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T-2422-03

2005 CF 1030

Heber Clifton, Clarence Anderson, Walter Robinson, Lorraine Bolton, Cathy Clifton, Clark Clifton, Lucy P. Clifton, Meagan Clifton, Robin Clifton, Sean Clifton, Mary Danes, Paul H. Dundas, Trina Eaton, Theresa Faulkner, Ruby J. Kingshott, Mildred Leask, Darlene Leland, Kaarlene Lindsay, Jessica McDonald, Elinor Mason, Phil Nyakis, Maisie A. Pahl, John W. Pahl, Veronica Pahl, Glenn Reece, Perry Reece, Shelly Reece, Edna Ridley, Fred Ridley, Harvey Ridley, John Ridley, Leslie Ridley, Allan Robinson, Brian L. Robinson, Delores Robinson, Douglas Robinson, Eugene T. Robinson, Jules Robinson, Malcom S. Robinson, Marie M. Robinson, Anne Suprina et Lawrence Wilson (demandeurs)

c.

David Benton en qualité de président d'élection de Hartley Bay, le conseil de village de Hartley Bay et la bande indienne de Hartley Bay (défendeurs)

Répertorié: Clifton c. Bande indienne de Hartley Bay (C.F.)

Cour fédérale, juge O'Keefe--Vancouver, 8 mars; Ottawa, 25 juillet 2005.

Peuples autochtones -- Élections --Contrôle judiciaire des décisions du président d'élection de Hartley Bay prises en application du Règlement sur les élections coutumières de la bande de Hartley Bay--Aux termes du Règlement, les membres de la bande qui ne résidaient pas dans la réserve depuis six mois au moment des élections n'ont pas le droit de voter, de se porter candidat, ou de présenter des candidats--Cette exclusion est contraire à l'art. 15 de la Charte et n'est pas légitimée par l'article premier--La demande a été accueillie mais les résultats de l'élection n'ont pas été annulés--La déclaration d'invalidité a été suspendue jusqu'au 1er novembre 2005 pour permettre la poursuite des consultations au sein de la collectivité.

Droit constitutionnel -- Charte des droits -- Droits à l'égalité --Aux termes du Règlement sur les élections coutumières de la bande de Hartley Bay, les membres de la bande qui ne résidaient pas dans la réserve depuis six mois au moment des élections n'avaient pas le droit de voter, de se porter candidat, ou de présenter des candidats--Que le conseil de village ait agit conformément à la coutume ou à la Loi sur les Indiens, ses pouvoirs découlent de la Loi sur les Indiens et ses décisions sont donc assujetties à la Charte--L'analyse prévue par l'art. 15(1) de la Charte, exposée dans Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) et appliquée dans Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), a été appliquée en l'espèce--Le fait d'empêcher les membres hors réserve de voter constitue une distinction qui dénie l'égalité de bénéfice de la loi ou impose un fardeau inégal--La différence de traitement est fondée sur le même motif de discrimination analogue que dans Corbiere, c.-à-d. l'autochtonité-lieu de résidence--Une telle différence constitue de la discrimination, étant donné que les demandeurs sont complètement privés de toute participation au processus électoral--Le Règlement, dans la mesure où il prive les membres résidant hors réserve de toute participation aux élections des membres du conseil de village, contrevient à l'art. 15 de la Charte et n'est pas légitimé par l'article premier.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire qui visait les décisions du président d'élection de Hartley Bay. Le président d'élection a appliqué le Règlement sur les élections coutumières de la bande de Hartley Bay, et a refusé aux membres de la bande indienne de Hartley Bay qui ne résidaient dans la réserve depuis six mois au moment de l'élection des membres du conseil de village de Hartley Bay en 2003 le droit de poser leur candidature au poste de chef ou de conseiller et celui de voter aux élections.

Les Indiens de Hartley Bay font partie de la tribu Gitga'at de la nation Tsimshian. Les Gitga'at sont gouvernés selon un régime clanique héréditaire (le conseil de clan) ainsi que par un conseil de village, élu conformément au Règlement, adopté aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens. Seul un électeur tel que défini par le Règlement peut voter à une élection, se porter candidat ou présenter des candidats. Les demandeurs ont soutenu que la condition de résidence imposée par le Règlement violait leurs droits à l'égalité, contrairement à l'article 15 de la Charte.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Peu importe que le conseil de village agisse conformément à la coutume ou aux termes de la Loi sur les Indiens, ses décisions sont en fin de compte prises en vertu des pouvoirs que lui attribue la Loi sur les Indiens et sont donc assujetties à la Charte. Dans Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), la Cour suprême du Canada a repris l'analyse prévue par le paragraphe 15(1), telle qu'exposée dans Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) et a conclu que le fait d'empêcher les membres hors réserve de voter aux termes de l'article 77 de la Loi sur les Indiens constituait une violation de la Charte qui n'était pas légitimée par l'article premier. La même analyse a été effectuée dans la présente espèce pour déterminer si le Règlement violait les droits à l'égalité garantis par l'article 15 aux demandeurs. Le fait d'empêcher les membres hors réserve de voter répondait à la première condition de l'analyse Law, c.-à-d. que l'exclusion était une distinction qui les privait de l'égalité de bénéfice de la loi ou leur imposait un fardeau inégal. La deuxième condition était remplie. Comme dans Corbiere, les demandeurs faisaient l'objet d'une différence de traitement fondée sur un motif de discrimination analogue, à savoir l'autochtonité-lieu de résidence. La dernière condition était également remplie, étant donné que la distinction en cause ici constituait de la discrimination. Les demandeurs ont été complètement privés de toute participation au processus électoral, comme c'était le cas dans Corbiere. Compte tenu du pouvoir qu'exerce le conseil de village dans des domaines touchant les membres vivant hors réserve, il n'était pas justifié d'accorder aux membres vivant dans la réserve le droit de participer au processus électoral tout en excluant complètement les membres hors réserve. Le système à deux paliers en vigueur ici (le conseil de clan et le conseil de village) ne répondait pas aux exigences d'un processus qui «respecterait le droits des non-résidents de participer concrètement et efficacement au régime électoral de la communauté» comme le déclarait la Cour suprême dans l'arrêt Corbiere.

Le Règlement, dans la mesure où il privait les membres résidant hors réserve de toute participation aux élections des membres du conseil de village, contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte et n'était pas légitimé par l'article premier de la Charte. Les résultats des élections de 2003 n'ont toutefois pas été annulés, parce que l'annulation par la Cour des décisions prises par le conseil depuis lors aurait causé un préjudice à la collectivité. La Cour a déclaré invalide les mots «Réside dans la réserve de la bande Hartley Bay depuis au moins six mois au moment des élections», qui figurait à l'alinéa 2c)(iv) du Règlement. Cette déclaration a été suspendue jusqu'au 1er novembre 2005 de façon à permettre la poursuite du processus de consultations au sein de la communauté Gitga'at visant à mettre sur pied un régime électoral approprié.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15(1), 24(1).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi modifiant la Loi sur les Indiens, S.C. 1985, ch. 27.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 1; (4e suppl.), ch. 17, art. 1; L.C. 2000, ch. 12, art. 148), 77 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14).

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497.

décisions citées:

Scrimbitt c. Conseil de la bande indienne de Sakimay, [2000] 1 C.F. 513 (1re inst.); Gabriel c. Conseil des Mohawks de Kanesatake, 2002 CFPI 483; Frank c. Bottle, [1993] A.C.F. no 670 (1re inst.) (QL); Horse Lake First Nation v. Horseman (2003), 337 A.R. 22; 223 D.L.R. (4th) 184; [2003] 8 W.W.R. 473; 17 Alta. L.R. (4th) 93; [2003] 2 C.N.L.R. 193 (B.R.); Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290, [1996] A.C.F. no 150 (1re inst.) (QL); Francis c. Conseil Mohawk de Kanesatake, [2003] 4 C.F. 1133; 2003 CFPI 115; Bande indienne de McLeod Lake c. Chingee, [1998] A.C.F. no 1185 (1er inst.) (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire des décisions prises par le président d'élection de Hartley Bay selon lesquelles les membres de la bande qui ne résidaient pas dans la réserve depuis six mois au moment de l'élection du conseil de village de Hartley Bay de 2003 n'étaient pas des électeurs tels que définis par le Règlement sur les élections coutumières de la bande de Hartley Bay et ne pouvaient donc pas voter à l'élection, se porter candidat ou présenter des candidats. Demande accueillie.

ont comparu:

F. Matthew Kirchner pour les demandeurs.

Clarine Ostrove et Louise Mandell pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Ratcliff & Company LLP, North Vancouver, pour les demandeurs.

Mandell Pinder, Vancouver, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et l'ordonnance rendus par

[1] Le juge O'Keefe: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l'article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)] et ses modifications, à l'égard de ce qui suit, que les demandeurs ont désigné collectivement comme étant les «décisions»:

1. Une décision, une ordonnance ou un acte du président d'élection de Hartley Bay ou du conseil de village de Hartley Bay, ou des deux, daté du 8 décembre 2003 ou vers cette date, autorisant la tenue d'élections pour le conseil de village de Hartley Bay (les élections de 2003).

2. Une décision, une ordonnance ou un acte du président d'élection de Hartley Bay daté du 8 décembre 2003 ou vers cette date, déclarant les résultats des élections de 2003.

3. Une décision, une ordonnance ou un acte du président d'élection de Hartley Bay ou du conseil de village de Hartley Bay (le conseil de village) ou des deux, daté du mois de novembre 2003 ou vers cette date, dont les défendeurs connaissent bien le contenu, déclarant que le Règlement sur les élections coutumières de la bande de Hartley Bay (le Règlement) serait applicable aux élections de 2003.

4. Une décision, une ordonnance ou un acte du président d'élection de Hartley Bay pris le 24 novembre 2003 ou vers cette date, selon lequel les membres de la bande indienne de Hartley Bay (la bande) qui ne résident pas dans la réserve de la bande de Hartley Bay (la réserve) ou qui ne résidaient pas dans la réserve depuis six mois au moment des élections de 2003, ne peuvent présenter leur candidature au poste de chef ou de membre du conseil aux élections de 2003.

5. Une décision, une ordonnance ou un acte du président d'élection de Hartley Bay pris le 28 novembre 2003 ou vers cette date, selon lequel les membres de la bande indienne de Hartley Bay qui ne résident pas dans la réserve ou qui ne résidaient pas dans la réserve depuis six mois au moment des élections de 2003 ne peuvent présenter leur candidature au poste de chef ou de membre du conseil de village de Hartley Bay pour les élections de 2003 et n'ont pas le droit de voter aux élections de 2003.

6. Une décision, une ordonnance ou un acte du président d'élection de Hartley Bay ou de son délégué pris le 8 décembre 2003 ou vers cette date, refusant aux membres de la bande indienne de Hartley Bay qui ne résident pas dans la réserve ou qui ne résidaient pas dans la réserve depuis six mois au moment des élections de 2003 le droit de voter aux élections de 2003.

[2] Les demandeurs sollicitent:

1. Une ordonnance de certiorari conformément à l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, annulant toutes les décisions en question ou certaines d'entre elles.

2. Une ordonnance rendue aux termes de l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, invalidant les élections de 2003 parce qu'elles sont:

i) contraires au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44];

ii) en outre, ou à titre subsidiaire, contraires à la coutume de la bande telle qu'acceptée par une forte majorité des membres de la bande.

3. Une ordonnance de certiorari rendue aux termes de l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, annulant les résultats des élections de 2003.

4. Une ordonnance rendue conformément à l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, ou à l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], ou de ces deux lois, invalidant le Règlement pour un ou plusieurs des motifs suivants:

i) le Règlement est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés;

ii) le Règlement n'a pas été accepté par une forte majorité des membres de la bande;

iii) le Règlement n'est pas acceptable pour une forte majorité des membres de la bande;

iv) le Règlement est contraire à la coutume de la bande.

5. Une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, modifiant la définition d'électeur contenue dans le Règlement par l'annulation du sous-alinéa 2c)(iv) du Règlement qui se lit comme suit: [traduction] «Réside dans la réserve de la bande Hartley Bay depuis au moins six mois au moment des élections».

6. À titre subsidiaire, une ordonnance de mandamus rendue aux termes de l'alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur les Cours fédérales, obligeant le conseil de village à modifier le Règlement ou à adopter un nouveau règlement sur les élections coutumières de la bande, avant une date fixée par la Cour, qui:

i) respecte la Charte et, en particulier, autorise les membres de la bande qui ne résident pas dans la réserve mais qui répondent par ailleurs aux autres conditions permettant de voter aux élections du conseil à voter pour tous les postes du conseil, et à se porter candidat à n'importe quel poste du conseil;

ii) soit fondé sur la coutume de la bande acceptée par une forte majorité des membres de la bande.

7. Une ordonnance de mandamus rendue aux termes de l'alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur les Cours fédérales, enjoignant au conseil de tenir de nouvelles élections pour tous les postes du conseil de village conformément au Règlement tel que modifié ou remplacé conformé-ment aux paragraphes (e) ou (f) ci-dessus, avant une date fixée par la Cour.

8. À titre subsidiaire, une ordonnance de quo warranto aux termes du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, portant révocation des membres du conseil.

9. Une ordonnance déclarant que la Cour demeure saisie de l'affaire en attendant que le Règlement ait été modifié ou remplacé conformément aux paragraphes (e) ou (f) ci-dessus et qu'une élection soit tenue conformément au paragraphe (g) ci-dessus.

10. Les dépens.

11. Toute autre réparation que la Cour estime appropriée.

Le contexte

[3] Les Indiens de Hartley Bay font partie de la tribu Gitga'at de la Nation Tsimshian. Cette bande compte à l'heure actuelle environ 644 membres. Quatre cent cinquante-cinq de ces personnes ou à peu près vivent hors réserve. Le territoire traditionnel de la tribu Gitga'at comprend 5 500 kilomètres carrés de terres situées le long de la côte et des îles côtières de la Colombie-Britannique.

[4] Hartley Bay est une réserve située sur le chenal marin de Douglas, près du Passage de l'Intérieur. Les Gitga'at sont gouvernés selon un régime clanique héréditaire (le conseil de clan) ainsi que par un conseil de village, élu conformément au Règlement, adopté aux termes du paragraphe 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 1; (4e suppl.), ch. 17, art. 1; L.C. 2000, ch. 12, art. 148] de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

[5] Le Règlement a été adopté par une résolution de la bande en 1979 et approuvé par un décret modifiant le décret en conseil C.P. 3692. Le Règlement a subi des modifications mineures en 1981.

[6] Seul un électeur tel que défini par le Règlement peut voter à une élection, se porter candidat ou présenter des candidats à une élection. Une des conditions exigées pour être électeur est de résider dans la réserve depuis six mois au moment de l'élection.

[7] L'élection qui a débouché sur la présente demande de contrôle judiciaire a eu lieu le 8 décembre 2003.

[8] David Benton (Benton) était le président d'élection de Hartley Bay pour les élections du conseil de village tenues le 8 décembre 2003 (les élections de 2003). Benton a appliqué le Règlement aux élections de 2003. Le même Règlement (ou un règlement pratiquement identique) avait été appliqué aux élections du conseil de village de 2001.

[9] Le 24 novembre 2003 ou vers cette date, une réunion de mise en candidature a été tenue, conformément au Règlement, dans le but de proposer des candidats aux postes de chef et de conseillers pour les élections de 2003. Au cours de cette réunion, Benton a refusé la candidature de personnes qui ne résidaient pas dans la réserve depuis six mois. Pour les élections antérieures, la candidature de personnes qui ne répondaient pas à cette condition de résidence avait été acceptée et, dans certains cas, ces personnes avaient même été élues.

[10] Le 28 novembre 2003 ou vers cette date, Benton a rendu une décision écrite concernant le droit de certaines personnes de participer aux élections de 2003 à titre de candidat ou d'électeur. Il a décidé ce qui suit:

1. Le Règlement régit les élections de 2003;

2. Les personnes qui sont membres de la bande mais qui ne résident pas ordinairement dans la réserve ne sont pas des «électeurs» aux termes du Règlement;

3. Les personnes qui ne répondent pas à la définition d'«électeur» du Règlement n'ont pas droit d'être candidates au poste de chef ou de conseiller à l'élection de 2003 et n'ont pas le droit de voter à l'élection de 2003.

[11] Le 8 décembre 2003, en se fondant sur les résultats de l'élection de 2003, Benton a déclaré que Patricia Sterritt avait été élue par acclamation au poste de chef et que Edward Robinson, Ellis Clifton, Cameron Hill et Bruce Reese avaient été élus conseillers de la bande.

Les questions en litige

[12] Les questions en litige, telles que formulées par les demandeurs, sont les suivantes:

1. Le Règlement viole les droits à l'égalité des demandeurs contrairement au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, (la Charte) et cette violation n'est pas légitimée par l'article premier de la Charte.

2. Le Règlement ne reflète pas la coutume de la bande et ne bénéficie pas d'un large consensus chez les membres de la bande.

[13] Les questions, telles que formulées par les défendeurs, sont les suivantes:

1. Le système de gouvernance à deux paliers des Gitga'at viole-t-il le paragraphe 15(1) de la Charte?

2. Le Règlement reflète-t-il la coutume de la bande?

La thèse des demandeurs

[14]La question en litige 1

Les demandeurs soutiennent que le Règlement viole leur droit à l'égalité que leur reconnaît le paragraphe 15(1) de la Charte puisqu'il les empêche de participer à la gouvernance de la bande pour des motifs fondés sur des caractéristiques immuables. Dans Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, la Cour suprême du Canada a jugé que la Loi sur les Indiens, qui interdisaient aux membres résidant hors réserve de participer aux élections de la bande étaient discriminatoires à l'égard de ces membres et contraires à l'article 15 de la Charte. La Cour suprême a déclaré que cette violation ne pouvait se justifier aux termes de l'article premier de la Charte.

[15] Les demandeurs soutiennent que la présente affaire est identique sur tous les points importants à l'arrêt Corbiere, à l'exception d'un élément: la bande Hartley Bay est une bande coutumière alors que dans Corbiere, le conseil avait été élu aux termes de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, la seule question que soulève la légalité du Règlement est celle de savoir si l'arrêt Corbiere, s'applique aux bandes dont les conseils sont choisis conformément à la coutume de la bande. La Cour a indiqué dans de nombreuses affaires que l'arrêt Corbiere s'appliquait aux bandes coutumières (voir Scrimbitt c. Conseil de la bande indienne de Saskimay, [2000] 1 C.F. 513 (1re inst.); Gabriel c. Conseil des Mohawk de Kanesatake, [2002] CFPI 483).

[16] Les demandeurs soutiennent que, lorsque le conseil de village agit conformément à la coutume ou à la Loi sur les Indiens, ses décisions sont finalement prises aux termes des pouvoirs que lui attribue la Loi sur les Indiens, et qu'elles sont donc assujetties à la Charte (voir Frank c. Bottle, [1993] A.C.F. no 670 (1re inst.) (QL); Horse Lake First Nation v. Horseman (2003), 337 A.R. 22 (B.R.)).

[17]Les demandeurs soutiennent que le Règlement exclut totalement les membres qui habitent hors réserve de toute participation aux élections de la bande. Cette discrimination ne peut se justifier parce que le Règlement ne constitue pas une atteinte minimale aux droits des demandeurs. Il interdit en fait aux membres qui résident hors réserve de participer de quelque manière que ce soit à la gouvernance de la bande, sans offrir aucune possibilité d'accommodement. Une atteinte minimale devrait tout de même permettre aux membres qui résident hors réserve de participer, selon certaines modalités, aux affaires qui les touchent.

[18]Les demandeurs soutiennent que le conseil de village est chargé de la gouvernance de la bande. Les demandeurs soutiennent que les preuves établissent que les pouvoirs qu'exerce le conseil de village s'étendent bien au-delà des besoins des membres qui résident dans la réserve. Par exemple, le conseil de village est responsable des aspects suivants:

a) le contrôle de l'infrastructure et la gouvernance locale;

b) le contrôle de l'accès au logement dans la réserve;

c) la gestion et l'attribution des terres de réserve;

d) la gestion des finances et des actifs de la bande;

e) le contrôle sur les initiatives de développement économique et les recettes de la bande;

f) l'administration des fonds destinés à l'éducation postsecondaire pour tous les membres de la bande;

g) l'administration des programmes et du financement des services de santé pour tous les membres de la bande;

h) le contrôle de la cession des terres de la bande;

i) l'administration et le développement des ressources naturelles sur la propriété et dans le territoire traditionnel de la bande;

j) la participation à la négociation de traités et son financement;

k) la gestion et la protection des droits ancestraux et du titre aborigène tant dans la réserve qu'à l'extérieur.

[19]Les demandeurs soutiennent que, pour ce qui est du système de chef héréditaire, le conseil de clan est un mécanisme insuffisant qui ne tient pas compte des droits et des intérêts des demandeurs. La Cour ne dispose d'aucun élément indiquant, par exemple, si les avis de réunion sont envoyés aux membres de la bande résidant hors réserve, ou concernant la façon dont sont choisis les membres du conseil de clan, la façon dont les membres résidant hors réserve participent aux réunions et à la prise de décisions ainsi que la façon dont le conseil de clan et le conseil de village résolvent les conflits et quelles sont les décisions qui l'emportent en cas de conflit.

[20]Les demandeurs soutiennent que le conseil de village est la seule entité juridiquement reconnue par le Canada, la seule entité possédant la pleine autorité juridique et politique de gérer les droits et les intérêts des membres de la bande résidant hors réserve. Le conseil de clan pourrait n'avoir aucun véritable pouvoir en matière de gouvernance de la bande. C'est la raison pour laquelle les demandeurs doivent pouvoir participer activement et réellement à l'élection et aux fonctions du conseil de village.

[21]Les demandeurs soutiennent que le Règlement ne reflète pas un large consensus des membres de la bande. Le Règlement ne constitue donc pas «une règle de droit» restreignant les droits des demandeurs «dont la justification puisse se démontrer», comme l'exige l'article premier de la Charte.

[22]La question en litige 2

Les demandeurs soutiennent que le Règlement ne reflète pas un large consensus auprès des membres de la bande et ne bénéficie pas actuellement de l'appui d'une forte majorité de ses membres. La coutume d'une bande doit prévoir une façon de choisir les membres du conseil qui soit généralement acceptable aux membres de la bande et qui reflète un large consensus (voir Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley no 290, [1996] A.C.F. no 150 (1re inst.) (QL)). C'est l'ensemble des membres de la bande qui doit prendre cette décision, et non pas le seul conseil ou les seuls membres de la bande qui vivent dans la réserve (Francis c. Conseil Mohawk de Kanesatake, [2003] 4 C.F. 1133 (1re inst.)).

[23]Les demandeurs soutiennent que le Règlement adopté en 1979 devait refléter le modèle prévu par la Loi sur les Indiens en vigueur à l'époque, et non pas la coutume de la bande. Il n'existe aucun élément indiquant que la coutume traditionnelle de la bande ait fait l'objet de discussion à l'époque de l'élaboration du Règlement. Il n'existe pas non plus d'élément indiquant que les membres résidant hors réserve aient été invités, voire informés de la réunion au cours de laquelle le Règlement a été discuté.

[24]Les demandeurs soutiennent à titre subsidiaire que, si le Règlement de 1979 reflète effectivement la coutume de la bande de cette époque, les circonstances ont sensiblement évolué depuis, en particulier avec l'arrêt Corbiere, de sorte qu'il n'est plus possible d'affirmer que le Règlement bénéficie d'un large consensus au sein de la bande, y compris auprès des membres résidant hors réserve.

La thèse des défendeurs

[25]Les défendeurs soutiennent qu'il est possible d'établir une distinction entre la présente affaire et l'affaire Corbiere dans la mesure où les Gitga'at ont un système de gouvernance à deux paliers traditionnel qui facilite la participation de tous les membres de la bande, quel que soit leur lieu de résidence, à la gouvernance des Gitga'at.

[26]Les défendeurs soutiennent que l'article 15 de la Charte, n'a pas été violé en l'espèce. Dans Corbiere, la juge McLachlin (maintenant juge en chef) et la juge L'Heureux-Dubé ont déclaré dans leurs jugements concourants que les différences de traitement entre les membres vivant dans la réserve et ceux qui vivent hors réserve ne constituent pas toutes de la discrimination. C'est uniquement lorsque les membres de l'extérieur de la réserve sont complètement exclus de toute participation à la gouvernance de la bande que cela constitue une violation claire du paragraphe 15(1) de la Charte.

[27]La juge L'Heureux-Dubé a clairement indiqué, dans Corbiere, que l'article 15 n'exige pas que les membres vivant dans la réserve et ceux qui vivent hors réserve bénéficient d'un droit de vote identique. Les défendeurs soutiennent que le système de gouvernance et de représentation utilisé par la bande est tel qu'il protège pleinement les droits des membres résidant hors réserve, pour ce qui est des fins de la Charte.

[28]Les défendeurs soutiennent que la reconnaissance accordée par les gouvernements canadiens n'a pas pour effet de décider quels sont les instances de la tribu Gitga'at qui possèdent le pouvoir et l'autorité, conformément à leurs traditions, à leurs terres et à leurs coutumes. Le fait que le conseil de village soit juridiquement reconnu veut dire qu'il est le partenaire «officiel» qui a le droit de conclure des ententes, mais cela ne veut pas dire qu'il est le décideur «essentiel» dans tous les domaines ou dans un grand nombre d'entre eux.

[29]Les demandeurs soutiennent que le conseil de clan exerce des pouvoirs sur les questions ne touchant pas la réserve qui concernent tous les membres--y compris les droits ancestraux et le titre aborigène, la protection du territoire traditionnel des Gitga'at et la négociation de traités. Le conseil de clan participe activement aux initiatives de développement économi-que et a mis sur pied la société de développement Gitga'at, dont le conseil d'administration reflète le système héréditaire des Gitga'at, de sorte que les membres résidant hors réserve sont pleinement représentés et bénéficient des mêmes avantages que les membres vivant dans la réserve.

[30]Par contre, la compétence du conseil de village est reliée à la Loi sur les Indiens, aux politiques du ministère des Affaires indiennes et aux affaires locales intéressant directement les membres de la bande vivant dans la réserve. Lorsque le conseil de village doit prendre une décision--aux termes de la Loi sur les Indiens, ou d'une politique du ministère des Affaires indiennes--dans des domaines relevant de la compétence du conseil de clan, le conseil de village agit selon les directives du conseil de clan.

[31]Les défendeurs soutiennent que:

1. Le conseil de village a réussi à obtenir l'équivalent de 17 permis de pêche au saumon au filet maillant qui sont offerts aux membres vivant dans la réserve et hors réserve, et en fait, dont la vaste majorité est détenue par des membres hors réserve;

2. Les initiatives dans le domaine de l'écotourisme relèvent des chefs de clan;

3. Pour ce qui est de la négociation de traités, le conseil de clan accorde au conseil de village le mandat de participer à ces négociations;

4. Le conseil de clan est le gardien des droits collectifs et du titre du peuple Gitga'at;

5. Les membres résidant hors réserve peuvent occuper les fonctions de chef de clan. Par exemple, Albert Clifton réside hors réserve et est le chef du clan Gispudwada.

[32]Les défendeurs soutiennent que, s'il existe des différences entre le traitement accordé aux membres de la réserve et aux membres hors réserve, ces différences ne constituent pas de la discrimination. Loin d'être complètement exclus de la gouvernance de la bande, les membres résidant hors réserve y sont représentés, ils y participent et occupent des postes de direction pour ce qui est des questions fondamentales qui touchent leur vie et leur bien-être en qualité de membres des Gitga'at.

[33]En l'absence de tout élément démontrant l'existence d'un désavantage particulier, il est impossible d'affirmer qu'il y a eu violation du paragra-phe 15(1). Dans la présente affaire, à la différence de l'affaire Corbiere, les demandeurs n'ont pas démontré que le Règlement leur causait un désavantage particulier.

[34]L'atteinte minimale

Les défendeurs soutiennent que, si la Cour conclut qu'il y a eu discrimination en l'espèce, la seule question est de savoir si le Règlement constitue une atteinte minimale au droit d'être représenté. La juge L'Heureux- Dubé a formulé des commentaires touchant directement un système à deux paliers dans Corbiere. Par conséquent, toute violation éventuelle du paragraphe 15(1) est légitimée par l'article premier de la Charte, étant donné que les droits à l'égalité des demandeurs n'ont fait l'objet que d'une atteinte minimale en raison de la forme de gouvernance à deux paliers de la bande Gitga'at. Comme la Cour l'a jugé dans Corbiere, le fait de supprimer le droit de vote des non-résidents entretient un lien rationnel avec l'objectif recherché. En l'espèce, le Règlement veille à ce que les personnes ayant un intérêt particulièrement direct et immédiat--à savoir les résidents--conservent un contrôle, par le moyen du vote, sur les décisions qui touchent l'avenir de la réserve. Cependant, étant donné qu'un système de gouvernance à deux paliers accorde aux résidents hors réserve la possibilité de participer véritablement à la gouvernance de la bande, toute atteinte pouvant découler de certaines restrictions contenues dans le Règlement ne peut être que minimale.

[35]La question en litige 2

L'objection préliminaire

Les défendeurs affirment que le Règlement a été adopté il y a plus de 25 ans. Les demandeurs ne peuvent contester en 2004 le Règlement parce qu'ils ont trop attendu pour le faire. Il est manifestement déraisonnable d'attendre 25 ans avant de demander le contrôle judiciaire de la décision d'adopter le Règlement. Autoriser aujourd'hui les demandeurs à essayer d'établir que le Règlement ne reflète pas un large consensus chez les membres de la bande créerait un grave préjudice.

[36]La Cour dispose de preuves insuffisantes pour pouvoir déterminer s'il existait ou non un large consensus parmi les membres de la bande au moment où le Règlement a été adopté. Les seuls éléments dont dispose la Cour est qu'en 1979, au cours d'une réunion des membres de la bande, le Règlement a été adopté à l'unanimité par toutes les personnes présentes. Les modifications mineures qui ont été apportées par la suite au Règlement ont été également adoptées par l'immense majorité de ceux qui assistaient à la réunion.

[37]Les défendeurs soutiennent également qu'il n'existe aucun élément permettant d'établir le nombre des membres de la bande en 1979, le nombre des membres de la bande qui ont été ajoutés à la liste de la bande après le projet de loi C-31 [Loi modifiant la Loi sur les Indiens, S.C. 1985, ch. 27] en 1985, les noms et la résidence de ceux qui ont participé aux réunions qui ont débouché sur l'adoption du Règlement et ses modifications et sur le contexte plus large dans lequel le Règlement a été adopté.

[38] L'acquiescement

Les défendeurs soutiennent que les demandeurs ont acquiescé à la fois au fait que le Règlement représente «la coutume de la bande» et plus précisément, au fait que l'élection de 2003 a été régie par le Règlement. Entre 1979 et 2002, une période qui couvre près de 13 élections du conseil de village, les demandeurs ne se sont jamais plaints du Règlement. L'attitude d'acquiescement qu'ont eue les demandeurs de 1979 à 2002 leur interdit aujourd'hui de contester le Règlement.

[39]Le règlement coutumier

Les défendeurs soutiennent que le Règlement a été adopté validement dans le cadre de la Loi sur les Indiens. Les coutumes de la bande comprennent les pratiques suivies pour le choix des membres du conseil qui sont généralement acceptées par les membres de la bande, et sur lesquelles il existe un large consensus (voir Bone). Aux fins de la Loi sur les Indiens, la «coutume» électorale de bande est une notion dynamique (voir Bande indienne de McLeod Lake c. Chingee, [1998] A.C.F. no 1185 (1re inst.) (QL)).

[40]En l'espèce, la bande a toujours eu un système de gouvernance à deux paliers, comprenant un conseil de clan et un conseil de village. Depuis le début des années 1950, le conseil de village est élu conformément à la Loi sur les Indiens, ou à la coutume. Le conseil de clan a été choisi, depuis des temps immémoriaux, par cooptation et hérédité.

[41]Les défendeurs soutiennent que sur la question de savoir si les plaintes déposées depuis 2002 à l'égard du Règlement montrent la perte d'un large consensus, l'action n'est pas représentative. Quarante-quatre demandeurs de Prince Rupert contestent le Règlement. La bande compte plus de 600 membres, dont environ 200 vivent à Prince Rupert. Étant donné que pendant deux décennies les membres ont acquiescé au Règlement, cela ne représente qu'un petit groupe de membres actifs et motivés, mais non pas la perte d'un large consensus.

[42]Étant donné que le choix de «la coutume» à utiliser dans une élection coutumière est une décision qui relève de l'expertise de la bande, la décision de choisir les conseils en se fondant sur la coutume est un choix auquel il convient d'accorder une déférence considérable. La Cour devrait accorder une grande importance au fait que la bande et le conseil de village sont à l'heure actuelle en train de modifier, en consultant tous les intéressés, leur processus électoral.

[43]Les défendeurs demandent que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

Les dispositions légales pertinentes

[44]Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, énonce en partie ce qui suit:

2. (1) [. . .]

«conseil de la bande»

a) Dans le cas d'une bande à laquelle s'applique l'article 74, le conseil constitué conformément à cet article;

b) dans le cas d'une bande à laquelle l'article 74 n'est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande ou, en l'absence d'un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci.

[45]Les demandeurs soutiennent que, peu importe que le conseil de village agisse conformément à la coutume ou aux termes de la Loi sur les Indiens, ses décisions sont en fin de compte prises en vertu des pouvoirs que lui attribue la Loi sur les Indiens, et qu'elles sont par conséquent assujetties à la Charte. Je souscris à cette affirmation.

[46]Dans Corbiere, la Cour suprême a repris l'analyse prévue par le paragraphe 15(1), telle qu'exposée dans Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, et a conclu que le fait d'empêcher les membres hors réserve de voter aux termes de l'article 77 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14] de la Loi sur les Indiens, constituait une violation de la Charte qui n'était pas légitimée par l'article premier.

[47]Dans Law, la Cour suprême décrit l'examen en trois parties que le tribunal doit effectuer pour se prononcer sur une allégation de violation du paragraphe 15(1) de la Charte:

1. La loi contestée a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

2. Le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

3. La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

[48]Le facteur 1

Dans Corbiere, la Cour suprême a déclaré [au paragraphe 4]:

La première étape consiste à déterminer si le texte de loi contesté établit une distinction qui dénie l'égalité de bénéfice de la loi ou impose un fardeau inégal. Le fait que la Loi sur les Indiens dénie aux membres hors réserve de bandes indiennes le droit de voter à l'égard de l'administration de leur bande respective respecte cette exigence.

Je conclus que le fait que le Règlement empêche de voter les membres de la bande vivant hors réserve respecte également, prima facie, la condition formulée dans cet arrêt.

[49]Le facteur 2

Dans Corbiere, la Cour suprême a jugé que l'autochtonité-lieu de résidence (la qualité de membre hors réserve d'une bande indienne) est un motif de discrimination analogue aux motifs énumérés. Elle a également déclaré que l'autochtonité-lieu de résidence en tant que motif analogue doit toujours constituer un indicateur permanent de discrimination législative potentielle.

[50]Par conséquent, étant donné que la présente affaire soulève également la question de l'autochtonité-lieu de résidence, je conclus que cet élément de l'analyse prévu par l'arrêt Law est également applicable et que les demandeurs, en qualité de membres résidant hors réserve, font l'objet d'une différence de traitement fondée sur un motif analogue.

[51]Le facteur 3

Dans Corbiere, la Cour suprême a ensuite effectué la troisième étape de l'analyse nécessitée par le paragraphe 15(1) et exposée dans Law, qui consiste à décider si la distinction en cause dans le présent cas constitue, dans les faits, de la discrimination. Ou, comme elle l'a déclaré [au paragraphe 16]:

Autrement dit, la distinction mine-t-elle la présomption sur laquelle est fondée la garantie d'égalité--savoir que tous les individus sont réputés égaux, indépendamment du groupe auquel ils appartiennent?

[52]La Cour suprême a donné à cette question une réponse affirmative. La juge McLachlin et le juge Bastarache ont tenu le raisonnement suivant [aux paragraphes 17 et 18]:

Appliquant les facteurs énoncés dans Law qui sont pertinents en l'espèce--la pré-existence d'un désavantage ainsi que la correspondance du droit touché et son importance --, nous concluons que la réponse à cette question est affirmative. La distinction reprochée perpétue le désavantage historique vécu par les membres hors réserve des bandes indiennes en les privant de leur droit de voter et de participer à l'administration de leur bande. Ces personnes ont des intérêts importants à faire valoir en ce qui concerne l'administration de la bande, ce que la distinction les empêche de faire. Ils sont copropriétaires de l'actif de la bande. Qu'ils y vivent ou non, la réserve est leur territoire et celui de leurs enfants. En tant que membres de la bande ils sont représentés par le conseil de la bande auprès de la communauté en général, tant au sein des organisations autochtones que dans le cadre des négociations avec le gouvernement. Bien qu'il existe des sujets d'intérêt purement local qui ne touchent pas aussi directement les intérêts des membres hors réserve des bandes indiennes, la privation complète de leur droit de voter et de participer à l'administration de leur bande a pour effet de les traiter comme des individus moins dignes de reconnaissance et n'ayant pas droit aux mêmes avantages et ce, non pas parce que leur situation justifie ce traitement, mais uniquement parce qu'ils vivent à l'extérieur de la réserve. L'importance du droit touché ressort des conclusions de la Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), vol. 1, Un passé, un avenir, aux pp. 147 à 206. La Commission royale écrit ceci dans le vol. 4, Perspectives et réalités, à la p. 586:

Tout au long des audiences, les autochtones ont rappelé à la Commission qu'il est essentiel pour eux de préserver et d'enrichir leur identité culturelle quand ils vivent en milieu urbain. L'identité autochtone est l'essence de l'existence des peuples autochtones. La préservation de cette identité est donc un objectif fondamental et valorisant pour les autochtones citadins.

Et elle ajoute ce qui suit, aux pp. 589 et 590:

De plus, les autochtones citadins associent l'identité culturelle à la notion d'assise territoriale ou de territoire ancestral. Pour nombre d'entre eux, ces deux concepts sont indissociables. [. . .] Il est important pour les autochtones citadins de pouvoir s'identifier à un lieu ancestral, en raison des rituels, des cérémonies et des traditions qui y sont associés, des gens qui y vivent, du sentiment d'appartenance, du lien avec une communauté ancestrale et de la possibilité d'accéder à la famille, à la communauté et aux anciens.

Compte tenu de tout ce qui précède, il est clair que la privation du droit de vote découlant du par. 77(1) est discriminatoire. Cette privation refuse aux membres hors réserve des bandes indiennes, sur le fondement arbitraire d'une caractéristique personnelle, le droit de participer pleinement à l'administration de leur bande respective. Elle touche à l'identité culturelle des Autochtones hors réserve par l'effet de stéréotypes. Elle présume que les Autochtones hors réserve ne sont pas intéressés à participer concrètement à la vie de leur bande ou à préserver leur identité culturelle, et qu'ils ne sont donc pas des membres de leur bande aussi méritants que les autres. L'effet, comme le message, est clair: les membres hors réserve des bandes indiennes ne sont pas aussi méritants que les membres qui vivent dans les réserves. Cette situation soulève l'application de l'aspect dignité de l'analyse fondée sur l'art. 15 et entraîne le déni du droit à l'égalité réelle.

[53]Madame la juge L'Heureux-Dubé a abordé la question de manière légèrement différente et a déclaré [au paragraphe 95]:

Pour que soit reconnu le droit des non-résidents à l'égalité réelle conformément au principe du respect de la dignité humaine, il n'est donc pas indispensable que ces personnes jouissent exactement des mêmes droits de vote que les résidents. Ce qu'il faut, c'est plutôt un système qui tienne compte de la place importante des non-résidents au sein de la bande. Il est possible d'imaginer plusieurs moyens d'établir un tel système, tout en reconnaissant, respectant et valorisant les différences qui caractérisent la situation, les besoins et les intérêts des membres vivant hors des réserves et de ceux qui y résident. Une solution pourrait être de séparer les fonctions «locales» qui concernent purement les résidents de celles qui touchent l'ensemble des membres de la bande, et d'accorder des droits de vote différents à l'égard de ces diverses fonctions. Le fait d'exiger une double majorité ou d'accorder un droit de veto à chaque groupe pourrait également être un autre moyen de respecter pleinement le droit d'appartenance et de pleine participation des non-résidents. Des sièges au conseil pourraient être réservés aux non-résidents, ce qui leur assurerait un droit de participation concret mais non identique. La solution réside peut-être dans les coutumes des bandes autochtones. Elle pourrait différer d'une bande à l'autre. Il est possible d'imaginer bien d'autres solutions qui respecteraient le droit des non-résidents de participer concrètement et efficacement au régime électoral de la communauté, tout en reconnaissant les intérêts quelque peu différents de ceux-ci et des résidents. Toutefois, le régime de droit de vote ne peut pas, comme il le fait maintenant, nier complètement aux membres non-résidents des bandes indiennes le droit de participer au système électoral de représentation sans entraîner la violation du par. 15(1). Cette participation ne saurait non plus être minimale, insignifiante ou uniquement symbolique.

[54]Les défendeurs soutiennent que le système de gouvernance à deux paliers répond à la condition qui exige que soit fournie aux membres hors réserve la possibilité de participer concrètement et efficacement aux affaires de la bande. Le conseil de clan héréditaire prend, que ce soit directement ou indirectement (en fournissant des directives au conseil de village), les décisions importantes sur toutes les questions qui ne touchent pas seulement les membres des Gitga'at vivant dans la réserve. Le conseil de village est juridiquement reconnu par le gouvernement mais c'est en fait le conseil de clan qui est «l'esprit directeur» pour les affaires importantes concernant l'ensemble des membres de la bande.

[55]L'importance du rôle que joue le conseil de clan pour les Gitga'at et le rôle central qu'il joue dans la société Gitga'at ne sont pas contestés. Cependant, le conseil de village participe à des discussions qui ne sont pas uniquement de nature locale. Le conseil de clan est peut-être «l'esprit directeur» lorsqu'il s'agit de prendre des décisions relatives aux questions concernant les membres hors réserve, mais c'est le conseil de village qui a le pouvoir légal de prendre les décisions qui touchent les droits des membres qui vivent dans la réserve aussi bien que ceux des membres vivant hors réserve. En outre, je mentionne un aspect qui n'est pas déterminant en l'espèce mais que les demandeurs ont mentionné, à savoir que la Cour ne dispose pas de suffisamment de preuves pour savoir dans quelle mesure les membres de la bande vivant hors réserve peuvent participer aux affaires dont s'occupe le conseil de clan, pour connaître la fréquence des réunions et savoir si les membres de la bande vivant hors réserve sont avisés de ces réunions. Il est également difficile de savoir qui l'emporterait si le conseil de village n'était pas d'accord avec une position adoptée par le conseil de clan.

[56]Les demandeurs en l'espèce sont complètement privés de toute participation au processus électoral, comme c'était le cas dans Corbiere. Il n'a pas été établi que cette exclusion est nécessaire, ni même justifiable. Compte tenu du pouvoir qu'exerce le conseil de village dans des domaines touchant les membres vivant hors réserve, je ne peux trouver de justification pour accorder aux membres vivant dans la réserve le droit de participer au processus électoral, tout en en privant complètement les membres hors réserve.

[57]Dans Corbiere, la Cour a noté qu'il pourrait exister d'autres méthodes que celle d'un régime électoral donnant le droit de vote à chaque intéressé pour aménager la participation des membres résidant hors réserve. À mon avis, le système à deux paliers en vigueur ici ne répond pas aux exigences d'un processus qui «respecterait le droit des non-résidents de participer concrètement et efficacement au régime électoral de la communauté», comme le déclarait la Cour suprême dans Corbiere. D'après les faits de l'espèce, je conclus que, comme dans l'arrêt Corbiere, le régime électoral ne peut, comme il le fait actuellement, priver complètement les membres de la bande non-résidents de toute participation au système électoral de représentation sans violer le paragraphe 15(1).

[58]Je conclus par conséquent que le Règlement, dans la mesure où il prive les membres résidant hors réserve de toute participation aux élections des membres du conseil de village, contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte et ne constitue pas une limite dont la justification puisse se démontrer, parce que raisonnable, conformément à l'article premier de la Charte.

[59]À mon avis, l'ordonnance qu'il convient de prononcer en l'espèce consiste à déclarer invalides les mots [traduction] «Réside dans la réserve de la bande Hartley Bay depuis au moins six mois au moment des élections» que l'on trouve au sous-alinéa 2c)(iv) du Règlement.

La réparation

[60]Pour ce qui est de la réparation, il convient de mentionner que de nouvelles élections doivent avoir lieu en décembre de cette année. Dans les circonstances de l'espèce, l'annulation par la Cour des décisions prises par le conseil au cours des derniers 18 mois risquerait de causer un préjudice à la collectivité. Par conséquent, je ne vais pas annuler les élections de 2003 malgré la violation de la Charte. La réparation accordée en l'espèce doit donc viser l'avenir, tout en protégeant les droits que la Charte garantit aux demandeurs.

[61]Au cours des débats, les parties ont fait référence au processus de consultation qu'a lancé la bande dans l'espoir d'élaborer ce que l'avocat des défendeurs a qualifié à l'audience de [traduction] «régime électoral approprié qui accorde aux non-résidents la possibilité de voter en vue d'élire ou de se faire élire comme membre du conseil de la bande, selon un mécanisme qui tienne compte de l'histoire et des valeurs du peuple Gitga'at et concilie les besoins et les intérêts de tous les membres de la bande concernés». C'est un processus qui devrait être achevé avant les prochaines élections prévues pour décembre. Les deux parties ont exprimé la volonté de collaborer à la réalisation de cet objectif. À mon avis, il est toujours préférable, et important, que les parties puissent en arriver à une solution mutuellement acceptable, chaque fois que cela est possible.

[62]Les défendeurs ont demandé que, dans le cas où je jugerais que le Règlement contrevient à l'article 15, la déclaration d'invalidité soit suspendue pendant neuf mois, après la date de l'audience relative à la demande de contrôle judiciaire (jusqu'à la fin du mois de novembre 2005 environ), de façon à permettre la poursuite et l'achèvement du processus de consultation.

[63]Étant donné que la prochaine élection est prévue pour le mois de décembre 2005, je vais plutôt suspendre la mise en oeuvre de la déclaration d'invalidité jusqu'au mardi 1er novembre 2005, ce qui ne raccourcit que d'un mois le délai sollicité par les défendeurs. Cela permettra au processus de consultation au sein de la collectivité Gitga'at de se poursuivre jusqu'à son terme ou du moins jusqu'à ce qu'il en soit très proche, tout en protégeant le droit des demandeurs de participer à la prochaine élection s'ils le désirent. Si le processus ne débouche pas sur un accord à cette date-là, le mois supplémentaire permettra de régler avant les élections les éventuelles questions administratives qui se poseraient, comme l'envoi des avis ou de trousses d'information aux membres résidant hors réserve.

[64]Compte tenu de mes conclusions sur la question 1, il n'est pas nécessaire d'examiner la deuxième soulevée par les demandeurs.

[65]La demande de contrôle judiciaire est accueillie comme cela est noté ci-dessus.

[66]Les demandeurs auront droit à leurs dépens pour la demande.

[67]À l'audience, l'avocat des demandeurs a demandé que David Robinson et Eva Robinson soient supprimés de la liste des demandeurs. Les avocats des défendeurs ont exprimé leur accord. Par conséquent, ces deux personnes seront rayées de la liste des demandeurs.

ORDONNANCE

[68]LA COUR ORDONNE ce qui suit:

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. Les mots [traduction] «Réside dans la réserve de la bande de Hartley Bay depuis au moins six mois au moment des élections» que l'on trouve au sous-alinéa 2c(iv) du Règlement sont déclarés invalides.

3. La déclaration d'invalidité est suspendue jusqu'au mardi 1er novembre 2005.

4. Les élections de décembre 2003 ne seront pas annulées.

5. David Robinson et Eva Robinson sont rayés de la liste des demandeurs.

6. Les demandeurs ont droit à leurs dépens pour la demande.

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