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A-662-01

2003 CAF 128

Tod T. Manrell (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Manrell c. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Sexton et Sharlow, J.C.A.-- Vancouver, 15 janvier; Ottawa, 11 mars 2003.

Impôt sur le revenu -- Calcul du revenu -- Gains et perte en capital -- Paiement par l'acquéreur d'actions en contrepartie d'un engagement de non-concurrence -- S'agit-il d'un gain en capital imposable? -- 4 millions de dollars versés aux actionnaires qui vendaient les actions de trois entreprises de fabrication d'articles en matière plastique -- Le contribuable a déclaré ces paiements comme étant des gains en capital, se prévalant des réserves autorisées par la loi comme s'il s'agissait de paiements sur un certain nombre d'années -- À la suite de la décision Fortino c. Canada (où il a été statué que les paiements de non-concurrence constituaient des rentrées de capital non imposables), il a demandé de nouvelles cotisations réduisant à zéro les gains en capital -- Refus d'établir de nouvelles cotisations confirmé par la C.C.I. -- Question soumise à la C.A.F.: la disposition d'un «droit de faire concurrence» satisfait-elle à la définition du mot «biens» figurant à l'art. 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu? -- Appel accueilli -- Le «droit de faire concurrence» est-il un «droit de quelque nature qu'il soit»? -- Le contribuable prétend que le «droit de faire de la concurrence» est simplement la liberté de toute personne d'exploiter une entreprise, et qu'il ne s'agit pas d'un droit exclusif qui peut donner lieu à une demande contre une autre personne -- Dans l'interprétation des lois fiscales, les tribunaux doivent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur une intention non explicite, par crainte de rompre l'équilibre établi par le législateur -- Il est loisible au législateur d'être précis quant aux méfaits qu'il veut prévenir -- La Loi de l'Impôt de Guerre sur le Revenu n'a pas défini le mot «biens» -- Critiques formulées à l'égard de cette loi -- La Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 a défini le mot «biens» -- Les «biens» constituent l'une des trois sources de revenu mentionnées -- La Loi de 1948 n'a pas élargi le sens du mot «biens» -- Les modifications subséquentes apportées à Loi de 1948 n'ont pas changé le sens de ce mot -- La jurisprudence a reconnu que le mot «biens» avait un sens fort large en matière fiscale, mais il n'a pas été dit que tout ce qui a une valeur est un «bien» -- L'expression «droit de quelque nature qu'il soit» n'a pas un sens illimité -- Aucune décision n'établit que le mot «biens» comprend un droit qui ne comporte pas une demande exclusive légalement exécutoire -- Ce à quoi a renoncé le contribuable n'est pas un «bien» au sens de la définition législative -- Les décisions étrangères sont de peu d'utilité, le contexte législatif étant différent -- La Cour peut être tentée de légiférer au lieu d'interpréter la loi, parce que la décision sera considérée non satisfaisante sur le plan de la politique fiscale, mais les questions de politique fiscale relèvent du législateur.

Interprétation des lois -- La disposition d'un «droit de faire concurrence» dans un contrat de vente d'actions satisfait-elle à la définition du mot «biens» figurant à l'art. 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu? -- Nécessaire de comprendre le régime de la Loi, pour ce qui est des gains en capital imposables -- Le «droit de faire concurrence» est-il un «droit de quelque nature qu'il soit» et partant un «bien»? -- La Couronne prétend que l'expression «les droits de quelque nature qu'ils soient» est suffisamment générale pour inclure des droits qui ne comportent pas les caractéristiques habituelles d'un bien -- Dans l'interprétation des lois fiscales, les tribunaux font preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur une intention non explicite, parce qu'ils risquent de rompre l'équilibre qu'a établi le législateur entre d'innombrables considérations -- Le législateur peut être précis quant aux méfaits à prévenir -- Sens ordinaire du mot «biens» -- La Loi de l'Impôt de Guerre sur le Revenu n'a pas défini le mot «biens» -- Cette loi a fait l'objet de critiques selon lesquelles elle n'était pas suffisamment précise et conférait un pouvoir ministériel trop étendu -- Dispositions désuètes, dont certaines remontent à une loi britannique de 1806 -- La Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 a amélioré la clarté de la rédaction juridique; elle n'a pas effectué une réforme fiscale en profondeur -- Elle a défini le mot «biens» en vue d'assurer plus de certitude -- Elle n'a pas élargi le sens du mot «biens» -- Cette définition a été modifiée trois fois, mais la version de 1948 est au coeur de la définition actuelle -- Les modifications ont modernisé la terminologie, mais elles n'ont pas élargi la définition -- Comparaison avec la modification de 1982, qui vise les travaux en cours d'une entreprise qui constitue une profession libérale -- Le mot «biens» est interprété largement en matière fiscale, mais la jurisprudence n'a pas dit que tout ce qui a une valeur est un «bien» -- L'expression «un droit de quelque nature qu'il soit» n'a pas un sens illimité; elle n'a pas un sens qui étend la portée de la Loi au-delà de ce que le législateur a envisagé -- Aucune décision n'établit que le mot «biens» comprend un droit qui ne comporte pas une demande exclusive légalement exécutoire -- Les décisions étrangères sont d'une importance limitée compte tenu du contexte législatif différent -- On pourrait être tenté en l'espèce de légiférer au lieu d'interpréter la loi, parce que la décision sera considérée non satisfaisante sur le plan de la politique fiscale -- C'est au législateur de traiter des questions de politique fiscale.

Il s'agit en l'espèce de déterminer si un paiement par un acquéreur d'actions en contrepartie de la promesse de ne pas faire concurrence pour une période déterminée dans un territoire déterminé donne lieu à un gain en capital imposable.

Le contribuable, Manrell, possédait ou contrôlait trois sociétés en exploitation dans le domaine de la fabrication d'articles en matière plastique. Une société canadienne à numéro a accepté d'acheter toutes les actions et la dette d'actionnaire des trois sociétés, sauf celles de l'une d'entre elles qui appartenait à une société du Delaware. L'une des conditions de la convention d'achat d'actions exigeait que l'acquéreur verse 4 millions de dollars aux actionnaires qui vendaient les actions, en contrepartie d'une entente de non-concurrence. La convention comportait aussi une disposition suivant laquelle les vendeurs ne pouvaient avoir aucun intérêt dans une organisation concurrente, notamment à titre d'employé, de dirigeant, d'administrateur, d'agent, de détenteur de titre, d'associé, de créancier, de consultant, de concédant de licence ou de preneur de licence. Le contribuable était l'un des «vendeurs» mentionnés dans cette disposition. L'entente exigeait également que le contribuable cède à l'acquéreur tous les «droits, titres et intérêts» afférents à une «innovation» (y compris le savoir-faire), qu'il protège les secrets commerciaux des sociétés en exploitation et qu'il ne recrute pas d'employés des sociétés en exploitation. La contrepartie payée pour l'entente de non-concurrence n'a pas été répartie entre l'engagement relatif à la non-concurrence et les autres engagements. Les deux parties ont débattu le présent appel en se fondant sur la prémisse selon laquelle presque toute la contrepartie versée se rapportait à l'engagement relatif à la non-concurrence.

Dans ses déclarations pour les années 1995, 1996 et 1997, le contribuable a déclaré les paiements de non-concurrence qu'il a reçus comme étant inclus dans le produit de la disposition des actions, augmentant ainsi son gain en capital imposable. Il s'est prévalu des réserves autorisées par la loi en vue d'échelonner ce gain sur les années au cours desquelles les paiements étaient reçus. Toutefois, en 1997, dans la décision Fortino c. Canada, il a été statué que les paiements de non-concurrence constituaient des rentrées de capital non imposables. En 2000, la Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel interjeté par la Couronne contre cette décision. Le contribuable a par la suite demandé de nouvelles cotisations pour les années 1996 et 1997, qui réduiraient à zéro les gains en capital imposables qu'il avait déclarés. Les oppositions du contribuable et l'appel qu'il a interjeté devant la Cour canadienne de l'impôt ont été rejetés.

Dans le présent appel, la Couronne n'a avancé qu'un seul argument, à savoir que les paiements de non-concurrence sont le produit de la disposition d'un «droit de faire concurrence», droit qui satisfait à la définition du mot «biens» figurant au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le contribuable a soutenu que le «droit de faire concurrence» n'est pas visé par la définition législative du mot «biens», mais que, si ce droit est visé par la définition législative, il ne l'a pas aliéné.

Arrêt: l'appel est accueilli.

Il faut comprendre le régime de la Loi, pour ce qui est des gains en capital imposables. Si une personne vend un bien qui satisfait à la définition législative du mot «biens» pour un montant qui excède le coût du bien, plus toute dépense engagée aux fins de la vente, un gain en capital imposable est réalisé (à supposer que la vente soit imputable au capital, comme c'est le cas en l'espèce). Il faut donc se demander si le «droit de faire concurrence» est un «droit de quelque nature qu'il soit» et partant un «bien» pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu.

La Couronne a prétendu que l'expression «les droits de quelque nature qu'ils soient» est suffisamment générale pour inclure des droits qui ne comportent pas les caractéristiques habituelles d'un bien. Compte tenu de son expérience et de sa compétence, le contribuable aurait pu réaliser des profits en faisant concurrence aux sociétés en exploitation une fois les actions vendues, et cela aurait été au détriment de ces sociétés. C'est la raison pour laquelle l'engagement de non-concurrence avait une telle valeur pour l'acquéreur. À cause du lien inextricable existant entre la valeur des sociétés et le paiement reçu pour l'engagement de non-concurrence, le paiement devrait être comptabilisé aux fins de l'impôt sur le revenu. Le contribuable a soutenu que ce que la Couronne qualifie de «droit de faire de la concurrence» est simplement la liberté de toute personne d'exploiter une entreprise--une liberté personnelle plutôt qu'un droit exclusif qui peut donner lieu à une demande contre une autre personne.

Selon la Cour suprême du Canada, dans l'interprétation des lois fiscales où le législateur tente d'établir un équilibre entre d'innombrables principes, les tribunaux doivent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur une intention non explicite, et ce, parce qu'ils risquent alors de rompre l'équilibre que le législateur a tenté d'établir. Pour ce qui est de l'anti-évitement, étant donné que la Loi comporte de nombreuses dispositions anti-évitement particulières, lorsque des inquiétudes sont exprimées concernant l'évitement de l'impôt, les tribunaux ne doivent pas s'empresser de renforcer ces dispositions de la Loi. Il est loisible au législateur d'être précis quant aux méfaits qu'il veut prévenir.

Suivant son sens ordinaire en droit, le mot «biens» constitue un ensemble de droits--une collection de droits sur des choses qu'il est possible d'exercer contre d'autres personnes. Il vise la revendication d'objets corporels et d'objets incorporels. Le droit général de faire une chose que n'importe qui peut faire n'est pas le «bien» de qui que ce soit. Quel que soit ce à quoi le contribuable avait renoncé en signant l'entente de non-concurrence, il ne s'agissait pas d'un «bien»--du moins au sens ordinaire de ce mot.

La Loi de l'Impôt de Guerre sur le Revenu, qui a été remplacée par la Loi de l'impôt sur le revenu en 1948, ne comportait aucune définition du mot «biens». La première Loi avait fait l'objet de critiques selon lesquelles elle n'était pas suffisamment précise et conférait un pouvoir ministériel trop étendu. Les avocats et les comptables étaient d'avis que le libellé de cette Loi ne permettait plus à la législation de remplir son rôle dans la structure économique fort différente du pays. Un grand nombre de ses dispositions étaient désuètes et certaines d'entre elles figuraient dans la loi anglaise édictée en 1806. La Loi de 1948 visait à améliorer la clarté de la rédaction juridique plutôt qu'à effectuer une réforme fiscale en profondeur. Le mot «biens» y a été défini pour la première fois, très probablement en vue d'assurer plus de certitude. Cette définition figurait à l'alinéa 127(1)af); elle est ainsi libellée: «"biens" signifie des biens de toute nature, qu'ils soient réels ou personnels, corporels ou incorporels, et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, comprend un droit de quelque nature que ce soit, une action ou un droit incorporel». L'expression «un droit de quelque nature que ce soit» vise-t-elle un droit non exclusif d'exploitation d'une entreprise possédé conjointement? La Loi de1948 a introduit le concept de l'imposition du revenu en fonction de la source, les «biens», les «entreprises» et les «charges» constituant les trois sources de revenu mentionnées. Le mot «biens» visait de toute évidence les créances qui portaient intérêt, les actions qui accordaient des dividendes, les biens immobiliers qui généraient un revenu de location ainsi que les ressources et les droits de propriété intellectuelle qui produisaient des redevances. La Loi de 1948 n'a pas élargi le sens du mot «biens». Cette définition a été modifiée trois fois, mais la définition de 1948 est au coeur de la définition actuelle. Les modifications paraissent avoir été apportées pour moderniser la terminologie et assurer une plus grande certitude, plutôt que pour élargir le sens ordinaire du mot «biens». Cela peut être comparé avec l'élargissement du sens législatif du mot «bien» en 1982 pour qu'il vise les travaux en cours d'une entreprise qui constitue une profession libérale. Cela donne à entendre que le législateur ne considérait pas un droit virtuel--comme les travaux en cours--comme étant visé par la définition antérieure à 1982.

La jurisprudence appuie en fait la proposition suivant laquelle le mot «biens» peut être interprété largement, en particulier en matière fiscale. Lord Langdale a dit une fois que le mot «biens» «sert à désigner et à décrire tous les droits possibles» qu'une personne peut avoir. Dans les motifs de la Cour dans Canada c. Kieboom, on a reconnu que, dans le contexte fiscal, le mot «biens» a un sens fort large, mais on ne va pas jusqu'à dire que tout ce qui a une valeur est un «bien». En outre, bien qu'elle ait également un sens large, l'expression «un droit de quelque nature qu'il soit» n'a pas un sens illimité et on ne saurait lui attribuer un sens qui étendrait la portée de la Loi au-delà de ce que le législateur a envisagé. Ce serait, par exemple, aller trop loin que d'affirmer que, lorsqu'elle reçoit une indemnité pour une lésion corporelle, la personne blessée a disposé d'un bien en immobilisation et qu'il s'agit là d'un gain imposable. Les avocats du contribuable ont fourni à la Cour une liste exhaustive des décisions dans lesquelles il a été conclu qu'une chose est «un droit de quelque nature qu'il soit», mais, dans aucune de ces décisions, il n'a été statué que le mot «biens» comprend un droit qui ne comporte pas une demande exclusive légalement exécutoire. En l'absence de l'entente de non-concurrence, le contribuable pouvait exploiter une entreprise de fabrication d'articles en matière plastique faisant concurrence aux sociétés en exploitation, mais cela ne l'autorisait pas pour autant à réclamer quoi que ce soit à quelqu'un d'autre et cela ne lui donnait pas le droit d'empêcher quelqu'un d'autre de se lancer dans la même entreprise. Ce à quoi il a renoncé n'est pas un «bien» au sens de la définition législative.

On a mentionné des décisions de l'Australie et du Royaume-Uni dans lesquelles il a été statué que des paiements de non-concurrence ne généraient pas de gains imposables, alors qu'il existe une jurisprudence contraire américaine. Mais, on ne devrait pas accorder trop d'importance aux décisions étrangères, parce que le contexte législatif est inévitablement quelque peu différent.

En l'espèce, on pourrait être fortement tenté de légiférer au lieu d'interpréter la loi, parce que nombreux seront ceux qui estimeront non satisfaisant le résultat de la présente affaire sur le plan de la politique fiscale. Mais, c'est au législateur de traiter des questions de politique fiscale.

lois et règlements

Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97, art. 2e)i) «corporation personnelle», 3f) (mod. par S.C. 1934, ch. 55, art. 1), 6c), e).

Loi de l'Împôt de Guerre sur le Revenu, 1917, S.C. 1917, ch. 28, art. 3, 4(4).

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 14 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 10; ch. 21, art. 8; 1995, ch. 3, art. 5; ch. 21, art. 3), 38, 39 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 22; 1995, ch. 21, art. 49), 39.1 (édicté par L.C. 1995, ch. 3, art. 11), 40 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 23; ann. VIII, art. 12; 1995, ch. 3, art. 12; ch. 21, art. 11), 41 , 42, 43, 44 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 24; ch. 21, art. 17), 45 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 25; ch. 21, art. 18; 1996, ch. 21, art. 10), 46, 47 (mod. par L.C. 1995, ch. 21, art. 13), 48 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 19), 49 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 27; 1995, ch. 3, art. 13; ch. 21, art. 14), 50 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 28; 1995, ch. 21, art. 15), 51 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 20; 1995, ch. 21, art. 16), 52 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 29; ch. 21, art. 21), 53 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 30; ann. VIII, art. 15; ch. 21, art. 22; 1995, ch. 3, art. 14; ch. 21, art. 17), 54 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 31; ann. VIII, art. 16; ch. 21, art. 23; 1995, ch. 3, art. 15; ch. 21, art. 18), 55 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 24; 1995, ch. 3, art. 16), 248(1) «biens».

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, art. 3, 11(1)a), c), 127(1)af).

Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 10 (mod. par L.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 3), 248(1) «biens» (mod. par L.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 125; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 128).

Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, art. 139(1)ag).

Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, S.C. 1958, ch. 29.

jurisprudence

décision suivie:

Ludco Enterprises Ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082; (2001), 204 D.L.R. (4th) 590; [2002] 1 C.T.C. 95; 2001 DTC 5505; 275 N.R. 90.

décision appliquée:

Fortino c. Canada, [1997] 2 C.T.C. 2184; (1996), 97 DTC 55 (C.C.I.); appel rejeté [2000] 1 C.T.C. 349; (1999), 269 N.R. 391 (C.A.F.).

décision examinée:

Canada c. Kieboom, [1992] 3 C.F. 488; [1992] 2 C.T.C. 59; (1992), 92 DTC 6382; 46 E.T.R. 229 (C.A.).

décisions citées:

Succession Miller c. Ministre du Revenu national, [1973] C.T.C. 793; (1973), 73 DTC 5583 (C.F. 1re inst.); Driol c. Ministre du Revenu national, [1989] 1 C.T.C. 2175; (1989), 89 DTC 122 (C.C.I.); Furfaro-Siconolfi c. M.R.N., [1990] 2 C.F. 3; [1990] 1 C.T.C. 33; (1989), 89 DTC 5519; 38 E.T.R. 77; 32 F.T.R. 1; 25 R.F.L. (3d) 13 (1re inst.); R. c. Burgess, [1982] 1 C.F. 849; (1981), 125 D.L.R. (3d) 477; [1981] C.T.C. 258; 81 DTC 5192 (1re inst.); Nissim c. Canada, [1999] 1 C.T.C. 2119 (C.C.I.); Donald c. Canada, [1999] 1 C.T.C. 2025 (C.C.I.); Kirby (Inspector of Taxes) v. Thorn EMI plc, [1988] 2 All E.R. 947 (C.A.); Hepples v. Federal Commissioner of Taxation (1990), 90 A.T.C. 4497 (Fed. Ct.); Hepples v. Federal Commissioner of Taxation (1991), 91 A.T.C. 4808 (H.C.).

doctrine

Canada. Ministère du Revenu national. Impôt. Bulletin d'interprétation, IT-330R, 7 septembre 1990.

Canada. Parlement. Sénat. Journaux du Sénat du Canada, vol. LVII, no 34, Ottawa: Imprimeur de la Reine, 28 mai 1946.

Douglas, Monteath. «Income Tax Revision» (1948), 26 R. du B. Can. 1212.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

«The Association's Brief to the Senate Committee on Taxation» (1946), 24; R. du B. Can. 283.

Ziff, Bruce H. Principles of Property Law, 3rd ed. Scarborough: Carswell, 2000.

APPEL d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt ((2001), 19 B.L.R. (3d) 273; [2002] 1 C.T.C. 2543; 2002 DTC 1222) qui rejette l'appel interjeté par le contribuable contre le refus du ministre d'établir de nouvelles cotisations qui réduiraient à zéro les gains en capital imposables résultant des paiements de non-concurrence effectués dans le cadre d'une convention d'achat d'actions. Appel accueilli.

ont comparu:

Werner H. G. Heinrich et David E. Graham pour l'appelant.

Peter M. Kremer, c.r., et Rosemary Fincham pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Koffman Kalef, Vancouver, pour l'appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Sharlow, J.C.A.: Il s'agit ici de savoir si, pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, un gain en capital imposable est réalisé lorsqu'une personne reçoit un paiement de l'acquéreur des actions d'une société en contrepartie de la promesse de ne pas faire concurrence à cette société pour une période déterminée dans un territoire déterminé.

Historique

[2]Les événements qui ont donné lieu au présent appel se sont produits en 1995 lorsque les actions de trois sociétés, Alberta Plastic Industries Ltd., B.C. Plastic Industries Ltd. et Canada Cap Snap Corporation, ont été vendues. Alberta Plastic Industries Ltd. et B.C. Plastic Industries Ltd. fabriquent des moules en plastique. Canada Cap Snap Corporation fabrique des capuchons pour ces moules. J'appellerai les trois sociétés les «sociétés en exploitation».

[3]Avant le 16 juin 1995, l'appelant, M. Manrell, possédait ou contrôlait des parts importantes dans les trois sociétés en exploitation. Il possédait 70 p. 100 des actions d'Alberta Plastic Industries Ltd. Il possédait toutes les actions de Llernam Holdings Ltd., qui possédait toutes les actions d'Allwest Industries Incorporated, qui de son côté possédait toutes les actions de B.C. Plastic Industries Ltd. Llernam Holdings Ltd. possédait également 80 p. 100 des actions de 322597 B.C. Ltd., qui possédait 50 p. 100 des actions de Canada Cap Snap Corporation.

[4]Les participations minoritaires dans les sociétés Alberta Plastic Industries Ltd. et 322597 B.C. Ltd. étaient possédées par deux autres personnes, Bob Williamson et Bruce Gallop. Une société du Delaware appelée Portola Packaging Inc. possédait 50 p. 100 des actions de Canada Cap Snap Corporation.

[5]En 1995, une société appelée 3154823 Canada Inc. a convenu d'acheter les actions et la dette d'actionnaire des trois sociétés en exploitation (à l'exclusion des actions appartenant à Portola Packaging Inc.). Les conditions de l'entente sont énoncées dans un document intitulé [traduction] «Convention d'achat d'actions», en date du 16 juin 1995. Le prix d'achat total des actions et de la dette d'actionnaire s'élevait à 14 626 000 $ (sous réserve de certains ajustements qui ne sont pas maintenant pertinents), montant qui devait être réparti entre les actionnaires qui vendaient les actions comme le stipulait la Convention d'achat d'actions.

[6]L'une des conditions de la Convention d'achat d'actions exigeait que 3154823 Canada Inc. effectue des paiements s'élevant à environ 4 millions de dollars en tout en faveur des actionnaires qui vendaient les actions, en contrepartie de la remise et de l'exécution [traduction] d'«ententes de non-concurrence», dont les conditions étaient énoncées dans une annexe jointe à la Convention d'achat d'actions. Les paiements devaient être effectués en quatre tranches annuelles, dont la première était due à la date de la conclusion de la Convention d'achat d'actions. La part de M. Manrell s'élevait à 979 575 $, dont 244 393,75 $ étaient payables dans chacune des années 1995, 1996, 1997 et 1998.

[7]Parmi les conditions de l'entente de non- concurrence signée par M. Manrell, il y avait l'article 3.1, qui est ainsi libellé:

[traduction] Les vendeurs conviennent de s'abstenir, en tout temps pendant la durée du terme, de mener des activités directes ou indirectes sur le Territoire, ou d'avoir un intérêt dans une organisation ou autre entité concurrente (notamment à titre d'employé, de dirigeant, d'administrateur, d'agent, de détenteur de titre, d'associé, de créancier, de consultant, de concédant de licence ou de preneur de licence) qui mène ou se prépare à mener des activités sur le territoire, si lesdites activités sont identiques, similaires ou concurrentes aux activités menées présentement par une société acquise ou par la société mère de celle-ci.

[8]M. Manrell était l'un des «vendeurs» mentionnés dans cette disposition. L'expression [traduction] «société acquise» se rapporte aux trois sociétés en exploitation et l'expression [traduction] «société mère» se rapporte à Portola Packaging, Inc. Les mots [traduction] «durée» et [traduction] «Territoire» indiquent les limites temporelles et géographiques aux fins de l'application de l'engagement relatif à la non-concurrence.

[9]L'entente de non-concurrence signée par M. Manrell exigeait également que celui-ci cède à 3154823 Canada Inc. tous les [traduction] «droits, titres et intérêts» afférents à une [traduction] «innovation» (ce mot étant défini comme incluant des choses telles que les découvertes, les données et le savoir-faire), en vue de protéger les secrets commerciaux des sociétés en exploitation, et de promettre de ne pas recruter des employés des sociétés en exploitation ou de Portola Packaging Inc. Le dossier ne renferme aucun élément de preuve au sujet de la question de savoir s'il y avait des «innovations» importantes, des renseignements confidentiels ou des employés estimés à protéger. Quoi qu'il en soit, aucune tentative n'a été faite pour répartir la contrepartie payée en vertu des ententes de non-concurrence entre l'engagement relatif à la non-concurrence et les autres engagements. Les deux parties ont débattu la présente affaire en se fondant sur la prémisse selon laquelle presque toute la contrepartie versée à M. Manrell par 3154823 Canada Inc. en vertu de l'entente de non-concurrence était une contrepartie se rapportant à l'engagement relatif à la non-concurrence. Je retiens cette prémisse, puisqu'il n'y a rien dans le dossier qui la contredise.

[10]M. Manrell a produit ses déclarations pour les années 1995, 1996 et 1997 en se fondant sur le fait qu'en vertu de l'article 42 de la Loi de l'impôt sur le revenu, les paiements de non-concurrence qu'il a reçus devaient être inclus dans le produit de la disposition des actions qu'il avait vendues à 3154823 Canada Inc., augmentant ainsi son gain en capital imposable. Telle était l'approche proposée au paragraphe 6 du Bulletin d'interprétation IT-330R en date du 7 septembre 1990, intitulé «Dispositions de biens en immobilisation visées par une garantie, un engagement ou d'autres obligations conditionnelles ou contingentes».

[11]Étant donné que le paiement de non-concurrence était payable en tranches, M. Manrell s'est également prévalu des réserves autorisées par la loi en vue d'échelonner le gain en capital imposable sur les années au cours desquelles les paiements étaient reçus. Ses déclarations ont apparemment été acceptées telles quelles.

[12]Par la suite, la Cour de l'impôt a rendu sa décision dans l'affaire Fortino c. Canada, [1997] 2 C.T.C. 2184, dont les faits étaient semblables à ceux de la présente espèce. Dans la décision Fortino, il a été statué que les paiements de non-concurrence constituaient des rentrées de capital non imposables. La Couronne a interjeté appel contre cette décision, mais l'appel a été rejeté: Fortino c. Canada, [2000] 1 C.T.C. 349 (C.A.F.).

[13]M. Manrell a déposé des avis d'opposition pour les années 1996 et 1997 en vue de demander de nouvelles cotisations réduisant à zéro les gains en capital imposables qu'il avait déclarés à l'égard des paiements de non-concurrence. Les oppositions ayant été rejetées, M. Manrell a interjeté appel devant la Cour de l'impôt, qui a rejeté l'appel; Manrell c. Canada (2001), 19 B.L.R. (3d) 273 (C.C.I.). M. Manrell interjette maintenant appel devant la Cour.

[14]La Cour est uniquement saisie des cotisations relatives aux années 1996 et 1997 de M. Manrell. Le dossier n'indique pas l'état de la cotisation relative à l'année 1995. Toutefois, il n'a pas été soutenu dans le cadre de l'argumentation qu'il n'y avait rien dans ces cotisations qui influe sur l'analyse des questions qui se posent pour les années 1996 et 1997.

[15]La Couronne défend les cotisations qui ont été établies en l'espèce en se fondant sur un seul argument, à savoir que les paiements de non-concurrence sont le produit de la disposition d'un [traduction] «droit de faire concurrence», droit qui, selon la Couronne, satisfait à la définition du mot «biens» figurant au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. M. Manrell soutient que le [traduction] «droit de faire concurrence» n'est pas visé par la définition législative du mot «biens» et, subsidiairement, que si ce droit est visé par la définition législative, il ne l'a pas aliéné.

[16]Il est reconnu que les opérations qui sont ici en cause sont imputables au capital, et que si les paiements de non-concurrence ne sont pas le produit de la disposition de biens, il ne s'agit pas de rentrées de capital non imposables.

La loi

[17]Pour apprécier les arguments des parties, il faut comprendre le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, pour ce qui est des gains en capital imposables. Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, telle qu'elle était en vigueur au cours des années visées par l'appel, les dispositions pertinentes sont les articles 38 à 55 [art. 39 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 22; 1995, ch. 21, art. 49), 39.1 (édicté par L.C. 1995, ch. 3, art. 11), 40 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 23; ann. VIII, art. 12; 1995, ch. 3, art. 12; ch. 21, art. 11), 41, 42, 43, 44 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 24; ch. 21, art. 17), 45 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 25; ch. 21, art. 18; 1996, ch. 21, art. 10), 46, 47 (mod. par L.C. 1995, ch. 21, art. 13), 48 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 19), 49 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 27; 1995, ch. 3, art. 13; ch. 21, art. 14), 50 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 28; 1995, ch. 21, art. 15), 51 (mod par L.C. 1994, ch. 21, art. 20; 1995, ch. 21, art. 16), 52 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 29; ch. 21, art. 21), 53 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 30; ann. VIII, art. 15; ch. 21, art. 22; 1995, ch. 3, art. 14; ch. 21, art. 17), 54 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 31; ann. VIII, art. 16; ch. 21, art. 23; 1995, ch. 3, art. 15; ch. 21, art. 18), 55 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 24; 1995, ch. 3, art. 16)] (sous-section c de la section B de la partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu). Les parties ont cité l'alinéa 38a), l'alinéa 39(1)a), le sous-alinéa 40(1)a)(i), les définitions des expressions «disposition de biens» et «produit de disposition» figurant à l'article 54, et la définition du mot «biens» figurant au paragraphe 248(1). Les parties de ces dispositions qui sont ici pertinentes étaient ainsi libellées au cours de la période pertinente:

PARTIE I

IMPÔT SUR LE REVENU

[. . .]

Section B

Calcul du revenu

[. . .]

Sous-section c

Gains en capital imposables et

pertes en capital déductibles

38. Pour l'application de la présente loi:

a) le gain en capital imposable d'un contribuable, pour une année d'imposition, tiré de la disposition d'un bien est égal aux 3/4 du gain en capital que le contribuable a réalisé, pour l'année, à la disposition du bien;

[. . .]

39. (1) Pour l'application de la présente loi:

a) un gain en capital d'un contribuable, tiré, pour une année d'imposition, de la disposition d'un bien quelconque, est le gain, déterminé conformément à la présente sous- section [. . .] que ce contribuable a tiré, pour l'année, de la disposition d'un bien lui appartenant, [. . .]

[. . .]

40. (1) Sauf indication contraire expresse de la présente partie:

a) le gain d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, de la disposition d'un bien est l'excédent éventuel:

(i) en cas de disposition du bien au cours de l'année, de l'excédent éventuel du produit de disposition sur le total du prix de base rajusté du bien, pour le contribuable, calculé immédiatement avant la disposition, et des dépenses dans la mesure où celles-ci ont été engagées ou effectuées par lui en vue de réaliser la disposition,

[. . .]

54. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

[. . .]

«disposition de biens» Sont compris dans la disposition de biens, sauf dispositions contraires expresses:

a) toute opération ou tout événement donnant droit au contribuable au produit de disposition de biens;

[. . .]

«produit de disposition» Sont compris dans le produit de disposition d'un bien:

a) le prix de vente du bien qui a été vendu;

[. . .]

PARTIE XVII

INTERPRÉTATION

248. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi:

[. . .]

«biens» Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède:

a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

b) à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

c) les avoirs forestiers;

d) les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

Analyse

[18]Le régime législatif applicable à l'imposition des gains en capital, tel qu'il s'applique en l'espèce, est simple. Selon les dispositions précitées, si une personne vend un bien qui satisfait à la définition législative du mot «biens» pour un montant qui excède le coût du bien, plus toute dépense engagée aux fins de la vente, un gain en capital imposable est réalisé (à supposer, bien sûr, que la vente soit imputable au capital, ce dont il est ici convenu). L'affaire soulève une seule question: le [traduction] «droit de faire concurrence» est-il un [traduction] «droit de quelque nature qu'il soit» et partant un «bien» au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu?

[19]Je résumerai comme suit l'argument de la Couronne. Le droit de faire concurrence ne serait pas considéré comme un «bien» au sens ordinaire de ce mot. Toutefois, l'emploi de l'expression «y compris» dans la définition législative du mot «biens» indique qu'il faut lui attribuer un sens plus large que son sens ordinaire. En particulier, l'expression «les droits de quelque nature qu'ils soient» est suffisamment générale pour inclure des droits qui ne comportent pas nécessairement les caractéristiques habituelles d'un bien. M. Manrell, compte tenu de son expérience personnelle et de sa compétence, aurait pu réaliser des profits élevés en faisant concurrence aux trois sociétés en exploitation une fois les actions vendues, et s'il l'avait fait, cela aurait été au détriment de ces sociétés et de leur acquéreur. C'est la raison pour laquelle l'engagement pris par M. Manrell de ne pas faire concurrence avait une telle valeur pour l'acquéreur. À cause du lien inextricable existant entre la valeur des trois sociétés en exploitation et le paiement que M. Manrell a reçu pour son engagement de non-concurrence, le paiement devrait être imputé, aux fins de l'impôt sur le revenu, à un produit de la disposition d'un bien, le [traduction] «droit de faire concurrence».

[20]Au nom de M. Manrell, il est soutenu que dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'expression «les droits de quelque nature qu'ils soient» doit être interprétée comme se rapportant à un droit de la nature d'un bien. Il doit à tout le moins s'agir d'un droit qui permet à son titulaire de contraindre quelqu'un d'autre à payer de l'argent ou à faire quelque chose, ou du droit d'exclure toutes les autres personnes qui revendiquent le même droit. Ce que la Couronne essaie de qualifier de [traduction] «droit de faire de la concurrence» est simplement la liberté qui est partagée entre tous d'exploiter une entreprise ou, dans le contexte précis de la présente affaire, d'exploiter une entreprise de fabrication de moules en plastique dans la région et pendant la période désignées dans l'entente de non-concurrence. Il s'agit d'une liberté personnelle plutôt que d'un droit qui est exclusif ou qui peut donner lieu à une demande contre toute autre personne et, par conséquent, cela n'est pas visé par la définition législative du mot «biens».

[21]Il s'agit d'un problème d'interprétation législative, dont la solution doit tout d'abord reposer sur le principe tiré de E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la page 87:

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[22]Récemment, M. le juge Iacobucci, parlant au nom de la majorité dans l'arrêt Ludco Enterprises Ltée c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, a expliqué la place de ce principe dans l'interprétation des lois fiscales (aux paragraphes 37 à 39; la plupart des renvois sont omis):

C'est cet extrait qui «résume le mieux» la méthode privilégiée aux fins d'interprétation d'une disposition législative [. . .]. Il en est ainsi pour l'interprétation de tout texte de loi et il convient de signaler que notre Cour a maintes fois cité et approuvé cet extrait célèbre, tant en matière fiscale que dans d'autres domaines [. . .]

Par ailleurs, les tribunaux appelés à interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu doivent se rappeler qu'ils jouent un rôle distinct de celui du législateur. En l'absence d'un texte législatif clair, il n'est pas souhaitable que les tribunaux innovent [. . .] La promulgation de nouvelles règles de droit fiscal doit plutôt être laissée au législateur [. . .] Comme l'a récemment expliqué le juge McLachlin (maintenant juge en chef) dans l'arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 43:

La Loi est un texte législatif complexe au moyen duquel le législateur tente d'établir un équilibre entre d'innombrables principes. La jurisprudence de notre Cour est constante: les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur, à l'égard d'une disposition claire de la Loi, une intention non explicite [. . .] En concluant à l'existence d'une intention non exprimée par le législateur sous couvert d'une interprétation fondée sur l'objet, l'on risque de rompre l'équilibre que le législateur a tenté d'établir dans la Loi. [Références omises.]

Cela étant dit, il ressortit à la compétence des tribunaux d'interpréter les règles adoptées par le législateur, notamment d'éclaircir des notions par ailleurs non définies comme celles de «revenu» ou de «bénéfice» [. . .]

En outre, étant donné que la Loi de l'impôt sur le revenu comporte de nombreuses dispositions et règles anti-évitement particulières, lorsque des inquiétudes sont exprimées concernant l'évitement de l'impôt, les tribunaux ne doivent pas s'empresser de renforcer ces dispositions de la Loi alors qu'il est loisible au législateur d'être précis quant aux méfaits à prévenir [. . .] S'ils le faisaient, ils n'accorderaient pas l'importance voulue au principe bien établi que, sauf disposition contraire, le contribuable a le droit d'organiser ses affaires dans le seul but de se trouver dans une situation favorable sur le plan fiscal [. . .].

[23]Il me semble que les considérations contextuelles les plus importantes en l'espèce sont a) le sens ordinaire du mot «biens»; b) le contexte législatif; et c) la jurisprudence pertinente, qui font partie du fondement à partir duquel le législateur détermine l'étendue des modifications qui sont souvent apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu.

a) Sens ordinaire du mot «biens»

[24]Dans l'ouvrage intitulé Principles of Property Law, 3e éd. (Scarborough: Carswell, 2000), le professeur Ziff dit ce qui suit au sujet de la question des biens, à la page 2:

[traduction] Les biens sont parfois qualifiés d'ensemble de droits. Cette simple métaphore est une façon utile d'examiner le concept de base. Elle indique que les biens ne sont pas une chose, mais un droit, ou encore mieux, une collection de droits (sur des choses) qu'il est possible d'exercer contre d'autres personnes. Autrement dit, le mot «biens» signifie un ensemble de relations entre personnes qui se rapportent à la revendication d'objets corporels et d'objets incorporels. [Soulignement ajouté.]

[25]Cette notion de «biens» donne implicitement à entendre que le mot «biens» doit comporter ou entraîner quelque droit exclusif de présenter une demande contre quelqu'un d'autre. Le droit général de faire une chose que n'importe qui peut faire, ou un droit possédé par chacun, n'est pas le «bien» de qui que ce soit. En l'espèce, la seule chose que M. Manrell possédait avant de signer l'entente de non-concurrence et qu'il ne possédait pas par la suite était le droit qu'il partageait avec toute autre personne d'exploiter une entreprise. Quel que soit ce à quoi M. Manrell avait renoncé en signant cette entente, il ne s'agissait pas d'un «bien» au sens ordinaire de ce mot.

b) Contexte législatif

[26]Pour apprécier le bien-fondé de la prétention de la Couronne selon laquelle le mot «biens» a, aux fins de l'impôt sur le revenu, un sens qui est plus étendu que son sens ordinaire, il peut être utile de se demander comment le mot «biens» est en fait employé dans la Loi de l'impôt sur le revenu actuelle et dans les lois précédentes.

[27]Le texte le plus ancien qui a précédé la Loi de l'impôt sur le revenu, intitulé Loi de l'Impôt de Guerre sur le Revenu, 1917, S.C. 1917, ch. 28, emploie le mot «biens» à deux reprises sans le définir. Ce mot figure dans la définition du mot «revenu» à l'article 3 (dans la partie qui dit que le «revenu» comprend le revenu, mais non la valeur des biens acquis par don, legs, donation ou descendance). Le mot «biens» figure également au paragraphe 4(4), qui traite des conséquences d'un transfert de «biens réels ou personnels, meubles ou immeubles» en faveur d'un conjoint afin de se soustraire à l'impôt. Ces deux dispositions semblent employer le mot «biens» dans son sens ordinaire.

[28]Les modifications apportées à la Loi de l'Impôt de Guerre sur le Revenu. 1917 au cours des quelques années qui ont suivi ont entraîné d'autres emplois du mot «biens», toujours sans qu'une définition législative soit donnée. Dans chaque cas, le mot «biens» est apparemment employé dans son sens ordinaire. Je citerai uniquement cinq exemples tirés de la refonte modifiée de 1927 (Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97, dans sa forme modifiée). 1) Dans la définition complexe de l'expression «corporation personnelle» figurant au sous-alinéa 2e)i), il est fait mention d'«obligations, stocks ou actions, débentures, morts-gages, hypothèques, lettres de change, billets ou autres biens semblables». 2) Le régime d'imposition des corporations personnelles exigeait une détermination de la valeur des biens de la corporation acquise des actionnaires. 3) L'alinéa 6c) interdisait la déduction de «[l]a valeur annuelle des biens, meubles ou immeubles, sauf le loyer réellement payé pour l'usage de ces biens, utilisés relativement au commerce pour produire le revenu sujet à l'impôt». 4) L'alinéa 6e) interdisait la déduction des «dépenses ou frais incidents (carrying charge) de biens ou actifs improductifs non acquis pour les objets d'un commerce, d'un négoce ou d'une profession». 5) L'alinéa 3f), qui a été ajouté par S.C. 1934, ch. 55, art. 1 prévoit que le revenu comprend «les loyers, redevances, annuités ou autres recettes périodiques semblables qui dépendent de la production ou de l'emploi de biens réels ou personnels, nonobstant que les susdits soient payables par suite de l'usage ou de la vente de ces biens».

[29]En 1948, la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu a été remplacée par la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, qui pour la première fois définissait le mot «biens». Je n'ai rien pu trouver qui explique pourquoi le mot «biens» est défini dans la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948. Toutefois, il est peut-être possible de faire certaines inférences en comparant cette loi à la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu qu'elle remplaçait.

[30]La Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 est beaucoup plus détaillée et précise que la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu. Cela découle des critiques qui avaient été formulées, à savoir que la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu n'était pas suffisamment précise et conférait un pouvoir ministériel trop étendu. Les commentaires suivants figurent dans les Journaux du Sénat du Canada, 2e sess., 20e Parl., 10 George VI, vol. LVII, en date du mardi 28 mai 1946, Rapport final du Comité spécial sur l'imposition, appendice A, aux pages 223 et 224:

Le mécontentement général semble se confiner à trois grands motifs.

1. On est mécontent de la procédure suivie en cas d'appel, comme le prévoit la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, des obstacles que doivent surmonter les contribuables qui désirent le règlement prompt et catégorique de leur cas. En même temps, on a présenté des objections d'ordre technique, mais moins générales, aux pouvoirs discrétionnaires du ministre ou de son administration et de l'autorité administrative absolue dans plusieurs questions revêtant une importance réelle.

[. . .]

2. Deuxièmement, certaines critiques portent également sur la phraséologie de la loi elle-même. On semble de plus en plus d'opinion parmi les économistes, les avocats et les comptables du pays que le texte de la loi actuelle de l'impôt sur le revenu ne permet plus à la loi de se conformer aux exigences nées des modifications radicales apportées à la structure économique du pays par suite de la conception moderne des profits et des dépenses nécessaires et qui n'était pas la même quand fut rédigée la loi originale de 1917.

3. Le troisième sujet de critique porte sur l'organisation administrative de la division de l'impôt.

[31]Le document intitulé «The Association's Brief to the Senate Committee on Taxation», (1946), 24 Can. Bar Rev. 283, présenté le 9 avril 1946, donne des précisions additionnelles au sujet de l'état des lois fiscales avant 1948. Le mémoire, en traitant des travaux des comités de l'Association du Barreau canadien et de la Dominion Association of Chartered Accountants, dit ce qui suit à la page 286:

[traduction] Il est vite devenu apparent aux deux comités--et je crois que leur avis est partagé par un nombre fort élevé de contribuables au Canada--que la loi est difficile à interpréter et qu'elle prête passablement à confusion et que, si on la laisse dans sa forme actuelle, cela retardera la reconversion et pourra influer sensiblement sur la prospérité du Canada. Il se peut fort bien qu'à cause de ces éléments, des revenus soient maintenant perdus.

[. . .]

Dans la revue publiée par la Dominion Association of Chartered Accountants, dont les membres connaissent probablement les rouages actuels de la Loi mieux que tout autre organisme, on disait ce qui suit en 1944, vol. 45, page 195:

L'une des tâches essentielles de l'après-guerre consiste à rédiger de nouveau la Loi de l'impôt sur le revenu elle-même. De nos jours, cette loi est un exemple horrible de modifications effectuées l'une après l'autre, de sorte que ce qui est expressément ou implicitement prévu dans une disposition de la Loi peut être modifié dans une autre disposition.

[32]Les auteurs du mémoire poursuivent en faisant des commentaires sur des problèmes précis. Voici ce qu'ils disent sous le titre [traduction] «Éclaircissement de la Loi», aux pages 293 et 294:

[traduction] Nous sommes d'avis que le principal problème que pose l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu est attribuable au fait que la plupart des dispositions sont désuètes et qu'un grand nombre d'entre elles sont inintelligibles. Il était difficile de comprendre le sens de la Loi refondue de 1927, qui comprenait 29 pages, mais depuis lors de nombreuses modifications ont été ajoutées à la loi. Ces modifications comportent 188 pages et ont apparemment été effectuées sans qu'il soit vraiment tenu compte des principes fondamentaux, les modifications ayant été édictées en vue de répondre à des cas précis et ayant ensuite été appliquées à des cas tout à fait différents.

[. . .]

Le contribuable n'est pas assujetti à un impôt sur son revenu réel, mais il est obligé de calculer son revenu au moyen de règles désuètes incompréhensibles, dont certaines figuraient dans la loi anglaise qui a été édictée en 1806. De nombreux contribuables estiment être injustement assujettis à l'impôt et d'autres contribuables qui, à toutes fins utiles, sont dans la même situation, se soustraient à l'impôt.

[33]Après avoir fait certains commentaires portant sur l'historique de la question, les auteurs du mémoire ajoutent ce qui suit à la page 295:

[traduction] Il est vite devenu clair que plus le libellé est ambigu, plus le ministère cherchait à remédier à la situation. La rédaction est devenue de plus en plus mauvaise et, à l'heure actuelle, il est souvent difficile de déceler l'intention du législateur.

[34]Dans un discours prononcé en 1948 devant les membres de l'Association du Barreau canadien, Monteath Douglas, qui était alors directeur de l'Association canadienne d'études fiscales, a commenté la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 («Income Tax Revision» (1948), 26 Can. Bar Rev. 1212). Voici ce qu'il a dit à la page 1212:

[traduction] La nouvelle loi est essentiellement une refonde et vise à réorganiser et à éclaircir le droit existant. Il s'agit d'un texte législatif important qui ne comporte toutefois aucun aspect innovateur remarquable. Tous les éléments de l'impôt sur le revenu en tant qu'instrument fiscal, tel qu'il a évolué au Canada au cours des trente dernières années, continuent à exister dans à peu près le même contexte. Les modifications qui ont été effectuées, lesquelles sont fort nombreuses, ont principalement trait à la rédaction et à l'interprétation légale.

[35]Ces commentaires donnent à entendre que la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 n'était pas destinée à effectuer une réforme fiscale en profondeur. Son objectif était plutôt d'accroître la prévisibilité du régime fiscal existant en améliorant la clarté de la rédaction juridique. Cela donne en outre à entendre qu'une définition du mot «biens» a été incluse dans la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 en vue d'assurer plus de certitude.

[36]La définition initiale du mot «biens» figure à l'alinéa 127(1)af) de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948; elle est ainsi libellée:

127. (1) [. . .]

(af) «biens» signifie des biens de toute nature, qu'ils soient réels ou personnels, corporels ou incorporels, et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, comprend un droit de quelque nature que ce soit, une action ou un droit incorporel.

[37]De toute évidence, cette définition de 1948 est au coeur de la définition actuelle, y compris la partie dans laquelle il est question d'«un droit de quelque nature que ce soit». Je tire les propositions suivantes d'une interprétation ordinaire grammaticale de la définition de 1948:

a) Le début de la disposition («des biens de toute nature») a pour effet d'assujettir à la définition législative tout ce qui fait partie du sens ordinaire le plus étendu possible du mot «biens»;

b) Il y a ensuite deux listes de choses qui sont expressément incluses dans la définition législative;

c) La première liste est composée de quatre éléments: les biens réels, les biens personnels, les biens corporels, les biens incorporels. Cette liste n'a pas pour effet d'élargir le sens législatif du mot «biens» au-delà de son sens ordinaire le plus étendu, ce qui donne à entendre que la première liste est établie dans le seul but d'assurer plus de certitude;

d) La deuxième liste commence par les mots «sans restreindre la généralité de ce qui précède», qui sont destinés à empêcher toute prétention voulant qu'une chose qui ne figure pas dans la deuxième liste doive pour cette raison être considérée comme étant exclue du reste de la définition;

e) La deuxième liste énumère ensuite trois éléments: «un droit de quelque nature que ce soit», «une action» et «un droit incorporel».

[38]Les actions et les droits incorporels sont des biens incorporels qui sont visés par le sens ordinaire du mot «biens». Il s'agit donc de savoir si, compte tenu du contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 dans son ensemble, l'expression «un droit de quelque nature que ce soit» était destinée à se rapporter à un droit non exclusif d'exploitation d'une entreprise possédé conjointement, soit le genre de droit qui est ici en cause.

[39]L'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 a introduit le concept de l'imposition du revenu en fonction de la source, les «biens» constituant l'une des trois sources de revenu mentionnées (les autres sources étant les «entreprises» et les «charges et emplois»). Il est donc possible d'inférer que le mot «biens» figurant à l'article 3 était destiné à inclure, du moins, tout ce qui peut être possédé et produire un revenu. Les exemples évidents sont les créances et les autres instruments financiers qui portent intérêt, les actions qui accordent des dividendes, les biens immobiliers et les biens personnels qui génèrent un revenu de location ainsi que les ressources et les droits de propriété intellectuelle qui produisent des redevances. Toutes ces sources de revenu sont des «biens» au sens ordinaire du terme.

[40]Indépendamment de l'article 3, le mot «biens» a été employé dans maintes dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948. Je mentionnerai comme exemples deux dispositions qui sont fréquemment citées. L'une est l'alinéa 11(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948, qui introduit le régime de la déduction pour amortissement, une déduction annuelle d'une partie du coût d'un bien dans la mesure autorisée par règlement (déduction destinée à remplacer ce qui était une provision pour amortissement assujettie au pouvoir discrétionnaire ministériel). La déduction pour amortissement pouvait être demandée à l'égard d'un bien personnel corporel ainsi que pour les licences et les concessions d'une durée limitée. Le deuxième exemple se trouve à l'alinéa 11(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948, qui autorise la déduction des intérêts sur l'argent emprunté qui sert à la réalisation d'un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. Aucun élargissement du sens n'était nécessaire pour donner effet au nouveau régime aux fins de la déduction pour amortissement ou des frais d'intérêt déductibles.

[41]Je conclus que, du moins dans la mesure ou la Loi de l'impôt sur le revenu de 1948 est en cause, l'expression «un droit de quelque nature que ce soit» n'est pas incluse dans la définition législative du mot «biens» en vue d'élargir le sens originaire de ce mot et d'inclure un droit non exclusif d'exploitation d'une entreprise possédé conjointement. La question suivante est de savoir s'il y a lieu de modifier cette conclusion par suite de modifications législatives effectuées après 1948.

[42]Comme il en a ci-dessus été fait mention, la définition initiale est au coeur de la définition actuelle. Sauf pour le fait que des termes contemporains ont été employés (par exemple, «whatsoever» est devenu «whatever» dans la version anglaise), la définition initiale du mot «biens», en 1948, est devenue l'alinéa 139(1)ag) de la Loi de l'impôt sur le revenu dans la refonte des lois fédérales, en 1952 (Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148). La définition a depuis lors été modifiée à trois reprises. Pour plus de commodité, je reprends la définition actuelle:

248. (1) [. . .]

«biens» Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède:

a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

b) à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

c) les avoirs forestiers;

d) les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale.

[43]La première modification a été effectuée lors de la réforme fiscale de 1972, [Loi de l'impôt sur le revenu] S.C. 1970-71-72, ch. 63. Il s'agissait d'une réforme fiscale majeure. La modification la plus importante devait inclure un régime d'imposition des gains en capital réalisés au moment de la disposition d'un bien. L'une des modifications qui en a résulté a été que les mots figurant dans la définition initiale du mot «biens» après le mot «comprend» sont devenus l'alinéa a), et que ce qui est maintenant l'alinéa b) a été ajouté («à moins d'une intention contraire évidente, l'argent»; «unless a contrary intention is evident, money»). Je n'ai pas pu découvrir pourquoi l'alinéa b) a été ajouté à la définition du mot «biens». Selon toute probabilité, la modification était jugée nécessaire à cause du nouveau régime d'imposition des gains en capital, mais je ne puis rien trouver qui permette de conclure que le sens ordinaire du mot «biens» n'inclut pas de l'argent. Je n'ai pu trouver aucun arrêt faisant autorité sur ce point. Je conclus que l'alinéa b) a probablement été ajouté pour plus de certitude seulement plutôt que pour élargir le sens ordinaire de la définition législative du mot «biens».

[44]L'alinéa c) de la définition du mot «biens» («les avoirs forestiers») a été ajouté par S.C. 1974-75-76, ch. 26, article 125; cette disposition s'appliquait à l'année 1974 et aux années d'imposition subséquentes. La modification résultait de l'adoption d'un régime précis pour une catégorie spéciale de droits de coupe de bois, désignée par l'expression «avoirs forestiers», qui a été définie. Les droits compris dans la définition des «avoirs forestiers» auraient été visés par la définition du mot «biens» telle qu'elle existait avant l'année 1974. Je conclus que l'alinéa c) a été ajouté à la définition du mot «biens» pour plus de certitude seulement plutôt que pour en élargir le sens législatif.

[45]L'alinéa d) de la définition du mot «biens» («les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale») a été ajouté par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 128, applicable à l'année 1982 et aux années d'imposition subséquentes, et ce, par suite des modifications apportées à l'article 10 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 3] de la Loi de l'impôt sur le revenu qui, entre autres choses, exigeait que les travaux en cours d'une entreprise qui constituait une profession libérale soient évalués à la fin de chaque année d'imposition et qu'ils soient par ailleurs traités comme faisant partie de l'inventaire. D'autres modifications ont été apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu en même temps en vue de permettre aux entreprises qui constituaient une profession libérale de choisir dans certains cas d'exclure du revenu la valeur des travaux en cours, ces travaux devant normalement être inclus dans le revenu selon les principes de la comptabilité d'exercice.

[46]Les travaux en cours d'une entreprise qui constitue une profession libérale sont simplement les travaux pour lesquels la personne qui exerce cette profession espère être rémunérée dans l'avenir. Ces travaux sont en général inscrits dans les comptes d'une entreprise qui constitue une profession libérale en tant que somme d'argent représentant, par exemple, le nombre d'heures effectuées, multipliées par un taux horaire. Les travaux en cours constituent un élément d'actif ayant une valeur, en ce sens qu'ils peuvent être assujettis à des dispositions contractuelles régissant l'ajustement des parts d'une société de personnes exerçant une profession libérale si certains événements se produisent, ou qu'ils peuvent donner lieu à une indemnisation si l'entreprise qui constitue la profession libérale est vendue. Cependant, les travaux en cours d'une personne qui exerce une profession libérale en tant que tels ne permettent généralement pas à cette dernière de faire quelque chose ou de réclamer quelque chose. À mon avis, ces travaux ne sont pas, par leur nature, une chose qui est visée par le sens ordinaire du mot «biens», et il se peut qu'il ne s'agisse même pas d'«un droit de quelque nature qu'il soit». Si c'est le cas, l'alinéa d) doit avoir été ajouté à la définition du mot «biens» en vue d'élargir le sens législatif du mot «biens» au-delà de son sens ordinaire. Le but était apparemment de donner un fondement législatif aux modifications apportées à l'article 10, qui exigeait que les travaux en cours d'une entreprise constituant une profession libérale soient traités comme des stocks. Cela donne à entendre que, malgré la portée apparente de la définition du mot «biens» et en particulier l'inclusion dans cette définition d'«un droit de quelque nature qu'il soit», le législateur ne considérait pas un droit virtuel comme les travaux en cours d'une personne exerçant une profession libérale comme étant visé par la définition telle qu'elle était libellée avant l'année 1982.

[47]Je ne puis rien trouver dans le contexte législatif à l'appui de la proposition selon laquelle l'expression «un droit de quelque nature qu'il soit» figurant dans la définition législative du mot «biens» est destinée à exiger qu'un droit non exclusif d'exploitation d'une entreprise qui est possédé conjointement soit considéré comme un «bien» à des fins fiscales.

c) La jurisprudence

[48]J'examinerai maintenant la jurisprudence dans laquelle ont été examinés la définition législative du mot «biens» et le sens de l'expression «un droit de quelque nature qu'il soit». Il existe maintes décisions à l'appui de la thèse voulant que le mot «biens» puisse avoir de nombreux sens et que, dans le contexte fiscal, son sens puisse être considéré comme large et inclusif. Ainsi, dans l'arrêt Canada c. Kieboom, [1992] 3 C.F. 488 (C.A.), M. le juge Linden a fait les remarques suivantes au nom de la Cour [aux pages 499 et 500]:

Quant au mot «bien», il a aussi reçu une interprétation large. Le paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu en donne la définition suivante: «biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels et comprend, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, a) un droit de quelque nature qu'il soit, une action ou part» lord Langdale a déjà déclaré que le mot «bien» est [traduction] «le terme le plus général que l'on puisse employer, étant donné qu'il sert à désigner et à décrire tous les droits possibles qu'une personne peut avoir». (Voir Jones v. Skinner (1836), 5 L.J. (N.S.) Ch. 87 (Rolls Ct.), à la page 90; voir également Re Lunness (1919), 46 O.L.R. 320 (Div. app.), à la page 322; Fasken, précité, [Fasken, David c. Minister of National Revenue, [1948] Ex. C.R. 580], à la page 591; et Vaillancourt c. Sous-ministre M.R.N., [1991] 3 C.F. 663 (C.A.).)

[49]Compte tenu en partie de cette interprétation du mot «biens», le juge Linden a conclu qu'un conjoint qui possède des actions ordinaires d'une société est considéré comme ayant transféré le bien à sa conjointe lorsqu'il conclut une entente par laquelle cette dernière souscrit à des actions ordinaires d'une société qui viennent d'être émises pour un prix nominal, de sorte que la part du conjoint est réduite de 90 à 20 p. 100 alors que celle de la conjointe augmente en conséquence. Cet arrêt fait autorité à l'appui de la thèse voulant qu'une part dans une société soit un bien et que l'opération en cause soit un transfert de biens parce qu'elle résulte du mouvement de tout ou partie d'un ensemble de droits d'un actionnaire à un autre. Dans cet arrêt, on a reconnu et formulé de nouveau la thèse selon laquelle, dans le contexte fiscal, le mot «biens» a un sens fort large, mais il n'a pas été dit que tout ce qui a une valeur est un «bien».

[50]L'expression sur laquelle la Couronne se fonde en l'espèce, «un droit de quelque nature qu'il soit», comme le mot «biens», a un sens fort large. Cependant, il ne s'agit pas d'un mot dont le sens est illimité. Il ne peut pas inclure tout droit imaginable. On ne saurait lui attribuer un sens qui étendrait la portée de la Loi de l'impôt sur le revenu au-delà de ce que le législateur a envisagé. Même l'avocat de la Couronne a concédé qu'il n'inclut pas un droit de la personne ou un droit constitutionnel.

[51]Il n'est pas difficile d'imaginer des cas dans lesquels l'expression «un droit de quelque nature qu'il soit» se verrait attribuer un sens trop large. Il suffit de penser au cas d'une personne qui est blessée dans un accident de voiture causé par la négligence d'une autre personne. La personne blessée a le droit, et peut-être un droit ayant une certaine valeur, de réclamer des dommages-intérêts à l'encontre de la personne négligente. Supposons qu'il y ait quittance de règlement en contrepartie du paiement d'une somme d'argent. Il serait possible de dire que le droit de réclamer des dommages-intérêts a été aliéné. Cependant, personne ne retiendrait l'argument selon lequel le paiement constitue le produit de la disposition d'un bien en immobilisation. Pourquoi? Parce que, fondamentalement, le paiement est une indemnité pour une lésion corporelle, soit une chose qui est considérée comme allant au-delà de la portée de la Loi de l'impôt sur le revenu. Une demande de dommages-intérêts fondée sur des lésions corporelles est un «droit», mais le règlement n'est pas visé par les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives aux gains en capital.

[52]L'avocat de M. Manrell a fourni ce qui semble être une liste exhaustive de toutes les décisions dans lesquelles il a été conclu qu'une chose est «un droit de quelque nature qu'il soit». Je ne reproduirai pas toute la liste. Cependant, je donnerai quelques exemples à titre indicatif. Le droit représenté par une police d'assurance temporaire sur la vie qui n'a aucune valeur de rachat nette mais qui est convertible sans preuve d'assurabilité est un «droit» aux fins de la définition du mot «biens» figurant dans la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, S.C. 1958, ch. 29 (définition qui est fort semblable à la définition figurant dans la Loi de l'impôt sur le revenu): Succession Miller c. Ministre du Revenu national, [1973] C.T.C. 793 (C.F. 1re inst.). Le droit de recevoir des paiements du régime de pension d'un conjoint décédé est un «droit» aux fins de la définition: Driol c. Ministre du Revenu national, [1989] 1 C.T.C. 2175 (C.C.I.). Une promesse irrévocable, dans un contrat de mariage, de verser une somme d'argent au conjoint pendant le mariage donne naissance à un droit entre les mains du conjoint bénéficiaire à la date de la promesse, et ce droit est alors un «droit» aux fins de la définition: Furfaro-Siconolfi c. M.R.N., [1990] 2 C.F. 3 (1re inst.). Un droit à une pension alimentaire est un «droit» aux fins de la définition: R. c. Burgess, [1982] 1 C.F. 849 (1re inst.), voir également Nissim c. Canada, [1999] 1 C.T.C. 2119 (C.C.I.); et Donald c. Canada, [1999] 1 C.T.C. 2025 (C.C.I.).

[53]En fait, dans la jurisprudence canadienne en matière fiscale, qui comporte des douzaines de décisions où la définition législative du mot «biens» a été examinée, il n'a été statué dans aucune décision que le mot «biens» comprend un droit qui ne comporte pas ou n'entraîne pas une demande exclusive légalement exécutoire. Cela ne prouve pas que l'argument de la Couronne est erroné, mais à mon avis cela laisse planer un doute sérieux à ce sujet.

[54]Avant de signer une entente de non-concurrence, M. Manrell pouvait exploiter une entreprise de fabrication de moules en plastique faisant concurrence aux trois sociétés en exploitation qui ont été vendues à 3154823 Canada Inc. ou investir des fonds dans pareille entreprise. Toutefois, cela ne l'autorisait pas pour autant à réclamer quoi que ce soit à quelqu'un d'autre, et cela ne lui donnait pas le droit d'empêcher quelqu'un d'autre de se lancer dans exactement la même entreprise. En signant l'entente de non-concurrence, M. Manrell est devenu obligé de s'abstenir d'exercer des activités qu'il pouvait jusqu'alors exercer. Si ce à quoi il a renoncé constituait un droit de quelque nature que ce soit, il s'agissait du droit d'exploiter une entreprise qu'il partageait avec toute autre personne. Je ne puis rien voir dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu qui justifie la conclusion selon laquelle il s'agissait d'un «droit de quelque nature qu'il soit», de sorte qu'il s'agit d'un «bien» au sens de la définition législative.

Remarques générales

a) Sens attribué au mot «biens» en common law et en droit civil

[55]L'avocat de la Couronne a soutenu que le sens attribué au mot «biens» dans la Loi de l'impôt sur le revenu doit respecter les traditions juridiques de la common law et du droit civil. Je retiens cet argument. Toutefois, l'avocat de la Couronne n'a pas mentionné de décisions faisant autorité qui donnent à entendre qu'il existe une différence importante entre la common law et le droit civil pour ce qui est du sens ordinaire attribué au mot «biens». Mon analyse laisse supposer qu'il n'existe aucune distinction pertinente aux fins qui nous occupent.

b) Jurisprudence étrangère

[56]L'avocat de M. Manrell a mentionné des décisions du Royaume-Uni et de l'Australie dans lesquelles il a été statué que des paiements de non-concurrence ne généraient pas de gains imposables à la suite de la disposition de biens. Il s'agit des décisions Kirby (Inspector of Taxes) v. Thorn EMI plc, [1988] 2 All E.R. 947 (C.A.) et Hepples v. Federal Commissioner of Taxation (1990), 90 A.T.C. 4497 (Fed. Ct) et (1991), 91 A.T.C. 4808 (H.C.). Les faits et les dispositions législatives sont analogues, semble-t-il, à ceux qui sont ici en cause.

[57]Je note également que dans l'affaire Fortino, précitée, on a reporté le juge de la Cour de l'impôt à des décisions américaines indiquant qu'aux États-Unis, les paiements de non-concurrence sont imposables au titre du revenu. Ces décisions n'ont pas réussi à convaincre le juge de la Cour de l'impôt, ou la présente Cour, qu'il faut interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu de la même façon.

[58]Il est toujours intéressant d'apprendre comment d'autres pays abordent les problèmes fiscaux qui peuvent survenir dans un pays. Toutefois, le contexte législatif est inévitablement quelque peu différent. Pour ce motif, il est à mon avis préférable de ne pas accorder trop d'importance aux décisions étrangères à moins d'être raisonnablement certain que toutes les distinctions législatives sont bien comprises. En l'espèce, les documents cités par l'avocat de M. Manrell ne nous permettent pas d'être suffisamment certains que c'est bien le cas. Cela étant, je ne me suis pas fondé sur les décisions étrangères.

c) Considérations de principe

[59]Selon la tendance de la jurisprudence canadienne récente, la législation fiscale devrait être interprétée conformément à son objet, compte tenu du fait qu'il est souhaitable d'assurer l'uniformité et la certitude. On ne saurait élargir la portée du libellé d'une loi fiscale afin d'en arriver à ce qui peut sembler être un résultat raisonnable dans un cas particulier.

[60]En l'espèce, on pourrait être fortement tenté de légiférer au lieu d'interpréter la loi. Sans aucun doute, nombreux seront ceux qui estimeront non satisfaisant le résultat de la présente affaire sur le plan de la politique financière. Je comprends bien qu'il semble inéquitable que l'actionnaire d'une société qui s'entend sur un paiement de non-concurrence dans le contexte d'une vente des actions ne soit pas assujetti à l'impôt à l'égard de ce paiement, même si sur le plan économique, cela représente peut-être la réalisation d'une partie importante de la valeur commerciale de l'entreprise exploitée par la société.

[61]Toutefois, reconnaître une situation non satisfaisante et y remédier sont deux choses fort différentes. Les paiements de non-concurrence devraient peut-être être de quelque façon assujettis à l'impôt, mais de quelle façon? L'historique de la présente affaire et l'affaire Fortino indiquent plusieurs possibilités théoriques. Je ne doute aucunement que d'autres théories pourraient être élaborées.

[62]Selon le principal argument invoqué par la Couronne devant la Cour de l'impôt, dans l'affaire Fortino, les paiements de non-concurrence doivent être inclus dans le revenu du bénéficiaire. Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté cet argument parce qu'on ne saurait dire qu'un paiement de non-concurrence émane d'une source de revenu du bénéficiaire. La Cour n'a pu constater aucune erreur dans la conclusion que le juge de la Cour de l'impôt a tirée, à savoir que les paiements de non-concurrence ne constituent pas un revenu.

[63]Selon le deuxième argument invoqué par la Couronne dans l'affaire Fortino, les paiements de non-concurrence constituent des [traduction] «montants en immobilisations admissibles» qui sont visés à l'article 14 [mod. par S.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 10; ch. 21, art. 8; 1995, ch. 3, art. 5; ch. 21, art. 3] de la Loi de l'impôt sur le revenu. Si cet argument avait été retenu, les paiements de non-concurrence auraient en partie mais non totalement été inclus dans le revenu du bénéficiaire (pour la plupart des années, le taux d'inclusion pour les montants en immobilisations admissibles est le même que le taux d'inclusion applicable aux gains en capital; je ne sais pas si cela aurait été le cas pour les paiements en cause dans l'affaire Fortino). Cet argument n'a pas été retenu par la Cour de l'impôt parce qu'on ne saurait dire que des paiements de non-concurrence effectués en faveur d'un actionnaire constituent des montants se rapportant à une entreprise actuellement exploitée ou autrefois exploitée par le bénéficiaire du paiement, ce qui constitue une condition de l'application de l'article 14. La Couronne a abandonné l'argument fondé sur l'article 14 dans l'appel qu'elle a interjeté devant la présente Cour.

[64]Le troisième argument invoqué par la Couronne dans l'affaire Fortino était fondé sur l'article 42 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui exige qu'une somme reçue ou à recevoir en contrepartie de garanties, de promesses ou d'autres obligations conditionnelles se rapportant à la disposition d'un bien soit traitée comme faisant partie du produit de la disposition de ce bien. Cet argument reprend la position énoncée au paragraphe 6 du Bulletin d'interprétation IT-330R. Il n'a pas été retenu par la Cour de l'impôt parce qu'une promesse de ne pas faire concurrence n'est pas une obligation conditionnelle. La Couronne a abandonné l'argument fondé sur l'article 42 dans l'appel qu'elle a interjeté devant la présente Cour. Je suppose qu'elle ne se fonde plus sur le paragraphe 6 du Bulletin d'interprétation IT-330R (voir le paragraphe 10 des présents motifs).

[65]Selon le quatrième argument invoqué par la Couronne dans l'affaire Fortino, lequel a été repris en l'espèce, le paiement constituait le produit de la disposition d'un [traduction] «droit de faire concurrence», droit qui, selon la Couronne, est visé par la définition du mot «biens» figurant au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cet argument ne pouvait pas être examiné dans l'affaire Fortino à cause d'une irrégularité des actes de procédure de la Couronne qui n'avait pas été corrigée à temps pour que l'argument puisse être soulevé sans qu'une injustice soit commise envers le contribuable.

[66]Selon l'avocat de M. Manrell, la Couronne, en l'espèce, a initialement proposé quatre motifs subsidiaires justifiant l'imposition des paiements de non-concurrence. L'un des motifs se rapportait à l'argument fondé sur les gains en capital, soit ce sur quoi porte la présente décision. Le deuxième motif était que le paiement constituait un revenu. Le troisième était que l'article 42 s'appliquait. Le quatrième était que le paiement constituait le produit de la disposition d'un bien personnel énuméré (cet argument n'a pas été invoqué dans l'affaire Fortino et, dans ce cas-ci, il a été abandonné avant que la Cour de l'impôt soit saisie de l'affaire).

[67]L'historique du litige démontre que la solution possible de la question de l'imposition des paiements de non-concurrence et des modalités d'imposition y afférentes s'étend de la pleine imposition au titre du revenu à l'imposition partielle en tant que gain en capital et à la non-imposition. Chaque possibilité théorique pourrait être défendue pour le motif qu'elle entraîne un résultat satisfaisant, ou elle pourrait être contestée pour le motif qu'elle entraîne un résultat non satisfaisant. Il s'agit d'une question de politique fiscale qu'il incombe au législateur de traiter.

Conclusion

[68]Pour ces motifs, je conclus que la Couronne a eu tort d'assujettir M. Manrell à l'impôt en se fondant sur le fait que les paiements que celui-ci a reçus en vertu des ententes de non-concurrence représentaient le produit de la disposition d'un bien. Il s'ensuit que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur en rejetant l'appel de M. Manrell.

[69]L'appel devrait être accueilli avec dépens, le jugement de la Cour de l'impôt devrait être infirmé et les nouvelles cotisations pour les années 1996 et 1997 devraient être renvoyées au ministre pour nouvelle cotisation compte tenu du fait que les paiements de non-concurrence sont des rentrées de capital non imposables.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris à cet avis.

Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris à cet avis.

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