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A-229-04

2005 CAF 122

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (appelant)

c.

Sharone Thanaratnam (intimé)

Répertorié : Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Noël, Sexton et Evans, J.C.A.--Toronto, 7 mars; Ottawa, 8 avril 2005.

Citoyenneté et immigration -- Exclusion et renvoi -- Personnes interdites de territoire -- Appel d'une décision de la Cour fédérale accueillant la demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission) ayant déclaré l'intimé interdit de territoire en vertu des art. 36(1)a) et 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) -- L'intimé est Sri Lankais et résident permanent -- Il a été reconnu coupable au Canada d'infractions punissables d'un emprisonnement de 10 ans ou plus et a été condamné à cinq mois d'emprisonnement -- Il était passible d'expulsion en raison de l'interdiction de territoire prononcée par la Commission -- À l'enquête, la Commission a examiné de nombreux éléments de preuve fournis par des policiers connaissant la nature et les activités des groupes tamouls à Toronto -- Deux gangs tamouls rivaux étaient présents à Toronto : les VVT, un groupe avec lequel l'intimé aurait été associé, et le groupe A.K. Kannan -- L'intimé a eu plusieurs interactions avec la police relativement à des infractions impliquant d'autres Sri Lankais -- Il a finalement été arrêté, puis emprisonné -- L'art. 37(1)a) de la LIPR prévoit que le fait pour le résident permanent d'être membre d'une organisation criminelle ou de se livrer à des activités criminelles organisées par des groupes ou des organisations emportent interdiction de territoire -- Le juge saisi de la demande a commis une erreur de droit en omettant de considérer si la preuve selon laquelle l'intimé « participait à des activités liées à un gang » permettait à la Commission de conclure qu'il était interdit de territoire du fait qu'il se livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles du VVT, même s'il n'était pas « membre » du gang -- L'art. 37(1)a) précise bien que « l'appartenance » à un gang et le fait de participer à des activités liées à un gang sont des motifs distincts qui se chevauchent, permettant d'établir l'interdiction de territoire d'une personne au titre de la « criminalité organisée » -- Le motif consistant à « se livrer à des activités liées à un gang » dans le cadre de la « criminalité organisée » a été ajouté par la LIPR -- En l'absence d'une allégation selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit, ou que sa procédure était inéquitable, il était difficile d'établir que la conclusion de la Commission était manifestement déraisonnable -- La preuve dans son ensemble était suffisante pour que la décision de la Commission ne soit pas manifestement déraisonnable -- Les attaques portées contre l'intimé, la fréquence des « interactions » avec la police portées à son dossier et son implication dans des attaques portées contre des personnes soupçonnées d'être membres de gangs indiquaient tous que l'intimé participait à des activités liées à des gang.

Il s'agissait de l'appel d'une décision de la Cour fédérale accueillant la demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission) ayant déclaré l'intimé interdit de territoire en vertu des alinéas 36(1)a) et 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR). L'intimé, âgé de 27 ans, est Sri Lankais et résident permanent du Canada. Il a été reconnu coupable au Canada d'infractions punissables d'un emprisonnement de dix ans ou plus et a été condamné à cinq mois d'emprisonnement pour ces infractions, ce qui le rendait passible d'expulsion. Les procédures d'immigration concernant l'intimé ont été engagées sous le régime de l'ancienne Loi sur l'immigration (ancienne Loi), mais ont pris fin sous le régime de la LIPR, qui est entrée en vigueur durant l'enquête. À l'audience, la Commission a conclu que l'intimé était interdit de territoire en raison de ses déclarations de culpabilité au criminel (LIPR, alinéa 36(1)a)) et du fait qu'il existait des motifs raisonnables de croire qu'il avait été impliqué dans des gangs participant à des activités criminelles (LIPR, alinéa 37(1)a)). Selon le paragraphe 64(1) de la LIPR, la dernière conclusion privait l'intimé de son droit d'appel devant la Section d'appel de la Commission à l'égard de l'expulsion. La Commission avait examiné de nombreux éléments de preuve fournis par des policiers connaissant la nature et les activités des groupes tamouls à Toronto. Deux gangs tamouls rivaux, qui se livraient à des guerres de territoire, étaient présents dans l'agglomération torontoise : les VVT, un groupe avec lequel l'intimé aurait été associé, et le groupe A.K. Kannan. Ces groupes tamouls auraient participé à des meurtres, des extorsions et des enlèvements. Pour faire suite aux crimes liés aux gangs, le « Projet 1050 » a été lancé par la police de Toronto afin de déterminer si des individus étaient membres de l'un de ces deux gangs. L'intimé avait eu plusieurs interactions avec la police relativement à des infractions impliquant d'autres Sri Lankais, dont certains étaient soupçonnés d'être membres du VVT Il a finalement été arrêté et emprisonné dans le cadre du Projet. Lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a annulé l'interdiction de territoire de l'intimé prononcée en vertu de l'alinéa 37(1)a), concluant qu'il faut davantage pour prouver l'appartenance à un gang qu'une participation à certains incidents liés à des gangs, et qu'il n'existait aucune preuve permettant à la Commission de conclure de façon rationnelle que l'intimé était « membre » d'une organisation criminelle.

Il s'agissait de savoir si la Cour fédérale avait commis une erreur de droit en omettant de considérer si l'intimé se livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles au sens de l'alinéa 37(1)a) de la LIPR, et si la Commission avait commis une erreur en concluant que la preuve qui lui avait été présentée était suffisante pour constituer des « motifs raisonnables de croire » que l'intimé se livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles lié à des gangs.

Jugement : l'appel doit être accueilli.

L'alinéa 37(1)a) de la LIPR prévoit que le fait pour le résident permanent d'être membre d'une organisation criminelle ou de se livrer à des activités criminelles organisées par des groupes ou des organisations emportent interdiction de territoire. La Commission a implicitement conclu dans ses motifs que l'intimé était interdit de territoire en vertu des deux parties de l'alinéa 37(1)a) et n'a pas établi de distinction entre celles-ci. Ayant conclu que la Commission avait fait erreur en concluant que l'intimé était « membre » du VVT, le juge saisi de la demande n'a pas considéré si la preuve selon laquelle il « participait à des activités liées à un gang » suffisait pour conclure qu'il était interdit de territoire du fait qu'il se livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles du VVT, même s'il n'était pas « membre » du gang. Cela constituait une erreur de droit puisque l'alinéa 37(1)a) précise bien que « l'appartenance » à un gang et le fait de participer à des activités liées à un gang sont des motifs distincts qui se chevauchent, permettant de tenir une personne pour interdite de territoire au titre de la « criminalité organisée ». Le motif consistant à « se livrer à des activités liées à un gang » dans le cadre de la « criminalité organisée » a été ajouté par la LIPR et ne figurait pas dans l'ancienne Loi. Afin de donner un sens à la modification apportée à la disposition précédente par la LIPR, il faut présumer que le législateur avait prévu d'étendre cette loi aux types de participation à des gangs qui ne sont pas visés, ou qui ne sont pas clairement visés, par le terme « membre ».

Le rôle de la Cour n'est pas de décider si, selon la preuve présentée à la Commission, il existait des « motifs raisonnables de croire », mais seulement de décider s'il était irrationnel de toute évidence pour la Commission de tirer cette conclusion. En l'absence d'une allégation selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit, ou que sa procédure était inéquitable, il était difficile d'établir que la conclusion de la Commission, selon laquelle il existait des « motifs raisonnables de croire », était manifestement déraisonnable. Une conclusion n'est pas manifestement déraisonnable simplement parce que des déductions diffé-rentes de celles de la Commission peuvent être faites de façon raisonnable à partir de la preuve. Bien qu'aucun élément de preuve n'ait été déterminant dans la présente affaire, la preuve dans son ensemble était suffisante pour que la décision de la Commission ne puisse être considérée comme manifestement déraisonnable. Le fait que l'intimé ait lui-même fait l'objet de plusieurs actes de violence commis par des membres de gangs rivaux laissait à penser qu'une guerre continue faisait rage entre les groupes au sein de laquelle il était impliqué. Les attaques portées contre l'intimé, la fréquence des « interactions » portées par la police à son dossier relativement à différentes infractions et le fait que d'autres individus impliqués dans ces attaques étaient soupçonnés d'être membres de gangs indiquaient tous que l'intimé participait à des activités liées à des gangs.

lois et règlements cités

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)c.2) (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 11).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 33, 36(1)a), 37(1)a), 64(1), 74d), 190.

jurisprudence citée

décisions citées :

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; (2002), 208 D.L.R. (4th) 107; 37 Admin. L.R. (3d) 252; 18 Imm. L.R. (3d) 93; 280 N.R. 268; 2002 CSC 3.

APPEL d'une décision de la Cour fédérale ([2004] 3 R.C.F. 301; (2004), 37 Imm. L.R. (3d) 96; 2004 CF 349) accueillant la demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ayant déclaré l'intimé interdit de territoire en vertu des alinéas 36(1)a) et 37(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Appel accueilli.

ont comparu :

Gregory G. George pour l'appelant.

Barbara L. Jackman pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.

Barbara L. Jackman, Toronto, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A.:

A. INTRODUCTION

[1]Sharone Thanaratnam est un citoyen du Sri Lanka âgé de 27 ans qui est résident permanent au Canada depuis juin 1993. Dans une décision rendue en septembre 2002, un membre de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) l'a déclaré interdit de territoire et, par conséquent, passible d'expulsion.

[2]La Commission a pris note du fait que, bien que la procédure ait été engagée à la suite d'un rapport remis conformément à la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, elle s'était conclue sous le régime de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) qui est entrée en vigueur pendant l'audience. On ne conteste pas que, dans la mesure où les deux lois diffèrent, la LIPR s'applique : LIPR, article 190.

[3]La Commission a fondé sa décision sur deux motifs. Premièrement, ayant été reconnu coupable au Canada d'infractions punissables d'un emprisonnement de 10 ans ou plus, il est interdit de territoire en vertu de l'alinéa 36(1)a) de la LIPR. Il a été condamné à cinq mois d'emprisonnement pour ces infractions. Au moment de l'enquête devant la Commission, il a reconnu être passible d'expulsion pour ce motif.

[4]Deuxièmement, en gros, il existe des motifs raisonnables de croire qu'il a été impliqué dans des gangs participant à des activités criminelles et que, par conséquent, il est interdit de territoire en vertu de l'alinéa 37(1)a) de la LIPR. La conclusion de la Commission selon laquelle M. Thanaratnam est interdit de territoire en vertu de l'alinéa 37(1)a) prive ce dernier d'un droit d'appel à la Section d'appel de l'immigration de la Commission pour contester son expulsion : LIPR, paragraphe 64(1).

[5]M. Thanaratnam a présenté une demande de con-trôle judiciaire de la décision rendue par la Commission. Un juge de la Cour fédérale a annulé la décision selon laquelle il était interdit de territoire en vertu de l'alinéa 37(1)a), concluant qu'il n'existait  aucune preuve selon laquelle la Commission pouvait conclure de façon rationnelle que M. Thanaratnam était « membre » d'une organisation criminelle : Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 3 R.C.F. 301 (C.F.).

[6]Le juge a certifié la question suivante pour fins d'appel, conformément à l'alinéa 74d) de la LIPR :

[traduction]

Afin de prouver l'appartenance à une organisation criminelle en vertu de l'alinéa 37(l)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, est-ce que la preuve d'une participation aux activités de l'organisation est suffisante ou doit-il exister des indices d'une appartenance effective?

[7]J'autoriserais l'appel du ministre. À mon humble avis, le juge a commis une erreur de droit en considérant seulement si M. Thanaratnam était « membre » d'un gang. Ayant conclu qu'il ne l'était pas, le juge aurait dû examiner si M. Thanaratnam était tout de même interdit de territoire aux termes du dernier membre de phrase de l'alinéa 37(1)a), à savoir le fait de « se livrer à des activités faisant partie d'un [. . .] plan » d'activités criminelles organisées.

[8]Étant donné, selon moi, qu'il n'est pas nécessaire selon les faits en cause de déterminer si M. Thanaratnam était membre d'une organisation criminelle, je ne me propose pas de répondre à la question certifiée. L'appel se résume à une question de fait : a-t-on présenté à la Commission une preuve suffisante pour lui permettre de déterminer qu'il existait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam s'était livré à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées et qu'il était par conséquent interdit de territoire en vertu de l'alinéa 37(l)a)?

B. CADRE LÉGISLATIF

[9]Voici les dispositions de loi pertinentes permettant de trancher le présent appel :

Loi sur l'immigration [art. 19(1)c.2) (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 11)]

19. (1) [. . .]

c.2) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction au Code criminel, à la Loi sur les stupéfiants ou aux parties III ou IV de la Loi sur les aliments et drogues qui peut être punissable par mise en accusation ou a commis à l'étranger un fait--acte ou omission -- qui, s'il avait été commis au Canada, constituerait une telle infraction, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

33. Les faits -- actes ou omissions -- mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

. . .

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d'un tel plan; [non souligné dans l'original.]

C.     DÉCISION DU MEMBRE DE LA SECTION DE L'IMMIGRATION

[10]Au cours d'une audience qui a duré 13 jours, la Commission a examiné de nombreux éléments de preuve documentaires et oraux, dont la majeure partie a été fournie par des policiers connaissant la nature et les activités de groupes tamouls à Toronto. La preuve pertinente relativement au présent appel concernait deux gangs tamouls rivaux présents dans l'agglomération torontoise, les VVT, un groupe avec lequel M. Thanaratnam aurait été associé, et le groupe A.K. Kannan.

[11]Un policier a déclaré lors de son témoignage qu'environ 100 personnes étaient impliquées avec ces groupes et qu'elles se livraient à des guerres pour protéger leur « territoire », un territoire servant à la réalisation de leurs activités criminelles. Les crimes auxquels ces groupes tamouls auraient participé comprennent : meurtre, tentative de meurtre, voies de fait graves, extorsion, enlèvement, cartes de crédit frauduleuses, faux passeports, passage de clandestins et des infractions liées aux drogues et aux armes. La plupart de leurs victimes sont des Tamouls.

[12]À l'aide de critères d'appartenance à un gang, élaborés par le Service canadien de renseignements criminels, la police de Toronto a procédé en 2001 au lancement du « Projet 1050 », un projet comportant la préparation de « dossiers d'enquête/d'application » afin de déterminer si des individus étaient membres de l'un de ces deux gangs. Par suite de ce projet, un nombre important de personnes, soupçonnées d'être membres de ces gangs et contre lesquelles des sanctions en matière d'immigration pouvaient être imposées, ont été arrêtées. M. Thanaratnam a été arrêté en octobre 2001, dans le cadre du Projet 1050, et il est demeuré en détention jusqu'à sa libération en septembre 2003. Il a été établi qu'à la suite du Projet 1050, le niveau d'activités des gangs tamouls avait considérablement diminué.

[13]La Commission a résumé (au paragraphe 13) sa conclusion au sujet des deux gangs, conclusion qui n'a pas été contestée.

[traduction]

a) Les groupes ou « gangs » connus sous les noms de VVT et A.K. Kannan sont des organisations qui existent, et qui oeuvrent principalement dans la région de Toronto. Ces groupes ont une structure de meneurs et de suiveurs.

b) Il y a des motifs raisonnables de croire que ces deux groupes se livrent à des activités criminelles, notamment des agressions, des infractions liées aux drogues, des enlèvements, des infractions relatives aux armes, etc. Ces activités sont contraires soit au Code criminel, soit à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

c) Les activités criminelles sont planifiées et organisées par plusieurs personnes agissant de concert, elles sont planifiées en particulier par les chefs de groupe et exécutées par les membres.

[14]Beaucoup plus controversée était la question de savoir s'il existait des motifs raisonnables pour relier M. Thanaratnam à ces activités criminelles de gang afin de l'assujettir à l'alinéa 37(1)a) [de la LIPR] en tant que membre du groupe VVT, ou à titre d'individu se livrant à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles planifiées et organisées par le VVT en vue de commettre des actes criminels.

[15]Bien que la preuve présentée devant la Commission au sujet des liens entre M. Thanaratnam et les activités criminelles du groupe VVT puisse être divisée selon les catégories principales indiquées ci-dessous, il est important de ne pas perdre de vue le portrait global.

[16]Premièrement, à partir de l'année 1995 et de façon plus fréquente après l'année 1999, M. Thanaratnam a eu plus de 20 « interactions » avec la police, au cours desquelles il a été arrêté, soupçonné ou accusé pour diverses infractions, dont notamment pour agressions, attaque à main armée en bande, tentative de meurtre et complot en vue de commettre un meurtre. Toutes les autres personnes impliquées étaient d'origine sri lankaise, y compris quelques-unes soupçonnées d'être membres du groupe VVT. Aucune des accusations n'a été portée devant un tribunal.

[17]Des détails ont été présentés à la Commission relativement aux circonstances qui ont mené à certaines de ces « interactions ». Lors d'une de ces interactions par exemple, la police a fait enquête au sujet de ce qu'elle croyait être un coup de feu entendu dans un parc et elle a découvert un groupe d'hommes d'origine sri lankaise, dont M. Thanaratnam, en possession de machettes et d'une hache. Lors d'une autre interaction, M. Thanaratnam et d'autres personnes ont été accusés de tentative de meurtre perpétrée à l'aide d'une automobile, mais l'accusation a été retirée lorsqu'on a découvert que le véhicule impliqué ne lui appartenait pas. Cet incident est survenu le jour après que M. Thanaratnam eut été brutalement battu à l'aide d'une barre de fer.

[18]Il existait également des preuves établissant que la police avait mis sous table d'écoute le téléphone et capté un appel téléphonique fait par M. Thanaratnam au chef du groupe VVT, qui apparemment n'était pas chez lui. Lors d'un autre incident, M. Thanaratnam avait été aperçu en compagnie de membres des groupes VVT et de A.K. Kannan en train de discuter fermement.

[19]Deuxièmement, en 1995 et en 1999, des tireurs à bord de véhicules ont tenté d'abattre M. Thanaratnam au moment où il circulait à bord de véhicules en compagnie d'autres personnes d'origine sri lankaise. De plus, comme cela est mentionné plus haut, il a été victime d'une attaque à l'aide d'une barre de fer en 2000 et il a été gravement blessé par des individus qui étaient présumés être également d'origine sri lankaise. M. Thanaratnam a tout d'abord affirmé à la police que ses blessures étaient dues à une chute, mais plus tard il a affirmé avoir été attaqué parce qu'il avait témoigné au procès de personnes accusées d'avoir assassiné son ami. La police a jugé qu'il s'agissait d'une attaque « liée aux gangs » et probablement de représailles des membres d'un groupe rival. En 2001, il était l'une des deux victimes d'une « attaque à main armée en bande » perpétrée par un groupe d'assaillants.

[20]Après avoir examiné les différents critères pertinents pour déterminer si une personne est « membre » d'une organisation criminelle, la preuve exposée ci-dessus et le témoignage de M. Thanaratnam selon lequel les activités de l'église dans la collectivité occupaient la majeure partie de son temps, la Commission est arrivée à la conclusion suivante (au paragraphe 24) :

[traduction]

Ce qui se dégage de l'examen des événements attestés par les témoignages et les documents afférents à ces événements, c'est le portrait d'un jeune homme qui, depuis le début de l'année 1995, s'est retrouvé de façon constante « dans le feu de l'action ».

[21]Ayant conclu que le refus de M. Thanaratnam d'admettre toute connaissance au sujet des gangs tamouls et sa participation à leurs activités n'était pas crédible, la Commission a poursuivi comme suit dans le cadre de sa conclusion (au paragraphe 33) :

[traduction]

Je ne suis pas arrivé à la conclusion que la preuve fournie par M. Thanaratnam quant au fait qu'il n'est pas impliqué dans des activités criminelles ou au sein du VVT était convaincante. Je crois que la preuve indique qu'il s'est trouvé à de nombreuses reprises en compagnie de personnes qui auraient également participé à des activités criminelles ou de gangs. À mon avis, une personne raisonnable qui examine l'ensemble de la preuve qui a été recueillie au cours de la présente audience en arriverait à la conclusion qu'il participait aux activités du gang. En dernière analyse, par conséquent, je suis convaincu que le critère des « motifs raisonnables de croire » est respecté et qu'il est membre du gang VVT ou qu'il participe à des activités perpétrées par ce groupe.

C.     DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[22]Le juge a soulevé deux points de preuve quant aux « motifs raisonnables de croire ». Premièrement, les décideurs peuvent avoir des « motifs raisonnables de croire » fondés sur des preuves non admissibles dans un procès (au paragraphe 13). Toutefois [au paragraphe 12], la norme commande que les « motifs raisonnables de croire » soient « plus qu'un simple soupçon. Ils impliquent un degré de probabilité fondé sur une preuve crédible », bien qu'il s'agisse « certainement d'une norme inférieure à celle de la prépondérance des probabilités ». Deuxièmement, le juge a déclaré (au paragraphe 19) que, dans le contexte de l'alinéa 37(1)a), le fait qu'une personne ait été accusée d'un crime « peut être pertinent à la question de l'appartenance » à une organisation criminelle.

[23]Pour ce qui est d'établir si M. Thanaratnam était « membre d'une organisation » se livrant à des activités criminelles, le juge était convaincu que la preuve présentée devant la Commission était suffisante pour conclure que le VVT était une « organisation » au sens de la définition établie à l'alinéa 37(1)a).

[24]Il a toutefois conclu (au paragraphe 39) que, bien qu'il existât des preuves selon lesquelles M. Thanaratnam « a participé à certains incidents liés à des gangs et qu'il a été vu à l'occasion avec des membres du gang », il fallait davantage pour prouver l'appartenance à un gang : par exemple, l'aveu d'appartenance à un gang par la personne concernée, une identification à titre de membre d'un gang appuyée à l'aide de preuves matérielles ou de sources d'information fiables, ou des conclusions judiciaires préalables.

[25]En l'absence de telles preuves, le juge a conclu (au paragraphe 41) qu'il n'existait aucun fondement pour justifier la conclusion de la Commission

[. . .] selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam était membre d'une organisation se livrant à des activités criminelles au sens où il « appartenait » réellement à un tel groupe. [Non souligné dans l'original.]

D.     POINTS LITIGIEUX ET ANALYSE

Question 1 : Norme de contrôle judiciaire

[26]En ce qui a trait aux questions de fait et aux inférences reposant sur des faits, les décisions de la Commission sont assujetties à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, conformément à la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5]. Par contre, il n'y a pas lieu de faire preuve de déférence à l'égard de l'interprétation donnée par la Commission aux dispositions particulières de ses lois habilitantes : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84.

[27]Deux questions doivent être tranchées dans le présent appel. Premièrement, est-ce que le juge saisi de la demande a commis une erreur de droit en omettant de considérer si M. Thanaratnam « se livrait à des activités faisant partie » d'un plan d'activités criminelles, au sens de l'alinéa 37(1)a)? Deuxièmement, est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant que la preuve qui lui avait été présentée était suffisante pour constituer des « motifs raisonnables de croire »? Il s'agit d'une question mixte de fait et de droit. Toutefois, dans la présente affaire, les éléments factuels sont si importants qu'il faudrait infirmer la décision de la Commission seulement si elle est manifestement déraisonnable.

Question 2 : Est-ce que l'analyse des points litigieux réalisée par le juge était erronée?

[28]Il est implicite dans les motifs de la Commission qu'elle a conclu que M. Thanaratnam était interdit de territoire en vertu des deux parties de l'alinéa 37(1)a), c'est-à-dire, en tant que « membre » d'une organisation criminelle et en tant que personne se livrant à des activités liées à un gang. Bien qu'elle ait consacré la majeure partie de son analyse de la conduite de M. Thanaratnam à la question de son appartenance, la Commission n'a pas établi de distinction entre les deux motifs. La Commission a par exemple déclaré vers la fin de ses motifs (au paragraphe 33) :

[traduction]

En dernière analyse, par conséquent, je suis convaincu que le critère des « motifs raisonnables de croire » est respecté et qu'il est membre du gang VVT ou qu'il participe aux activités perpétrées par ce groupe.

Voir également les mentions similaires aux paragraphes 14 et 22 de ses motifs.

[29]Ayant conclu que la Commission avait fait erreur en concluant que M. Thanaratnam était « membre » du VVT, le juge saisi de la demande n'a pas considéré si la preuve selon laquelle il « participait à des activités liées à un gang » (le premier critère utilisé par la police pour identifier les membres d'un gang) suffisait pour conclure qu'il était interdit de territoire du fait qu'il se livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles du gang VVT, même s'il n'était pas « membre » du gang.

[30]Selon moi, cela constitue une erreur de droit. L'alinéa 37(1)a) précise bien que « l'appartenance » à un gang et le fait de participer à des activités liées à un gang sont des motifs distincts qui se chevauchent, permettant de tenir une personne pour interdite de territoire au titre de la « criminalité organisée ». Le motif consistant à « se livrer à des activités liées à un gang » dans le cadre de la « criminalité organisée » a été ajouté par la LIPR et ne figurait pas à l'alinéa 19(1)c.2) de la loi antérieure, la Loi sur l'immigration. Afin de donner un sens à la modification apportée à la disposition précédente par la LIPR, il faut présumer que le législateur avait prévu d'étendre cette loi aux types de participation à des gangs qui ne sont pas visés (ou qui ne sont pas clairement visés) par le terme « membre ».

[31]Faute de conclusion du juge sur la question de savoir si la décision de la Commission pourrait être confirmée au motif qu'une preuve suffisante lui avait été présentée pour lui permettre de conclure qu'il existait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam se livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées au sein du VVT, j'aborde maintenant cette question.

Question 3 : Est-ce que la conclusion de la Commission était manifestement déraisonnable?

[32]La question à trancher est de savoir s'il existait des preuves permettant d'appuyer de façon rationnelle la conclusion de la Commission selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam se « livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles » « organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ».

[33]Il est important de rappeler que la Cour n'occupe pas les mêmes fonctions que la Commission. Notre fonction n'est pas de décider si, selon la preuve présentée à la Commission, il existait des « motifs raisonnables de croire » mais seulement de décider s'il était irrationnel de toute évidence pour la Commission de tirer cette conclusion. En l'absence d'une allégation selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit, ou que sa procédure était inéquitable, il est difficile d'établir que la conclusion de la Commission, selon laquelle il existait des « motifs raisonnables de croire », était manifestement déraisonnable. Et, en dépit de son argumentation habile, Mme Jackman, l'avocate de M. Thanaratnam, n'a pas réussi.

[34]Une conclusion n'est pas manifestement déraisonnable simplement parce que des déductions différentes de celles de la Commission peuvent être faites de façon raisonnable à partir de la preuve. Bien qu'aucun élément de preuve dans la présente affaire ne soit déterminant, lorsque la preuve est examinée dans son ensemble, elle était suffisante selon moi pour que la décision de la Commission ne puisse être considérée comme manifestement déraisonnable.

[35]Prenons, par exemple, le fait que l'on ait attenté à la vie de M. Thanaratnam à trois reprises, dont notamment en deux occasions par des tireurs à bord d'une automobile et en une occasion par un groupe d'assaillants armés d'une barre de fer, dans les circonstances décrites plus haut, laisse à penser que ces incidents faisaient partie d'une guerre continue entre les groupes rivaux au sein de laquelle M. Thanaratnam était impliqué. Une déduction similaire peut être faite à partir du fait que l'on a retrouvé ce dernier dans un parc en compagnie d'autres individus, en possession de machettes, et de sa participation à une bagarre entre groupes à l'extérieur d'une boîte de nuit. En dernier lieu, bien que l'accusation portée contre M. Thanaratnam pour tentative de meurtre à l'aide d'un véhicule motorisé ait été retirée, cette infraction peut être perçue comme une mesure de représailles suite à la volée de coups assenés à l'aide d'une barre de fer qu'il avait subie le jour précédent et par conséquent, indiquer sa participation à des activités liées à des gangs.

[36]Le caractère raisonnable de cette déduction est étayé par le témoignage de l'un des policiers travaillant au Projet 1050, qui a affirmé devant la Commission que le fait qu'une personne soit victime d'un enlèvement perpétré par un gang pouvait être considéré comme une indication qu'elle était impliquée dans des activités criminelles de gangs. En se fondant sur les attaques portées contre M. Thanaratnam, la fréquence des « interactions » portées par la police à son dossier et le fait que d'autres individus impliqués dans ces interactions étaient soupçonnés d'être membres de gangs, le policier était d'avis que la plupart des incidents en question impliquant M. Thanaratnam étaient liés à des activités de gangs.

[37]Il est possible, bien sûr, comme son avocate l'a affirmé, que M. Thanaratnam se soit simplement « tenu » avec des membres du groupe VVT et qu'il ait été tout simplement assez malchanceux de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Néanmoins, je le répète, le fait qu'il puisse exister une explication plus anodine ne rend pas la conclusion opposée manifestement déraisonnable, particulièrement lorsque l'on tient compte du nombre élevé d'« interactions » survenues entre la police et M. Thanaratnam avant sa détention en 2001.

E.     CONCLUSIONS

[38]Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire et je rétablirais la décision rendue par le membre de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

Le juge Noël, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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