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A-802-95 / A-642-95

( T-1878-90 )

Le chef Bernard Charles et les conseillers Mabel Charles et Leonard Wells, en leur qualité de conseillers élus de la Bande indienne de Semiahmoo, agissant en leur propre nom et au nom de tous les autres membres de la Bande indienne de Semiahmoo (appelants)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada (intimée)

Répertorié: Bande indienne de Semiahmooc. Canada (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac, juge McDonald, J.C.A. et juge suppléant Gray"Vancouver, 28, 29 et 30 octobre 1996; Ottawa, 24 juin 1997.

Peuples autochtones Terres Obtention par la Couronne de la cession absolue de terres situées sur une réserve pour agrandir des installations douanièresLa plus grande partie des terres cédées est demeurée inutilisée aux fins des installations douanières ou à d'autres fins publiques pendant 40 ansRefus de la Couronne de restituer les terres à la bandeInaliénabilité des terres des réserves indiennes, sauf par cession à la CouronneManquement par la Couronne à son obligation fiduciaireLa fiducie par interprétation constitue une réparation appropriée, car elle emporte la restitution à la bande de son droit sur les terres cédées.

Restitution Fiducies par interprétationPrincipes d'equityCouronneIndiensObtention par la Couronne de la cession absolue de terres situées sur une réserve pour agrandir des installations douanièresLes terres sont demeurées inutilisées pendant 40 ans, mais la Couronne a refusé de les restituerManquement par la Couronne à son obligation fiduciaireLa fiducie par interprétation constitue une réparation appropriée, car elle remédie à l'enrichissement sans cause de la Couronne, confère aux Indiens un droit à titre bénéficiaire sur les terres et contribue à l'augmentation de leur valeur.

Pratique Prescription Poursuite engagée en 1990 par une bande indienne contre la Couronne pour manquement à son obligation fiduciairePrescription de 30 ans prévue pour toute action par l'art. 8 de la Limitation Act de la Colombie-BritanniqueLa prescription de 6 ans, prévue à l'art. 3(4) de la Loi pour les actions non mentionnées dans la Loi, est applicable en l'espèceL'action pour manquement de la Couronne à son obligation fiduciaire lors de la cession de 1951 aux fins de l'agrandissement des installations douanières est prescrite en vertu de l'art. 8(1)c) de la LoiLe délai de prescription final de 30 ans fixé par l'art. 8(1)c) n'est pas expiré en ce qui concerne le deuxième manquement à l'obligation fiduciaire survenu en 1969L'art. 6(3)d) prévoit que le délai de prescription peut être interrompu en cas de fraude ou de tromperieLe délai de prescription de 6 ans doit commencer à courir le 23 mai 1989, date à laquelle la bande a été informée que la Couronne n'avait pas l'intention d'agrandir les installations douanières dans un avenir rapproché.

Il s'agit d'un appel et d'un appel incident d'une décision de la Section de première instance rejetant la requête en jugement sommaire des appelants. En 1889, la Couronne a désigné un terrain d'environ 382 acres situé en ColombieBritannique comme terre de réserve à l'usage et au profit de la bande indienne de Semiahmoo. En 1951, elle a obtenu la cession absolue d'une parcelle de 22,408 acres située dans la réserve en affirmant, pour justifier la cession, que les terres seraient utilisées pour construire une installation douanière plus grande au passage de la frontière de Douglas, adjacent à la réserve. La bande a reçu 550 $ l'acre. Depuis lors, l'intimée a conservé le titre de propriété des terres cédées, mais la plupart d'entre elles ne sont toujours pas utilisées aux fins des installations douanières ou à d'autres fins publiques. À maintes reprises après la cession, la bande a demandé à la Couronne de quelle façon elle entendait utiliser les terres cédées et si ces terres pouvaient lui être restituées en totalité ou en partie étant donné qu'on ne semblait pas en avoir besoin à des fins publiques. Toutefois, la Couronne a refusé de restituer les terres à la bande. En 1969, celle-ci a adopté une résolution officielle par laquelle le conseil recommandait la prise de mesures immédiates en vue de reprendre, pour le compte de la bande, les 22,408 acres qui avaient été cédées en 1951. À chaque occasion subséquente, les fonctionnaires de Revenu national et de Travaux publics ont répondu aux demandes de renseignements de la bande en disant qu'on avait besoin des terres cédées aux fins de l'agrandissement de l'installation douanière dans un avenir rapproché ou encore que la question de l'aménagement des terres était à l'étude. Un rapport préparé en 1988 a conclu que, compte tenu de l'étude de marché et de l'analyse de l'emplacement, la présence d'un lieu de villégiature comporterait énormément d'avantages. En juillet 1990, les appelants ont déposé une déclaration dans laquelle ils alléguaient que la Couronne avait manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande lors de la cession de 1951. C'est presque deux ans plus tard qu'une étude commandée par le ministère des Travaux publics a recommandé que de gros travaux de réaménagement des installations douanières soient exécutés sur une partie des terres cédées. Le juge de première instance a statué que la Couronne avait manqué à son obligation fiduciaire envers la bande en consentant à la cession de 1951, mais que la poursuite des Indiens était prescrite par application du délai de prescription de 6 ans et du délai de prescription final de 30 ans prévus dans la Limitation Act de la Colombie- Britannique. Les questions soulevées dans l'appel et l'appel incident étaient de savoir: 1) si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la Couronne avait manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers le bande lors de la cession de 1951; 2) si le juge de première instance a commis une erreur en omettant de conclure que la Couronne a manqué à son obligation fiduciaire après la cession (soit après 1951) et en appliquant à la cause d'action de la bande le délai de prescription final de 30 ans prévu à l'article 8 de la Limitation Act de la Colombie-Britannique; 3) si le juge de première instance a commis une erreur en omettant de conclure que de nouvelles causes d'action ont pris naissance sur la base de la fraude en equity, par suite du manquement à une obligation fiduciaire au cours des années postérieures à 1951; et 4) si le juge de première instance a commis une erreur en appliquant le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique et en omettant d'interrompre le délai conformément au paragraphe 6(3) de cette Loi.

Arrêt: l'appel doit être accueilli, l'appel incident doit être rejeté.

1) Les lois fédérales successives régissant les Indiens prévoyaient toutes que les terres des réserves indiennes ne pouvaient pas d'une façon générale être aliénées sauf si elles étaient cédées à la Couronne. L'exigence relative à la cession est à l'origine de l'obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne; elle vise à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. Il s'ensuit que la Couronne avait envers la bande l'obligation fiduciaire d'éviter de conclure un marché abusif lors de la cession de 1951. Bien que l'exigence législative relative aux cessions donne naissance à l'obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne, la Cour doit examiner la relation particulière qui existe entre la Couronne et la bande indienne en question afin de définir la nature et l'étendue de cette obligation. En l'espèce, la bande était particulièrement vulnérable à l'influence de la Couronne. L'accord de cession de 1951, examiné dans le contexte de la relation précise existant entre les parties, constituait un marché abusif. En 1951, et pendant les 40 ans qui ont suivi, la Couronne n'envisageait pas d'une façon précise la construction d'une installation douanière plus grande, auquel cas on aurait eu besoin des 22,408 acres des terres de réserve de la bande. Elle n'aurait pas dû consentir à la cession absolue sans d'abord du moins s'assurer que l'accord renfermait les clauses de protection appropriées, par exemple une clause de réversibilité, de façon qu'on porte le moins possible atteinte aux droits de la bande. En vertu de son obligation fiduciaire, la Couronne est tenue de refuser de consentir à la cession si l'opération est abusive ou si elle n'encourage pas la réalisation de fins publiques légitimes. En sa qualité de fiduciaire, la Couronne doit se conformer à une norme de conduite stricte. La bande devait se fonder, et elle s'est fondée, sur les déclarations de la Couronne selon lesquelles on avait besoin des terres aux fins des installations douanières. En omettant d'apaiser le sentiment d'impuissance qu'éprouvait la bande à l'égard du processus décisionnel, la Couronne a omis de protéger, dans la mesure requise, les intérêts de la bande. Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a conclu que la Couronne avait manqué à son obligation fiduciaire en consentant à la cession de 1951.

2) L'article 8 de la Limitation Act de la Colombie-Britannique, la loi provinciale pertinente, interdit toute action après l'expiration d'un délai de 30 ans. Par ailleurs, le paragraphe 3(4) prévoit un délai de prescription de 6 ans dans le cas d'une action qui n'est pas mentionnée dans la Loi, telles les réclamations fondées sur un manquement à une obligation fiduciaire. Quant au moment auquel le délai de prescription de 30 ans commence à courir, l'expression "droit de le faire" figurant à l'alinéa 8(1)c) de la Loi a été interprétée comme se rapportant à la date à laquelle la cause d'action a pris naissance indépendamment de la question de savoir si le demandeur a eu connaissance des faits importants. En l'espèce, le délai de prescription final de 30 ans s'applique de façon à écarter toute action pour laquelle l'événement ayant donné lieu au droit de faire valoir la cause d'action s'est produit avant le 3 juillet 1960. L'action des appelants, fondée sur le fait que la Couronne a manqué à son obligation fiduciaire lors de la cession de 1951, est donc prescrite en vertu de l'alinéa 8(1)c) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Toutefois, la Couronne avait, après la cession, l'obligation de corriger l'erreur commise lors de la cession initiale, et ce, aussi longtemps qu'elle exerçait un contrôle sur les terres. Même si l'obligation fiduciaire qui incombait à la Couronne après la cession peut être considérée comme continue tant que cette dernière conserve la propriété et le contrôle des terres, tout manquement à cette obligation doit pouvoir être situé à un moment précis. Conclure que le manquement à une obligation fiduciaire se poursuit tant que la Couronne conserve les terres cédées irait à l'encontre du but même des délais de prescription. En 1969, la Couronne a commis un deuxième manquement à son obligation fiduciaire lorsqu'elle a refusé de transférer de nouveau les terres cédées à la bande, malgré la résolution officielle que le conseil de la bande avait adoptée en faveur de pareille mesure. En 1969, Travaux publics ne prévoyait pas utiliser les terres dans un avenir raisonnablement rapproché, que ce soit aux fins de l'installation douanière ou à d'autres fins, mais les conservait simplement pour des raisons de commodité. Une action à l'égard de ce manquement à l'obligation fiduciaire n'est pas écartée par l'application du délai de prescription final de 30 ans prévu à l'alinéa 8(1)c) de la Limitation Act.

3) On ne peut affirmer que, chaque fois qu'elle a omis de répondre franchement à une demande de renseignements présentée par la bande, la Couronne a commis une nouvelle fraude en equity, laquelle donnait lieu à une nouvelle cause d'action. On ne peut pas examiner séparément la question de la fraude en equity et celle de l'application appropriée des délais de prescription. Interpréter chaque interaction entre la Couronne et la bande comme une fraude distincte créerait une réalité incohérente. La question de savoir à quel moment la bande aurait dû être en mesure d'invoquer une cause d'action exige l'application d'un critère objectif dans le contexte du paragraphe 6(3) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique.

4) Il s'agit de savoir si le paragraphe 6(3) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique doit s'appliquer de façon à interrompre le délai de prescription de 6 ans tant que la bande n'a pas pris connaissance des faits raisonnablement nécessaires pour fonder la cause d'action relative au deuxième manquement à l'obligation fiduciaire commis en 1969. L'alinéa 6(3)d) établit que le délai de prescription peut être interrompu lorsqu'il y a eu fraude ou tromperie, le terme fraude s'entendant non seulement d'une fraude en common law, mais aussi d'une fraude en equity. Cette dernière a été définie comme une "conduite qui, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre". Aucun élément de preuve précis ne laisse entendre que l'intention primordiale de la Couronne était d'induire la bande en erreur. Toutefois, pour qu'il y ait fraude en equity , la malhonnêteté ou un motif illégitime ne sont pas nécessaires; il suffit qu'une partie ait agi d'une façon fort peu scrupuleuse compte tenu de la relation qu'elle avait avec l'autre. Les représentants de la Couronne ont agi d'une façon fort peu scrupuleuse compte tenu de cette relation et la façon dont la Couronne a agi à l'endroit de la bande, en sa qualité de fiduciaire, constituait une fraude en equity. Le délai de prescription prévu au paragraphe 3(4) de la Loi devrait commencer à courir le 23 mai 1989, soit la date à laquelle le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a envoyé une lettre à la bande en y joignant une copie du rapport que les experts-conseils avaient préparé en 1988 au sujet de l'aménagement des terres cédées. C'est en recevant ce rapport qu'une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que la bande aurait intenté, contre la Couronne, une action fondée sur le manquement à son obligation fiduciaire. Le juge de première instance a commis une erreur en omettant de tenir compte du fait que le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique pouvait être interrompu en vertu du paragraphe 6(3) de cette Loi.

La fiducie par interprétation est l'un des moyens dont la Cour disposait pour réparer les manquements par la Couronne à son obligation fiduciaire; il s'agit d'une réparation en equity fondée sur l'enrichissement sans cause. Les trois éléments d'une demande fondée sur l'enrichissement sans cause ont été prouvés. Premièrement, l'intimée s'est enrichie sans cause. Elle n'a pas utilisé les terres cédées, mais elle en a conservé le titre de propriété pendant plus de 40 ans en violation de l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande. Il importe peu que la Couronne ait utilisé les terres d'une façon productive. Deuxièmement, la bande a été victime d'un appauvrissement correspondant, car elle a été privée de la possibilité d'aménager elle-même ces terres. Parce que la Couronne a tardé à agir, les terres cédées sont demeurées inutilisées et non aménagées pendant une période de 46 ans. Bien que la bande ait obtenu un montant correspondant à la valeur marchande des terres cédées en 1951, il est bon de se rappeler qu'elle n'aurait normalement pas cédé les terres. Troisièmement, il n'existe aucun motif juridique justifiant l'enrichissement de la Couronne. Selon le droit des fiducies, le fiduciaire doit se déposséder de tout avantage obtenu au détriment du bénéficiaire. Il faut accorder la restitution afin de réparer pleinement le préjudice que la Couronne a causé à la bande. La création d'une fiducie par interprétation est appropriée car elle remet à la bande un droit sur les terres cédées. Elle peut servir à la fois à reconnaître et à créer un droit de propriété. Étant donné que la restitution doit fondamentalement avoir pour effet de placer la bande dans la situation où elle se serait trouvée si la Couronne n'avait pas commis le deuxième manquement, en 1969, la fiducie par interprétation devrait s'appliquer à la totalité des 22,408 acres. En conférant à la bande un droit à titre bénéficiaire sur les terres cédées, la création d'une fiducie par interprétation permet à la bande de bénéficier de l'augmentation de valeur des terres cédées en tant que terres non aménagées. À titre de réparation, la Cour peut aussi accorder des dommages-intérêts en equity. L'approche appropriée en ce qui concerne les dommages-intérêts en equity pour un manquement à une obligation fiduciaire consiste à se fonder sur le principe de la restitution. Le montant des dommages-intérêts en equity devrait être calculé compte tenu de la présomption selon laquelle la bande aurait utilisé les terres de la façon la plus avantageuse possible pendant la période où la Couronne les détenait d'une façon illégitime. Par conséquent, la bande peut uniquement recouvrer des dommages-intérêts en equity, le cas échéant, depuis 1969 jusqu'à la date du jugement de cette Cour, ce montant devant être calculé de façon à assurer la pleine restitution.

lois et règlements

Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236, art. 3(2),(4), 6(3),(4),(5), 8 (mod. par S.B.C. 1994, ch. 8, art. 2).

Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, art. 48, 64.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 39(1).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 37 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 2), 38 (mod., idem), 39 (mod., idem, art. 3), 40 (mod., idem, art. 4), 41 (mod., idem).

Loi sur les Indiens, S.C. 1951, ch. 29, art. 37, 38.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 500, 1102(2).

jurisprudence

décisions suivies:

Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344; (1995), 130 D.L.R. (4th) 193; [1996] 2 C.N.L.R. 25; 190 N.R. 89; Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1.

décisions appliquées:

Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 20; [1988] 1 C.N.L.R. 73; (1987), 14 F.T.R. 161 (1re inst.); conf. par sub nom. Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1993] 3 C.F. 28; (1993), 100 D.L.R. (4th) 504; [1993] 2 C.N.L.R. 20; 151 N.R. 241 (C.A.); Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99; (1987), 42 D.L.R. (4th) 81; 42 C.C.L.T. 1; [1988] 1 C.N.L.R. 152; 78 N.R. 40; 23 O.A.C. 84; 9 R.F.L. (3d) 225; Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574; (1989), 69 O.R. (2d) 287; 61 D.L.R. (4th) 14; 26 C.P.R. (3d) 97; Bera v. Marr (1986), 27 D.L.R. (4th) 161; [1986] 3 W.W.R. 442; 1 B.C.L.R. (2d) 1; 37 C.C.L.T. 21 (C.A.); Kitchen v. Royal Air Forces Association, [1958] 2 All E.R. 249 (C.A.); Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; (1980), 117 D.L.R. (3d) 257; 8 E.T.R. 143; 34 N.R. 384; 19 R.F.L. (2d) 165.

décisions citées:

Bande indienne de Lower Kootenay c. Canada, [1992] 2 C.N.L.R. 54; (1991), 42 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.); Sterritt c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1989] 3 C.N.L.R. 198; (1989), 27 F.T.R. 47 (C.F. 1re inst.); Roberts c. Canada, [1995] A.C.F. no 1202 (1re inst.) (QL); R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; (1984), 10 D.L.R. (4th) 641; [1984] 5 W.W.R. 1; 29 C.C.L.T. 97; Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147; (1986), 75 N.S.R. (2d) 109; 31 D.L.R. (4th) 481; 186 A.P.R. 109; 34 B.L.R. 187; 37 C.C.L.T. 117; 42 R.P.C. 161; M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6; (1992), 96 D.L.R. (4th) 289; 14 C.C.L.T. (2d) 1; 142 N.R. 321; 57 O.A.C. 321; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377; (1994), 117 D.L.R. (4th) 161; [1994] 9 W.W.R. 609; 49 B.C.A.C. 1; 97 B.C.L.R. (2d) 1; 16 B.L.R. (2d) 1; 6 C.C.L.S. 1; 22 C.C.L.T. (2d) 1; 57 C.P.R. (3d) 1; 95 DTC 5135; 5 E.T.R. (2d) 1; 171 N.R. 245; 80 W.A.C. 1; Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd., [1976] 1 R.C.S. 267; (1975), 53 D.L.R. (3d) 748; 4 N.R. 1; Fales et autres c. Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302; (1976), 70 D.L.R. (3d) 257; [1976] 6 W.W.R. 10; 11 N.R. 48; Sisters of Charity of Rockingham v. The King (1922), 67 D.L.R. 209 (C.P.).

doctrine

Shorter Oxford English Dictionary, 3rd ed., Oxford: Clarendon Press, 1990, "unconscionable".

Todd, E. C. E. The Law of Expropriation and Compensation in Canada, 2nd ed. Toronto: Carswell, 1992.

Weinrib, E. "The Fiduciary Obligation" (1975), 25 U.T.L.J. 1.

APPEL et APPEL INCIDENT d'une décision de la Section de première instance ((1995), 128 D.L.R. (4th) 542; [1996] 1 C.N.L.R. 210; 101 F.T.R. 198) rejetant la requête en jugement sommaire des appelants. Appel accueilli, appel incident rejeté.

avocats:

Gary S. Snarch et Murray Braithwaite pour les appelants.

John R. Haig, c.r., pour l'intimée.

procureurs:

Snarch & Allen, Vancouver, pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge en chef Isaac: Il s'agit d'un appel du jugement par lequel la Section de première instance a rejeté, le 28 septembre 1995 [(1995), 128 D.L.R. (4th) 542], la requête que les appelants avaient présentée en vue d'obtenir un jugement sommaire. L'appel porte sur la nature et l'étendue de l'obligation fiduciaire traditionnelle que la Couronne du chef du Canada a envers les bandes indiennes en ce qui concerne la cession des terres d'une réserve, ainsi que sur l'application des délais de prescription prévus par la loi aux actions intentées par les bandes indiennes par suite du manquement à cette obligation.

LES FAITS

Les faits essentiels de la présente espèce, que le juge de première instance a en général établis à l'aide de la preuve documentaire figurant dans les dossiers de l'intimée, peuvent être résumés comme suit.

En 1889, l'intimée a désigné un terrain d'environ 382 acres situé en Colombie-Britannique comme terre de réserve (la réserve) à l'usage et au profit de la bande indienne de Semiahmoo (la bande) au sens de la Loi sur les Indiens1 et des textes législatifs qui ont précédé cette loi. La réserve est située juste au nord de la frontière internationale canado-américaine le long d'une nappe d'eau connue sous le nom de baie Semiahmoo.

En trois occasions au moins après la création de la réserve, l'intimée a "repris possession" d'une partie des terres de la réserve, soit une fois par voie d'expropriation2 et au moins deux autres fois en obtenant des cessions de la bande. En 1943, l'intimée a obtenu la cession absolue de 5,74 acres situées dans la réserve, terrain qui a par la suite été transféré à la province de la Colombie-Britannique pour être utilisé comme parc provincial3. En 1951, l'intimée a obtenu la cession absolue d'une autre parcelle de 22,408 acres située dans la réserve. C'est la cession de 1951 qui est ici en cause.

La cession de 1951

En 1949, le ministère des Travaux publics (Travaux publics) a commencé à envisager la possibilité d'agrandir les installations douanières du Canada au passage de la frontière de Douglas, qui était adjacent à la réserve. La configuration des routes dans le secteur n'était plus satisfaisante. La chose était en bonne partie attribuable au fait que la création du parc Peace Arch par la province de la Colombie- Britannique avait contribué à une augmentation importante de la circulation. En août 1949, on a fait des ouvertures à la bande en vue de voir si elle était prête à céder une partie de la réserve en vue de l'agrandissement de l'installation douanière. Toutefois, les résultats n'étaient pas concluants. Au moins deux membres de la bande auxquels une partie des terres en cause avaient été attribuées ont refusé de consentir à la cession à ce moment-là, en partie parce que le gouvernement n'avait pas fixé le prix d'achat qu'il était prêt à offrir.

À l'automne 1951, les représentants du gouvernement ont finalement fait une proposition à la bande et lui ont demandé de céder 22,408 acres. Dans les motifs de son jugement, le juge de première instance a conclu qu'"il n'était pas nécessaire d'obtenir sur le champ la totalité de ce terrain pour agrandir les installations douanières. La raison pour laquelle des terres excédentaires ont été acquises n'est pas tout à fait claire"4. Dans une communication interne datée du 12 juillet 1951 adressée à Travaux publics, on laisse entendre qu'au moins une petite partie des terres excédentaires a été acquise dans le but d'[traduction] "empêcher les pique-niqueurs d'accéder au parc international Peace Arch sans se présenter aux Douanes"5. Toutefois, le juge de première instance a supposé que Travaux publics avait peut-être demandé les terres excédentaires, lors de la cession de 1951, afin d'éviter d'avoir à acquérir plus tard une autre parcelle s'il s'avérait nécessaire d'agrandir de nouveau l'installation douanière6.

Le 3 novembre 1951, la bande a consenti à la cession absolue de 22,408 acres de terres situées dans la réserve (les terres cédées) pour la somme de 550 $ l'acre. La valeur des terrains n'a pas été déterminée avant que le prix final soit fixé. Le juge de première instance a conclu que la bande n'aurait "normalement" pas cédé le terrain, même si "elle avait pu le subdiviser pour que d'autres personnes l'occupent en vertu de baux à long terme"7. La bande a toujours su que l'intimée avait le droit d'exproprier les terres à des fins publiques si elle refusait de les céder.

La cession absolue a été acceptée par le gouverneur en conseil le 27 novembre 1951 par le décret C.P. 6346. L'intimée a affirmé, pour justifier la cession, que les terres seraient utilisées pour qu'on y construise une installation douanière plus grande. Depuis lors, l'intimée a conservé le titre de propriété des terres cédées, mais la plupart d'entre elles ne sont toujours pas utilisées aux fins des installations douanières ou à d'autres fins publiques.

Événements postérieurs à la cession de 1951

À maintes reprises après la cession, la bande a demandé à l'intimée de quelle façon elle entendait utiliser les terres cédées et si ces terres pouvaient lui être restituées en totalité ou en partie étant donné qu'on ne semblait pas en avoir besoin à des fins publiques. La première demande de renseignements présentée par la bande au sujet des terres cédées qui a été enregistrée a été faite en 1962, à la suite de l'offre qu'avait faite une compagnie privée en vue de louer environ deux à trois acres de ces terres à Travaux publics8. En apprenant que cette offre avait été faite, la bande a adopté, le 14 mai 1962, une résolution en vue de négocier la restitution de cette partie de la réserve pour le motif qu'elle [traduction] "n'a[vait] pas été mise en valeur et qu'on n'en a[vait] apparemment pas besoin"9. Toutefois, l'intimée a refusé de restituer les terres à la bande parce que, comme l'a dit le sous-ministre du Revenu national (le Revenu national), les fonctionnaires de la Direction des douanes [traduction] "prévoyaient agrandir leurs installations dans un avenir plus ou moins rapproché"10.

À partir de 1967, la bande a redoublé ses efforts en vue d'acquérir de nouveau les terres cédées, étant donné qu'on ne les mettait pas en valeur. Le 10 juillet 1967, la bande a adopté une résolution selon laquelle le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC)11 devait s'engager à préparer une étude en vue de déterminer quelle serait à long terme la meilleure utilisation des terres cédées12. Dans une note qui était jointe à la résolution, le chef Bernard Charles expliquait que la bande [traduction] "pren[ait] cette mesure uniquement dans l'espoir que, ce faisant, elle puisse plus facilement procéder à l'aménagement de la réserve de Semiahmoo prévu depuis si longtemps"13.

Par une lettre datée du 23 mai 1968, le chef Charles a de nouveau demandé des renseignements au sujet des retards qui s'étaient produits dans la publication de l'étude relative à l'utilisation des terres14. Environ six mois plus tard, la bande a reçu des plans préliminaires d'aménagement des terres cédées, lesquels prévoyaient la construction d'une marina. Dans une résolution datée du 5 décembre 1968, la bande a approuvé les plans préliminaires15.

La version finale d'un rapport d'expert-conseil concernant le plan d'aménagement a été envoyée à la bande le 8 avril 196916. En consultant le plan en question, les fonctionnaires du district indien du Fraser au MAINC se sont aperçus que les terres cédées ne seraient pas utilisées dans un avenir rapproché aux fins de l'agrandissement de l'installation douanière. Dans une note de service interne du MAINC, voici ce que disait un fonctionnaire: [traduction] "Étant donné tous les projets dans cette région, il semblerait opportun d'obtenir la restitution de cette propriété puisque les installations douanières de la région ne peuvent pas être agrandies dans un avenir rapproché17 ."

Ce sont ces événements qui ont amené la bande, en 1969, à adopter une résolution officielle par laquelle le conseil recommandait au MAINC de prendre des mesures immédiates en vue de reprendre, pour le compte de la bande, les 22,408 acres qui avaient été cédées en 195118. Les fonctionnaires du district indien du Fraser au MAINC souscrivaient à la position de la bande. Dans une note de service datée du 20 mai 1969, le superviseur du district, R. J. C. Ford, a recommandé au directeur de la région de la Colombie-Britannique et du Yukon au MAINC le rachat par le MAINC des terres cédées pour le compte de la bande parce que celles-ci n'avaient pas été mises en valeur et qu'il n'existait pas de projet précis en vue de leur aménagement dans un avenir rapproché19.

Le MAINC a présenté diverses demandes de renseignements à Travaux publics et à Revenu national afin d'essayer de donner suite à cette recommandation. Toutefois, Revenu national a refusé de céder les terres [traduction] "à cause des exigences relatives à l'agrandissement prévu" de son installation douanière, à Douglas (Colombie-Britannique)20 . Par une lettre datée du 2 juin 1969, J. A. MacDonald, qui était alors sous-ministre au MAINC, a écrit au sous-ministre de Travaux publics pour lui proposer de nouveau de restituer les terres à la bande. Dans cette lettre, M. MacDonald dit ceci: [traduction] "Il semble qu'on n'ait jamais procédé aux travaux d'agrandissement prévus il y a sept ans [en 1962] par les fonctionnaires de la Direction des douanes. Par conséquent, je me demande si votre ministère ne doit pas songer à prendre des dispositions en vue de transférer de nouveau les terres à la bande21 ."

On a répondu à cette demande additionnelle en disant principalement que l'étude relative à l'utilisation des terres était en cours et qu'aucune recommandation ne pouvait être faite tant que l'étude ne serait pas terminée22. Dans au moins une réponse, on laissait entendre que les terres pouvaient être en partie restituées à la bande et que l'étude relative à l'utilisation des terres indiquerait la superficie exacte des terres excédentaires qui pouvaient être cédées23.

Toutefois, le sous-ministre des Travaux publics s'est par la suite dédit. Travaux publics hésitait à autoriser le transfert des terres au MAINC à l'usage et au profit de la bande tant qu'il ne serait pas au courant des projets précis que la bande avait à l'égard des terres cédées. Dans une lettre datée du 29 avril 1971, le sous-ministre des Travaux publics disait à un sous-ministre adjoint au MAINC qu'étant donné que plusieurs centaines d'acres de terres de la réserve n'étaient toujours pas mises en valeur, il semblait [traduction] "inutile de les restituer [les terres cédées] simplement parce que le ministère du Revenu national ne les utilis[ait] pas". Le sous-ministre des Travaux publics a ensuite conclu qu' [traduction ] "il [était] raisonnable de proposer que le ministère des Travaux publics continue à exercer un contrôle sur les terres à moins que la bande indienne ne puisse clairement démontrer que celles-ci p[ouvaient] être utilisées d'une façon avantageuse"24.

Le changement qui est survenu au cours des négociations a suscité énormément de consternation parmi les membres de la bande. Néanmoins, à chaque occasion subséquente, les fonctionnaires de Revenu national et de Travaux publics ont répondu aux demandes de renseignements de la bande en disant qu'on avait besoin des terres cédées aux fins de l'agrandissement de l'installation douanière, à Douglas (Colombie-Britannique), dans un avenir rapproché, ou encore que la question de l'aménagement des terres était à l'étude.

Dans le dossier, il y a peu de lettres datant des années 1974 à 1987. Toutefois, en 1987, la bande a pour la première fois retenu les services d'un conseiller juridique. Cela a suscité des demandes de renseignements au sein du MAINC25. De son côté, le MAINC a écrit à Travaux publics pour l'informer qu'en 1971, on avait entrepris une étude sur l'utilisation des terres cédées, mais qu'aucun rapport n'avait encore été publié26. Le MAINC se demandait si les terres cédées inutilisées pouvaient être restituées à la bande.

Dans l'intervalle, des représentants du secteur privé et, entre autres, un club de navigation de plaisance local, avaient fait part à Travaux publics du vif intérêt qu'ils portaient aux terres cédées. Travaux publics a donc formé, en mars 1988, un groupe d'étude chargé d'examiner les "utilisations provisoires" possibles des terres cédées27 . Par une lettre datée du 7 juillet 1988, Travaux publics a informé le MAINC qu'à son avis, [traduction] "l'aliénation des terres [cédées] situées à cet endroit très stratégique ferait preuve d'un manque de clairvoyance". Dans la lettre, on disait également que Travaux publics avait [traduction ] "effectué une étude en vue de découvrir les utilisations provisoires compatibles possibles qui généreraient un revenu pendant que les terres [étaient] détenues"28.

En juillet 1988, le groupe d'étude de Travaux publics a retenu les services d'experts-conseils en vue de préparer une étude de marché et une analyse de l'emplacement relativement à environ huit acres de terres cédées. Une lettre datée du 12 juillet 1988 de Laventhol & Horwath, experts-conseils embauchés pour effectuer l'étude, montre que Travaux publics avait demandé l'étude en se fondant sur le fait qu'à ce moment-là, on n'envisageait aucune utilisation publique des terres cédées dans un avenir rapproché. La lettre dit notamment ceci:

[traduction] Nous croyons comprendre que Travaux publics Canada contrôle un emplacement d'environ huit acres près de la frontière canado-américaine, à White Rock (Colombie-Britannique). L'administration fédérale n'a pas besoin de cet emplacement dans un avenir rapproché et on songe maintenant à accorder un bail de 40 à 50 ans en vue de permettre son aménagement par le secteur privé.

Le ministère a examiné diverses utilisations possibles, mais il semble que l'aménagement des terres sous la forme d'un lieu de villégiature représente l'utilisation optimale des terres compte tenu de leur emplacement, de la nature de la tenure à bail et de l'accès. Pour mieux évaluer cette possibilité, vous nous avez demandé de vous aider, en notre qualité d'experts-conseils dans le domaine de l'hôtellerie et des lieux de villégiature, à préparer une étude de marché et une analyse de l'emplacement aux fins de pareille utilisation des terres29.

Par une lettre datée du 16 août 1988, le conseiller juridique de la bande a informé le MAINC que le chef Charles lui avait demandé de faire des recherches sur la situation juridique de la bande en vue de déterminer si celle-ci disposait d'un recours valide en droit à l'égard des terres cédées30.

Le 27 septembre 1988, les experts-conseils ont remis l'étude de marché et l'analyse de l'emplacement à Travaux publics. À peu près un mois plus tard, le 28 octobre 1988, une rencontre a eu lieu entre le chef Charles, le conseiller juridique de la bande et les représentants de Travaux publics et du MAINC. Lors de cette rencontre, Travaux publics a entre autres convenu de donner à la bande tout renseignement dont le Ministère disposait au sujet de la marina envisagée31. Toutefois, rien ne montre, dans le procès-verbal de la réunion, que Travaux publics ait mis le chef Charles ou le conseiller juridique de la bande au courant de l'étude des experts-conseils que Travaux publics avait reçue à l'égard des terres cédées.

Le 10 mai 1989, le conseiller juridique de la bande a de nouveau envoyé au MAINC une lettre dans laquelle il lui faisait part du fait qu'il s'inquiétait de ce qu'aucun des engagements pris par Travaux publics lors de la rencontre du 28 octobre 1988 n'avait été respecté32. En réponse, un fonctionnaire du MAINC a envoyé au conseiller juridique de la bande, avec une lettre d'accompagnement datée du 23 mai 1989, une copie du rapport des experts-conseils de 1988 sur l'aménagement prévu des terres cédées33.

Les auteurs du rapport de 1988 concluaient essentiellement que, compte tenu de l'étude de marché et de l'analyse de l'emplacement, la présence d'un lieu de villégiature comporterait énormément d'avantages et que la marina que l'International Yacht Club de White Rock se proposait d'aménager et à laquelle Travaux publics songeait faciliterait la création d'un lieu de villégiature. Selon le rapport, il n'y avait qu'un obstacle majeur, soit que le trafic quotidien, dans le couloir de circulation de la Burlington Northern Railway adjacent à la limite ouest de l'emplacement, avait pour effet de restreindre l'accès au secteur riverain et que ce trafic était une source de bruit. Les auteurs du rapport estimaient que le fait que presque toute la réserve indienne de Semiahmoo était dans son "état naturel" constituait un élément favorable aux fins de l'aménagement envisagé d'un lieu de villégiature.

Le 3 juillet 1990, les appelants ont déposé dans la présente action une déclaration dans laquelle ils alléguaient que l'intimée avait manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande lors de la cession de 1951. La bande alléguait que le prix payé pour les terres lors de la cession initiale était insuffisant et que l'intimée avait omis de protéger ses intérêts en consentant à une cession absolue (c'est-àdire sans clause de réversibilité) des terres cédées même si elle n'envisageait pas une utilisation des terres dans un avenir rapproché au moment où elle avait consenti, et avait encouragé la bande à consentir, à la cession de 1951.

Le 29 avril 1992, près de deux ans après le début du présent litige, les experts-conseils dont les services avaient été retenus par Travaux publics ont achevé leur étude sur le réaménagement du passage de frontière de Douglas; ils recommandaient que de gros travaux de réaménagement des installations douanières soient exécutés sur une partie des terres cédées. L'étude de 1992 avait été demandée et achevée compte tenu de l'hypothèse selon laquelle l'installation existante était inadéquate.

MOTIFS DU JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

Le juge de première instance a conclu qu'aucun élément de preuve n'étayait l'allégation des appelants selon laquelle le prix payé par l'intimée pour les terres cédées était inférieur à la valeur marchande des terres. Le juge a également conclu que l'accord de cession ne renfermait aucune condition expresse ou implicite stipulant que les terres cédées devaient être restituées à la bande si elles n'étaient pas utilisées aux fins de l'agrandissement de l'installation douanière. Le juge a néanmoins conclu que l'intimée avait manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande en consentant à la cession de 1951.

Le juge de première instance a statué qu'en sa qualité de fiduciaire, l'intimée était tenue d'assujettir la prise des terres de la réserve à une clause de réversibilité prévoyant que les terres seraient restituées à la bande si elles n'étaient pas utilisées aux fins publiques énoncées, ou de s'assurer, par quelque autre mécanisme, que la cession et l'utilisation des terres à des fins publiques portent le moins possible atteinte aux droits de la bande. Le juge de première instance a statué que l'intimée avait omis de respecter son obligation fiduciaire dans ce cas-ci parce qu'elle avait obtenu la cession sans avoir besoin, à ce moment-là, de toutes les terres, et qu'elle avait omis d'organiser la cession de façon à porter le moins possible atteinte aux droits de la bande. L'intimée avait plutôt acquis plus de terres qu'elle n'en avait besoin aux fins énoncées (soit l'agrandissement de l'installation douanière existante) et elle l'avait fait au moyen d'une cession absolue. Le juge de première instance a donc conclu que l'intimée avait manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande en consentant à la cession de 1951.

Toutefois, le juge de première instance a statué que la cause d'action de la bande à l'égard de ce manquement à l'obligation fiduciaire était prescrite par suite de l'application du délai de prescription de 6 ans et du délai de prescription final de 30 ans prévus dans la Limitation Act de la Colombie-Britannique34. Le juge de première instance a cité un certain nombre d'arrêts à l'appui de cette conclusion, mais elle ne les a pas analysés dans ces motifs de jugement35. Le juge de première instance a rejeté sans donner de motifs l'argument selon lequel, parce que l'intimée avait conservé la propriété et le contrôle des terres cédées, le manquement à l'obligation fiduciaire ne s'était pas simplement produit en 1951, mais constituait plutôt un "manquement continu" qui n'était pas visé par un délai de prescription. Le juge de première instance a également rejeté sans donner de motifs les arguments d'ordre constitutionnel invoqués par l'avocat de la bande.

QUESTIONS FAISANT L'OBJET DE L'APPEL ET DE L'APPEL INCIDENT

La bande appelante s'oppose à la conclusion que le juge de première instance a tirée, à savoir que la réclamation que la bande avait faite par suite du manquement à l'obligation fiduciaire est prescrite en vertu de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. L'intimée interjette un appel incident en se fondant sur le fait que le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu'elle avait manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande lors de la cession de 1951. Voici les questions qui font l'objet de l'appel et de l'appel incident:

(1) le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en concluant que l'intimée avait manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers le bande lors de la cession de 1951?

(2) le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en omettant de conclure que l'intimée avait manqué à son obligation fiduciaire après la cession (soit après 1951) et en appliquant à la cause d'action de la bande le délai de prescription final de 30 ans prévu à l'article 8 [mod. par S.B.C. 1994, ch. 8, art. 2] de la Limitation Act de la Colombie-Britannique?

(3) le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en omettant de conclure que de nouvelles causes d'action avaient pris naissance sur la base de la fraude en equity, par suite du manquement à une obligation fiduciaire commis au cours des années qui ont suivi l'année 1951?

(4) le juge de première instance a-t-elle commis une erreur en appliquant le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique et en omettant d'interrompre le délai conformément au paragraphe 6(3) de cette Loi?

(1) LE JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN CONCLUANT QUE L'INTIMÉE AVAIT MANQUÉ À L'OBLIGATION FIDUCIAIRE QU'ELLE AVAIT ENVERS LA BANDE LORS DE LA CESSION DE 1951?

Dans l'appel incident, l'intimée soutient que le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu'elle avait manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande en consentant à la cession de 1951. Dans l'arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)36, mieux connu sous le nom de l'arrêt Apsassin, la Cour suprême du Canada a analysé la nature de l'obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne à la lumière de l'exigence relative à la cession figurant dans la Loi sur les Indiens et dans les textes législatifs antérieurs. Le juge de première instance n'avait pas à sa disposition la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Apsassin lorsqu'elle a prononcé ses motifs. Néanmoins, j'estime que les motifs que le juge de première instance a prononcés sur ce point sont conformes au raisonnement de la Cour suprême.

Dans l'arrêt Apsassin, le juge McLachlin a utilisé un processus en deux temps afin de décider s'il existait une obligation fiduciaire avant la cession et, dans l'affirmative, de déterminer la nature et l'étendue de cette obligation. En premier lieu, les dispositions de la Loi sur les Indiens créaient-elles pareille obligation? En second lieu, compte tenu des décisions antérieures qui définissent les circonstances dans lesquelles une obligation fiduciaire prend naissance, les circonstances particulières de l'espèce donnaient-elles naissance à pareille obligation?

Dispositions de la Loi sur les Indiens concernant la cession

Les lois fédérales successives qui ont précédé la Loi sur les Indiens actuelle prévoyaient toutes que les terres des réserves indiennes ne pouvaient pas d'une façon générale être aliénées sauf si elles étaient cédées à la Couronne37. La Loi sur les Indiens de 195138, qui a été promulguée le 4 septembre 1951, est celle qui s'applique à la cession de 1951 puisque cette dernière a eu lieu en novembre 1951. Les articles 37 et 38 de cette Loi, soit les principales dispositions portant sur la cession, se lisent comme suit:

37. Sauf dispositions contraires de la présente loi, les terres dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa majesté par la bande à l'usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.

38. (1) Une bande peut abandonner à Sa Majesté tout droit ou intérêt de la bande et de ses membres dans une réserve.

(2) Une cession peut-être absolue ou restreinte, conditionnelle ou sans condition.

Selon les arrêts, l'exigence relative à la cession est à l'origine de l'obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne. Dans l'arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre39, le juge Dickson (tel était alors son titre) a dit ceci: "Cette exigence d'une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter40 ."

Dans l'arrêt Apsassin, Mme le juge McLachlin donne des précisions au sujet du mot "exploiter" employé par le juge Dickson dans l'arrêt Guerin , de façon à mieux définir l'étendue de l'obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne. Voici ce qu'elle dit:

Il s'ensuit que, en vertu de la Loi des Indiens, les bandes avaient le droit de décider si elles voulaient céder leur réserve, et que leur décision devait être respectée. Par ailleurs, si la décision de la bande concernée était imprudente ou inconsidérée"et équivalait à de l'exploitation"la Couronne pouvait refuser son consentement. Bref, l'obligation de la Couronne se limitait à prévenir les marchés abusifs41 . [Non souligné dans l'original.]

Si j'applique ici le raisonnement des arrêts Guerin et Apsassin, l'intimée avait envers la bande l'obligation fiduciaire d'éviter de conclure un marché abusif lors de la cession de 1951.

Le droit des obligations fiduciaires

Les ouvrages et arrêts portant sur les obligations fiduciaires établissent que les tribunaux doivent évaluer la relation particulière qui existe entre les parties afin de décider si elle donne lieu à une obligation fiduciaire et, dans l'affirmative, en vue de déterminer la nature et l'étendue de cette obligation42. Cette approche s'applique également dans le contexte de l'obligation fiduciaire qui existe envers les bandes indiennes qui cèdent des terres de réserve. À mon avis, l'exigence législative relative aux cessions donne naissance à l'obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne, mais la Cour doit examiner la relation particulière qui existe entre la Couronne et la bande indienne en question afin de définir la nature et l'étendue de cette obligation.

Dans l'arrêt Guerin, le juge Dickson cite l'explication donnée par le professeur Ernest Weinrib au sujet de l'origine des obligations fiduciaires: [traduction] "la marque distinctive d'un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l'une d'elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l'autre"43. Le juge Wilson, qui donnait des précisions au sujet de cette façon d'aborder la question des obligations fiduciaires dans l'arrêt Frame c. Smith, a proposé les indices suivants à l'égard des relations fiduciaires:

Les rapports dans lesquels une obligation fiduciaire a été imposée semblent posséder trois caractéristiques générales:

(1) le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire.

(2) le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire.

(3) le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire44.

Dans presque tous les cas où des terres de réserve sont en cause, la Couronne possède un pouvoir considérable sur les bandes indiennes touchées en vertu de l'exigence relative aux cessions. Toutefois, en l'espèce, la bande était particulièrement vulnérable. En effet, la preuve montre qu'il était déjà arrivé que des terres de la bande soient prises par voie d'expropriation et qu'avant la cession de 1951, Travaux publics envisageait d'obtenir les terres ici en cause au moyen de l'expropriation45. Il ressort clairement des motifs du juge de première instance que la latitude que la bande avait de consentir ou de refuser de consentir à la cession de 1951 était fortement influencée par le fait qu'elle savait que, quelle que soit sa décision sur la question de la cession, elle risquait de toute façon de perdre ses terres par voie d'expropriation.

C'est dans le contexte de ces conclusions que le juge de première instance a défini l'obligation fiduciaire qui incombait à l'intimée avant la cession, puis a conclu qu'il y avait eu manquement à cette obligation lors de la cession de 1951. Le juge de première instance a décrit la nature et l'étendue de l'obligation de l'intimée comme suit:

Lorsqu'on prend des terres de cette façon et qu'on ignore quel usage, si usage il y a, en sera fait, ou si les terres serviront à des fins gouvernementales, je crois que le fiduciaire se trouve dans l'obligation de subordonner la prise des terres à une clause de réversibilité, ou de s'assurer de quelque autre façon qu'on porte atteinte le moins possible aux droits des demandeurs. Je suis persuadée qu'il y a eu manquement à l'obligation fiduciaire envers les demandeurs46.

L'intimée a-t-elle manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait avant la cession?

Compte tenu des circonstances de l'espèce, je souscris à la façon dont le juge de première instance a qualifié l'obligation qui incombait à l'intimée avant la cession. Je souscris également à la conclusion du juge de première instance selon laquelle, compte tenu des faits, l'intimée a manqué à cette obligation lorsqu'elle a consenti à la cession de 1951. À mon avis, l'accord de cession de 1951, s'il est examiné dans le contexte de la relation précise qui existe entre les parties, constituait un marché abusif. On n'a pas tenté de rédiger ses conditions de façon à porter le moins possible atteinte aux droits de la bande et, par conséquent, l'intimée aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à refuser de consentir à la cession ou à s'assurer que la cession était assujettie à des restrictions ou à des conditions.

Le juge de première instance a conclu qu'en 1951, l'intimée n'envisageait pas d'une façon précise la construction d'une installation douanière plus grande dans un avenir rapproché, auquel cas on aurait eu besoin des 22,408 acres des terres de réserve de la bande. De fait, pendant plus de 40 ans, aucun plan d'aménagement n'a été préparé à l'égard des terres cédées. Ce n'est qu'après le début du présent litige que l'intimée a demandé qu'on fasse une étude, dans laquelle il a été recommandé de réaménager le passage de la frontière de Douglas. Le rapport rédigé à la suite de cette étude n'a été reçu qu'en 1992.

Le juge de première instance a également conclu que la capacité de la bande de consentir ou de refuser de consentir à la cession absolue, en 1951, était limitée du fait que celle-ci savait que l'intimée pouvait exproprier les terres. Dans ses motifs de jugement, le juge de première instance a dit ceci:

Il est important de souligner que la bande savait que la défenderesse, pendant toute la période en cause, avait le droit d'exproprier le terrain à des fins publiques si elle refusait de le céder. De plus, je suis d'accord avec la manière dont l'avocat des demandeurs a qualifié la preuve selon laquelle la bande n'aurait normalement pas cédé le terrain, même si elle avait pu le subdiviser pour que d'autres personnes l'occupent en vertu de baux à long terme47.

Compte tenu de ces conclusions, la prétention de l'intimée selon laquelle la bande a consenti à la cession absolue librement et en toute connaissance de cause sonne creux. À mon humble avis, en concluant que la bande avait cédé leurs terres à l'intimée et qu'elle "n'aurait normalement pas cédé" ces terres, le juge de première instance a conclu, en se fondant sur la preuve, que la bande estimait qu'il lui était impossible de prendre une autre décision. En d'autres termes, il s'agissait d'un marché abusif. C'est pourquoi l'intimée n'aurait pas dû consentir à la cession absolue sans d'abord du moins s'assurer que l'accord renfermait les clauses de protection appropriées, par exemple une clause de réversibilité, de façon qu'on porte le moins possible atteinte aux droits de la bande.

Je dois souligner qu'en vertu de son obligation fiduciaire, la Couronne est tenue de refuser de consentir à la cession si l'opération est abusive. Afin de satisfaire à cette obligation, la Couronne elle-même doit examiner avec soin l'opération envisagée afin de s'assurer qu'elle n'est pas abusive. En sa qualité de fiduciaire, la Couronne doit se conformer à une norme de conduite stricte. Même si l'on a besoin des terres en cause à des fins publiques, la Couronne ne peut pas s'acquitter de son obligation fiduciaire simplement en convainquant la bande d'accepter la cession, puis se fonder sur ce consentement pour se soustraire à la responsabilité qui lui incombe d'examiner avec soin l'opération. Pourtant, les conclusions de fait que le juge de première instance a tirées laissent entendre que c'est précisément ce que l'intimée a fait. Je remarque, par exemple que, dans la première phrase des motifs de son jugement, le juge dit ceci: "La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si la défenderesse a manqué à son obligation fiduciaire envers les demandeurs en encourageant (exigeant) la cession d'une partie de leur réserve." (Non souligné dans l'original.) En omettant d'apaiser le sentiment d'impuissance qu'éprouvait la bande à l'égard du processus décisionnel, l'intimée a omis de protéger, dans la mesure requise, les intérêts de la bande.

Même si le juge de première instance n'estimait pas que le prix de 550 $ l'acre que la bande avait obtenu était "en-deça de [la] valeur marchande" des terres, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu manquement à l'obligation fiduciaire. En décidant si elle a manqué à son obligation fiduciaire, il faut mettre l'accent sur la mesure dans laquelle l'intimée a protégé les intérêts de la bande tout en tenant compte de l'obligation qui lui incombait d'encourager la réalisation de fins publiques légitimes. Dans ce cas-ci, la bande ne voulait pas du tout céder les terres, mais elle estimait ne pas pouvoir faire autrement. L'intimée a consenti à une cession absolue afin d'obtenir le contrôle d'une superficie beaucoup plus grande que celle dont elle avait réellement besoin, et elle l'a fait sans qu'il existe de fins publiques énoncées en bonne et due forme. Pour ces motifs, je conclus que l'intimée a manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande lors de la cession de 1951 même si cette dernière a peut-être reçu, pour les terres cédées, une indemnité correspondant à peu près à leur valeur marchande.

La bande devait se fonder, et elle s'est fondée, sur les déclarations de l'intimée selon lesquelles on avait besoin des terres aux fins des installations douanières, ce qui laissait ainsi entendre qu'une cession absolue était nécessaire et que les intérêts de la bande étaient protégés le plus possible. Il est vrai que le libellé exprès de l'acte de cession ne montre pas qu'on acquérait les terres aux fins d'une installation douanière, mais un tribunal ne devrait pas limiter son analyse d'une façon aussi stricte. Les "conditions orales" d'une cession font partie de l'ensemble des circonstances qui permettent de décider si la Couronne a agi d'une façon déraisonnable. Comme l'a dit le juge Dickson dans l'arrêt Guerin , ces conditions "définissent et limitent la latitude dont jouissait Sa Majesté dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire"48.

Cela étant, je conclus que le juge de première instance n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a conclu que la Couronne avait manqué à son obligation fiduciaire en consentant à la cession de 1951. Le spectre de l'expropriation a clairement eu un effet défavorable sur la capacité de la bande de protéger ses propres intérêts lors des "négociations" qui ont abouti à la cession. La Couronne doit avoir une certaine latitude aux fins de la planification de l'utilisation des terres, lorsqu'elle cherche activement à obtenir la cession de terres indiennes à des fins publiques, mais elle doit veiller à porter le moins possible atteinte aux droits de la bande indienne touchée et notamment veiller à ce que la cession soit effectuée à des fins publiques en temps opportun . Dans ces conditions, la Couronne était clairement tenue de protéger la bande contre un marché abusif en refusant de consentir à une cession absolue qui comportait la prise de terres de réserve dont on n'avait pas besoin à des fins publiques dans un avenir rapproché. Par conséquent, je rejetterais l'appel incident.

(2) LE JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN OMETTANT DE CONCLURE QUE L'INTIMÉE AVAIT MANQUÉ À SON OBLIGATION FIDUCIAIRE APRÈS LA CESSION (SOIT APRÈS 1951), ET EN APPLIQUANT À LA CAUSE D'ACTION DE LA BANDE LE DÉLAI DE PRESCRIPTION FINAL DE 30 ANS PRÉVU À L'ARTICLE 8 DE LA LIMITATION ACT DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE?

Les appelants soutiennent que lorsque la Couronne "tire parti" d'une opération abusive, son obligation fiduciaire exige qu'on applique le critère de justification établi dans l'arrêt Sparrow49 en vue de décider si elle peut invoquer un délai de prescription. Compte tenu des conclusions que j'ai tirées au sujet des autres questions ici en cause, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'examiner cet argument d'ordre constitutionnel. À supposer, sans toutefois rendre de décision à cet égard, que la Limitation Act de la Colombie-Britannique s'applique aux actions que les peuples autochtones intentent contre la Couronne, il faut d'abord décider si l'intimée a manqué, après la cession, à une obligation fiduciaire à l'égard de laquelle l'action des appelants n'est pas prescrite compte tenu des délais de prescription prévus par cette Loi.

Le contexte législatif

Le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale50 assujettit les actions intentées devant la Cour fédérale du Canada aux délais de prescription qui s'appliquent dans la province où la cause d'action prend naissance. Cette disposition se lit comme suit:

39. (1) Sauf disposition contraire d'une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province.

Les terres cédées sont situées en ColombieBritannique et la cause d'action des appelants vise la restitution de ces terres. C'est donc la Limitation Act de la Colombie-Britannique qui s'applique. L'article 8 de cette Loi fixe le délai de prescription "final" général; toute action est prescrite après 30 ans. La disposition pertinente se lit comme suit:

[traduction]

8. (1) Sous réserve des paragraphes 3 (3) et (1.1), mais nonobstant la confirmation faite en application de l'article 5, ou l'interruption ou la suspension du délai en vertu de l'article 6 ou du paragraphe 11 (2) ou, dans le cas d'une personne qui n'est pas mineure, en vertu de l'article 7, aucune action à laquelle s'applique la présente loi ne doit être intentée

. . .

c) dans tout autre cas après l'expiration d'un délai de 30 ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris naissance.

Le paragraphe 3(2) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique prévoit un délai de prescription de 10 ans dans le cas d'une action pour abus de confiance, et le paragraphe 3(4) prévoit un délai de prescription de 6 ans dans le cas d'une action qui n'est pas mentionnée dans la Loi. La Loi ne prévoit aucun délai de prescription précis à l'égard des réclamations fondées sur un manquement à une obligation fiduciaire. C'est pourquoi, le juge Stone, J.C.A., a statué dans l'arrêt Apsassin, que le paragraphe 3(4) de la Loi s'appliquait dans le cas d'un manquement à une obligation fiduciaire se rapportant à l'aliénation de terres d'une réserve51, la Cour suprême ayant souscrit à cet avis52. Le paragraphe 3(4) se lit comme suit:

[traduction]

3. . . .

(4) Toute autre action non expressément prévue par la présente loi ou par une autre loi doit être intentée dans les 6 ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris naissance.

À quel moment le délai de prescription de 30 ans commence-t-il à courir?

En vertu de l'alinéa 8(1)c) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique, la date à laquelle le droit d'intenter une action a pris naissance est celle à laquelle le délai de prescription final commence à courir. Le paragraphe 6(3) prévoit expressément que les délais de prescription précis prévus par la Limitation Act de la Colombie-Britannique, comme le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4), ne commencent à courir qu'au moment où le demandeur prend connaissance des faits importants se rapportant à la cause d'action53. Toutefois, dans des arrêts comme les arrêts Bera v. Marr54 et Apsassin, il a été statué que le paragraphe 6(3) ne s'appliquait pas au délai de prescription final de 30 ans prévu à l'alinéa 8(1)c), c'est-à-dire que l'expression "droit de le faire" figurant à l'alinéa 8(1)c) a été interprétée comme se rapportant à la date à laquelle la cause d'action a pris naissance indépendamment de la question de savoir si le demandeur a eu connaissance des faits importants.

Dans l'arrêt Bera v. Marr, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a examiné l'effet réciproque qu'avaient l'un sur l'autre l'article 6 de la Limitation Act de la Colombie-Britannique et le délai de prescription final prévu à l'article 8. Voici ce que le juge Esson a dit au nom de la majorité des juges de la Cour d'appel:

[traduction] On peut invoquer d'importants motifs d'ordre public pour ne pas donner à l'expression date à laquelle le droit d'intenter une action a pris naissance un sens différent de celui que la Limitation Act lui confère. Ce serait porter atteinte à un régime législatif équilibré. Les articles 6 et 8 ont à l'évidence été conçus pour être appliqués en même temps que le par. 3(1) afin d'une part, de prévoir un recours contre l'injustice pouvant résulter de la méconnaissance de certains faits et d'autre part, de fournir une protection raisonnable contre les demandes périmées. Tous ces objectifs reposent sur l'expression "droit de l'intenter", soit la date de la naissance de la cause d'action indépendamment de la connaissance des faits55 .

Dans l'affaire Apsassin, le juge Addy a adopté, en première instance, cette position. Voici ce qu'il a dit: "même si l'effet des articles 6 et 7 est cumulatif, ces dispositions ne doivent pas être prises en considération dans le calcul du délai de trente ans mentionné au paragraphe (1). Par conséquent, ni l'incapacité ni la connaissance n'entrent en jeu dans la prescription finale de trente ans"56. Lorsque l'affaire a en dernier ressort été portée en appel devant la Cour suprême, le juge McLachlin a souscrit à l'approche que le juge Addy avait adoptée sur ce point, en disant qu'"[i]l est possible, dans certaines circonstances, de reporter le moment où commencent à courir les délais de prescription de 6 et 10 ans, mais non le délai général et final de 30 ans"57.

En l'espèce, les appelants se sont prévalus de leur cause d'action le 3 juillet 1990. Par conséquent, le délai de prescription final de 30 ans s'applique de façon à écarter toute action pour laquelle l'événement ayant donné lieu au droit de faire valoir la cause d'action s'est produit avant le 3 juillet 1960. L'action des appelants, fondée sur le fait que l'intimée a manqué à son obligation fiduciaire lors de la cession de 1951, est donc prescrite, en vertu de l'alinéa 8(1)c) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique, et de la disposition habilitante du paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Toutefois, les appelants allèguent que l'intimée a manqué à son obligation fiduciaire une autre fois au moins après la cession et que le deuxième manquement donnait lieu à une nouvelle cause d'action avant l'expiration du délai de prescription final de 30 ans.

L'affaire Apsassin

Les appelants se fondent sur la décision que la Cour suprême a rendue dans l'affaire Apsassin lorsqu'ils allèguent que l'omission de l'intimée de rectifier le manquement initial à son obligation fiduciaire, une fois qu'ils ont appris que cette dernière ne prévoyait pas utiliser les terres cédées dans un avenir raisonnablement rapproché, constituait un deuxième manquement à l'obligation fiduciaire, survenu avant l'expiration du délai de prescription de 30 ans. Je tire de l'affaire Apsassin les principes suivants en ce qui concerne les obligations fiduciaires qui incombaient à la Couronne après la cession:

(i) Le simple fait que la Couronne a omis de restituer les terres cédées à une bande indienne vivant dans la misère, situation qui n'a aucun rapport avec la cession des terres, ne veut pas dire qu'elle a manqué à son obligation fiduciaire58.

(ii) Le fait que la Loi sur les Indiens ne dit absolument rien au sujet de la modification des conditions d'une cession, de l'annulation d'une cession et d'une nouvelle cession ne veut pas dire que toutes les cessions sont permanentes et irrévocables59.

(iii) En sa qualité de fiduciaire, la Couronne a l'obligation d'agir avec le soin qu'un bon père de famille qui agit avec une diligence raisonnable apporte à l'administration de ses affaires60.

(iv) Même dans le contexte d'une cession absolue en vue de la vente, la Couronne a une obligation fiduciaire, après la cession, de protéger les intérêts de la bande indienne dans la mesure du possible, compte tenu des conditions de l'accord de cession. Par conséquent, dans la mesure où elle a le pouvoir, que ce soit en vertu des conditions de l'acte de cession ou de la Loi sur les Indiens, d'exercer un contrôle sur les terres cédées de façon à servir les intérêts de la bande, la Couronne a une obligation fiduciaire d'exercer ce pouvoir61.

(v) Plus particulièrement, la Couronne a, à titre de fiduciaire, l'obligation après la cession de corriger toute erreur commise dans les accords de cession ayant des répercussions défavorables sur la bande indienne62.

L'intimée soutient que l'arrêt Apsassin ne s'applique pas en l'espèce parce que, dans cette affaire-là, l'erreur de la Couronne commise par inadvertance a eu pour effet de priver la bande indienne d'un droit précis (c'est-à-dire d'un droit sur les minéraux), alors que, dans ce cas-ci, aucune erreur de ce genre n'a été commise. En l'espèce, l'opération était une cession absolue des terres et, en vertu de l'obligation fiduciaire qui lui incombait après la cession, l'intimée était uniquement tenue de s'assurer que le prix payé à la bande pour les terres cédées correspondait à peu près à leur valeur marchande. Je ne puis retenir cette prétention parce qu'elle ne tient pas compte de la nature du manquement initial à l'obligation fiduciaire auquel le juge de première instance a conclu. Par conséquent, l'intimée interprète d'une façon erronée la nature de son obligation d'amélioration. En vertu de cette obligation, elle devait s'assurer qu'en encourageant la réalisation des fins publiques énoncées, c'est-à-dire en acquérant les terres en vue d'agrandir l'installation douanière, on porte le moins possible atteinte au droits de la bande. Par conséquent, dans la mesure (comme l'a conclu le juge de première instance) où l'on a pris, lors de la cession absolue, une superficie plus grande que ce qui était nécessaire aux fins publiques énoncées, il s'agissait d'un marché abusif même si le prix payé était à peu près égal à la valeur marchande des terres. C'est d'autant plus le cas que, comme le juge de première instance l'a conclu, la bande n'aurait "normalement" pas vendu les terres, mais elle l'a fait uniquement parce que ses membres savaient parfaitement bien qu'il était réellement possible que les terres soient expropriées.

Dans l'affaire Apsassin, la Couronne avait commis une erreur, lors de la cession initiale, en omettant de réserver les droits miniers au profit de la bande indienne, en violation d'une politique gouvernementale de longue date. À mon avis, la Couronne a commis une erreur similaire en l'espèce en ce qui concerne la qualité ou l'étendue de la cession. Elle a obtenu une cession absolue bien que, compte tenu du fait qu'il n'était pas certain qu'on ait besoin des terres à des fins publiques, une cession conditionnelle ou restreinte eût suffi. Le résultat obtenu dans les deux cas était le même: la cession initiale ne portait pas le moins possible atteinte aux intérêts de la bande indienne touchée. J'estime donc qu'en l'espèce, comme dans l'affaire Apsassin, la Couronne avait, après la cession, l'obligation de corriger l'erreur commise lors de la cession initiale, et ce, aussi longtemps qu'elle exerçait un contrôle sur les terres.

Dans l'affaire Apsassin, la Cour suprême souligne que l'article 64 de la Loi sur les Indiens63 de 1927 confère au MAINC le pouvoir de corriger une erreur commise lors du transfert des terres cédées L'article 64 se lit comme suit:

64. Si le surintendant général s'est assuré qu'un acquéreur ou affermataire de terres indiennes, ou qu'un individu revendiquant du chef de ce dernier ou par son fait, s'est rendu coupable de fraude ou de supercherie, ou a enfreint quelqu'une des conditions de la vente ou de l'affermage, ou si quelque vente a été faite ou si quelque affermage a été accordé par méprise ou par erreur, il peut annuler cette vente ou cet affermage et reprendre possession de la terre y mentionnée, ou en disposer comme si cette vente ou cet affermage n'eût jamais eu lieu.

Il n'existe dans les lois qui ont remplacé cette loi aucune disposition similaire sur laquelle on puisse se fonder en l'espèce. Néanmoins, je ne considère pas l'absence de pareille disposition comme ayant pour effet de nier l'existence d'une obligation fiduciaire de la part de la Couronne, après la cession, d'agir dans l'intérêt de la bande indienne à l'égard des terres cédées, en particulier lorsque, comme c'est ici le cas, la Couronne possède et contrôle encore les terres. Comme le juge McLachlin l'a fait remarquer dans l'arrêt Apsassin: "Cette disposition conférait au MAI le pouvoir d'annuler le transfert de terres en cas d'erreur, même à l'égard d'acheteurs de bonne foi. Il n'est pas déraisonnable d'inférer que le législateur voulait que le MAI exerce ce pouvoir dans l'intérêt des Indiens64 ." Toutefois, cela ne veut pas dire qu'en l'absence d'une disposition de ce genre, la Couronne n'a pas, après la cession, une obligation fiduciaire envers la bande indienne touchée. L'obligation fiduciaire qui incombait à la Couronne après la cession n'était pas fondée sur l'article 64. Cette disposition autorisait simplement le MAINC à corriger les erreurs commises lors des transferts de terres cédées en faveur de tiers acheteurs. En l'espèce, la Couronne possède et contrôle encore les terres cédées, des terres qu'elle a obtenues en violation de l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande. Dans ces conditions, j'estime que la Couronne avait, après la cession, l'obligation fiduciaire de corriger le manquement initial. Il s'agissait d'une obligation incombant à la Couronne et non simplement au MAINC. Le fait que c'est le ministère des Travaux publics qui est en possession des terres cédées et non le MAINC ne veut pas dire que la Couronne a d'une façon quelconque été libérée de son obligation de corriger le manquement qu'elle a commis en consentant au marché abusif lors de l'accord de cession initial.

L'argument concernant le "manquement continu"

L'intimée soutient qu'en réalité, les appelants allèguent qu'elle a manqué d'une façon continue à son obligation fiduciaire initiale, c'est-à-dire qu'elle a omis de porter le moins possible atteinte aux droits de la bande lorsque celle-ci a consenti à une cession absolue en 1951. L'intimée soutient qu'après la cession, les représentants de la Couronne n'ont pas pris connaissance de faits nouveaux qui auraient dû les amener à conclure que la Couronne n'envisageait aucune utilisation des terres cédées dans un avenir raisonnablement rapproché.

À première vue, cet argument est intéressant. Cependant, pour les motifs ci-après énoncés, je conclus qu'il est fort peu convaincant. L'obligation fiduciaire qui incombait à l'intimée après la cession peut être considérée comme continue tant que cette dernière conserve la propriété et le contrôle des terres, mais j'estime que tout manquement à cette obligation doit pouvoir être situé à un moment précis65. Conclure que le manquement à une obligation fiduciaire se poursuit tant que la Couronne conserve les terres cédées irait à l'encontre du but même des délais de prescription. C'est pour cette raison que dans l'arrêt Apsassin et dans des arrêts antérieurs, la Cour suprême a utilisé un critère objectif pour évaluer le manquement à une obligation fiduciaire, c'est-à-dire qu'un manquement postérieur à l'obligation fiduciaire de la Couronne prend naissance, aux fins des délais de prescription, au moment où une personne raisonnable prendrait connaissance du manquement initial et exercerait son pouvoir de corriger la situation.

Toutefois, le juge de première instance a commis une erreur en mettant l'accent sur la question de savoir s'il pouvait y avoir un manquement continu à une obligation fiduciaire, plutôt qu'en situant dans le temps l'obligation fiduciaire que l'intimée avait, après la cession, envers la bande à l'égard des terres cédées et en se demandant s'il y avait eu manquement à cette obligation à un moment donné. À la page 547 de son jugement, voici ce que le juge a dit: "J'ai examiné la question de savoir si le fait que la Couronne ait conservé la pleine propriété des terres, au lieu de les transférer à une tierce partie, a un rapport avec la question de savoir si l'on peut dire qu'il y a eu manquement continu. Je suis arrivée à la conclusion que non66 ." Je souscris à l'avis selon lequel interpréter les mesures que l'intimée a prises dans ce cas-ci comme constituant un manquement continu à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande irait à l'encontre du but même des délais de prescription. Toutefois, en formulant ainsi son analyse, le juge de première instance a omis de tenir compte du fait que, conformément à la décision Apsassin , la Couronne avait, après la cession, l'obligation de protéger le plus possible les intérêts de la bande tant qu'elle conserverait la propriété et le contrôle des terres cédées. Il convient de décider si, après la cession, l'intimée a manqué à cette obligation continue à un moment donné, et non de se demander s'il y a eu un soi-disant "manquement continu".

Le deuxième manquement à l'obligation fiduciaire

Je conclus qu'en 1969, l'intimée a commis un deuxième manquement à son obligation fiduciaire lorsqu'elle a refusé de transférer de nouveau les terres cédées à la bande, malgré la résolution officielle que le conseil de la bande avait adoptée en faveur de pareille mesure (résolution qui a été adoptée après que la bande eut à maintes reprises demandé de quelle façon la Couronne entendait utiliser les terres). Le MAINC avait commis l'"erreur" initiale, lors de la cession de 1951, en supposant qu'on avait immédiatement besoin de toutes les terres cédées en vue de l'agrandissement de l'installation douanière, ce qui l'a amené à prendre des dispositions en vue d'une cession absolue. En 1969, dix-huit années s'étaient écoulées depuis la cession initiale; les terres n'avaient toujours pas été aménagées aux fins de l'agrandissement de l'installation douanière et pareil aménagement n'était pas envisagé. Néanmoins, l'intimée a répondu à la demande officielle que lui avait faite la bande en disant qu'on avait besoin des terres aux fins de "l'agrandissement futur des installations douanières". Cependant, aucun élément de preuve ne démontre l'existence d'un plan précis d'un tel agrandissement avant 1992, soit après que la présente action eut été intentée.

En 1969 au plus tard, le MAINC était au courant, ou aurait dû être au courant, des "faits importants" suivants: (i) la bande voulait que les terres lui soient remises aux fins du développement économique de la réserve si l'intimée n'allait pas les utiliser à des fins publiques. (Dès 1962, la bande a commencé à présenter des demandes de renseignements au sujet de la façon dont l'intimée entendait utiliser les terres cédées et de la possibilité d'acquérir de nouveau les terres excédentaires, en totalité ou en partie); (ii) des représentants du secteur privé avaient communiqué avec Travaux publics en vue d'acheter ou de louer une partie des terres cédées puisque l'intimée ne les aménageait pas; et (iii) Travaux publics n'avait pas en fait de projets précis en vue de l'aménagement des terres dans un avenir rapproché. À mon avis, en 1969, une personne raisonnable qui se serait trouvée dans la même situation que le MAINC se serait aperçue que Travaux publics ne prévoyait pas utiliser les terres dans un avenir raisonnablement rapproché (que ce soit aux fins de l'installation douanière ou à d'autres fins), mais que le Ministère les conservait simplement pour des raisons de commodité.

La correspondance interne du MAINC révèle qu'en 1969, ses représentants étaient en fait au courant de ces faits importants. La meilleure preuve, peut-être, de cette connaissance se trouve dans une note de service que le superviseur du district du Fraser au MAINC, R. J. C. Ford, a envoyée le 20 mai 1969 au directeur de la région de la Colombie-Britannique et du Yukon. Dans cette note, M. Ford recommande que le MAINC prenne des mesures, pour le compte de la bande, en vue de racheter les terres cédées à Travaux publics. Les motifs donnés à l'appui de cette recommandation sont particulièrement instructifs:

[traduction]

1) Une partie de la réserve indienne de Semiahmoo, d'une superficie de 22,408 acres, a été vendue au ministère des Travaux publics pour qu'un entrepôt des douanes canadiennes y soit construit.

2) Ce transfert de terres a été effectué en vertu du décret CP-6346 du 27 novembre 1951 et du décret CP-2643 du 6 mai 1952, au prix de 550 $ l'acre.

3) Ces terres n'ont pas encore été aménagées et nous ne pouvons pas obtenir de renseignements au sujet de la question de savoir si le secteur doit être aménagé ou à quel moment il le sera.

4) Étant donné que les terres n'ont pas été aménagées, la bande de Semiahmoo a demandé, au moyen [d'une résolution] du conseil de bande, que les terres lui soient restituées.

5) On a besoin de ce secteur, qui, à l'heure actuelle, est détenu par le ministère des Travaux publics, en vue de l'inclure dans le projet d'aménagement de la réserve indienne de Semiahmoo.

6) Ce district recommande que des mesures soient prises, pour le compte de la bande de Semiahmoo, en vue du rachat des terres susmentionnées67.

L'omission de l'intimée de transférer de nouveau à la bande une partie des terres cédées malgré la connaissance qu'elle avait, en 1969, de ces faits importants constituait un manquement à l'obligation fiduciaire qui lui incombait après la cession. La diligence raisonnable exigeait que l'intimée veille à corriger sa propre erreur commise en obtenant une cession absolue des terres cédées lorsqu'elle a pris connaissance des faits laissant entendre qu'une erreur avait été commise et que les terres en question pouvaient avoir une valeur pour la bande. Comme on l'a dit dans l'arrêt Bande indienne de Lower Kootenay c. Canada, "si la Couronne avait agi avec un tant soit peu d'empressement, la bande aurait pu bénéficier plus tôt de la résiliation d'un contrat qui se révélait être une mauvaise affaire pour elle"68. L'intimée a fait preuve de négligence dans l'exécution de son obligation fiduciaire en omettant de prendre des mesures d'amélioration efficaces à compter, au plus tard, de 1969.

Il importe de noter qu'adopter l'interprétation donnée par l'intimée à la décision que la Cour suprême a rendue dans l'affaire Apsassin aboutirait à un résultat illogique, soit que la Couronne avait, après la cession, l'obligation fiduciaire de corriger les erreurs qu'elle avait commises par inadvertance dans les accords de cession initiaux lorsqu'elle a pris connaissance de pareilles erreurs, mais qu'elle n'était pas tenue d'accorder une réparation lorsqu'elle a appris qu'un ministère gouvernemental s'était fait céder une quantité excessive de terres indiennes sans que la chose soit justifiée à des fins publiques.

Pour ces motifs, je conclus que l'intimée a de fait manqué une deuxième fois, en 1969, à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande et qu'une action à l'égard de ce manquement n'est pas écartée par l'application du délai de prescription final de 30 ans prévu à l'alinéa 8(1)c) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Toutefois, cette conclusion ne règle pas la question des délais de prescription parce que l'article 8 s'applique en plus du délai pertinent précis de la Limitation Act, et non à la place de ce délai. Par conséquent, je dois maintenant me demander si le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4) s'applique de façon à écarter la réclamation que la bande a faite à l'égard du deuxième manquement à l'obligation fiduciaire, commis en 1969.

(3) LE JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN OMETTANT DE CONCLURE QUE DE NOUVELLES CAUSES D'ACTION AVAIENT PRIS NAISSANCE, SUR LA BASE DE LA FRAUDE EN EQUITY, PAR SUITE DU MANQUEMENT À UNE OBLIGATION FIDUCIAIRE COMMIS AU COURS DES ANNÉES QUI ONT SUIVI L'ANNÉE 1951?

Comme il en a déjà été fait mention, à plusieurs reprises après la cession de 1951, l'intimée s'est vue obligée d'examiner les projets qu'elle avait à l'égard des terres cédées excédentaires par suite des demandes de renseignements que la bande et d'autres personnes avaient faites (en 1962, de 1968 à 1973 et en 1988). Les appelants ont soutenu que chaque fois que la question a été examinée, l'intimée n'envisageait aucune utilisation des terres cédées dans un avenir raisonnablement rapproché et que, par conséquent, rien ne permettait légitimement de les conserver. Toutefois, au lieu d'offrir de communiquer d'une façon franche tous les faits importants, l'intimée a omis de divulguer des renseignements importants à la bande. Les appelants soutiennent qu'après la cession, l'intimée avait une obligation continue d'informer la bande de tout renseignement concernant l'utilisation actuelle et future des terres cédées et que chaque cas de non- divulgation constituait une nouvelle cause d'action fondée sur la fraude en equity et la dissimulation délibérée.

Je n'accepte pas l'argument des appelants selon lequel chaque fois qu'elle a omis de répondre franchement à une demande de renseignements présentée par la bande, l'intimée a commis une nouvelle fraude en equity, laquelle donnait lieu à une nouvelle cause d'action. On ne peut pas examiner séparément la question de la fraude en equity et celle de l'application appropriée des délais de prescription. À mon avis, interpréter chaque interaction entre la Couronne et la bande comme une fraude distincte commise par la Couronne créerait une réalité incohérente. Il s'agit d'une tentative en vue de donner indirectement effet au concept du manquement continu à une obligation fiduciaire et de contourner complètement la question des délais de prescription. La question de la juste application des délais de prescription dans les circonstances de la présente espèce doit plutôt être examinée de front. Par conséquent, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre la Couronne et la bande et de la conduite de la Couronne, il s'agit de savoir à quel moment la bande aurait dû être en mesure d'invoquer une cause d'action. Il s'agit d'un critère objectif qui est particulièrement pertinent dans le contexte du paragraphe 6(3) de la Limitation Act de la ColombieBritannique.

(4) LE JUGE DE PREMIÈRE INSTANCE A-T-ELLE COMMIS UNE ERREUR EN APPLIQUANT LE DÉLAI DE PRESCRIPTION DE 6 ANS PRÉVU AU PARAGRAPHE 3(4) DE LA LIMITATION ACT DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE ET EN OMETTANT D'INTERROMPRE LE DÉLAI CONFORMÉMENT AU PARAGRAPHE 6(3) DE CETTE LOI?

Le délai de prescription pertinent précis qui s'applique aux actions que les bandes indiennes intentent contre la Couronne par suite d'un manquement à une obligation fiduciaire en Colombie- Britannique est le délai de 6 ans prévu au paragraphe 3(4) de la Limitation Act de cette province. Comme il en a déjà été fait mention, le deuxième manquement à l'obligation fiduciaire, en 1969, n'est pas écarté par le délai de prescription final de 30 ans. Il s'agit ici de savoir si le paragraphe 6(3) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique doit s'appliquer de façon à interrompre le délai de prescription de 6 ans tant que la bande n'a pas pris connaissance des faits raisonnablement nécessaires pour fonder la cause d'action relative au deuxième manquement69. Autrement dit, à quel moment le délai de prescription de 6 ans devrait-il commencer à courir? Devrait-il commencer à courir en 1969, auquel cas l'action que la bande a intentée à l'égard du deuxième manquement est prescrite? Ou, le paragraphe 6(3) devrait-il s'appliquer de façon à interrompre le délai de prescription de 6 ans parce que la conduite de l'intimée équivalait à une fraude en equity? Dans l'affirmative, pendant combien de temps le délai de prescription devrait-il être interrompu?

L'article 6 de la Limitation Act de la Colombie- Britannique

Je citerai d'abord les dispositions pertinentes de l'article 6 de la Limitation Act de la ColombieBritannique:

[traduction]

6. . . .

(3) Le délai de prescription fixé par la présente loi à l'égard d'une action concernant

. . .

d) une fraude ou une tromperie;

e) des faits importants se rapportant à la cause d'action qui ont délibérément été dissimulés;

. . .

ne commence à courir qu'au moment où il [le demandeur] connaît l'identité du défendeur et que les faits, qu'il est en mesure de connaître, sont tels qu'une personne raisonnable, connaissant ces faits et ayant reçu les conseils appropriés qu'une personne raisonnable aurait demandés à leur égard, estimerait qu'ils montrent:

i) qu'une action fondée sur la cause d'action aurait, si ce n'était de l'expiration du délai de prescription, des chances de succès raisonnables,

j) que la personne qui est en mesure de connaître les faits devrait, dans son propre intérêt et compte tenu des circonstances, être capable d'intenter une action.

(4)  Pour l'application du paragraphe (3),

a) "conseils appropriés", relativement à des faits, s'entend de conseils donnés par des personnes compétentes, ayant les qualités requises dans leurs champs respectifs de spécialité, pour donner des conseils de nature médicale, juridique ou autre;

b) "faits" comprend

(i) l'existence d'une obligation que le défendeur a envers le demandeur;

(ii) le fait qu'un manquement à une obligation a causé un préjudice, un dommage ou une perte au demandeur;

. . .

(5) La charge d'établir que le délai de prescription a été interrompu en vertu du paragraphe (3) incombe à la personne qui invoque l'interruption.

Compte tenu du paragraphe 6(5), les appelants ont la charge de prouver que le délai de prescription devrait être interrompu conformément au paragraphe 6(3). L'alinéa 6(3)d) établit que le délai de prescription peut être interrompu lorsqu'il y a eu fraude ou tromperie. Une interprétation de cette disposition fondée sur l'objet visé laisse entendre qu'elle s'applique non seulement à une fraude en common law, mais aussi à une fraude en equity.

La fraude en equity

La définition actuelle de la fraude en equity qui fait autorité est donnée dans la décision Kitchen v. Royal Air Forces Association. Voici cette définition: [traduction] "une conduite qui, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre70 ."

L'intimée soutient qu'en l'espèce, aucun élément de preuve ne permet de conclure que les représentants de la Couronne ont agi d'une façon "fort peu scrupuleuse". D'habitude, l'expression "fort peu scrupuleux" laisse entendre l'existence d'un seuil très élevé. Ainsi, dans le Shorter Oxford English Dictionary , on définit le mot "unconscionable" (fort peu scrupuleux) ainsi: [traduction ] "sans conscience; sans scrupules; rapace, dur, etc." Selon ce seuil, la conduite de l'intimée ne pourrait certainement pas être qualifiée de fort peu scrupuleuse. Toutefois, dans le contexte de la fraude en equity , la conduite de l'intimée doit être évaluée compte tenu de la relation spéciale qui existe entre la Couronne et la bande indienne de Semiahmoo.

Dans l'arrêt Guerin, le juge Dickson a examiné le concept de la fraude en equity dans le contexte de la relation fiduciaire qui existe entre la Couronne et une bande indienne et l'application de ce concept aux délais de prescription. Voici ce que le juge a dit:

Il est bien établi qu'en cas de dissimulation frauduleuse de l'existence d'une cause d'action, le délai de prescription ne commence à courir qu'à partir du moment où le demandeur découvre la fraude, ou du moment où, en faisant preuve de diligence raisonnable, il aurait dû la découvrir. Il n'est pas nécessaire que la dissimulation frauduleuse requise pour interrompre ou suspendre l'application de la loi constitue une tromperie ou une fraude de common law. Il suffit qu'il y ait fraude d'equity qui est définie, dans la décision Kitchen v. Royal Air Force Association, [1958] 1 W.L.R. 563, comme [traduction] "une conduite qui, compte tenu de la relation spéciale qui existe entre les parties concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre". Je partage l'avis du juge de première instance selon lequel la conduite de la direction des Affaires indiennes à l'égard de la bande équivaut à une fraude d'equity . Même si les fonctionnaires de la Direction n'ont pas agi de façon malhonnête ou blâmable en cachant à la bande les conditions du bail, j'estime néanmoins que leur conduite a été peu scrupuleuse, compte tenu du rapport fiduciaire qui existe entre la Direction et la bande71.

Dans l'arrêt Guerin, la Couronne avait commis une fraude en equity parce qu'elle n'avait pas divulgué à une bande indienne les conditions d'un bail se rapportant aux terres de celle-ci et qu'elle avait ainsi dissimulé l'existence de la cause d'action qu'avait la bande par suite du manquement à son obligation fiduciaire. Dans cette affaire-là, la bande avait une cause d'action parce que le bail que la Couronne avait négocié pour son compte était sous-évalué de beaucoup. Dans la présente espèce, la Couronne n'a pas dissimulé les conditions de la cession. La bande savait parfaitement bien qu'elle avait consenti à une cession absolue. Néanmoins, j'estime que la conduite de l'intimée, lorsqu'elle a traité avec la bande, à compter au plus tard du deuxième manquement à son obligation fiduciaire, en 1969, équivalait à une fraude en equity.

La bande a compté sur l'intimée pour lui fournir tous les renseignements qu'elle voulait obtenir après la cession au sujet de l'utilisation actuelle et future des terres cédées. Cependant, chaque fois qu'elle demandait des renseignements, les représentants de la Couronne négligeaient de lui faire franchement savoir qu'ils n'avaient pas de projet à l'égard des terres cédées. Ils ont plutôt chaque fois fait croire à la bande qu'ils avaient des projets précis relativement à l'utilisation des terres cédées ou que la question était à l'étude. Aucun élément de preuve précis ne laisse entendre que l'intention primordiale de l'intimée était d'induire la bande en erreur. Toutefois, pour qu'il y ait fraude en equity, il n'est pas nécessaire qu'on ait fait preuve de malhonnêteté ou qu'on ait eu un motif illégitime; il suffit que l'intimée ait agi d'une façon fort peu scrupuleuse compte tenu de la relation qu'elle avait avec la bande. En l'espèce, je conclus que les représentants de la Couronne ont agi d'une façon fort peu scrupuleuse compte tenu de cette relation et que la façon dont l'intimée a agi à l'endroit de la bande, en sa qualité de fiduciaire, constituait une fraude en equity.

À quel moment le délai de prescription de 6 ans devrait-il commencer à courir?

Je dois maintenant répondre à la question de savoir comment cette conclusion, à savoir qu'il y a eu fraude en equity, influe sur le délai de prescription de 6 ans fixé au paragraphe 3(4) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Il est opportun de citer de nouveau le passage pertinent du paragraphe 6(3):

[traduction]

6. (3) . . .

. . . ne commence à courir qu'au moment où il [le demandeur] connaît l'identité du défendeur et que les faits, qu'il est en mesure de connaître, sont tels qu'une personne raisonnable, connaissant ces faits et ayant reçu les conseils appropriés qu'une personne raisonnable aurait demandés à leur égard, estimerait qu'ils montrent:

i) qu'une action fondée sur la cause d'action aurait, si ce n'était de l'expiration du délai de prescription, des chances de succès raisonnables,

j) que la personne qui est en mesure de connaître les faits devrait, dans son propre intérêt et compte tenu des circonstances, être capable d'intenter une action.

Le paragraphe 6(3) établit un critère objectif au sujet du moment auquel la prescription commence à courir; compte tenu de sa connaissance des faits importants, à quel moment une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que la bande aurait-elle été en mesure d'intenter une action? Si j'applique ce critère, j'estime que le délai de prescription prévu au paragraphe 3(4) devrait commencer à courir le 23 mai 1989 ou vers cette date, soit la date à laquelle le MAINC a envoyé une lettre à la bande en y joignant une copie du rapport que les experts-conseils avaient préparé en 1988 au sujet de l'aménagement des terres cédées. La lettre et le rapport des experts-conseils ont été envoyés le 23 mai 1989 et il est à supposer que la bande les aurait normalement reçus quelques jours plus tard. C'est dans ce rapport qu'on disait clairement pour la première fois que l'intimée n'avait pas l'intention d'agrandir l'installation douanière dans un avenir rapproché. À mon avis, c'est en recevant ce rapport qu'une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que la bande et recevant des conseils appropriés aurait invoqué une cause d'action fondée sur le manquement par la Couronne à son obligation fiduciaire.

La bande a pour la première fois demandé la restitution des terres cédées en 1962. Toutefois, elle n'a demandé conseil à un avocat à ce sujet qu'en 198772 et ce n'est que lorsque la bande a reçu le rapport des experts-conseils, en 1989, que ses soupçons, à savoir que la Couronne n'avait pas besoin des terres cédées à des fins publiques dans un avenir rapproché, ont été confirmés. Il est possible de soutenir que l'intimée a toujours tardé à prendre une décision au sujet des terres cédées depuis 1962, et qu'une personne raisonnable aurait intenté une action en justice bien avant 1989. Toutefois, à mon avis, cette Cour doit, lorsqu'elle applique la norme de la personne raisonnable, tenir compte du fait que la bande dépendait de la Couronne et de la nature unique en son genre de la relation fiduciaire qui existe entre la Couronne et la bande. Pendant quatre décennies, l'intimée a toujours dit à la bande qu'on envisageait d'aménager les terres cédées dans un avenir rapproché ou qu'on était en train de faire des études en vue de déterminer l'utilisation optimale des terres. À quel moment une personne raisonnable aurait-elle cessé de croire la Couronne?

En concluant que le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4) ne doit commencer à courir que le 23 mai 1989 ou vers cette date, je conclus qu'il est important de tenir compte du fait que ce n'est depuis les quinze dernières années environ que les bandes indiennes peuvent faire preuve, à l'égard des droits qui leur sont reconnus en common law, du même degré de diligence que les autres citoyens ordinaires. Plus précisément, ce n'est que lorsque la Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire Guerin, en 1984, que les tribunaux ont clairement commencé à reconnaître l'existence d'une cause d'action fondée sur le manquement à l'obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne à l'égard des cessions de terres. C'est ce que la Cour suprême a dit dans l'arrêt Sparrow:

Pendant plusieurs années les droits des Indiens à leurs terres ancestrales"certainement à titre de droits reconnus en common law"ont été à toutes fins pratiques ignorés. Les arrêts de principe qui ont défini les droits des Indiens au début du siècle portaient sur des revendications étayées par la Proclamation royale ou d'autres documents juridiques et, même dans ces cas, les tribunaux étaient essentiellement intéressés à établir la compétence législative ou les droits des entreprises commerciales. Au cours des cinquante années qui ont suivi la publication de l'ouvrage de Clement, The Law of the Canadian Constitution (3e éd. 1916), on constate une absence quasi totale d'analyse des droits territoriaux des Indiens, et ce, même dans les ouvrages de doctrine. À la fin des années soixante, le gouvernement fédéral n'accordait même pas de valeur juridique aux revendications des autochtones. Ainsi, même si elle procédait d'une intention louable, La politique indienne du gouvernement du Canada (1969), contenait (à la p. 12) l'affirmation que "les droits aborigènes [. . .] sont tellement généraux qu'il n'est pas réaliste de les considérer comme des droits précis, susceptibles d'être réglés excepté par un ensemble de politiques et de mesures qui mettront fin aux injustices dont les Indiens ont souffert comme membres de la société canadienne"73.

La Cour suprême a en outre fait remarquer ceci: "Aussi récemment que dans l'affaire Guerin c. La Reine , [1984] 2 R.C.S. 335, le gouvernement fédéral a soutenu devant notre Cour que toute obligation fédérale était de nature politique74."

Conformément à l'alinéa 6(3)i) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique, le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4) ne commence à courir qu'au moment où le "demandeur raisonnable", après avoir reçu les conseils appropriés, estimerait que les faits dont il a connaissance donnent naissance à une cause d'action qui a "des chances de succès raisonnables". À mon avis, avant l'arrêt Guerin , on ne pouvait pas dire que le demandeur raisonnable aurait estimé que la cause d'action de la bande avait "des chances de succès raisonnables". Avant l'arrêt Guerin , la plupart des peuples autochtones croyaient que, lorsqu'ils avaient été traités d'une façon inéquitable relativement à la cession de terres, ils disposaient uniquement d'un recours de nature politique, c'est-à-dire qu'ils devaient obtenir une réparation en négociant avec la Couronne, ce qui est précisément ce que la bande a fait à maintes reprises au cours des quatre décennies qui ont suivi la cession de 1951. Ce n'est qu'en 1987, bien après que le jugement eut été rendu dans l'affaire Guerin, que la bande a demandé conseil à un avocat relativement aux terres cédées. Peu de temps après avoir reçu le rapport dans lequel les experts-conseils confirmaient ses soupçons, à savoir que l'intimée n'envisageait pas d'utiliser les terres cédées dans un avenir rapproché, la bande a fait valoir cette cause d'action.

Je conclus donc que le juge de première instance a commis une erreur en omettant de tenir compte du fait que le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique pouvait être interrompu en vertu du paragraphe 6(3). Le délai de prescription, en ce qui concerne le deuxième manquement à l'obligation fiduciaire qui incombait à la Couronne, devrait commencer à courir le 23 mai 1989 ou vers cette date, de sorte que la présente action (qui date du 3 juillet 1990) a été intentée bien avant l'expiration du délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4).

CONCLUSION

Pour les motifs susmentionnés, j'accueillerais l'appel et je rejetterais l'appel incident. Le manquement initial de l'intimée à son obligation fiduciaire, lorsqu'elle a consenti à l'accord de cession de 1951, est prescrit par l'application du délai de prescription final de 30 ans prévu à l'alinéa 8(1)c) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. Toutefois, je conclus que l'intimée a manqué une deuxième fois, en 1969, à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande, lorsqu'elle a omis de corriger le manquement initial, et que ce deuxième manquement n'est pas écarté par l'application du délai de prescription final de 30 ans ni par le délai de prescription de 6 ans prévu au paragraphe 3(4), lequel n'a commencé à courir que le 23 mai 1989 ou vers cette date.

RÉPARATION

Par une directive datée du 8 janvier 1997, la Cour a demandé aux parties de présenter des observations écrites additionnelles au sujet de la question de la réparation qu'elle devrait ordonner si elle concluait que l'intimée a de fait manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande, de façon à donner naissance à une cause d'action qui n'est pas prescrite. Les deux parties ont convenu, dans leurs observations écrites, que la Cour disposait de trois réparations principales afin de remédier à pareil manquement: (1) l'application d'une fiducie par interprétation; (2) l'octroi de dommages-intérêts en equity; ou (3) la reddition de comptes à l'égard des bénéfices (ou une combinaison des trois).

La fiducie par interprétation est une réparation en equity fondée sur l'enrichissement sans cause75. Les tribunaux ont été particulièrement prêts à avoir recours à la fiducie par interprétation dans les cas de manquement à une obligation fiduciaire, mais cette réparation n'est pas appropriée dans tous les cas de ce genre. Comme le juge La Forest l'a dit dans l'arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd.: "Le manquement aux obligations fiduciaires et les abus de confiance sont des torts pour lesquels la restitution est souvent une réparation appropriée. Cependant, les manquements à de telles obligations ne sont pas tous sanctionnés par la restitution fondée sur les profits réalisés par un défendeur aux dépens d'un demandeur"76.

Les arrêts ne disent pas clairement si, dans le cas d'un manquement à une obligation fiduciaire, il faut démontrer qu'il y a eu enrichissement sans cause afin de justifier la restitution, ou s'il suffit de démontrer que des dommages-intérêts ordinaires, déterminés selon les principes de la common law, ne permettraient pas d'indemniser le bénéficiaire d'une façon adéquate. Étant donné que, selon une règle fondamentale du droit des fiducies, le fiduciaire ne doit pas obtenir un avantage au détriment du bénéficiaire, il est possible de soutenir que la preuve selon laquelle le fiduciaire a tiré parti d'un manquement à son obligation constitue une preuve d'enrichissement sans cause. Toutefois, j'examinerai la question à fond et je me demanderai expressément si les éléments de l'enrichissement sans cause sont établis dans la présente espèce.

L'intimée a manqué à l'obligation de fiduciaire qu'elle avait envers la bande au moins deux fois; la première fois, en consentant à la cession initiale (la cause d'action y afférente étant prescrite) et, la seconde fois, en 1969, lorsqu'elle a omis de corriger son manquement initial en transférant de nouveau les terres cédées inutilisées à la bande (la cause d'action y afférente n'étant pas prescrite). Il s'agit en l'espèce de savoir si l'intimée a bénéficié d'un enrichissement sans cause par suite du dernier manquement.

Dans l'arrêt Pettkus c. Becker77, le juge Dickson a statué que trois éléments doivent être prouvés pour établir une demande fondée sur l'enrichissement sans cause: (1) l'enrichissement du défendeur; (2) l'appauvrissement correspondant du demandeur; (3) l'absence d'un motif juridique justifiant l'enrichissement. Depuis la cession initiale, l'intimée n'a rien fait des terres cédées. Peut-on dire que l'intimée s'est enrichie par suite du deuxième manquement qu'elle a commis à son obligation fiduciaire si les terres cédées n'ont pas été employées à des fins publiques (ou privées)? Il importe également de noter que le juge de première instance a conclu que la bande avait reçu pour les terres cédées un prix qui n'était pas inférieur à la valeur marchande. Si la bande a eu l'utilisation de ces fonds depuis lors, peut-on dire qu'elle a été victime d'un appauvrissement correspondant par suite de la perte des terres cédées? Malgré ces obstacles apparents, j'estime que l'intimée s'est enrichie sans cause.

L'intimée n'a pas utilisé les terres cédées, mais elle en a conservé le titre de propriété pendant plus de 40 ans en violation de l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande. En 1969, l'intimée a manqué à son obligation fiduciaire une autre fois parce qu'elle a refusé de désigner de nouveau les terres cédées comme faisant partie de la réserve de la bande, et ce, bien qu'elle ait reconnu ne pas avoir besoin de ces terres dans un avenir rapproché en vue de l'agrandissement des installations douanières à Douglas (Colombie-Britannique). L'intimée a reconnu la valeur stratégique des terres et a décidé de les conserver. En refusant de transférer de nouveau les terres cédées à la bande, l'intimée s'est enrichie puisqu'elle a conservé les terres de 1969 jusqu'à maintenant sans que le titre soit assujetti à une nouvelle désignation à titre de terres de la réserve. À mon avis, pour conclure à l'enrichissement, il n'est pas nécessaire de conclure en outre que l'intimée a utilisé les terres d'une façon productive, par exemple, en générant un bénéfice ou en les utilisant à des fins publiques.

Il est également clair que la bande a été victime d'un appauvrissement correspondant. Étant donné que l'intimée a omis de lui transférer de nouveau les terres cédées, la bande a été privée de la possibilité d'aménager elle-même ces terres. La bande a clairement fait savoir à l'intimée en 1969 (au plus tard) que, selon ses projets d'aménagement de la réserve, elle voulait que les terres cédées lui soient remises si ces dernières n'allaient pas être utilisées aux fins publiques énoncées. La bande a même offert de rembourser les sommes qu'elle avait obtenues lors de l'accord de cession initial. Toutefois, parce que l'intimée a tardé à agir, les terres cédées sont demeurées inutilisées et non aménagées depuis la date de la cession jusqu'à maintenant, soit une période de quarante-six ans. En outre, les terres cédées ont une valeur unique pour la bande et, par conséquent, le fait que la bande a obtenu un montant correspondant à la valeur marchande des terres (en tant que biens non aménagés) lors de l'accord de cession initial ne change rien à la conclusion selon laquelle elle a été victime d'un appauvrissement par suite de l'omission de l'intimée de lui transférer de nouveau les terres en 1969. La cause d'action se rapportant au manquement initial à l'obligation fiduciaire commis en 1951 est prescrite, mais il est bon de se rappeler (lorsqu'il s'agit de remédier au deuxième manquement) la conclusion du juge de première instance, à savoir que la bande n'aurait normalement pas cédé les terres78. La bande a peutêtre bien reçu une indemnité pécuniaire pour les terres cédées en 1951, mais elle voulait conserver ses terres, de sorte qu'il y a eu appauvrissement.

Il n'existe aucun motif juridique justifiant l'enrichissement de l'intimée. Selon une règle simple du droit des fiducies, le fiduciaire doit se déposséder de tout avantage obtenu au détriment du bénéficiaire79. Dans ce cas-ci, l'intimée a obtenu les terres cédées en violation de l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande. Il s'agit d'une obligation fiduciaire née d'un "engagement de la Couronne", et il incombe aux tribunaux de s'assurer que cette dernière le respecte. Dans ce cas-ci, il faut accorder la restitution afin de réparer pleinement le préjudice que l'intimée a causé à la bande.

En outre, il est bien établi que le droit des fiducies comporte un élément de dissuasion80. Dans ce cas-ci, une réparation sous forme de restitution indiquera à l'intimée qu'elle doit agir en tenant compte des intérêts de la bande touchée lorsqu'il s'agit de terres qu'elle a conservées après la cession. En d'autres termes, lorsque l'intimée conserve des terres qui ont été obtenues au moyen d'une cession, ses obligations fiduciaires ne prennent pas fin lorsque la bande "appose sa signature".

Une fois qu'il a été décidé que la restitution est la réparation appropriée, il faut déterminer en quoi consiste cette réparation sous forme de restitution. La fiducie par interprétation n'est que l'une des réparations sous forme de restitution dont un tribunal dispose, celui-ci pouvant également accorder des dommages-intérêts en equity. Comme l'a dit le juge La Forest dans l'arrêt Lac Minerals:

Même si, comme le Juge en chef le faisait observer à la p. 847 de l'arrêt Pettkus c. Becker, "Le principe de l'enrichissement sans cause est au cœur de la fiducie par interprétation", l'inverse n'est pas vrai. La fiducie par interprétation n'est pas au cœur du droit de la restitution. Il s'agit seulement d'une réparation parmi d'autres, et il n'y sera recouru que dans les circonstances appropriées81 .

Le juge La Forest ajoute qu'"il n'y a lieu de conférer une fiducie par interprétation qu'en présence d'un motif pour accorder au demandeur les droits supplémentaires découlant de la reconnaissance d'un droit de propriété"82. À mon avis, il convient en l'espèce de créer à l'égard des terres cédées une fiducie par interprétation en faveur de la bande. Le juge de première instance a conclu que l'intimée avait manqué à l'obligation fiduciaire qui lui incombait en vertu de l'accord de cession initial parce que, en obtenant une cession absolue d'une superficie plus grande que ce dont elle avait besoin aux fins publiques énoncées, elle avait omis de porter le moins possible atteinte aux droits de la bande. Le juge de première instance a également conclu que l'intimée avait pris des terres que la bande n'aurait normalement pas cédées. Ce manquement initial ne peut faire l'objet d'une action, mais l'intimée a en outre manqué à son obligation fiduciaire du fait qu'elle a omis de transférer de nouveau les terres à la bande, en 1969, lorsque les représentants de la Couronne se sont clairement aperçus qu'en fait, on n'avait pas besoin des terres à des fins publiques et que la bande voulait que celles-ci lui soient remises. En omettant de transférer de nouveau les terres cédées à la bande, l'intimée a entravé les efforts que cette dernière avait faits en vue de reprendre un bien précis et unique en son genre auquel, comme cette Cour l'a statué, elle avait par ailleurs droit. En créant une fiducie par interprétation, on fait simplement ce que l'intimée devait faire, en 1969, en vertu de son obligation fiduciaire; on remet à la bande l'intérêt que celle-ci possédait dans les terres cédées.

À mon avis, il est sans importance que certains tribunaux aient statué que l'intérêt que les bandes ont dans les terres d'une réserve, par exemple leur titre autochtone, constitue un droit personnel sui generis, plutôt qu'un véritable droit de propriété83. Comme le juge La Forest l'a dit dans l'arrêt Lac Minerals:

. . . il n'est pas exact qu'il faille limiter la fiducie par interprétation aux situations dans lesquelles il y a reconnaissance d'un droit de propriété. Ce serait cantonner la fiducie par interprétation dans sa fonction institutionnelle, et lui refuser la qualité de réparation, qui est son rôle le plus important. Ainsi donc, il n'y aura pas toujours un droit de propriété préexistant lorsque sera imposée la fiducie par interprétation. L'imposition de la fiducie par interprétation peut servir à la fois à reconnaître et à créer un droit de propriété84.

À cause des manquements de l'intimée à son obligation fiduciaire, la bande a perdu l'intérêt qu'elle avait dans les terres cédées, intérêt qu'elle n'a pas pu obtenir de nouveau. Compte tenu de la valeur unique en son genre que les Premières nations attribuent aux terres en général et aux terres cédées par la bande en particulier, une simple indemnité pécuniaire constituerait une réparation inadéquate à l'égard du manquement de l'intimée à son obligation fiduciaire, lequel peut faire l'objet d'une action85. À mon avis, il convient dans ces conditions de créer en faveur de la bande un droit à titre bénéficiaire sur les terres cédées au moyen d'une fiducie par interprétation.

L'aspect le plus litigieux de la réparation fondée sur la fiducie par interprétation, en l'espèce, se rapporte à la question de savoir si la fiducie doit s'appliquer aux terres cédées en totalité ou en partie et, dans ce dernier cas, à quelle partie. La bande sollicite une ordonnance déclarant que l'intimée détient en sa faveur la totalité des 22,408 acres dans le cadre d'une fiducie par interprétation. D'autre part, l'intimée soutient que seule la partie des terres dont on n'a pas besoin aux fins de l'agrandissement futur de l'installation douanière à la date du jugement de cette Cour doit être assujettie à la fiducie par interprétation.

Je ne suis pas prêt à retenir la prétention de l'intimée selon laquelle la fiducie par interprétation ne devrait s'appliquer qu'à la partie des terres cédées dont elle n'a pas besoin aux fins de l'agrandissement de l'installation douanière à la date du jugement de cette Cour. J'estime plutôt que la fiducie par interprétation devrait viser la partie des terres qui est demeurée inutilisée aux fins publiques énoncées à la date du deuxième manquement à l'obligation fiduciaire. En tirant cette conclusion, je souligne de nouveau que la fiducie par interprétation n'est pas fondée sur un droit de propriété préexistant, mais qu'elle constitue plutôt une réparation en equity qui a pour effet de créer un droit de propriété. En l'espèce, la restitution doit fondamentalement avoir pour effet de placer la bande dans la situation où elle se serait trouvée si l'intimée n'avait pas commis le deuxième manquement, en 1969. J'estime donc que la fiducie par interprétation devrait s'appliquer à la totalité des 22,408 acres. À mon avis, l'intimée n'a pas fourni de motifs convaincants en vue d'expliquer pourquoi cette réparation ne serait pas appropriée dans ce cas-ci.

Même si l'intimée avait raison de dire que la fiducie par interprétation ne devrait s'appliquer qu'à la partie des terres cédées dont on n'a pas besoin à la date du jugement de cette Cour aux fins de l'agrandissement de l'installation douanière dans un avenir rapproché, je ne suis pas prêt à retenir, compte tenu de la preuve dont je dispose, la prétention selon laquelle l'intimée a besoin, à l'heure actuelle ou dans un avenir rapproché, de la totalité ou d'une partie des terres cédées.

Pour justifier ses projets d'agrandissement, l'intimée a signalé une étude demandée en 1992 dans laquelle on recommande de gros travaux de réaménagement de l'installation douanière, à Douglas (Colombie-Britannique)86. L'étude relative au réaménagement du passage de la frontière de Douglas ne me convainc pas, et l'intimée n'a pas fourni d'autres éléments de preuve à l'appui de son assertion, qu'en fait, à l'heure actuelle ou dans un avenir rapproché, on a besoin des terres cédées à des fins publiques en vue  d'agrandir l'installation douanière, à Douglas (Colombie-Britannique). J'avance trois motifs à l'ap-pui de cette conclusion.

Premièrement, il importe de noter que l'étude relative au réaménagement du passage de la frontière de Douglas, ainsi que toute la correspondance s'y rapportant, fournie par l'intimée, sont postérieures au présent litige. En fait, l'examen de la correspondance révèle qu'elle résultait en bonne partie du présent litige87. Une note de service interne datée du 26 avril 1994 dit expressément que [traduction] "[l]'étude relative au réaménagement du passage de la frontière de Douglas de 1992 a été demandée et achevée compte tenu de l'hypothèse selon laquelle l'installation existante est inadéquate et ne peut pas répondre d'une façon appropriée au problème de la circulation existante" (je souligne)88 . L'intimée n'a pas fourni d'éléments de preuve tendant à montrer que cette hypothèse est exacte. En fait, l'étude de marché et l'analyse de l'emplacement de 1988 (qui étaient antérieures au litige) que Travaux publics avait demandées étaient fondées sur l'hypothèse contraire, à savoir qu'on n'avait pas besoin des terres cédées à des fins publiques dans un avenir rapproché (soit dans les 40 ou 50 années à venir). À la lumière de la preuve, je suis porté à croire que l'étude de 1988 correspond davantage à la situation réelle.

Deuxièmement, l'intimée n'a pas fourni d'explications au sujet de la raison pour laquelle on ne pouvait pas construire une installation douanière sur des terres assujetties à droit à titre bénéficiaire en faveur de la bande. Dans une note de service interne, un représentant de la Couronne a carrément affirmé qu'[traduction] "il n'[était] pas nécessaire que l'État fédéral soit propriétaire des terres sur lesquelles une boutique hors-taxe frontalière est située"89.

Enfin, même s'il existe maintenant un besoin public légitime de construire une nouvelle installation douanière, j'estime que le manquement que l'intimée a commis en 1969 justifie la création d'une fiducie par interprétation sur la totalité des terres cédées. Pendant plus de 40 ans, l'intimée n'a pas utilisé les terres. Si elle estime maintenant qu'il existe un besoin pressant d'avoir une nouvelle installation douanière sur les terres cédées, elle aurait dû entamer de véritables négociations avec la bande en vue de racheter, ou de louer, les terres dont elle a besoin. Le fait que l'intimée a tardé à agir à l'égard des terres cédées au cours des 40 dernières années ne devrait pas servir à entraver la création de ce qui constitue maintenant une réparation appropriée pour le manquement commis en 1969. Comme l'a dit le juge Wilson dans l'arrêt Lac Minerals: "En lui imposant une fiducie par interprétation, on s'assure également, bien entendu, que la partie fautive ne tire aucun avantage de sa faute. C'est là une considération importante en equity et un objectif qui pourrait ne pas être atteint par l'attribution de dommages-intérêts"90.

En conférant à la bande un droit à titre bénéficiaire sur les terres cédées, la création d'une fiducie par interprétation permet à la bande de bénéficier de l'augmentation de valeur des terres cédées en tant que terres non aménagées. Toutefois, il se peut que pareille fiducie ne donne pas lieu à une indemnité adéquate en l'espèce parce que, si elle avait pu conserver les terres cédées (c'est-à-dire si ce n'avait été des manquements de l'intimée à son obligation fiduciaire), la bande aurait peut-être réalisé un bénéfice beaucoup plus élevé en aménageant les terres. D'autre part, la Cour ne doit toutefois pas accorder une indemnité trop élevée à la bande. En accordant une réparation en l'espèce, elle doit donc également tenir compte du fait que la bande a reçu 550 $ l'acre pour les terres non aménagées dans le cadre de l'accord de cession de 1951. Ces deux questions méritent d'être étudiées plus à fond. Toutefois, cette Cour n'est pas l'endroit où il convient de régler ces questions.

La Section de première instance est mieux placée pour régler la question du montant des dommages-intérêts accordé en equity en sus de l'indemnité qui doit être versée en vertu de la fiducie par interprétation, le cas échéant, afin d'assurer la bande d'une pleine restitution, ainsi que la question du montant que la bande devrait rembourser à la Couronne par suite de l'indemnité qu'elle a reçue en vertu de l'accord de cession de 1951. Il s'agit de questions complexes à l'égard desquelles il faudra faire témoigner des experts. J'estime donc que cette Cour devrait ordonner un renvoi aux fins du règlement de ces deux questions conformément au paragraphe 1102(2) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663]. Le paragraphe 1102(2) et la partie pertinente de la Règle 500 des Règles se lisent comme suit:

Règle 1102. . . .

(2) Au lieu de recueillir ou compléter la preuve en vertu de l'alinéa (1), la Cour pourra prescrire un renvoi en vertu de la règle 500 comme si cette règle et les règles 501 à 507 étaient insérées dans la présente Partie dans la mesure où elles sont applicables.

Règle 500. (1) La Cour pourra, aux fins d'établir des comptes ou de faire des enquêtes, ou pour statuer sur un point ou une question de fait en litige, renvoyer toute matière devant un juge désigné par le juge en chef adjoint, ou devant un protonotaire ou toute autre personne que la Cour estime compétente en l'occurrence, pour enquête et rapport.

Il n'existe aucune formule parfaitement exacte permettant de calculer le montant des dommages- intérêts en equity qu'il faut accorder afin d'assurer la bande d'une pleine restitution dans ce cas-ci. Il s'agit plutôt d'une tâche à l'égard de laquelle nous pouvons uniquement demander à l'arbitre de faire de son mieux91. Cela dit, toutefois, il peut être utile de donner certaines lignes directrices à l'égard du montant des dommages-intérêts qu'il convient d'accorder en l'espèce.

Il est bien établi que l'approche appropriée en ce qui concerne les dommages-intérêts en equity accordés dans le cas d'un manquement à une obligation fiduciaire consiste à se fonder sur le principe de la restitution92. Les tribunaux ont toujours imposé aux fiduciaires en défaut et aux autres fiduciaires l'obligation d'effectuer la restitution, qui est "une obligation de nature plus absolue que l'obligation de common law de payer des dommages-intérêts pour un délit ou une inexécution de contrat"93. Comme l'a dit le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l'arrêt Fales et autres c. Canada Permanent Trust Co., le montant des dommages-intérêts doit correspondre "à la perte réelle que les actes ou omissions ont fait subir à la succession"94. On ne se demande pas si la perte subie par le demandeur découlait du manquement. Les questions de causalité, de prévisibilité et du caractère éloigné ne sont pas examinées. Il s'agit plutôt de savoir si une perte aurait été subie en l'absence d'un manquement. Si l'on applique cette approche en l'espèce, le montant des dommages-intérêts en equity devrait être calculé compte tenu de la présomption selon laquelle la bande aurait utilisé les terres de la façon la plus avantageuse possible pendant la période où la Couronne les détenait d'une façon illégitime. C'est l'approche que Mme le juge Wilson a recommandée dans l'arrêt Guerin, où elle a dit ceci:

La bande a ainsi été privée de ses terres et de toute utilisation qu'elle aurait pu vouloir en faire. Tout comme il faut présumer qu'un bénéficiaire aurait voulu vendre ses valeurs mobilières au meilleur prix possible pendant la période où le fiduciaire les détenait illégitimement (voir McNeil v. Fultz (1906), 38 R.C.S. 198) de même il faut présumer que la bande aurait voulu aménager ses terres de la façon la plus avantageuse possible pendant la période visée par le bail non autorisé. À cet égard aussi, les principes applicables à la détermination des dommages-intérêts pour le manquement à des obligations de fiduciaire doivent être différenciés de ceux applicables à la détermination des dommages-intérêts pour l'inexécution d'un contrat. En droit des contrats, la bande aurait dû prouver qu'elle aurait aménagé les terres; en equity, il y a présomption qu'elle l'aurait fait95 . . .

Toutefois, en calculant le montant des dommages-intérêts en equity, le juge désigné de la Section de première instance doit tenir compte en premier lieu du fait que la bande a déjà été indemnisée, du moins en partie au moyen de la création d'une fiducie par interprétation, à la suite du manquement de l'intimée à son obligation fiduciaire, lequel pouvait faire l'objet d'une action, et en second lieu du fait qu'il faut mettre l'accent sur la restitution en conséquence du manquement pouvant faire l'objet d'une action. En l'espèce, le manquement initial à l'obligation fiduciaire que l'intimée a commis en consentant à l'accord de cession de 1951 est prescrit par l'application du délai de prescription final de 30 ans. C'est le deuxième manquement, commis en 1969, qui peut donner lieu à une action et, par conséquent, c'est à l'égard de ce manquement que la Cour peut à juste titre accorder une réparation. Le deuxième manquement se rapporte au fait que l'intimée a omis de transférer de nouveau les terres cédées à la bande lorsque les représentants de la Couronne se sont clairement rendu compte que l'intimée avait obtenu par cession des terres dont elle n'avait pas réellement besoin à des fins publiques dans un avenir rapproché. Toute réparation doit découler de ce dernier manquement et non de la première cession illicite. Par conséquent, la bande peut uniquement recouvrer des dommages-intérêts en equity, le cas échéant, depuis 1969 jusqu'à la date du jugement de cette Cour. Le montant des dommages-intérêts correspond essentiellement à la valeur accrue dont les terres cédées auraient bénéficié si la bande les avait aménagées de la façon la plus avantageuse possible.

Afin d'assurer la pleine restitution, l'arbitre devra également décider si des dommages ont été causés au reste de la réserve entre 1969 et la date du jugement de cette Cour et, dans l'affirmative, il devra quantifier ces dommages. Ainsi, la perte des terres cédées a-t-elle eu pour effet de nuire à l'aménagement du reste de la réserve? En matière d'expropriation, le dommage causé au reste d'une propriété par suite d'une expropriation partielle peut donner lieu à une indemnité en vertu du principe de l'effet préjudiciable. Lorsque pareil dommage, également connu sous le nom de "dommage indirect", est subi, on reconnaît entre autres que [traduction ] "[s]i un bien-fonds est exproprié en partie seulement, la parcelle ou les parcelles de terrain qui restent peuvent avoir moins de valeur une fois qu'il y a disjonction. En l'espèce, il est possible de présenter une demande fondée sur "l'effet préjudiciable causé par la disjonction""96.

Le principe de l'effet préjudiciable découle de l'objectif primordial de l'indemnisation dans les cas d'expropriation, à savoir indemniser intégralement le propriétaire exproprié. Le recours fondé sur l'effet préjudiciable est prévu par la loi dans le cas d'une expropriation partielle par la Couronne97. Il ne s'applique donc pas strictement en l'espèce. Toutefois, étant donné que l'indemnisation, en matière d'expropriation, a le même objectif que la réparation sous forme de restitution dans une action fondée sur le manquement de la Couronne à une obligation fiduciaire dans le contexte de la cession d'une terre, cette question devrait entrer en ligne de compte dans le calcul des dommages-intérêts en equity.

J'estime également qu'il ne convient pas en l'espèce d'ordonner la comptabilisation des bénéfices à la place des dommages-intérêts en equity. Les manquements de l'intimée à son obligation fiduciaire n'étaient pas attribuables au fait qu'elle avait réalisé un bénéfice en obtenant la cession d'une partie de la réserve de la bande. Ses manquements découlaient plutôt précisément du contraire. L'intimée a obtenu les terres cédées afin de répondre à un besoin public énoncé, soit l'agrandissement d'une installation douanière, mais elle n'a rien fait sur les terres depuis lors. La bande a donc été privée non seulement de ses terres, mais aussi du stimulant économique qui aurait accompagné leur aménagement. En l'espèce, une réparation fondée sur la remise des bénéfices plutôt que sur des dommages-intérêts en equity aurait pour effet de punir la bande pour l'omission de l'intimée d'utiliser les terres.

Enfin, l'arbitre devra déterminer la valeur de l'indemnité reçue par la bande en vertu de l'accord de cession de 1951, compte tenu des intérêts composés jusqu'à la date du jugement de cette Cour. Ce montant aura pour effet de réduire l'indemnité pécuniaire nette que la Couronne doit verser à la bande, en sus du droit à titre bénéficiaire créé par la fiducie par interprétation en faveur de la bande. Subsidiairement, si le montant de l'indemnité que la bande a reçue en 1951, plus les intérêts, est plus élevé que le montant des dommages-intérêts en equity, la bande devra rembourser le montant net à l'intimée.

En faisant ces calculs, l'arbitre doit tenir compte de l'objectif primordial de la réparation accordée en l'espèce, soit essayer de placer la bande, dans la mesure du possible, dans la situation où elle se serait trouvée si ce n'avait été du manquement à l'obligation fiduciaire pouvant faire l'objet d'une action, commis en 1969, lorsque la Couronne a omis de transférer de nouveau à la bande les terres cédées.

Compte tenu de l'examen que j'ai fait en l'espèce au sujet de la réparation à accorder, je trancherais l'appel et l'appel incident de la façon suivante. J'ordonnerais que l'appel soit accueilli et l'appel incident rejeté; je déclarerais que l'intimée détient les terres cédées à titre de fiduciaire par interprétation en faveur de la bande; j'ordonnerais que les terres soient restituées de façon à faire partie de la réserve de la bande; et j'ordonnerais qu'un renvoi ait lieu devant la Section de première instance, conformément au paragraphe 1102(2) des Règles de la Cour fédérale, en vue de déterminer: (i) le montant des dommages-intérêts en equity, le cas échéant, qui doit être accordé à la bande à titre d'indemnité, en sus du droit à titre bénéficiaire que celle-ci possède sur les terres cédées par suite de la création de la fiducie par interprétation susmentionnée, ce montant devant être calculé de façon à assurer la bande d'une pleine restitution conformément aux principes énoncés dans ces motifs; et (ii) le montant que la bande doit rembourser par suite de l'indemnité qu'elle a reçue en vertu de l'accord de cession de 1951, compte tenu des intérêts composés jusqu'à la date du jugement de cette Cour. Les appelants auront droit aux frais et dépens qu'ils ont engagés en appel et en première instance, ainsi qu'aux frais et dépens se rapportant au renvoi devant la Section de première instance.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris à cet avis.

Le juge suppléant Gray: Je souscris à cet avis.

1 L.R.C. (1985), ch. I-5, dans sa forme modifiée (la Loi sur les Indiens).

2 La preuve montre que, le 6 juin 1928 ou vers cette date, la Couronne a exproprié 15,78 acres qui faisaient auparavant partie de la réserve. Le procès-verbal du décret du gouverneur en conseil C.P. 949 du 6 juin 1928 fait foi de l'approbation, en vertu de l'art. 48 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, ch. 98, du transfert en faveur de Travaux publics, sans le consentement de la bande, de 15,78 acres de terres autrefois désignées comme faisant partie de la réserve. En fin de compte, Travaux publics n'a pas eu besoin des terres de sorte que, par le décret C.P. 318 du 10 février 1936, ces dernières ont été transférées à la province de la ColombieBritannique. Dossier conjoint, vol. 1, aux p. 33, 34, 72, 77, 80 et 82.

3 Les 5,74 acres ont été transférés à la province de la Colombie-Britannique par le décret C.P. 5988 du 28 juillet 1943. Dossier conjoint, vol. 1, aux p. 34 et 86.

4 (1995), 128 D.L.R. (4th) 542 (C.F. 1re inst.), à la p. 544.

5 Lettre du 12 juillet 1951 du chef, Aménagement, Travaux publics, à l'architecte en chef, Travaux publics. Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 111.

6 Précité, note 4, à la p. 544.

7 Ibid.

8 Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 153.

9 Résolution du conseil de la bande du 14 mai 1962. Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 155.

10 Lettre du 11 juillet 1962 de H. A. Young, sous-ministre du Revenu national, à G. F. Davidson, sous-ministre au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration. Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 163.

11 Pour plus de commodité, j'appellerai le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et ses successeurs le "MAINC".

12 Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 177.

13 Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 178.

14 Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 179.

15 Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 182.

16 Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 187.

17 Note de service du 8 avril 1969 de R. J. C. Ford, superviseur du district indien du Fraser, à A. E. Stubbe. Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 188.

18 Résolution du conseil de la bande, 987/30-21. Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 193.

19 Note de service du 20 mai 1969 de R. J. C. Ford, superviseur du district du Fraser au MAINC au directeur de la région de la Colombie-Britannique et du Yukon. Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 192.

20 Lettre du 8 mai 1969 de W. A. Mills, chef régional, Opérations douanières, Revenu national, à W. W. Ryan, directeur de district, Travaux publics. Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 191. Voir également la lettre du 30 mai 1969 de A. W. Walkley, directeur, Opération, Travaux publics, à J. V. Boys, directeur de la région de la Colombie-Britannique et du Yukon au MAINC. Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 197.

21 Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 199.

22 Voir la correspondance versée dans le dossier conjoint, vol. 2, aux p. 215 et 216.

23 Lettre du 3 novembre 1970 de J. A. MacDonald, maintenant sous-ministre, Travaux publics, à J. B. Bergevin, sous-ministre adjoint au MAINC. Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 212.

24 Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 217.

25 Dossier conjoint, vol. 2, aux p. 242 à 248.

26 Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 249.

27 Dossier conjoint, vol. 2, aux p. 251 à 256.

28 Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 259.

29 Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 260.

30 Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 267.

31 Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 311.

32 Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 319.

33 Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 320.

34 R.S.B.C. 1979, ch. 236 (la Limitation Act de la Colombie-Britannique).

35 Le juge de première instance cite: Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3. C.F. 20 (1re inst.); conf. [1993] 3 C.F. 28 (C.A.); Lower Kootenay Indian Band c. Canada, [1992] 2 C.N.L.R. 54 (C.F. 1re inst.); Sterritt v. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1989] 3 C.N.L.R. 198 (C.F. 1re inst.); et Roberts c. Canada, [1995] A.C.F. no 1202 (1re inst.) (QL), aux p. 146 à 199.

36 ;Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344 (affaire Apsassin (C.S.C.)).

37 Art. 37 à 41 de la Loi sur les Indiens [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 2, 3, 4] actuelle.

38 S.C. 1951, ch. 29.

39 [1984] 2 R.C.S. 335 (ci-après Guerin).

40 Ibid., à la p. 383.

41 Apsassin (C.S.C.), précité, note 36, à la p. 371.

42 Voir par exemple Apsassin (C.S.C.), précité, note 36; Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99; Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574.

43 E. Weinrib, "The Fiduciary Obligation" (1975), 25 U.T.L.J. 1, à la p. 7, cité par le juge Dickson dans Guerin, précité, note 39, à la p. 384.

44 Frame c. Smith, précité, note 42, à la p. 136.

45 Voir la correspondance qui a été versée dans le dossier conjoint, vol. 1, aux p. 106 à 111.

46 Précité, note 4, à la p. 547.

47 Précité, note 4, à la p. 544.

48 Guerin, précité, note 39, à la p. 388. Les remarques que le juge Gonthier a faites dans Apsassin (C.S.C.), précité, note 36, aux p. 358 et 359, sont également intéressantes: "À mon avis, dans l'examen des effets juridiques des opérations conclues par les peuples autochtones et la Couronne relativement à des terres faisant partie de réserves, il ne faut pas oublier que, compte tenu du caractère sui generis du titre autochtone, les tribunaux doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law afin de donner effet à l'objet véritable de ces opérations." Voir également Bande indienne de Lower Kootenay c. Canada , précité, note 35.

49 ;R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 (Sparrow).

50 L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi sur la Cour fédérale).

51 ;Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1993] 3 C.F. 28 (C.A.), à la p. 138 (Apsassin (C.A.F.)).

52 Apsassin (C.S.C.), précité, note 36, à la p. 407 (juge McLachlin).

53 L'art. 6(3) consacre en fait la règle de common law de la possibilité de découvrir le préjudice subi telle qu'elle a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans des arrêts tels que Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147; et M.(K.) c. M.(H.), [1992] 3 R.C.S. 6.

54 (1986), 27 D.L.R. (4th) 161 (C.A.C.-B.).

55 Id., à la p. 186.

56 ;Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 20 (1re inst.), à la p. 84 (affaire Apsassin (C.F. 1re inst.)).

57 Apsassin (C.S.C.), précité, note 36, à la p. 402. Voir également Bande indienne de Lower Kootenay c. Canada, précité, note 35.

58 Apsassin (C.S.C.), précité, note 36, à la p. 380.

59 Id., à la p. 357 (juge Gonthier) ainsi qu'aux p. 389 et 390 (juge McLachlin).

60 Id., à la p. 366 (juge Gonthier) et à la p. 401 (juge McLachlin).

61 Id., à la p. 405.

62 Id., à la p. 366.

63 S.R.C. 1927, ch. 98.

64 Apsassin (C.S.C.), précité, note 36, à la p. 405.

65 Roberts c. Canada, précité, note 35, aux p. 146 à 199 de QL; dans Bande indienne de Lower Kootenay, précité, note 35, la Section de première instance de la Cour fédérale a également rejeté l'argument selon lequel une cause d'action "continue" permet de contourner un moyen de défense fondé sur la prescription.

66 Précité, note 4, à la p. 547.

67 Note de service du 20 mai 1969 de R. J. C. Ford, superviseur du district du Fraser au MAINC, au directeur de la région de la Colombie-Britannique et du Yukon. Dossier conjoint, vol. 1, à la p. 192.

68 Précité, note 35, à la p. 108.

69 Dans leurs arguments, les appelants se fondent sur l'art. 6(1)b) et sur l'art. 6(3). En ce qui concerne l'art. 6(1)b), ils ont tort. L'art. 6(1)b) se rapporte à l'interruption du délai de prescription applicable à une action en recouvrement de biens détenus en fiducie intentée par un bénéficiaire. La relation fiduciaire qui existe entre la Couronne et la bande indienne ressemble à une fiducie, mais elle est de nature sui generis et elle ne peut pas réellement être visée par une disposition portant sur les fiducies. Les autorités ont clairement dit que l'art. 3(2) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique, qui prévoit un délai de prescription de dix ans en ce qui concerne les actions fondées sur l'abus de confiance, ne s'applique pas aux cas de manquement à une obligation fiduciaire. Voir, par exemple, Apsassin (C.A.F.), précité, note 51, à la p. 138. Par conséquent, il ne serait pas approprié, à mon avis, d'appliquer l'art. 6(1)b) pour interrompre un délai de prescription dans le contexte d'une action fondée sur le manquement à une obligation fiduciaire. Le recours dont les appelants peuvent se prévaloir est plutôt fondé, le cas échéant, sur l'art. 6(3)d).

70 [1958] 2 All E.R. 241 (C.A.), à la p. 249, cité avec approbation dans Guerin, précité, note 39, à la p. 356 (juge Wilson) et à la p. 390 (juge Dickson).

71 Guerin, précité, note 39, à la p. 390.

72 Voir la lettre du 16 novembre 1987 de Snarch & Allen, avocats, au MAINC. Dossier conjoint, vol. 2, à la p. 238.

73 Sparrow, précité, note 49, aux p. 1103 et 1104.

74 Id., à la p. 1105.

75 Voir Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, à la p. 847, juge Dickson [alors juge puîné] ("Le principe de l'enrichissement sans cause est au cœur de la fiducie par interprétation.").

76 [1989] 2 R.C.S. 574, à la p. 670 (Lac Minerals).

77 Précité, note 75, à la p. 848.

78 Voir Lac Minerals, précité, note 76, à la p. 668, juge La Forest. ("La réparation appropriée en l'espèce ne saurait se dissocier des conclusions de fait tirées par les juridictions inférieures.")

79 Voir Lac Minerals, id., à la p. 618, juge Sopinka. ("La restitution constitue une réparation appropriée dans le cas de fiduciaires parce que ceux-ci sont tenus de se déposséder de tous les avantages tirés du manquement aux obligations fiduciaires.")

80 Voir par ex. Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, à la p. 453, juge La Forest. ("Le droit des obligations fiduciaires a toujours comporté un élément de dissuasion . . . Le droit est ainsi en mesure de surveiller une relation que la société considère comme utile, tout en écartant la nécessité d'une réglementation officielle qui risquerait d'en réduire l'utilité sociale.")

81 Lac Minerals, précité, note 76, à la p. 674.

82 Lac Minerals, id., à la p. 678.

83 Voir Guerin, précité, note 39, juge Dickson. À la p. 379, voici ce qu'il dit: "À mon avis, il est sans importance que la présente espèce concerne le droit d'une bande indienne sur une réserve plutôt qu'un titre aborigène non reconnu sur des terres tribales traditionnelles. Le droit des Indiens sur les terres est le même dans les deux cas". Puis, à la p. 382, le juge explique jusqu'à quel point il est futile de tenter de qualifier l'intérêt que possède une bande indienne dans ses terres et qu'en général, cela n'a rien à voir avec les questions en litige:

Il me semble qu'il y a pas de conflit véritable entre les décisions qui qualifient le titre indien de sorte de droit de bénéficiaire et celles qui le qualifient de droit personnel, de la nature d'un usufruit. Toute apparence d'incompatibilité découle du fait que les tribunaux, en décrivant ce qui constitue un droit unique sur des terres, ont presque inévitablement appliqué une terminologie quelque peu inadéquate tirée du droit général des biens. Il y a un élément de vérité dans la description du titre indien qui se dégage de chacun des deux courants de jurisprudence, mais il y a tout de même apparence de conflit parce que dans ni l'un ni l'autre cas la catégorisation n'est tout à fait exacte.

Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d'administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu'il y a eu cession de ce droit. Toute description du titre indien qui va plus loin que ces deux éléments est superflue et risque d'induire en erreur.

84 Lac Minerals, précité, note 76, à la p. 676.

85 Voir Lac Minerals, id., aux p. 676 à 679.

86 La "Douglas Border Crossing Redevelopment Study" préparée par Cornerstone Planning Group Limited (datée du 29 avril 1992). Dossier conjoint, vol. II, aux p. 323 à 338.

87 Voir la correspondance qui a été versée dans le dossier conjoint, vol. II, aux p. 339 à 348.

88 Note de service du 26 avril 1994 de C. V. Veinotte, directeur général, Service des fonctions de gestion, Direction générale des opérations douanières, à A. J. Villeneuve, percepteur régional, région du Pacifique. Dossier conjoint, vol. II, à la p. 355.

89 Note de service du 30 juin 1994 de C. V. Veinotte, directeur général, Service des fonctions de gestion, Direction générale des opérations douanières, à S. Parent, directeur général, Service du programme des immobilisations, Direction générale des finances et de l'administration. Dossier conjoint, vol. II, à la p. 363.

90 Lac Minerals, précité, note 76, à la p. 632.

91 Voir par ex. Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd., [1976] 1 R.C.S. 267, aux p. 279 et 280.

92 Hodgkinson c. Simms, précité, note 80, à la p. 440, juge La Forest.

93 Guerin, précité, note 39, à la p. 361.

94 [1977] 2 R.C.S. 302, à la p. 320.

95 Guerin, précité, note 39, aux p. 362 et 363.

96 E. C. E. Todd, The Law of Expropriation and Compensation in Canada, 2e éd. (Toronto: Carswell, 1992), à la p. 331.

97 Voir Todd, id., à la p. 329 ([traduction]: "La personne qui demande une indemnité fondée sur l'effet préjudiciable, par opposition à celle qui intente une action reconnue en common law, doit fonder sa demande sur une disposition législative"). Voir également Sisters of Charity of Rockingham v. The King (1922), 67 D.L.R. 209 (P.C.), à la p. 211, lord Parmoor ([traduction]: "Le propriétaire dont le bien-fonds a été exproprié à des fins publiques au moyen d'une loi a droit à une indemnité, pour le motif qu'il existe "un effet préjudiciable", que ce soit à l'égard de la valeur du bien-fonds exproprié ou à titre de dommages-intérêts, uniquement s'il peut établir l'existence d'un droit reconnu par la loi.").

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