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T-90-01

2004 CF 959

Merck Frosst Canada & Co. (demanderesse)

c.

Le ministre de la Santé du Canada (défendeur)

Répertorié: Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de la Santé) (C.F.)

Cour fédérale, juge Harrington--Montréal, 17, 18, 19, 20 mai et 6 juillet 2004.

Accès à l'information -- Contrôle judiciaire d'une décision par laquelle le ministre de la Santé a communiqué des renseignements relatifs à une présentation de drogue nouvelle -- Un fabricant innovateur (la demanderesse) a fourni au ministre des documents contenant des secrets industriels en vue d'obtenir un avis de conformité -- Le ministre avait-il le droit de divulguer les renseignements? -- Les renseignements concernant des tiers sont une exception au principe selon lequel le public devrait avoir accès aux documents de l'administration fédérale -- La demanderesse s'est opposée à la communication de tous les renseignements qui ne sont pas du domaine public -- Objet de la législation en matière d'accès à l'information -- Il s'agissait de décider si les renseignements fournis par la demanderesse relativement au médicament étaient du domaine public -- Des bribes de renseignements non protégés ne pouvaient être prélevées sans poser de sérieux problèmes -- Bien que le contrôle judiciaire prévu à l'art. 44 s'exerce après que le tiers a été avisé qu'il peut présenter des observations quant aux raisons qui justifieraient un refus de communication, le ministère ne pouvait échapper à un examen indépendant en omettant de donner cet avis.

Aliments et drogues -- Un fabricant innovateur a fourni des documents contenant des secrets industriels à Santé Canada en vue d'obtenir un avis de conformité (ADC) concernant Singulair®, un médicament employé pour traiter l'asthme -- Contrôle judiciaire de la décision de communiquer les dossiers relatifs à la présentation de drogue nouvelle sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information -- Les mesures que prévoit la Loi diffèrent selon qu'il s'agit de secrets industriels émanant de tiers ou de documents de l'administration fédérale -- La demanderesse a soutenu que la communication du sommaire général, des rapports d'évaluation clinique et des données chimiques révélerait sa stratégie, son savoir-faire et son plan d'affaires -- Elle pouvait légitimement s'attendre à ce que les renseignements soient tenus confidentiels par le défendeur -- Le fait que des renseignements concernant Singulair® soient du domaine public n'est pas pertinent -- Il importe plutôt de savoir si les renseignements tels qu'ils ont été présentés par la demanderesse sont du domaine public -- Même s'il y a seulement communication de bribes de renseignements, l'auteur d'une demande peut-être en mesure d'établir des liens et de tirer des conclusions de ce qui a été communiqué et de ce qui a été supprimé -- Seul l'ADC était communicable.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du ministre de la Santé de fournir les renseignements sollicités dans une demande de communication concernant Singulair®, un médicament de la demanderesse employé pour traiter l'asthme.

En vue d'obtenir un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues, la demanderesse a fourni des données chimiques et des renseignements concernant la fabrication de son médicament, dont les résultats d'essais cliniques. Des secrets industriels et des données financières confidentielles ont ainsi été divulgués par suite de cette communication intégrale. La position concurrentielle de la demanderesse risquait d'être compromise si ces renseignements étaient rendus publics.

Après avoir reçu une demande fondée sur la Loi sur l'accès à l'information concernant les dossiers relatifs à la déclaration de drogue nouvelle de la demanderesse, Santé Canada a informé Merck Frosst qu'il avait l'intention de communiquer une partie des documents demandés. La position de la demanderesse était que le ministère n'avait pas le droit de communiquer les documents faisant l'objet de la demande.

La Loi se fonde sur le principe que le public devrait avoir accès aux documents de l'administration fédérale, mais elle prévoit aussi des exceptions au droit d'accès général. La seule exception qui puisse trouver application en l'espèce est celle qui se rapporte aux renseignements de tiers. Les mesures que prévoit la Loi diffèrent selon qu'il s'agit, comme en l'espèce, de secrets industriels ou de renseignements similaires appartenant à l'administration fédérale. Si le responsable d'une institution fédérale a l'intention de donner communication totale ou partielle d'un document pouvant contenir des renseignements protégés par la Loi, il est tenu de donner au tiers intéressé la possibilité de présenter ses observations quant aux raisons qui justifieraient un refus de communication. De plus, le tiers a le droit d'exercer un recours en révision devant la Cour fédérale en vertu du paragraphe 44(1).

Santé Canada considère qu'il est obligé de communiquer le plus de renseignements possibles, même s'il sait que la majorité des demandes de communication provient de concurrents. En l'espèce, le ministère a communiqué l'avis de conformité (ADC) sans consulter la demanderesse et, ayant prélevé des extraits qu'il estimait être protégés par le paragraphe 20(1), il a communiqué d'autres renseignements jugés non confidentiels. Des renseignements qui ne figuraient pas dans des études publiées ont été supprimés. Ayant des doutes au sujet du caractère confidentiel de certains des renseignements visés par la demande, Santé Canada a avisé la demanderesse qu'elle disposait d'un délai de 20 jours pour lui présenter des observations écrites sur la nature confidentielle de ces renseignements et indiquant dans quelle mesure leur divulgation lui causerait préjudice.

La demanderesse a fait valoir que la confidentialité est une pierre angulaire du régime établi par le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ainsi que l'Accord de libre-échange nord-américain. Elle ne partageait pas le point de vue du ministère sur la question de savoir où se situe le juste équilibre entre les cas de communication et de non- communication. La demanderesse s'est opposée à la communication de tous les renseignements demandés n'étant pas déjà du domaine public. Elle a également fait valoir que la communication du sommaire général révélerait sa stratégie, son savoir-faire et son plan d'affaires et qu'il en était de même pour les rapports d'évaluation clinique, les données chimiques et les renseignements relatifs à la fabrication du médicament.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Tous les renseignements demandés, y compris les notes des examinateurs du ministère et des experts externes dont il a retenu les services, constituent des renseignements concernant des tiers. N'eût été de la présentation de drogue nouvelle de la demanderesse, ces renseignements seraient inexistants. Comme l'a dit le juge La Forest dans Dagg c. Canada (Ministre des Finances), la loi en matière d'accès à l'information a pour principal objet de favoriser la démocratie. Elle aide à garantir que les politiciens et les bureaucrates demeurent comptables envers l'ensemble de la population. L'article 2 de la Loi prévoit que les décisions relatives à la communication des documents de l'administration fédérale sont susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

Toute personne a le droit de savoir si un médicament offert sur le marché a été approuvé; le ministère pouvait communiquer l'ADC sans consulter la demanderesse. Mais le sommaire général comporte, par sa nature même, des renseignements confidentiels provenant de tiers. Le responsable de l'institution fédérale, devait dès le départ, refuser de communiquer le document dans son intégralité. L'article 20 de la Loi s'applique aux notes des examinateurs et à la correspondance, tout autant qu'au sommaire général.

Deux questions restaient à trancher: 1) les renseignements avaient-ils perdu le caractère confidentiel qu'ils avaient à l'origine? 2) était-il raisonnablement possible de prélever les renseignements non confidentiels pour qu'ils soient communiqués?

À l'époque où ils ont été soumis, les renseignements étaient confidentiels et ils ont toujours été traités comme tels par la demanderesse, qui pouvait légitimement s'attendre à ce qu'ils soient tenus confidentiels par le défendeur. Le fait que des renseignements concernant Singulair® étaient du domaine public n'était pas pertinent. Il importait plutôt de savoir si les renseignements tels qu'ils ont été présentés par la demanderesse étaient du domaine public. S'ils ne l'étaient pas, ils n'avaient pas perdu leur caractère confidentiel. La possibilité que des renseignements non confidentiels soient prélevés a été examinée, mais il fallait conclure que le sommaire général, les notes des examinateurs et la correspondance étaient protégés dans leur totalité. Des bribes de renseignements pouvant être divulgués, extraites de passages par ailleurs protégés, ne pouvaient être prélevées sans poser de problèmes sérieux. Même si la Cour ne pouvait comprendre les segments de phrases n'ayant pas été retranchés par le défendeur, l'auteur d'une demande pourrait être en mesure d'établir des liens et de tirer des conclusions, de ce qui a été communiqué et de ce qui a été supprimé.

Sur le plan procédural, le défendeur a fait valoir que le contrôle qu'effectue la Cour est régi par les articles 28 et 44 de la Loi et que l'article 44 entre en jeu une fois qu'avis est donné au tiers de justifier la non-divulgation. En l'espèce, le défendeur a communiqué quelques pages sans donner avis de la communication. Or, une institution fédérale ne peut échapper au contrôle judiciaire en omettant de donner l'avis prévu par la Loi. La demanderesse ayant déjà subi un préjudice en raison de la divulgation, la question est maintenant théorique. Cependant, parce que cette question sera sûrement soulevée à nouveau dans d'autres affaires, la Cour a déclaré que Santé Canada n'aurait pas dû agir ainsi.

lois et règlements cités

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis du Mexique et le gouvernement des États-Unis d'Amérique, 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2.

Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1 , art. 2, 4(1) (mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 202), 13 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 1; 2000, ch. 7, art. 21), 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 29, 44 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 1, art. 45, ann. III, no 1), 74.

Loi sur la protection de l'information, L.R.C. (1985), ch. O-5, art. 1 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 25).

Loi sur les secrets officiels, S.C. 1939, ch. 49.

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 8, 302.

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403; (1997), 148 D.L.R. (4th) 385; 46 Admin. L.R. (2d) 155; 213 N.R. 161; AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] 3 C.F. 360; (2000), 5 C.P.R. (4th) 149; 253 N.R. 284 (C.A.); Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 37 Admin. L.R. 245; 27 C.P.R. (3d) 180; 27 F.T.R. 194 (C.F. 1re inst.); Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] 1 F.C. 268; (1995), 102 F.T.R. 30 (1re inst.); Aluminerie Alouette inc. c. Commission d'accès à l'information du Québec, [1991] R.J.Q. 417 (C.S.); Waddle v. Wallsend Shipping Company, Ltd., [1952] 2 Lloyd's Rep. 105 (Q.B.); N.M. Paterson & Sons Ltd. c. Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent (2004), 322 N.R. 83; 2004 CAF 210.

décisions examinées:

Boyer v. Regem, [1948] B.R. 829; (1948), 94 C.C.C. 195; 7 C.R. 165 (C.A.Q.); Home Office v. Harman, [1982] 1 All E.R. 532 (H.L.).

décisions citées:

Kruger Inc. c. Baltic Shipping Co. (1989), 57 D.L.R. (4th) 498 (C.A.F.); Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] R.C.É. 27; [1969] C.T.C. 353; (1969), 69 DTC 5278; The Putbus, [1969] 2 All E.R. 676 (C.A.); Siemens Canada Ltée c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) (2002), 21 C.P.R. (4th) 575; 2002 CAF 414; Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur général) [2005] 1 R.C.F. 271; (2004), 241 D.L.R. (4th) 367; 14 Admin. L.R. (4th) 123; 32 C.P.R. (4th) 385; 320 N.R. 300; 2004 CAF 171.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle le ministre de la Santé a communiqué, à la suite d'une demande présentée sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information, certains dossiers relatifs à une présentation de drogue nouvelle. Demande accueillie.

ont comparu:

Karl Delwaide et Karine Joizil pour la demanderesse.

Sébastien Gagné pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l., Montréal, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

Le juge Harrington:

APERÇU

[1]Quel droit ou quelle obligation a le gouvernement du Canada de communiquer au public des renseigne-ments qu'il a reçus à titre confidentiel?

[2]Singulair® est une drogue prescrite à l'échelle mondiale dans le traitement de l'asthme. Elle a été développée au Canada par Merck Frosst, au coût de nombreux millions de dollars. Avant que Singulair® puisse être commercialisé ici, Merck Frosst a dû convaincre Santé Canada de son innocuité et de son efficacité. Il s'agit là d'une fonction de réglementation très importante jouée par l'administration.

[3]L'approbation réglementaire prend la forme d'un avis de conformité, qui atteste que la présentation de drogue nouvelle est conforme aux dispositions appropriées du Règlement sur les aliments et drogues [C.R.C., ch. 870]. Pour qu'un tel avis soit délivré, le fabricant doit fournir des renseignements d'ordre chimique et sur la fabrication ainsi que pratiquement tous les renseignements connus au sujet de la drogue, notamment les résultats des essais précliniques et cliniques. La présentation est examinée minutieusement par des équipes multidisciplinaires de Santé Canada, qui peuvent également faire appel à des experts externes. Une correspondance abondante est produite au cours de cette analyse critique, qui peut entraîner des modifications de la présentation déposée à l'origine.

[4]Au coeur de la présentation de drogue nouvelle se trouve le sommaire général, préparé par la société pharmaceutique. Bref, pour obtenir l'approbation, Merck Frosst a été obligée de fournir une communication complète et franche de toutes ses connaissances et tous ses renseignements, contenant des secrets industriels et des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques et techniques de nature confidentielle, ainsi que des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de lui causer des pertes financières ou de nuire à sa compétitivité.

[5]Après que Singulair® eut été approuvé et mis en marché, Santé Canada a reçu une demande fondée sur la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, modifiée, et portant sur les documents relatifs à l'examen de la présentation de drogue nouvelle. Plus précisément, la demande visait:

-     l'avis de conformité;

-     le sommaire général;

-     les notes de l'examinateur;

-     la correspondance entre Santé Canada et Merck Frosst.

[6]Santé Canada a informé Merck Frosst qu'il avait l'intention de communiquer une partie des documents demandés. Le ministère a dit qu'il avait déjà prélevé dans les documents certains renseignements constituant des renseignements confidentiels provenant de tiers, protégés en vertu de la Loi, et que d'autres parties pourraient également être confidentielles, mais qu'il n'était pas en mesure de prendre cette décision. Merck Frosst a été invitée à expliquer le caractère confidentiel des autres renseignements ou la nature et l'étendue du préjudice qui résulterait de la communication de ces renseignements.

[7]Il a été révélé par la suite que Santé Canada avait communiqué une partie des renseignements à l'auteur de la demande, l'un des concurrents de Merck Frosst, sans consultation préalable.

[8]Pratiquement, Merck Frosst a pris la position que Santé Canada n'avait pas le droit en vertu de la Loi de communiquer une partie quelconque des documents demandés. Cela a entraîné une abondante correspondance et une demande de Merck Frosst à la Cour en vue d'obtenir la révision de la position de Santé Canada. Les deux parties ont présenté une série d'affidavits, certains publics et d'autres protégés par des ordonnances de confidentialité.

[9]Ce processus de consultation ou, devrais-je plutôt dire, de dispute n'a pas conduit à un accord, de sorte qu'il incombe à la Cour de décider si les renseignements demandés sont ou non protégés.

[10]Je vais rappeler brièvement la procédure selon laquelle Singulair® a été approuvé de façon que l'on puisse apprécier l'importance des documents en cause. J'exposerai ensuite le régime établi par la Loi sur l'accès à l'information, puis je présenterai la position de chacune des parties et enfin j'appliquerai la Loi, en fonction de la jurisprudence, aux documents en question.

LA PRÉSENTATION DE DROGUE NOUVELLE

[11]Comme je l'ai déjà indiqué, avant qu'une drogue nouvelle soit mise sur le marché par une société pharmaceutique, souvent appelée l'«innovateur», il faut qu'une présentation de drogue nouvelle soit examinée par Santé Canada. La présentation de drogue nouvelle doit contenir presque tous les renseignements connus au sujet de la drogue, notamment les résultats des essais précliniques et cliniques pour les doses prévues. Tous les aspects de la présentation font l'objet d'un examen critique par des équipes multidisciplinaires. Santé Canada peut avoir recours aux services d'experts externes. Naturellement, cette procédure engendre une correspondance abondante et entraîne la production et l'échange d'autres documents. Elle peut conduire à des modifications de la présentation initiale.

[12]La présentation de drogue nouvelle comprend une monographie de produit, qui, dans sa forme définitive, est mise à la disposition des professionnels de la santé et constitue donc un document public. Au cours de la procédure d'examen, des révisions peuvent également être apportées à la monographie présentée à l'origine. Une fois que le médicament est jugé satisfaisant, un avis de conformité est délivré, qui permet au fabricant de vendre le produit conformément à la monographie de produit approuvée.

[13]Une fois que la drogue de l'innovateur est sur le marché canadien, le promoteur d'une drogue similaire, ou reformulée (souvent appelée médicament «générique»), peut présenter une présentation abrégée de drogue nouvelle. Alors que le promoteur d'une présentation de drogue nouvelle doit établir l'innocuité et l'efficacité, la présentation abrégée de drogue nouvelle doit seulement établir que, comparée au produit innovateur, la drogue nouvelle est si semblable que les deux peuvent être utilisées de manière interchangeable.

[14]Le sommaire général est une partie de la présentation de drogue nouvelle qui est fondamentale dans la procédure d'examen. Il contient une description de la méthode suivie dans les études expérimentales et cliniques, ainsi que des évaluations et des résultats de ces études.

[15]La société pharmaceutique innovatrice souhaite évidemment rentrer dans ses frais de recherche et développement et, avec un peu de chance, réaliser un bénéfice. Le développement de nouveaux médicaments est extrêmement coûteux. Pour rentrer dans son investissement, la société pharmaceutique dépend de la protection accordée aux brevets et de la protection des données présentées aux autorités publiques. Toutefois, il faut établir un équilibre, du fait que les fabricants de produits génériques contribuent à maintenir le coût peu élevé pour le patient. Étant donné qu'ils ne partent pas de zéro, les fabricants de produits génériques peuvent abaisser le prix du médicament sans se préoccuper de rentrer dans des frais de travaux poussés de recherche et développement.

L'ACCÈS À L'INFORMATION

[16]On peut s'imaginer la réaction qu'aurait eue Merck Frosst si son concurrent lui avait demandé directement les renseignements! Toutefois, les renseignements demandés se trouvent dans les dossiers de l'administration fédérale. Selon la philosophie politique actuelle, le public peut obtenir communication des dossiers de l'administration à moins qu'ils ne soient précisément et expressément protégés.

[17]Les dispositions centrales de la Loi sur l'accès à l'information sont les paragraphes 2(1) et 4(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 1; 2001, ch. 27, art. 202], ainsi conçus:

2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

[. . .]

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande:

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[18]Sous réserve des autres dispositions de la Loi, l'auteur de la demande a le droit d'obtenir la communication des renseignements qu'il cherche à obtenir.

[19]Les exceptions au droit d'accès général sont exposées aux articles 13 [mod. par L.C. 2000, ch. 7, art. 21] à 24 de la Loi. Elles se divisent en plusieurs groupes selon qu'elles se rapportent aux responsabilités de l'État, aux activités du gouvernement, aux interdictions fondées sur d'autres lois, aux renseignements personnels et aux renseignements de tiers.

[20]La seule exception qui puisse trouver application en l'espèce est celle qui se rapporte aux renseignements de tiers. Les paragraphes 20(1), (5) et (6) disposent:

20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant:

a) des secrets industriels de tiers;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

[. . .]

(5) Le responsable d'une institution fédérale peut communiquer tout document contenant les renseignements visés au paragraphe (1) si le tiers que les renseignements concernent y consent.

(6) Le responsable d'une institution fédérale peut communiquer, en tout ou en partie, tout document contenant les renseignements visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons d'intérêt public concernant la santé et la sécurité publiques ainsi que la protection de l'environnement; les raisons d'intérêt public doivent de plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la communication pour un tiers: pertes ou profits financiers, atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négociations qu'il mène en vue de contrats ou à d'autres fins.

[21]Le paragraphe 20(5) est sans application parce que Merck Frosst, en qualité de tiers, n'a consenti à la communication d'aucun document. Le paragraphe 20(6) n'a pas été invoqué par Santé Canada et est aussi sans application.

[22]Certaines des exceptions prévues dans la Loi sont obligatoires, alors que d'autres sont facultatives. Le paragraphe 20(1) est obligatoire ou impératif dans le sens où Santé Canada «est tenu [. . .] de refuser» («shall refuse to disclose») la communication.

[23]La Loi traite les secrets industriels et les renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques que l'administration reçoit de tiers d'une manière différente des renseignements similaires qui appartiennent à l'administration. L'alinéa 18a) dispose:

18. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant:

a) des secrets industriels ou des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques appartenant au gouvernement du Canada ou à une institution fédérale et ayant une valeur importante ou pouvant vraisemblablement en avoir une; [Non souligné dans l'original.]

[24]Il faut considérer ces exceptions à la lumière de l'article 25, qui dispose:

25. Le responsable d'une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s'autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d'en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.

[25]Les articles 27 à 29 prévoient ensuite que le responsable d'une institution fédérale qui a l'intention de donner communication totale ou partielle d'un document protégé par l'article 20 est tenu d'aviser le tiers intéressé afin de lui donner la possibilité de présenter ses observations quant aux raisons qui justifieraient un refus de communication totale ou partielle. Si cette démarche échoue, le tiers a le droit d'exercer un recours en révision devant la Cour fédérale en vertu du paragraphe 44(1).

44. (1) Le tiers que le responsable d'une institution fédérale est tenu, en vertu de l'alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d'aviser de la communication totale ou partielle d'un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l'avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

[26]Ce bref résumé ne vise que les litiges entre les institutions fédérales et les tiers. Je n'ai pas mentionné l'autre type de litiges visé par la Loi, ceux qui interviennent entre l'administration et la personne à qui on a refusé de communiquer un document demandé. Dans le cas où il s'agit de renseignements de tiers, la personne qui a présenté la demande est informée que le tiers a contesté la demande et elle est invitée à participer à la procédure de contrôle judiciaire. En l'occurrence, elle a choisi de ne pas participer.

LA POSITION DE SANTÉ CANADA

[27]La preuve de Santé Canada est constituée d'un certain nombre d'affidavits déposés par les fonctionnaires responsables du ministère, Serge Durand, Margery Snider et Merry Joy Bujaki, qui ont tous été contre-interrogés. Ils ont une expérience considérable des demandes de communication de documents et une connaissance très détaillée du dossier Singulair®.

[28]La position de Santé Canada a été exposée de manière éloquente, et avec franchise. Bien qu'elle soit en désaccord avec la façon dont Santé Canada compte appliquer la Loi dans le dossier Singulair®, Merck Frosst a pris grand soin de faire ressortir qu'elle reconnaissait sans réserve que Santé Canada agissait de bonne foi. Santé Canada considère qu'il est obligé de communiquer le plus de renseignements possible, tout en sachant parfaitement que la majorité des demandes de communication de renseignements, et notamment la demande en cause dans la présente affaire, proviennent de concurrents.

[29]Lorsqu'il a reçu la demande de communication de renseignements, le ministère a assemblé les documents s'y rapportant, 549 pages au total.

[30]Le ministère a décidé que l'avis de conformité au sujet de Singulair® et 14 autres pages ne contenaient pas de renseignements confidentiels et pouvaient donc être communiqués sans consulter Merck Frosst. En fait, il a supprimé une partie de l'une des pages au motif que les renseignements tombaient sous les exceptions prévues aux alinéas 20(1)b) et c) de la Loi. On a procédé à un examen du reste des pages et les renseignements considérés par Santé Canada comme tombant sous les exceptions prévues au paragraphe 20(1) de la Loi ont été prélevés. Il a été concédé dès le départ que les documents demandés contenaient des renseignements relatifs au processus d'approbation de la drogue en question. Ces renseignements ont été supprimés à moins qu'ils soient contenus dans des études publiées ou dans d'autres documents qui étaient devenus publics au moment où la drogue a été commercialisée, ou aient été rendus publics par d'autres sources. Par exemple, une quantité considérable de renseignements se trouve dans la monographie de produit établie par Merck Frosst, et finalement approuvée en tant qu'élément de la présentation de drogue nouvelle et transmise aux professionnels de la santé. Par conséquent, les renseignements qui s'y trouvent ne peuvent plus être considérés comme confidentiels. À titre d'exemple de renseignements qui sont devenus publics d'une autre manière, on peut mentionner le jeu de documents d'approbation de drogue nouvelle présenté à la Food and Drug Administration des États-Unis pour Singulair®, que l'on peut consulter sur Internet.

[31]Dans son examen des 534 autres pages (15 ayant déjà été communiquées à l'auteur de la demande) Santé Canada a décidé qu'il y avait des renseignements confidentiels dans 32 pages, mais qu'il pourrait aussi y avoir d'autres renseignements de nature confidentielle.

[32]C'est pourquoi, dans sa lettre du 16 août 2000, le ministère disait:

[traduction] Certaines parties ont été prélevées en vertu du paragraphe 20(1) de la LAI [renseignements confidentiels provenant de tiers]. D'autres parties peuvent également tomber sous les exceptions prévues au paragraphe 20(1), toutefois nous ne sommes pas en mesure d'en décider à l'heure actuelle.

Conformément à l'article 27 de la Loi, vous disposez d'un délai de 20 jours à compter de la réception du présent avis pour présenter des observations écrites au soussigné expliquant la nature confidentielle des renseignements ou la nature et l'étendue du préjudice qu'entraînerait la communication des renseignements contenus dans les documents demandés.

Vous devez indiquer clairement quelles parties, le cas échéant, des documents vous considérez comme confidentielles et renvoyer à l'alinéa approprié du paragraphe 20(1) de la LAI. [Souligné dans l'original.]

[33]Après avoir examiné les observations de Merck Frosst, qui ont été présentées en plusieurs étapes, tant avant qu'après l'introduction de la procédure judiciaire, Santé Canada considère maintenant qu'il faut supprimer des renseignements dans 425 pages, au moins!

LA POSITION DE MERCK FROSST

[34]Comme la présente affaire a été introduite par la voie d'une demande, plutôt que par la voie d'une action, la preuve de Merck Frosst a également été présentée sous forme d'affidavits, avec certains contre-interrogatoires à leur sujet. Des affidavits ont été déposés par Annie Tougas, chef des Affaires gouvernementales, Anne Mayrand, avocate interne responsable de la coordination du contentieux en matière d'accès à l'information, et Cynthia Frendo, directrice de la Planification des marchés. Des affidavits additionnels ont été déposés par Joanne Guarda, spécialiste externe de recherche en marketing, et Robert Sarrazin, consultant externe, qui a été cité comme témoin expert. Pendant de nombreuses années, il a été directeur des affaires réglementaires d'une autre société pharmaceutique. Plus récemment, il a été président de son propre cabinet de consultants auquel se sont adressées des sociétés pharmaceutiques pour obtenir des conseils concernant l'approbation réglementaire de drogues nouvelles. Bien que Santé Canada ait reconnu que M. Sarrazin pouvait être considéré comme un expert, il s'est opposé à son témoignage au motif qu'il n'était pas utile à la Cour. Comme les témoins cités par les deux parties étaient soit des experts eux-mêmes soit des non-spécialistes possédant une expérience considérable en matière de présentation de drogues nouvelles et d'accès à l'information, j'ai trouvé utile le témoignage de M. Sarrazin, du fait qu'il était à l'écart de la mêlée.

[35]Des deux côtés, les témoignages étaient un mélange de fait et de philosophie. Heureusement, les deux parties ont apprécié la preuve à sa juste valeur et ont abandonné la philosophie, sauf que Santé Canada s'est opposé à des parties de l'un des affidavits d'Anne Mayrand au motif qu'elles étaient de nature argumentative plutôt que factuelle. Bien que les parties en question aient été argumentatives, puisque Me Mayrand combine la formation juridique et l'expérience de la réglementation, il peut être difficile d'établir une distinction nette entre le fait et le droit. Quoi qu'il en soit, l'avocat de Merck Frosst pouvait répéter, et a effectivement répété, les mêmes points dans son argumentation, et j'ai donc décidé de laisser l'affidavit intact.

[36]Bien qu'elle ait été affinée, à mesure que les affidavits étaient échangés l'un après l'autre entre les parties, la position de Merck Frosst est bien exposée dans l'affidavit d'Annie Tougas, chef des Affaires gouvernementales de sa division médicale, datée du 19 février 2001 et dans son affidavit supplémentaire, souscrit le 1er juin 2001, après que la Cour eut accordé des ordonnances de confidentialité.

[37]À la suite de l'avis initial que Merck Frosst a reçu de Santé Canada sous la forme d'une lettre de Margery Snider datée du16 août 2000, Santé Canada lui a fourni, le 11 septembre 2000, les pages qu'elle avait déjà communiquées à l'auteur de la demande de communication. Merck Frosst a exposé sa position générale dans une lettre que Mme Tougas a envoyée à Mme Snider le 25 septembre 2000. Elle disait, et cela n'est pas contesté, que le développement de médicaments est extrêmement coûteux et que, pour rentrer dans leur investissement, les sociétés pharmaceutiques dépendent de la protection des brevets et de la protection des données confidentielles présentées à l'administration. Les fabricants de produits génériques tentent de copier le produit de l'innovateur lorsque c'est possible et de lancer le produit à un prix moindre. Ils peuvent se le permettre parce qu'ils n'ont pas à supporter les frais de travaux poussés de recherche et développement. Outre l'accès à l'information, il était allégué que les renseignements fournis à Santé Canada étaient protégés par l'Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique [[1994] R.T. Can. no 2] conclu le 17 décembre 1992 (ALÉNA). Merck Frosst a pris la position que la «confidentialité» est une pierre angulaire du régime de réglementation exposé dans le Règlement sur les aliments et drogues et dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133], ainsi que dans l'ALÉNA. Elle fait valoir qu'il faut établir un équilibre entre la communication et la non-communication (Santé Canada souscrit à cette position, mais elle a une idée différente au sujet du point où se situe le juste équilibre). Elle considère que l'examen initial de Santé Canada a été très superficiel et que le ministère s'est déchargé de sa responsabilité sur Merck Frosst.

[38]Merck Frosst ne s'est pas opposée à la communication de renseignements déjà dans le domaine public, comme la monographie de produit, ainsi que des études publiées. Sauf ces exceptions, elle s'est opposée à la communication des autres renseignements. De façon plus particulière, Merck Frosst a contesté la communication des documents qui avaient déjà été communiqués au motif que des renseignements comme les numéros de contrôle et de dossier fournissent une information précieuse et concurrentielle qui est utile pour le dépistage et permettent à l'auteur de la demande d'évaluer les diverses étapes de la procédure d'examen et la vitesse à laquelle l'examen a progressé. Ce type de renseignements peut servir à l'«étalonnage» et à l'évaluation du rendement et peut indiquer si une société est sur la bonne voie ou non.

[39]Le sommaire général expose le développement du Singulair® et la méthode qui a été employée. Les conclusions mettent en relief les résultats importants. La communication de ces renseignements, selon Merck Frosst, révélerait sa stratégie, son savoir-faire et son plan d'affaires. Il en va de même pour les rapports d'évaluation préclinique et clinique. On peut prévoir que la divulgation des renseignements d'ordre chimique et sur la fabrication causera des pertes financières importantes et nuira à sa compétitivité. Plus un concurrent obtient rapidement l'information nécessaire à l'approbation d'un produit similaire ou générique, moins longtemps Singulair® bénéficiera de l'exclusivité sur le marché.

[40]Sur une note philosophique, la lettre dit que la fourniture de renseignements à un concurrent réduit l'incitation à développer et à mettre en marché de nouveaux produits au Canada.

ANALYSE--Partie I

[41]Il faut établir une distinction entre les renseignements que l'administration produit elle-même et les renseignements qu'elle reçoit de tiers. Je considère que tous les renseignements demandés, y compris les notes des examinateurs employés par Santé Canada ou engagés comme experts externes, constituent des renseignements de tiers. N'était de la présentation de drogue nouvelle de Merck Frosst, ces notes n'existeraient simplement pas.

[42]J'estime que l'objectif principal de la Loi sur l'accès à l'information est celui qu'a défini le juge La Forest dans l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, au paragraphe 61:

La loi en matière d'accès à l'information a donc pour objet général de favoriser la démocratie, ce qu'elle fait de deux manières connexes. Elle aide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l'information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l'ensemble de la population.

[43]Rappelons, même si elle a été formulée dans le contexte d'une ordonnance de confidentialité, l'observation du juge Décary J.C.A., s'exprimant au nom de la Cour, dans l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] 3 C.F. 360 (C.A.), au paragraphe 7:

Ne soyons pas naïfs. L'intérêt public de connaître précisément le procédé de fabrication de médicaments est minime, s'il existe, et personne ne peut sérieusement affirmer que la délivrance d'ordonnances de non-divulgation comme celles qui sont en litige dans une instance relative à un avis de conformité met en danger le principe de la transparence de la justice.

[44]En gardant à l'esprit cette observation, je passe maintenant, comme la Loi exige que je le fasse, aux 549 pages qui font l'objet du litige (Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports) (1989), 37 Admin. L.R. 245 (C.F. 1re inst.)). D'ailleurs, l'article 2 de la Loi dispose que «les décisions quant à la communication [sont] susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif».

L'avis de conformité

[45]Chacun, qu'il soit concurrent ou non, a le droit de savoir si une drogue qui est sur le marché a été approuvée. L'avis de conformité n'est pas un document confidentiel. D'ailleurs, il n'y a pas eu d'opposition particulière à sa production. Je le considère comme un document autonome et j'estime que Santé Canada avait le droit de le communiquer à l'auteur de la demande, sans consulter Merck Frosst.

Le sommaire général

[46]Santé Canada reconnaît que ce document comprend des renseignements qui sont protégés par les alinéas 20(1)a), b), c) et d) de la Loi. Toutefois, le motif principal de protection est l'alinéa b), «des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques [. . .] qui sont de nature confidentielle». Je renvoie encore une fois à l'opinion du juge Décary dans l'arrêt AB Hassle, au paragraphe 4:

En premier lieu, qu'on examine la question du point de vue du fabricant du médicament de marque ou de celui du fabricant du médicament générique, la confidentialité perçue des renseignements constitue la pierre angulaire du régime de réglementation prévu par le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.001 [mod. par DORS/95-172 , art. 4] ainsi que par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité):

La confidentialité perçue de l'information communiquée par un fabricant de médicaments au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social est la pierre angulaire du régime applicable au traitement des présentations de nouvelles drogues et à la délivrance d'avis de conformité. Pour que le régime soit efficace, le caractère confidentiel des rapports doit être respecté et maintenu dans toute la mesure du possible. (Non souligné dans l'original.) (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 48 C.P.R. (3d) 296 (C.F. 1re inst.), à la p. 305, le juge McGillis.)

[47]À mon avis, le sommaire général comporte fondamentalement des renseignements confidentiels provenant de tiers. Les renseignements ne sont pas groupés en une section confidentielle et une section non confidentielle. Par conséquent, je suis d'avis que le «responsable de l'institution fédérale» en question, Santé Canada, était tenu au départ de refuser de communiquer une partie quelconque du dossier.

[48]Selon la Loi, la présomption initiale veut que les renseignements dans les mains de l'administration soient communiqués. Toutefois, une fois qu'une exception obligatoire a été établie, des considérations différentes entrent en jeu. On peut se demander qui a la charge d'établir une exception à une exception (voir l'arrêt Kruger Inc. c. Baltic Shipping Co. (1989), 57 D.L.R. (4th) 498 (C.A.F.), aux pages 501 à 503). On se reportera également à la décision du juge suppléant Heald Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] 1 C.F. 268 (1re inst.), aux pages 279, 283, 296, 300 et 301.

[49]La charge de la preuve ne devrait avoir qu'une application très limitée dans des cas comme ceux-ci. Ou bien les renseignements sont confidentiels ou bien ils ne le sont pas. Ainsi que l'a fait observer le juge Forget dans la décision Aluminerie Alouette inc. c. Commission d'accès à l'information du Québec, [1991] R.J.Q. 417 (C.S.), à la page 427:

La Commission exerce une fonction délicate puisque la confidentialité ne vit qu'une fois. Si la confidence est révélée sans droit, le dommage ne peut être réparé. La Commission doit donc se révéler prudente lorsque des droits de tiers peuvent être affectés par ces décisions.

Personne ne l'a mieux dit que le juge Devlin, tel était alors son titre, dans la décision Waddle v. Wallsend Shipping Company, Ltd., [1952] 2 Lloyd's Rep. 105 (Q.B.), à la page 139:

[traduction] Dans une affaire où l'essentiel des faits a été mis au jour, il est sans aucun doute légitime de plaider qu'il faut trouver une cause quelconque, et que donc la cause qui paraît la mieux établie devrait être choisie. Lorsqu'on peut dire à juste titre que toutes les causes possibles ont été examinées à fond, c'est la plus forte qui doit l'emporter. Mais dans un cas où il n'existe aucune preuve directe, il n'y a pas de raison de dire que la conjecture la plus plausible doit nécessairement être la bonne explication. Il se peut bien qu'on doive constater qu'on n'en connaît pas assez au sujet des circonstances du sinistre pour permettre à celui qui enquête de dire comment c'est arrivé. Tout ce qu'il peut dire c'est qu'aucune théorie proposée n'a pu trouver suffisamment d'appui dans les faits pour rendre plus probable que cela est arrivé de cette façon et non d'une autre.

Plus loin dans les présents motifs, je renvoie à l'arrêt N.M. Paterson & Sons Ltd. c. Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent (2004), 322 N.R. 83 (C.A.F.) et je conviens qu'il devrait être assez facile d'établir si les renseignements sont dans le domaine public ou non, et donc s'ils sont confidentiels.

NOTES DES EXAMINATEURS ET CORRESPON-DANCE

[50]Comme je l'ai déjà dit, ces documents, même s'ils peuvent être traités séparément, n'existeraient pas si ce n'était de la présentation de drogue nouvelle. Selon l'article 27, le responsable d'une institution fédérale est tenu, dans le cas où un document est, selon lui, susceptible de contenir des renseignements de tiers, de donner un avis préalable au tiers intéressé. L'avis doit donner «la désignation du contenu total ou partiel du document qui, selon le cas, appartient au tiers, a été fourni par lui ou le concerne» . Donc, l'article 20 de la Loi s'applique aux notes des examinateurs et à la correspondance, tout autant qu'au sommaire général.

ANALYSE--Partie II

[51]La demande qui m'a été présentée n'est pas réglée du fait que je conclus que les documents au cours de leur genèse ont été fournis par le tiers ou le concernent et qu'ils étaient de nature confidentielle. Deux questions restent à trancher: 1) les renseignements ont-ils perdu, pour tout ou partie, le caractère confidentiel qu'ils avaient à l'origine? 2) est-il possible de prélever les renseignements non confidentiels de manière raisonnable pour les communiquer à l'auteur de la demande?

La confidentialité

[52]L'une des décisions de principe traitant de la confidentialité des documents sous le régime de l'article 20 de la Loi est la décision Air Atonabee. Le juge MacKay a statué que la confidentialité des documents dépendait de leur contenu, de leur objet et des circonstances dans lesquelles ils ont été compilés ou communiqués. Bien que Santé Canada ait renvoyé aux quatre alinéas du paragraphe 20(1) pour justifier sa décision de supprimer certains renseignements visés par la demande, dans presque tous les cas, seuls les alinéas 20(1)b) et c) s'appliquaient. Selon l'alinéa b), s'il s'agit de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui sont de nature confidentielle au sens défini, les renseignements sont protégés. À la différence de l'alinéa c), il n'est pas nécessaire d'examiner si la communication pourrait causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou nuire à sa compétitivité. En me fondant sur l'arrêt AB Hassle, je n'hésite pas à conclure que les renseignements étaient confidentiels au moment de leur présentation, ont toujours été traités comme tels par Merck Frosst et que Merck Frosst pouvait légitimement s'attendre à ce que les renseignements soient tenus confidentiels par Santé Canada.

[53]Certains de ces renseignements semblent être actuellement dans le domaine public. Toutefois, à partir du témoignage de M. Sarrazin, la question n'est pas vraiment de savoir s'il y a ou non des renseignements dans le domaine public au sujet de Singulair®, mais bien si les renseignements tels qu'ils sont présentés par Merck Frosst sont dans le domaine public. Si ces renseignements dans la forme présentée «comme telle» (en français, dans l'original) ne sont pas dans le domaine public, la confidentialité n'a pas, à mon avis, été perdue. Que l'on pense à l'exception pour le secret professionnel de l'avocat. Certes, l'analogie n'est pas parfaite, puisque les documents protégés par le secret professionnel de l'avocat font l'objet d'une exception discrétionnaire prévue à l'article 23 de la Loi, tandis que les renseignements confidentiels provenant de tiers bénéficient d'une exception obligatoire. Un mémoire bien conçu sur une affaire dans laquelle se posent des questions complexes de fait et de droit renvoie nécessairement à la jurisprudence. Rien n'est plus public que les décisions de nos tribunaux. Imaginons que le responsable d'une institution fédérale a tout supprimé dans le mémoire, sauf les renvois à la jurisprudence. Le simple fait que certaines affaires sont invoquées permettrait à un adversaire de voir dans le jeu de la partie en cause. Par exemple, une affaire traitant de la règle de la meilleure preuve indiquerait que la partie peut avoir de la difficulté à prouver son point. Ajoutons à cela des affaires traitant du ouï-dire et l'adversaire bénéficierait d'un avantage énorme. Voici ce qu'en a dit le juge suppléant Heald dans la décision Conseil juif canadien, à la page 298 (citant Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É. 27, à la page 33):

Pour en venir au principe applicable au «dossier de l'avocat», sa raison d'être tient évidemment à ce que, dans notre système judiciaire fondé sur le principe du débat contradictoire, l'avocat ne doit pas être gêné dans la préparation du dossier de son client par la possibilité que des documents qu'il rédige soient retirés de son dossier et déposés devant le tribunal à des fins autres que celles qu'il envisage. Les documents qui aideraient à mettre à jour la vérité s'ils étaient préparés de la façon prévue par l'avocat qui en a dirigé la préparation pourraient fort bien servir à fausser la vérité s'ils étaient soumis par une partie adverse qui ne comprend pas ce qui a donné lieu à leur rédaction. Si les avocats pouvaient fouiller dans les dossiers les uns des autres au moyen du processus de la communication préalable, la simple préparation des dossiers pour l'instruction se transformerait en une regrettable parodie de notre système actuel.

Ces observations m'ont guidé dans l'examen des 549 pages.

[54]On ne saurait exagérer l'importance de la confidentialité. Le concurrent de Merck Frosst est tout aussi capable que Santé Canada de chercher sur Internet des mentions de Singulair®. Ce qu'il demande, c'est «[l]'accès aux documents de l'administration fédérale» (paragraphe 2(2)). À quoi servirait de lui fournir des renseignements qui sont à la disposition du public ailleurs?

[55]Ce qui importe ici, c'est le contexte dans lequel les renseignements sont situés parmi les documents conservés par l'administration.

[56]Il est bien établi que les documents produits au stade de l'enquête préalable sont assujettis à une règle de confidentialité, jusqu'à ce qu'ils soient déposés ou lus dans le dossier en séance publique. Dans l'arrêt Home Office v. Harman, [1982] 1 All E.R. 532 (H.L.), lord Diplock a dit, à la page 534:

[traduction] La présente affaire porte sur un aspect du droit de la communication des documents dans les actions civiles devant la Haute Cour. La pratique de forcer les parties en litige, dans le cours de la préparation de l'instruction d'une action civile, à se communiquer l'une à l'autre, pour les consulter et en prendre copie, tous les documents dont elles ont la possession ou le contrôle qui contiennent des renseignements qui peuvent, directement ou indirectement, permettre à l'autre partie de faire avancer sa cause ou de nuire à la cause de son adversaire ou qui peuvent probablement conduire à une chaîne d'enquête pouvant aboutir à l'une ou l'autre de ces deux conséquences, est propre aux pays dont la procédure judiciaire remonte aux tribunaux anglais de common law et à la Cour de chancellerie (où la communication des pièces trouve son origine). [Non souligné dans l'original.]

[57]Dans l'arrêt N.M. Paterson & Sons Ltd. c. Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, la Cour était saisie d'une requête pour outrage au tribunal intentée contre un avocat qui avait fourni à un journal des renseignements reçus au stade de l'interrogatoire préalable. On opposait comme moyen de défense que les renseignements étaient à la disposition du public par d'autres moyens au moment où ils ont été divulgués, de sorte que l'obligation implicite de confidentialité ne s'appliquait plus. On avait également plaidé que le document en question était central dans cette affaire et serait inévitablement lu lors de l'instruction. Malgré le fait que l'incident ayant donné lieu au litige avait eu une notoriété considérable (un pont levant avait été abaissé sur le navire de la demanderesse au moment où il passait dans le canal Welland), les documents réels en question, dans leur forme particulière, n'étaient pas publics. La Cour a retenu l'accusation d'outrage au tribunal.

[58]Le juge Sexton, J.C.A., s'exprimant au nom de la Cour, a formulé les observations suivantes sur le fardeau de prouver que les renseignements étaient à la disposition du public par d'autres moyens (au paragraphe 12):

Je constate également que l'argument invoqué par Me Marler imposerait un fardeau excessif à la partie qui tenterait d'établir qu'il y a eu violation de l'obligation implicite de confiden-tialité. La partie serait tenue de prouver un élément négatif, savoir que le document n'était pas accessible au public par quelque moyen que ce soit. Par conséquent, lorsque les éléments essentiels d'une accusation ont été établis, il incombe à la personne dont on allègue qu'elle a manqué à l'obligation implicite de confidentialité de présenter un moyen de défense, savoir que les renseignements étaient accessibles au public par d'autres moyens. À mon avis, ce fardeau n'est pas excessif. Après tout, pour qu'une personne soit justifiée de divulguer à une tierce partie des renseignements qu'elle a obtenus pendant l'interrogatoire préalable, cette personne doit savoir que les renseignements sont accessibles au public par d'autres moyens. Il devrait être relativement facile pour cette personne de préciser la source dont le public pouvait obtenir les renseignements.

Il est évident que le sommaire général, en tant que tel, n'est pas à la disposition du public.

[59]On a dit que la Loi sur l'accès à l'information favorise l'espionnage industriel. Et que dire de l'espionnage véritable? Que l'on pense à l'affaire Boyer v. Regem, [1948] B.R. 829 (C.A.Q.). Boyer a été jugé coupable de conspiration en vue de violer la Loi sur les secrets officiels [S.C. 1939, ch. 49] de 1939 (maintenant appelée la Loi sur la protection de l'information, L.R.C. (1985), ch. O-5 [art. 1 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 25)]). Il avait été accusé de communiquer des renseignements propres ou destinés à aider, ou susceptibles d'aider, directement ou indirectement, une puissance étrangère. Boyer effectuait de la recherche en chimie inorganique relative à des projets de guerre et à la chimie des explosifs. Il travaillait sur un explosif appelé RDX, connu comme un explosif possible depuis 1899 et dont la préparation était restée un procédé de laboratoire. En 1930, un procédé de fabrication industrielle a été établi et publié. L'accusé a cherché et trouvé d'autres procédés plus commodes de fabrication industrielle, qui comprenaient la combinaison du RDX avec d'autres substances bien connues à l'époque. Son argument selon lequel il n'avait pas commis de crime en raison de la publicité qui avait été faite au RDX a été rejeté.

LES 549 PAGES

[60]Les documents, à l'exception de l'avis de conformité, contiennent tous des renseignements confidentiels provenant de tiers et sont donc, à première vue, protégés en vertu de l'article 20 de la Loi (Congrès juif canadien, aux pages 300 et 301). Nous devons maintenant examiner si les renseignements non confidentiels peuvent être prélevés, que ce soit de la manière dont Santé Canada pense pouvoir le faire ou, si je devais ne pas accepter l'argument principal de Merck Frosst selon lequel aucune partie de ces renseignements ne peut raisonnablement être supprimée, conformément aux exceptions plus larges qu'elle fait valoir comme position de repli. Toutefois, au bout du compte, il faut considérer l'examen que je dois faire comme un examen de novo (décision Air Atonabee).

[61]L'article 25 dispose que les renseignements doivent être communiqués «à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux». C'est là une application de la philosophie globale de la Loi. Les exceptions au droit de communication doivent être «précises et limitées» aux termes du paragraphe 2(1). Ainsi que l'a dit le juge La Forest dans l'arrêt Dagg, au paragraphe 80:

Bien qu'il soit vrai que la Loi parle d'accès à un «document», je ne crois pas que cela devrait s'entendre uniquement d'un document matériel en entier. Dans n'importe quelle définition pratique et contextuelle, «document» s'entendrait d'un renseignement donné qui relève d'une institution fédérale, peu importe qu'il figure dans un «document» plus gros. Si la nature matérielle du document est telle que des renseignements non personnels y côtoient des renseignements personnels, il devrait être généralement possible de n'en divulguer que les éléments non personnels. Comme le montrent les actes du Ministre, il était possible, en l'espèce, de simplement supprimer des feuilles de présences les numéros d'identification et les signatures. En fait, l'art. 25 de la Loi sur l'accès à l'information oblige le Ministre à communiquer toute partie d'un document, qui ne renferme pas des renseignements qu'il peut refuser de communiquer, dans la mesure où il est raisonnablement possible de la séparer de toute autre partie qui renferme de tels renseignements.

[62]J'arrive à la conclusion que le sommaire général, les notes de l'examinateur et la correspondance sont protégés dans leur totalité. Je m'appuie encore ici sur la décision Congrès juif canadien. Le juge suppléant Heald y dit, à la page 296:

Dans le jugement Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Solliciteur général), le juge en chef adjoint Jerome a souligné l'importance de la condition suivant laquelle les renseignements ne peuvent être communiqués que si leur prélèvement ne pose pas de problèmes sérieux. Voici en quels termes il s'est exprimé:

En effet, le Parlement semble avoir eu l'intention de ne procéder au prélèvement d'extraits protégés et non protégés que si le résultat s'avère raisonnablement conforme aux objets de ces lois.

[. . .]

Des bribes de renseignements pouvant être divulgués, extraites de passages par ailleurs protégés ne peuvent être prélevées sans poser de problèmes sérieux. [Souligné dans l'original du juge suppléant Heald.]

[63]Bien que le sommaire général soit présenté dans une forme qui a été établie par Santé Canada et que l'index soit dans un format imposé, Merck Frosst a ajouté quelques sous-titres qui permettraient à un concurrent de se faire une meilleure idée des études qui ont été effectuées. Le rapport comprend des tableaux provenant de diverses études. Santé Canada a retranché des parties de chaque page de ces études en vertu des alinéas 20(1)b) et c). Dans quelques cas, tout ce qui reste est le numéro du tableau. Même la nature de l'étude a été enlevée. Toutefois, il n'y a pas de règle uniforme. De grandes parties des notes de l'examinateur sur une étude retranchée restent intactes. Si l'étude a été supprimée, les notes de l'examinateur doivent l'être aussi. Il y eu diverses études sur l'homme et sur les animaux. Parfois, le nom de l'animal est masqué. Pourquoi? Cela mettrait-il la puce à l'oreille d'un concurrent? Pour paraphraser lord Diplock [dans Harman], «la suppression pourrait-elle probablement conduire à une chaîne d'enquête»? Dans une étude, les groupes d'âge sont donnés, mais le chiffre supérieur des groupes a été supprimé de certains tableaux.

[64]On se retrouve avec des bouts de phrases qui sont incompréhensibles à mes yeux. S'ils sont compréhensibles pour l'auteur de la demande, c'est parce qu'il est capable de relier les points et de comprendre non seulement à partir de ce qui a été communiqué, mais aussi de ce qui a été supprimé.

[65]Cet examen fait penser à ce que dit lord Denning, M.R., dans l'affaire The Putbus, [1969] 2 All E.R. 676 (C.A.), à la page 678:

[traduction] Je ne vais pas lire l'article. Ce n'est pas un texte en anglais. C'est seulement une suite de mots symboles.

[66]Après avoir lu le document, la question reste: à quoi cela sert-il?

CONCLUSION

[67]L'examen des documents que Santé Canada n'a pas communiqués à l'auteur de la demande est traité aux articles 28 et 44 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 1, art. 45, ann. III, no 1], de la Loi. Selon le défendeur, l'article 44 entre en jeu après l'avis donné par le responsable d'une institution fédérale invitant un tiers à présenter les raisons justifiant le refus de communication, totale ou partielle, du document. Qu'en est-il de 14 des 15 pages communiquées sans avis, malgré le fait qu'à mon avis, un avis aurait dû être donné? Santé Canada a soulevé deux objections à la demande en révision de cette décision présentée à la Cour par Merck Frosst.

[68]La première objection était de nature procédurale. Les Règles [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106] disposent que, sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée (règle 302). Au cours de l'audience, j'ai ordonné que, dans la mesure où la communication de Santé Canada à Merck Frosst du 11 septembre 2000 portant que 15 pages avaient été communiquées constituait une décision distincte, la demande de Merck Frosst l'embrasserait également. Dans la mesure où la demande pourrait être tardive, une prorogation de délai a été accordée en vertu de la règle 8.

[69]La question la plus importante porte sur le fait que Santé Canada n'a pas vraiment donné un avis de sa décision de communiquer une partie des documents. Il a plutôt informé Merck Frosst par courtoisie, puisqu'il prenait la position, à tort, qu'il pouvait communiquer 15 pages du document pour la raison qu'elles ne contenaient pas de renseignements confidentiels. Se pourrait-il que le responsable d'une institution fédérale puisse prendre une décision qui ne soit pas susceptible de recours indépendants du pouvoir exécutif (article 2) simplement en ne donnant pas au tiers l'avis prévu par la Loi? J'insiste sur le fait que la bonne foi de Santé Canada n'est pas en cause, de sorte que l'article 74 de la Loi est sans application. Cet article est ainsi conçu:

74. Nonobstant toute autre loi fédérale, le responsable d'une institution fédérale et les personnes qui agissent en son nom ou sous son autorité bénéficient de l'immunité en matière civile ou pénale, et la Couronne ainsi que les institutions fédérales bénéficient de l'immunité devant toute juridiction, pour la communication totale ou partielle d'un document faite de bonne foi dans le cadre de la présente loi ainsi que pour les conséquences qui en découlent; ils bénéficient également de l'immunité dans les cas où, ayant fait preuve de la diligence nécessaire, ils n'ont pu donner les avis prévus par la présente loi.

[70]Il faut se rappeler que la procédure est la servante du droit. L'article 44 ne peut être mis de côté parce qu'un avis qui n'a pas été donné aurait dû l'être. D'ailleurs, la jurisprudence veut que les tiers puissent exercer un recours en révision en vertu de l'article 44 même si leur plainte se fonde sur un article de la Loi autre que l'article 20 (Siemens Canada Ltée c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) (2002), 21 C.P.R. (4th) 575 (C.A.F.); Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.F. 281 (C.A.F.).

[71]Bien que la question soit théorique dans la mesure où le préjudice a été effectivement causé, je déclare, étant donné que le prélèvement de renseignements dans des synthèses globales et des documents connexes se présentera inévitablement à nouveau, que ce qui a été fait n'aurait pas dû être fait.

[72]Bien que les renseignements confidentiels provenant de tiers ne soient pas des renseignements personnels au sens de la Loi, ces renseignements sont des renseignements personnels dans un sens plus large. Les parties ont beaucoup parlé de l'équilibre à établir entre le besoin de communication et le droit à la protection des renseignements personnels. Toutefois, l'équilibre a été établi par le législateur lui-même. Pour reprendre encore une fois les observations du juge La Forest dans l'arrêt Dagg [au paragraphe 45]:

Il est question, en l'espèce, d'un conflit entre deux principes opposés consacrés par la loi--l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels. Pour des raisons manifestes, l'appelant et l'intimé ont des opinions divergentes sur la question de savoir lequel de ces principes devrait l'emporter dans la présente affaire. On ne devrait pas non plus s'étonner que les parties aient des perceptions sensiblement différentes des lois qui renferment ces principes. Reconnaissant la nature contradictoire de la communication par l'État et du droit de l'individu à la vie privée, le législateur s'est efforcé de remédier à ce problème en fondant en un code homogène la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. J'estime qu'il y est parvenu de façon élégante. Bien que les deux lois n'éliminent pas la contradiction entre les deux droits opposés--aucune loi ne pourrait y parvenir--elles établissent un moyen cohérent et rationnel de déterminer laquelle des deux valeurs devrait l'emporter dans un cas donné.

[73]La «protection des renseignements personnels» fait l'objet d'une autre loi, qui établit des exceptions à la règle de la non-communication. L'article 20 comporte ses propres exceptions, intégrées dans la disposition. Pour cette raison, il n'a pas été nécessaire d'examiner les observations relatives à l'ALÉNA.

[74]Tous ces débats au sujet de l'équilibre à établir font penser au cours de philosophie 101 et à la définition aristotélicienne de la vertu comme juste milieu. Peut-être faudrait-il penser davantage à Thomas Hobbes qui a dit que la vie était «dégoûtante, animale et brève». La vie n'est pas si dégoûtante, animale et brève pour d'innombrables Canadiens et pour les êtres humains dans le monde entier grâce aux médicaments-miracles modernes.

[75]En guise de conclusion (AB Hassle, au paragra-phe 4):

Pour que le régime soit efficace, le caractère confidentiel des rapports doit être respecté et maintenu dans toute la mesure du possible.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il est déclaré que, sauf à l'égard de l'avis de conformité, la décision du ministre de la Santé de fournir à l'auteur de la demande une partie quelconque des documents était invalide.

Le ministre ne doit communiquer aucune partie des documents demandés parce que ces documents tout entiers sont protégés par le paragraphe 20(1) de la Loi sur l'accès à l'information.

La demanderesse aura droit aux dépens.

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