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[2013] 4 R.C.F. 647

T-463-07

2012 CF 499

Dennis Manuge (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : Manuge c. Canada

Cour fédérale, juge Barnes—Halifax, 16 et 17 novembre 2011; Ottawa, 1er mai 2012

Anciens combattants — Prestations d’invalidité — Requête pour qu’il soit statué, avant l’instruction, sur un point de droit dans le cadre d’un recours collectif institué par le demandeur au nom d’environ 4 500 anciens membres des Forces canadiennes (la classe) — Différend visant la légalité de la politique de la défenderesse consistant en la réduction des prestations d’invalidité prolongée (IP) dues aux membres des Forces canadiennes (FC) aux termes de la police n° 901102 du Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) des FC par la déduction des sommes mensuelles qui leur sont dues au titre de la Loi sur les pensions — Le RARM constitue un régime de remplacement de revenu destiné à remplacer un pourcentage du revenu perdu par le membre en raison de son inaptitude au travail; la Loi sur les pensions prévoit le versement de pensions et d’autres prestations à tous les militaires canadiens, sauf dans des circonstances particulières — Il s’agissait de savoir si la prestation de retraite versée en vertu de l’art. 21 de la Loi sur les pensions constitue une « prestation de revenu mensuelle totale » au sens de l’art. 24.a.(iv) de la partie III (B) de la police du RARM n° 901102 — Il y a eu incompréhension de la nature des prestations dues aux membres des FC invalides aux termes de la Loi sur les pensions — Elles ne constituent pas une forme d’indemnité relative aux pertes de revenu, mais correspondent plutôt à une indemnisation concernant la réduction de la capacité à agir dans la vie quotidienne, notamment en ce qui concerne la réduction de la qualité de vie — Il n’y a rien de choquant de voir un membre des FC invalide recevoir une prestation d’invalidité au titre de la Loi sur les pensions en sus d’une prestation d’IP en guise d’indemnisation pour la perte de revenus — Le Chef d’État-Major de la Défense (CEMD) avait la possibilité d’inclure une large définition du mot « revenu » dans la police du RARM, mais il a choisi de ne pas le faire — La Loi sur les pensions ne qualifie pas la pension d’invalidité de « prestation de revenu »; elle ne constitue manifestement pas une prestation de revenu — On ne peut pas faire abstraction du mot « revenu » — Le CEMD a rédigé l’art. 24 de la police du RARM en incorporant le mot restrictif « revenu » en ce qui concerne la compensation des prestations relevant de la Loi sur les pensions, mais n’a pas inclus ce mot restrictif dans un certain nombre d’autres textes portant sur la compensation dans la police du RARM — L’interprétation de l’art. 24.a.(iv) de la police du RARM que prône la défenderesse se traduit par une sous-indemnisation substantielle du membre invalide après sa libération; cette interprétation aboutit à des effets qui lèsent particulièrement les personnes qui ont le plus besoin des prestations qu’elles reçoivent au titre de la Loi sur les pensions — Le fait d’opérer, aux termes du RARM, la compensation des prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions prive complètement les anciens combattants invalides d’un dédommagement financier important conçu comme réparation des blessures qui les ont rendus invalides, subies alors qu’ils servaient leur pays — La compensation réclamée a pour conséquence concrète de réduire substantiellement ou d’éliminer la couverture d’IP promise aux membres de la classe par la police du RARM — La compensation opérée par la défenderesse entre les prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions et le revenu d’IP du RARM constitue un manquement à l’art. 24.a.(iv) de la police du RARM.

Assurance — Interprétation d’un contrat d’assurance dans le contexte des Forces armées — Requête en vue de régler l’aspect contractuel du différend en l’espèce portant sur la légalité de la politique de la défenderesse consistant en la réduction des prestations d’invalidité prolongée (IP) dues aux membres des Forces canadiennes (FC) aux termes de la police n° 901102 du Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) des FC par la déduction des sommes mensuelles qui leur sont dues au titre de la Loi sur les pensions — Il s’agissait de savoir si les membres des FC en l’espèce (la classe) ne sont pas parties au contrat et s’ils doivent s’incliner devant l’interprétation de la police du RARM que le Chef d’État-Major de la Défense (CEMD) et l’assureur privé ont adoptée — Même si les membres de la classe ne sont pas parties au contrat intervenu entre le CEMD et la compagnie d’assurances privée, ils ne sont pas étrangers à la police du RARM et ils peuvent juridiquement faire valoir leur propre interprétation des textes contractuels — Alors que le risque est intégralement garanti par le CEMD et géré par la compagnie d’assurances, de facto, l’assureur est le CEMD et les assurés sont les membres des FC — La police du RARM reconnaît explicitement aux membres des FC leur qualité d’assurés, plus précisément, en vertu de l’art. 52 de la police — Les contributions des membres des FC sous la forme de primes ne cadrent pas avec la thèse de la défenderesse voulant que la seule partie assurée soit le CEMD — Lorsque l’on interprète un contrat d’assurance, on ne recherche pas l’intention subjective de l’une ou l’autre partie, mais plutôt l’intention commune des deux parties — Même si l’interprétation de l’art. 24(a) (iv) était erronée, la défenderesse devait être déboutée au regard du principe voulant que, dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé.

Il s’agissait d’une requête pour qu’il soit statué, avant l’instruction, sur un point de droit présenté en vertu de la règle 220 des Règles des Cours fédérales dans le cadre d’un recours collectif institué par le demandeur au nom d’environ 4 500 anciens membres des Forces canadiennes (la classe). L’objet du différend était la légalité de la politique de la défenderesse consistant en la réduction des prestations d’invalidité prolongée (IP) dues aux membres des Forces canadiennes (FC) aux termes de la police n° 901102 du Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) des FC par la déduction des sommes mensuelles qui leur sont dues au titre de la Loi sur les pensions. La classe a soutenu que cette compensation des prestations n’était pas justifiée sur le plan contractuel et qu’elle constituait une violation du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le nœud du présent différend était constitué par l’interprétation de l’article 24 de la police du RARM; plus précisément, il fallait rechercher si la prestation mensuelle versée aux membres des FC blessés ou invalides en vertu de la Loi sur les pensions constitue une « prestation de revenu mensuelle » au sens du RARM. La classe a soutenu que le versement reçu par ses membres au titre de la Loi sur les pensions n’est pas indemnitaire : il ne vise pas à indemniser le récipiendaire de la diminution de sa qualité de vie et des limites à ses activités quotidiennes. Puisque ce versement ne constitue pas une forme de remplacement de revenu, il n’entre pas dans les prévisions de la disposition de compensation des prestations de l’alinéa 24.a.(iv) du RARM, lequel ne permet que la déduction de la « prestation de revenu mensuelle ». La défenderesse a soutenu que cette compensation des prestations était voulue par les parties contractantes, le Chef d’État-Major de la Défense (CEMD) et la compagnie d’assurances, et, au regard de l’ensemble du régime, leur intention ressort clairement de la terminologie spécialisée que l’on trouve dans le texte de la police du RARM.

Le RARM fut créé parce que l’on considérait comme inadéquats les programmes de prestations auxquels avaient accès les membres des FC à l’époque. Selon la conception d’origine, il était déduit de la prestation du RARM pour IP les sommes perçues par les membres des FC invalides au titre d’autres régimes. En 1976, en reconnaissance de l’inadéquation des prestations mensuelles prévues par la Loi sur les pensions, il y eut confluence des régimes du RARM et de la Loi sur les pensions. La prestation du RARM constitue un régime de remplacement de revenu destiné à remplacer un pourcentage du revenu perdu par un membre des FC en raison de son inaptitude au travail. La Loi sur les pensions prévoit le versement de pensions et d’autres prestations à tous les militaires canadiens, sauf dans des circonstances précises. Selon la Loi sur les pensions et la Table des invalidités de 2006, la pension mensuelle due aux membres des FC invalides n’est pas censée constituer une forme de remplacement de revenu, mais elle est plutôt conçue comme une forme d’indemnisation de la perte de la jouissance de la vie et des limites et sacrifices qu’imposent aux membres les blessures qui les ont rendus invalides.

Il s’agissait de savoir si les membres de la classe n’étaient pas parties au contrat et s’ils devaient s’incliner devant l’interprétation de la police du RARM que le CEMD et la compagnie d’assurances privée ont adoptée, et si la prestation de retraite versée en vertu de l’article 21 de la Loi sur les pensions constitue une « prestation de revenu mensuelle totale » au sens de l’alinéa 24.a.(iv) de la partie III (B) de la police du RARM n° 901102.

Jugement : la compensation opérée par la défenderesse entre les prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions et le revenu d’IP du RARM versé au demandeur et les autres membres de la classe constitue un manquement à l’alinéa 24.a.(iv) de la police du RARM.

Même si les membres de la classe n’étaient pas parties au contrat intervenu entre le CEMD et la compagnie d’assurances privée, ils ne sont pas étrangers à la police du RARM et ils peuvent juridiquement faire valoir leur propre interprétation des textes contractuels. Vu les rapports contractuels actuels entre le CEMD et la compagnie d’assurances, alors que le risque est intégralement garanti par le CEMD et géré par la compagnie d’assurances, de facto, l’assureur est le CEMD et les assurés sont les membres des FC. Les membres des FC ont toujours payé les primes ou contribué aux coûts du programme, et la police du RARM reconnaît explicitement leur qualité d’assurés. Plus précisément, en vertu de l’article 52 de la police du RARM, les membres des FC sont expressément reconnus à titre d’assurés et leurs contributions sous la forme de primes ne cadraient pas avec la thèse de la défenderesse voulant que la seule partie assurée soit le CEMD. En l’espèce, ce sont les membres des FC et le Canada, par l’intermédiaire du CEMD, qui ont des intérêts opposés, alors que la compagnie d’assurances est un tiers largement, sinon complètement, désintéressé.

Était erronée la thèse de la défenderesse voulant que l’interprétation de l’article 24 puisse être éclairée par l’historique contractuel et les motivations du Conseil du Trésor. Même s’il est fort possible que l’intention du CEMD ait été de compenser la prestation prévue par la Loi sur les pensions à même la prestation du RARM pour IP, la police du RARM n’est pas un instrument législatif qui appelle une interprétation fondée sur la recherche de l’intention du législateur. Lorsque l’on interprète un contrat d’assurance, on ne recherche pas l’intention subjective de l’une ou l’autre partie, mais plutôt l’intention commune des deux parties, que l’on peut éventuellement dégager des textes qu’ils ont formulés et du contexte général d’application de ceux-ci.

Il y a eu incompréhension de la nature des prestations dues aux membres des FC invalides aux termes de la Loi sur les pensions. Elles ne constituent pas une forme d’indemnité relative aux pertes de revenu mais plutôt une indemnisation concernant la réduction de la capacité à agir dans la vie quotidienne, notamment en ce qui concerne la perte de capacité et la réduction de la qualité de vie. Par conséquent, la principale raison invoquée par la défenderesse en matière de souscription pour déduire les prestations relevant de la Loi sur les pensions du revenu d’IP du RARM d’un membre ne tenait pas. Il n’y a rien de fâcheux ou de choquant de voir un membre des FC invalide recevoir une prestation d’invalidité au titre de la Loi sur les pensions en sus d’une prestation d’IP en guise d’indemnisation de la perte de revenu.

La Loi sur les pensions a été modifiée afin de remplacer la prestation d’invalidité mensuelle prévue par cette loi par une somme forfaitaire qui n’est pas, à l’heure actuelle, déductible du flux de revenu d’IP du RARM. Avec cette modification, l’alinéa 24.a.(iv) de la police du RARM devient lettre morte en ce qui concerne les réclamations futures, de sorte que seules les réclamations qui sont antérieures à la modification sont visées. L’histoire législative va dans le sens de la thèse du demandeur portant que ne pose aucun problème fondamental la clause contractuelle qui limite la couverture et qui n’a aucune signification immédiate ou effet pratique. En outre, le CEMD avait la possibilité d’inclure une large définition du mot « revenu » dans la police du RARM, mais il a choisi de ne pas le faire. Le fait que, en français, le mot « revenu » est parfois utilisé afin d’englober les pensions n’est pas non plus surprenant dans la mesure où de nombreuses pensions constituent une forme de remplacement ou d’ersatz de revenu. Quant à savoir si le mot « revenu » englobe la prestation d’invalidité qui ne peut être rattachée à une perte de revenu, rien dans la version française de l’article 24 ne va dans le sens de la thèse de la défenderesse sur cette question.

La Loi sur les pensions ne qualifie pas la pension d’invalidité de « prestation de revenu » et elle n’en est manifestement pas. Bien que le CEMD aurait pu rédiger un texte autorisant clairement la déduction de la pension versée au membre au titre de la Loi sur les pensions de la prestation d’IP du RARM, il a rédigé l’article 24 de la police du RARM en incorporant le mot restrictif « revenu » en ce qui concerne la compensation des prestations relevant de la Loi sur les pensions. Le CEMD n’a pas inclus ce mot restrictif dans un certain nombre d’autres textes portant sur la compensation dans la police du RARM ou dans une autre loi pertinente. On ne peut pas faire abstraction du mot « revenu ». Ce mot est entièrement inutile si l’intention était de prévoir la déduction des prestations d’invalidité relevant de la Loi sur les pensions. Dans le langage courant, la « prestation de revenu » ne constitue pas une prestation du genre qui est reconnu par la Loi sur les pensions en matière d’invalidité, et la common law impose rigoureusement cette distinction en interdisant à l’assureur de limiter sa responsabilité selon les modalités adoptées par le CEMD contre les membres de la classe. L’interprétation de l’alinéa 24.a.(iv) de la police du RARM que prône la défenderesse n’était pas conforme à l’approche de common law qui consiste à éviter un double dédommagement pour le même sinistre et s’est traduit par une sous-indemnisation substantielle des membres invalides après leur libération. Elle a également abouti à des effets qui lèsent particulièrement les personnes qui ont le plus besoin des prestations qu’elles reçoivent au titre de la Loi sur les pensions pour les blessures qui les ont rendues invalides.

Le fait d’opérer, aux termes du RARM, la compensation des prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions prive complètement les anciens combattants invalides d’un dédommagement financier important conçu comme réparation des blessures qui les ont rendus invalides, subies alors qu’ils servaient leur pays. Au final, la compensation du RARM fait fi de l’intention du législateur consacrée par la Loi sur les pensions, qui est d’assurer un modeste réconfort financier aux membres ayant subi un préjudice non-financier. L’approche de la défenderesse n’aboutit pas à une solution équitable ou raisonnable sur le plan commercial et fait fi des attentes raisonnables des membres. La compensation réclamée a pour conséquence concrète de réduire substantiellement la couverture d’IP promise aux membres de la classe par la police du RARM, ou d’y mettre fin, et sont particulièrement lésés les membres dont l’invalidité est la plus grave et qui ont été libérés du service actif, une solution inconcevable et qui est rejetée sans réserve.

Même si l’interprétation de l’alinéa 24.a.(iv) était erronée, la défenderesse devait être déboutée au regard du principe voulant que, dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé : lorsque la police d’assurance contient des exceptions et des limites à la couverture, c’est au rédacteur de s’exprimer d’une manière qui reflète clairement l’étendue et la portée de ces clauses limitatives.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15(1).

Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, L.C. 2005, ch. 21, art. 2 « invalidité ».

Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, DORS/2006-50, art. 22a).

Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 9 (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 39(F)).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 220.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 39 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 60, ann. I, art. 19).

Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6, art. 2, 3 « invalidité », 5(3)c) (mod. par L.C. 1995, ch. 18, art. 47), 21 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 16, art. 2; L.C. 1990, ch. 43, art. 8; 1995, ch. 18, art. 76(F); 2000, ch. 12, art. 212; ch. 34, art. 21, 43(A); 2003, ch. 12, art. 2), 24 (abrogé par L.C. 1995, ch. 18, art. 48), 30 (mod. par L.C. 1995, ch. 18, art. 75; 2000, ch. 34, art. 24), 32 (mod., idem, art. 25), 35 (mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 13; 1995, ch. 18, art. 55, 76(F); 2000, ch. 34, art. 27, 43(A); 2005, ch. 21, art. 107).

Loi sur les allocations aux anciens combattants, L.R.C. (1985), ch. W-3.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Bannon v. McNeely, 1998 CanLII 4486, 38 O.R. (3d) 659, 159 D.L.R. (4th) 223, 34 M.V.R. (3d) 189 (C.A.).

décisions différenciées :

Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129.

décisions examinées :

Ryan v. Sun Life Assurance Company, 2005 NSCA 12, 230 N.S.R. (2d) 132, 18 C.C.L.I. (4th) 204; Milner v. Manufacturer’s Life Insurance Company, 2006 BCSC 1571, 42 C.C.L.I. (4th) 237, 43 C.C.L.T. (3d) 155; Re Canada Life Assurance Company v. Donohue, 1999 CanLII 15096, 46 O.R. (3d) 82, 16 C.C.L.I. (3d) 63, [2000] I.L.R. 1-3747 (C.S.); Abdulrahim v. Manufacturers Life Insurance Co., 2003 CanLII 48161, 65 O.R. (3d) 543, 44 M.V.R. (4th) 285 (C. S.); Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurance Guardian du Canada, 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744; Exportations Consolidated Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888; Stitzinger v. Imperial Life Assurance Co. of Canada (1998), 39 O.R. (3d) 566, 2 C.C.L.I. (3d) 208, 60 O.T.C. 161 (Div. gén.); Elliott and Attorney-General of Ontario, [1973] 2 O.R. 534, (1973), 34 D.L.R. (3d) 486, 9 R.F.L. 279 (C.A.).

décisions citées :

Co-operators Compagnie d’assurance-vie c. Gibbens, 2009 CSC 59, [2009] 3 R.C.S. 605; St-Laurent c. Sun Life du Canada Cie d’Assurance-Vie (1989), 101 R.N.-B. (2e) 354 (C.A.); Hoult Estate v. First Canadian Insurance Corp., 1995 CanLII 1292, 25 C.C.L.I. (3d) 255, [1995] I.L.R. 1-3125 (C. supr. C.-B.); Gibson v. Sun Life Assurance Co. of Canada (1984), 45 O.R. (2d) 326, 6 D.L.R. (4th) 746, 7 C.C.L.I. 65 (H. Ct.); Maritime Life Assurance Co. v. Mullenix and Denault-Preston (1986), 76 N.S.R. (2d) 118, 23 C.C.L.I. 248, [1987] I.L.R. 8483 (C.S. 1re inst.); Doucet c. New Brunswick, 2004 NBBR 398, 283 R.N.-B. (2e) 51; Indemnity Ins. Co. of North America v. Excel Cleaning Service, [1954] S.C.R. 169, [1954] 2 D.L.R. 721, [1954] I.L.R. 590.

DOCTRINE CITÉE

Régime d’assurance-revenu militaire. Police du RARM n° 901102, partie I, article 27, partie III (A), articles 52, 53, 64, partie III (B), articles 23, 24, en ligne : <https://www.cfpsa.com/fr/AboutUs/SISIPFS/download/Documents/901102_f.pdf>

Anciens Combattants Canada. Table des invalidités, 2006, en ligne : <http://www.veterans.gc.ca/pdf/dispen/tod2006/tod_total_2006_f.pdf>

Anciens Combattants Canada. Document de référence : Les origines et l’évolution des avantages offerts aux anciens combattants au Canada, 1914-2004. Ottawa : Anciens Combattants Canada, 2004, en ligne : <http://www.veterans.gc.ca/public/pages/forces/nvc/reference_f.pdf>

REQUÊTE pour qu’il soit statué, avant l’instruction, sur un point de droit présenté en vertu de la règle 220 des Règles des Cours fédérales dans le cadre d’un recours collectif institué par le demandeur au nom d’environ 4 500 anciens membres des Forces canadiennes (FC) portant sur la légalité de la politique de la défenderesse consistant en la réduction des prestations d’invalidité prolongée dues aux membres des FC aux termes de la police n° 901102 du Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) des FC par la déduction des sommes mensuelles qui leur sont dues au titre de la Loi sur les pensions. La compensation des prestations relevant de la Loi sur les pensions constitue un manquement à la police du RARM.

ONT COMPARU

Ward Branch et Daniel Wallace pour le demandeur

James Gunvaldsen-Klaassen et Lori Rasmussen pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

McInnes Cooper, Halifax, et Branch MacMaster LLP, Vancouver, pour le demandeur

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Barnes : La Cour est saisie d’un recours collectif institué par le demandeur, Dennis Manuge, au nom de, environ, 4 500 anciens membres des Forces canadiennes (la classe).

[2]        L’objet du présent différend est la légalité de la politique de la défenderesse consistant en la réduction des prestations d’invalidité prolongée (IP) dues aux membres des Forces canadiennes (FC) aux termes de la police no 901102 du Régime d’assurance-revenu militaire [RARM] des FC par la déduction des sommes mensuelles qui leur sont dues au titre de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6. La classe soutient que cette compensation des prestations n’est pas justifiée sur le plan contractuel et qu’elle constitue une violation du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[3]        Il faut rendre hommage aux parties d’avoir convenu de régler l’aspect contractuel de leur différend à titre préliminaire sur requête présentée en vertu de la règle 220 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] (les règles). Elles ont donc présenté un exposé conjoint des faits et ont demandé à la Cour de répondre aux questions de droit suivantes :

1. La prestation de retraite versée en vertu de l’article 21 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 16, art. 2; L.C. 1990, ch. 43, art. 8; 1995, ch. 18, art. 76(F); 2000, ch. 12, art. 212, ch. 34, art. 21, 43(A); 2003, ch. 12, art. 2] de la Loi sur les pensions, constitue-t-elle une « prestation de revenu mensuelle totale » au sens de cette expression qui est définie à l’alinéa 24.a.(iv) de la partie III (B) de la police du RARM no 901102?

2. La prestation de retraite versée en vertu de l’article 21 de la Loi sur les pensions, constitue-t-elle une « solde mensuelle du membre à la date de libération des Forces canadiennes » au sens de cette expression qui est définie au paragraphe 23.a. de la partie III (B) de la police du RARM no 901102?

[4]        Le nœud du présent différend est constitué par l’interprétation de l’article 24 du RARM; plus précisément, il faut rechercher si la prestation mensuelle versée aux membres des FC blessés ou handicapés en vertu de la Loi sur les pensions constitue une « prestation de revenu mensuelle » au sens du RARM. Voici les dispositions pertinentes (exposé conjoint des faits (8 septembre 2011), à la page 41 (la police du RARM no 901102, la partie III (B), article 24) (la police du RARM)) :

24. Autres sources de revenu

a.   Le montant de la prestation mensuelle versée selon l’article 23 doit être réduit du total des montants suivant :

(i)    de la prestation de revenu mensuelle versée au membre en vertu de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes; et

(ii)   de la prestation de revenu mensuelle versée au membre en vertu du Régime des pensions du Canada ou de la Régie des rentes du Québec (y compris les versements rétroactifs pour la période pendant laquelle ces prestations ont été financées en vertu de la présente section 2); et

(iii)   du revenu d’emploi du membre, sauf si ce dernier participle à un programme de réadaptation approuvé par l’Assureur auquel cas la prestation mensuelle sera réduite conformément aux dispositions de l’article 28; et

(iv)  de la prestation de revenu mensuelle totale versée au membre en vertu de la Loi sur les pensions (y compris les indemnités de personnes à charge et les versements rétroactifs pour la période pendant laquelle ces prestations ont été financées en vertu de la présente section 2). [Non souligné dans l’original.]

[5]        La classe soutient que le versement reçu par ses membres au titre de la Loi sur les pensions n’est pas indemnitaire : il ne vise pas à indemniser le récipiendaire de la diminution de sa qualité de vie et des limites à ses activités quotidiennes. Puisque ce versement ne constitue pas une forme de remplacement de revenu, il n’entre pas dans les prévisions de la disposition de compensation des prestations de l’alinéa 24.a.(iv) du RARM, lequel ne permet que la déduction de la « prestation de revenu mensuelle » [non souligné dans l’original].

[6]        La défenderesse soutient que cette compensation des prestations était voulue par les parties contractantes, le Chef d’État-Major de la Défense (CEMD) et Manuvie, et, au regard de l’ensemble du régime, leur intention ressort clairement de la terminologie spécialisée que l’on trouve dans le texte de la police du RARM. Selon la défenderesse, l’article 24 de la police du RARM se borne à intégrer les prestations que l’on retrouve souvent dans de nombreuses polices d’assurance d’IP.

            La police du RARM et la Loi sur les pensions

[7]        André Bouchard est président des services financiers du Régime d’assurance-revenu militaire. Son affidavit contient d’utiles renseignements historiques au sujet du développement du RARM depuis les origines en 1969; pour l’essentiel, cet historique n’est pas controversé entre les parties.

[8]        Le RARM fut créé parce que l’on estimait qu’étaient inadéquats les programmes de prestations auxquels avaient accès les membres des FC à l’époque. Le RARM a été développé afin que soit fourni [traduction] « un plan d’assurance-groupe qui permettra au membre blessé ou handicapé, ou à ses survivants dépendants, de maintenir un niveau de vie raisonnable lorsqu’il y a handicap ou décès » : dossier de requête de la défenderesse (requête par laquelle il est demandé à la Cour de statuer sur un point de droit (28 octobre 2011), à la page 28 (affidavit d’André Bouchard (28 octobre 2011), au paragraphe 8) (affidavit d’André Bouchard). La raison d’être précise du RARM se trouve dans le passage suivant d’une note de breffage préparée pour le CEMD en juin 1969 (affidavit d’André Bouchard, annexe « A », à la page 35 (breffage pour le CEMD concernant le Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) (juin 1969), à l’article 2)) :

[traduction]

2.   L’étude poussée des différentes formes de couverture assurées par l’État révèle que plus de cinquante pour cent du personnel des Forces canadiennes ne sont pas protégés adéquatement par la Loi sur les pensions et la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, même si s’ajoutent aux avantages prévus par ces textes les prestations prévues par le régime de pensions du Canada ou des rentes du Québec. L’un des aspects les plus déprimants de cette situation est que la veuve et les enfants du membre qui meurt alors qu’il n’est pas en service ou qui devient handicapé à la suite d’un événement non-rattaché au service pendant les dix premières années de service, se retrouvent avec un faible revenu ou même, dans de nombreux cas, un revenu nul; ce sont des familles qui sont dénuées de tout. De même, les veuves et les enfants de membres qui comptent plus de dix ans de service se voient forcés d’accepter une réduction du revenu perçu par le membre en service allant de 90% à 65%, selon la durée de son service. Bien entendu, il est nécessaire d’assurer une forme de protection supplémentaire si l’on veut :

(a)   assurer un revenu à la veuve et aux enfants du défunt ou du membre handicapé qui ne compte pas assez d’années de service pour prétendre à une pension;

(b)   ajouter au revenu tiré de la LPRFC et du régime de pensions du Canada ou du Québec versé au membre handicapé et au survivants du membre décédé afin d’atteindre un niveau d’environ 60-80% de la solde qu’il percevait au moment de son décès ou de sa blessure.

[9]        Il est peut-être un peu significatif, sur le plan historique que, dans la version proposée initialement, le RARM était conçu comme un supplément à la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17 (LPRFC) et aux régimes de pensions du Canada et de rentes du Québec et distinct de la prestation prévue par la Loi sur les pensions.

[10]      Le RARM fut créé en vertu de l’article 39 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 60, ann. I, art. 19] de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, une disposition qui autorise le CEMD à créer des programmes dont peuvent bénéficier les membres des FC. Depuis sa création, le RARM est administré par le truchement d’un contrat entre le CEMD et un assureur privé (à l’heure actuelle Manuvie). À l’origine, le financement était intégralement assuré à partir des primes versées volontairement par les membres participants; cependant, des modifications ultérieures au fil des ans ont substantiellement réduit le pourcentage des contributions des membres des FC. Depuis 2009, les membres des FC assument 15% des primes relatives à l’IP pour les handicaps qui ne sont pas rattachables au service, et zéro pour ceux qui le sont. Quant aux membres réguliers des FC qui se sont enrôlés après le 1er avril 1982, la participation au RARM est obligatoire et, depuis 1999, les réservistes des FC sont aussi tenus de participer.

[11]      Selon la conception d’origine, il était déduit de la prestation du RARM pour IP les sommes perçues par les membres des FC blessés ou handicapés au titre de la LPRFC et aux régimes de pensions du Canada et des rentes du Québec. De même, si le membre remplissait les conditions des prestations prévues par la Loi sur les pensions pour blessure ou décès rattachable au service militaire, aucune somme n’était due au titre du RARM.

[12]      En 1971, les membres des CF blessés dans les « zone de service spécial » furent autorisés à percevoir les prestations prévues par la Loi sur les pensions tout en restant en service actif dans les FC.

[13]      En 1975, le montant des prestations d’IP du RARM fut porté de 60% à 75% du revenu du membre au moment de sa libération et les échelons mensuels pour les enfants dépendants furent éliminés.

[14]      En 1976, en reconnaissance de l’inadéquation des prestations mensuelles prévues par la Loi sur les pensions, la couverture du RARM en matière d’IP fut élargie afin que soit inclus les handicaps rattachables au service militaire. C’est alors qu’il y eut confluence des régimes du RARM et de la Loi sur les pensions. Selon M. Bouchard, c’est aussi à ce moment que les prestations prévues par la Loi sur les pensions [traduction] « furent ajoutées à la liste des déductions applicables » en vertu du RARM afin de prévenir le « cumul » de versements de deux sources financées par des fonds fédéraux, et aussi pour des motifs de [traduction] « coûts et d’équité » (au paragraphe 24 de l’affidavit d’André Bouchard).

[15]      L’affidavit de M. Bouchard mentionne une autre raison pour laquelle le Conseil du trésor est soucieux du « cumul » des prestations (affidavit d’André Bouchard, au paragraphe 19) :

[traduction] La réduction des prestations d’IP afin que soient prises en compte les autres sources de revenu est une caractéristique commune aux plans d’assurance en matière d’IP tant publics que privés, et elle est conforme à l’objectif de l’assurance en cette matière. L’alinéa 24 a)(iv) de la Partie III(B) de la police du RARM 901102 (annexe « C») est la disposition qui permet la déduction d’autres sources de revenu des prestations d’IP du RARM (« la disposition de compensation»). [Non souligné dans l’original.]

[16]      En octobre 2000, la Loi sur les pensions fut modifiée afin que soient accordées des prestations à tous les membres handicapés en raison de blessures rattachables à leur service subies de quelque manière que ce soit. Les membres handicapés qui étaient capable de continuer à servir au sein des FC furent autorisés à percevoir les prestations prévues par la Loi sur les pensions en sus de leur solde.

[17]      En 2006, la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, L.C. 2005, ch. 21 (la nouvelle charte des anciens combattants) est entrée en vigueur. Elle remplaçait les prestations prévues par la Loi sur les pensions par une somme forfaitaire non-déductible des prestations prévues par le RARM. Cette modification n’était pas rétroactive et ne visait donc pas les membres de la classe.

[18]      Mr. Bouchard qualifie la police du RARM de contrat entre le CEMD et Manuvie : les prestations sont dues sur un fondement strictement contractuel. Il déclare que la prestation du RARM constitue un régime de remplacement de revenu qui garantit au membre handicapé 75% de sa solde au moment de sa libération. Les prestations du RARM ne constituent pas une indemnité relative à la gravité des blessures subies ou à la perte de capacité de l’intéressé. Selon M. Bouchard, la compensation prévue par l’article 24 [abrogé par L.C. 1995, ch. 18, art. 48] de la Loi sur les pensions est [traduction] « nécessaire au bon fonctionnement d’un régime d’assurance-invalidité »; elle prévient aussi la possibilité, théorique, de la perception, par le membre handicapé, [traduction] « au titre de remplacement de revenu, de sommes supérieures à ce qu’il aurait gagné à titre d’employé » : affidavit d’André Bouchard, au paragraphe 34. Le RARM ne fut pas conçu pour assumer au complet la charge de la perte de revenu rattachée à un handicap et il partage cette charge avec d’autres programmes, comme le régime de pensions du Canada (RPC), la LPRFC et la Loi sur les pensions. Bref, M. Bouchard semble croire que les prestations prévues par la Loi sur les pensions visent le remplacement du revenu et qu’il convient de les déduire des prestations du RARM afin d’éviter la double indemnisation en matière de perte de revenu.

[19]      Je retiens la qualification du RARM de régime de remplacement de revenu soutenue par M. Bouchard. En fait, il semble que l’on ait affaire à une assurance-indemnisation classique destinée à remplacer un pourcentage du revenu perdu par le membre en raison de son inaptitude au travail.

[20]      La Loi sur les pensions prévoit le versement de pensions et d’autres prestations à tous les militaires canadiens, sauf dans la mesure où l’intéressé a droit à une somme forfaitaire aux termes de la nouvelle Charte des anciens combattants. En ce qui concerne les membres de la classe, la Loi sur les pensions est applicable et non pas la nouvelle Charte des anciens combattants.

[21]      L’article 2 de la Loi sur les pensions reconnaît l’obligation du gouvernement canadien d’indemniser les militaires canadiens qui sont devenus invalides ou qui sont morts alors qu’ils servaient leur pays. On concrétise cette obligation par une interprétation large du texte législatif; en outre, en ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve, dans le doute, on se prononce en faveur de l’ancien combattant invalide (voir alinéa 5(3)c) [mod. par L.C. 1995, ch. 18, art. 47]). L’article 3 de la Loi sur les pensions définit comme suit le mot « invalidité » : « La perte ou l’amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental ».

[22]      L’article 35 [mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 13; 1995, ch. 18, art. 55, 76(F); 2000, ch. 34, art. 27, 43(A); 2005, ch. 21, art. 107] de la Loi sur les pensions dispose que le montant des pensions pour invalidité est calculé en fonction de l’estimation du degré d’invalidité et l’on se fonde sur les instructions et la Table des invalidités établies par le ministre des Anciens Combattants. Selon le paragraphe 35(4), la pension relevant de la Loi sur les pensions ne peut être réduite au motif que le membre « a entrepris un travail ou qu’il s’est perfectionné dans une profession »; en effet, le membre invalide a droit à la prestation d’invalidité relevant de la Loi sur les pensions, même s’il demeure en service actif.

[23]      Les instructions et la Table des invalidités, 2006 (Table) donnent les directives suivantes (exposé conjoint des faits (8 septembre 2011), à la page 321 (Tables des invalidités (janvier 2006), à la page 1, disponible aussi en ligne :<http://www.veterans.gc.ca/pdf/dispen/tod2006/tod_total_2006_f.pdf>) :

La Table des invalidités est l’instrument utilisé par Anciens Combattants Canada pour évaluer le degré de déficience médicale découlant d’une invalidité ouvrant droit à des indemnités d’invalidité. Elle a été révisée selon le concept de la déficience médicale découlant d’une affection particulière. L’importance relative du système/appareil ou de la partie du système/appareil en cause a été prise en compte dans l’élaboration des critères d’évaluation de la déficience résultant d’une invalidité ouvrant droit à des indemnités d’invalidité. L’évaluation de l’invalidité ouvrant droit à des indemnités d’invalidité est établie en fonction de la cote de déficience médicale, conjointement avec les indicateurs de la qualité de vie qui permettent d’évaluer les effets de la déficience sur le mode de vie du pensionné.

[24]      Selon les principes d’évaluation que l’on trouve dans la Table du ministre, la définition du mot « invalidité » [à l’article 3] de la Loi sur les pensions et [à l’article 2] de la nouvelle Charte des anciens combattants appellent des évaluations tant médicales (déficience) que non-médicales (qualité de vie). La déficience médicale consiste en la perte ou en la modification de tout système ou partie corporels et de la perte de fonction qui en découle. Avec l’évaluation de la qualité de vie, on examine la capacité de l’intéressé de participer à des activités de la vie quotidienne de manière indépendante, la capacité de participer aux activités récréatives et communautaires et la capacité d’entreprendre et d’entretenir des relations personnelles. Un élément important lorsque l’on apprécie les effets sur « la qualité de vie » est la mesure dans laquelle l’invalidité a touché les activités usuelles ou habituelles de l’intéressé.

[25]      Si l’évaluation des activités exercées indépendamment dans le cadre de la vie quotidienne comprend tant l’aspect domestique que professionnel, la Table du ministre dit clairement que le droit à une pension ne dépend pas de l’incapacité de l’intéressé à trouver du travail.

[26]      Lorsque les chiffres relatifs aux questions médicales et à la qualité de vie de l’intéressé sont établis, on les synthétise afin de fixer l’évaluation d’invalidité à partir duquel est calculé le montant de la pension mensuelle prévu par la Loi sur les pensions. La Table des invalidités comprend une échelle d’invalidité subdivisée en 20 échelons allant de 5% à 100% d’invalidité. À chaque échelon correspond une prestation de pension qui est proportionnelle au degré d’invalidité subie.

[27]      Il ressort clairement de la Loi sur les pensions et de la Table du ministre que la pension mensuelle due aux membres n’est pas censée constituer une forme de remplacement de revenu. Elle est plutôt conçue comme une forme d’indemnisation de la perte de la jouissance de la vie et des limites et des sacrifices qu’imposent aux membres les blessures qui les ont rendu invalides. Cela n’est pas une surprise complète pour la défenderesse. Le Document de référence de 2004 préparé par le ministère des Anciens Combattants du Canada dit que l’objet des pensions d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions était d’assurer une « compensation pour la diminution de la qualité de vie, et parfois de la durée de vie, de la personne handicapée », et non pas, comme beaucoup le croient à tort, d’assurer le remplacement du revenu : affidavit du sergent John G. Bartlett (22 septembre 2011), annexe « B », à la page 8 (Document de référence : Les origines et l’évolution des avantages offerts aux anciens combattants au Canada, 1914-2004 (mars 2004), à la page 81, aussi disponible en ligne : <http://www.veterans.gc.ca/public/pages/forces/nvc/reference_f.pdf>).

Questions en litige

[28]      La prestation de retraite versée en vertu de l’article 21 de la Loi sur les pensions, constitue-t-elle une « prestation de revenu mensuelle totale » au sens de l’alinéa 24.a.(iv) de la partie III (B) de la police du RARM no 901102?

[29]      La prestation de retraite versée en vertu de l’article 21 de la Loi sur les pensions, constitue-t-elle une « solde mensuelle du membre à la date de libération des Forces canadiennes » au sens du paragraphe 23.a. de la partie III (B) de la police du RARM no 901102?

Discussion

[30]      Vu les questions posées par la requête, la Cour est appelée à interpréter l’article 24 de la police du RARM; plus précisément, elle est appelée à rechercher si la pension d’invalidité prévue par la Loi sur les pensions entre dans les prévisions des mots « prestation de revenu mensuelle totale versée au membre en vertu de la Loi sur les pensions (y compris les indemnités de personnes à charge et les versements rétroactifs pour la période pendant laquelle ces prestations ont été financée) ».

[31]      Il n’est pas controversé entre les parties que les principes d’interprétation des contrats d’assurance sont pertinents vu les questions posées : voir le mémoire des faits et du droit du demandeur : requête par laquelle il est demandé à la Cour de statuer sur un point de droit (22 septembre 2011), au paragraphe 128; dossier de requête de la défenderesse (requête par laquelle il est demandé à la Cour de statuer sur un point de droit) (28 octobre 2011), à la page 6 (mémoire des faits et du droit de la défenderesse, au paragraphe 16). Cependant, la défenderesse soutient que les membres de la classe ne sont parties au contrat et qu’ils doivent s’incliner devant l’interprétation de la police du RARM que le CEMD et Manuvie ont adoptée. Au fond, la défenderesse soutient que, comme les membres des FC ne sont pas parties au contrat, ils peuvent exiger le respect de celui-ci, mais seulement selon l’interprétation retenue par le CEMD et Manuvie. À ce sujet, ils s’appuient sur l’arrêt Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129 (Eli Lilly), par lequel la Cour suprême du Canada a décidé, au paragraphe 53, qu’il n’est pas loisible à un tiers de se fonder sur la règle portant que la convention s’interprète contre celui qui a stipulé (contra proferentem) pour remettre en cause l’interprétation du contrat retenue par les parties contractantes. La défenderesse soutient aussi que l’historique du RARM, tel que relaté par M. Bouchard, confirme l’intention du Canada de déduire les prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions des prestations de revenu pour IP du RARM.

[32]      Je rejette la thèse portant que les membres n’ont rien à voir avec la police du RARM et qu’ils ne sauraient juridiquement faire valoir leur propre interprétation des textes contractuels. On peut opérer une distinction par rapport aux faits de l’affaire Eli Lilly. Il s’agissait d’un accord de licence qui ne concernait en nulle manière le tiers. Vu leur nature, il en va autrement des polices d’assurance; le bénéficiaire peut être partie à la police à titre d’assuré mais, de toute manière, même le tiers bénéficiaire a un intérêt suffisant pour prétendre au respect de celle-ci et pour faire valoir toute interprétation qu’aurait pu soutenir l’une ou l’autre des parties contractantes. Même si la police du RARM en est une de groupe et si le CEMD et l’assureur y sont désignées comme parties, on ne saurait utilement soutenir que les membres des FC couverts ne sont pas en mesure de s’appuyer sur les règles d’interprétation applicables de manière générale en matière de contrats d’assurance : voir Co-operators Compagnie d’assurance-vie c. Gibbens, 2009 CSC 59, [2009] 3 R.C.S. 605, au paragraphe 28; Ryan v. Sun Life Assurance Company, 2005 NSCA 12 , 230 N.S.R. (2d) 132 (Ryan v. Sun Life), au paragraphe 26; St-Laurent c. Sun Life du Canada Cie d’Assurance-Vie (1989), 101 R.N.-B. (2e) 354 (C.A.); Hoult Estate v. First Canadian Insurance Corp., 1994 CanLII 1292, 25 C.C.L.I. (2d) 255 (C. supr. C.-B.), aux paragraphes 17 et 18; Milner v. Manufacturer’s Life Insurance Company, 2006 BCSC 1571, 42 C.C.L.I. (4th) 237 (Milner v. Manufacturer’s Life), au paragraphe 16; Re Canada Life Assurance Company v. Donohue, 1999 CanLII 15096, 46 O.R.(3d) 82 (C.S.) (Canada Life v. Donohue), au paragraphe 15.

[33]      En effet, vu les rapports contractuels actuels entre le CEMD et Manuvie, alors que le risque est intégralement garanti par le CEMD et géré par Manuvie, de facto, l’assureur est le CEMD et les assurés sont les membres des FC. Cette vision est conforme à l’historique de la police du RARM, laquelle a été rédigée par le CEMD et imposée aux membres des FC, qui ont toujours payé les primes ou contribué aux coûts du programme, et la police du RARM reconnaît explicitement leur qualité d’assurés : voir, par exemple, la police du RARM, la partie I, article 27; la police du RARM, la partie III (A), articles 52 et 53. Plus précisément, l’article 52 explique de quelle manière « les membres admissibles deviennent […] assurés » aux termes du régime d’IP. Cette reconnaissance expresse des membres des FC à titre d’assurés aux termes de la police et leurs contributions sous la forme de primes ne cadrent pas avec la thèse de la défenderesse voulant que la seule partie assurée soit le CEMD. À cet égard, ce sont les membres des FC et le Canada, par l’intermédiaire du CEMD, qui ont des intérêts opposés. Manuvie est, concrètement, un tiers largement, mais pas complètement, désintéressé, qui n’a aucun intérêt évident à s’opposer aux vues de son associé commercial au nom duquel il gère le régime.

[34]      De même, est erronée la thèse de la défenderesse voulant que l’interprétation de l’article 24 puisse être éclairée par l’historique contractuel et les motivations du Conseil du Trésor exposés dans leurs grandes lignes par M. Bouchard. Il est fort possible que l’intention du CEMD ait été de compenser la prestation prévue par la Loi sur les pensions et la prestation du RARM pour IP. Cependant, la police du RARM n’est pas un instrument législatif qui appelle une interprétation fondée sur la recherche de l’intention du législateur. Lorsque l’on interprète un contrat d’assurance, on ne recherche pas l’intention subjective de l’une ou l’autre partie, mais plutôt l’intention commune des deux parties que l’on peut éventuellement dégager des textes qu’ils ont formulés et du contexte général d’application de ceux-ci. À ce sujet, le juge Thomas Cromwell a fait des observations judicieuses dans l’arrêt Ryan v. Sun Life, précité, au paragraphe 24 :

[traduction]    Je signale ceci parce que les parties et le juge en chambre ont fait référence à des échanges de projets et de correspondance entre les parties ayant trait à cette nouvelle clause de subrogation. Nul doute que l’examen de ces documents révèle que l’objectif de l’assureur en proposant les formules qui furent adoptées par la suite était de lui donner le droit d’avoir une part dans tous les genres de dommages; cependant, la question n’est pas de savoir qu’elle était l’intention de l’assureur. Comme l’a précisé le juge Iacobucci dans l’arrêt Eli Lilly, précité, la question était plutôt de savoir quelle était l’intention contractuelle des parties. Il faut la dégager des mots auxquels elles ont eu recours, au regard des circonstances, et il n’y a pas lieu, par ailleurs, de produire des éléments de preuve concernant l’intention subjective de l’une des parties; il n’est pas nécessaire de prendre en compte quelque élément de preuve extrinsèque que ce soit lorsque le document est clair et sans ambiguïté : Eli Lilly aux par. 54-55. [Souligné dans l’original.]

[35]      Dans l’affaire Milner v. Manufacturer’s Life, précité, la Cour a, de manière similaire, déduit ce que l’assureur tentait d’accomplir par la rédaction d’une stipulation d’intégration de source collatérale, mais a rejeté l’interprétation de l’assureur vu le manque de clarté du texte de la police. Bref, la question n’est pas de savoir ce que l’auteur de la police a pu avoir à l’esprit. La question est de savoir ce que le texte signifie objectivement pour les parties.

[36]      Par conséquent, la défenderesse ne peut utilement s’appuyer sur la modification de la police du RARM de 1976 : voir plus haut, au paragraphe 14. M. Bouchard déclare que l’on a fait cette modification en raison du chevauchement auquel a abouti l’élargissement du champ de couverture de la police du RARM, qui visait dorénavant les blessures attribuables au service militaire; toutefois, il faut rechercher si les textes du CEMD parviennent à ce résultat. Après tout, les membres des FC ne connaissaient pas le motif du CEMD en ce qui concerne la police du RARM; en outre, ils n’ont pas été consultés.

[37]      En règle générale, les éléments de preuve extrinsèques ne sont pas recevables aux fins d’établissement de l’intention subjective d’une partie à un contrat d’assurance. Le seul cas où l’on peut présenter un élément de preuve extrinsèque est lorsque l’on veut établir un objectif de souscription en ce qui concerne une condition litigieuse. On trouvera des observations en ce sens dans la décision Abdulrahim v. Manufacturers Life Insurance Co., 2003 CanLII 48161, 65 O.R. (3d) 543 (C.S.) (aux paragraphes 67 et 68) :

[traduction]    Les éléments extrinsèques relatifs aux circonstances entourant le contrat peuvent être recevables dans certains cas (par exemple afin d’en expliquer l’objet commercial). Cependant, les éléments de preuve portant sur l’intention subjective des parties, notamment les projets de lettre ou d’autres modes d’expressions d’intention produits au cours des négociations (Indian Molybdenum, précité, p. 503) et les intentions concernant la rédaction ou la mise en œuvre d’un accord (Eli Lilly, précité, au par. 59) ne sont pas recevables. Dans la décision Transcanada Pipelines, le juge Lane fait les observations suivantes au par. 12 :

Les éléments de preuve portant directement sur l’intention d’une partie en ce qui concerne une formulation particulière ne sont pas des éléments contextuels recevables. Cela vaut encore plus lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la partie n’a pas communiqué cette intention en temps utile à l’autre partie.

   Manuvie a conservé le contrôle complet de la formulation de ce contrat, et elle aurait pu utiliser des termes plus spécifiques pour rédiger la clause d’exclusion si elle avait voulu limiter les prestations dues à l’assuré dans ces circonstances. Les principes encadrant l’interprétation des contrats d’assurance définis par la Cour suprême jouent. À ce sujet, dans la décision Eli Lilly, précitée, le juge Iacobucci s’est borné à rechercher si une partie pouvait produire des éléments extrinsèques après avoir spécifiquement signalé (au par. 53) que la règle portant que la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et d’autres principes d’interprétation n’était pas applicables, parce que la demande était présentée par un tiers. En l’espèce, ces principes jouent et je dois me prononcer en faveur du demandeur. [Non souligné dans l’original.]

[38]      Je conviens que l’affidavit de M. Bouchard concerne un problème de souscription; il s’agissait d’éviter le cumul de prestations de revenus. Cet élément de preuve est recevable; cependant, il est fondé sur une incompréhension de la nature des prestations dues aux membres des CF invalides aux termes de la Loi sur les pensions. Elles ne constituent pas une forme d’indemnité relative aux pertes de revenu. Il s’agit plutôt d’une indemnisation concernant la réduction de la capacité à agir dans la vie quotidienne, notamment en ce qui concerne la perte de capacité et la réduction de la qualité de la vie. Au final, la principale raison invoquée par M. Bouchard en matière de souscription pour déduire les prestations relevant de la Loi sur les pensions du revenu d’IP du RARM (à savoir éviter la perception d’indemnisations excessives pour la perte de revenu) ne tient pas. Il n’y a rien de fâcheux ou de choquant de voir un membre des FC invalide recevoir une prestation d’invalidité au titre de la Loi sur les pensions en sus d’une prestation d’IP en guise d’indemnisation de la perte de revenu. Il est aussi incorrect de la part de M. Bouchard de dire que la compensation des prestations relevant de l’alinéa 24.a.(iv) de la police du RARM opérées par la défenderesse constitue une démarche typique en matière d’intégration des prestations relevant des polices d’IP. La common law n’autorise pas l’assureur d’IP à se faire subroger dans les droits d’un assuré qui ne sont pas de la nature d’une indemnité, et les assureurs d’IP respectent, en général, cette distinction dans leurs polices : voir Gibson v. Sun Life Assurance Co. of Canada (1984), 45 O.R. (2d) 326, 6 D.L.R. (4th) 746 (H. Ct.); Maritime Life Assurance Co. v. Mullenix and Denault-Preston (1986), 76 N.S.R. (2d) 118 (C.S. (1re inst.)). Lorsque l’assureur tente de faire un bénéfice exceptionnel en voulant recouvrer quelque chose de nature différente que ce qui a été payé à l’assuré, il est souvent débouté : voir Bannon v. McNeely, 1998 CanLII 4486, 38 O.R. (3d) 659 (C.A.), aux paragraphes 49 et 50.

[39]      En outre, je ne saurais dire qu’une économie constitue un facteur légitime pour l’assureur. Il est toujours dans l’intérêt de l’assureur d’économiser lorsqu’il réagit aux réclamations, et, fondamentalement, sinon complètement, il obtient cet avantage au détriment de l’assuré. L’assureur ne saurait utilement avoir recours à un tel argument, qui n’est d’aucune assistance non plus en ce qui concerne un différend concernant la lecture du texte de la police.

[40]      Puisqu’il faut conclure que la classe ne peut être pénalisée par l’interprétation du contrat prônée par la défenderesse, il est important de rappeler les principes qui encadrent l’interprétation des contrats d’assurance et, notamment des contrats d’adhésion.

[41]      Dans l’arrêt Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurance Guardian du Canada, 2006 CSC 21, [2006] 1 R.C.S. 744, la Cour suprême du Canada a discuté les règles d’interprétation spécifiques qui jouent en matière de contrats d’assurance. La Cour a alors tenu compte de l’inégalité entre les parties en ce qui concerne la conclusion du contrat d’assurance. Les passages suivants de l’arrêt sont instructifs (aux paragraphes 27 à 30) :

   La police d’assurance constitue un type particulier de contrat. Comme pour tout contrat, il faut examiner ses termes à la lumière des circonstances pour déterminer l’intention des parties et la portée de l’entente. Au cours de sa longue histoire, le droit des assurances a donné naissance à quelques principes propres à l’interprétation des polices d’assurance. Notre Cour les a récemment examinés dans l’arrêt Non‑Marine Underwriters, Lloyd’s of London c. Scalera, [2000] 1 R.C.S. 551, 2000 CSC 24. Ils ne s’appliquent toutefois qu’en cas d’ambiguïté des dispositions de la police.

   Premièrement, les tribunaux doivent rester conscients de l’inégalité du rapport de force entre les parties et interpréter les clauses du contrat d’assurance en conséquence. Ils peuvent le faire en recourant (1) soit à la règle contra proferentem, (2) soit à l’interprétation large des clauses de garantie et à l’interprétation restrictive des clauses d’exclusion. Suivant ces règles, toute clause ambiguë s’interprète contre son auteur […]

   Deuxièmement, les tribunaux doivent tenter de donner effet aux attentes raisonnables des parties tout en se gardant de favoriser l’une d’elles. Essentiellement, « les cours devraient être réticentes à appuyer une interprétation qui permettrait soit à l’assureur de toucher une prime sans risque soit à l’assuré d’obtenir une indemnité que l’on n’a pas pu raisonnablement rechercher ni escompter au moment du contrat » (Exportations Consolidated Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888, p. 901‑902; Non‑Marine Underwriters, par. 71).

   Enfin, il faut également tenir compte du contexte dans lequel s’inscrit le risque en cause.

[42]      L’idée que le juge doit rechercher le sens du texte en se fondant sur les attentes raisonnables des parties n’est pas nouvelle. Elle remonte au moins à l’arrêt Exportations Consolidated Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888, par lequel le juge Willard Estey a conclu qu’il fallait écarter le sens littéral du texte au profit d’une lecture qui correspond à un résultat équitable et sensé sur le plan commercial. En principe, doit être évitée l’interprétation qui aboutit à un gain exceptionnel pour l’une ou l’autre des parties aux dépens de la partie cocontractante. Il me semble que voilà une autre manière de dire que le contexte doit l’emporter sur la lettre stricte en matière de contrats d’assurance. Cependant, en cas d’ambiguïté, s’applique la règle portant que, en cas de doute, le contrat s’interprète contre celui qui l’a rédigé et l’on préfère toujours la solution qui va dans le sens des attentes raisonnables de l’assuré.

[43]      Il reste donc à la Cour de rechercher ce que signifient les mots « prestation de revenu mensuelle totale versée au membre en vertu de la Loi sur les pensions (y compris les indemnités de personnes à charge et les versements rétroactifs pour la période pendant laquelle ces prestations ont été financée) » [à l’alinéa 24.a.(iv) de la police du RARM]. Il ne s’agit pas d’interpréter de manière isolée un mot ou expression en particulier, mais plutôt de les lire au regard de l’ensemble de l’accord et des circonstances. La recherche du sens appelle la recherche de l’intention commune, qui aboutit à une solution équitable et sensée sur le plan commercial pour les parties.

            La thèse du demandeur

[44]      La thèse principale qu’oppose le demandeur à la compensation que veut opérer le demandeur entre la prestation relevant de la Loi sur les pensions et la prestation mensuelle du RARM est qu’il ne s’agit pas d’une « prestation de revenu mensuelle » au sens de l’alinéa 24.a.(iv) de la police du RARM. Selon le demandeur, le mot « revenu » gouverne l’interprétation des mots qui précèdent et qui suivent. Le mot « revenu » indique une intention de ne déduire que les prestations mensuelles relevant de la Loi sur les pensions que l’on peut qualifier d’indemnités relatives aux pertes de revenu. Cette interprétation donne au mot le sens qui cadre avec sa signification habituelle et reflète le fait que la prestation du RARM est conçue pour remplacer le revenu et les trois autres compensations définies à l’article 24. Elle est aussi conforme à l’approche consacrée par la common law, laquelle refuse à l’assureur d’IP tout droit de subrogation ou de compensation en ce qui concerne les droits de l’assuré qui ne sont pas de la nature d’une indemnisation.

[45]      Selon le demandeur, si l’intention des parties avaient été de déduire la prestation d’invalidité mensuelle relevant de la Loi sur les pensions de la prestation d’IP du RARM, le recours au mot « revenu » aurait été complètement inutile. Il aurait suffi de dire : « la prestation de revenu mensuelle totale versée au membre en vertu de la Loi sur les pensions ». Telle est l’approche suivie à l’article 64 de la police du RARM, selon lequel la prestation de revenu mensuelle doit être « réduite de tout montant de prestation mensuelle versée au membre en vertu des […] la Loi sur les pensions » (non souligné dans l’original) : voir police du RARM, la partie III (A), article 64. Le demandeur soutient que l’ajout du mot « revenu » dans l’alinéa 24.a.(iv) restreint la portée du texte et révèle une intention différente.

[46]      Bref, le demandeur soutient que la prestation d’invalidité mensuelle relevant de la Loi sur les pensions que la défenderesse a déduite de sa prestation IP du RARM et de celles des autres membres de la classe n’est pas due en ce qui concerne le revenu perdu; par conséquent, elle ne peut donner lieu à la compensation prévue par l’alinéa 24.a.(iv).

[47]      Le demandeur invoque la jurisprudence Stitzinger v. Imperial Life Assurance Co. of Canada (1998), 39 O.R. (3d) 566 (Div. gén.), laquelle portait sur une disposition d’intégration d’une prestation d’IP opérant la compensation du [traduction] « revenu mensuel total provenant de quelque source que ce soit ». L’assuré a obtenu des dommages-intérêts dans une action délictuelle, notamment au titre de la perte de capacité à travailler, lesquels devaient être versés de manière périodique à partir d’une rente. L’assureur voulait déduire cette rente de son obligation d’IP. Il fut débouté; la Cour a qualifié ces dommages-intérêts d’indemnisation de la perte de capacité personnelle et non pas de forme de remplacement du revenu. Le fait que le versement de ces dommages-intérêts était périodique [traduction] « ne changeait rien à leur qualification juridique » et les paiements ne constituaient pas [traduction] « un revenu correspondant au sens et à l’objet » de la police. La Cour a ensuite relevé que, selon la common law, le droit de l’assureur d’être subrogé aux somme recouvrées à titre subsidiaire par son assuré ne joue que lorsque celui-ci a été intégralement indemnisé de ses pertes, et non pas avant. Selon le demandeur, cette compensation du RARM viole ce principe parce que le membre invalide n’obtient au final qu’une indemnisation très insuffisante au moment de sa libération. L’enseignement de la jurisprudence Elliott and Attorney-General of Ontario, [1973] 2 O.R. 534 (C.A.), à la page 536, est dans le même sens : l’indemnisation des souffrances et de la douleur [traduction] « ne pouvait être qualifié de revenu au sens usuel de ce mot » : voir aussi Doucet c. New Brunswick, 2004 NBBR 398, 283 R.N.-B. (2e) 51.

            La thèse de la défenderesse

[48]      La défenderesse soutient que l’article 24 de la police du RARM doit avoir été intégré au texte pour une raison de souscription et que, vu son libellé, il ne peut viser qu’une seule chose : la déduction des prestations d’invalidité relevant de la Loi sur les pensions, notamment des prestations concernant les personnes à charge, des prestations d’IP du RARM. Selon la défenderesse, il n’existe aucune autre prestation ouverte aux membres ou leurs personnes à charge au titre de la Loi sur les pensions qui pourraient être déduites.

[49]      La défenderesse soutient aussi que le mot « revenu » a une portée plus large que ce que dit le demandeur. Il vise la définition large du mot « revenu » consacrée par la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 et, en droit de la famille, par la jurisprudence portant sur les pensions alimentaires destinées aux époux et aux enfants. Vu ces exemples, on peut conclure que ce mot peut englober les sommes provenant d’une variété de sources, notamment des prestations d’invalidité. On invoque le même argument en ce qui concerne le mot « revenu » dans la version française de l’article 24 de la police du RARM.

[50]      La défenderesse s’appuie aussi sur l’expression « prestation de revenu mensuelle » aux articles 23 et 24 en ce qui concerne les prestations du RARM et les compensations pour pensions de retraite, régimes de pension du Canada et des rentes du Québec et les autres revenus d’emploi. Selon cette thèse, l’alinéa 24.a.(iv) reflète un usage constant du mot « revenu » relativement aux prestations du RARM et toutes les déductions applicables. On s’est exprimé dans le même sens au sujet de la Loi sur les pensions, laquelle proscrit la cession ou le transfert d’une somme recouvrée, sauf dans la mesure d’une retenue d’un jugement rétroactif visant à rembourser les autorités provinciales de bien-être social. Il est soutenu qu’il y a là reconnaissance de l’intégration des droits accordés au titre de la Loi sur les pensions aux régimes d’aide sociale des provinces. La défenderesse soutient qu’il en va de même des compensations ministérielles qui sont reconnues par le paragraphe 32(2) de la Loi sur les pensions et conçues pour éviter le cumul de prestations fédérales.

[51]      En outre, la défenderesse s’appuie sur l’accord signé par le demandeur et les autres membres de la classe comme condition pour recevoir les prestations du RARM (l’accord de remboursement). Selon cet accord, le participant invalide convient de rembourser l’assureur les sommes reçues de tiers [traduction] « y compris le régime de pensions du Canada, le régime des rentes du Québec, la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, la Loi d’indemnisation des fonctionnaires (LIF), la Loi sur les accidents du travail, la Loi d’assurance-automobile et la Loi sur les pensions » : affidavit d’André Bouchard, annexe « D », à la page 40. La défenderesse soutient que cet accord confirme l’intention de la police du RARM : déduire les prestations d’invalidité de la Loi sur les pensions du revenu d’IP.

Discussion de la question no 1 : La prestation de retraite versée en vertu de l’article 21 de la Loi sur les pensions, constitue-t-elle une « prestation de revenu mensuelle totale » au sens de cette expression qui est définie à l’alinéa 24.a.(iv) de la partie III (B) de la police du RARM no 901102?

[52]      La défenderesse soutient que l’alinéa 24.a.(iv) englobe nécessairement les prestations d’invalidité relevant de la Loi sur les pensions parce qu’il n’existe aucune autre prestation qui entre dans les prévisions de ce texte. Le demandeur répond que les polices d’assurance contiennent souvent des clause d’exclusion génériques ou des plafonds de couverture qui ne sont pas applicables à des assurés précis ou des réclamations précises. Le demandeur ajoute que la Loi sur les pensions peut être modifiée en tout temps en vue de la création d’une prestation de remplacement de revenu qui serait déductible de la prestation d’IP du RARM, ce qui donnerait un effet pratique à l’alinéa 24.a.(iv).

[53]      Évidemment, ce qui est arrivé est que la défenderesse a bel et bien modifié la Loi sur les pensions afin de remplacer la prestation d’invalidité mensuelle prévue par cette loi par une somme forfaitaire qui n’est pas, à l’heure actuelle, déductible du flux de revenu du RARM IP. Avec cette modification, l’alinéa 24.a.(iv) de la police du RARM devient lettre morte en ce qui concerne les réclamations futures, de sorte que sa seule éventuelle utilité concerne les réclamations qui sont antérieures à la modification de la Loi sur les pensions. Il me semble que l’histoire législative va dans le sens de la thèse du demandeur portant que ne pose aucun problème fondamental la clause contractuelle qui limite la couverture et qui n’a aucune signification immédiate ou d’effet pratique. Après tout, il ne s’agit pas d’un texte législatif auquel pourrait s’appliquer la présomption contre une tautologie. En ce qui concerne le contrat d’assurance — et notamment l’assurance collective — on peut fort bien s’attendre à trouver des clauses limitatives ou des exclusions inapplicables pour l’instant ou inapplicables à telle ou telle réclamation.

[54]      Les autres arguments de la défenderesse ne sont pas convaincants. Le fait que la Loi de l’impôt sur le revenu et les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour époux et enfants consacrent des définitions larges de la notion de revenu n’a rien de surprenant vu leurs différents objectifs. Les autorités qu’invoque le demandeur constituent des points de repère comparatifs plus solides car ils ont trait aux principes d’indemnisation des blessures et des réclamations connexes relatives à la compensation (ou subrogation) des sommes recouvrées à titre subsidiaire. En outre, le CEMD avait la possibilité d’inclure une large définition du mot « revenu » dans la police du RARM, mais il a opté de ne pas le faire. Le fait que, en français, le mot « revenu » est parfois utilisé afin d’englober les pensions n’est pas non plus surprenant dans la mesure où de nombreuses pensions constituent une forme de remplacement ou d’ersatz de revenu. La question demeure : le mot « revenu » englobe-t-il la prestation d’invalidité qui ne peut être rattachée à la perte du revenu? Je ne puis trouver quoi que ce soit dans la version française de l’article 24 qui aille dans le sens de la thèse de la défenderesse sur cette question.

[55]      La thèse de la défenderesse portant que la Loi sur les pensions qualifie la pension d’invalidité de « prestation » ne résout pas le problème d’interprétation posé par l’article 24. Le problème central demeure : la Loi sur les pensions ne qualifie pas la pension d’invalidité de « prestation de revenu » et elle n’en est manifestement pas.

[56]      Le fait que les articles 23 et 24 qualifient respectivement la prestation du RARM et les compensations pour les pensions de retraite, les prestations du régime des pensions du Canada et du régime des rentes du Québec et du revenu d’emploi de « prestations de revenu mensuelles » n’est d’aucune utilité au défendeur parce que les prestations du RARM et toutes les autres compensations énumérées à l’article 24 constituent des formes de remplacement de revenu ou d’ersatz de revenu qui entrent tout naturellement dans les prévisions de l’expression « prestation de revenu mensuelle ». Ce distinguo ne met pas en péril l’interprétation du demandeur; au contraire, il va dans le même sens.

[57]      La thèse de la défenderesse portant que les articles 30 [mod. par L.C. 1995, ch. 18, art. 75; 2000, ch. 34, art. 24] et 32 [mod., idem, art. 25] de la Loi sur les pensions confirment l’intention d’intégrer les pensions d’invalidité aux prestations d’IP du RARM doit être rejetée essentiellement pour le même motif. Le fait que la Loi sur les pensions reconnaît et limite certains chevauchements en matière de prestations ne veut pas dire que l’article 24 de la police du RARM aboutit au même résultat. Nul doute que le CEMD est entièrement en mesure de créer une compensation licite des prestations par une loi ou par contrat, peu importe la dureté de la solution. Mais lorsqu’il le fait par un contrat, il faut un texte clair si telle est l’intention.

[58]      La défenderesse invoque aussi l’accord de remboursement signé par les membres de la classe, lequel stipule que les prestations d’IP des membres seront compensées par les autres sources de revenu, notamment les prestations prévues par la Loi sur les pensions. Cependant, ce document n’est d’aucune utilité en ce qui concerne l’interprétation de l’article 24 de la police du RARM. Ce document est postérieur aux faits pertinents et ne modifie pas la police du RARM et, selon l’affidavit de M. Bouchard, au paragraphe 40, les membres sont tenus de le signer s’ils veulent recevoir des prestations. J’ajoute que cet accord est censé inclure les sources de revenu qui ne sont mentionnées nulle part dans la police du RARM (à savoir l’indemnisation relative aux accidents du travail, l’assurance-automobile) pour lesquelles sont justifiées des compensations et il semble donc inclure des dédommagements qui ne peuvent être justifiées contractuellement aux termes de la police du RARM. Ce document reflète plutôt une profonde incompréhension de la part de la défenderesse sur ce que l’on peut légitimement exiger de l’assuré sur le plan contractuel en ce qui concerne les compensations des prestations provenant de tiers ou les dédommagements.

[59]      Je n’ai nul doute que le CEMD aurait pu rédiger un texte autorisant clairement la déduction de la pension versée au membre au titre de la Loi sur les pensions de la prestation d’IP du RARM. Après tout, il n’y a pas de limites à ce que peuvent stipuler les parties à un contrat. Cependant, le CEMD a rédigé l’article 24 de la police du RARM en incorporant le mot restrictif « revenu » en ce qui concerne la compensation des prestations relevant de la Loi sur les pensions. Le CEMD n’a pas inclus ce mot restrictif dans un certain nombre d’autres textes de compensation dans la police du RARM ou dans la Loi sur les allocations aux anciens combattants, L.R.C. (1985), ch. W-3. Et, plus récemment, une réduction applicable aux prestations relatives aux pertes de revenu relevant du Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, DORS/2006-50, a été réclamée pour « la pension d’invalidité à verser en vertu de la Loi sur les pensions » : voir alinéa 22a). Il est clair que la prestation d’invalidité de la Loi sur les pensions entre dans les prévisions de cette disposition et que l’approche différente de l’article 24 révèle une intention différente.

[60]      Il me semble que l’on ne peut pas faire abstraction du mot « revenu ». Ce mot est entièrement inutile si l’intention était de prévoir la déduction des prestations d’invalidité relevant de la Loi sur les pensions. Dans le langage courant, la « prestation de revenu » ne constitue pas une prestation du genre qui est reconnu par la Loi sur les pensions en matière d’invalidité, et, la common law impose cette distinction rigoureusement en interdisant à l’assureur de limiter sa responsabilité selon les modalités adoptées par le CEMD contre les membres de la classe. En fait, l’objectif de la règle de common law concernant le droit de l’assureur d’être subrogé aux dédommagements subsidiaires obtenus par l’assuré est d’éviter un double dédommagement pour le même sinistre. Le droit de subrogation ne joue pas s’il se traduit par une indemnisation insuffisante pour l’assuré. Ce point fait l’objet des observations de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’extrait suivant de l’arrêt Bannon v. McNeely, précité, aux paragraphes 48 et 49 :

[traduction]    Dans l’arrêt Jang, précité, le juge Lambert a conclu, au nom de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique :

La philosophie de l’art. 24 de la Loi sur l’assurance automobile est qu’il ne doit pas y avoir une double indemnisation relativement à la même perte. Mais cela ne veut pas dire que toutes les prestations versées en vertu de la Pt. 7 doivent être déduites d’une manière ou d’une autre d’un élément des dommages, ou de l’ensemble des dommages. Ce n’est que lorsque la prestation correspond au chef précis de la réclamation qu’elle doit être déduite, et là encore uniquement de la somme accordée pour ce chef précis [italique dans l’original]. L’exigence de correspondance de la prestation et de la réclamation est imposée implicitement par le régime législatif, tel que décrit dans la décision Baart v. Kumar, précitée, et le par. 24(2) est explicite à ce sujet : il rattache « la demande en dommages » aux « prestations concernant la demande. » Je ne pense pas que la demande visée ici est la demande dans son ensemble; il s’agit plutôt d’une demande relative à un chef particulier qui se rattache à un chef de prestations particulier. En l’espèce, il n’y avait aucun rattachement des prestations versées à Mme Jang à titre de femme au foyer invalide et la demande formée par elle en dommages-intérêts pour douleurs et perte de jouissance de la vie.

   En dépit du principe de grande portée que j’ai tiré de la jurisprudence O’Donnell et de la plupart des décisions rendues en première instance précitées, mon avis, en ce qui concerne la déductibilité des prestations accordées sans la prise en compte de la faute reflète mieux l’approche suivie par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Jang, précitée. Je crois que, lorsque cela est possible, les prestations obtenues sans la prise en compte de la faute déduites d’un dédommagement délictuel en vertu de l’alinéa 267(1)a) doit être déduites d’un chef de dommages ou du genre de préjudice similaire à ce que les prestations indépendantes de la faute étaient censées indemniser. Autrement dit, et si je me sers de la comparaison du juge Morden dans l’affaire Cox, précitée, si cela est possible, les pommes doivent être déduites des pommes, et les oranges des oranges. Il s’ensuit en outre que si la déduction de ce genre de prestations dépasse le montant accordé au titre du chef spécifique auquel elles peuvent être rattachées, on peut alors avoir recours à une autre portion du jugement prononcé sur un fondement délictuel pour le reliquat. Tel ou tel demandeur doit rendre compte des prestations indépendantes de la faute auxquelles il a droit, mais, comme en l’espèce, la thèse du demandeur s’appuyait sur des éléments de preuve tendant à l’indemnisation nette d’un délit, les prestations indépendantes de la faute ont été comptabilisées au titre des chefs de dommages-intérêts appropriés. [Non souligné dans l’original.]

[61]      L’interprétation de l’alinéa 24.a.(iv) de la police du RARM que prône la défenderesse n’est pas conforme à l’approche exposée ci-dessus et se traduit par une sous-indemnisation substantielle du membre invalide après sa libération. L’interprétation de l’alinéa 24.a.(iv) prônée par la défenderesse aboutit aussi à des effets qui lèsent particulièrement les personnes qui ont le plus besoin des prestations qu’elles reçoivent au titre de la Loi sur les pensions pour les blessures qui les ont rendues invalides.

[62]      Si l’on prend en compte le contexte et les attentes raisonnables des parties, qu’elle était leur intention commune lorsqu’elles ont eu recours au mot « revenu » pour qualifier le mot « prestation »? Pourrait-on raisonnablement conclure de l’examen de la police du RARM que la prestation d’invalidité prévue par la Loi sur les pensions qui n’a aucun rapport avec la perte de revenu futurs serait, en cas de blessure causant une invalidité, déduite de la prestation de remplacement du revenu du RARM du membre? Allons plus loin : le membre qui subit une blessure catastrophique au combat qui se traduit par une invalidité de presque 100 % s’attendrait-il à ne recevoir concrètement au maximum que 75% de sa solde et d’être traité tout comme le membre dont l’invalidité est moins grave sur le plan fonctionnel et qui s’est produite en dehors de son service militaire?

[63]      Il me semble que poser ces questions, c’est y répondre. Opérer, aux termes du RARM, la compensation des prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions prive complètement les anciens combattants invalides d’un dédommagement financier important conçu comme réparation des blessures qui les ont rendus invalides, subies alors qu’ils servaient leur pays. Au final, la compensation du RARM fait fi de l’intention du législateur qui est consacrée par la Loi sur les pensions qui est d’assurer un modeste réconfort financier aux membres ayant subi un préjudice non-financier. L’approche suivie par la défenderesse n’aboutit pas à une solution équitable ou raisonnable sur le plan commercial et fait fi des attentes raisonnables des membres. Le membre qui lit la police du RARM et, notamment, l’article 24, conclura qu’il aura droit à une prestation d’IP conséquente et non pas symbolique, en sus des prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions en ce qui concerne la perte de facilités personnelles. Cette vision est confortée par le fait que le membre invalide qui reste en service actif a le droit d’être rémunéré et de conserver ses prestations d’invalidité au titre de la Loi sur les pensions et par le fait qu’il perd son recours en dommages-intérêts contre l’État (notamment en ce qui concerne la perte de revenu) s’il a droit à une prestation au titre de la Loi sur les pensions : voir la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, article 9 [mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 39(F)]. La compensation réclamée a pour conséquence concrète de réduire substantiellement la couverture d’IP promise aux membres de la classe par la police du RARM, ou d’y mettre fin, et sont particulièrement lésés les membres dont l’invalidité est la plus grave et qui ont été libérés du service actif. Voilà une solution inconcevable et je la rejette sans réserve.

[64]      Même si mon interprétation de l’alinéa 24.a.(iv) est erronée, la défenderesse doit être déboutée au regard du principe voulant que, dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé. Lorsque la police d’assurance contient des exceptions et des limites à la couverture, c’est au rédacteur de s’exprimer d’une manière qui reflète clairement l’étendue et la portée de ces clauses limitatives : voir Indemnity Ins. Co. of North America v. Excel Cleaning Service, [1954] R.C.S. 169, à la page 180. En l’espèce, la compensation que l’État a opérée constitue une limite substantielle à la couverture d’IP du membre : une limite qui, au final, empêche les membres atteints des invalidités les plus graves de recouvrer une bonne partie, ou quoi que ce soit, de leurs pertes en termes de revenu. Puisque le CEMD n’a pas [traduction] « clairement dit » qu’il pourra déduire la pension d’invalidité que touche le membre au titre de la Loi sur les pensions de la prestation d’IP du RARM, toute ambiguïté doit être résolue en faveur du demandeur et des autres membres de la classe : voir Canada Life v. Donohue, précité, au paragraphe 14.

[65]      Je conclus que, contractuellement, n’est pas justifiée la compensation entre les prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions et le revenu d’IP prévu par la police du RARM; il n’est donc pas nécessaire d’examiner la deuxième question posée par les parties. Une réunion de gestion de l’instance sera tenue afin que les avocats des parties puissent discuter les implications de la présente décision quant aux suites de l’instance.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la compensation opérée par la défenderesse entre les prestations d’invalidité prévues par la Loi sur les pensions et le revenu d’IP du RARM versé au demandeur et les autres membres de la classe constitue un manquement à l’alinéa 24.a.(iv) de la police du RARM

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