes 101, 103, 110 et 111 :

L’article 19 prévoit une exception obligatoire conditionnelle: le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de renseignements personnels obtenus à titre confidentiel d’un autre gouvernement ou d’une organisation internationale d’États à moins que ce gouvernement ou cette institution ne consente à la communication ou ne rende les renseignements publics. C’est ce que l’on appelle généralement l’exception relative aux tiers.

[…]

Il est vrai que le but premier de l’exception prévue à l’article 19 est la non-communication de renseignements mais, comme nous l’avons déjà mentionné, il ne s’agit pas d’une interdiction absolue. Cette exception, comme les autres, doit être interprétée dans le contexte général de la Loi, qui favorise la communication des renseignements qui sont conservés. Le paragraphe 19(2) autorise le responsable d’une institution fédérale à communiquer les renseignements si le tiers a donné son consentement.

[…]

À notre avis, en demandant au responsable d’une institution fédérale la communication des renseignements personnels le concernant, le demandeur demande également au responsable de cette institution de faire des efforts raisonnables pour obtenir le consentement du tiers qui a fourni les renseignements en question. En tirant cette conclusion, nous voulons qu’il soit clair que nous examinons uniquement la question de la charge de la preuve et que nous ne déterminons aucunement les méthodes ou moyens par lesquels le consentement du tiers peut être demandé. Des considérations politiques et pratiques se rapportant, entre autres, à la nature des renseignements et à la quantité de renseignements peuvent empêcher l’obtention d’un consentement sur une base individuelle et mener à l’établissement de protocoles qui respectent l’esprit et la lettre de la Loi et de l’exception.

Cela veut dire que le juge qui effectue l’examen devrait s’assurer que le SCRS a fait des efforts raisonnables pour solliciter le consentement du tiers qui avait fourni les renseignements en question. Au besoin, le juge qui effectue l’examen devrait accorder une période raisonnable au SCRS pour lui permettre de se conformer à l’exigence relative au consentement prévue à l’alinéa 19(2)a). [Soulignement ajouté.]

[21] Mon collègue résumait, qu’en bref, dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale affirmait que « le consentement à la divulgation est nécessaire au respect de la règle des tiers et que les organismes d’application de la loi et les agences de renseignements doivent prouver qu’ils ont pris les moyens raisonnables pour obtenir un consentement à la divulgation ou prouver qu’une demande de consentement à la divulgation leur serait refusée » (paragraphe 73 de l’affaire Arar; soulignement ajouté).

[22] Certes, une telle affirmation sous-entend qu’il puisse arriver des cas où une demande ne soit pas réalisable du fait, par exemple, de relations ténues avec l’État ou l’agence étrangère d’origine. Dans un tel cas, comme le mentionnait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ruby, précité, le SCRS doit, à tout le moins, convaincre la Cour qu’une demande de consentement à la divulgation leur serait refusée. Ce n’était pas la preuve devant moi.

b) L’interprétation de la règle des tiers par les ministres 

[23] Comme nous l’avons vu ci-haut, les ministres soutiennent que le simple fait de contacter les agences étrangères pour leur demander la levée de la réserve serait préjudiciable à l’habilité du SCRS de recevoir de l’information dans le futur, vu le nombre possible de demandes qui peuvent survenir dans le cadre des cinq instances de certificats de sécurité. Le fait qu’un nombre considérable de demandes de consentement à la divulgation puisse être sollicité concurremment dans les dossiers concernant les certificats de sécurité serait bientôt connu et le Canada serait perçu comme un pays non fiable, ce qui causerait un préjudice au Canada.

c) Les enjeux

[24] Je trouve les arguments des ministres peu convaincants à la lumière de la jurisprudence précitée sur cette question. À mon avis, il ne suffit pas pour le gouvernement de décider comme règle générale de ne présenter aucune demande de consentement aux agences étrangères à cause du nombre d’agences impliquées à ce stade de l’instance.

[25] Bien que la jurisprudence citée se soit développée principalement dans le cadre d’autres régimes législatifs, soient la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la preuve au Canada, il me semble que les principes qui s’en dégagent peuvent aussi s’appliquer dans le cadre de la LIPR.

[26] L’importance des enjeux dans les dossiers de certificats de sécurité ne peut, à mon avis, être minimisée pour les personnes visées.

[27] Les ministres ont le fardeau de prouver, selon une prépondérance de probabilité, que la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d’autrui, voir Charkaoui (Re), 2009 CF 342, [2010] 3 R.C.F. 66.

[28] Plusieurs facteurs dans mon dossier m’amènent à conclure que l’on ne doit pas écarter cette exigence, qui est de démontrer à la Cour que les efforts raisonnables ont été faits pour obtenir un consentement dans le présent dossier. Je retiens les facteurs suivants :

1) Le fait que les ministres ont déjà utilisé des informations en provenance de ces mêmes agences étrangères au soutien du rapport confidentiel de renseignement de sécurité (RRS);

2) Le fait qu’il existe des informations ou des renseignements en provenance d’agences étrangères est connu publiquement depuis l’émission publique du sommaire du rapport de renseignement;

3) Le fait qu’il est déjà connu que les autorités marocaines sont impliquées dans le dossier. Dans la décision du juge Noël dans Charkaoui (Re), 2005 CF 1670, [2006] 3 R.C.F. 325, il est relaté que le 10 septembre 2004 le Maroc signait un mandat d’arrêt international contre l’intéressé mentionnant que M. Charkaoui était membre actif du Groupe islamique des Combattants marocains (GICM);

4) Le fait qu’à ce stade, ce qui est demandé n’est que la quête d’un consentement;

5) Le fait que les avocats spéciaux ont ciblé leurs demandes en priorisant des éléments de renseignements qu’ils considéraient comme étant très importants afin de permettre à l’intéressé d’avoir une défense pleine et entière;

6) Le fait que certaines informations remontent à plusieurs années déjà et qu’en conséquence il est peu probable que leur caractère secret et confidentiel représente toujours un intérêt particulier pour le pays d’origine, Canada (Procureur général) c. Ribic, 2002 CFPI 1044;

7) Le fait que l’instance devant la Cour fédérale est la seule occasion pour l’intéressé d’être suffisamment informé de la thèse des ministres à l’égard de l’instance en cause et de pouvoir y répondre;

8) Le fait qu’une fois jugé raisonnable le certificat fait foi de l’interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur;

[29] Il me semble que la Cour est en droit de s’attendre, de façon minimale, à une simple démonstration que des efforts raisonnables ont été déployés pour obtenir un consentement. À mon avis, le fait de déposer à la Cour cinq certificats de sécurité concurremment ne peut faire obstacle au droit de l’intéressé, visé par le certificat devant moi, à l’application intégrale de la règle des tiers. Cette dernière ne peut être invoquée et recevoir application que lorsqu’elle sert la thèse des ministres. Elle se doit d’être appliquée objectivement.

[30] Il ne m’appartient pas de décider de l’importance de certains faits dans les autres dossiers dont je ne suis pas saisie. Il est possible que certains renseignements provenant de sources étrangères puissent être divulgués parce que l’information est neutralisée du fait, par exemple, qu’elle provenait de plus d’une source.

[31] De plus, cette règle ne s’applique pas dans un vacuum, elle fait partie d’un tout, et comme l’a expliqué le témoin, son application s’inscrit dans le cadre bien réel des relations journalières des diverses agences de renseignement et d’application de la loi. En conséquence, il m’est difficile de concilier cette affirmation avec le refus global non adapté aux circonstances en l’espèce et sans qu’une solution de rechange ne soit présentée de la part des ministres.

[32] Quant au préjudice invoqué, à mon avis, il proviendrait plutôt d’un manquement à la règle des tiers. Or, il n’est pas question dans le présent scénario de passer outre à la règle des tiers mais au contraire de s’assurer de son respect puisque la règle des tiers implique qu’une autorisation puisse être demandée. Si ce fait est connu, je suis d’avis qu’il rassurerait des agences étrangères que le Canada respecte ses ententes mais que, ce faisant, il déploie également les efforts nécessaires pour donner à un individu la possibilité de répondre aux allégations graves qui pèsent contre lui, le tout conformément aux valeurs canadiennes et aux obligations imposées par la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[33] La Cour suprême a rappelé dans Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326, aux paragraphes 50 et 54 :

L’évaluation du caractère raisonnable des certificats de sécurité […] se situe dans un contexte différent de celui du procès pénal […] l’importance des conséquences de la procédure pour la liberté et la sécurité de la personne visée mettent en cause des intérêts protégés pat l’art. 7 de la Charte […]

[…]

Ces certificats emportent des conséquences dont la gravité dépasse souvent celles de bien des accusations criminelles. [Mon soulignement.]

[34] En conséquence, la délivrance du certificat et ses conséquences exigent un grand respect pour l’équité procédurale due à la personne visée. Tout effort doit être fait pour lui permettre de répondre aux allégations qui lui sont reprochées.

[35] Je constate de surcroît qu’il ne s’agit pas ici de demander aux agences étrangères la divulgation de renseignements sensibles mettant en jeu, par exemple, l’identité de cible d’enquête ou de méthodes d’enquête mais uniquement de renseignements ciblés faisant l’objet des propositions de divulgation des avocats spéciaux qui peuvent être neutralisés en épurant les éléments qui pourraient être sensibles pour le pays d’origine.

[36] Quoi qu’il en soit, le Service a déjà démontré son aptitude à résumer certaines informations en provenance de certaines agences étrangères, de façon à en permettre la divulgation. Cette même bonne foi permettra certainement au Service de s’assurer que les efforts raisonnables ont été faits pour tenter d’obtenir le consentement.

[37] Afin de rencontrer le fardeau de preuve qui leur revient de convaincre la Cour suivant la norme de prépondérance de la preuve qu’une divulgation vers l’intéressé n’est pas possible parce qu’elle porterait atteinte à la sécurité nationale (alinéa 83(1)c) de la LIPR), la Cour ordonne aux ministres de venir faire rapport à la Cour des efforts raisonnables déployés par le Service pour obtenir le consentement des agences étrangères concernées en vue de permettre la divulgation des informations visées par les propositions des avocats spéciaux au dossier de M. Adil Charkaoui ou de prouver, pour chacune des agences concernées, qu’une telle demande de consentement à la divulgation neutre des informations leur serait refusée. Une audience à cet effet sera tenue à huis-clos à une date à être déterminée par la Cour.

ORDONNANCE

Afin de rencontrer le fardeau de preuve qui leur revient de convaincre la Cour suivant la norme de prépondérance de la preuve qu’une divulgation vers l’intéressé n’est pas possible parce qu’elle porterait atteinte à la sécurité nationale (alinéa 83(1)c) de la LIPR), la Cour ordonne aux ministres de venir faire rapport à la Cour des efforts raisonnables déployés par le Service pour obtenir le consentement des agences étrangères concernées en vue de permettre la divulgation des informations visées par les propositions des avocats spéciaux au dossier de M. Adil Charkaoui ou de prouver, pour chacune des agences concernées, qu’une telle demande de consentement à la divulgation neutre des informations leur serait refusée. Une audience à cet effet sera tenue à huis-clos à une date à être déterminée par la Cour.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.