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[2011] 4 R.C.F. 22

A-427-09

2010 CAF 131

Duff Conacher et Democracy Watch (appelants)

c.

Le premier ministre du Canada, le gouverneur en conseil du Canada, le gouverneur général du Canada et le procureur général du Canada (intimés)

Répertorié : Conacher c. Canada (Premier ministre)

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Layden-Stevenson et Stratas, J.C.A.—Ottawa, 25 mai 2010.

Élections — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire visant la décision du premier ministre qui consistait à conseiller la gouverneure générale du Canada à dissoudre la 39e législature afin de fixer la date des élections — Il s’agissait de savoir si le premier ministre avait contrevenu à l’art. 56.1 de la Loi électorale du Canada — L’art. 56.1(1) de la Loi protège la discrétion et le pouvoir de la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de fixer la date des élections — Ce pouvoir s’étend également au premier ministre — L’art. 56.1 ne lie aucunement la gouverneure générale  — Cette dernière devait tenir compte d’un large éventail de facteurs pour décider de dissoudre le Parlement et de tenir des élections — L’art. 56.1 de la Loi n’interdit pas la dissolution du Parlement et n’empêche pas la tenue d’élections éclairs autrement que de la façon prévue à l’art. 56.1(2) de la Loi — Le premier ministre n’a pas porté atteinte à l’art. 3 de la Charte canadienne des droits et libertés — Appel rejeté.

Interprétation des lois — Le premier ministre avait conseillé à la gouverneure générale du Canada de dissoudre la 39e législature afin de fixer la date des élections — Il s’agissait de savoir si le premier ministre avait contrevenu à l’art. 56.1 de la Loi électorale du Canada — Cette disposition doit être interprétée à la lumière du statut et du rôle constitutionnels de la gouverneure générale — L’art. 56.1 protège les pouvoirs, y compris les pouvoirs discrétionnaires, de la gouverneure générale — La protection s’étend au rôle de conseiller du premier ministre — Si le législateur avait voulu empêcher le premier ministre de conseiller à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de fixer la date des élections, il aurait utilisé des termes précis — Le libellé de l’art. 56.1 de la Loi n’interdit pas la dissolution du Parlement et n’empêche pas la tenue d’élections éclairs, autrement que de la façon prévue à l’art. 56.1(2).

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits démocratiques — Le premier ministre avait conseillé à la gouverneure générale du Canada de dissoudre la 39e législature afin de fixer la date des élections — Lorsqu’il a agi ainsi, le premier ministre n’a pas porté atteinte au droit des Canadiens de participer à des élections en application de l’art. 3 de la Charte.

Droit constitutionnel — Conventions — Le premier ministre a conseillé à la gouverneure générale du Canada de dissoudre la 39e législature afin de fixer la date des élections — L’art. 56.1(1) de la Loi électorale du Canada protège la discrétion et le pouvoir de la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de fixer la date des élections — La Cour fédérale a refusé de déclarer qu’il existait une nouvelle convention constitutionnelle qui limite le pouvoir du premier ministre de conseiller la gouverneure générale dans les circonstances de l’espèce — Cette conclusion était amplement étayée par le dossier de preuve en l’espèce.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire visant la décision du premier ministre qui consistait à conseiller la gouverneure générale du Canada à dissoudre la 39e législature afin de fixer la date des élections.

La question à trancher était celle de savoir si le premier ministre avait contrevenu à l’article 56.1 de la Loi électorale du Canada, qui maintient les pouvoirs du gouverneur général et porte sur la fixation de la date des élections.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

L’article 56.1 doit être interprété à la lumière du statut et du rôle constitutionnels de la gouverneure générale. Le paragraphe 56.1(1) protège la discrétion et le pouvoir de la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de fixer la date des élections. Le maintien des pouvoirs, y compris les pouvoirs discrétionnaires, peut également s’étendre au rôle de conseiller du premier ministre. Si le législateur avait voulu empêcher le premier ministre de conseiller à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de fixer la date des élections, il aurait utilisé des termes explicites et précis. Le paragraphe 56.1(2) exprime clairement la volonté du législateur qui, selon le texte exprès du paragraphe 56.1(1), ne lie aucunement la gouverneure générale. Cependant, d’après le cadre constitutionnel et d’un point de vue juridique, la gouverneure générale peut tenir compte d’un large éventail de facteurs pour décider de dissoudre le Parlement et de tenir des élections. Le libellé choisi par le législateur à l’article 56.1 n’interdit pas la dissolution du Parlement et n’empêche pas la tenue d’élections éclairs, sauf dans le respect des dispositions du paragraphe 56.1(2). Enfin, lorsqu’il a conseillé la gouverneure générale, le premier ministre n’a pas porté atteinte au droit des Canadiens de participer à des élections en application de l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 3.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 50.

Loi électorale du Canada, S.C. 2000, ch. 9, art. 56.1 (édicté par L.C. 2007, ch. 10, art. 1).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision citée :

Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236.

DOCTRINE CITÉE

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 5e éd., feuilles mobiles. Toronto : Carswell, 2007.

appel d’une décision de la Cour fédérale (2009 CF 920, [2010] 3 R.C.F. 411) rejetant la demande de contrôle judiciaire visant la décision du premier ministre qui consistait à conseiller la gouverneure générale du Canada à dissoudre la 39e législature afin de fixer la date des élections. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Peter M. Rosenthal pour les appelants.

Robert B. MacKinnon et Agnieszka Zagorska pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Roach, Schwartz & Associates, Toronto, pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l’audience par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : Il s’agit d’un appel d’un jugement de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants (2009 CF 920, [2010] 3 R.C.F. 411).

[2]        Devant la Cour fédérale, les appelants ont réclamé plusieurs mesures déclaratoires visant la décision du premier ministre qui consistait à conseiller à la gouverneure générale du Canada de dissoudre la 39e législature afin de fixer la date des élections. La gouverneure générale du Canada a dissout le Parlement et a fixé la date des élections au 14 octobre 2008.

[3]        Les appelants allèguent que, en conseillant la gouverneure comme il l’a fait, le premier ministre a contrevenu à l’article 56.1 [édicté par L.C. 2007, ch. 10, art. 1] de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9. Cette disposition est rédigée comme suit :

56.1 (1) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le Parlement lorsqu’il le juge opportun.

Maintien des pouvoirs du gouverneur général

(2) Sous réserve du paragraphe (1), les élections générales ont lieu le troisième lundi d’octobre de la quatrième année civile qui suit le jour du scrutin de la dernière élection générale, la première élection générale suivant l’entrée en vigueur du présent article devant avoir lieu le lundi 19 octobre 2009.

Date des élections

[4]        L’article 56.1 doit être interprété à la lumière du statut et du rôle constitutionnels de la gouverneure générale. L’article 56.1 n’interdit pas à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de fixer la date des élections. En fait, cette discrétion et ce pouvoir (consacrés à l’article 50 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985) appendice II, no 5]]) sont expressément protégés par le paragraphe 56.1(1). Le statut, le rôle et les pouvoirs, y compris les pouvoirs discrétionnaires, de la gouverneure générale ne sont pas touchés par l’article 56.1.

[5]        Diverses conventions sont liées au statut, au rôle et aux pouvoirs, y compris les pouvoirs discrétionnaires, de la gouverneure générale. Certaines de ces conventions, qui sont sujettes à discussions en ce qui a trait à leur portée, concernant la décision du premier ministre de conseiller la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et la façon dont la gouverneure générale doit y répondre : Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1, feuilles mobiles (Toronto : Carswell, 2007), aux pages 9-29 à 9-33. À notre avis, compte tenu du lien entre la gouverneure générale et le premier ministre à cet égard, le maintien des pouvoirs, y compris les pouvoirs discrétionnaires, de la gouverneure générale en vertu du paragraphe 56.1(1) peut également s’étendre au rôle de conseiller du premier ministre. Quoi qu’il en soit, nous estimons que si le législateur avait voulu empêcher le premier ministre de conseiller à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de fixer la date des élections, il aurait utilisé des termes explicites et précis dans le libellé de l’article 56.1, ce qu’il n’a pas fait. Ce disant, nous ne ferons aucun commentaire sur la question de savoir si un tel libellé, une fois adopté, aurait été constitutionnel.

[6]        Les appelants ont vigoureusement soutenu que cette interprétation enlève tout sens à l’article 56.1. Nous ne sommes pas d’accord. Le paragraphe 56.1(2) exprime clairement la volonté du législateur, une volonté qui, selon le texte exprès du paragraphe 56.1(1), ne lie aucunement la gouverneure générale. Cependant, d’après notre cadre constitutionnel et d’un point de vue juridique, la gouverneure générale peut tenir compte d’un large éventail de facteurs pour décider de dissoudre le Parlement et de tenir des élections. En l’espèce, ces facteurs peuvent comprendre toute question de droit constitutionnel, toute convention qui, selon la gouverneure générale, est susceptible d’influencer ou de trancher la question, la volonté du législateur telle qu’elle ressort du paragraphe 56.1(2), les conseils du premier ministre ainsi que toute autre question appropriée.

[7]        Si l’article était interprété de la manière proposée par les appelants, le premier ministre serait interdit de conseiller à la gouverneure générale de tenir des élections pour des raisons d’urgence ou en raison d’un événement grave. Nous ne sommes pas d’accord avec cette interprétation de l’article 56.1. Une interprétation aussi radicale devrait être clairement exprimée dans le texte de loi. C’est là une autre indication que l’article 56.1, tel qu’il est rédigé, n’empêche aucunement le premier ministre de conseiller la gouverneure générale.

[8]        Les appelants recommandent vivement à la Cour de tenir compte de l’objet de l’article 56.1, comme le montrent les déclarations du Parlement dans le Hansard. Nous estimons qu’il n’est pas nécessaire de recourir aux déclarations du Parlement étant donné que le libellé de l’article 56.1 est clair. Quoi qu’il en soit, la Cour fédérale a jugé que les déclarations parlementaires concernant l’objet de l’article 56.1 n’étaient pas utiles puisqu’elles sont contradictoires. Après avoir examiné ces documents, nous ne voyons aucune raison de ne pas souscrire à la conclusion de la Cour fédérale ou de la modifier.

[9]        Dans tous les cas, nous rejetons l’allégation des appelants selon laquelle l’objet de l’article 56.1 est d’interdire la dissolution du Parlement et d’empêcher la tenue d’élections éclairs sauf dans le respect des dispositions du paragraphe 56.1(2) puisqu’un tel objet ne ressort pas du libellé choisi par le législateur à l’article 56.1. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le libellé de l’article 56.1 reflète la volonté du législateur, mais n’empêche pas le premier ministre et la gouverneure générale d’avoir agi comme ils l’ont fait.

[10]      Par conséquent, selon notre interprétation de l’article 56.1, la Cour fédérale a eu raison de refuser de rendre un jugement déclaratoire portant que les actes du premier ministre allaient à l’encontre de l’article 56.1.

[11]      De même, nous sommes d’accord avec la Cour fédérale que la décision du premier ministre de conseiller la gouverneure générale n’a pas porté atteinte au droit de tous les citoyens de participer à des élections justes en application de l’article 3 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. À cet égard, les appelants ont allégué que la décision du premier ministre a eu pour effet de déclencher des élections avant le moment prévu au paragraphe 56.1(2) et que ceci pourrait avoir porté préjudice à la campagne de certains partis politiques. Dans la mesure où ces actes pourraient avoir violé l’article 3 de la Charte, du point de vue juridique, c’est la gouverneure générale qui a déclenché les élections et non le premier ministre. De plus, à cet égard, les partis politiques qui auraient été touchés par cette décision ne se trouvent pas devant cette Cour. Nous nous interrogeons sur la qualité pour agir des appelants dans le cadre d’une action visant à défendre les droits de ces tiers en vertu de l’article 3; ces parties sont bien placées pour intenter eux-mêmes ces poursuites : Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, aux pages 254 à 256.

[12]      Enfin, nous refusons de rendre un jugement déclarant qu’il existe une nouvelle convention constitutionnelle qui limite le pouvoir du premier ministre de conseiller la gouverneure générale dans ces circonstances. La Cour fédérale a conclu qu’une telle convention n’existe pas. Cette conclusion est amplement étayée par le dossier de preuve dans la présente affaire.

[13]      Par conséquent, nous rejetterons l’appel. Compte tenu des circonstances inhabituelles et des questions nouvelles soulevées en l’espèce, nous n’adjugerons pas de dépens.

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