Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1993] 3 C.F. 518

A-1616-92

Line Beaudoin (requérante)

c.

Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Jacinthe Smades (intimés)

Répertorié : Beaudoin c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, MacGuigan et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 26 et 31 mai 1993.

Langues officielles — L’art. 14 de la Loi sur les langues officielles permet à une personne d’employer la langue officielle de son choix devant un tribunal fédéral — L’art. 15 oblige le tribunal à veiller à ce que ce témoignage soit entendu comme il a été demandé — La demande faite de bonne foi et sur préavis par une partie qui n’est pas représentée pour obtenir qu’une audience se déroule dans l’autre langue officielle doit toujours être respectée — Le rejet de cette demande équivaut à un déni de justice naturelle, puisqu’il diminue la capacité de la partie de présenter sa cause à sa façon.

Pensions — Le Régime de pensions du Canada définit le terme « conjoint » comme une personne qui a cohabité avec le cotisant décédé dans le cadre d’une relation matrimoniale au moment du décès de celui-ci, et a cohabité avec lui pendant une période continue d’au moins un an — Cette période continue n’a pas à précéder immédiatement le décès.

Il s’agit d’une demande d’annulation de la décision par laquelle la Commission d’appel des pensions a conclu que les prestations de conjoint survivant devraient être adjugées à une femme légalement séparée plutôt qu’à la requérante, une épouse de fait, pour le motif d’une violation de justice naturelle. La requérante, qui n’était pas représentée par avocat, a demandé la tenue d’une audience en français à la suite de son avis d’intention dans cette langue. L’article 14 de la Loi sur les langues officielles permet à une personne d’employer la langue officielle de son choix devant un tribunal fédéral, et l’article 15 oblige le tribunal à veiller à ce que ce témoignage soit entendu selon la demande faite. La Commission a décidé que l’audience se déroulerait en anglais. La requérante a été « amenée » à accepter cette conclusion. Elle est restée muette sauf lorsqu’on lui a posé des questions directes, et elle n’a joué aucun rôle actif dans la présentation des éléments de preuve. À la demande de la Commission, l’avocat du ministre a assisté la requérante dans l’interrogation des témoins et dans la présentation des arguments sur des points de droit. Il n’a pas tiré de conclusions de fait pour le compte de la requérante, et il n’aurait pu le faire puisqu’il n’avait jamais rencontré la requérante ni l’un quelconque de ceux qui étaient présents pour le compte de celle-ci.

Le terme « conjoint » est défini dans le Régime de pensions du Canada comme une personne du sexe opposé qui cohabite avec le cotisant dans le cadre d’une relation matrimoniale au moment du décès de celui-ci et a cohabité avec lui pendant une période continue d’au moins un an. La requérante a eu des relations avec le cotisant décédé pendant presque six ans jusqu’à la mort de celui-ci dans l’appartement qu’ils partageaient. La Commission a énoncé la question en l’espèce comme étant celle de savoir si le cotisant décédé cohabitait avec la requérante dans le cadre d’une relation matrimoniale au moment de son décès, ayant ainsi cohabité pendant une période d’au moins un an immédiatement avant sa mort. Elle a conclu que la requérante et le défunt n’avaient pas cohabité dans le cadre d’une relation matrimoniale pendant la période prescrite ni au moment du décès.

Arrêt : la demande doit être accueillie.

La requérante avait droit à la tenue d’une audience en français. Bien que la demande tendant à la tenue d’une audience en français n’ait pas été catégoriquement rejetée, l’omission de prendre la demande au pied de la lettre avait le même effet. La demande faite de bonne foi et sur préavis par une partie qui ne se fait pas représenter pour obtenir qu’une audience se déroule dans l’autre langue officielle doit toujours être respectée en entier, et le rejet de cette demande équivaut à un déni de justice naturelle, puisqu’il diminue la capacité de la partie demanderesse de présenter sa cause à sa façon.

La Commission a eu tort de considérer « la période prescrite » comme précédant immédiatement le décès. L’article 2 ne dit pas expressément que la période d’un an doit « précéder immédiatement le décès ».

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31,. art. 14, 15.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 2 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 1), 58 (mod., idem, art. 26; L.C. 1991, ch. 44, art. 12).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social c. Decoux, Elaine (1991), C.E.B. & P.G.R. 6206 (Comm. d’appel des pensions).

DEMANDE d’annulation de la décision rendue par la Commission d’appel des pensions quant aux prestations de conjoint survivant en vertu du Régime de pensions du Canada. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à une formation différente pour qu’elle procède à un nouvel examen.

AVOCAT :

Eugene Meehan pour la requérante.

Brian J. Saunders pour l’intimé, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

Dougald E. Brown pour l’intimée Jacinthe Smades.

PROCUREURS :

Lang Michener, Ottawa, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

Nelligan/Power, Ottawa, pour l’intimée Jacinthe Smades.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Il s’agit d’un litige entre une femme légalement séparée et une épouse de fait en vue des prestations de conjoint survivant prévues au Régime de pensions du Canada (« la Loi »), L.R.C. (1985), ch. C-8.

L’article 58 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 26; L.C. 1991, ch. 44, art. 12] de la Loi prévoit le versement d’une pension de retraite au « conjoint survivant d’un cotisant ». Le terme « conjoint » est défini en ces termes au paragraphe 2(1) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 1], la disposition d’interprétation :

2.

« conjoint » À l’égard d’un cotisant, s’entend :

a) sauf à l’article 55, de même qu’en ce qui s’y rattache [concernant les divorces et les annulations]

(ii) d’une personne du sexe opposé qui, à l’époque pertinente, cohabite avec le cotisant dans le cadre d’une relation matrimoniale et a cohabité avec celui-ci pendant une période continue d’au moins un an

Il est entendu que dans le cas de décès d’un cotisant, « époque pertinente » s’entend du moment du décès du cotisant.

La requérante a eu des relations avec le cotisant décédé pendant presque six ans jusqu’à la mort de celui-ci vers la fin de 1989 par suite d’une crise cardiaque alors qu’il prenait une douche dans l’appartement qu’ils partageaient. Sa demande de prestations de conjoint survivant a été confirmée par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et par un comité de révision ministériel, mais par suite d’un autre appel interjeté par l’intimée Jacinthe Smades devant la Commission d’appel des pensions (« la Commission »), celle-ci a décidé le 3 novembre 1992 que les prestations devraient plutôt être adjugées à cette intimée[1].

La Commission a tiré la conclusion suivante (dossier de demande, à la page 58) :

[traduction] Nous avons conclu que, tout compte fait, la preuve ne montre pas que le cotisant décédé et Mme Beaudoin ont cohabité dans le cadre d’une relation matrimoniale pendant la période prescrite ou au moment du décès.

La Commission semble commettre un erreur dans son point de vue sur [traduction] « la période prescrite », puisqu’elle avait auparavant énoncé la question en l’espèce comme étant [traduction] « celle de savoir si le cotisant décédé cohabitait avec Line Beaudoin dans le cadre d’une relation matrimoniale au moment de son décès, ayant ainsi cohabité pendant une période d’au moins un an immédiatement avant sa mort » [c’est moi qui souligne]. Comme une autre formation de la Commission a—à juste titre à mon avis,—dans Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social c. Decoux, Elaine (1991), C.E.B. & P.G.R. 6206, statué : [traduction] « Puisque l’article 2 [de la Loi] ne dit pas expressément que la période continue d’un an doit précéder immédiatement le décès, je ne pense pas que nous devions l’interpréter dans ce sens » (à la page 6207).

Toutefois, il ressort du fait que la Commission a conclu que la relation matrimoniale requise n’existait pas [traduction] « pendant la période prescrite ni au moment du décès » [c’est encore moi qui souligne] que la décision de la Commission ne se rapportait pas tant à la durée qu’à la qualité des relations. En fait, la Commission a conclu en outre que le défunt vivait à toutes les époques pertinentes, non pas avec la requérante, mais dans un appartement distinct.

Les arguments essentiels invoqués par la requérante pour attaquer la décision de la Commission portent sur l’absence alléguée de justice naturelle à l’audience elle-même.

La requérante a réussi à amener l’avocat qui avait occupé pour elle devant le comité de révision à la représenter de nouveau devant la Commission seulement peu de temps avant l’audience, et son avocat n’était pas disponible à la date prévue pour l’audience. La requérante a apparemment comparu à l’audience avec l’intention de demander un ajournement, mais elle ne l’a pas fait.

L’avis d’intervention devant la Commission donné par la requérante (qui a été versé au dossier, sur consentement, à l’audience tenue devant nous), a été rédigé en français et, au début de l’audience, elle a demandé que l’audience soit tenue en français.

L’affidavit établi le 11 janvier 1993 par Ana Lopez au nom de l’intimée décrivait ce qui avait eu lieu à l’audience du point de vue de l’intimée (dossier de demande de l’intimée, aux pages 1 à 3) :

[traduction] 3. Au début de l’audience, la Commission a demandé si Mme Beaudoin était présente. Celle-ci a décliné son identité. La Commission a demandé si elle était prête pour l’audition, et Mme Beaudoin a répondu qu’elle avait fait venir certains témoins qu’elle désirait citer. Elle a également fait savoir qu’elle désirait participer à l’audience en français.

4. Au nom de Mme Smades, Me Brown s’est opposé à la tenue de l’audience en français, invoquant le motif que Mme Beaudoin n’avait pas antérieurement avisé qu’elle désirait être entendue en français et qu’elle n’avait même pas déposé un acte d’intervention indiquant qu’elle avait l’intention de participer à l’audience[2]. Me Brown a indiqué qu’il serait forcé de demander un ajournement si l’affaire devait être entendue en français puisqu’aucun service d’interprétation n’était disponible.

5. La Commission a alors demandé à Mme Beaudoin si elle et ses témoins pouvaient parler et comprendre l’anglais. Elle a fait savoir que ses témoins et elle parlaient et comprenaient l’anglais, et qu’elle ne voulait pas que l’affaire fût ajournée. La Commission a alors ordonné que l’audience se déroule en anglais comme il a été prévu.

6. Avant que des témoins n’aient été cités, le juge Foisy, qui était membre de la Commission, a fait remarquer que le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Mme Beaudoin avaient adopté la même position sur l’appel, savoir que celle-ci avait droit aux prestations de conjoint survivant en question. Compte tenu de ce fait, le juge Foisy a demandé à M. Conway s’il était disposé à aider Mme Beaudoin à présenter ses éléments de preuve et ses arguments. M. Conway a assuré à la Commission qu’il aiderait Mme Beaudoin et, en fait, il a agi comme son avocat au cours de l’audience. M. Conway a contre-interrogé chacun des témoins cités pour le compte de Mme Smades, et il a procédé à l’interrogatoire principal de chacun des témoins de Mme Beaudoin, dont Mme Beaudoin elle-même. À la conclusion du témoignage, M. Conway a fait des observations, insistant pour que la Commission adopte la position de Mme Beaudoin …

12. Tous les témoins cités par Mme Beaudoin, dont Mme Beaudoin elle-même, s’exprimaient clairement en anglais et sans difficulté.

L’affidavit du 8 février 1993 de la requérante donne un compte rendu plus personnel de l’audience (dossier de demande, à la page 19) :

[traduction] 10. J’ai vu l’affidavit qu’Ana Lopez a établi, affidavit en date du 11 janvier 1993.

11. Ce qu’elle dit, j’ai demandé que l’audience se déroule en français, est vrai. Mon anglais n’est pas bon. J’ai de la difficulté à parler l’anglais, et j’ai du mal à comprendre lorsqu’on parle l’anglais trop vite pour moi.

12. J’ai présumé que l’audience se déroulerait en français, ou, du moins, dans les deux langues. J’ai dit à la Commission que je voulais parler français, mais l’avocat de Jackie Smades ne m’a pas laissé faire. La Commission a dit que l’audience se déroulerait en anglais.

13. J’ai eu peur. Tout le monde était là. Les juges siégeaient en face de moi, et il y avait partout des avocats. Je ne savais que faire. La Commission a décidé que l’audience se poursuivrait en anglais. J’ai eu trop peur de demander encore si je pouvais parler français.

14. Je voulais que l’audition eût lieu plus tard, mais je n’avais pas d’avocat avec moi, et je ne savais pas comment le faire moi-même.

15. Ana Lopez dit que Tom Conway agissait comme mon avocat. De ma vie, je n’ai jamais rencontré Tom Conway, et il ne m’a jamais rencontrée. Il ne sait rien de moi, et il n’a même pas eu la chance de me parler ni de parler à mes amis que j’avais fait venir avant qu’il ne nous pose des questions. La Commission a dit à Tom Conway qu’il devait agir en tant que mon avocat, mais il n’avait aucun renseignement sur moi. Il ne connaissait même pas les noms des témoins que j’avais fait venir. Tom Conway a dit à la Commission qu’il ne s’attendait pas à cela, et elle lui a dit de le faire quand même.

Tout ceci a été complété, quant à la preuve dont disposait la Commission, par le nouvel affidavit en date du 26 mars 1993 de la requérante (dossier de demande supplémentaire, onglet 2, aux pages 1-2) :

[traduction] 3. À l’audience tenue par le comité de révision, j’avais beaucoup de documents qui prouvaient que j’avais vécu avec Norm. J’ai présenté tous ces documents au comité de révision, et, d’après moi, j’ai très pleinement et très complètement présenté mon cas à ce comité. Je crois que le comité de révision a fait des copies de mes documents. Ce dernier a examiné tous les documents, et a convenu que j’avais droit aux prestations.

4. Toutefois, je n’ai présenté aucun de ces documents à la Commission d’appel des pensions, parce que j’ai présumé qu’elle les avait obtenus du comité de révision et qu’elle en avait déjà pris connaissance.

5. En fait, je n’ai pas du tout présenté de documents écrits à la Commission d’appel des pensions excepté un document : une lettre de mon médecin qui disait que le décès de mon mari Norm m’avait tellement bouleversée que je ne pouvais aller travailler. Je n’ai présenté aucun autre document écrit. Je ne savais pas que j’aurais dû le faire. Je croyais qu’on en avait déjà des copies.

6. L’audience devant la Commission d’appel des pensions ne ressemblait en rien à celle du comité de révision. Je n’ai présenté aucun des documents que j’avais présentés à l’audience tenue devant la comité de révision. Je n’avais pas d’avocat comme auparavant. J’étais très confuse et j’ai eu peur au cours de l’audience d’appel tout entière. Je ne savais pas comment créer des pièces.

7. Je n’ai présenté aucun des documents que j’avais présentés à l’audience du comité de révision, mais j’ai montré à la Commission une photo 11" sur 14". C’était une belle photo de moi, de Norm et de notre fils, Philippe.

8. La Commission ne m’a jamais remis la photo. Je crois qu’elle l’a toujours. J’en ai trouvé une autre que je laisse ici [jointe comme pièce « A »].

9. J’ai fait venir quatre amis à l’audience de la Commission d’appel des pensions : Denis Daneau, Danielle Beaudoin, Louis Dubois et Hélène Laframboise.

10. Denis est mon beau-frère. Danielle est ma sœur. Hélène est une amie travaillant à la garderie. Louise est une amie à moi.

11. On a demandé, à la dernière minute, à chacun de mes amis de dire quelques mots devant la Commission. On leur a posé des questions pendant cinq minutes ou moins. De leur vie, ils n’avaient jamais rencontré Tom Conway auparavant, et ils n’étaient pas disposés à répondre aux questions qu’il posait. Ils n’étaient pas non plus disposés à répondre aux questions plus difficiles posées par Douglas Brown. Tom Conway était l’avocat du gouvernement, et les juges lui ont demandé d’essayer d’être mon avocat aussi. De ma vie, je n’avais jamais non plus rencontré Tom Conway auparavant.

Puisque les procédures ne sont nullement enregistrées, ni par écrit ni par dactylographie, la connaissance de la Cour se limite, quant à ce qui est arrivé, à ce qui est dit dans ces affidavits. Bien que les affidavits adverses soient loin d’être en harmonie, ils ne sont pas entièrement contradictoires, et j’estime qu’il est possible de parvenir aux conclusions suivantes :

1) La requérante a demandé la tenue d’une audience en français, à la suite de son avis d’intervention dans cette langue.

2) La Commission a décidé que l’audience se déroulerait en anglais, conclusion qu’on a « amené »—j’utilise le mot de façon neutre—la requérante à accepter.

3) La requérante est restée entièrement muette sauf lorsqu’on lui a posé des questions directes, et elle n’a joué aucun rôle actif dans la présentation des éléments de preuve.

4) La Commission, apparemment consciente des inconvénients que la requérante subissait, a demandé à l’avocat du ministre de l’aider dans la mesure du possible.

5) Cet avocat l’a fait relativement à l’interrogatoire des témoins et à la présentation des arguments sur des points de droit. Il n’a pas tiré des conclusions de fait pour le compte de la requérante, et il n’aurait pu le faire parce qu’il n’avait jamais rencontré la requérante ni l’un quelconque de ceux qui étaient présents pour le compte de celle-ci.

(6) La Commission elle-même a fait état du témoignage additionnel de la part de l’intimée dont elle disposait. Elle ne disposait pas d’éléments de preuve, particulièrement de preuve documentaire, que la requérante avait présentés aux audiences antérieures.

(7) Il ne fait pas de doute que l’avocat du ministre a agi honorablement, faisant de son mieux pour la requérante dans les limites de ses préparations et de son rôle, mais, en dernière analyse, il n’est nullement l’avocat de la requérante. De l’aveu de tous, la requérante a eu tort de ne pas demander un ajournement comme elle en avait apparemment eu l’intention pour se faire représenter par avocat. Néanmoins, bien qu’elle n’ait pas demandé un ajournement, elle a effectivement demandé que l’audience se déroule en français. Elle avait droit à une telle audience, et on n’aurait pas dû la lui refuser. Il ne fait pas de doute qu’un ajournement à cette fin aurait désavantagé l’intimée qui, si elle obtenait gain de cause, aurait droit à des prestations immédiatement plutôt que seulement de façon rétroactive à la fin ultime des procédures. Mais le droit à une audience dans la propre langue officielle de la requérante doit passer en priorité[3].

On n’a pas à être linguiste pour reconnaître que la simple compréhension des mots dans une seconde langue diffère entièrement de la pleine capacité de s’exprimer de manière à promouvoir une cause de façon persuasive. L’intimée a réussi à faire verser, à l’audience tenue devant nous, au dossier la déclaration solennelle initiale, en vertu du Régime de pensions du Canada, que la requérante avait faite en anglais. Bien à part le fait que son emploi de l’anglais dans ce contexte incontesté ne saurait l’empêcher de choisir plus tard d’être entendue en français devant la Commission, ses énormes fautes d’orthographe et de grammaire dans cette formule dénote son sérieux désavantage en s’exprimant dans la langue anglaise.

À mon avis, bien que la Commission n’ait pas complètement rejeté sa demande tendant à l’obtention d’une audition en français, elle a effectivement fait la même chose en ne prenant pas sa demande au pied de la lettre. L’opposition par l’avocat de l’intimée à ce que l’audience se déroule en français, en raison de son propre unilinguisme, aurait dû conduire à un ajournement. Le désir compréhensible de la Commission d’éviter un ajournement ne lui donnait pas le mandat d’arranger la poursuite de l’audience en anglais.

La demande faite de bonne foi et sur préavis par une partie qui ne se fait pas représenter pour obtenir qu’une audience se déroule dans l’autre langue officielle doit toujours être respectée en entier, et le rejet de cette demande équivaut à un déni de justice naturelle, puisqu’il empêche la partie demanderesse de présenter sa cause à sa façon. En l’espèce, la décision de ne pas ajourner a également entraîné, dans les circonstances, un malheureux fiasco dans lequel un requérant muet fonctionnait seulement en raison de la générosité de l’avocat de l’autre partie.

Compte tenu de ma décision sur ce point, je trouve inutile d’examiner les autres prétentions de la requérante.

La demande doit être accueillie, la décision en date du 3 novembre 1992 de la Commission annulée, et l’affaire renvoyée à une autre formation pour qu’elle procède à la tenue d’une nouvelle audience et à un nouvel examen.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Puisque l’intimé le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, en tant que simple séquestre, n’avait pas d’observations à faire devant nous, j’emploie par la suite le mot sans qualificatif « intimé » pour désigner seulement l’intimée Jacinthe Smades.

[2] Cette déclaration a été faite de bonne foi, compte tenu de la connaissance de l’avocat à l’époque pertinente.

[3] La Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 permet, dans son art. 14, à une personne d’employer la langue officielle de son choix devant un tribunal fédéral, et, dans son art. 15, oblige le tribunal à veiller à ce que ce témoignage soit entendu comme il a été demandé.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.