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T-2250-04

2005 CF 576

L'honorable Alfonso Gagliano (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada, la Chambre des communes et M. Charles Guité (défendeurs)

et

La Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires (interve-nante)

Répertorié: Gagliano c. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge Tremblay-Lamer--Montréal, 12 avril; Ottawa, 27 avril 2005.

Droit constitutionnel -- Principes fondamentaux -- Privilège parlementaire -- Contrôle judiciaire de la décision de la Commission Gomery selon laquelle le privilège parlementaire s'applique pour empêcher qu'on se serve d'une déposition prétendument incompatible faite devant un comité parlementaire lors d'un contre-interrogatoire dans le cadre des travaux de la Commission -- La décision est fondée sur le fait que l'art. 9 du Bill of Rights, 1688 a codifié le privilège de la «liberté de parole» au R.-U., reconnu en tant que privilège parlementaire au R.-U. en 1867 -- L'art. 9 n'a pas été incorporé dans la Constitution canadienne et seuls les grands principes qui en découlent s'appliquent -- Application du critère de nécessité décrit par la C.S.C. dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative) pour déterminer la portée du privilège de la liberté de parole -- Le droit d'empêcher le contre-interrogatoire de témoins qui ont déposé devant des comités parlementaires est nécessaire au fonctionnement du Parlement pour encourager les témoins à parler ouvertement, pour permettre aux comités d'exercer leur fonction d'enquête et pour éviter les conclusions de fait contradictoires -- Le privilège est applicable -- Demande rejetée.

Enquêtes -- Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires -- Contre- interrogatoire de témoins -- Le demandeur désirait se servir de la déposition prétendument incompatible du défendeur Guité faite devant un comité parlementaire lors d'un contre- interrogatoire dans le cadre des travaux de la Commission -- Le défendeur Guité s'y est opposé au motif que le privilège parlementaire empêchait l'utilisation de cette déposition -- La Commission a maintenu l'objection -- Le demandeur a fait valoir que de refuser le contre-interrogatoire constituait un manquement à l'équité procédurale -- Il n'y a aucun manquement puisque la Commission n'a d'autre choix que d'appliquer le privilège -- Une distinction est faite d'avec la décision invoquée par le demandeur parce que la Commission n'a pas le pouvoir de rendre de verdict de culpabilité -- Les exigences de l'équité procédurale sont satisfaites: le demandeur s'est vu accorder le statut de partie, il a pu témoigner assisté d'un avocat, il a pu procéder au contre-interrogatoire de tous les témoins et il pouvait présenter des observations finales -- La Commission n'a pas besoin d'avoir recours au témoignage privilégié pour tirer des conclusions au sujet de la crédibilité de M. Guité.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires (la Commission Gomery). Selon la Commission Gomery, le privilège parlementaire s'applique à la déposition faite devant le Comité des comptes publics de la Chambre des communes (le comité parlementaire) et cette déposition ne pouvait pas être utilisée lors d'un contre-interrogatoire dans le cadre des travaux de la Commission Gomery. La question du privilège parlementaire a été soulevée par suite de l'intention du demandeur de contre-interroger un des défendeurs, M. Guité, concernant des déclarations prétendument incompatibles faites antérieurement en utilisant les transcriptions du témoignage de ce dernier devant le comité parlementaire. La Chambre des communes défenderesse a refusé de renoncer au privilège de l'immunité parlementaire rattaché à ce témoignage et les avocats de M. Guité se sont formellement opposés un peu plus tard. Le Commissaire Gomery a maintenu cette objection dans une décision datée du 22 novembre 2004, laquelle a fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Jugement: la demande doit être rejetée.

La décision faisant l'objet du contrôle reposait principalement sur la portée du privilège parlementaire, une pure question de droit. La norme de contrôle appropriée était donc celle de la décision correcte.

Le privilège parlementaire au Canada tire ses origines tant de la common law que des lois. Avant la Confédération, les privilèges qui étaient nécessairement accessoires à une législature étaient réputés exister (la règle de common law). Avec l'édiction de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement du Canada pouvait être la source d'un privilège particulier pourvu qu'il n'excède pas les privilèges reconnus dont jouissait la Chambre des communes du Royaume-Uni en 1867. Par la suite, le Parlement canadien a, en vertu de l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, expressément incorporé par renvoi ces privilèges, immunités et pouvoirs qui existaient au Royaume-Uni. Il était donc nécessaire de délimiter ce qu'étaient ces privilèges, immunités et pouvoirs.

L'article 9 du Bill of Rights, 1688 a codifié la liberté de parole au R.-U. et il prévoyait que «[l]a liberté de parole et des débats ou procédures au Parlement ne devrait être attaquée ou contestée devant aucun tribunal ni ailleurs qu'au Parlement». En 1867, l'article 9 a été reconnu en tant que privilège parlementaire au R.-U. C'est sur cette codification de la liberté de parole au R.-U. que le Commissaire Gomery a appuyé sa décision. Les tribunaux ont différé d'opinion au sujet de l'interprétation à donner à l'article 9 et de sa portée et, dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), la Cour suprême du Canada a refusé d'incorporer l'article 9 dans la Constitution canadienne. Elle a rappelé que ce sont les grands principes qui en découlent plutôt que la disposition elle-même qui s'appliquent et elle s'est bornée à reconnaître la liberté de parole au sens général comme étant une forme de privilège parlementaire au Canada.

Vu le fait que la portée exacte de la liberté de parole demeurait indéfinie, le critère de nécessité établi par la common law et décrit dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. a été appliqué et il a été décidé que le droit d'empêcher le contre-interrogatoire de témoins en utilisant des éléments de preuve présentés devant des comités parlementaires était nécessaire au fonctionnement du Parlement dans la présente démocratie canadienne. Il est nécessaire pour encourager les témoins à parler ouvertement devant les comités parlementaires, pour permettre aux comités d'exercer leur fonction d'enquête et pour éviter les conclusions de fait contradictoires.

Quant au besoin d'encourager les témoins à parler ouvertement, le privilège est nécessaire afin que le témoin ne craigne pas que ses paroles soient utilisées pour le discréditer dans une autre instance, que celle-ci entraîne des conséquences légales ou non. Quant au besoin de permettre aux comités d'exercer leur fonction d'enquête, le pouvoir d'empêcher un contre-interrogatoire comme un privilège de la liberté de parole ou d'enquête est nécessaire dans le but de discerner les faits et de régler la question ou retracer les événements sous enquête. Dépouillés de ce pouvoir d'offrir cette protection aux témoins, le Parlement et ses comités ne pourraient pas fonctionner. Quant au besoin d'éviter les conclusions de fait contradictoires, la Cour a fait remarquer que le Bill of Rights, 1688 avait notamment pour but de protéger les parlementaires contre les actes des autres ordres du gouvernement et que cela comportait l'idée que le privilège parlementaire, c.-à-d. la liberté de parole, évitait que des procédures concomitantes au Parlement et devant les tribunaux conduisent éventuellement à des résultats différents pour les parties impliquées. La Cour s'est appuyée sur des décisions du Conseil privé et de la Chambre des lords pour en venir à la conclusion que les cours ne pouvaient entendre une preuve, un interrogatoire ou des observations ayant pour objet de démontrer que, lors de travaux parlementaires, un témoin avait délibérément induit le Parlement en erreur parce que le fait de faire cela constituerait une intrusion dans le domaine dont le Parlement possède la compétence exclusive. Le Parlement a seul la responsabilité principale d'intenter des poursuites et de punir ce comporte-ment fallacieux.

Le demandeur s'est également appuyé sur l'arrêt de la C.S.C. dans l'affaire R. v. Kuldip, dans lequel on avait affirmé qu'il était permis de contre-interroger un témoin sur une déclaration antérieure dans le but d'attaquer sa crédibilité, pour faire valoir que le commissaire avait manqué à l'équité procédurale en refusant le contre-interrogatoire sur les déclarations antérieures prétendument incompatibles de M. Guité. Dans cette affaire, le contre-interrogatoire avait eu lieu dans une cour de justice. En l'espèce, le commissaire n'a pas le pouvoir de rendre de verdict de culpabilité mais uniquement de faire des recommandations. Le fait de refuser au demandeur le droit de contre-interroger le témoin sous un rapport (son témoignage devant le comité parlementaire) satisfait aux exigences de l'équité procédurale. Le demandeur s'est vu accorder le statut de partie, il a pu témoigner assisté d'un avocat, il a pu procéder au contre-interrogatoire de tous les témoins et il pouvait présenter des observations finales. De plus, le Commissaire avait de nombreuses autres façons de tirer des conclusions satisfaisantes sur la crédibilité de M. Guité sans avoir recours au témoignage de ce dernier devant le comité.

lois et règlements cités

An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject, and settling the Succession of the Crown, 1688, 1 Will. & Mar. sess. 2, ch. 2 (R.-U.), art. 9.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 13.

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 233(2).

Commonwealth of Australia Constitution Act 1900 (Cth.), 63 & 64 Vict., ch. 12 (R.-U.) [Acts Austl. Parl. 1901-1973], art. 49.

Defamation Act 1996 (R.-U.), 1996, ch. 31, art. 13.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 18 (mod. par 38 & 39 Vict., ch. 38 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 13].

Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, art. 4 à 12.

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, partie I.

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Prebble v. Television New Zealand Ltd., [1995] 1 A.C. 321 (P.C.); Hamilton v Al Fayed, [2000] 2 All ER 224 (H.L.); New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319; (1993), 118 N.S.R. (2d) 181; 100 D.L.R. (4th) 212; 13 C.R.R. (2d) 1; 146 N.R. 161; Canada (Attorney General) et al. v. MacPhee et al. (2003), 221 Nfld. & P.E.I.R. 164; 46 Admin. L.R. (3d) 171 (C.S.Î.-P.-É. (1re inst.)).

décision distincte:

R. c. Kuldip, [1990] 3 R.C.S. 618; (1990), 61 C.C.C. (3d) 385; 1 C.R. (4th) 285; 1 C.R.R. (2d) 110; 114 N.R. 284; 43 O.A.C. 340.

décisions examinées:

R v Murphy (1986), 64 ALR 498 (N.S.W.S.C.); Laurance v Katter, [1996] 141 ALR 447 (C.A.(Qld.)); Stockdale v. Hansard (1839), 112 E.R. 1112 (Q.B.); Kielley v. Carson (1842), 13 E.R. 225 (P.C.); Bradlaugh v. Gossett (1884), 12 Q.B.D. 271; Goffin v. Donnelly (1881), 6 Q.B.D. 307; Regina v. Wainscot, [1899] 1 W.A.L.R. 77; Buchanan v Jennings, [2002] 3 NZLR 145 (C.A.); conf. par [2004] U.K.P.C. 36; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvision-nement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440; (1997), 151 D.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (2d) 1; 216 N.R. 321.

décisions citées:

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77; (2003), 232 D.L.R. (4th) 385; 17 C.R. (6th) 276; 311 N.R. 201; 179 O.A.C. 291; 2003 CSC 63; Dixon c. Canada (Gouverneur en conseil), [1997] 3 C.F. 169; (1997), 149 D.L.R. (4th) 269; 3 Admin. L.R. (3d) 306; 218 N.R. 139 (C.A.); Pepper v. Hart, [1993] A.C. 593 (H.L.); Boyle c. Canada (Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie -- Commission Létourneau), [1997] A.C.F. no 942 (1re inst.) (QL); Beno c. Canada (Procureur général), [2002] 3 C.F. 499; (2002), 216 F.T.R. 45; 2003 CFPI 142.

doctrine citée

Canada. Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes. Quatorzième Rapport. 38e Législature, 1re Session, 2004.

Maingot, Joseph. Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd., Ottawa: Chambre des communes, 1997.

May, Thomas Erskine. Erskine May's Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 19th ed. by Sir David Lidderdale. London: Butterworths, 1976.

Ontario. Law Reform Commission. Report on Witnesses Before Legislative Committees. Toronto: Ministry of the Attorney General, 1981.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision datée du 22 novembre 2004 dans laquelle la Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires a décidé que le privilège parlementaire s'appliquait pour empêcher l'utilisation en contre-interrogatoire dans le cadre des travaux de la Commission de la déposition faite par le défendeur à titre personnel devant le Comité des comptes publics de la Chambre des communes. Demande rejetée.

ont comparu:

Magali Fournier pour le demandeur.

André Lespérance et Warren J. Newman pour le défendeur, le procureur général du Canada.

Chantal R. Masse, Dara Lithwick et Sarah Woods pour la défenderesse, la Chambre des communes.

Richard Auger pour le défendeur, Charles Guité.

Raynold Langlois, c.r. et Marie-Geneviève Masson pour l'intervenante.

avocats inscrits au dossier:

Fournier Associés, s.e.n.c., Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur, le procureur général du Canada.

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour la défenderesse, la Chambre des communes.

Edelson & Associates, Ottawa, pour le défendeur, Charles Guité.

Langlois Kronström Desjardins, Montréal, pour l'intervenante.

Voici les motifs du jugement et jugement rendus en français par

La juge Tremblay-Lamer:

INTRODUCTION

[1]La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la capacité d'un avocat de contre-interroger un témoin dans le cadre des travaux d'une commission d'enquête publique (la Commission Gomery) [Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires], sur la foi de la déposition faite par le témoin dans le passé devant le Comité des comptes publics, un comité formé de députés. Selon la Commission Gomery, le privilège parlementaire s'applique à la déposition faite devant le comité et empêche de ce fait l'avocat de se servir de cette déposition lors du contre-interrogatoire.

[2]La Cour doit examiner cette décision et déterminer si le privilège parlementaire empêche effectivement le contre-interrogatoire du témoin. Dans le cadre de cette analyse, elle doit tenir compte de considérations plus larges. Le privilège parlementaire met en relief des thèmes qui sont au coeur de notre démocratie constitutionnelle: le rôle que doit jouer chaque organe du gouvernement--l'organe législatif, l'organe exécutif et l'organe judiciaire-- et le degré de retenue dont chacun de ces organes doit, en conséquence, faire preuve à l'égard des domaines légitimes de compétence des autres.

[3]Historiquement de nombreuses affaires survenues au cours des XVIe et XVIIe siècles où les tribunaux du Royaume-Uni prétendaient, sur l'ordre du roi, s'attribuer le pouvoir du Parlement et contrôler ses activités, ont mené à l'adoption de [An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject, and settling the Succession of the Crown, 1688], 1 Will. & Mar. sess. 2, ch. 2 (Bill of Rights, 1688). Ce texte soustrayait expressément certains champs d'activité du Parlement à l'examen des tribunaux. Fait plus important encore pour la présente affaire, le Bill of Rights, 1688 a codifié le privilège de la «liberté de parole» sur lequel s'est appuyée la Commission Gomery pour décider que le contre- interrogatoire n'était pas permis. Bien que l'article 9 du Bill of Rights n'ait pas été incorporé directement au droit constitutionnel canadien, les grands principes qui en découlent s'appliquent et nous éclairent quant aux rôles respectifs des tribunaux et des organismes législatifs au Canada.

EXPOSÉ DES FAITS

[4]La Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires a été créée par décret en conseil, C.P. 2004-110, le 19 février 2004 et ce, conformément à la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, partie I.

[5]En vertu de ce décret, la Commission Gomery s'est vue confier le mandat suivant:

a.     de faire enquête et de faire rapport sur les questions soulevées, directement ou indirectement, par les chapitres 3 et 4 du Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes publié en novembre 2003, traitant du programme de commandites et les activités publicitaires du gouvernement du Canada sous certains aspects précisés au mandat;

b.     La Commission Gomery doit présenter au gouvernement du Canada ses recommandations afin de prévenir pour l'avenir la mauvaise gestion des programmes de commandites ou d'activités publicitaires.

[6]Par conséquent, la Commission Gomery s'est vue attribuer de larges pouvoirs d'enquête sur toute question qu'elle juge utile à la réalisation de son mandat.

[7]À compter du 14 octobre 2004, certaines parties ont fait diverses représentations devant le commissaire Gomery relativement à l'utilisation des transcriptions de témoignages rendus devant le Comité des comptes publics de la Chambre des communes (le comité parlementaire) et au privilège de l'immunité parlementaire. Ce débat s'inscrivait alors dans un cadre théorique puisque aucune objection n'avait encore été soulevée à cet égard.

[8]Le 18 octobre 2004, la Chambre des communes a demandé au commissaire Gomery le statut d'intervenante devant la Commission afin de pouvoir exposer sa position sur la possibilité d'utiliser devant la Commission Gomery des témoignages rendus devant le comité parlementaire, statut qui lui a été accordé.

[9]Le 25 octobre 2004, le commissaire Gomery a demandé à la procureure de la Chambre des communes de vérifier si sa cliente était prête à renoncer au privilège de l'immunité parlementaire si jamais cela était soulevé lors d'un interrogatoire à venir.

[10]Le 8 novembre 2004, la procureure de la Chambre des communes a informé la Commission Gomery du déroulement de sa demande à l'égard de la renonciation au privilège. Elle a également demandé à la Commission Gomery de ne rendre aucune décision sur la possibilité d'admettre en preuve ce qui avait été dit devant le comité parlementaire avant que la Chambre des communes ait pris une décision quant à la levée du privilège.

[11]À la demande du commissaire Gomery, le procureur de M. Alfonso Gagliano a confirmé qu'il avait l'intention de contre-interroger M. Charles Guité et qu'il avait l'intention d'utiliser les transcriptions du témoignage de M. Guité devant le comité parlementaire pour une partie de son contre-interrogatoire.

[12]D'autres procureurs ont également informé la Commission Gomery de leur intention de contre-interroger M. Guité et de leur intention ou non d'utiliser les transcriptions de son témoignage devant le comité parlementaire.

[13]Le commissaire Gomery a donc décidé de suspendre jusqu'au 22 novembre 2004 le débat sur l'utilisation des transcriptions du témoignage de M. Guité devant le comité parlementaire jusqu'à ce que la Chambre des communes ait pris une décision sur la renonciation au privilège.

[14]Le 22 novembre 2004, la procureure de la Chambre des communes a annoncé à la Commission Gomery qu'elle n'avait pas l'intention de renoncer au privilège de l'immunité parlementaire rattaché aux témoignages devant le comité parlementaire.

[15]Par contre, c'est lors du contre-interrogatoire de M. Guité par Me Pratte, procureur de M. Jean Pelletier, que l'objection relativement à l'immunité parlementaire a été formellement soulevée par les procureurs de M. Guité.

[16]L'honorable John H. Gomery a rendu une décision le 22 novembre 2004 (la décision sur l'immunité parlamentaire) dans laquelle il maintenait l'objection des procureurs de M. Guité [voir http://gomery.ca/fr/rulingonparliamentaryimmunity/index.asp].

[17]Le 22 décembre 2004, les procureurs de M. Gagliano ont introduit la présente demande de contrôle judiciaire de la décision sur l'immunité parlementaire.

[18]La Cour fédérale a émis une ordonnance permettant l'intervention de la Commission Gomery et prévoyant l'audition de l'instance le 17 février 2005. Cette ordonnance a été modifiée par l'ordonnance du 23 mars 2005.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[19]Le demandeur soutient essentiellement que le privilège parlementaire ne l'empêche pas de contre-interroger le défendeur Guité lors de son témoignage devant la Commission Gomery sur des déclarations antérieures prétendument incompatibles faites devant un comité parlementaire puisque la Commission n'a aucun pouvoir de déclaration de culpabilité ni même de recommandation de poursuites civiles ou criminelles.

[20]À l'origine, en 1688, le privilège n'avait pas une grande portée et se limitait à protéger les membres du Parlement de toutes poursuites criminelles fondées sur les paroles prononcées en Chambre. Au fil du temps, le privilège s'est étendu afin d'accorder aux membres du Parlement la protection contre les poursuites civiles. Par la suite, la protection fut accordée aux comités des Chambres ainsi qu'aux témoins assignés à témoigner devant le Parlement ou un de ses comités.

[21]Ainsi, dans la mesure où le témoin était mis dans la situation de s'auto-incriminer, on s'assurait qu'il n'aurait aucune raison de mentir puisqu'il ne pouvait être poursuivi civilement ou criminellement pour les paroles prononcées au Parlement. Cependant, il ne peut exister de privilège contre l'utilisation restrictive d'un témoignage devant le Parlement afin de tester la crédibilité d'un témoin dans une autre instance.

[22]Le demandeur s'appuie sur l'affaire R v Murphy (1986), 64 ALR 498 (N.S.W.S.C.), où la Cour a conclu que l'on pouvait mettre le témoin devant ses contradictions émanant d'un témoignage donné devant un comité sénatorial lorsqu'il n'y a aucune conséquence juridique pour celui-ci. Un témoin est plus apte à dire la vérité lorsqu'il sait qu'il peut être contredit d'une façon ou d'une autre que lorsqu'il sait qu'il sera à l'abri de la contradiction.

[23]La Chambre des communes (la défenderesse) soutient pour sa part que les privilèges parlementaires visent à protéger l'indépendance des organismes législatifs tant vis-à-vis la magistrature que vis-à-vis la Couronne, y compris une commission d'enquête de la Couronne telle la Commission Gomery.

[24]Qui plus est, il est nécessaire que le privilège s'étende à l'utilisation de témoignages aux fins d'un contre-interrogatoire devant la Commission. En effet, même si une commission d'enquête ne statue pas sur les droits civils, ses décisions ont un impact sur le droit des témoins à leur réputation.

[25]Les témoins assignés devant un comité de la Chambre des communes doivent pouvoir s'exprimer librement sans craindre que leurs déclarations puissent être utilisées contre eux par la suite pour attaquer leur crédibilité.

[26]De plus, permettre en commission d'enquête que soit attaquée la crédibilité d'un témoin sur la base de ce qu'il a déclaré devant un comité de la Chambre des communes comporte un risque important d'usurper une compétence qui appartient uniquement à celle-ci de même qu'un risque de décisions contradictoires sur ces questions.

[27]Le privilège relatif à la liberté de parole et le privilège permettant à la défenderesse d'enquêter sont constitutionnels. La Cour suprême du Canada a reconnu le statut constitutionnel des privilèges parlementaires historiquement considérés comme nécessaires. Une fois qu'un tribunal constate qu'il s'agit d'une question «qui relève de cette catégorie nécessaire de sujets» sans lesquels la dignité et l'efficacité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, il se trouve à reconnaître la compétence exclusive parlementaire sur celle-ci.

[28]Le privilège relatif à la liberté de parole s'étend aux témoignages rendus devant un comité de la défenderesse et il ne devrait être levé que par une loi explicite à cet effet.

[29]Les plus hauts tribunaux du Royaume-Uni ont reconnu que les témoignages rendus devant les comités parlementaires ne pouvaient être utilisés pour mettre en cause la crédibilité d'un témoin dans une instance judiciaire ou autre pour le contre-interroger (Prebble v. Television New Zealand Ltd., [1995] 1 A.C. 321 (P.C.); Hamilton v Al Fayed, [2000] 2 All ER 224 (H.L.)). Quant à la décision Murphy, favorable au demandeur, celle-ci fut désavouée par le Conseil privé.

[30]Au Canada, la Cour suprême du Canada a reconnu que l'article 9 du Bill of Rights, 1688 trouvait application; à tout le moins, les principes qui le sous-tendent font partie du droit canadien et peuvent nous éclairer en matière de privilège. La décision du commissaire Gomery est donc bien fondée.

[31]Le défendeur, procureur général du Canada, soumet que, dans l'affaire New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, la Cour suprême du Canada n'avait pas à se prononcer sur la source du privilège par rapport aux chambres du Parlement du Canada, mais bien par rapport aux assemblées législatives provinciales.

[32]Toute analyse sur la portée des privilèges des chambres législatives fédérales doit débuter par la prise en compte de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], qui octroie au Parlement du Canada le pouvoir de légiférer pour déterminer l'étendue des privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes à une exception près. Le Parlement ne saurait accorder des privilèges qui excèdent ceux que possédait la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni en 1867.

[33]Le Parlement du Canada a exercé le pouvoir conféré par l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, notamment par l'adoption de l'article 4 et suivants de la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, lequel renvoie aux privilèges que possédait la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni en 1867. Bien que les parties aient fait valoir que ces privilèges comprenaient ceux énoncés précisément à l'article 9 du Bill of Rights, 1688, au Canada, ce sont plutôt les grands principes qui découlent de l'article 9 plutôt que la disposition elle-même qui s'appliquent: New Brunswick Broadcasting.

[34]Quant à la portée de l'article 9 du Bill of Rights, la controverse persiste puisque la décision du Comité judiciaire dans l'arrêt Prebble, fut critiquée par certains juges de la Cour suprême du Queensland, Cour d'appel dans l'affaire Laurance v Katter (1996), 141 ALR 447.

[35]Le défendeur, M. Guité, s'en remet aux prétentions de la défenderesse.

[36]L'intervenante tient pour acquis que la décision sur l'immunité est bien fondée sur la question de l'existence d'une immunité parlementaire et ne soumet des représentations que sur l'effet de la décision sur l'équité procédurale à laquelle a droit le demandeur.

[37]L'intervenante soutient que l'équité procédurale a été respectée envers M. Gagliano puisqu'il a obtenu le statut de partie, qu'il a pu témoigner assisté d'un avocat, qu'il a pu procéder au contre-interrogatoire de tous les témoins et qu'il pourra présenter des observations finales.

[38]Il est vrai que le contre-interrogatoire que le procureur du demandeur aura fait n'est pas aussi étendu qu'il l'aurait souhaité, mais cela ne fait pas en sorte que son droit à l'équité procédurale a été violé si cette limitation est imposée en raison du fait que les éléments de preuve qu'il a voulu introduire sont des communications privilégiées inadmissibles en preuve.

Question en litige

[39]La seule question qui se pose dans la présente instance est la suivante:

Le privilège parlementaire empêche-t-il qu'une personne soit contre-interrogée lors de son témoignage devant une commission d'enquête sur des déclarations antérieures prétendument incompatibles, faites dans le cadre de travaux d'un comité parlementaire?

ANALYSE

1.     La norme de contrôle applicable

[40]La décision faisant l'objet du contrôle judiciaire est celle du commissaire Gomery de maintenir l'objection des procureurs de M. Guité et de refuser d'autoriser le contre-interrogatoire de celui-ci sur son témoignage antérieur devant le Comité des comptes publics.

[41]Il ressort des motifs de la décision que celle-ci repose principalement sur la portée du privilège parlementaire. Il s'agit là d'une pure question de droit requérant l'interprétation d'une jurisprudence historique complexe, tant au Canada qu'à l'étranger. La décision rendue sera d'une importance générale particulière pour la conduite d'enquêtes futures par les comités parlementaires ainsi que pour l'équilibre entre les rôles et les pouvoirs exercés par le Parlement, l'exécutif et les tribunaux. De plus, la Commission Gomery ne possède pas d'expertise relative à l'égard de cette pure question de droit. Par conséquent, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77).

[42]La prétention du demandeur que cette décision porte sur l'équité procédurale est inexacte. Si la décision du commissaire est correcte, il ne peut y avoir de manquement à l'équité procédurale de refuser le contre-interrogatoire puisque le commissaire n'a pas d'autre choix que d'appliquer le privilège.

[43]Les préoccupations du demandeur ne constituent pas une remise en cause de la procédure qui a été utilisée pour en arriver à la décision relative à la portée du privilège parlementaire faisant l'objet du présent contrôle judiciaire. Le demandeur ne prend pas, par exemple, la position selon laquelle on lui a refusé la possibilité de faire des observations au sujet de la portée du privilège parlementaire. Il n'allègue pas non plus que la Commission, en définissant l'effet du privilège parlementaire, se serait appuyée sur certains éléments de preuve qui ne lui avaient pas été régulièrement présentés.

[44]Bref, c'est la décision au sujet du privilège parlementaire qui fait l'objet du contrôle judiciaire. En ce sens, aucune considération d'équité procédurale n'est pertinente relativement à cet exercice.

2.     Les origines du privilège parlementaire au Canada

[45]Le privilège parlementaire au Canada tire ses origines tant de la common law que des lois. Ainsi, avant la Confédération, en l'absence d'un octroi particulier de la part du Parlement du Royaume-Uni, la règle de common law était bien établie: les privilèges qui étaient nécessairement accessoires à une législature étaient réputés exister (J. P. Maingot, Le privilège parlemen-taire au Canada, 2e éd., Ottawa: Chambres des communes, 1997, à la page 16).

[46]Dans l'arrêt Stockdale v. Hansard (1839), 112 E.R. 1112 (Q.B.), le lord juge en chef Denman a déclaré, à la page 1169: [traduction] «Si la nécessité peut être prouvée, point n'est besoin d'ajouter autre chose: c'est le fondement de tout privilège du Parlement, et c'est tout ce qui est exigé.» Le Conseil privé a confirmé la primauté de cette règle de common law de la nécessité dans l'arrêt Kielley v. Carson (1842), 13 E.R. 225.

[47]L'édiction de la Constitution canadienne, cependant, a ajouté un autre niveau à la source des privilèges parlementaires au Canada. L'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, dans sa version modifiée en 1875, 38 & 39 Vict., ch. 38 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 13], prévoit:

18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoir ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de Grande- Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.

[48]Le Parlement pouvait alors, conformément à la compétence législative que lui conférait l'article 18, être la source d'un privilège particulier pourvu qu'il n'excède pas les privilèges reconnus dont jouissait la Chambre des communes du Royaume-Uni. Cela diffère manifestement de l'article 49 de la Constitution australienne (Commonwealth of Australia Constitution Act 1900 (Cth.) [63 & 64 Vict., ch. 12 (R.-U.) [Acts Austl. Parl. 1901-1973]]), lequel incorpore directement ces privilèges existants au Royaume-Uni tant et aussi longtemps que le Parlement de l'Australie ne déclarera pas le contraire. L'article 49 se lit ainsi:

[traduction] 49. Les pouvoirs, privilèges et immunités du Sénat et de la Chambre des représentants, ainsi que des membres des comités de chaque chambre, seront ceux que le Parlement déclarera et, jusqu'à ce qu'ils soient déclarés, ce seront ceux de la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni, ainsi que de ses membres et comités, lors de l'établissement du Commonwealth.

[49]Par la suite, toutefois, en 1868, le Parlement canadien a, en vertu de l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, expressément incorporé par renvoi ces privilèges, immunités et pouvoirs qui existaient au Royaume-Uni. L'article 4 énonce:

4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants:

a) d'une part, ceux que possédaient, à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;

b) d'autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu'ils n'excèdent pas ceux que possédaient, à l'adoption des ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.

[50]Le pouvoir de définir ces privilèges par une loi existe, mais pour déterminer l'étendue des pouvoirs, droits, immunités et privilèges du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, il faut tout d'abord délimiter ceux dont jouissait la Chambre des communes britannique en 1867 (Maingot, à la page 18).

[51]C'est pourquoi l'article 9 du Bill of Rights, 1688 --la disposition codifiant la liberté de parole au Royaume-Uni--devient important: en 1867, l'article 9 était clairement reconnu comme un privilège parlementaire au Royaume-Uni. Il se lit ainsi:

[traduction] 9. La liberté de parole et des débats ou procédures au Parlement ne devrait être attaquée ou contestée devant aucun tribunal ni ailleurs qu'au Parlement.

[52]Cependant, comme le souligne le procureur général du Canada, il convient d'être prudent avant d'incorporer dans la Constitution du Canada un texte aussi précis. Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., la Cour suprême du Canada a rappelé qu'au Canada, ce sont les grands principes qui découlent de l'article 9 du Bill of Rights, 1688 plutôt que la disposition elle- même qui s'appliquent.

[53]Il existe deux courants jurisprudentiels qui sont diamétralement opposés sur la portée de l'article 9 et sur l'étendue de la protection dont bénéficie toute personne qui témoigne devant un comité qui relève de la Chambre des communes du Parlement du Canada.

[54]Dans l'arrêt Stockdale v. Hansard, la Cour du Banc de la Reine a cherché à donner effet à l'intention de l'article 9. Lord Denman, par exemple, a déclaré à la page 1156 que [traduction] «ce qui se passe ou se dit dans l'enceinte de l'une ou l'autre des assemblées doit être accepté sans contredit en tout autre endroit». Ce point de vue a été repris par lord Patteson et lord Coleridge dans des opinions distinctes, le premier commentant à la page 1191 [traduction] «que ce qui se passe ou se dit dans l'une ou l'aute des Chambres ne devrait pas être assujetti à un examen ailleurs».

[55]Une affaire ultérieure, Bradlaugh v. Gossett (1884), 12 Q.B.D. 271, appliquant l'article 9 pour empêcher l'utilisation de déclarations faites à la Chambre dans le cadre d'une action en diffamation, illustre davantage ce point. Le lord juge en chef Coleridge a fait remarquer, à la page 275, que [traduction] «[c]e qui se dit ou se passe dans l'enceinte du Parlement ne peut pas faire l'objet d'un examen devant une cour de justice».

[56]Dans l'affaire Goffin v. Donnelly (1881), 6 Q.B.D. 307, le Parlement avait ordonné la constitution d'un comité spécial de la Chambre des communes afin d'enquêter et de faire rapport sur les circonstances dans lesquelles le certificat du demandeur, un professeur, avait été suspendu. Le demandeur avait intenté une action en diffamation contre le défendeur à cause des déclarations que ce dernier avait faites lors de sa comparution devant le comité spécial. Le défendeur n'était pas un parlementaire. La Cour a rejeté l'action, statuant que les déclarations en question étaient privilégiées. Sans cependant faire référence au Bill of Rights, 1688, elle a considéré les intérêts plus grands qui étaient en jeu, à la page 308:

[traduction] Ce peut être un préjudice pour des personnes que des déclarations de nature diffamatoire puissent être faites à leur sujet, mais il s'agit de l'intérêt, c.-à-d. celui de la justice publique, pour la gestion duquel is est nécessaire que les témoins soient libres de rendre leur témoignage sans en craindre les conséquences. [. . .] La Chambre des communes, dans l'exécution de ses fonctions et pour les fins législatives, doit enquêter sur de nombreuses questions, dont notamment la conduite de ce ministère du gouvernement qui s'occupe de l'éducation. Pour les fins de telles enquêtes, des comités sont mis sur pied et exigent la présence de témoins. Si des personnes dont la présence est requise ne se présentaient pas, elles seraient condamnées pour outrage. Si elles se présentent, elles doivent répondre aux questions qui leur sont posées et elles peuvent être interrogées sous serment. Le témoignage rendu est, par conséquent, rendu sous la contrainte au même titre que dans le cas d'une cour de justice. Pour ces motifs, cela me semble être un cas de privilège encore plus favorable que dans certaines des occasions où il a été décidé qu'il y avait clairement un privilège.

[57]L'arrêt Regina v. Wainscot, [1899] 1 W.A.L.R. 77, est essentiellement au même effet. Comme dans l'affaire Goffin v. Donnelly, le défendeur n'était pas un parlementaire. Il était accusé de corruption par suite d'incidents survenus à l'extérieur du Parlement. Pour des raisons d'équité, la Cour suprême de l'Australie- Occidentale a statué que la poursuite ne pouvait pas se servir de la preuve produite par le défendeur devant un comité mixte des chambres du Parlement de l'Australie-Occidentale; les règlements du comité qui avaient été établis par le Parlement protégeaient les personnes témoignant devant des comités.

[58]Ainsi, le préjudice ou le problème contre lequel on recherchait la protection de l'article 9 du Bill of Rights, 1688 et le préjudice qui préoccupait principa-lement les tribunaux dans les affaires Stockdale v. Hansard, et Bradlaugh v. Gossett, consistaient à empêcher que les parlementaires (ou, par extension, les témoins) subissent des conséquences juridiques devant les tribunaux--que ce soit en matière civile ou criminelle --sur ce qu'ils ont dit ou fait dans le contexte de travaux parlementaires.

[59]Bien que ce soit longtemps après la période qui nous préoccupe en ce moment--celle de la Confédération du Canada--c'est précisément l'interpré-tation que le juge Hunt a faite de l'article 9 dans la décision Murphy [à la page 512]:

[traduction] [. . .] les déclarations faites par les cours en rejetant les tentatives de se servir de l'instance judiciaire dans le but de produire des conséquences juridiques pour les membres du Parlement (ou les témoins devant les comités parlementaires) concernant ce qu'ils ont dit ou fait au Parlement ou devant ces comités ne devraient pas être facilement étendues aux situations dans lesquelles l'instance judiciaire n'implique pas de telles conséquences juridiques, à moins qu'une telle extension ne soit nécessaire et souhaitable. J'ai déjà souligné que ce qui se dit ou se passe au Parlement peut, sans qu'il y ait violation du privilège parlementaire, être attaqué et contesté par l'exercice de la part des citoyens ordinaire de leur liberté de parole (que ce soit ou non dans les médias), malgré la crainte qu'une telle conduite peut engendrer chez les membres du Parlement (et les témoins des comités) quant aux conséquences de ce qu'ils ont dit ou fait. Dans ces circonstances, il ne peut être ni nécessaire ni souhaitable en principe que ce qui se dit ou se passe au Parlement ne puisse être contesté (dans le sens plus large) devant des cours ou des tribunaux semblables où l'instance en question ne doit produire aucune conséquence juridique pour ces membres (ou ces témoins).

La liberté de parole au Parlement n'est pas aujourd'hui, et n'était pas en 1901 ni même en 1688, délicate à un point tel que, bien que la justesse et la véracité de ce qui est dit par les membres du Parlement (ou les témoins devant les comités parlementaires) puissent être sérieusement contestées dans les médias ou en public, elle ne puisse pas être contestée de la même façon devant les cours de justice. Ce n'est que lorsqu'il peut y avoir des conséquences juridiques pour ces membres ou ces témoins pour ce qu'ils ont dit ou fait au Parlement qu'on peut les empêcher, au moyen de contestations devant les cours de justice, d'exercer leur liberté de parole au Parlement. Ce n'est que lorsque cela constitue la conséquence de la contestation que la liberté de parole au Parlement a besoin d'une plus grande protection à l'égard de ce qui se dit ou se passe dans les cours de justice qu'à l'ègard de ce qui se dit ou se passe dans les médias ou au sein du public.

[60]Les tribunaux ont continué à différer d'opinion au sujet de l'interprétation à donner à l'article 9. Dans les arrêts Prebble, et Hamilton v Al Fayed, lord Browne- Wilkinson n'a pas expressément lié sa conclusion, que la liberté de parole empêchait l'utilisation de déclarations faites au cours de travaux parlementaires, au fait que les parties puissent subir des conséquences juridiques. Les deux affaires concernaient des actions en diffamation. Tandis que dans les affaires Buchanan v Jennings, [2002] 3 NZLR 145 (C.A.), conf. par [2004] U.K.P.C. 36, et Laurance v Katter, les tribunaux ont été plus prudents dans leur approche à l'égard de l'article 9. Bref, il existe toujours une controverse au sujet de l'interprétation et de la portée précises de cette disposition du Bill of Rights, 1688.

[61]À tout le moins, il est juste de dire que l'article 9 ne se prête pas qu'à une seule interprétation. Sa portée précise n'était pas claire en 1867. On ne peut donc pas affirmer inexorablement que l'article 9 empêche le contre-interrogatoire d'un témoin dans une procédure comme la présente commission, où celui-ci ne fait face à aucune conséquence civile ou juridique.

[62]Toutefois, même à supposer que l'interprétation correcte de l'article 9 en 1867 englobait le contre-interrogatoire dans une procédure exempte de conséquences juridiques, comme je l'ai déjà mentionné, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., a déclaré clairement que les pouvoirs et les privilèges existant au Royaume-Uni et au Canada n'étaient pas nécessairement identiques. De plus, la juge McLachlin (maintenant juge en chef), écrivant au nom de la majorité, et le juge en chef Lamer, dissident sur d'autres points, ont expressément refusé d'incorporer l'article 9 du Bill of Rights, 1688 dans la Constitution canadienne (New Brunswick Broadcasting Co. Aux pages 374 et 354 et 355).

[63]Plutôt, comme la Cour suprême n'était pas directement saisie de la question, la conclusion dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., s'est bornée à reconnaître la liberté de parole au sens général comme étant une forme de privilège parlementaire au Canada.

[64]Néanmoins, le privilège de la liberté de parole existe au Canada, mais sa portée exacte n'est pas définie. Par conséquent, dans le but de trancher la question en l'espèce--celle de savoir si ce privilège empêche le contre-interrogatoire fondé sur des éléments de preuve obtenus par un comité parlementaire--je dois revenir au critère de nécessité établi par la common law.

[65]Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., aux pages 383 et 384, la Cour suprême du Canada a décrit ce critère comme suit:

Le critère de nécessité est appliqué non pas comme une norme pour juger le contenu du privilège revendiqué, mais pour déterminer le domaine nécessaire de compétence «parlementaire» ou «législative» absolue et exclusive. Si une question relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l'efficacité de l'Assemblée ne sauraient être maintenues, les tribunaux n'examineront pas les questions relatives à ce privilège. Toutes ces questions relèveraient plutôt de la compétence exclusive de l'organisme législatif.

    [. . .]

Les paramètres de cette compétence sont déterminés par ce qui est nécessaire pour que l'organisme législatif soit capable de fonctionner. Selon cette définition, le principe de nécessité englobera non seulement certains privilèges revendiqués, mais aussi le pouvoir de déterminer, de trancher et d'appliquer ces privilèges. Si les tribunaux devaient examiner le mode d'exercice d'un privilège valide et conclure que, dans certains cas, le privilège a été exercé d'une façon non valide, ils se trouveraient alors à empiéter sur la compétence exclusive de l'organisme législatif, après avoir reconnu que le privilège en question relève de la compétence exclusive de cet organisme législatif. La seule chose qui peut être examinée par le tribunal est à l'étape initiale de l'examen de la compétence: le privilège revendiqué est-il un des privilèges nécessaires pour que la législature soit capable de fonctionner? L'exercice particulier d'un privilège nécessaire ne saurait alors faire l'objet d'un examen, sauf si la retenue manifestée et la conclusion formulée à l'étape initiale sont rendues inopérantes.

[66]Ayant ce critère à l'esprit, je vais trancher la question de savoir si le contre-interrogatoire du témoin est protégé par le privilège parlementaire. Trois brèves remarques s'imposent d'abord.

[67]Premièrement, les membres du Parlement, tout comme les témoins, détiennent des privilèges parlementaires vis-à-vis de la Couronne et de la magistrature--New Brunswick Broadcasting Co. La Commission Gomery agit suite à une décision du gouvernement (la Couronne) d'ordonner une enquête (Dixon c. Canada (Gouverneur en conseil), [1997] 3 C.F. 169 (C.A.)). Ainsi, la Commission, pas plus que les tribunaux civils ou criminels, ne peut contrevenir aux privilèges parlementaires dont jouit la Chambre des communes.

[68]Deuxièmement, dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., la Cour suprême du Canada examinait la question de savoir si les radiodiffuseurs demandeurs avaient un droit d'accès à une assemblée législative, par opposition à la Chambre des communes. Toutefois, à mon avis, il ne fait pas de doute que le critère de nécessité s'applique également dans le contexte fédéral. La juge McLachlin, en particulier, a à maintes reprises fait des commentaires au sujet du critère de nécessité et des corps législatifs, tant au provincial qu'au fédéral (New Brunswick Broadcasting Co., aux pages 375, 381 et 383).

[69]Troisièmement, il importe de signaler un dernier extrait de l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co., à la page 387, lequel nous enseigne qu'il faut tenir compte du contexte actuel:

Le fait que ce privilège ait été maintenu pendant plusieurs siècles, tant à l'étranger qu'au Canada, est une preuve qu'il est généralement considéré comme essentiel au bon fonctionnement d'une législature inspirée du modèle britannique. Toutefois, il faut de nouveau nous poser la question suivante: dans le contexte canadien de 1992, le droit d'exclure des étrangers est-il nécessaire au bon fonctionnement de nos organismes législatifs?

[70]Ainsi, comme il n'est pas certain si le pouvoir de protéger un témoin à l'encontre d'un contre- interrogatoire dans une procédure où il n'y a aucune conséquence juridique tombait sous le coup du privilège de la liberté de parole existant au Royaume-Uni au temps de la Confédération, la Cour doit mettre l'accent sur le contexte canadien de 2005 et trancher la question de savoir si ce privilège respecte le critère de nécessité.

[71]Bien que la jurisprudence du Royaume-Uni et d'autres pays ayant des systèmes parlementaires semblables comme l'Australie sera importante pour résoudre le présent litige, la question essentielle est la suivante: le droit d'empêcher le contre-interrogatoire de témoins en utilisant des éléments de preuve présentés devant des comités parlementaires est-il nécessaire au fonctionnement du Parlement dans la présente démocratie canadienne?

3.     Le pouvoir d'empêcher le contre-interrogatoire est-il nécessaire au fonctionnement du comité parlementaire?

[72]À mon avis, le pouvoir d'empêcher le contre-interrogatoire de témoins en utilisant des éléments de preuve obtenus au cours de travaux précédents du Parlement tombe sous le coup du privilège parlementaire parce qu'il est nécessaire au fonctionnement du Parlement. Il est nécessaire à trois niveaux: pour encourager les témoins à parler ouvertement devant le comité parlementaire, pour permettre au comité d'exercer sa fonction d'enquête et, de façon plus secondaire, pour éviter les conclusions de fait contradictoires.

a) Encourager les témoins à parler ouvertement devant le comité parlementaire

[73]En l'espèce, l'objectif visé par le Comité des comptes publics était de déchiffrer ce qui était arrivé aux sommes d'argent provenant des finances fédérales et utilisées dans le cadre du programme de commandites fédérales. Pour accomplir cela, le comité a cherché à interroger un certain nombre de personnes impliquées dans ce programme. Et pour que cet exercice soit utile, il était essentiel que le comité soit en mesure d'encourager les témoins à parler franchement lors de leur témoignage.

[74]Voici la justification de longue date du privilège de la liberté de parole: il protège la capacité pour les parlementaires comme pour les témoins de s'exprimer librement sans crainte d'être questionnés par la suite. Comme nous l'avons vu précédemment, cette justification remonte à la jurisprudence précédant même le Bill of Rights, 1688 lui-même et les tribunaux y souscrivent depuis des siècles: voir p. ex., Goffin v. Donnelly.

[75]Cette justification a également convaincu les tribunaux modernes. Lord Browne-Wilkinson, au nom de la Chambre des lords de même que du Comité judiciaire du Conseil privé, a défendu ce point de vue à plusieurs reprises. Dans l'arrêt Prebble [aux pages 333 et 334], par exemple, il a rejeté sans équivoque la proposition (à laquelle a souscrit un juge dans la décision Murphy) selon laquelle une interprétation plus étroite de l'article 9 favoriserait une plus grande liberté de parole:

[traduction] Selon l'avis des lords, la façon dont le juge Hunt a énoncé le droit [dans l'affaire R v Murphy (1986), 64 ALR 498] n'était pas correcte en ce qui concerne le reste du Commonwealth. Premièrement, son opinion contredisait la longue série de remarques incidentes selon lesquelles les cours n'admettraient aucune contestation de ce qui se dit ou se passe au Parlement. Deuxièmement, comme l'a reconnu le juge Hunt, sa décision était incompatible avec celle du juge Browne dans l'affiare Church of Scientology of California v. Johnson-Smith, [1972] 1 Q.B. 522 (approuvée par la suite par la Chambre des lords dans les arrêts Pepper v. Hart, [1993] A.C. 593) et Comalco Ltd. v. Australian Broadcasting Corporation (1983) 50 A.C.T.R. 1, dans lesquels il a été décidé qu'il y aurait atteinte au privilège si on permettait que ce qui se dit au Parlement fasse l'objet d'une enquête ou d'une plaidoirie.

Enfin, le juge Hunt s'est basé sur un interprétation étroite de l'article 9, laquelle découlait de contexte historique dans lequel l'article avait été édicté à l'origine. Il a correctement dégagé le tort que l'on cherchait à réparer en 1689 comme étant, entre autres, l'assertion par les cours du Roi relativement à un droit de tenir un membre du Parlement criminellement ou légalement responsable pour ce qui avait fait ou dit au Parlement. Il en a déduit le principe selon lequel l'article 9 ne s'appliquait qu'aux affaires où on demande à une cour d'assujettir l'auteur d'une déclaration à une responsabilité légale pour ce qu'il a dit au Parlement. Cette opinion écarte le concept fondamental sous-tendant l'article 9, c.-à-d. la nécessité de veiller autant que possible à ce qu'un membre de la législature et les témoins devant les comités de la Chambre puissent parler librement sans craindre que ce qu'ils disent sera plus tard retenu contre eux devant les cours. L'intérêt public important protégé par un tel privilège est de veiller à ce que, au moment de parler, le membe ou le témoin ne soit pas empêché de déclarer pleinement et librement ce qu'il a à dire. S'il existait des exceptions permettant de contester par la suite ses déclarations, in ne saurait pas, au moment de parler au Parlement, si ce qu'il dit ferait par la suite l'objet d'une contestation. Il n'aurait donc pas la confiance que le privilège vise à protéger. [Non souligné dans l'original.]

[76]Lord Browne-Wilkinson a repris ces mots dans l'arrêt Hamilton v Al Fayed. Ainsi, pour lord Browne-Wilkinson, l'intérêt public qui est protégé par le privilège est de s'assurer qu'un témoin, au moment où il témoigne devant un comité parlementaire, n'est pas freiné de parler librement.

[77]Je suis de cet avis. Je crois qu'il est important pour la démocratie canadienne qu'un témoin puisse parler ouvertement devant un comité parlementaire. Cet objectif sera accompli s'il ne craint pas, au moment où il témoigne devant ce comité, que l'on puisse utiliser ses paroles par la suite pour le discréditer dans une autre instance, que celle-ci entraîne des conséquences légales ou non. C'est en lui donnant l'assurance qu'il est complètement protégé par le privilège et qu'il ne pourra être interrogé par la suite qu'il est plus probable qu'il parle avec confiance1.

[78]L'incertitude quant à la portée du privilège qui lui est accordé peut accentuer le sentiment de vulnérabilité d'un témoin et l'empêcher de s'exprimer ouvertement, ce qui réduirait évidemment l'efficacité des audiences devant les comités parlementaires.

[79]Bien sûr, une telle proposition est difficile à démontrer avec certitude (ce qui explique probablement la controverse sur le sujet), puisqu'il est évident que les réactions humaines peuvent varier d'un individu à l'autre. Je reconnais que chez certains, une protection complète peut les conduire à une fausse impression de sécurité.

[80]Malgré cela, la prudence m'invite à suivre l'avis des plus hauts tribunaux qui ont conclu à la nécessité d'étendre le privilège à toute instance: Prebble, et Hamilton v Al Fayed.

b) Préserver la capacité d'enquêter du comité parlementaire

[81]Historiquement, la jurisprudence a reconnu la nécessité des privilèges qui permettent aux organismes législatifs d'enquêter. Ces privilèges étaient clairement reconnus en 1867. Comme l'a déclaré lord Denman dans l'arrêt Stockdale v. Hansard, à la page 1156:

[traduction] La Chambre des communes d'Angleterre ne possède pas plus de pouvoir et de dignité par sa nature législative que par ce qu'elle a en tant que grand enquêteur de la nation. Tous les privilèges qui peuvent être nécessaires à l'exercice énergique des fonctions inhérentes à cette profonde confiance sont concédés sans broncher et sans aucun doute.

[82]Cette qualification du rôle principal du Parlement et des privilèges qui sont nécessaires pour l'accomplir a été clairement acceptée au Canada également. Dans la décision Canada (Attorney General) et al. v. MacPhee et al. (2003), 221 Nfld. & P.E.I.R. 164 (C.S. Î.-P.-É. (1re inst.)), le juge Cheverie a déclaré (aux paragraphes 23, 24 et 32):

[traduction] Dans le contexte canadien, l'intervenant a cité l'arrêt Dansereau, Ex parte (1875), 19 L.C.J. 210, reproduit dans le livre de J.R. Cartwright, Cases Decided on the British North America Act, 1867, vol. II (Toronto: Warwick & Sons, 1887), à la page 165. Cette affaire est citée à l'appui de la proposition selon laquelle les assemblées législatives de ce pays ont le droit d'assigner des témoins et de leur faire produire des documents; ce droit est inhérent au privilège parlementaire et l'exercice du pouvoir remonte aux années 1800. Je n'ai pas l'intention de citer largement cette affaire, sauf pour faire référence à la page 190 du recueil de jurisprudence où apparait le passage suivant:

«Un gouvernement responsable, qui a été reconnu sur le plan local de même que dans la constitution du gouvernement général, serait une illusion si ce pouvoir d'enquête était nié et l'enquête n'aurait aucune valeur sans le pouvoir d'assigner des témoins. Je considère que cela est nécessairement accessoire aux pouvoirs des législatures ainsi qu'au contrôle de l'administration des affaires publiques et, de ce fait, je crois que l'Assemblée législative avait le droit de l'exercer.»

L'intervenant fait également référence à l'affaire McNab v. Bidwell and Baldwin (1830), Draper 144 à la page 156 (B.R.). Dans cette affaire antérieure à la Confédération, la Cour du Banc du Roi du Haut-Canada disait ce qui suit:

«Je suis d'avis que le droit d'enquête aux fins de permettre à la législature d'exercer ses fonctions constitutionnelles constitue nécessairement un accessoire aux deux chambres, car je ne peux concevoir comment ils pourraient se joindre pour faire des lois pour le bon gouvernement des sujets du Roi sans obtenir les renseignements requis pour se former une opinion correcte relativement aux mesures et aux modifications appropriées à adopter. Je pense qu'il s'agit d'un droit inhérent essentiel à chaque législature. Et le droit d'examen implique celui de containdre à répondre à toutes les questions que les lois du pays sanctionneront.»

Après avoir examiné les autorités citées, je suis convaincu que le droit de l'Assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard d'assigner des témoins et de leur faire produire des documents est nécessaire au bon fonctionnement de l'Assemblée et que, par conséquent, il remplit le critère pour le reconnaître en tant que privilège inhérent. Il satisfait au critère énoncé par la Cour suprême du canada dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting. Il est difficile d'imaginer comment l'Assemblée législative pourrait mener à bien une enquête dans le cade de sa compétence constitutionnelle sans le pouvoir d'assigner des témoins et d'exiger la production de dossiers et de documents.

    [. . .]

Il n'y a aucun doute que le Comité possède le pouvoir de délivrer les assignations en question, que ce pouvoir provient de l'Assemblée législative, que le pouvoir trouve sa source dans le privilège parlementaire et que ce n'est pas le rôle de la Cour d'enquêter sur la manière dont ce pouvoir a été exercé.

[83]Je souscris à ces commentaires. Et, par extension, à mon avis, le pouvoir discrétionnaire de protéger les témoins à l'encontre d'un contre-interrogatoire fondé sur le témoignage qu'ils ont fourni au Parlement peut aussi être qualifié comme étant un privilège qui lui est nécessaire pour le bon fonctionnement du Parlement en matière d'investigation ou d'inquisition.

[84]Qualifier le pouvoir d'empêcher un contre-interrogatoire comme un privilège de la liberté de parole ou d'enquête ne modifie pas la justification sous-jacente: le Parlement doit être en mesure d'offrir cette protection aux témoins comparaissant devant les comités parlementaires dans le but de discerner les faits et de régler la question ou retracer les événements sous enquête. Dépouillés de ce pouvoir d'offrir cette protection aux témoins, le Parlement et ses comités ne pourraient pas fonctionner, d'où sa nécessité.

[85]De plus, toute appréciation de la part de la Cour quant à la question de savoir s'il est approprié d'offrir cette protection en l'espèce entraînerait à mon avis un examen de l'exercice de ce privilège d'enquête, contrairement à la distinction fondamentale suivie dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. La Cour est habilitée à examiner l'existence et la portée d'un pouvoir ou d'un privilège revendiqué par le Parlement, mais non à en réglementer l'exercice. La juge McLachlin [à la page 390] s'est servi d'une analogie pour expliquer davantage cette distinction fondamentale: «la question importante est de savoir si nous traitons du fruit de l'arbre législatif [c'est-à-dire l'exercice du pouvoir] ou de l'arbre lui-même [c'est-à-dire l'existence du pouvoir]».

[86]En outre, les motifs à l'appui de la résolution empêchant le contre-interrogatoire, adoptée par la Chambre des communes et que l'on trouve dans le Quatorzième Rapport [des privilèges, pouvoirs et immunités de la Chambre des communes] du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes [2004], soulignent clairement ceci: les témoins ont reçu l'assurance que leur témoignage serait protégé par le privilège du Parlement et il est dans le meilleur intérêt du Parlement de faire en sorte que cette assurance soit maintenue.

[87]Par la même occasion, si la Chambre a des motifs de croire que les témoins n'ont pas dit la vérité devant un comité, malgré ses efforts pour les encourager à s'exprimer librement, le Parlement a seul la responsa-bilité principale d'intenter des poursuites et de punir ce comportement fallacieux.

[88]En principe, je ne suis pas liée par cette résolution2 et, ayant conclu que ce privilège, qu'il soit principalement qualifié comme un privilège de la liberté de parole ou comme un privilège d'enquête, respecte le critère de nécessité, je n'ai pas besoin de la prendre en compte. Cependant, j'estime que les motifs mentionnés à l'appui de la résolution sont utiles dans la mesure où ils font ressortir la distinction fondamentale entre la nature de la tâche de la Cour--de se prononcer sur l'existence et la portée du privilège invoqué--et la tâche à laquelle la Cour ne doit pas se livrer--remettre en question l'exercice d'un privilège.

c) Éviter les conclusions de fait contradictoires ou «the old dualism»

[89]Enfin, il y a une troisième raison pour laquelle je crois que le pouvoir d'empêcher un contre-interrogatoire subséquent dans une instance est nécessaire pour le fonctionnement du comité parlementaire: écarter la possibilité d'avoir des conclusions de fait contradic-toires, par exemple, entre les deux instances--le comité parlementaire et la Commission Gomery--visés par le présent contrôle.

[90]À l'époque où le Bill of Rights, 1688 a été édicté, des procédures étaient fréquemment instituées devant les tribunaux, sur l'ordre du roi, à l'encontre de représentants élus pour des choses qu'ils avaient faites au cours de leur charge. Ainsi, le Bill of Rights, 1688 avait notamment pour but de protéger les parlementaires contre les actes des autres ordres du gouvernement, à savoir la Couronne, l'exécutif ou les tribunaux. Cela comportait également l'idée que le privilège parlementaire, et plus précisément la liberté de parole, visait à prévenir ce qu'on appelait «the old dualism»3 et ce, pour éviter que des procédures concomitantes au Parlement et devant les tribunaux conduisent éventuelle-ment à des résultats différents pour les parties impliquées.

[91]Lord Browne-Wilkinson a évoqué ce problème dans l'arrêt Pepper v. Hart, [1993] A.C. 593 (H.L.), le résumant habilement dans l'arrêt Prebble, à la page 334:

[traduction] [. . .] le fait de permettre qu'on laisse entendre en contre-interrogatoire ou en plaidoirie qu'un membre ou un témoin mentait à la chambre pourrait mener directement à ce conflit entre les cours et le Parlement que le principe général de non-ingérence a pour objet d'éviter. Le fait d'induire la Chambre en erreur constitue un outrage à la chambre punissable par celle-ci: si on devait également permettre à une cour de décider si un membre ou un témoin avait induit la chambre en erreur, il y aurait un sérieux risque de décisions contradictoires sur la question.

[92]Bien qu'il s'agisse en principe d'une opinion incidente, la Chambre des lords a par la suite confirmé la conclusion de l'arrêt Prebble et dans l'arrêt Hamilton, où les faits se rapprochent de la situation présente.

[93]Dans cette affaire, le Comité sur les normes et les privilèges de la Chambre des communes du Royaume-Uni a demandé au commissaire parlementaire pour les normes de faire une enquête sur les allégations selon lesquelles Hamilton, un parlementaire, avait reçu des paiements en argent ainsi que d'autres avantages d'Al Fayed, un simple citoyen, pour qu'il soumette des questions au Parlement en son nom. Al Fayed a répété les allégations dans une entrevue télévisée pendant que l'enquête était en cours. Le commissaire a par la suite conclu dans son rapport que Hamilton avait de fait reçu de tels avantages. Le comité de la Chambre des communes a tenu d'autres audiences et a, pour l'essentiel, confirmé les conclusions du commissaire. Après que la Chambre a approuvé le rapport du comité, Hamilton a institué une action en diffamation à l'encontre d'Al Fayed qui, pour sa part, a présenté une demande visant à obtenir la suspension de l'instance sur la foi du privilège parlementaire.

[94]La Chambre des lords a décidé en fin de compte que l'article 13 de la Defamation Act 1996 (R.-U.), 1996, ch. 31, édicté au moment où les événements de l'affaire se déroulaient, lequel permettait aux parlementaires de renoncer au privilège parlementaire dans le but de prouver qu'ils avaient été l'objet de diffamation, réglait la question: on ne pouvait accorder la suspension en raison du fait que Hamilton avait renoncé à son privilège. Toutefois, le tribunal a exprimé l'opinion que, si la Defamation Act 1996 n'existait pas, on ne pourrait procéder à un contre-interrogatoire, à la page 231:

[traduction] Mon jugement est solidement établi selon quoi les cours ne peuvent entendre dans une instance (peu importe la question en litige dans cette instance) une preuve, un interrogatoire ou des observations ayant pour objet de démontrer que, lors de travaux parlementaires, un témoin a délibérément induit le Parlement en erreur. Le fait d'induire le Parlement en erreur constitue en soi un manquement au code de déontologie parlementaire et est susceptible d'être sanctionné par le Parlement: voir les décisions Church of Scientology of California v Johnson-Smith [1972] 1 All ER 378; [1972] 1 QB 522, British Railways Board v Pickin [1974] 1 All ER 609, à la p. 629, [1974] AC 765, à la p. 800, lord Simon of Glaisdale. Le fait pour les cours d'entendre une question quant à savoir si le Parlement avait été délibérément induit en erreur constituerait une intrusion dans le domaine dont le Parlement possède la compétence exclusive. [Non souligné dans l'original.]

[95]Le demandeur soumet qu'il ne demande pas au commissaire de décider si M. Guité disait la vérité devant le comité parlementaire mais qu'il prenne connaissance de son témoignage afin de tester sa crédibilité devant lui.

[96]Il n'en demeure pas moins que, si le contre-interrogatoire du défendeur Guité conduisait celui-ci à admettre qu'il a fait des déclarations incompatibles devant le comité parlementaire et devant la Commission Gomery, le commissaire devrait se poser la question à savoir si celui-ci a induit le comité en erreur.

[97]Même si le commissaire n'a pas à mettre en doute la véracité du témoignage de M. Guité devant le comité, il ne peut être démontré que le contre-interrogatoire n'aura pas pour effet de porter un jugement défavorable sur ce que M. Guité a affirmé au comité.

4. Équité procédurale

[98]Le demandeur prétend que le commissaire a manqué à l'équité procédurale en refusant le contre-interrogatoire sur les déclarations antérieures prétendument incompatibles de M. Guité. Comme je l'ai souligné, cette prétention est inexacte. Si la décision du commissaire est correcte, il ne peut y avoir de manquement à l'équité procédurale de refuser le contre-interrogatoire puisque le commissaire n'a d'autre choix que d'appliquer le privilège.

[99]Néanmoins, il m'apparaît important, vu les circonstances, de terminer en rappellant les principes d'équité procédurale qui s'appliquent lorsqu'il s'agit d'une commission d'enquête.

[100]Il est bien établi que l'équité procédurale varie en fonction du type d'organisme qui doit l'appliquer. Une commission d'enquête n'est pas une cour de justice. Elle n'est donc pas tenue d'observer l'équité sur le plan de la procédure de la même façon qu'un organisme ayant un pouvoir décisionnel (Boyle c. Canada (Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie - Commission Létourneau), [1997] A.C.F. no 942 (1re inst.) (QL); Beno c. Canada (Procureur général), [2002] 3 C.F. 499 (1re inst.)).

[101]Le demandeur s'appuie sur l'affaire R. c. Kuldip, [1990] 3 R.C.S. 618, où la Cour suprême du Canada avait affirmé qu'il était permis de contre-interroger un témoin sur une déclaration antérieure mais seulement dans le but d'attaquer sa crédibilité et non pas de l'incriminer. Je ne trouve pas cet argument persuasif.

[102]Bien que je reconnaisse que la protection accordée par l'article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) se rapproche de celle accordée par l'article 9 du Bill of Rights, 1688, le contexte dans lequel nous nous trouvons est différent du contexte de l'affaire Kuldip4.

[103]Dans cette affaire, le contre-interrogatoire du témoin avait lieu dans une cour de justice où le témoin était confronté à une accusation d'avoir omis de s'arrêter lors d'un accident dans l'intention d'échapper à toute responsabilité civile ou criminelle, en contravention avec le paragraphe 233(2) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34.

[104]Cette situation contraste fortement avec la nature de la Commission Gomery. Le commissaire n'a pas le pouvoir de rendre de verdict de culpabilité mais uniquement de faire des recommandations, comme l'a souligné le juge Cory dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440 (la Commission Krever), à la page 460:

Une commission d'enquête ne constitue ni un procès pénal, ni une action civile pour l'appréciation de la responsabilité. Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l'égard de dommages. Il s'agit plutôt d'une enquête sur un point, un événement ou une série d'événements. Les conclusions tirées par un commissaire dans le cadre d'une enquête sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions que le commissaire adopte à la fin de l'enquête. Elles n'ont aucun lien avec des critères judiciaires normaux. Elles tirent leur source et leur fondement d'une procédure qui n'est pas assujettie aux règles de preuve ou de procédure d'une cour de justice. Les conclusions d'un commissaire n'entraînent aucune conséquence légale. Elles ne sont pas exécutoires et elles ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet.

[105]Parfois le droit de contre-interroger constituera un élément de l'équité procédurale (voir p. ex., Commission Krever), alors qu'à d'autres occasions, ce ne sera pas le cas (voir p. ex., Beno). À mon avis, le fait de refuser au demandeur le droit de contre-interroger le témoin sous un rapport--concernant son témoignage devant le comité parlementaire--satisfait aux exigences de l'équité procédurale. Le demandeur s'est vu accorder le statut de partie, il a pu témoigner assisté d'un avocat, il a également pu procéder au contre-interrogatoire de tous les témoins dont M. Guité (sauf les déclarations antérieures faites par celui-ci devant le comité parlementaire) et il pourra présenter des observations finales.

[106]De plus, comme le commissaire l'a lui-même souligné, même sans avoir recours au témoignage antérieur de M. Guité devant le comité, il lui est possible de tirer des conclusions satisfaisantes sur la crédibilité de M. Guité, considérant son expérience de juge, la documentation figurant au dossier, les déclarations contradictoires antérieures que M. Guité a pu faire ailleurs que devant ce comité particulier, ainsi que les indices usuels qu'utilisent les juges des faits, comme la manière dont les témoins se comportent, les contradictions éventuelles figurant dans leur témoignage et la preuve fournie par les autres témoins.

DISPOSITIF

[107]Les événements et les circonstances qui ont déclenché l'enquête du Comité des comptes publics de la Chambre des communes et, à leur tour, la création de la Commission Gomery de même que le présent contrôle judiciaire illustrent la concertation entre les différents ordres de gouvernement tout en insistant sur la nécessité concomitante de respecter le domaine légitime de compétence de chacun.

[108]Le privilège parlementaire aide à délimiter ces domaines légitimes de compétence, ce qui en fait un aspect fondamental de notre démocratie constitution-nelle. Il assujettit à la compétence exclusive du Parlement ces pouvoirs, privilèges et immunités qui sont nécessaires à son fonctionnement dans le contexte canadien actuel. Je suis d'avis que le fait d'empêcher le contre-interrogatoire fondé sur des éléments de preuve présentés à un comité parlementaire est nécessaire pour ce comité principalement parce qu'il encourage les témoins à parler ouvertement.

[109]De plus, cela s'avère un élément essentiel pour le bon fonctionnement du comité en matière d'investigation ou d'inquisition. Cela prévient également la possibilité qu'une conclusion de fait d'une cour de justice ou d'une commission d'enquête contredise une conclusion de fait d'un comité parlementaire ou de l'ensemble du Parlement.

[110]Puisque ce pouvoir relève de la compétence exclusive du Parlement, toute proposition selon laquelle il y a eu déni d'équité procédurale à l'égard du demandeur lorsque la Commission a refusé le contre-interrogatoire ne saurait être retenue. Ni la Commission ni la Cour ne sont dans une position leur permettant de mettre en doute la manière dont le Parlement choisit d'exercer ses privilèges; agir ainsi irait à l'encontre de notre structure constitutionnelle.

[111]En conséquence, la décision du commissaire sur l'immunité parlementaire était correcte et la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

    JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE:

La décision du commissaire Gomery sur l'immunité parlementaire est maintenue.

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

1  Mes commentaires, quant au doute qui subsiste chez un témoin sur la portée du privilège qui lui est accordé, valent aussi quant au pouvoir qu'a le Parlement de renoncer au privilège. La Commission de réforme du droit de l'Ontario, dans un rapport intitulé Report on Witnesses Before Legislative Committees (Toronto: Ministry of the Attorney General, 1981), recommandait l'abolition de ce pouvoir de renonciation du Parlement à la p. 113:

[traduction] Toutefois, il faut également avoir à l'esprit qu'un pouvoir de la part de l'Assemblée de retirer la protection à une date ultérieure ne ferait pas que traduire une mauvaise foi, mais pourrait également faire en sorte qu'un témoin se sente particulièrement vulnérable lors des délibérations d'un comité. Cette vulnérabilité perçue pourait très bien empêcher le témoin de rendre un témoignage complet et ouvert. Cette inhibition réduirait ensuite l'efficacité des audiences du comité.

En définitive, toutefois, la Commission recommande qu'une nouvelle législation établisse de façon non équivoque que l'Assemblée législative n'a pas le pouvoir de retirer la protection proposée et de permettre ainsi que la déposition d'un témoin soit utilisée dans une instance ultérieure. [Renvoi omis.]

2  Néanmoins, la Commission de réforme du droit de l'Ontario a fait remarquer qu'il incombe aux tribunaux de prendre dûment en compte [traduction] «une résolution de l'Assemblée concernant la nature d'un privilège concernant les témoins, en particulier si elle est accompagnée des motifs pour lesquels le privilège est considéré essentiel au bon fonctionnement des comités»: Report on Witnesses Before Legislative Committees, précité, note 1, à la p. 106.

3  Report on Witnesses Before Legislative Committees, précité, note 1, à la p. 100, en citant May, Thomas Erskine, Erskirne May's Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 19e éd. par Sir David Lidderdale (Londres: Butterworths, 1976), à la p. 201.

4  Je note que le texte de l'art. 13 de la Charte précise que «[C]hacun a droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires». Cette exception ne se retrouve pas à l'art. 9 du Bill of Rights, 1688. Bien que j'aie insisté sur le fait que les termes de l'article 9 ne définissaient pas la portée du privilège de la liberté de parole au Canada, je crois malgré tout qu'il est important de noter cette différence dans le texte si l'on veut appliquer le raisonnement de l'affaire Kuldip, à la présente affaire.

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