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IMM-5340-00                        

2002 CFPI 844

David Hilewitz (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson--Toronto, 23 juillet et 8 août 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Résidents permanents -- Demande de contrôle judiciaire présentée à l'égard de la décision d'une agente d'immigration qui a refusé, en vertu de l'art. 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur pour le motif que l'un de ses fils à charge souffre d'un retard de développement qui est susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux s'il était admis au Canada -- Examen des principes établis par la jurisprudence -- L'agent des visas est tenu de considérer tous les éléments de preuve pour en arriver à sa propre conclusion au sujet du «fardeau excessif» -- Les moyens financiers du demandeur sont pertinents lorsque la question en litige concerne les services sociaux et non pas les services médicaux -- L'agente des visas a commis une erreur en ne tenant pas compte de la réponse du demandeur à l'avis médical initial selon lequel son fils n'était pas admissible, ainsi qu'en ne tenant pas des moyens financiers de la famille et du projet visant à créer un emploi protégé pour le fils.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'égard de la décision d'une agente des visas qui a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur pour le motif que l'un de ses fils souffre d'un retard de développement qui est susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux s'il était admis au Canada. Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration interdit l'admission au Canada de personnes qui souffrent d'une invalidité qui risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Le demandeur, un citoyen de la République d'Afrique du Sud, a demandé le droit de s'établir au Canada dans la catégorie des «investisseurs». Figuraient dans sa demande, à titre de personnes à charge, son épouse et ses deux fils, dont le plus jeune est né avec une lésion cérébrale. L'avis médical mentionnait que s'il était admis au Canada, il utiliserait probablement divers services sociaux comme des services d'éducation spécialisée, des services de relève pour les parents et une formation technique, entraînant ainsi un fardeau excessif pour les services sociaux. En réponse, le demandeur a transmis des documents supplémentaires au médecin agréé qui avait préparé l'avis médical, mentionnant que la famille n'avait jamais eu à utiliser les services sociaux offerts en Afrique du Sud pour leur fils et qu'elle avait déjà recherché les écoles privées à Toronto qu'il pourrait fréquenter et qu'elle songeait à mettre sur pied une entreprise qui permettrait d'assurer son avenir. Il a également remis des lettres émanant d'un psychologue clinicien et d'un médecin. Deux médecins ont estimé que les nouveaux documents ne modifiaient pas l'évaluation.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Selon la jurisprudence: 1) ce n'est pas le seul fait du retard de développement qui est pertinent; c'est plutôt la gravité et les conséquences probables de la gravité du retard susceptibles de se traduire par l'imposition d'un fardeau excessif sur les services gouvernementaux; 2) il est important de prendre en considération les services sociaux offerts dans la région du Canada où le demandeur souhaite s'établir; 3) l'agent des visas est tenu, sans mettre en doute l'opinion médicale et le diagnostic, de considérer tous les éléments de preuve pour en arriver à sa propre conclusion au sujet du «fardeau excessif»; 4) obligation d'examiner le caractère «unique» de chaque demandeur, y compris ses moyens financiers; et 5) l'importance particulière des moyens financiers du demandeur lorsque la question en litige concerne les services sociaux par opposition aux services médicaux, étant donné les différences qui existent entre les régimes de services sociaux et de services médicaux au Canada.

L'agente des visas a reconnu qu'elle n'avait pas vu la réponse qu'avait fournie le demandeur à l'avis médical. Elle n'a pas non plus tenu compte de l'incidence de la situation financière de la famille quant à la probabilité que le fils à charge puisse avoir recours aux services sociaux. Elle semblait ignorer que le demandeur avait prévu de fournir un emploi protégé pour son fils, sans faire appel aux programmes financés par l'État. L'agente des visas a commis une erreur en omettant de tenir compte de tous les documents fournis par le demandeur et qu'elle aurait pu consulter, ce qu'elle n'a pas fait, comme elle l'a reconnu, et qui étaient nécessaires à l'exécution de son obligation.

Le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés décrit en détail, la façon ont doivent être traitées les décisions prises aux termes de la Loi sur l'immigration et renvoyées au défendeur par la Cour pour nouvel examen lorsque ce nouvel examen n'a pas été effectué avant le 28 juin 2002. Par conséquent, la décision a été annulée et la demande de résidence permanente a été renvoyée au défendeur pour qu'elle soit examinée à nouveau par un autre agent, conformément au droit.

lois et règlements

Loi sur l'immigration, L.R.C., (1985), ch. I-2, art. 19(1)a)(ii).

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 350.

jurisprudence

décisions appliquées:

Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 625; [2002] A.C.F. no 980 (1re inst.) (QL); Deol c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration) (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 1; 145 N.R. 156 (C.A.F.); Ismaili c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 100 F.T.R. 139; 29 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); Poste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 5 Admin. L.R. (3d) 69; 140 F.T.R. 126; 42 Imm. L.R. (2d) 84 (C.F. 1re inst.).

distinction faite d'avec:

Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 301 (C.A.).

décision citée:

Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 141 F.T.R. 62; 42 Imm. L.R. (2d) 17 (C.F. 1re inst.).

Demande de contrôle judiciaire présentée à l'égard de la décision d'une agente d'immigration qui a refusé, en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur pour le motif que l'un de ses fils à charge souffre d'un retard de développement qui est susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux s'il était admis au Canada. Demande accueillie.

ont comparu:

Cecil L. Rotenberg, c.r., pour le demandeur.

Niveditha Logsetty, pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Cecil Rotenberg, c.r., Don Mills (Ontario) pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

Introduction

[1]Les présents motifs concernent une demande de contrôle judiciaire présentée à l'égard de la décision d'une agente d'immigration désignée (l'agente) du Consulat général du Canada à Seattle (État de Washington) qui a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur pour le motif que l'un des fils à charge du demandeur, Gavin Martin Hilewitz (Gavin):

[traduction] [. . .] fait partie d'une catégorie non admissible, à savoir celle des personnes visées par l'alinéa 19(1)a) de la Loi sur l'immigration de 1976, parce qu'il souffre d'un retard de développement qui, selon l'avis d'un médecin agréé confirmé par au moins un autre médecin agréé, est susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé s'il était admis au Canada.

La décision attaquée est datée du 15 septembre 2000.

Contexte

[2]Le demandeur, un citoyen de la République d'Afrique du Sud, a demandé le droit de s'établir au Canada dans la catégorie des «investisseurs». Figuraient dans sa demande, à titre de personnes à charge, son épouse et ses deux fils, dont le plus jeune, né le 19 août 1982, s'appelle Gavin.

[3]Le demandeur a été interrogé par l'agente le 9 décembre 1999. Les notes du STIDI concernant l'entrevue qu'a préparées l'agente se lisent en partie comme suit:

[traduction] Ce dossier soulève un problème de nature médicale. Le plus jeune fils de la PI [personne intéressée] est né avec une lésion cérébrale qui se serait produite au moment de l'accouchement. Il fréquente une école spécialisée qui a été mise sur pied par la PI. Il n'a pas besoin de soins de façon permanente. La PI a pris contact avec une école privée de la région de Toronto qui pourrait accueillir le garçon et dans laquelle il pourrait très facilement s'intégrer. Je leur ai fait savoir que leur fils serait probablement déclaré médicalement non admissible; je leur ai expliqué qu'ils avaient la possibilité de fournir d'autres documents médicaux et que l'on pouvait recommander l'octroi d'un permis ministériel (PM) document qui doit être ensuite approuvé par la province. Il semble que l'admission de la PI au Canada aurait des retombées financières positives pour la province, parce qu'elle essaierait d'attirer au Canada des investissements étrangers. Je lui ai également déclaré que ce serait à elle de me fournir les faits importants susceptibles d'appuyer une demande de PM.

[4]Un avis médical signé par le Dr J. Lazarus, un médecin agréé, le 7 décembre 1999, et approuvé par un autre médecin agréé, le Dr J. Saint-Germain, a été délivré. Voici la partie pertinente de l'exposé narratif de l'avis médical:

[traduction] RETARD DE DÉVELOPPEMENT

Ce demandeur de 17 ans, une personne à charge, est retardé sur le plan du développement et fonctionne au niveau d'un enfant de 8 ans. Il est en retard pour ce qui est de la compréhension et de la lecture et éprouve de la difficulté à résoudre des problèmes. Il est souvent distrait et impulsif. Il fréquente à l'heure actuelle une école spécialisée pour les élèves qui ont des difficultés d'apprentissage.

S'il est admis au Canada, lui et sa famille, le cas échéant, auront le droit d'utiliser, et utiliseront probablement, divers services sociaux comme des services d'éducation spécialisée, une formation permanente destinée à renforcer sa capacité d'exercer ses activités quotidiennes et à lui permettre d'atteindre son plein potentiel, des services de relève pour les parents et par la suite, une formation technique. Ces besoins dépassent de beaucoup ceux d'un Canadien moyen et entraîneront un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé canadiens.

Non admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

[5]Voici les passages pertinents du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration1:

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible:

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut:

[. . .]

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé2;

L'agente a envoyé une «lettre exigée par l'équité» au demandeur, datée du 22 mars 2000, dans laquelle elle donnait au demandeur la possibilité de répondre à l'avis médical. Voici les parties essentielles de cette lettre:

[traduction] J'ai reçu un avis médical indiquant que votre fils, Gavin Martin Hilewitz, souffre d'un retard de développement. L'avis d'un médecin au sujet de son état, qui a été approuvé par au moins un autre médecin agréé, contient ce qui suit:

[Passage cité plus haut dans les présents motifs.]

Cette information m'amène à conclure que cette personne à charge risque de causer un fardeau excessif sur les services sociaux ou de santé au Canada. Pour ce motif, je pourrais refuser votre demande de résidence permanente.

Avant de me prononcer sur l'admissibilité de Gavin, vous avez la possibilité de répondre à cette description de son état de santé en nous communiquant de nouveaux renseignements médicaux.

Le demandeur a eu un délai raisonnable pour transmettre de nouveaux renseignements médicaux. On lui avait demandé d'envoyer sa réponse au médecin agréé qui avait préparé l'avis médical.

[6]Le demandeur a effectivement répondu à la «lettre exigée par l'équité». Dans sa lettre, qui comprenait des documents supplémentaires, le demandeur a écrit ceci:

[traduction] Il est indéniable que Gavin ne fonctionne pas comme un garçon de 17 ans, pour ce qui est de son comportement et de ses capacités. Néanmoins, s'il est né avec une légère lésion cérébrale, la plupart de ses capacités fonctionnelles sont normales et bien supérieures à celles d'un enfant de 8 ans.

Dans la partie intitulée «État de santé physique», le demandeur a écrit:

[traduction] Son état général est celui d'une personne normale en bonne santé qui nécessite très rarement des soins médicaux comme l'indique la lettre ci-jointe de notre médecin généraliste, le Dr M. Blumberg.

Dans la partie intitulée «Études», le demandeur a écrit ce qui suit:

[traduction] Il a fréquenté une école spécialisée pendant neuf ans, au cours desquels nous n'avons jamais eu à demander une aide institutionnelle ni à utiliser les services sociaux offerts en Afrique du Sud.

[. . .]

Comme nous l'avons montré, nous n'avons jamais demandé d'aide institutionnelle ni utilisé de services sociaux pour élever notre fils et il nous est impossible d'imaginer que notre attitude sur ce point puisse changer à l'avenir.

Le demandeur écrit ensuite dans la partie intitulée «Capacités d'apprentissage»:

[traduction] Gavin excelle dans les sujets qui l'intéressent. Il se passionne, depuis sa tendre enfance, pour l'histoire naturelle et possède une mémoire exceptionnelle qui lui permet de retenir les noms et les moeurs de diverses espèces de dinosaures, requins et autres reptiles; il possède des connaissances que n'ont pas la plupart des adultes.

Avec l'arrivée d'Internet, nous avons installé chez nous un ordinateur pour lui. Très rapidement, il a appris à se brancher tout seul sur Internet, à visiter les sites qui l'intéressent, à imprimer le contenu de ces sites, à enregistrer l'information et à ouvrir et à fermer les fichiers, sans aucune aide extérieure.

Nous croyons que les encouragements constants que nous lui offrons, conjugués à son intérêt pour son ordinateur, lui permettront d'élargir ses connaissances générales et de progresser dans son éducation.

Sous les titres «Aptitudes sociales», «Pronostic» et «Formation technique», le demandeur poursuit:

[traduction] Nous avons joint une lettre préparée par un psychologue à qui nous avons demandé d'examiner Gavin. Il serait également bon que vous sachiez ce qui suit. Gavin est un charmant garçon, très attachant parce qu'il est sympathique et sincère. Nous l'avons souvent conduit à notre centre commercial local où il fait ses achats, va voir des films, mange au restaurant, fréquente les cafés Internet et les arcades vidéo, avec un camarade d'école ou seul. Il ne gaspille pas son argent, il s'amuse et nous appelle au téléphone lorsqu'il est prêt à rentrer à la maison. Il joue également au bowling à dix quilles, il va au zoo et au musée de guerre (un musée qui l'intéresse passionnément).

[. . .]

Il est essentiel qu'il continue à s'instruire. Nous y parviendrons en conjuguant la fréquentation d'une école privée et une formation continue en informatique qui lui donnera accès à une cyberlibrairie qui est tellement vaste qu'elle ne pourra qu'élargir ses connaissances générales, ses capacités de lecture et lui donnera accès à toute une gamme d'outils didactiques.

Pour ce qui est de ses études, nous avons recherché, au cours des voyages que nous avons faits à Toronto, les écoles qu'il pourrait fréquenter, les frais que cela entraînerait et surtout, la capacité de Gavin de répondre à leurs conditions d'admission. Nous avons rencontré, en présence de Gavin, des responsables du Shore Institute of Learning, qui nous ont répondu de façon très positive pour ce qui est d'accueillir Gavin dans leur établissement. Si nous obtenions un visa, nous pourrions explorer les nombreuses autres possibilités qu'offre le secteur de l'enseignement privé sans avoir à demander une aide financière.

[. . .]

Il est indéniable que Gavin devra occuper un emploi protégé. Je me suis occupé de nombreuses entreprises commerciales et industrielles au cours de mes 30 années de vie active et j'ai l'intention de mettre sur pied ou d'acheter une entreprise qui permettrait d'assurer l'avenir de Gavin. Par exemple, j'envisagerais sérieusement la possibilité d'acheter une franchise de jeux vidéo et autres pour laquelle j'emploierais des gestionnaires d'expérience en faisant participer Gavin à cette activité car il serait tout à fait capable de montrer la façon dont on utilise les jeux vidéo domestiques parce qu'il les connaît beaucoup mieux que la plupart des utilisateurs de ce genre de produit.

Enfin, après avoir mentionné l'appui des trois autres enfants qu'il a eus avec sa femme, qui sont tous plus âgés que Gavin, le demandeur termine ainsi:

[traduction] En conclusion, nous tenons à mentionner que nous sommes des gens très indépendants et très fiers qui ont vécu des moments difficiles et ont aussi connu des périodes très prospères. Pendant tout ce temps, nous avons toujours été indépendants et nous avons veillé à assurer la santé, la sécurité et le bonheur de Gavin. Nous pouvons vous garantir que cela ne changera jamais.

[7]La lettre de réponse du demandeur contenait de courtes lettres émanant d'un psychologue clinicien et d'un médecin qui suivait Gavin depuis dix ans. Cette lettre contenait également de nombreux documents concernant l'école de Gavin et ses résultats scolaires.

[8]Dans une lettre du 23 mai 2000, le Dr Saint-Germain, le médecin agréé qui avait approuvé l'avis médical initial concernant Gavin, a déclaré qu'il avait examiné les nouveaux renseignements contenus dans la réponse à la «lettre exigée par l'équité» ainsi que le dossier médical de Gavin et en était arrivé à la conclusion que les nouveaux documents «ne modifient pas l'évaluation actuelle de non admissible pour raisons médicales». Le Dr Walter G. Waddell, un médecin qui n'a pas participé à l'évaluation initiale, a souscrit à cette opinion. Il semble que le Dr Lazarus, le médecin qui avait préparé l'avis médical initial, n'a pas participé à l'examen des nouveaux documents.

[9]La lettre contenant la décision attaquée ici a été envoyée peu après.

[10]L'agente et le Dr Waddell ont déposé des affidavits dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Ces deux personnes ont été contre-interrogées. Il sera fait référence dans la partie des présents motifs consacrée à «l'analyse» à certaines réponses qu'ils ont fournies au cours de leur contre-interrogatoire.

Les questions en litige

[11]Les questions en litige dans cette demande de contrôle judiciaire sont exposées de la façon suivante dans le dossier de demande déposé pour le compte du demandeur:

[traduction]

A.     La catégorie des personnes non admissibles pour des raisons d'ordre médical mentionnée au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration comprend-elle les demandeurs atteints d'une déficience mentale et les personnes à leur charge?

B.     À titre subsidiaire, l'admission de ce demandeur particulier, compte tenu de son caractère unique, entraînerait-elle un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada?

C.     L'agente des visas a-t-elle écarté des éléments de preuve pertinents, mal apprécié les preuves présentées et tiré des conclusions manifestement déraisonnables, au point de constituer une erreur susceptible d'être révisée?

D.     Y a-t-il lieu de faire preuve de retenue à l'égard de la décision d'une agente qui connaissait mal la question qu'elle avait à trancher et n'avait pas d'expérience dans ce domaine? Le critère à appliquer à sa décision est-il celui de la décision correcte?

E.     L'agente des visas a-t-elle omis de respecter un principe de justice naturelle, d'équité procédurale et administrative, qui s'imposait à elle?

[12]Peu avant la date qui avait été fixée pour l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, l'avocat du demandeur a informé la Cour et l'avocat du défendeur qu'il ne plaiderait pas la première des questions en litige.

Analyse

1) La jurisprudence récente

[13]Dans l'arrêt Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3, mon collègue le juge McKeown était saisi d'une demande de contrôle judiciaire concernant la décision d'un agent des visas qui rejetait, pour la troisième fois, la demande de résidence permanente au Canada du demandeur pour le motif que sa fille avait une «déficience mentale» se situant entre légère et modérée (ce que l'on appelle aujourd'hui «un retard de développement» ou «une déficience intellectuelle») et était atteinte du syndrome de Down, ce qui avait amené deux médecins agréés à émettre l'opinion que son admission entraînerait probablement un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé au Canada. Le juge McKeown note qu'une des questions soulevées était celle de savoir si l'agent des visas avait commis une erreur en ne tenant pas compte du «caractère unique» de la fille du demandeur pour ce qui est des services sociaux. Au paragraphe 5 de ses motifs, le juge McKeown mentionne une décision antérieure de Mme le juge Reed [Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 141 F.T.R. 62 (C.F. 1re inst.)] concernant le rejet de la deuxième demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur. Il a écrit:

En ce qui concerne la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue en août 1996, la juge Reed a admis la demande concluant qu'il y avait eu transgression de l'équité en matière de procédure pour le motif que le demandeur n'avait pas répondu aux questions qui lui avaient été posées concernant l'avis du médecin selon lequel l'admission de sa fille au Canada entraînerait [traduction] «un fardeau excessif» pour les services sociaux canadiens. La juge Reed stipule au paragraphe 26 que:

Mais ce qui est encore plus important c'est qu'on n'a pas communiqué au requérant des renseignements concernant le fondement sur lequel cet avis a été rendu. Le requérant et son avocat souhaitaient répondre à la conclusion selon laquelle l'admission de la fille du requérant au Canada entraînerait, en raison de son état de santé, un fardeau excessif pour les services sociaux. Pour être en mesure d'une façon logique et intelligente, ils devaient être informés des facteurs considérés comme pertinents. À mon avis, la non-communication des renseignements demandés constitue un manquement aux principes de justice naturelle et aux règles d'équité.

La juge Reed note également qu'en vertu de la Loi sur les services aux personnes atteintes d'un handicap de développement de l'Ontario, les résidents canadiens qui ont les moyens de le faire sont tenus de payer les services sociaux dont ils bénéficient. Elle formule également un commentaire en passant concernant la nécessité de tenir compte de la situation particulière de la personne. Au paragraphe 31, elle indique que:

Comme j'en arrive à cette conclusion, il n'est pas, à strictement parler, nécessaire d'analyser les autres questions soulevées par l'avocat. Toutefois, je note qu'en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii), c'est l'admission de la personne qui doit être évaluée pour déterminer si un fardeau excessif en découlera. D'après mon interprétation de cette disposition, il faut examiner la situation particulière de cette personne, y compris, en l'espèce, l'offre du requérant d'établir un fonds en fiducie.

L'avocat de l'intimé fait valoir que les circonstances individuelles (particulièrement lorsqu'il s'agit de ressources financières au-dessus de la moyenne) ne doivent pas être prises en compte pour évaluer la non-admissibilité d'une personne pour des raisons médicales parce que nos services médicaux et sociaux sont offerts en s'appuyant sur le principe que toutes les personnes ont également droit à ces services, et que certaines personnes ne peuvent bénéficier d'avantages plus grands dans ces domaines simplement parce qu'elles ont plus de moyens que d'autres. Cet argument a beaucoup de poids. Toutefois, la catégorie en vertu de laquelle la demande du requérant a été approuvée aux fins de la résidence permanente est la catégorie des travailleurs autonomes, c'est-à-dire qu'il a déjà été approuvé à cause de ses ressources financières et de son expérience comme entrepreneur. Il semble donc avoir une incongruité entre le fait d'admettre une personne comme résidente permanente parce qu'elle a d'importantes ressources financières, mais de refuser de tenir compte de ces mêmes ressources pour évaluer l'admissibilité d'une personne à sa charge. Cela est d'autant plus vrai si les résidents canadiens eux-mêmes doivent payer pour les mêmes services sociaux s'ils ont les moyens de le faire. [Non souligné dans l'original.]

[14]Après avoir cité le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, tel que reproduit plus haut, le juge McKeown poursuit aux paragraphes 18 à 22 et 26 de ses motifs:

Dans l'arrêt Deol c. M.E.I. (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), le juge MacGuigan a soutenu que ce n'est pas le seul fait de la déficience mentale qui est pertinent, mais le degré et les conséquences probables en découlant lorsqu'il s'agit d'imposer un fardeau excessif aux services gouvernementaux. De même, dans la décision Ismaili c. M.C.I. (1995), 29 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), le juge Cullen tient compte des services sociaux offerts dans une région particulière du Canada où le demandeur souhaite s'établir. Dans cet arrêt, le juge Cullen stipule également que:

L'agent des visas--tout à fait indépendamment de la décision des médecins agréés--doit considérer si l'état de santé du requérant entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. L'agent des visas, sans mettre en doute l'opinion médicale et le diagnostic, doit considérer tous les éléments de preuve disponibles.

De plus, dans l'arrêt Poste c. M.C.I., [1997] A.C.F. no 1805 (1re inst.), le juge Cullen soutient que chaque requérant devrait être évalué en fonction de son «caractère unique».

Le demandeur soutient que l'aide à la famille devrait être prise en considération, mais que cela n'a pas été fait dans la présente affaire. Les médecins agréés ont prétendument fondé leur avis uniquement en fonction de l'admissibilité aux services et l'avis médical ainsi que la lettre de refus comportent des libellés tels que «admissible à des services [. . .]» et «il est probable que [. . .] nécessite des services [. . .]». Le demandeur affirme que sans une demande raisonnable formulée directement en vue d'obtenir une aide familiale et sans avoir énoncé ses intentions vis-à-vis des personnes à sa charge, aucune réponse intelligente ne peut être formulée en ce qui concerne l'observation «il est probable que [. . .] nécessite des services [. . .]». Dans la présente affaire, le demandeur a clairement indiqué que les soins que nécessite sa fille n'impliqueraient aucune participation communautaire.

À mon avis, le défendeur n'a pas commis d'erreur en omettant de tenir compte de la nécessité de fournir une aide familiale. Le Dr Giovinazzo, dans sa lettre datée du 31 décembre 1998, explique précisément que les médecins avaient été mis au fait de la nécessité de fournir une aide familiale à la fille du demandeur. Cependant, en dépit de cette aide, les médecins étaient d'avis que des services sociaux externes seraient nécessaires afin d'aider la fille du demandeur à acquérir une certaine autonomie et à lui apprendre à interagir avec les autres. Cette lettre indique également clairement que la situation particulière de la fille du demandeur a été prise en considération.

Les services de santé que peut nécessiter la fille du demandeur ne font pas l'objet d'un litige dans la présente affaire qui m'est soumise. En ce qui concerne les services sociaux, une personne doit être considérée comme admissible, et une telle demande nécessite de déterminer si [traduction] «le demandeur est en mesure de contribuer en tout ou en partie aux coûts qui en découlent» (Loi sur les services aux personnes ayant une déficience intellectuelle, L.R.O. 1990, ch. D.11 et le Règlement général, R.R.O. 1990, Règl. 272; Loi sur l'éducation, L.R.O. 1990, ch. E2). Par conséquent, il est probable que le demandeur soit tenu de payer pour tous les services requis parce qu'il a les moyens de le faire. Ainsi, leur admission au pays n'entraînera aucun fardeau excessif pour les services sociaux canadiens.

La jurisprudence est partagée concernant la question de savoir si les avoirs du demandeur doivent être pris en considération en déterminant si son admission risque d'entraîner un fardeau excessif sur les services sociaux. Bien que dans l'arrêt Ching Ho Poon c. M.C.I., [2000] A.C.F. no 1993 (1re inst.), le juge Pelletier a affirmé que les avoirs ne constituaient pas un fait pertinent, à mon avis, la meilleure approche est celle qu'a adoptée la juge Reed dans sa décision qu'elle a rendue précédemment relativement à l'affaire Wong lorsque qu'elle affirmait qu'il serait incongru d'admettre une personne comme résidente permanente parce qu'elle a d'importantes ressources financières, mais de refuser de tenir compte de ces mêmes ressources pour évaluer l'admissibilité d'une personne à sa charge. Une telle approche ne pourrait s'appliquer dans le cas de services médicaux, mais elle s'applique à l'égard des services sociaux.

[. . .]

Dans la présente affaire, les médecins agréés ont établi un diagnostic de l'état de santé de la fille du demandeur. Ils ont ensuite énoncé un large éventail de services sociaux qui seraient normalement disponibles et avantageux pour elle. Les médecins ont soutenu que les services offerts ne suffiraient pas et que par conséquent, les besoins de la fille du demandeur entraîneraient un fardeau excessif sur ces services. Cependant, la réponse du Dr Giovinazzo et la lettre de décision de l'agente n'indiquent pas que l'on ait tenu compte du type de services particuliers disponibles dans la collectivité où l'appelant a choisi de s'établir. À mon avis, il est important de noter qu'il s'agit ici de services sociaux et non de services médicaux. Au Canada, aucun particulier n'est autorisé à bénéficier de services médicaux privés. Cependant, il n'existe aucune restriction à l'égard des services sociaux, et comme le démontre la Loi sur les services aux personnes ayant une déficience intellectuelle, les résidents canadiens qui ont les moyens de le faire sont tenus de payer les services sociaux dont ils bénéficient. Conséquemment, puisqu'aucune preuve démontrant que les médecins ou l'agente des visas ont tenu compte des services particuliers disponibles dans la collectivité où le demandeur a choisi de s'établir ne m'a été présentée, il s'agit d'une erreur qui doit faire l'objet d'un nouvel examen. [Non souligné dans l'original.]

[15]Je note en particulier les points suivants qui sont tirés de la citation qui précède:

· la référence à la conclusion du juge MacGuigan dans l'arrêt Deol c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [(1992), 18 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.)] selon laquelle ce n'est pas le seul fait de la déficience mentale ou du retard de développement qui est pertinent; c'est plutôt la gravité et les conséquences probables de la gravité de la déficience ou du retard susceptibles de se traduire par l'imposition d'un fardeau excessif sur les services gouvernementaux;

· selon Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [(1995), 100 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.)], l'importance de prendre en considération les services sociaux offerts dans la région du Canada où le demandeur souhaite s'établir;

· encore une fois selon l'arrêt Ismaili, l'agent des visas est tenu, sans mettre en doute l'opinion médicale et le diagnostic, de considérer tous les éléments de preuve pour en arriver à sa propre conclusion au sujet du «fardeau excessif»;

· selon l'arrêt Poste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [(1997), 5 Admin. L.R. (3d) 69 (C.F. 1re inst.)], l'obligation d'examiner le caractère «unique» de chaque demandeur, y compris ses moyens financiers;

· l'importance particulière des moyens financiers du demandeur lorsque la question en litige concerne les services sociaux par opposition aux services médicaux, étant donné les différences qui existent entre les régimes de services sociaux et de services médicaux au Canada.

[16]Plus récemment, le juge Evans parlant au nom d'une cour d'appel unanime, a rédigé les motifs dans l'arrêt Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4. La Cour était saisie d'un appel d'une décision de la Section de première instance concernant le contrôle judiciaire du refus d'accorder des visas aux membres de la famille du demandeur qu'il parrainait pour le motif que le père du demandeur, une des personnes demandant un visa, avait été déclaré non admissible pour des raisons médicales, à cause du fardeau qu'il représenterait pour les services médicaux plutôt que pour les services sociaux.

[17]Aux paragraphes 22 à 24 de ses motifs, le juge Evans a examiné en détail la question du «fardeau excessif» et a écrit ce qui suit:

À mon avis, les frais peuvent, à eux seuls, constituer un «fardeau excessif» au sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii). Dans le jugement Poon le juge Pelletier a convenu que, même s'ils ne sont pas mentionnés dans la Loi ou le Règlement, les coûts constituent un facteur pertinent. Le volet du critère de la non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical qui se rapporte au «fardeau excessif» témoigne de la volonté du législateur de protéger les ressources publiques consacrées aux soins de la santé contre toute demande exceptionnellement lourde.

Je tiens par ailleurs à signaler que l'expression que l'on trouve dans la loi est «fardeau excessif» et non «demande excessive». L'expression «demande excessive» aurait bien pu être considérée comme le pendant de l'expression «offre insuffisante». Or, on peut, sans forcer le sens des mots, interpréter l'expression «fardeau excessif» comme englobant à la fois les coûts et la disponibilité des services de santé dont un demandeur de visa aura probablement besoin s'il est admis au Canada.

De plus, il serait irréaliste de dissocier les coûts de la disponibilité. Si un nombre suffisant de personnes nécessitent des services de santé qui coûtent cher mais qui font l'objet d'une faible demande, il se peut qu'on doive réaffecter des ressources déjà consacrées à d'autres services pour lesquels la demande est plus élevée, créant ou allongeant ainsi la liste d'attente pour ces services. Il est également possible qu'une demande accrue pour un service déterminé empêche la redistribution de ressources en faveur de services pour lesquels il existe une pénurie. [Citation omise; soulignement ajouté.]

[18]Aux paragraphes 38 et 46, le juge Evans a déclaré:

Il semble que, pour déterminer quels services de la santé M. Singh utiliserait probablement s'il était admis au Canada, la Commission a considéré comme un facteur pertinent le fait qu'il avait choisi de renoncer à l'intervention chirurgicale. Je suis d'accord pour dire qu'il s'agit là d'un facteur pertinent. Je conviens par ailleurs aussi avec la Commission que les éléments de preuve selon lesquels un demandeur de visa peut choisir de ne pas subir une intervention chirurgicale ne saurait constituer un facteur déterminant pour décider si l'admission de cette personne au Canada risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé. On ne peut renoncer pour l'avenir au droit de se prévaloir des services de santé financés à même les fonds publics dont on pourrait avoir besoin.

[. . .]

Ainsi qu'il a déjà été jugé dans plusieurs décisions, il n'est pas possible de faire respecter un engagement personnel de payer les services de santé qui peuvent être nécessaires après que l'intéressé a été admis au Canada en tant que résident permanent si les services peuvent être obtenus sans obligation de paiement. Le ministre n'a pas la faculté d'assujettir l'admission d'une personne au Canada à titre de résident permanent à la condition que cette personne ne demande pas de remboursement du régime d'assurance-maladie de la province ou qu'elle promette de rembourser le coût de tout service utilisé (voir, par exemple, les jugements Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995), 98 F.T.R. 308, au par. 30, Cabaldon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 140 F.T.R. 296, au par. 8, et Poon, précité, aux par. 18 et 19. [Soulignement ajouté; citation ajoutée.]

[19]L'avocat du défendeur m'a invité à voir dans l'arrêt Deol une décision touchant également la question du fardeau excessif pour les services sociaux que risquerait d'entraîner l'admission d'une personne donnée. Je me refuse à le faire. Je suis convaincu que la distinction entre les régimes canadiens de services médicaux et de services sociaux sur laquelle le juge McKeown insiste dans l'arrêt Wong, précité, que j'ai cité abondamment, combinée avec les passages des motifs du juge Evans dans l'arrêt Deol, précité, où il fait référence au souci du législateur d'éviter tout «fardeau excessif» ou «fardeau inhabituel» pour les fonds publics consacrés à la santé, aux «services de santé financés par des fonds publics» et aux demandes faites «aux régimes d'assurance-santé des provinces» est une distinction qui doit se refléter sur le plan de l'analyse.

(2) Le rôle de l'agente sur la question de savoir si le retard de développement de Gavin entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux

[20]Je reviens à la brève citation des motifs du juge Cullen dans l'arrêt Ismaili, précité,5 citée par le juge McKeown dans l'arrêt Wong, précité, et citée plus haut dans les présents motifs dans le contexte des passages des motifs du juge McKeown. Je reprends ici ce bref passage de l'arrêt Ismaili pour des raisons [précité au paragraphe 14] de commodité:

L'agent des visas--tout à fait indépendamment de la décision des médecins agréés--doit considérer si l'état de santé du requérant entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. L'agent des visas, sans mettre en doute l'opinion médicale et le diagnostic, doit considérer tous les éléments de preuve disponibles.

[21]Les services sociaux dont il est question ici sont une éducation et une formation spécialisées, un emploi protégé et des soins de relève. L'agente a reconnu au cours du contre-interrogatoire qu'il ne serait sans doute pas nécessaire de fournir à la famille des soins de relève6. En outre, l'agente a reconnu qu'elle n'avait pas vu la réponse qu'avait fournie le demandeur à la «lettre exigée par l'équité»7. De la même façon, l'agente a reconnu qu'elle était tenue de vérifier si l'avis médical qui lui avait été transmis était raisonnable, en se fondant sur les documents présentés8 et je suis convaincu que la référence aux «documents» vise tous les documents pertinents qui, d'après les faits de l'espèce, comprennent certainement la réponse fournie à la «lettre exigée par l'équité».

[22]Voici l'échange de questions et de réponses qui a eu lieu entre l'avocat du demandeur et l'agente des visas au cours de son contre-interrogatoire:

[traduction]

Q. C'est exact, il aurait le droit de bénéficier de ces services. La question est toutefois la suivante: est-il probable qu'il en aura besoin?

R. Vous voyez, je ne [. . .]

Q. C'est bien là la question, n'est-ce pas?

R. Avez-vous pensé à l'avenir? C'est impossible à prévoir. Aura-t-il probablement besoin de ces services? Est-ce que l'absence de probabilité veut dire l'absence de possibilité qu'il ait besoin de ces services? D'après moi, non. À l'heure actuelle, M. Hilewitz est un homme très prospère qui aime beaucoup son fils et qui a jusqu'ici assumé tous les frais qu'entraînaient les soins dont avait besoin Gavin, et je suis sûr qu'il a l'intention de continuer à le faire mais voyez-vous, je ne sais pas ce qui arrivera à l'avenir. Il est très difficile de prédire l'avenir.

Par exemple, s'il devenait tout à coup incapable d'assumer ces frais, Gavin n'aurait-il pas alors besoin de services sociaux et n'exercerait-il pas son droit de les utiliser? D'après ce que je sais, il n'existe aucune disposition législative qui limite le droit d'accès de Gavin à des services sociaux, compte tenu de sa capacité de payer, dans le cas où il serait admis en tant que résident permanent. Le fait d'avoir droit à ces services ne veut pas dire qu'il les utilisera probablement, mais cela constitue une possibilité et c'est ce dont il faut, je crois, tenir compte. Cela me paraît tout à fait raisonnable9. [Non souligné dans l'original.]

[23]L'agente a poursuivi:

[traduction] Je ne pense pas que l'absence d'éléments de preuve concernant la probabilité que ces services soient utilisés à l'avenir, et par conséquent, la situation financière du demandeur, me donne le droit d'écarter une conclusion médicale. En fait, ce n'est pas le cas. La loi ne donne pas aux agents des visas le pouvoir de traiter les gens différemment, selon leur situation financière10. [Non souligné dans l'original.]

[24]L'agente a reconnu au cours du contre-interrogatoire que le demandeur l'avait informée du fait que Gavin serait placé dans une école privée. Elle a donné foi aux déclarations du demandeur sur ce point. Elle semblait toutefois ignorer que le demandeur avait prévu de fournir un emploi protégé pour son fils, sans faire appel aux programmes financés par l'État.

[25]Par rapport aux obligations qui s'imposent à l'agent des visas, telles que formulées par le juge Cullen dans la citation de l'arrêt Ismaili reproduite ci-dessus, je suis convaincu que l'agente a mal compris son obligation d'examiner si l'état de santé de Gavin entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux, qu'elle a tout simplement omis de tenir compte de tous les documents fournis par le demandeur et qu'elle aurait pu consulter, ce qu'elle n'a pas fait, comme elle l'a reconnu, et qui étaient nécessaires à l'exécution de son obligation. J'en arrive à cette conclusion en me fondant en particulier sur la décision prononcée par le juge McKeown dans Wong, précité, et sur les principes qui se dégagent de cette décision et qui sont reproduits plus haut dans les présents motifs.

[26]Pour cette raison, et pour cette seule raison, je suis convaincu que l'agente a commis une erreur susceptible d'être révisée, parce qu'elle a omis d'examiner tous les documents qui étaient à sa disposition, parce qu'elle a mal compris la nature de son obligation qui consistait à examiner l'avis médical sur lequel elle a fondé le rejet de la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur, et que, par conséquent, elle a mal exécuté cette obligation.

[27]Il est par conséquent fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

3) Autres questions en litige

[28]Je reconnais que je n'ai pas abordé directement les quatre autres questions toujours en litige et qui ont été soumises au tribunal pour le compte du demandeur. J'estime que l'analyse à laquelle j'ai procédé répond aux deux premières questions. La troisième question est fondée sur une hypothèse que les éléments de preuve présentés m'obligent à écarter. Je ne suis pas convaincu que les preuves indiquent que l'agente [traduction] «. . . connaissait mal la question qu'elle avait à trancher et n'avait aucune expérience dans ce domaine». Pour répondre brièvement à la quatrième question en litige, celle de savoir si l'agente a omis de respecter un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale et administrative qui s'imposait à elle, je suis convaincu qu'il y a lieu d'y répondre par la négative.

Mesures de réparation demandées

[29]Dans le mémoire de fait et de droit déposé pour le compte du demandeur, sous la rubrique «ordonnance recherchée», l'essentiel du dernier paragraphe se lit ainsi:

[traduction]

a) Une ordonnance de certiorari annulant la décision de l'agente des visas Virginia Hughes, datée du 15 septembre 2000;

b) Une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur d'examiner la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur, conformément à la Loi sur l'immigration (la Loi) et à toute autre règle de droit applicable;

c) Une ordonnance déclarant que la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur doit être examinée dans les 90 jours de l'ordonnance, par un autre agent des visas, et sans examiner plus avant la question du fardeau excessif pour ce qui est de Gavin, le fils du demandeur;

d) Les dépens de l'instance;

e) Et toute autre mesure de réparation que la Cour estime juste.

[30]Au cours de l'audience, l'avocat du demandeur a fait savoir qu'il souhaitait compléter les mesures de réparation recherchées et modifier la demande relative aux dépens pour qu'ils soient calculés sur la base avocat-client. À la demande de la Cour, l'avocat a confirmé la modification apportée aux mesures de réparation recherchées dans une lettre adressée à la Cour, dont une copie a été envoyée à l'avocat du défendeur. Voici l'essentiel de la communication transmise à la Cour:

[traduction] Le demandeur souhaite que soient modifiées les mesures de réparation demandées pour qu'en cas de succès, la Cour accorde non seulement un certiorari, annulant la décision de Virginia Hughes, mais un mandamus ordonnant que l'affaire soit renvoyée et traitée conformément à la Loi sur l'immigration et à son Règlement conformément aux directives suivantes:

a.     Il ne sera pas procédé à d'autres examens médicaux concernant le défendeur, Gavin Hilewitz, au sujet de son retard de développement ou de sa déficience mentale.

b.     L'avis médical concernant le retard de développement ou la déficience mentale de la personne à charge, Gavin Hilewitz, le cas échéant, sera fondé sur les critères suivants:

i.     Gavin sera considéré comme un demandeur à charge et non pas comme un demandeur indépendant;

ii.     La demande éventuelle de services tiendra compte de son lieu d'établissement;

iii.     L'utilisation éventuelle des services sociaux sera fondée sur la probabilité que la famille Hilewitz ait effectivement recours à ces services;

iv.     Les services sociaux mentionnés seront de nature obligatoire, c'est-à-dire que la personne à charge sera obligée de faire appel à ces services et n'aura d'autre choix que de les utiliser;

v.     Les services dont il est allégué qu'ils seront probablement utilisés donneront lieu à une évaluation de leur coût et de leur disponibilité en se fondant sur le lieu d'établissement prévu, c'est-à-dire, Toronto.

c.     Les conclusions de la Cour, y compris les faits contenus dans l'affidavit du demandeur, et qui n'ont pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire, constitueront le cadre factuel à l'intérieur duquel l'avis médical sera formulé.

d.     L'opinion du service médical, le cas échéant, sera transmise dans les trente jours de la date de l'ordonnance de la Cour et dans les termes précisés ci-dessus. Par la suite, le demandeur aura également trente jours pour fournir une réponse visant à réfuter ledit avis, le cas échéant, et à son tour, le défendeur pourra examiner les éléments de preuve présentés en réponse et montrer par écrit pourquoi ils ne trouvent pas application, là encore, dans les trente jours.

e.     Dans le cas où le rapport préparé par les médecins concernant l'utilisation probable des services sociaux ne serait pas remis à l'avocat du demandeur dans le délai de trente jours prévu, le dossier sera alors traité en vue de la délivrance du visa, comme si aucun avis médical n'allait être déposé.

[31]Le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés11, qui est entré en vigueur le 28 juin 2002, décrit en détail, à partir de l'article 350, la façon dont doivent être traités les décisions et les actes du défendeur ou d'un agent d'immigration pris aux termes de la Loi sur l'immigration et renvoyés au défendeur par la Cour pour nouvel examen lorsque ce nouvel examen n'a pas été effectué avant le 28 juin 2002. Je suis convaincu qu'une ordonnance de la Cour qui renverrait cette affaire pour nouvel examen conformément à la Loi sur l'immigration et son Règlement serait en fait illégale. Je ne suis donc pas disposé à prononcer une telle ordonnance. Je ne suis pas non plus disposé à dicter les termes qui devraient s'appliquer au réexamen de la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur.

Mesures de réparation accordées

[32]La Cour prononce une ordonnance annulant la décision attaquée et renvoyant au défendeur la demande de résidence permanente au Canada du demandeur pour qu'elle soit examinée à nouveau par un autre agent, conformément au droit.

[33]Je ne vois, dans les documents présentés, aucun élément qui justifierait une ordonnance attribuant au demandeur les dépens sur la base avocat-client. La Cour accorde donc au demandeur des dépens calculés selon le barème habituel.

Certification d'une question

[34]À la fin de l'audience, j'ai indiqué que je présenterais les motifs et donnerais ensuite aux avocats la possibilité de présenter des arguments sur la question de savoir si cette affaire soulève une question grave de portée générale justifiant la certification d'une question qui pourrait constituer un motif d'appel de ma décision. Les avocats auront 14 jours à partir de la date du prononcé des présents motifs pour signifier et déposer leurs arguments au sujet de la certification d'une question. Les arguments proposant la certification d'une question devraient être signifiés et déposés suffisamment rapidement au cours de cette période de 14 jours pour que l'autre partie puisse fournir des arguments en réponse, si elle l'estime approprié.

1 L.R.C. (1985), ch. I-2.

2 L'art. 19(1)a) de la Loi sur l'immigration a été abrogé et remplacé par le paragraphe 11(1) des L.C. 1992, ch. 49. Cependant, au moment des faits, les nouvelles dispositions n'étaient pas encore en vigueur.

3 2002 CFPI 625; [2002] A.C.F. no 980 (1re inst.) (QL).

4 [2003] 1 C.F. 301 (C.A.).

5 (1995), 100 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.).

6 Dossier du demandeur, onglet 4, p. 79, question 69.

7 Dossier du demandeur, onglet 4, p. 72 et 73, question 46.

8 Dossier du demandeur, onglet 4, p. 73 et 74, questions 49 à 51.

9 Dossier du demandeur, onglet 4, p. 75 et 76.

10 Dossier du demandeur, onglet 4, p. 77, question 60.    

11 DORS/2002-227.

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