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T-2722-96

T-950-97

T-1257-97

Bell Canada (requérante)

c.

Association canadienne des employés de téléphone, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, Femmes Action et Commission canadienne des droits de la personne (intimés)

Répertorié: Bell Canadac. Assoc. canadienne des employés de téléphone(1re inst.)

Section de première instance, juge McGillis"Ottawa, 19, 20, 21 janvier et 23 mars 1998.

Droits de la personne Indépendance et impartialité institutionnelles du tribunal des droits de la personneLe régime établi par la Loi ne garantit pas suffisamment l'inamovibilité et la sécurité financière des membres du tribunalEn conséquence, le tribunal n'a pas le degré d'indépendance institutionnelle requis, ce qui engendre une crainte raisonnable de partialitéLes ordonnances obligatoires que la Commission peut rendre actuellement et qui lient le tribunal quant aux modalités d'application d'une disposition de la Loi à un cas donné devraient être facultativesL'affaire en matière d'équité salariale ne peut être tranchée par le tribunal tant que la Loi ne sera pas modifiée.

Droit administratif Le régime établi par la Loi ne garantit pas suffisamment l'inamovibilité et la sécurité financière des membres du tribunal des droits de la personneCrainte raisonnable de partialité du fait que le tribunal n'a pas le degré requis d'indépendance institutionnelleLes ordonnances obligatoires que la Commission peut rendre actuellement et qui lient le tribunal quant aux modalités d'application d'une disposition de la Loi à un cas donné devraient être facultatives.

Des plaintes de disparité salariale ont été déposées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne contre Bell Canada et un tribunal des droits de la personne a été constitué pour examiner les plaintes. Bell Canada a alors soulevé la question de savoir si le tribunal était un organisme quasi judiciaire indépendant et impartial sur le plan institutionnel. Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le tribunal a conclu qu'il était un organisme quasi judiciaire indépendant, capable sur le plan institutionnel de procéder à l'audition d'une affaire d'une manière équitable et conforme aux principes de justice naturelle et de liberté fondamentale.

Jugement: la demande doit être accueillie.

La Commission et le tribunal des droits de la personne

À l'origine, les tribunaux des droits de la personne étaient largement dépendants de la Commission des droits de la personne sur les plans administratif, budgétaire et législatif. Le Comité du tribunal a été créé en 1985 pour améliorer la situation. Toutefois, la Commission a conservé le pouvoir de prendre des règlements administratifs fixant la rémunération et les indemnités de dépenses des commissaires à temps partiel, des experts et des membres d'un tribunal. De même, le pouvoir de la Commission de prendre des ordonnances qui la lient ainsi que les tribunaux est demeuré inchangé. Enfin, la Commission, sous la direction de son président, n'a pas été délestée de la responsabilité générale d'administrer la Loi, y compris la partie III concernant tous les aspects du Comité et de ses activités. La Commission fournissait au Comité du tribunal tous les services administratifs et intégrés, y compris en matière de finances et de personnel. Les comptes d'honoraires et d'indemnités de dépenses des membres des tribunaux étaient présentés pour paiement au service des finances de la Commission. La Commission demandait les chèques de paye des membres des tribunaux, sur lesquels figuraient les mots "Commission canadienne des droits de la personne". En outre, le Comité n'avait pas le pouvoir de présenter son budget au Parlement; seule la Commission pouvait obtenir les crédits nécessaires. Des mesures ont été prises graduellement pour accroître l'indépendance institutionnelle du tribunal.

Des projets de loi déposés afin de modifier la Loi dans le but d'assurer l'indépendance institutionnelle sont morts au Feuilleton. Un autre projet de loi visant le même but, le projet de loi S-5, était toujours à l'étude devant le Comité de la justice et des droits de la personne en mars 1998. Entre-temps, en vertu de décrets pris en 1996, la Commission a cessé de jouer un rôle opérationnel ou budgétaire relativement au Comité. Néanmoins, la Loi oblige toujours la Commission à fixer la rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux. En outre, la Commission a conservé le pouvoir législatif de prendre des ordonnances qui la lient, ainsi que les tribunaux, concernant les modalités d'application de toute disposition de la Loi dans un cas ou une catégorie de cas donnés. L'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale de la Commission qui précisait les modalités d'application de l'article 11 de la Loi et les facteurs justifiant la disparité salariale pour des fonctions équivalentes dans le même établissement était toujours en vigueur aux fins de l'espèce.

Depuis 1985, tous les membres du Comité, y compris son président, sont nommés (ou leur mandant est renouvelé) à temps partiel par le gouverneur en conseil (généralement pour une durée de deux, trois ou cinq ans). Le ministre de la Justice a entière discrétion pour formuler une recommandation concernant le renouvellement du mandat d'un membre. En l'espèce, le mandat des trois membres nommés en 1996 pour constituer le tribunal devait expirer en 1997 et il allait être nécessaire de s'adresser au ministre pour en demander la prolongation. Lorsqu'on leur avait demandé de siéger en l'espèce, ces trois membres avaient été avisés que l'audience serait longue. Ils étaient vraisemblablement intéressés à voir leurs mandats prolongés, sans quoi ils auraient refusé d'entendre l'affaire.

L'indépendance judiciaire

L'indépendance judiciaire fait partie des règles de la justice naturelle et, en conséquence, elle s'applique aux instances devant les tribunaux administratifs qui exercent des fonctions décisionnelles. L'examen de l'indépendance judiciaire d'un tribunal peut porter à la fois sur son indépendance institutionnelle et sur son impartialité institutionnelle. En ce qui a trait à l'indépendance institutionnelle, le critère classique énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369 (le critère de la crainte raisonnable de partialité), approuvé dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, et pratiquement tous les autres arrêts applicables de la Cour suprême du Canada, doit s'appliquer à l'analyse des trois caractéristiques fondamentales de l'indépendance judiciaire: l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance administrative. Ce critère doit être appliqué avec souplesse, compte tenu des fonctions exercées par le tribunal. Le niveau d'indépendance judiciaire requis dépendra de la nature du tribunal, des intérêts en jeu et des autres signes indicatifs de l'indépendance. De plus, la pratique suivie par un tribunal est pertinente à l'examen de son indépendance institutionnelle. En ce qui concerne l'impartialité institutionnelle, il faut appliquer le critère à deux volets décrit dans l'arrêt R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114 (1- Une personne parfaitement informée éprouvera-t-elle une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas? 2- Si la réponse à cette question est négative, on ne saurait alléguer qu'il y a crainte de partialité sur le plan institutionnel et la question doit se régler au cas par cas; si la réponse est affirmative, il faut se demander quelles sont les garanties existantes qui réduiront au minimum les effets préjudiciables, et si elles sont suffisantes pour respecter la garantie d'impartialité institutionnelle prévue à l'alinéa 11d) de la Charte).

La nature d'un tribunal constitué en vertu de la Loi et son niveau requis d'indépendance

Compte tenu du rôle purement décisionnel des tribunaux des droits de la personne et des fonctions qu'ils exercent à l'égard de droits et d'intérêts de nature quasi constitutionnelle, ils doivent bénéficier d'un haut degré d'indépendance et une application relativement stricte des principes énoncés dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres est justifiée.

L'indépendance institutionnelle d'un tribunal constitué en vertu de la Loi

a- l'inamovibilité. Les faits de l'espèce illustrent la précarité de l'inamovibilité du membre d'un tribunal dont le mandat expire avant la fin d'une audience. La Loi ne contient aucune garantie objective que les décisions rendues par le membre d'un tribunal n'auront aucune incidence négative sur la possibilité que son mandat soit renouvelé afin de lui permettre de terminer une cause en instance, que ces décisions portent sur cette cause ou sur toute autre affaire. Pour garantir adéquatement la condition essentielle de l'inamovibilité d'un membre d'un tribunal administratif devant bénéficier d'un haut degré d'indépendance, le régime législatif doit conférer à la personne qui joue un rôle décisionnel le droit de s'acquitter de cette tâche jusqu'au bout sans intervention des pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement. Par conséquent, l'insuffisance de la garantie de l'inamovibilité, dans ce contexte, susciterait une crainte raisonnable de partialité chez une personne raisonnable parfaitement informée.

b- la sécurité financière. En l'espèce, le régime législatif établi par la Loi ne respecte pas l'essence de la condition de la sécurité financière, parce que la rémunération des membres des tribunaux est contrôlée par la Commission, une partie intéressée dans toutes les instances dont ils sont saisis. En outre, la rémunération fixée par le règlement administratif de la Commission ne peut être augmentée qu'au moyen de négociations entre le Comité et la Commission. De telles négociations créeraient un conflit d'intérêts qui aurait une incidence négative sur la perception d'indépendance. En conséquence, une personne raisonnable parfaitement informée, qui examinerait l'ensemble des faits, éprouverait une crainte raisonnable de partialité de la part d'un tel tribunal.

c- l'indépendance administrative. Un tribunal constitué en vertu de la Loi est suffisamment indépendant relativement aux questions administratives qui ont un effet direct sur l'exercice de ses fonctions judiciaires.

L'impartialité institutionnelle

L'examen de cette question n'était pas nécessaire, mais la Cour a laissé entendre que, pour préserver l'impartialité institutionnelle des tribunaux constitués en vertu de la Loi, la façon de procéder qui convient le mieux et qui est la plus prudente consisterait à permettre à la Commission de rendre, relativement aux modalités d'application d'une disposition de la Loi dans un cas donné, des ordonnances qui ne lient pas les tribunaux.

La procédure engagée devant le tribunal en l'espèce était nulle. Un tribunal constitué en vertu de la Loi ne pourra statuer sur les droits fondamentaux en cause en l'espèce tant qu'une réforme législative, réclamée depuis tant d'années, ne corrigera pas les problèmes constatés relativement à l'inamovibilité et à la sécurité financière.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 11d).

Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 23.

Décret modifiant l'annexe de la Loi sur la protection des renseignements personnels, DORS/96-539.

Décret modifiant l'annexe I de la Loi sur la rémunération du secteur public, DORS/96-541.

Décret modifiant l'annexe I de la Loi sur l'accès à l'information, DORS/96-538.

Décret modifiant l'annexe I.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, DORS/96-537.

Décret transférant de la Commission canadienne des droits de la personne au Comité du tribunal des droits de la personne la responsabilité à l'égard du Greffe du Comité du tribunal des droits de la personne, TR/96-109.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 11, 26(2), 27(2),(3),(4), 30(1),(3), 31, 37(1)e),f), 40 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 62), 40.1 (édicté par L.C. 1995, ch. 44, art. 48), 41 (mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 34; 1995, ch. 44, art. 49), 43 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 63), 44(1),(2), (3) (mod., idem, art. 64), (4), 47, 48.1 (édicté, idem, art. 65), 48.2 (édicté, idem), 48.3 (édicté, idem), 48.4 (édicté, idem), 48.5 (édicté, idem), 49 (mod., idem, art. 66), 50(1),(2),(3),(5), 51, 52, 53(1),(2),(3), 55, 56 (mod., idem, art. 67), 61.

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, art. 21(2), 22, 24(1),(3), 25, 29(1)d),e), 32, 33, 35, 36(1),(2),(3),(4), 37, 38.1, 38.2, 38.3, 38.4, 38.5, 39, 40(1),(2),(3),(4),(6),(7), 41(1), (2),(3), 42.1, 47.

Loi corrective de 1978, S.C. 1977-78, ch. 22, art. 5.

Loi de modification législative (Charte canadienne des droits et libertés), S.C. 1985, ch. 26, art. 69, 70, 71, 73.

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Loi sur la rémunération du secteur public, L.C. 1991, ch. 30.

Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33.

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique, L.R.C. (1985), ch. P-34.

Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082.

Ordonnances sur l'égalité de rémunération, TR/78-155.

Projet de loi C-98, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, 2e sess., 35e lég., 1997, art. 19, 20, 26.

Projet de loi C-108, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et d'autres lois en conséquence, 3e sess., 34e lég., 1992, art. 11(2), 12, 21, 29.

Projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, 1re sess., 36e lég., 1997.

jurisprudence

décisions appliquées:

Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985), 52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. (3d) 193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64 N.R. 1; 14 O.A.C. 79; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115; SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; (1990), 68 D.L.R. (4th) 524; 42 Admin. L.R. 1; 90 CLLC 14,007; 38 O.A.C. 321; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; (1991), 64 C.C.C. (3d) 513; 5 C.R.R. (2d) 31; 5 M.P.L.R. (2d) 113; 128 N.R. 1; 39 Q.A.C. 241; R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259; (1992), 88 D.L.R. (4th) 110; 70 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R.R. (2d) 89; 133 N.R. 241; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; (1995), 122 D.L.R. (4th) 129; 26 Admin. L.R. (2d) 1; [1995] 2 C.N.L.R. 92; 177 N.R. 325; Katz v. Vancouver Stock Exchange (1995), 128 D.L.R. (4th) 424; [1996] 2 W.W.R. 356; 82 B.C.A.C. 16; 14 B.C.L.R. (3d) 66; 34 Admin. L.R. (2d) 1; 9 C.C.L.S. 112 (B.C.C.A.); conf. par [1996] 3 R.C.S. 405; (1996), 139 D.L.R. (4th) 575; [1996] 10 W.W.R. 305; 82 B.C.A.C. 29; 26 B.C.L.R. (3d) 1; 41 Admin. L.R. (2d) 1; 12 C.C.L.S. 1; 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; (1996), 140 D.L.R. (4th) 577; 42 Admin. L.R. (2d) 1; 205 N.R. 1; Manitoba Provincial Judges Assn. c. Manitoba (Ministre de la Justice), [1997] 3 R.C.S. 3; (1997), 204 A.R. 1; 121 Man. R. (2d) 1; 156 Nfld. & P.E.I.R. 1; 150 D.L.R. (4th) 577; 118 C.C.C. (3d) 193; 11 C.P.C. (4th) 1; 217 N.R. 1; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854; (1996), 140 D.L.R. (4th) 193; 43 Admin. L.R. (2d) 155; 26 C.C.E.L. (2d) 1; 40 C.R.R. (2d) 81; 204 N.R. 1; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303; Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autres, [1982] 2 R.C.S. 145; (1982), 137 D.L.R. (3d) 219; [1983] 1 W.W.R. 137; 39 B.C.L.R. 145; 3 C.H.R.R. D/1163; 82 CLLC 17,014; [1982] I.L.R. 1-1555; 43 N.R. 168; Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld. & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241.

décisions citées:

MacBain c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 1 C.F. 696; (1984), 11 D.L.R. (4th) 202; 7 Admin. L.R. 233; 5 C.H.R.R. D/2214; 84 CLLC 17,013; 11 C.R.R. 319 (1re inst.); MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856; (1985), 22 D.L.R. (4th) 119; 16 Admin. L.R. 109; 6 C.H.R.R. D/3064; 85 CLLC 17,023; 18 C.R.R. 165; 62 N.R. 117 (C.A.); Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; (1986), 30 D.L.R. (4th) 481; 26 C.R.R. 59; 70 N.R. 1; Canada (Procureur général) c. Alex Couture inc., [1991] R.J.Q. 2534; (1991), 83 D.L.R. (4th) 577; 38 C.P.R. (3d) 293; 41 Q.A.C. 1; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1992] 2 R.C.S. v; Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363; (1988), 55 D.L.R. (4th) 321; 91 N.R. 121 (C.A.); Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et autres (1997), 127 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.).

doctrine

Canada. Ministère des Finances. Budget des dépenses 1997-1998, Partie III: Comité du tribunal des droits de la personne. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1997.

Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat. Ottawa: Bureau du conseiller en éthique, 1994.

Commission canadienne des droits de la personne. Rapport annuel, 1990. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1991.

Commission canadienne des droits de la personne. Rapport annuel, 1992. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1993.

Commission canadienne des droits de la personne. Rapport annuel, 1993. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1994.

Commission canadienne des droits de la personne. Rapport annuel, 1995. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1996.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle un tribunal des droits de la personne a rejeté la contestation de son indépendance par Bell Canada. Demande accueillie.

avocats:

Roy L. Heenan, Thomas E. F. Brady et E. Joy Noonan pour la requérante.

Larry Steinberg pour l'intimée, l'Association canadienne des employés de téléphone.

Peter C. Engelmann et Richard Ellis pour l'intimé, le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier.

René Duval pour l'intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.

procureurs:

Heenan Blaikie, Montréal, pour la requérante.

Koskie Minsky, Toronto, pour l'intimée, l'Association canadienne des employés de téléphone.

Caroline Engelmann Gottheil, Ottawa, pour l'intimé, le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier.

Cossette Lefebvre Boivin, Montréal, pour l'intimée Femmes Action.

Services juridiques de la Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l'intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge McGillis

INTRODUCTION

La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1257-97 soulève la question de savoir si le tribunal des droits de la personne (le tribunal) est un organisme quasi judiciaire impartial et indépendant sur le plan institutionnel.

LES FAITS

Une série de plaintes en matière de droits de la personne ont été déposées contre Bell Canada auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) entre 1990 et 1994 par certains de ses employés et leurs syndicats, l'Association canadienne des employés de téléphone (ACET) et le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP), ainsi que par un groupe appelé Femmes Action. Les plaintes comportaient des allégations selon lesquelles Bell Canada commettait, en matière d'emploi, un acte discriminatoire fondé sur le sexe en versant aux femmes qu'elle employait une rémunération moindre qu'aux hommes qui exécutaient des tâches équivalentes, contrevenant ainsi à l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi). La Commission a mené une enquête relativement aux différentes plaintes. Les tentatives de règlement au moyen de la médiation et d'autres discussions informelles n'ont pas porté fruit et la Commission a produit son rapport d'enquête en 1995.

En mai 1996, la Commission a demandé à la présidente du Comité du tribunal des droits de la personne (le Comité), en vertu de l'article 49 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 66] de la Loi, de constituer un tribunal chargé d'examiner les plaintes de disparité salariale déposées contre Bell Canada. La Commission a également demandé, en vertu du paragraphe 40(4) [mod., idem, art. 62] de la Loi, qu'un seul tribunal entende toutes les plaintes, vu qu'elles soulevaient pour l'essentiel les mêmes questions de fait et de droit.

Le 10 juin 1996, le greffier du Comité a écrit à Bell Canada pour lui demander des renseignements tels sa préférence quant au lieu de l'audition, la durée prévue de l'audition et le nom de son avocat, pour l'aider à préparer l'audition.

Le 14 juin 1996, Bell Canada a engagé une procédure de contrôle judiciaire dans le dossier, T-1414-96 afin de contester la décision de la Commission de demander la constitution d'un tribunal chargé d'examiner les plaintes. Dans une lettre datée du 19 juin 1996, l'avocat de Bell Canada a demandé qu'il ne soit pas procédé à l'enquête avant que la Cour ne tranche la demande de contrôle judiciaire.

Le 7 août 1996, la présidente du Comité a constitué, en vertu du paragraphe 49(1.1) de la Loi, un tribunal composé de trois membres chargé d'examiner les plaintes déposées contre Bell Canada.

Le 14 août 1996, l'avocat de Bell Canada a demandé par écrit au greffier du Comité de lui confirmer qu'il ne serait pas procédé à l'enquête avant que la Cour ne tranche la demande de contrôle judiciaire. Le 27 août 1996, le greffier a confirmé à toutes les parties que le tribunal avait l'intention de procéder à l'enquête.

Le 6 septembre 1996, Bell a déposé une demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1985-96 pour contester la décision de la présidente du Comité de constituer un tribunal chargé d'examiner les plaintes.

Dans des lettres datées du 13 et du 24 septembre 1996, le greffier a informé les parties que le tribunal entendrait leurs observations concernant la question de savoir si l'enquête devait être ajournée jusqu'à l'issue des deux demandes de contrôle judiciaire en instance. Le tribunal a tenu une audition relativement à la demande d'ajournement de Bell Canada et il a rejeté cette demande le 26 novembre 1996.

Le 11 décembre 1996, Bell Canada a déposé une demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-2722-96 pour contester le refus du tribunal d'ajourner l'enquête.

Peu après, Bell Canada a déposé une requête devant la Cour en vue d'obtenir un sursis de la procédure devant le tribunal jusqu'au prononcé d'une décision définitive relativement aux demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T-1414-96, T-1985-96 et T-2722-96. Le 21 février 1997, le juge Richard a rejeté cette requête [Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et al. (1997), 127 F.T.R. 44 (C.F. 1re inst.)].

Entre les mois d'avril et de juin 1997, le tribunal a entendu d'autres requêtes présentées par Bell Canada, dont une requête sollicitant la récusation de l'un des membres de ce dernier et une autre dans laquelle elle prétendait que le tribunal n'était pas un organisme quasi judiciaire indépendant capable, sur le plan institutionnel, de procéder à une audition équitable.

Le 10 avril 1997, le tribunal a rejeté la requête de Bell Canada visant à obtenir la récusation de l'un de ses membres. Sur ce point, le tribunal a notamment conclu que le fait que la Commission avait déjà retenu les services de ce membre en qualité de témoin expert dans d'autres instances ne créait pas une crainte raisonnable de partialité. Le 9 mai 1997, Bell Canada a déposé une demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-950-97 pour contester la décision du tribunal relativement à la demande de récusation.

Le 4 juin 1997, le tribunal a exposé des motifs écrits dans lesquels il a conclu qu'il était "un organisme quasi judiciaire indépendant, capable sur le plan institutionnel de procéder à l'audition d'une affaire d'une manière équitable et conforme aux principes de justice naturelle et de liberté fondamentale". Le 10 juin 1997, Bell Canada a déposé une demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1257-97 pour contester la décision du tribunal concernant son indépendance.

Le 16 juin 1997, le juge Richard a prononcé une ordonnance de jonction des demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T-2722-96, T-950-97 et T-1257-97.

L'HISTORIQUE LÉGISLATIF DE LA COMMISSION ET DU COMITÉ ET LA PRATIQUE RÉGISSANT LEURS RAPPORTS

Pour déterminer si un tribunal constitué en vertu de la Loi est un organisme quasi judiciaire indépendant et impartial, il faut examiner en détail l'historique du régime législatif et l'évolution de la pratique régissant les rapports entre le Comité et la Commission.

i)  Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33

La Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33 (la Loi de 1977) a été promulguée le 14 juillet 1977. En application de ce régime législatif, la partie I de la Loi de 1977 codifiait l'interdiction de la discrimination au Canada. C'est la partie II qui créait la Commission, composée d'un président, d'un vice-président et d'autres membres, tous nommés par le gouverneur en conseil. La partie III établissait le régime législatif régissant les processus relatifs aux plaintes, aux enquêtes et aux décisions. Pour trancher la présente demande, il faut examiner en détail certains aspects du régime législatif prévus aux parties II et III de la Loi de 1977.

La partie II de la Loi de 1977 désignait notamment le président comme premier dirigeant de la Commission, qui en assurait la direction et contrôlait la gestion de son personnel (article 25; maintenant l'article 31). Le président et le vice-président exerçaient leurs fonctions à temps plein, alors que les autres commissaires les exerçaient soit à temps plein, soit à temps partiel (paragraphe 21(2); maintenant le paragraphe 26(2)). En ce qui concerne la rémunération, les commissaires à temps plein recevaient un traitement fixé par le gouverneur en conseil, alors que les commissaires à temps partiel recevaient la rémunération prévue au règlement administratif de la Commission (paragraphe 24(1); maintenant le paragraphe 30(1)). De plus, chaque commissaire avait droit à des indemnités de déplacement et de séjour conformément au règlement administratif de la Commission (paragraphe 24(3); maintenant le paragraphe 30(3)).

Le régime législatif établi par la partie II conférait à la Commission de vastes pouvoirs et fonctions pour l'administration des parties I, II et III de la Loi de 1977, ainsi que relativement à diverses autres matières, de façon qu'elle puisse s'acquitter de son mandat en tant qu'organe fédéral chargé de la protection des droits de la personne au Canada. Parmi les pouvoirs importants dont elle était investie, la Commission était habilitée à régir son activité par voie de règlement administratif, et notamment à prévoir la rémunération à verser aux commissaires à temps partiel, aux membres des tribunaux et aux experts qui mettaient leurs connaissances spécialisées et techniques à son service. La Commission pouvait également, par règlement administratif, fixer les indemnités de déplacement et de séjour des commissaires et des membres des tribunaux, ainsi que les indemnités de dépenses des experts. L'entrée en vigueur de tout règlement pris par la Commission était subordonnée à la ratification du Conseil du Trésor. Voici certaines dispositions qui conféraient à la Commission son pouvoir de réglementation:

29. (1) La Commission peut, par règlement, régir son activité et, notamment, prévoir

. . .

d) la rémunération à verser aux commissaires à temps partiel, aux membres des tribunaux des droits de la personne et aux personnes visées au paragraphe 26(2); et,

e) les indemnités raisonnables de déplacement et de séjour à verser aux commissaires, aux membres des tribunaux des droits de la personne et aux personnes visées au paragraphe 26(2).

(Maintenant les alinéas 37(1)e) et f).)

Un deuxième pouvoir important attribué à la Commission dans la partie II était celui de préciser les limites et les modalités de l'application d'une disposition de la Loi de 1977 dans des ordonnances (paragraphe 22(2); maintenant les paragraphes 27(2) et (3)). Ces ordonnances de la Commission liaient la Commission et les tribunaux pour le règlement des plaintes déposées. Elles devaient être publiées dans la Partie II de la Gazette du Canada (paragraphe 22(2.1); maintenant le paragraphe 27(4)). De plus, chaque ordonnance portant sur un cas particulier devait être communiquée aux personnes directement concernées selon les modalités que la Commission estimait appropriées (paragraphe 22(2.1); maintenant le paragraphe 27(4)).

En vertu du régime régissant les processus relatifs aux plaintes, aux enquêtes et aux décisions prévu à la partie III, la Commission était autorisée à recevoir les plaintes ou à en prendre l'initiative, et elle était tenue de statuer sur toute plainte déposée, sous réserve de certaines exceptions (articles 32 et 33; maintenant les articles 40, 40.1 [édicté par L.C. 1995, ch. 44, art. 48] et 41 [mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 34; 1995, ch. 44, art. 49]). La Commission pouvait charger une personne d'enquêter sur la plainte pour l'aider à statuer sur celle-ci (article 35; maintenant l'article 43 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 63]). Après l'enquête, l'enquêteur devait présenter à la Commission un rapport faisant état de ses conclusions (paragraphe 36(1); maintenant le paragraphe 44(1)). Sur réception de ce rapport, la Commission pouvait l'accepter ou rejeter la plainte (paragraphe 36(3); maintenant le paragraphe 44(3) [mod., idem, art. 64]). Toutefois, si des recours internes ou des procédures d'appel ou de règlement des griefs étaient ouverts au plaignant ou s'il existait une procédure prévue par une autre loi, la Commission renvoyait l'affaire à l'autorité compétente (paragraphe 36(2); maintenant le paragraphe 44(2)). Après réception du rapport, la Commission devait informer le plaignant de la décision prise, c'est-à-dire de sa décision d'accepter le rapport ou de rejeter la plainte, ou encore de renvoyer le plaignant à une autre autorité (paragraphe 36(4); maintenant le paragraphe 44(4)). Après l'avoir ainsi informé, ou dès le dépôt de la plainte, la Commission pouvait nommer un conciliateur chargé d'essayer d'en arriver à un règlement de la plainte (article 37; maintenant l'article 47).

À tout moment suivant le dépôt de la plainte, la Commission avait le pouvoir discrétionnaire de constituer un tribunal composé d'au plus trois membres chargé d'examiner la plainte (paragraphes 39(1) et (2) [maintenant les paragraphes 49(1) et (2)]). Lorsqu'elle était convaincue que des plaintes soulevaient pour l'essentiel les mêmes questions, la Commission avait également le pouvoir discrétionnaire de charger un tribunal unique de les examiner. La Commission devait choisir les membres du tribunal à partir d'une liste établie par le gouverneur en conseil (paragraphe 39(5) [maintenant le paragraphe 49(5)]). Les fonctions de commissaire ou d'employé de la Commission et, pour une plainte donnée, celles d'enquêteur ou de conciliateur étaient incompatibles avec les fonctions de membre d'un tribunal (paragraphe 39(3); maintenant le paragraphe 49(3)). Les membres du tribunal avaient droit à la rémunération et aux indemnités de dépenses prévues au règlement administratif de la Commission (paragraphe 39(4); maintenant le paragraphe 49(4)).

Les fonctions du tribunal consistaient à examiner l'objet de la plainte après avis conforme à la Commission, aux parties et à tout intéressé (paragraphe 40(1); maintenant le paragraphe 50(1)). Le tribunal devait en outre donner à toutes les parties avisées la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et des arguments, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat (paragraphe 40(1); maintenant le paragraphe 50(1)). Lorsqu'elle comparaissait devant le tribunal, la Commission était une partie intéressée, mais elle devait adopter l'attitude la plus proche, à son avis, de l'intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte (paragraphe 40(2); maintenant l'article 51).

Quant à ses pouvoirs juridictionnels, le tribunal avait le droit d'assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire des documents, au même titre qu'une cour supérieure d'archives (paragraphe 40(3); maintenant le paragraphe 50(2)). De plus, le tribunal avait le pouvoir de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire, à l'exception de ceux qui étaient confidentiels devant les tribunaux judiciaires (paragraphe 40(4); maintenant le paragraphe 50(3)). Le tribunal était aussi autorisé à faire prêter serment et à permettre aux témoins de recevoir des frais et des indemnités (alinéa 40(3)b) et paragraphe 40(7); maintenant l'alinéa 50(2)b) et le paragraphe 50(5)). Les audiences devaient être publiques, mais le tribunal pouvait, dans l'intérêt public, ordonner le huis clos pour la totalité ou une partie de leur durée (paragraphe 40(6); maintenant l'article 52).

À l'issue de l'enquête, le tribunal devait déterminer si la plainte était fondée (paragraphes 41(1) et (2); maintenant les paragraphes 53(1) et (2)). Le cas échéant, le tribunal avait le pouvoir de rendre une ordonnance contre l'auteur de l'acte discriminatoire et d'y inclure différentes conditions (paragraphe 41(2); maintenant le paragraphe 53(2)). Dans certaines circonstances précises, le tribunal avait en outre le pouvoir d'ordonner à l'auteur de l'acte discriminatoire de payer une indemnité maximale de 5 000 $ à la victime (paragraphe 41(3); maintenant le paragraphe 53(3)).

La Commission ou les parties pouvaient interjeter appel de l'ordonnance ou de la décision rendue par un tribunal de moins de trois membres. L'appel était formé devant un tribunal d'appel et il pouvait porter sur une question de droit ou sur une question mixte de droit et de fait (article 42.1; maintenant les articles 55 et 56 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 67]). Dès le dépôt de l'appel, la Commission constituait un tribunal d'appel composé de trois membres, à l'exclusion des membres du tribunal qui avaient rendu la décision visée (paragraphe 42.1(2)). Il n'est pas nécessaire d'examiner la procédure devant le tribunal d'appel pour trancher la présente requête.

Enfin, la Commission était tenue de présenter au ministre de la Justice un rapport annuel concernant ses activités en vertu des parties II et III de la Loi de 1977 pour que celui-ci le transmette au Parlement (article 47; maintenant l'article 61).

ii)  les modifications de 1978

Dans la Loi corrective de 1978, S.C. 1977-78, ch. 22, la disposition permettant à la Commission de prendre des ordonnances obligatoires précisant les modalités d'application de la Loi de 1977 a été modifiée pour que ces ordonnances lient non seulement les tribunaux, mais aussi les tribunaux d'appel (article 5 de la Loi corrective, modifiant l'article 22 de la Loi de 1977; maintenant l'article 27). Aucun autre aspect de cette disposition n'a été modifié.

iii)  les rapports initiaux entre la Commission et le tribunal

En août 1978, peu après la promulgation de la Loi de 1977, Michael Glynn a été embauché à titre d'employé de la Commission pour occuper le poste de [traduction] "secrétaire et chef". Comme titulaire de ce poste, ses tâches étaient doubles, et il exerçait ses fonctions à la fois pour la Commission et pour le tribunal. M. Glynn occupait le poste d'administration le plus élevé relativement aux activités du tribunal. En cette qualité, il était responsable d'assurer la direction d'un ou de deux agents du tribunal et l'organisation de celui-ci. Toutefois, M. Glynn recevait ses directives de la Commission pour l'exécution de la plupart de ses fonctions et, les premières années, il travaillait en grande partie pour la Commission. Ainsi, lui et les autres agents du tribunal accomplissaient plusieurs tâches administratives pour la Commission, notamment en matière de télécommunications, d'organisation de réunions, et de publication et de parution de manuels. À l'époque, le tribunal partageait les locaux de la Commission. En outre, le tribunal n'avait pas de budget distinct; son budget était simplement intégré à celui de la Commission.

En 1978, le gouverneur en conseil a créé une liste d'environ cent personnes à partir de laquelle le président de la Commission pourrait choisir les membres d'un tribunal. La première audience d'un tribunal a été tenue en juin 1979. Bien que la preuve versée au dossier ne soit pas complète, la Commission a pris un règlement administratif quelque temps après l'entrée en vigueur de la Loi de 1977 pour fixer la rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux.

iv)  les modifications de 1985

Le 9 mai 1984, le juge Collier a conclu, dans la décision MacBain c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 1 C.F. 696 (1re inst.), que le régime établi par la Loi de 1977 obligeant la Commission à conclure au bien-fondé d'une plainte avant de constituer un tribunal engendrait une crainte raisonnable de partialité.

À la suite de cette décision, les dispositions obligeant la Commission à constituer un tribunal ont été abrogées en juin 1985 par la Loi de modification législative (Charte canadienne des droits et libertés), S.C. 1985, ch. 26 [maintenant L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31] (les modifications de 1985). Ces modifications sont survenues tout juste avant le prononcé de l'arrêt MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.), en octobre 1985, dans lequel la Cour d'appel fédérale a jugé elle aussi que le régime établi par la Loi de 1977 suscitait une crainte raisonnable de partialité du fait que la Commission choisissait les membres du tribunal et comparaissait devant lui pour faire valoir la plainte.

Le régime établi par la Loi de 1977 concernant la constitution d'un tribunal ou d'un tribunal d'appel par la Commission a été abrogé par les modifications de 1985 (article 71 des modifications de 1985, modifiant l'article 39). Le Comité a été officiellement établi par voie législative. Il était composé du président et des autres membres nommés par le gouverneur en conseil (article 70 des modifications de 1985, édictant les articles 38.1, 38.2, 38.3, 38.4 et 38.5; maintenant les articles 48.1, 48.2, 48.3, 48.4 et 48.5). Le président et les autres membres étaient nommés à titre inamovible, sous réserve de leur révocation motivée par le gouverneur en conseil. Le mandat du président était de trois ans, alors que celui des autres membres ne pouvait dépasser trois ans. Le président ainsi que les autres membres dont le mandat était expiré pouvaient recevoir un nouveau mandat, aux fonctions identiques ou non. Les modifications de 1985 ne touchaient la question de la rémunération que relativement au président, qui avait droit à une rémunération et à des indemnités de dépenses pour l'exercice de ses fonctions de président "selon le taux fixé par le règlement de la Commission pour le membre du tribunal qui agit à titre de président du tribunal" (article 70 des modifications de 1985, édictant l'article 38.5; maintenant l'article 48.5). Les modifications de 1985 n'ont pas changé la disposition de la Loi de 1977 selon laquelle les membres du tribunal avaient droit à la rémunération et aux indemnités de dépenses prévues au règlement administratif de la Commission.

En vertu du régime établi par les modifications de 1985, la Commission était autorisée à demander au président du Comité de constituer un tribunal chargé d'examiner la plainte, si elle était convaincue que l'examen était justifié et que la plainte ne devait pas être renvoyée devant une autre autorité ni être rejetée (articles 69 et 71 des modifications de 1985 modifiant les articles 36 et 39; maintenant les articles 44 et 49). Sur réception d'une telle demande, le président devait constituer un tribunal chargé d'examiner la plainte, composé d'un ou de plusieurs membres qu'il choisissait parmi les membres du Comité. Le président du Comité nommait le président du tribunal dans les cas où celui-ci se composait de plus d'un membre. Le président du Comité pouvait aussi se constituer tribunal ou se désigner membre du tribunal. Dans ce dernier cas, il présidait le tribunal. En cas d'appel à l'encontre d'une décision rendue par un tribunal de moins de trois personnes, le président du Comité constituait un tribunal d'appel composé de trois membres du Comité autres que ceux qui avaient rendu la décision visée par l'appel. Des dispositions transitoires prévoyaient que les modifications n'avaient aucun effet sur les tribunaux constitués avant leur entrée en vigueur (article 73 des modifications de 1985).

En résumé, le régime fondamental établi par la Loi de 1977 constituant la Commission et lui attribuant ses pouvoirs et fonctions n'a pas changé à la suite des modifications de 1985, sauf en ce qui a trait à l'abolition du pouvoir de la Commission de choisir les membres des tribunaux et des tribunaux d'appel. Vu l'abolition de ce pouvoir, des modifications législatives corrélatives ont dû être apportées pour constituer le Comité et établir la charge de président du Comité, le mode de renvoi des plaintes par la Commission, et la procédure de constitution d'un tribunal par le président du Comité. Toutefois, la Commission a conservé le pouvoir de prendre des règlements administratifs fixant la rémunération et les indemnités de dépenses de ses membres à temps partiel, de ses experts et des membres d'un tribunal. De même, le pouvoir de la Commission de prendre des ordonnances qui la lient elle-même et lient les tribunaux est demeuré inchangé. Enfin, la Commission, sous la direction de son président, n'a pas été délestée de la responsabilité générale d'administrer la Loi, y compris la partie III concernant tous les aspects du Comité et de ses activités. Les modifications de 1985 n'ont pas eu d'incidence sur le rôle du président du Comité, et notamment sur ses fonctions et pouvoirs.

v)  les règlements administratifs et les ordonnances

En 1985 ou en 1986, la Commission a pris le règlement administratif no 4, en application des dispositions qui constituent maintenant les alinéas 37(1)e) et f) de la Loi, pour fixer la rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux. En ce qui concerne la rémunération, le règlement administratif prévoyait le paiement d'un taux quotidien de 325 $ pour le membre d'un tribunal et de 450 $ pour le président de celui-ci. Le règlement administratif précisait que les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux leur seraient versées en conformité avec les directives du Conseil du Trésor en vigueur au moment où les dépenses étaient engagées. Ce règlement administratif n'a jamais été modifié.

L'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale [DORS/86-1082] de la Commission qui précisait les modalités d'application de l'article 11 de la Loi et les facteurs justifiant la disparité salariale pour des fonctions équivalentes est entrée en vigueur le 18 novembre 1986. Cette ordonnance remplaçait les Ordonnances sur l'égalité de rémunération [TR/78-155] prises le 17 septembre 1978. Voici la note explicative qui accompagnait l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale:

NOTE EXPLICATIVE

(La présente note ne fait pas partie de l'ordonnance.)

L'ordonnance vise à préciser:

a) les modalités d'application de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

b) les facteurs reconnus raisonnables pour justifier la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

vi)  les rapports entre la Commission et le Comité après les modifications de 1985

Après les modifications de 1985 et la décision MacBain, précitées, des efforts ont été faits pour séparer plus nettement les fonctions, le financement et le fonctionnement du Comité de ceux de la Commission. Pour atteindre cet objectif, le président du Comité, Sidney Lederman, qui venait d'être nommé, a pris sous son égide toutes les opérations et les responsabilités relatives au fonctionnement du Comité. En particulier, les membres du personnel du Comité ont commencé à recevoir leurs directives du président du Comité, même s'ils demeuraient des employés de la Commission. De plus, toutes les instructions concernant un tribunal constitué en vertu de la Loi émanaient de ses membres, et non du personnel de la Commission. Les tribunaux étaient responsables de tous les aspects du déroulement d'une affaire, y compris la prise de décisions concernant les dates et lieux des auditions. Le greffe fournissait tout le soutien administratif nécessaire, notamment en prenant les mesures requises pour la tenue des auditions, en préparant les documents, les avis et la correspondance adressée aux parties, en aidant à la planification de l'audition des affaires, et en assurant la tenue des dossiers officiels.

À la même époque, le ministère de la Justice a entrepris une révision générale de la Loi, et notamment des rapports entre la Commission et le Comité ainsi que du financement du Comité.

Malgré les modifications de 1985 et les changements limités apportés sur le plan administratif, il existait un [traduction] "problème de perception", selon les termes employés par M. Glynn, concernant le manque d'indépendance du tribunal. En particulier, il existait toujours un rapport étroit entre la Commission et le Comité qui, notamment, partageaient les mêmes locaux. Dans une lettre datée du 28 février 1986, M. Glynn a attiré l'attention du président du Comité sur le fait que la Commission et le Comité partageaient les mêmes locaux, une situation qui, selon lui, risquait de compromettre [traduction ] "l'indépendance du processus de nomination".

Le président du Comité partageait les inquiétudes de M. Glynn. Dans une lettre datée du 10 mars 1986, il a adressé les propos suivants au président de la Commission:

[traduction] Je constate qu'aux numéros 2 et 3 de l'annexe, l'adresse postale du président du Comité du tribunal des droits de la personne est a/s de la Commission canadienne des droits de la personne. Bien qu'il s'agisse d'un élément de pure forme, il crée l'apparence d'un lien entre moi et la Commission. De plus, les parties peuvent aussi croire que le dépôt de documents auprès du tribunal en conformité avec les règlements vaut signification à la Commission. Compte tenu de la sensibilité qui existe relativement à l'indépendance du processus de nomination et à l'absence d'apparence de lien entre la Commission et le président du Comité, je porte cette question à votre attention car je crois que vous avez un rôle à jouer concernant les modifications apportées aux règlements par décret. Je recommanderais naturellement que des changements soient apportés pour que l'adresse postale ne fasse désormais plus mention de la Commission canadienne des droits de la personne. L'adresse proprement dite peut demeurer inchangée étant donné qu'il s'agit de l'adresse du secrétariat du tribunal.

Dans une lettre adressée le 19 mars 1986 au président du Comité, le président de la Commission a indiqué que les rapports entre la Commission et le tribunal, notamment le fait qu'ils partageaient les mêmes locaux, était une question qui devait être portée à l'attention du ministère de la Justice. Dans cette lettre, il a dit:

[traduction] La question de l'emplacement du secrétariat du tribunal dans les locaux de la Commission mériterait sans doute qu'on s'y attarde davantage. Le ministère de la Justice procède actuellement à un examen fondamental de la Loi canadienne sur les droits de la personne et nous avons bon espoir de pouvoir participer à ce processus. Nous avons l'intention d'examiner avec le Ministère les rapports qui existent entre la Commission et le Comité du tribunal, y compris en ce qui concerne le secrétariat du tribunal et le mode de rémunération des membres du tribunal. Cette discussion englobera les question de l'adresse du tribunal et de l'emplacement du secrétariat du tribunal. [Non souligné dans l'original.]

À un certain moment, le président du Comité a suggéré à M. Glynn que le Comité déménage dans une autre partie de l'édifice pour en [traduction] "favoriser davantage" l'indépendance. Après avoir reçu la lettre adressée au président du Comité par le président de la Commission le 19 mars 1986, M. Glynn a informé le président du Comité qu'il avait entamé des discussions préliminaires avec le personnel de la Commission concernant cette suggestion, mais qu'il n'avait encore reçu [traduction ] "aucune réponse concrète".

Vers 1986, un intimé dans une affaire en instance devant un tribunal a contesté l'indépendance institutionnelle de ce dernier. En conséquence, le président de la Commission a envoyé la lettre suivante, en date du 30 janvier 1987, au sous-ministre de la Justice, M. Iacobucci (devenu depuis juge à la Cour suprême du Canada):

[traduction] L'indépendance des tribunaux des droits de la personne constitués en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne est contestée devant la Cour fédérale du Canada pour plusieurs motifs; l'un d'eux tient au fait que la Commission et le secrétariat du tribunal occupent les mêmes locaux. Bien que la Commission et le secrétariat du tribunal veillent scrupuleusement à garder leurs tâches respectives bien séparées, en installant même des lignes téléphoniques séparées, si la contestation fondée sur ces moyens réussissait, le travail des tribunaux serait paralysé.

D'ici à ce que des modifications soient apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne, ce qui peut prendre quelques mois, je suggère que le secrétariat adopte une solution pratique en déménageant au ministère de la Justice.

Dans une lettre datée du 13 février 1987, le sous-ministre de la Justice a fourni la réponse suivante:

[traduction] Comme vous le savez, nous songeons à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne, notamment en apportant aux tribunaux des droits de la personne des changements à la suite desquels des installations séparées pourraient être prévues pour ces tribunaux. La question de l'emplacement du secrétariat, bien que soulevée dans la procédure judiciaire dont vous faites état, ne semble pas avoir en soi d'effet déterminant sur la cause du requérant. Quoi qu'il en soit, cette contestation judiciaire ne sera vraisemblablement pas tranchée avant un certain temps, ce qui laisse le temps de procéder à des modifications. En outre, compte tenu du rôle joué par le procureur général qui représente les entités gouvernementales intimées devant les tribunaux, il ne semblerait pas plus souhaitable que le secrétariat s'installe au ministère de la Justice. Pour ces raisons, je ne crois pas que le secrétariat devrait emménager au ministère de la Justice.

Plusieurs autres intimés dans des affaires en instance devant des tribunaux ont intenté des actions devant la Cour pour contester l'indépendance institutionnelle de ceux-ci1. En conséquence, les présidents successifs du Comité et M. Glynn ont examiné, dans un processus enclenché en 1985 et qui se poursuit encore aujourd'hui, les mesures qui pourraient être prises pour résoudre le "problème de perception" concernant l'absence apparente d'indépendance des tribunaux constitués en vertu de la Loi. Sur ce point, leur premier choix, et celui qu'ils privilégient, consistait et consiste encore aujourd'hui à veiller à ce que les modifications voulues soient apportées à la Loi, plus particulièrement en ce qui concerne la rémunération des membres des tribunaux. Leur deuxième choix consistait à mettre en œuvre différents changements d'ordre administratif pour séparer le Comité de la Commission. Au fil des ans, les présidents du Comité et M. Glynn ont informé les représentants du gouvernement, particulièrement du ministère de la Justice et du Conseil du Trésor, de leurs différentes préoccupations concernant la perception qu'un tribunal constitué en vertu de la Loi n'avait pas le degré d'indépendance requis.

En 1988, le Comité a quitté les locaux de la Commission. Depuis lors, la participation de la Commission au fonctionnement courant du Comité s'est limitée à des questions budgétaires et à la prestation de services intégrés liés aux finances, au personnel et à l'administration. À cette époque, les membres du personnel du Comité ont cessé d'accomplir des tâches pour la Commission, bien qu'ils soient demeurés des employés de celle-ci.

En 1990 ou en 1991, M. Glynn, qui est maintenant greffier du Comité, était responsable des finances de ce dernier, sur le plan opérationnel. Dès lors, il a commencé à préparer des présentations budgétaires distinctes visant à obtenir les fonds dont le Comité avait besoin pour fonctionner au cours de l'exercice suivant, y compris les salaires de ses employés et les honoraires quotidiens des membres des tribunaux constitués en vertu de la Loi. Néanmoins, compte tenu du régime établi par la Loi, le Comité n'avait pas le pouvoir de présenter son budget au Parlement; seule la Commission pouvait obtenir les crédits nécessaires. C'est pourquoi M. Glynn présentait le budget du Comité au secrétaire général de la Commission pour qu'il le transmette au président de la Commission. Au même moment, il présentait le budget au Conseil du Trésor. La Commission incluait dans les prévisions budgétaires annuelles qu'elle soumettait au Parlement un montant indiquant les fonds requis par le Comité pour l'exercice suivant. Après l'attribution des crédits à la Commission par le Parlement, le Comité obtenait de la Commission les fonds dont elle avait besoin, en vertu d'un accord reposant sur l'honneur. Malgré cet accord, la Commission conservait, en droit, le contrôle de ces fonds.

Depuis 1991 ou 1992, il n'y a aucun entremêlement des fonds de la Commission et de ceux du Comité. En outre, la Commission ne joue aucun rôle concernant la façon dont le Comité dépense son argent. Toutefois, la Commission continue de lui fournir tous les services administratifs et intégrés, y compris en matière de finances et de personnel. En ce qui concerne le traitement des comptes d'honoraires et d'indemnités de dépenses des membres des tribunaux, M. Glynn approuvait la demande du membre et la présentait pour paiement au service des finances de la Commission. La Commission émettait alors les chèques de paye des membres des tribunaux, sur lesquels figuraient les mots "Commission canadienne des droits de la personne".

Malgré les efforts déployés par les présidents du Comité et par M. Glynn sur le plan administratif, la Commission demeurait préoccupée par la question de l'indépendance des tribunaux constitués en vertu de la Loi, comme en témoigne l'extrait suivant de son Rapport annuel, 1990 [aux pages 94 et 95]:

La Commission croit que les modifications suivantes sont nécessaires pour assurer l'indépendance et l'impartialité des tribunaux et pour accroître leur efficacité.

STRUCTURE ET PROCÉDURES DES TRIBUNAUX

Indépendance des tribunaux

Si les modifications de 1985 à la Loi ont prévu des moyens d'assurer l'impartialité et l'indépendance des tribunaux par rapport à la Commission, les alinéas 37(1)e) et f) et les paragraphes 48.5 et 49(4) disposent toujours que la rémunération et les indemnités de dépenses des membres des tribunaux doivent être fixées par règlement administratif de la Commission. Cette dernière juge qu'il est important qu'elle ne participe pas à la détermination de la rémunération des membres des tribunaux. La Commission soutient également qu'il y a lieu d'apporter des modifications à la Loi pour faire en sorte que les membres du tribunal soient disponibles de façon permanente, qu'ils aient une connaissance appropriée des lois sur les droits de la personne et de leur application et qu'ils puissent instruire les plaintes de manière plus expéditive.

vii)  le projet de loi C-108

Le 10 décembre 1992, le ministre de la Justice a déposé devant la Chambre des communes le projet de loi C-108, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et d'autres lois en conséquence. Dans le communiqué de presse émis après le dépôt du projet de loi C-108 devant la Chambre des communes, le ministre de la Justice de l'époque, Mme Kim Campbell, a formulé les remarques suivantes concernant les modifications de régie interne et de procédure:

2.   Modifications de régie interne et de procédure

Abolition du pouvoir de prendre des ordonnances obligatoires

À l'heure actuelle, la Commission des droits de la personne peut prendre des ordonnances, qui lient les tribunaux, pour préciser les limites et les modalités de l'application de la Loi. Ce pouvoir engendre deux importants problèmes.

D'abord, la Commission semble être en situation de conflit d'intérêts étant donné qu'elle tient le rôle de défenseur des droits de la personne devant les tribunaux et qu'elle prend habituellement position contre l'intimé. Elle ne devrait pas être habilitée à prendre des ordonnances régissant l'interprétation des affaires auxquelles elle est partie.

Enfin, le second problème tient au fait que les ordonnances de la Commission touchent de nouveaux domaines du droit, et, étant donné que les directives sont obligatoires, elles nuisent à l'évolution du droit.

Selon la proposition du gouvernement, les ordonnances de la Commission seraient facultatives. Ainsi, elles fourniraient une orientation sans nuire à l'évolution normale du droit. Les ordonnances actuelles concernant la parité salariale demeureront en vigueur.

Le projet de loi C-108 traitait de plusieurs questions perçues comme problématiques en ce qui concerne l'indépendance des tribunaux constitués en vertu de la Loi. En particulier, le projet de loi avait pour effet d'abroger les dispositions de la Loi qui permettaient à la Commission de prendre des règlements administratifs fixant les taux de rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux et prévoyaient que ceux-ci recevraient la rémunération fixée par le gouverneur en conseil (article 12 du projet de loi C-108, modifiant le paragraphe 37(1)). De plus, les membres des tribunaux avaient droit aux indemnités, notamment aux indemnités de déplacement, auxquelles les juges ont droit en vertu de la Loi sur les juges [L.R.C. (1985), ch. J-1] et ils étaient autorisés à terminer, après l'expiration de leur mandat, les affaires dont ils étaient déjà saisis (article 21 du projet de loi C-108). Le président du Comité devenait son premier dirigeant, investi du pouvoir d'en diriger et contrôler le travail. En collaboration avec les autres membres du Comité, le président devait établir des règles de pratique, avec l'approbation du gouverneur en conseil, régissant l'examen des plaintes par un tribunal (article 21 du projet de loi C-108). Le projet de loi préservait le pouvoir de la Commission de prendre des ordonnances, mais ces dernières ne liaient plus les tribunaux à l'exception de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, qui demeurait en vigueur et continuait de lier la Commission et les tribunaux (paragraphe 11(2) et article 29 du projet de loi C-108). On conférait aux tribunaux le pouvoir d'adjuger les dépens contre la Commission dans certaines circonstances (article 21 du projet de loi C-108). Il n'est pas nécessaire en l'espèce de se reporter aux autres modifications contenues dans le projet de loi concernant le Comité ou la procédure devant les tribunaux.

Dans une lettre en date du 26 janvier 1993, le président du Comité de l'époque, Keith Norton, a formulé, en réponse à l'invitation du ministre de la Justice, des commentaires sur les modifications contenues dans le projet de loi C-108. En ce qui concerne les modifications projetées en vue de l'élimination du pouvoir de la Commission de prendre des règlements administratifs fixant le taux de rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux, le président du Comité s'est exprimé en ces termes:

[traduction] Cette modification accroîtra l'indépendance du tribunal parce que les traitements du président, du vice-président et des membres du Comité ne seraient plus établis par la Commission par voie de règlement administratif, dissipant ainsi une troublante apparence de conflit d'intérêt découlant du fait que la Commission est également partie à tous les litiges soumis au tribunal.

Le président du Comité a également fait des commentaires favorables au ministre concernant, entre autres, la modification projetée obligeant le Comité à établir des règles de pratique. À cet égard, le président du Comité a fait remarquer que le Comité serait [traduction] "totalement indépendant" de la Commission en ce qui concerne l'établissement de ces règles de pratique et que ses pouvoirs seraient grandement augmentés. Quant à la disposition transitoire précisant que l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale continuerait de lier la Commission et les tribunaux jusqu'à ce qu'elle soit révoquée, le président du Comité a recommandé que cette ordonnance et toutes les autres ordonnances prises par la Commission cessent de lier les tribunaux. Il est intéressant de constater que les observations adressées au ministre par le président du Comité comportaient une section intitulée [traduction] "Indépendance" relativement à toutes les autres modifications projetées, mais que cette section brillait par son absence sur la page consacrée au caractère obligatoire des ordonnances et que le président du Comité n'a fait aucun commentaire à cet égard.

Dans son Rapport annuel, 1992, la Commission a commenté de façon assez circonstanciée les modifications projetées dans le projet de loi C-108, se réjouissant d'y trouver notamment une clarification de la séparation entre la Commission et le Comité.

En ce qui concerne le projet de loi C-108, M. Glynn a témoigné que ce projet de loi [traduction] "atteignait l'objectif que nous essayions d'établir". Malheureusement, ce projet de loi est mort au Feuilleton.

Dans son Rapport annuel, 1993, la Commission a indiqué qu'elle avait favorablement accueilli, de façon générale, les propositions contenues dans le projet de loi C-108. Elle a également décrit d'autres modifications qui s'imposaient de toute urgence "[outre] les modifications qui ont déjà été proposées par les gouvernements précédents à un moment ou l'autre".

Dans son Rapport annuel, 1995, la Commission a souligné que le gouvernement n'avait pas présenté un certain nombre de modifications importantes à la Loi, plus particulièrement en ce qui concernait l'orientation sexuelle et les adaptations raisonnables aux déficiences. En février 1996, le ministre de la Justice de l'époque a déclaré, dans un discours prononcé devant l'Association du Barreau canadien, qu'il prévoyait présenter des modifications à la Loi.

Depuis que le projet de loi C-108 a été laissé en plan au Feuilleton, les présidents du Comité et M. Glynn ont [traduction] "fait de nombreuses suggestions" au ministère de la Justice dans l'espoir que les modifications législatives proposées dans le projet de loi C-108 soient de nouveau déposées devant le Parlement pour répondre aux préoccupations suscitées par le manque d'indépendance des tribunaux. En particulier, les présidents du Comité et M. Glynn ont tenté d'obtenir que soient modifiés les alinéas 37(1)e ) et f) de la Loi afin de permettre à la Commission de contrôler le taux de rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux. En 1992 et 1993, la question du taux quotidien de rémunération à verser aux membres des tribunaux a fait l'objet de discussions entre le président du Comité et la Commission. En raison du gel des salaires dans la fonction publique, ces discussions ont été suspendues. On peut néanmoins s'attendre à ce que cette question refasse surface sous peu, compte tenu de la levée du gel. Pour obtenir une augmentation du taux quotidien de rémunération des membres des tribunaux, le Comité devra négocier avec la Commission pour la convaincre de prendre un règlement administratif autorisant le paiement d'un taux de rémunération majoré. Si la Commission acceptait de prendre un nouveau règlement administratif, celui-ci serait de plus subordonné à l'approbation du Conseil du Trésor.

viii)  le réaménagement administratif de 1997

Comme il a déjà été mentionné, après que le projet de loi C-108 a été laissé en plan au Feuilleton en 1992, le président du Comité et M. Glynn ont poursuivi leurs discussions avec le ministère de la Justice concernant la nécessité de modifier la Loi, [traduction] "afin de créer la perception d'une plus grande indépendance". Ils ont également amorcé la mise en œuvre de changements administratifs visant à séparer formellement le greffe du Comité de la Commission. La première étape de ce processus consistait à obtenir l'accord de la Commission, du Conseil du Trésor, du ministère de la Justice, de Travaux publics et Services gouvernementaux et du Bureau du Conseil privé. La deuxième étape consistait à décider comment procéder aux modifications nécessaires sur le plan du droit, compte tenu du régime législatif établi par la Loi. Finalement, il a été décidé de procéder aux modifications au moyen de plusieurs décrets.

En octobre 1994, dans le cadre de son examen de la Loi, le ministère de la Justice a transmis à M. Glynn, pour commentaires, une proposition détaillée en vue de l'établissement d'un nouveau tribunal. Dans sa réponse, M. Glynn a repris et mis à jour les observations écrites que le président du Comité de l'époque, Keith Norton, avait présentées au ministre de la Justice en janvier 1993 concernant le projet de loi C-108. Il a également ajouté, entre autres, les commentaires généraux suivants:

[traduction]

" que le traitement et la rémunération quotidienne des membres soient établis par le gouverneur en conseil, et non par la [Commission];

" que la Loi déclare que le tribunal constitue une entité indépendante et que son financement soit approuvé par un crédit distinct du Parlement; . . .

" que tous les tribunaux déjà constitués conservent la compétence pour terminer les affaires dont ils sont saisis.

Le 4 septembre 1996, la présidente du Comité, Anne Mactavish, a rencontré des représentants du ministère de la Justice pour discuter de la question des modifications à apporter à la Loi. Une note de service datée du 6 septembre 1996 résume ainsi la teneur de la discussion tenue lors de cette rencontre en ce qui concerne la rémunération des membres des tribunaux:

[traduction] Rémunération des membres des tribunaux

Si des modifications ne sont pas effectuées rapidement, [la présidente du Comité] s'est dite d'avis qu'il faudra peut-être réexaminer la proposition faite au [sous-ministre de la Justice], c'est-à-dire le renvoi devant la Cour fédérale, étant donné que cette question touche l'indépendance des tribunaux (dont les membres sont actuellement payés conformément à un règlement administratif de la CCDP).

Le ministère de la Justice a souligné que [le sous-ministre] ne voulait pas d'un renvoi à la Cour fédérale.

Cette note de service résumait en outre, dans les termes suivants, les discussions touchant le caractère obligatoire des ordonnances de la Commission:

[traduction] Ordonnances de la CCDP"TDP liés

[La présidente du comité] a exprimé l'opinion qu'il ne convenait pas que les ordonnances de la [Commission] lient les [tribunaux], comme c'est le cas actuellement en vertu du par. 27(3) de la Loi, étant donné que la Commission est l'une des parties qui comparaissent devant les [tribunaux]. Elle a expliqué que les propositions de modifications antérieures avaient supprimé cet élément.

Les représentants du ministère de la Justice étaient d'avis que la modification des dispositions législatives touchant les fonctions de la [Commission] constituait la Phase 2 du processus de modification et que les ordonnances étaient l'un des éléments en cours d'examen.

Le 5 décembre 1996, un décret pris en vertu de la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique, L.R.C. (1985), ch. P-34, transférait de la Commission au Comité le contrôle et la direction du greffe du Comité2. Des décrets ont également été pris pour modifier les annexes de la Loi sur la gestion des finances publiques [L.R.C. (1985), ch. F-11], de la Loi sur l'accès à l'information [L.R.C. (1985), ch. A-1], de la Loi sur la protection des renseignements personnels [L.R.C. (1985), ch. P-21], de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-35] et de la Loi sur la rémunération du secteur public [L.C. 1991, ch. 30], de façon à y inclure le Comité3. Voici le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui a été rédigé par M. Glynn et qui accompagnait les décrets4:

RÉSUMÉ DE L'ÉTUDE D'IMPACT

DE LA RÉGLEMENTATION

(Ce résumé ne fait pas partie des décrets.)

Description

Les décrets font état du réaménagement administratif nécessaire pour transférer le greffe du tribunal des droits de la personne de la [Commission] en constituant le [Comité] en ministère distinct, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

En 1985, la Loi canadienne sur les droits de la personne a été modifiée afin de créer un tribunal distinct. Le [Comité] et la [Commission] font partie d'un même programme, soit le Programme canadien des droits de la personne. La Commission a toutefois conservé le greffe du tribunal, même si ce dernier fonctionne de façon indépendante au regard des affaires courantes. Le greffe est financé à même le budget de la Commission et il relève du secrétaire général de la Commission et, en dernier ressort, du président de la Commission.

Solution de rechange

La seule autre solution qui permettrait d'atteindre le même résultat consisterait à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il ne semble pas que le gouvernement soit disposé à adopter les modifications législatives nécessaires dans un avenir prévisible.

Avantages et coûts

L'impact social éventuel sera positif. Plusieurs raisons justifient la séparation du Tribunal et de la Commission. Tout d'abord, d'un point de vue politique, il ne convient pas que la Commission participe au processus de prise de décisions et aux opérations financières du Tribunal puisqu'elle représente l'intérêt public et, généralement, l'intérêt du plaignant devant le Tribunal. La Commission est une partie au même titre que le plaignant et l'intimé. Selon les règles de la justice naturelle, la Commission ne doit pas sembler bénéficier d'un statut particulier ou d'une influence spéciale devant le Tribunal. En deuxième lieu, les intimés ont allégué qu'ils sont privés de la possibilité d'obtenir une audition équitable au sens de la Charte. Cette allégation repose sur la conviction selon laquelle le Tribunal et la Commission sont trop étroitement liés et que, en réalité, ils ne constituent qu'un seul et même organisme. Ces allégations ont occasionné des délais dans les procédures du Tribunal.

À la suite de la séparation de ces deux organismes, le Tribunal obtiendra ses propres crédits (affectation de deniers) et l'indépendance qui lui est nécessaire. Du même coup, cela dégagera la Commission de ses responsabilités et de ses obligations en ce qui a trait au rapport des activités du Tribunal.

L'impact économique sera minime. Il n'y aura aucun coût additionnel. Toutes les autorisations financières relatives au fonctionnement du greffe, actuellement aux niveaux de référence de la [Commission], seront transférées sous l'autorité du [Comité].

Le Tribunal bénéficiera de services intégrés d'un organisme gouvernemental fédéral indépendant au sein du portefeuille du ministère de la Justice.

. . .

Conformité et mise en application

Le défaut d'effectuer ces changements pourrait mettre en péril l'indépendance opérationnelle du tribunal et sa compétence à exécuter le mandat que lui a confié le Parlement.

Par application de ces décrets, le Comité a acquis le statut de ministère gouvernemental distinct de la Commission. Sur le plan pratique, la désignation du Comité en tant que ministère lui a conféré le pouvoir d'obtenir des crédits du Parlement en son propre nom, plutôt que par l'entremise de la Commission. De plus, la présidente a été investie du pouvoir d'administratrice d'un organisme gouvernemental, et le personnel du greffe du Comité n'a désormais plus de lien avec la Commission. En conséquence, le greffe du Comité a cessé de faire partie du Programme canadien des droits de la personne aux fins du financement du secteur public et la Commission a cessé de jouer un rôle opérationnel ou budgétaire relativement au Comité. Malgré ce changement important, le régime établi par la Loi est demeuré en vigueur. La Loi oblige notamment la Commission à fixer la rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux. En outre, la Commission a le pouvoir législatif de prendre des ordonnances qui lient les tribunaux.

La séparation du Comité et de la Commission effectuée par les décrets est survenue le 1er janvier 1997. Le Comité avait donc compétence pour soumettre son budget des dépenses au Parlement pour l'exercice 1997-1998. Cependant, le Comité a demandé qu'on lui fournisse une aide pendant la période transitoire sur le plan des services intégrés, des services financiers et des services du personnel, étant donné que c'est la Commission qui exerçait auparavant ces fonctions pour lui. Par conséquent, le Comité a pris des arrangements avec le Commissaire à la magistrature fédérale pour que le bureau de ce dernier lui fournisse les services intégrés dont il a besoin, à compter du 1er janvier 1997.

Le Comité a présenté au Parlement son Budget des dépenses 1997-1998 approuvé par le ministre de la Justice. Dans ce document, rédigé par M. Glynn et approuvé par la présidente du Comité, le Comité a fait la remarque suivante dans une section intitulée "Questions liées à la gestion du changement" [à la page 19]:

Avant 1996-1997, [le Comité] faisait partie intégrante du programme de la Commission canadienne des droits de la personne et était financé à même les crédits attribués à la Commission. On a demandé l'autorisation de faire du Tribunal un organisme distinct, dissocié de la Commission canadienne des droits de la personne, de sorte qu'il soit considéré par le public et par les clients comme une partie impartiale dans les affaires que lui renvoie la Commission.

ix)  le projet de loi C-98

Le 23 avril 1997, le projet de loi C-98, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, a été adopté en première lecture par la Chambre des communes. Le projet de loi C-98 modifiait notamment l'ensemble de la structure législative du Comité en créant le tribunal canadien des droits de la personne, composé d'au plus quinze membres à temps plein, dont le président et le vice-président, ou à temps partiel, nommés à titre inamovible par le gouverneur en conseil. Le président du tribunal en était le premier dirigeant et il avait le pouvoir d'en assurer la direction et d'en contrôler les activités, notamment en matière de répartition des tâches et de gestion de ses affaires internes. Le président du tribunal pouvait également établir des règles de pratique pour le Comité. Le projet de loi abolissait le pouvoir de la Commission de fixer, par règlement administratif, le taux de rémunération ainsi que les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux et prévoyait que ces membres recevraient la rémunération que fixerait le gouverneur en conseil (article 26 du projet de loi C-98, modifiant l'article 48.1 et modifiant les dispositions suivantes). De plus, ces membres avaient droit au remboursement de leurs frais de déplacement et de séjour jusqu'à concurrence du maximum autorisé par les directives du Conseil du Trésor applicables aux employés de l'État (article 20 du projet de loi C-98, modifiant l'article 37). La nomination du registraire et des autres membres du personnel nécessaires au bon fonctionnement du tribunal devait se faire conformément à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-33] (article 26 du projet de loi C-98, édictant l'article 48.8). Le projet de loi modifiait légèrement le libellé du paragraphe 27(3) de la Loi concernant les ordonnances pour l'harmoniser aux autres modifications, mais il ne portait pas atteinte au pouvoir de la Commission de prendre des ordonnances qui lient les tribunaux (article 19 du projet de loi C-98).

En raison de la dissolution de la Chambre des communes pour les élections générales de 1997, le projet de loi C-98 est mort au Feuilleton.

x)  le projet de loi S-5

Après les élections, le gouvernement a décidé de déposer les modifications incluses antérieurement dans le projet de loi C-98 en les reprenant dans le projet de loi S-55. Le 9 octobre 1997, le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, a été adopté en première lecture par le Sénat. Après sa deuxième lecture, le 29 octobre 1997, le projet de loi S-5 a été renvoyé devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour subir un examen détaillé. Le Comité permanent a présenté son rapport sur le projet de loi au Sénat le 4 décembre 1997. À la suite du rapport du Comité permanent, un amendement a été apporté au projet de loi6. Le projet de loi a été adopté en troisième lecture le 11 décembre 1997.

La Chambre des communes a adopté le projet de loi S-5 en première lecture le 2 février 1998. Après son adoption en deuxième lecture le 11 février 1998, le projet de loi S-5 a été renvoyé devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne pour fins d'étude. Ce Comité n'a pas encore terminé d'étudier le projet de loi S-5.

xi)  les nominations des membres du tribunal

Depuis les modifications de 1985, tous les membres du Comité, y compris son président, sont nommés à temps partiel par le gouverneur en conseil. Au moment de leur nomination, les membres sont informés du fait que leur taux quotidien de rémunération est fixé par un règlement administratif de la Commission. Les membres du Comité (qui compte présentement environ 52 membres) sont toujours nommés initialement pour une durée déterminée qui, de façon générale, est de deux, trois ou cinq ans. Comme la Loi prévoit qu'un membre du Comité peut être nommé de nouveau par le gouverneur en conseil, le ministre de la Justice a entière discrétion pour formuler une recommandation concernant le renouvellement du mandat d'un membre. Pour aider le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire, le Comité fournit régulièrement au bureau du ministre une mise à jour de la situation concernant les nominations des membres et une liste des dossiers en instance dont ils sont saisis. Lorsqu'on s'attend à ce que le mandat d'un membre saisi d'un dossier expire avant le règlement du dossier, le président du Comité demande la prolongation de sa nomination.

En l'espèce, le membre qui préside le tribunal a été nommé membre du tribunal pour une durée déterminée d'un an et demi, son mandat expirant le 31 décembre 1997; les deux autres membres du tribunal ont été nommés pour une durée déterminée de deux ans et de cinq ans, leur mandat expirant respectivement le 15 août et le 21 mai 1997. En conséquence, au moment où la présidente du Comité a désigné, en août 1996, ces trois personnes en tant que membres du tribunal constitué pour entendre la présente affaire, elle savait que leurs mandats expiraient tous en 1997 et qu'il serait nécessaire de s'adresser au ministre pour en demander la prolongation. Elle n'avait toutefois guère le choix, en l'espèce, puisque le mandat d'environ 44 des quelques 52 ou 53 membres du Comité expirait en 1997. Elle savait en outre que le présent dossier portait sur l'équité salariale et que l'audience durerait très longtemps. En fait, ces trois membres avaient été avisés que l'audience serait longue avant qu'ils n'acceptent de siéger. On peut donc croire qu'ils étaient intéressés à voir leurs mandats prolongés, sans quoi ils auraient refusé d'entendre l'affaire. Le Comité a présenté au ministre une liste des membres dont le mandat expirait en 1997 et des dossiers en instance dont ils étaient saisis, sur laquelle figuraient les membres du tribunal siégeant dans le présent dossier, afin que le ministre puisse faire prolonger leur mandat si elle jugeait bon d'exercer son pouvoir discrétionnaire à cette fin. Or, le mandat de l'un des membres du tribunal constitué en l'espèce n'a pas été prolongé en temps utile, pour une raison ou une autre. En conséquence, la procédure a été suspendue pendant une certaine période. Cependant, le mandat de ce membre a finalement été prolongé par le gouverneur en conseil.

Les membres des tribunaux sont assujettis au Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat, ainsi qu'au Code de conduite des membres du Tribunal des droits de la personne. Le paragraphe 17 de ce Code prévoit:

RESPONSABILITÉS GÉNÉRALES

17. Tous les membres reconnaissent leur rôle fondamental dans la réalisation des objectifs de la Loi et s'engagent à s'acquitter de leurs fonctions à titre de membres du Tribunal ou du Tribunal d'appel de façon à promouvoir l'intégrité, l'impartialité et l'indépendance des affaires instruites. À cette fin, tout membre du Comité ou tout ancien membre doit éviter les actes irréguliers et l'apparence d'irrégularité et doit observer des normes de conduite élevées afin d'assurer l'intégrité, l'indépendance et l'impartialité de la procédure.

LA QUESTION EN LITIGE

La question à trancher est celle de l'impartialité et de l'indépendance institutionnelle d'un tribunal constitué en vertu de la Loi.

L'ANALYSE

i)  la jurisprudence en matière d'indépendance judiciaire

Pour se prononcer sur l'impartialité et sur l'indépendance institutionnelle d'un tribunal, il faut analyser les principes relatifs à l'indépendance judiciaire, en se reportant plus particulièrement à leur application aux tribunaux administratifs.

Au cours des dernières années, la Cour suprême du Canada a abondamment écrit sur la question de l'indépendance judiciaire. Pour dégager les principes applicables en l'espèce, il importe d'examiner plusieurs arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur le concept évolutif de l'indépendance judiciaire, en commençant par l'arrêt de principe Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673. Dans cet arrêt, le juge Le Dain, s'exprimant au nom de la Cour, a examiné la question de savoir si un juge provincial siégeant en tant que juge de la Cour provinciale (Division criminelle) en Ontario constituait un tribunal indépendant au sens de l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte)7. Même si cette cause soulevait uniquement la question de l'indépendance individuelle d'un juge provincial, le juge Le Dain a fait ressortir, dans son analyse, la différence qui existait entre les concepts d'impartialité et d'indépendance en précisant, à la page 685:

Même s'il existe de toute évidence un rapport étroit entre l'indépendance et l'impartialité, ce sont néanmoins des valeurs ou exigences séparées et distinctes. L'impartialité désigne un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée. Le terme "impartial", comme l'a souligné le juge en chef Howland, connote une absence de préjugé, réel ou apparent. Le terme "indépendant", à l'al. 11d ), reflète ou renferme la valeur constitutionnelle traditionnelle qu'est l'indépendance judiciaire. Comme tel, il connote non seulement un état d'esprit ou une attitude dans l'exercice concret des fonctions judiciaires, mais aussi un statut, une relation avec autrui, particulièrement avec l'organe exécutif du gouvernement, qui repose sur des conditions ou garanties objectives.

Après avoir examiné la différence qui existait entre l'impartialité et l'indépendance, le juge Le Dain a étoffé ses propos sur les rapports individuels et institutionnels que fait intervenir l'indépendance judiciaire, à la page 687:

On admet généralement que l'indépendance judiciaire fait intervenir des rapports tant individuels qu'institutionnels: l'indépendance individuelle d'un juge, qui se manifeste dans certains de ses attributs, telle l'inamovibilité, et l'indépendance institutionnelle de la cour ou du tribunal qu'il préside, qui ressort de ses rapports institutionnels ou administratifs avec les organes exécutif et législatif du gouvernement. Voir Lederman, "The Independence of the Judiciary" dans The Canadian Judiciary (1976, ed. A.M. Linden), p. 7, et Deschênes, Maîtres chez eux (1981), passim, où la notion d'indépendance institutionnelle est appelée indépendance "collective". Les objections en l'espèce concernant le statut que possédaient les juges de cour provinciale, en vertu de la législation et de la réglementation qui prévalaient à l'époque où le juge Sharpe a décliné compétence, soulèvent des questions d'indépendance tant individuelle qu'institutionnelle. Le rapport entre ces deux aspects de l'indépendance judiciaire est qu'un juge, pris individuellement, peut jouir des conditions essentielles à l'indépendance judiciaire, mais si la cour ou le tribunal qu'il préside n'est pas indépendant des autres organes du gouvernement dans ce qui est essentiel à sa fonction, on ne peut pas dire qu'il constitue un tribunal indépendant.

Après avoir analysé ces rapports, le juge Le Dain a conclu, à la page 688, que le statut objectif ou la relation d'indépendance judiciaire était le premier sens qu'il fallait donner au terme "indépendant" de l'alinéa 11d ) de la Charte. Voici comment il s'est exprimé sur ce point, aux pages 688 et 689:

Naturellement, on se préoccupe finalement de la manière dont un tribunal agira concrètement dans une espèce particulière, et un tribunal qui n'agit pas en toute indépendance ne saurait être considéré comme indépendant au sens de l'al. 11d) de la Charte, quel que soit son statut objectif. Mais un tribunal dépourvu du statut objectif ou de la relation d'indépendance ne peut être considéré comme indépendant aux termes de l'al. 11d), quelle que soit la manière dont il paraît avoir agi dans une espèce particulière. C'est le statut objectif ou la relation d'indépendance judiciaire qui doit fournir l'assurance que le tribunal peut agir d'une manière indépendante et qu'il agira effectivement de cette manière.

Avant d'énoncer les conditions auxquelles il doit être satisfait pour garantir l'indépendance judiciaire, le juge Le Dain a reconnu la nécessité d'appliquer ces principes avec une certaine souplesse, compte tenu de la "diversité" des tribunaux qui tranchent des affaires faisant intervenir l'alinéa 11d ) de la Charte. Aux pages 692 et 693, il s'est exprimé dans les termes suivants:

Il ne serait cependant pas possible d'appliquer les conditions les plus rigoureuses et les plus élaborées de l'indépendance judiciaire à l'exigence constitutionnelle d'indépendance qu'énonce l'al. 11d) de la Charte, qui peut devoir s'appliquer à différents tribunaux. Les dispositions législatives et constitutionnelles qui, au Canada, régissent les questions ayant une portée sur l'indépendance judiciaire des tribunaux qui jugent les personnes accusées d'une infraction sont fort diverses et variées. Les conditions essentielles de l'indépendance judiciaire, pour les fins de l'al. 11d), doivent avoir un lien raisonnable avec cette diversité. De plus, c'est l'essence de la garantie fournie par les conditions essentielles de l'indépendance judiciaire qu'il convient d'appliquer en vertu de l'al. 11d), et non pas quelque formule législative ou constitutionnelle particulière qui peut l'offrir ou l'assurer.

Le juge Le Dain a conclu qu'il existait trois conditions essentielles à l'indépendance judiciaire aux fins de l'alinéa 11d) de la Charte: l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance institutionnelle du tribunal concernant les questions administratives qui ont directement un effet sur l'exercice de ses fonctions judiciaires. En ce qui concerne l'inamovibilité, son essence, pour les fins de l'alinéa 11d), "que ce soit jusqu'à l'âge de la retraite, pour une durée fixe, ou pour une charge ad hoc , est que la charge soit à l'abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l'exécutif ou de l'autorité responsable des nominations" (page 698). De même, la sécurité financière consiste essentiellement en ce que "le droit au traitement et à la pension soit prévu par la loi et ne soit pas sujet aux ingérences arbitraires de l'exécutif, d'une manière qui pourrait affecter l'indépendance judiciaire" (page 704). Enfin, l'indépendance administrative exige, à tout le moins, le contrôle judiciaire sur des questions telles "l'assignation des juges aux causes, les séances de la cour, le rôle de la cour, ainsi que les domaines connexes de l'allocation de salles d'audience et de la direction du personnel administratif qui exerce ces fonctions" (page 709).

Le juge Le Dain a de plus indiqué clairement dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité, à la page 689, qu'il est logique que "le critère de l'indépendance aux fins de l'al. 11d ) de la Charte soit, comme dans le cas de l'impartialité, de savoir si le tribunal peut raisonnablement être perçu comme indépendant." En conséquence, il a reconnu que le critère suivant applicable à la crainte raisonnable de partialité énoncé par le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369 [à la page 394], était celui qu'il convenait d'appliquer à l'indépendance d'un tribunal:

. . . la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.

La Cour suprême a étudié les origines de l'indépendance judiciaire dans l'arrêt SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, lequel portait sur la question de savoir si les pratiques institutionnelles de la Commission des relations de travail de l'Ontario étaient contraires aux règles de la justice naturelle parce qu'elles portaient atteinte à l'indépendance et à l'impartialité de la personne chargée de trancher une affaire. Le juge Gonthier a confirmé, au nom des juges majoritaires, que "[l]'indépendance des juges est un principe reconnu depuis longtemps dans notre droit constitutionnel; elle fait également partie des règles de justice naturelle, même en l'absence de protection constitutionnelle" (page 332). En faisant cette affirmation, le juge Gonthier s'est reporté aux arrêts Valente c. La Reine et autres , précité, et Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56.

Dans l'arrêt R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si un juge d'une cour municipale siégeant dans certaines régions du Québec constituait un "tribunal indépendant et impartial" au sens de l'alinéa 11d ) de la Charte, dans le cadre d'une contestation de la structure institutionnelle du système des cours municipales. Comme les faits de cette affaire ne soulevaient aucune question relative au concept de "l'indépendance", la Cour s'est prononcée, pour la première fois, sur la question de l'impartialité institutionnelle. En particulier, la Cour a examiné les dispositions législatives qui permettaient aux juges municipaux à temps partiel de continuer d'exercer leur profession d'avocat, sous réserve de certaines garanties. Le juge Gonthier, s'exprimant au nom des cinq juges majoritaires, a souscrit aux conclusions du juge en chef Lamer et s'est dit essentiellement d'accord avec son raisonnement. L'unique point sur lequel le juge Gonthier et le juge Lamer n'étaient pas de la même opinion était le "sens restreint" que le juge en chef donnait à l'indépendance judiciaire "comme se rapportant uniquement à l'indépendance vis-à-vis du gouvernement" (page 152).

Dans ses motifs, le juge en chef Lamer a décrit de la façon suivante les caractéristiques inhérentes aux concepts de l'indépendance judiciaire et de l'impartialité, à la page 139:

Comme l'a déclaré notre Cour dans l'arrêt MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796, à la p. 826, l'indépendance judiciaire est une condition fondamentale qui contribue à la garantie d'un procès dénué de partialité:

Il faut remarquer que l'indépendance du pouvoir judiciaire ne doit pas être confondue avec l'impartialité du pouvoir judiciaire. Comme le souligne le juge Le Dain dans l'arrêt Valente c. La Reine, l'impartialité a trait à l'état d'esprit d'un juge; l'indépendance judiciaire, par contre, se rapporte à la relation sous-jacente qu'il y a entre le pouvoir judiciaire et les autres organes du gouvernement, qui assure que la cour fonctionnera de façon impartiale et sera perçue comme tel. Ainsi, la question qui se pose dans une affaire comme la présente n'est pas de savoir si l'acte du gouvernement en question aura en fait des répercussions sur l'impartialité d'un juge, mais plutôt de savoir s'il menace l'indépendance qui est la condition fondamentale de l'impartialité judiciaire dans un cas donné.

La garantie d'indépendance judiciaire vise dans l'ensemble à assurer une perception raisonnable d'impartialité; l'indépendance judiciaire n'est qu'un "moyen" pour atteindre cette "fin". Si les juges pouvaient être perçus comme "impartiaux" sans l'"indépendance" judiciaire, l'exigence d'"indépendance" serait inutile. Cependant, l'indépendance judiciaire est essentielle à la perception d'impartialité qu'a le public. L'indépendance est la pierre angulaire, une condition préalable nécessaire, de l'impartialité judiciaire.

Cependant, les faits de l'espèce montrent clairement que, dans certaines situations, il peut arriver que l'indépendance judiciaire ne soit pas suffisante. L'indépendance judiciaire n'est qu'un élément de l'impartialité judiciaire:

[traduction] [L']absence d'indépendance pourrait être considérée comme un bon indice du manque d'impartialité. Cependant, le manque d'impartialité ne signifie pas nécessairement, à lui seul, qu'il y a absence d'indépendance. En effet, le manque d'impartialité peut être imputable à un certain nombre de facteurs, et l'absence d'indépendance n'est qu'un de ces facteurs.

Après avoir examiné les aspects de l'indépendance et de l'impartialité, qui sont distincts mais qui se chevauchent, le juge en chef Lamer a étendu les principes fondamentaux énoncés dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité, en y incluant le concept de "l'impartialité institutionnelle". Voici les propos qu'il a tenus à cet égard, à la page 140:

Nonobstant l'indépendance judiciaire, il peut aussi exister une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel ou structurel. Bien que le concept de l'impartialité institutionnelle n'ait jamais été reconnu par notre Cour, la garantie constitutionnelle d'un "tribunal indépendant et impartial" doit être suffisamment étendue pour le renfermer. Tout comme l'exigence d'indépendance judiciaire comporte un aspect individuel aussi bien qu'institutionnel (Valente , précité, à la p. 687), il en va de même pour l'exigence d'impartialité judiciaire. Je ne saurais interpréter la Charte canadienne comme garantissant l'une sur le plan institutionnel, et l'autre simplement au cas par cas.

Le juge en chef Lamer a poursuivi sa description du concept de l'impartialité institutionnelle dans les termes suivants, aux pages 140 et 141: "qu'un juge particulier ait ou non entretenu des idées préconçues ou des préjugés, si le système est structuré de façon à susciter une crainte raisonnable de partialité sur le plan institutionnel, on ne satisfait pas à l'exigence d'impartialité. Comme l'a déclaré notre Cour dans l'arrêt Valente , précité, l'apparence d'impartialité est importante pour assurer la confiance du public dans le système." Toutefois, à l'instar du juge Le Dain dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité, le juge Lamer a reconnu que la Constitution ne pouvait garantir un système idéal.

Après avoir reconnu l'existence de ce concept, le juge en chef Lamer a abordé la question du critère à utiliser pour déterminer s'il y a eu atteinte à l'impartialité institutionnelle, et il a conclu que le critère énoncé par le juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, précité, et retenu dans l'affaire Valente c. La Reine, précité, s'appliquait également à l'impartialité institutionnelle.

Toutefois, en appliquant ce critère aux faits de l'affaire dont il était saisi, le juge en chef Lamer s'est engagé dans l'analyse en deux étapes décrite ci-dessous, aux pages 144 et 145:

Première étape: Compte tenu d'un certain nombre de facteurs, y compris mais sans s'y restreindre, la nature de l'occupation en cause et les partis qui comparaissent devant ce genre de juge, une personne parfaitement informée éprouvera-t-elle une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas?

Deuxième étape: Si la réponse à cette question est négative, on ne saurait alléguer qu'il y a crainte de partialité sur le plan institutionnel et la question doit se régler au cas par cas.

Si toutefois la réponse à cette question est affirmative, . . . À ce stade de notre analyse, il faut se demander quelles sont les garanties existantes qui réduiront au minimum les effets préjudiciables, et si elles sont suffisantes pour respecter la garantie d'impartialité institutionnelle prévue à l'al. 11d) de la Charte canadienne. Ici encore, le critère consiste à déterminer si le système judiciaire soulèvera, dans un grand nombre de cas, une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit d'une personne parfaitement informée. Il est important de se souvenir qu'il faut présumer que la personne parfaitement informée, à ce stade de l'analyse, connaît toutes les garanties existantes. Si ces dernières ont remédié aux problèmes de partialité dans un grand nombre de cas, le tribunal satisfait aux exigences d'impartialité institutionnelle prévues à l'al. 11d) de la Charte canadienne. 

En conséquence, le juge en chef Lamer a adopté le critère énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, précité, dans le premier volet de son critère. Toutefois, en supposant que la question de la crainte raisonnable de partialité à ce premier volet reçoive une réponse affirmative, il a ajouté, au deuxième volet de son critère, la nouvelle exigence additionnelle qui consiste à vérifier s'il existe des garanties pouvant atténuer les problèmes de partialité perçus.

Appliquant ce critère en deux volets aux faits de l'affaire dont il était saisi, le juge en chef Lamer a conclu au premier volet, à la page 146, que "la pratique du droit donne lieu à une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas et que, par conséquent, elle est intrinsèquement incompatible avec les fonctions d'un juge". Compte tenu de la réponse affirmative à laquelle il est parvenu au premier du volet du critère, le juge en chef Lamer est passé au deuxième volet et il a examiné les garanties législatives applicables permettant de réduire au minimum le problème de partialité perçu, y compris le serment d'entrée en fonction, l'immunité judiciaire et le code de déontologie. Il s'est également référé aux mesures prises par les juges municipaux pour devenir davantage indépendants et impartiaux. Compte tenu des garanties législatives, il a conclu [à la page 152] que "Une personne raisonnablement bien informée"qui connaît parfaitement le système des cours municipales du Québec, y compris toutes les garanties qu'il comporte"ne devrait pas éprouver de crainte de partialité dans un grand nombre de cas." Il a donc conclu qu'il n'avait pas été porté atteinte à la garantie d'impartialité judiciaire prévue à l'alinéa 11d ) de la Charte et à l'article 23 de la Charte québécoise [Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12].

Dans l'affaire R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, la Cour suprême du Canada a examiné, entre autres, la question de savoir si le procès de l'appelant par une cour martiale générale portait atteinte à son droit à un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial, garanti par l'alinéa 11d) de la Charte. Le juge en chef Lamer, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a souligné que l'appelant ne mettait pas en doute l'impartialité de la cour martiale générale, mais qu'il axait plutôt sa contestation sur l'indépendance institutionnelle du tribunal.

Dans sa description des principes applicables pour analyser le droit garanti par l'alinéa 11d) de la Charte, le juge en chef Lamer a repris les conditions essentielles de l'indépendance énoncées dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité, et il a insisté sur le fait que la Cour avait retenu ces conditions en reconnaissant qu'elles pouvaient s'appliquer avec souplesse à différents tribunaux. Toutefois, il a fait la mise en garde suivante, à la page 286: "[b]ien que ces conditions soient susceptibles d'être appliquées avec souplesse afin de répondre aux besoins de divers tribunaux, il faut protéger l'essence de chaque condition dans tous les cas."

En décrivant les conditions essentielles de l'indépendance, le juge en chef Lamer a fait remarquer, à la page 285, que la première condition, celle de l'inamovibilité, pouvait être "remplie de diverses façons", mais que "[c]e qui est essentiel, c'est que le décideur ne puisse être révoqué que pour un motif déterminé." En ce qui a trait à la deuxième condition, soit la sécurité financière, il s'est reporté à l'affirmation faite dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité, à la page 704, selon laquelle le droit au traitement et à la pension doit être prévu par la loi et ne doit pas être sujet aux ingérences arbitraires de l'exécutif. Toutefois, il a reconnu que divers régimes pouvaient satisfaire à cette exigence, aux pages 285 et 286:

Dans les limites de cette exigence, toutefois, les gouvernements fédéral et provinciaux doivent conserver le pouvoir d'établir des régimes de rémunération spécifiques qui conviennent à divers types de tribunaux. Par conséquent, divers régimes peuvent satisfaire également à l'exigence de sécurité financière, pourvu que l'essence de la condition soit préservée.

Quant à la troisième condition, soit l'indépendance administrative, le juge en chef Lamer a déclaré qu'il serait "inacceptable qu'une force extérieure soit en mesure de s'immiscer dans les affaires qui se rattachent directement et immédiatement à la fonction décisionnelle, comme, par exemple, l'assignation des juges aux causes, les séances et le rôle de la cour" (page 286).

Après avoir examiné les principes généraux applicables, le juge en chef Lamer a entrepris l'analyse de la question fondée sur l'alinéa 11d) de la Charte par l'étude du cadre législatif régissant la constitution et la procédure de la cour martiale générale, afin de déterminer si elle "possède les caractéristiques essentielles d'un tribunal indépendant et impartial" (page 296). Après avoir considéré le contexte et la structure institutionnels de la cour martiale générale, il a examiné le statut de cette dernière "en fonction des trois conditions essentielles de l'indépendance judiciaire énoncées dans l'arrêt Valente" (pages 300 et 301).

En ce qui concerne le critère de l'inamovibilité, le juge en chef Lamer a souligné, notamment, que "selon les règlements en vigueur lors du procès de l'appelant, le juge-avocat n'occupait qu'une charge ad hoc . Par conséquent, il n'y avait objectivement aucune garantie que sa carrière de juge militaire ne serait pas compromise s'il rendait des décisions favorables à l'accusé plutôt qu'à la poursuite" (page 303). Il a donc conclu que "la condition essentielle de l'inamovibilité, dans ce contexte, exige à tout le moins la protection contre l'ingérence de l'exécutif pendant une période déterminée." En expliquant comment il est parvenu à cette conclusion, le juge en chef Lamer a dit, aux pages 303 et 304:

Dans l'arrêt Valente, on a dit qu'attribuer l'inamovibilité à un décideur à l'égard d'une "charge ad hoc" peut être une garantie suffisante d'inamovibilité. Je ne crois pas que cet énoncé soit applicable dans le présent contexte. Certes, la cour martiale générale est convoquée spécialement pour une affaire, mais il ne s'agit pas d'une "charge ad hoc". La cour martiale générale est convoquée régulièrement. Les juges militaires qui, périodiquement, agissent comme juges- avocats doivent donc bénéficier d'une inamovibilité qui les mette à l'abri de toute ingérence de l'exécutif pendant une période déterminée. Par conséquent, l'inamovibilité pendant qu'une cour martiale générale instruit une affaire donnée, c'est-à-dire celle qui découle du fait qu'aucune disposition de la Loi ou des règlements ne permet la révocation d'un juge-avocat au cours d'un procès (sauf si le juge-avocat est incapable d'assister aux audiences: par. 112.64(2) O.R.F.C.), n'est pas une garantie suffisante aux fins de l'al. 11d ) de la Charte.

Le juge en chef Lamer a souligné que les principales lacunes concernant l'inamovibilité avaient été comblées par des modifications portant qu'un officier est nommé au poste de juge militaire pour une période de deux à quatre ans.

Pour ce qui est de la sécurité financière, le juge en chef Lamer a conclu que l'exécutif avait le pouvoir d'influer sur les salaires et les promotions des officiers faisant fonction de juges-avocats et de membres d'une cour martiale. Il a examiné la pratique existante afin de déterminer si elle remédiait aux problèmes relevés. Sur ce point, il a déclaré, à la page 307:

L'exécutif avait nettement le pouvoir d'influer sur les salaires et les chances d'avancement des officiers faisant fonction de juges-avocats et de membres d'une cour martiale. Même s'il se pouvait fort bien que l'exécutif ait coutume de respecter l'indépendance des participants à la cour martiale sous ce rapport, cela n'était pas suffisant pour corriger les faiblesses du statut du tribunal. Une personne raisonnable se rendrait compte de l'absence, en l'espèce, de la sécurité financière qui constitue une condition essentielle de l'indépendance judiciaire.

En ce qui concerne l'indépendance administrative, le juge en chef Lamer a conclu, pour différents motifs, qu'il y avait effectivement ingérence extérieure relativement à ces questions. Il était donc d'avis que "certaines caractéristiques du système des cours martiales générales serait fort probablement susceptibles de compromettre l'indépendance institutionnelle du tribunal dans l'esprit d'une personne raisonnable et bien informée" (page 308).

Dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a examiné notamment la question de savoir si le tribunal de révision et le comité de révision des évaluations, constitués sous le régime du Règlement administratif de taxation et d'évaluation de la Bande, suscitaient une crainte raisonnable de partialité découlant de leurs structures institutionnelles. Dans l'arrêt Katz v. Vancouver Stock Exchange (1995), 128 D.L.R. (4th) 424 (C.A.C.-B.), la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a posé les balises suivantes, à la page 432, pour guider l'examen de l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, précité:

[traduction] Soulignons que le pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été rejeté par cinq des neuf juges, mais que les juges majoritaires, bien que souscrivant au résultat, se sont appuyés sur des motifs différents. Le juge en chef Lamer (le juge Cory ayant souscrit à ses motifs) a traité en profondeur de la question de l'indépendance institutionnelle. Le juge Sopinka (les juges L'Heureux-Dubé, Gonthier et Iacobucci ayant souscrit à ses motifs), dissident quant au résultat, a également examiné la question de l'indépendance institutionnelle, mais il a adopté une opinion divergente de celle du juge en chef sur cette question. Le juge La Forest a rédigé de brefs motifs à l'appui du rejet du pourvoi, mais il n'a pas jugé nécessaire d'examiner la question de l'indépendance institutionnelle. Le juge Major (le juge MacLachlin ayant souscrit à ses motifs) a également conclu que le pourvoi devait être rejeté, mais sans se reporter à la question de l'indépendance institutionnelle.

Il ressort de l'examen des motifs de dissidence du juge Sopinka, auxquels ont souscrit trois autres juges, qu'il était d'accord avec le juge en chef Lamer sur toutes les questions sauf sur celle de l'absence d'indépendance institutionnelle. En particulier, le juge Sopinka a conclu qu'il était essentiel de tenir compte de la pratique du tribunal pour apprécier la question de l'indépendance institutionnelle, alors que le juge en chef Lamer a limité son analyse à la structure du tribunal décrite aux règlements administratifs constitutifs.

Au début de ses motifs, le juge en chef Lamer a confirmé que les principes énoncés par la Cour relativement à l'indépendance judiciaire dans le contexte d'une contestation fondée sur l'alinéa 11d) de la Charte s'appliquaient tout autant aux allégations de crainte raisonnable de partialité concernant l'indépendance et l'impartialité des tribunaux administratifs. Sur ce point, il a dit, à la page 41:

À titre d'observation préliminaire, je ferai remarquer que l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à tout inculpé le droit à un procès devant un tribunal indépendant et impartial. Il ne s'agit évidemment pas en l'occurrence d'un "inculpé", si bien que l'al. 11d ) n'est pas directement applicable. Toutefois, en interprétant cet alinéa, notre Cour a élaboré certains principes importants quant à la façon dont il convient d'aborder les questions de partialité et, en particulier, les questions d'indépendance et d'impartialité.

En ce qui concerne la question de l'impartialité institutionnelle, le juge en chef Lamer a appliqué le critère en deux volets qu'il avait énoncé dans l'arrêt Lippé, précité, et il a conclu qu'une personne parfaitement informée n'éprouverait pas de crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas.

En ce qui a trait à la question de l'indépendance institutionnelle, le juge en chef Lamer a confirmé que les principes élaborés dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité, dans le contexte d'une contestation fondée sur l'alinéa 11d) de la Charte, s'appliquaient aux tribunaux administratifs. Voici les propos qu'il a tenus, à la page 48:

Pour commencer mon analyse de la question de l'indépendance institutionnelle, je fais remarquer que notre arrêt Valente, précité, peut nous guider dans l'appréciation de l'indépendance d'un tribunal administratif. Le juge Le Dain se penche en effet, dans cet arrêt, sur la question de l'indépendance des juges de la Cour provinciale et énumère trois éléments qui doivent être présents pour que l'indépendance soit établie, à savoir: l'inamovibilité, la sécurité de traitement et le contrôle administratif.

Il a également confirmé que l'indépendance judiciaire faisait partie des règles de justice naturelle et qu'elle s'appliquait donc aux instances se déroulant devant les tribunaux administratifs. Voici l'opinion qu'il a exprimée à cet égard, à la page 49:

Comme il a été indiqué plus haut, le juge Le Dain écrivait dans le contexte de l'al. 11d) de la Charte, qui ne s'applique que dans le cas d'un "inculpé". Cependant, plusieurs arrêts de la Cour d'appel fédérale ont établi que les principes posés dans l'arrêt Valente étaient applicables aux tribunaux administratifs. Voir, par exemple, MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856, aux pp. 869 à 871; Sethi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 552, aux pp. 558 et 559; et Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363, aux pp. 386 et 387.

Notre Cour a examiné l'arrêt Valente, précité, dans au moins une affaire où il s'agissait d'un tribunal administratif, soit SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, à la p. 332, et où l'indépendance de la Commission des relations de travail de l'Ontario était en cause. Le juge Gonthier a dit, à la p. 332:

L'indépendance des juges est un principe reconnu depuis longtemps dans notre droit constitutionnel; elle fait également partie des règles de justice naturelle même en l'absence de protection constitutionnelle.

Je partage cet avis et je conclus que l'un des principes de justice naturelle veut qu'une partie reçoive une audience devant un tribunal qui non seulement est indépendant, mais qui le paraît. La partie qui craint raisonnablement la partialité ne devrait pas être obligée de se soumettre au tribunal qui fait naître cette crainte. De plus, les principes en matière d'indépendance judiciaire énoncés dans l'arrêt Valente s'appliquent dans le cas d'un tribunal administratif lorsque celui-ci agit à titre d'organisme juridictionnel qui tranche les différends et détermine les droits des parties. Je reconnais toutefois que l'application stricte de ces principes ne se justifie pas toujours.

En ce qui a trait au critère, le juge en chef Lamer a confirmé que le "critère classique" énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, précité, s'appliquait aux allégations de crainte raisonnable de partialité comportant des aspects liés à l'indépendance institutionnelle d'un tribunal administratif. Il a également souligné, à la page 50, que "les motifs de crainte doivent être "sérieux"" et "qu'il y a lieu de faire preuve [de souplesse] en appliquant aux tribunaux administratifs le critère permettant de déterminer s'il y a partialité".

Compte tenu de la diversité des pouvoirs et des fonctions des tribunaux administratifs, le juge en chef Lamer a donné les indications suivantes, aux pages 51 et 52, concernant l'application de ce critère:

Par conséquent, bien que les tribunaux administratifs soient assujettis aux principes énoncés dans l'arrêt Valente, le critère relatif à l'indépendance institutionnelle doit être appliqué à la lumière des fonctions que remplit le tribunal particulier dont il s'agit. Le niveau requis d'indépendance institutionnelle (c.-à-d. l'inamovibilité, la sécurité financière et le contrôle administratif) dépendra de la nature du tribunal, des intérêts en jeu et des autres signes indicatifs de l'indépendance, tels les serments professionnels.

Parfois, un haut niveau d'indépendance s'imposera. Par exemple, lorsque les décisions du tribunal ont une incidence sur le droit d'une partie à la sécurité de sa personne (comme dans le cas des arbitres en matière d'immigration dans l'arrêt Mohammad, précité), une application plus stricte des principes énoncés dans l'arrêt Valente peut se justifier. En l'espèce, il s'agit d'un tribunal administratif chargé de trancher des différends concernant l'évaluation en matière d'impôt foncier. À mon avis, une plus grande souplesse est manifestement justifiée dans une telle situation.

C'est cette démarche que j'adopte donc relativement à la question de savoir si les membres des tribunaux d'appel constitués par les bandes appelantes sont suffisamment indépendants. Les principes posés dans l'arrêt Valente doivent être considérés à la lumière de la nature des tribunaux d'appel eux-mêmes, des intérêts en jeu et des autres signes indicatifs de l'indépendance, afin de déterminer si une personne sensée et raisonnable qui considérerait dans son ensemble la procédure prévue dans les règlements d'évaluation aurait une crainte raisonnable de partialité pour le motif que les membres des tribunaux d'appel ne sont pas indépendants.

En appliquant ce critère aux faits de l'affaire dont il était saisi, le juge en chef Lamer a conclu à l'existence de problèmes liés à la rémunération et à la durée des fonctions des membres des tribunaux. Il a mentionné, à la page 59, que ces problèmes pouvaient être corrigés de la façon suivante pour préserver l'indépendance institutionnelle des deux tribunaux:

Les bandes indiennes peuvent, bien sûr, hésiter à céder au gouvernement fédéral le pouvoir de nommer les membres des tribunaux, étant donné que le nouveau régime d'évaluation en matière de taxation vise notamment à favoriser l'autonomie gouvernementale des autochtones. Par conséquent, pour que soient respectées les exigences relatives à l'indépendance institutionnelle, il faudra que les règlements administratifs des bandes appelantes garantissent aux membres des tribunaux une rémunération et précisent la durée de leurs fonctions. Ces règlements devront en outre prévoir que les membres des tribunaux ne peuvent être révoqués que "pour un motif valable".

Dans les motifs de sa dissidence (auxquels ont souscrit trois juges), le juge Sopinka a expliqué dans les termes suivants, à la page 68, le seul point sur lequel son opinion différait de celle du juge en chef Lamer:

La différence entre nous deux est que le Juge en chef limiterait ces renseignements aux énoncés concernant la procédure contenus dans les règlements, tandis que je remettrais à un stade ultérieur l'application du critère afin que la personne raisonnable puisse avoir l'avantage de savoir comment le tribunal en question fonctionne dans les faits. C'est maintenant presque un truisme de dire que les principes de justice naturelle sont flexibles et doivent être considérés dans leur contexte. Comme le dit le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty, précité, à la p. 395:

Évidemment, le principe fondamental est le même: la justice naturelle doit être respectée. En pratique cependant, il faut prendre en considération le caractère particulier du tribunal.

Le juge Sopinka a également souligné que la pratique suivie concrètement par un tribunal lors d'une audience a été examinée afin d'apprécier l'indépendance institutionnelle, dans les arrêts suivants: Canada (Procureur général) c. Alex Couture inc., [1991] R.J.Q. 2534 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [1992] 2 R.C.S. v; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.); et Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363 (C.A.).

Enfin, le juge Sopinka a fait allusion aux dangers inhérents à l'omission de tenir compte de la pratique suivie par le tribunal en affirmant, aux pages 71 et 72:

Il ne serait pas prudent de formuler des conclusions définitives sur le fonctionnement de cette institution en se fondant uniquement sur le libellé des règlements administratifs. La connaissance de la réalité opérationnelle de ces éléments manquants pourrait offrir un contexte nettement plus riche dans lequel peut être entrepris un examen objectif de l'institution en question et des rapports qui la caractérisent. Autrement, l'hypothétique "personne sensée" dont on parle en droit administratif demeure, pour sensée qu'elle soit, ignorante.

Dans l'arrêt Katz v. Vancouver Stock Exchange, précité, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a examiné la question de savoir s'il existait une crainte raisonnable de partialité de la part d'un tribunal constitué par la Bourse de Vancouver pour mener une enquête. La Cour, qui a conclu à l'absence de crainte raisonnable de partialité, a tenu compte de la loi et des règlements administratifs de la Bourse, ainsi que de la pratique établie. La Cour a également souligné que la fonction d'autoréglementation des tribunaux constitués par la Bourse pour mener une enquête n'était pas analogue à la fonction décisionnelle des tribunaux en matière d'évaluation des immeubles en cause dans l'affaire Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, précitée.

Dans l'arrêt Katz c. Vancouver Stock Exchange, [1996] 3 R.C.S. 405, la Cour suprême du Canada a rejeté dans les termes suivants, à la page 406, le pourvoi contre la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique:

Nous sommes d'accord avec la Cour d'appel de la Colombie-Britannique que la pratique du tribunal en question est un des nombreux facteurs qui doivent être pris en considération pour statuer sur l'existence du degré d'indépendance nécessaire pour éviter que naisse une crainte raisonnable de partialité. Nous sommes également d'accord avec la Cour d'appel de la Colombie-Britannique pour dire que, en l'espèce, particulièrement dans un contexte d'autoréglementation, la situation est très différente de celle qui existait dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3.

Dans l'arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, la Cour suprême du Canada s'est prononcée sur l'impartialité et l'indépendance institutionnelles du tribunal qui avait révoqué le permis d'alcool de l'appelante. Au début de ses motifs, le juge Gonthier, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a souligné que cette cause mettait en relief "la nécessité de concilier les impératifs de commodité administrative et les principes d'impartialité et d'indépendance, avec lesquels il ne saurait trop facilement être transigé" (page 931).

Après avoir constaté que le processus menant à la révocation du permis était de nature quasi judiciaire, le juge Gonthier a conclu que l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, dont le libellé est semblable à celui de l'alinéa 11d) de la Charte, s'appliquait. Toutefois, il a souligné que même si l'article 23 n'était pas applicable, les principes de justice naturelle rendraient obligatoires l'indépendance et l'impartialité de l'auteur d'une décision quasi judiciaire.

En ce qui concerne l'impartialité institutionnelle, le juge Gonthier a appliqué le critère établi dans l'arrêt R. c. Lippé, précité. Il a également répété qu'il y avait lieu de faire preuve d'une plus grande souplesse dans l'appréciation d'une crainte raisonnable de partialité de la part des tribunaux administratifs. Toutefois, il a rappelé, à la page 952, que:

. . . cette nécessaire flexibilité, et la difficulté d'isoler les éléments essentiels de l'impartialité institutionnelle, ne doivent pas permettre d'éluder les lacunes sérieuses d'un processus quasi judiciaire. La perception d'impartialité reste essentielle au maintien de la confiance du public dans le système de justice.

En ce qui concerne l'indépendance institutionnelle, le juge Gonthier a adopté les approches retenues dans les affaires Valente c. La Reine et autres, précitée, et Beauregard c. Canada, précitée, et il a confirmé que "[c]omme en matière d'impartialité, une certaine dose de flexibilité est de mise à l'endroit des tribunaux administratifs" (page 961). Il a également repris l'affirmation faite par le juge en chef Lamer dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, précité, portant que les fonctions du tribunal doivent être prises en compte et que le niveau d'indépendance institutionnelle "dépendra de la nature du tribunal, des intérêts en jeu et des autres signes indicatifs de l'indépendance, tels les serments professionnels" (page 962).

L'arrêt le plus récent de la Cour suprême du Canada en matière d'indépendance judiciaire est Manitoba Provincial Judges Assn. c. Manitoba (Ministre de la Justice), [1997] 3 R.C.S. 3 (ci-après appelé le Renvoi sur les juges). Dans cette affaire, les pourvois étaient fondés sur l'alinéa 11d) de la Charte et la seule question en litige était celle "de savoir si la garantie d'indépendance de la magistrature prévue à l'al. 11d ) de la [Charte] a pour effet de restreindre et les moyens par lesquels les gouvernements et les assemblées législatives des provinces peuvent réduire les traitements des juges des cours provinciales, et l'ampleur de ces réductions" (page 30). En particulier, la Cour a examiné le contenu de la "dimension . . . institutionnelle de la sécurité financière des juges des cours provinciales" (page 31).

Dans ses motifs, le juge en chef Lamer, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a traité de la question du "fondement constitutionnel" de l'indépendance judiciaire, et il a conclu que cette indépendance était "à l'origine un principe constitutionnel non écrit , en ce sens qu'il est extérieur aux articles particuliers des Lois constitutionnelles" (page 64). Voici les propos qu'il a tenus sur ce point, aux pages 77 et 78:

En conclusion, les dispositions expresses de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Charte ne codifient pas de manière exhaustive la protection de l'indépendance de la magistrature au Canada. L'indépendance de la magistrature est une norme non écrite, reconnue et confirmée par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. En fait, c'est dans le préambule, qui constitue le portail de l'édifice constitutionnel, que se trouve la véritable source de notre engagement envers ce principe fondamental.

Après avoir examiné les origines et la nature de l'indépendance judiciaire, le juge en chef Lamer a précisé sa pensée à l'égard de certains aspects de l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité. Il a notamment traité des "trois caractéristiques essentielles de l'indépendance de la magistrature et [des] deux dimensions de cette indépendance" décrites par le juge Le Dain dans cet arrêt (page 80). Aux pages 81 à 83, il a dit:

Les trois caractéristiques essentielles de l'indépendance de la magistrature"inamovibilité, sécurité financière et indépendance administrative"doivent être distinguées de ce que j'ai appelé les deux dimensions de l'indépendance judiciaire. Dans Valente, le juge Le Dain a fait une distinction entre les deux dimensions de l'indépendance judiciaire, l'indépendance individuelle d'un juge et l'indépendance institutionnelle ou collective de la cour ou du tribunal auquel le juge appartient. En d'autres mots, si l'indépendance individuelle s'attache aux juges pris individuellement, l'indépendance institutionnelle ou collective s'attache à la cour ou au tribunal en tant qu'entité institutionnelle. Ces deux dimensions différentes de l'indépendance de la magistrature sont liées de la façon suivante (Valente, précité, à la p. 687):

Le rapport entre ces deux aspects de l'indépendance judiciaire est qu'un juge, pris individuellement, peut jouir des conditions essentielles à l'indépendance judiciaire, mais si la cour ou le tribunal qu'il préside n'est pas indépendant des autres organes du gouvernement dans ce qui est essentiel à sa fonction, on ne peut pas dire qu'il constitue un tribunal indépendant.

Il est nécessaire d'expliquer le rapport qui existe entre les trois caractéristiques essentielles de l'indépendance de la magistrature et les deux dimensions de ce principe, parce que l'explication donnée par le juge Le Dain dans Valente est incomplète. À titre d'exemple, ce dernier a affirmé que l'inamovibilité se rattachait à l'indépendance individuelle des membres d'une cour ou d'un tribunal, tandis que l'indépendance administrative s'attachait à l'indépendance institutionnelle ou collective de la cour ou du tribunal concerné. Toutefois, les caractéristiques essentielles de l'indépendance de la magistrature et les dimensions de cette indépendance sont deux concepts très différents. Les caractéristiques essentielles de l'indépendance de la magistrature sont des facettes distinctes de la définition de cette indépendance. L'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance administrative forment, ensemble, l'indépendance de la magistrature. Par contraste, les dimensions de cette indépendance indiquent lequel"du juge pris individuellement ou de la cour ou du tribunal auquel il appartient"est protégé par une caractéristique essentielle donnée.

La distinction conceptuelle entre les caractéristiques essentielles de l'indépendance de la magistrature et les dimensions de ce principe tend à indiquer qu'il est possible qu'une caractéristique essentielle ait à la fois une dimension individuelle et une dimension institutionnelle ou collective. Certes, il est parfois possible qu'une caractéristique essentielle ne s'attache qu'à une dimension particulière de l'indépendance de la magistrature; l'indépendance administrative, par exemple, ne s'attache qu'à la cour en tant qu'institution (quoique parfois cette indépendance peut être exercée par le juge en chef de la cour visée). Toutefois, il n'est pas nécessaire que ce soit toujours le cas. Par exemple, l'inamovibilité peut avoir une dimension collective ou institutionnelle, en ce que seul un organisme composé de juges peut recommander la révocation d'un juge. Cependant, je n'ai pas à trancher ce point en l'espèce.

Le juge en chef Lamer a donc conclu que la caractéristique essentielle de la sécurité financière comportait à la fois une dimension individuelle et une dimension institutionnelle.

Le juge en chef Lamer a également traité du concept de l'indépendance institutionnelle et confirmé le lien existant entre celle-ci et la séparation constitutionnelle des pouvoirs au Canada. À cet égard, il a fait l'observation suivante, à la page 85: "l'indépendance institutionnelle de la magistrature est "un élément fondamental de la compréhension du constitutionnalisme au Canada"". Il a donc conclu que les cours provinciales créées par voie législative "jouent un rôle crucial dans l'application des dispositions de la Constitution et la protection des valeurs consacrées par celle-ci" et qu'il "convient de reconnaître aux cours provinciales une certaine indépendance institutionnelle" (page 85). Pour atteindre le niveau requis d'indépendance institutionnelle, il faut que les cours provinciales "soient protégé[e]s par un ensemble de garanties objectives contre les ingérences de l'exécutif et du législatif" (page 90).

Pour garantir de façon objective la sécurité financière institutionnelle des cours provinciales et empêcher "l'ingérence politique exercée par le biais de la manipulation financière", le juge en chef Lamer a interposé entre le judiciaire et les autres pouvoirs une commission indépendante chargée d'examiner la rémunération des juges (page 102). Il a affirmé sans équivoque que les négociations sur le traitement des juges entre le judiciaire et le gouvernement étaient inopportunes sur le plan constitutionnel, non seulement parce qu'elles ont un caractère politique, mais également parce que la participation des juges à de telles négociations les placeraient dans une situation où ils négocieraient avec l'une des parties aux poursuites. Sur ce dernier point, le juge en chef Lamer a dit, aux pages 112 et 113:

Deuxièmement, de telles négociations sont hautement problématiques étant donné que l'État est pratiquement toujours partie aux poursuites pénales devant les cours provinciales. Le fait pour les juges qui entendent ces affaires de participer à des négociations les placerait en conflit d'intérêts, car ils se trouveraient à négocier avec l'une des parties aux poursuites. La perception d'indépendance serait anéantie, car les négociations sur les traitements font naître, relativement à l'attitude des parties à ces négociations, certaines attentes qui sont incompatibles avec l'indépendance de la magistrature. La principale attente est celle des concessions mutuelles par les parties. Si l'on fait une analogie avec l'arrêt Généreux, la personne raisonnable pourrait conclure que les juges modifieront la façon dont ils tranchent les litiges afin de chercher à gagner la faveur de l'exécutif. Comme l'a écrit le professeur Friedland dans Une place à part: l'indépendance et la responsabilité de la magistrature au Canada (1995), à la p. 65, "une négociation directe entre l'exécutif et le judiciaire [. . .] [crée] le risque de compromissions subtiles". Cette perception serait renforcée si les négociations sur les traitements se déroulaient à huis clos, comme c'est généralement le cas, loin du regard du public et, de ce fait, sans que les participants aient à en rendre compte à ce dernier. À l'inverse, on s'attend à ce que les parties à des négociations sur les traitements exercent des moyens de pression. Par conséquent, la personne raisonnable pourrait s'attendre à ce que les juges statuent sur les affaires dont ils sont saisis de manière à exercer des pressions sur l'État.

Les autres aspects de l'analyse faite par le juge en chef Lamer dans le Renvoi sur les juges ne sont pas pertinents en l'espèce et il n'est pas nécessaire de les examiner.

ii)  résumé des principes régissant l'indépendance judiciaire applicables en l'espèce

Une recension de la jurisprudence émanant de la Cour suprême du Canada confirme que l'indépendance judiciaire fait partie des règles de la justice naturelle et qu'en conséquence, elle s'applique aux instances devant les tribunaux administratifs qui exercent des fonctions décisionnelles. L'examen de l'indépendance judiciaire d'un tribunal peut porter à la fois sur son indépendance institutionnelle et son impartialité institutionnelle. En ce qui a trait à l'indépendance institutionnelle, le critère classique énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, précité, approuvé dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité, et pratiquement tous les autres arrêts de la Cour suprême du Canada, doit s'appliquer à l'analyse des trois caractéristiques fondamentales de l'indépendance judiciaire: l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance administrative. Ce critère doit être appliqué avec souplesse, compte tenu des fonctions exercées par le tribunal. Le niveau d'indépendance judiciaire requis dépendra de la nature du tribunal, des intérêts en jeu et des autres signes indicatifs de l'indépendance. De plus, la pratique suivie par un tribunal est pertinente à l'examen de son indépendance institutionnelle. En ce qui concerne l'impartialité institutionnelle, il faut appliquer le critère à deux volets décrit dans l'arrêt R. c. Lippé, précité.

iii)  la nature d'un tribunal constitué en vertu de la Loi et son niveau requis d'indépendance

Pour déterminer le niveau requis d'indépendance d'un tribunal constitué en vertu de la Loi, il faut tenir compte de sa nature, de ses fonctions et des intérêts en jeu.

La nature d'un tribunal constitué en vertu de la Loi a été décrite dans l'arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, dans lequel la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si la Commission était habilitée à se prononcer sur des questions de droit générales. Pour trancher cette question, le juge La Forest, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a analysé le mandat confié à la Commission et à un tribunal en vertu du régime législatif établi par la Loi.

Dans son analyse du régime établi par la Loi, le juge La Forest a souligné qu'elle "prévoit un processus complet de traitement des plaintes en matière de droits de la personne" et que la Commission constitue un rouage administratif "essentiel", principalement parce qu'elle reçoit les plaintes et procède à leur examen préalable en déterminant s'il existe une preuve suffisante (pages 889 à 891 et 893). Il a donné la description suivante du rôle joué par la Commission, à la page 889:

La Loi prévoit un processus complet de traitement des plaintes en matière de droits de la personne. La Commission est un rouage essentiel de ce processus. Ses pouvoirs et fonctions sont énoncés aux art. 26 et 27 et à la partie III de la Loi. En bref, la Commission jouit du pouvoir d'appliquer la Loi et, notamment, de celui d'en promouvoir le respect au moyen d'activités publiques, d'entreprendre des projets de recherche et d'examiner la législation. C'est également à elle que la Loi confie le mandat de recevoir, de gérer et de traiter les plaintes concernant des actes discriminatoires. Cette dernière fonction est décrite dans la partie III de la Loi.

Mettant en contraste les rôles attribués par la Loi à la Commission et à un tribunal, le juge La Forest a affirmé sans équivoque que "[l]a Commission n'est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi" (page 891). Il a ensuite conclu que la Commission n'avait pas le pouvoir de se prononcer sur des questions de droit.

En ce qui concerne la compétence d'un tribunal constitué en vertu de la Loi, le juge La Forest a confirmé qu'un tribunal ou un tribunal d'appel était également dépourvu de la compétence pour déclarer inconstitutionnelle une disposition limitative de la Loi (pages 895 et 896). Toutefois, il a conclu qu'un tribunal pouvait "avoir la compétence d'examiner des questions de droit et des questions constitutionnelles d'ordre général" (pages 897 et 898). Voici les propos qu'il a tenus sur ce point, aux pages 896 et 897:

Comme pour la Commission, la Loi ne confère pas expressément à ces tribunaux le pouvoir d'examiner des questions de droit. Pris ensemble, les par. 50(1) et 53(2) de la Loi disposent qu'un tribunal examine l'objet de la plainte qui lui est déférée par la Commission pour déterminer si elle est fondée. Il s'agit d'abord et avant tout d'une enquête portant sur l'appréciation des faits, qui vise à établir si oui ou non un acte discriminatoire a été commis. Au cours d'une telle enquête, un tribunal peut effectivement examiner des questions de droit. Comme dans le cas de la Commission, ces questions porteront souvent essentiellement sur l'interprétation à donner à la loi habilitante. Cependant, contrairement à ce qui en est pour la Commission, l'économie de la loi pose implicitement qu'un tribunal possède une compétence plus générale de statuer sur les questions de droit. Ainsi, on a reconnu aux tribunaux administratifs le pouvoir d'interpréter d'autres lois que leur loi habilitante (voir Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.)) et d'examiner des questions constitutionnelles autres que celles mentionnées ci-dessus. En particulier, il est bien établi qu'un tribunal administratif a le pouvoir d'examiner des questions portant sur le partage des compétences constitutionnelles (Public Service Alliance of Canada c. Qu'Appelle Indian Residential Council (1986), 7 C.H.R.R. D/3600 (T.C.D.P.)), et sur la validité d'un motif de discrimination visé dans la Loi (Nealy c. Johnston (1989), 10 C.H.R.R. D/6450 (T.C.D.P.)), et on peut envisager qu'un tribunal puisse entendre une argumentation fondée sur la Charte quant à la constitutionnalité des recours disponibles dans une affaire donnée (voir Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892). Cependant, même dans ce cas, la règle de la retenue judiciaire ne s'appliquera pas aux conclusions juridiques formulées. C'est ce que notre Cour a fermement établi dans Mossop, précité, à la p. 585:

L'expertise supérieure d'un tribunal des droits de la personne porte sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne. Cette expertise ne s'étend pas aux questions générales de droit comme celle qui est soulevée en l'espèce. Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d'interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice.

En conséquence, l'arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), précité, appuie l'hypothèse selon laquelle un tribunal constitué en vertu de la Loi est de nature purement juridictionnelle et possède la compétence pour statuer sur certaines questions juridiques et constitutionnelles d'ordre général.

Une fois établie la nature d'un tribunal, il faut se reporter également à ses fonctions, décrites dans la partie III de la Loi. La Loi confie notamment à un tribunal le mandat de faire enquête sur une plainte en matière de droits de la personne en tenant une audience dans le cadre de laquelle toutes les parties ont la possibilité de produire des éléments de preuve et de faire valoir des arguments. Lorsqu'il exerce ses fonctions décisionnelles, un tribunal a le pouvoir d'assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire des pièces, au même titre qu'une cour supérieure d'archives. Il a également le pouvoir de faire prêter serment. À l'issue de l'audience, le tribunal doit déterminer si la plainte est fondée. Le cas échéant, le tribunal a le pouvoir de rendre une ordonnance, sous conditions, contre l'auteur de l'acte discriminatoire. Le tribunal peut, dans certaines circonstances, lui ordonner de payer à la victime une indemnité maximale de 5 000 $.

Les intérêts en jeu dans une audience devant le tribunal peuvent être déterminés en fonction de la nature des dispositions législatives qu'il interprète et qu'il applique.

Dans l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, le juge La Forest, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a insisté dans les termes suivants, aux pages 89 et 90, sur la nature quasi constitutionnelle de la Loi:

Comme le juge McIntyre l'a expliqué récemment, au nom de la Cour, dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, on doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous- tendent. Il s'agit là d'une tâche qui devrait être abordée non pas parcimonieusement mais d'une manière qui tienne compte de la nature spéciale d'une telle loi dont le juge McIntyre a dit qu'elle "n'est pas vraiment de nature constitutionnelle"; voir également Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, le juge Lamer, aux pp. 157 et 158. Bien sûr, ce que laisse entendre cette expression n'est pas que la loi en cause est en quelque sorte enchâssée dans la Constitution, mais plutôt qu'elle exprime certains objectifs fondamentaux de notre société. Plus récemment encore, dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (l'arrêt Action Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114, le juge en chef Dickson a souligné la nécessité de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits énoncés dans ladite loi, conformément à la Loi d'interprétation qui exige que les lois soient interprétées de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

De plus, dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autre, [1982] 2 R.C.S. 145, le juge Lamer (devenu depuis juge en chef) a décrit le Human Rights Code de la Colombie-Britannique comme une "loi fondamentale" qu'il ne faut pas "considérer comme n'importe quelle autre loi d'application générale" (page 158).

Dans les circonstances, les intérêts en jeu à l'audience devant le tribunal sont les droits de la personne fondamentaux et de nature quasi constitutionnelle qui sont protégés par la Loi.

En conséquence, compte tenu du rôle purement décisionnel des tribunaux et des fonctions qu'ils exercent à l'égard de droits et d'intérêts de nature quasi constitutionnelle, je suis convaincue qu'ils doivent bénéficier d'un haut degré d'indépendance, et qu'une application relativement stricte des principes énoncés dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité, est justifiée.

iv)  l'indépendance institutionnelle d'un tribunal constitué en vertu de la Loi

a)  l'inamovibilité

Depuis les modifications de 1985, tous les membres du Comité, y compris son président, sont nommés à temps partiel, pour une durée déterminée, par le gouverneur en conseil. Ils sont nommés à titre inamovible, ils ne peuvent être révoqués que pour un motif déterminé et leur mandat peut être renouvelé. Toutefois, la Loi ne permet pas à un membre du tribunal dont le mandat est échu de terminer une affaire dont il a été saisi avant l'expiration de son mandat. En pareilles circonstances, le président du Comité doit demander au ministre de la Justice de faire prolonger le mandat de ce membre afin de lui permettre de terminer l'affaire en cause. La décision du ministre de faire prolonger le mandat du membre est de nature purement discrétionnaire.

En l'espèce, la présidente a nommé les trois membres du tribunal en sachant que leurs mandats, d'une durée déterminée, expireraient avant la fin de la longue audience en cause en matière d'équité salariale et qu'il serait nécessaire de demander au ministre de prolonger ceux-ci. Le mandat de l'un des membres n'a pas été prolongé en temps utile et l'instance a été suspendue pendant un certain temps.

Dans les arrêts Valente c. La Reine et autres, précité, et R. c. Généreux, précité, la Cour suprême du Canada a mentionné, de façon non équivoque, que l'essence de la caractéristique fondamentale de l'inamovibilité était "que la charge soit à l'abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l'exécutif ou de l'autorité responsable des nominations".

Les faits de l'espèce illustrent la précarité de l'inamovibilité du membre d'un tribunal dont le mandat expire avant la fin d'une audience. En pareilles circonstances, la capacité du membre du tribunal de poursuivre l'instruction dépend exclusivement de la décision discrétionnaire du ministre de recommander le renouvellement de son mandat. La Loi ne contient aucune garantie objective que les décisions rendues par le membre d'un tribunal n'auront aucune incidence négative sur la possibilité que son mandat soit renouvelé afin de lui permettre de terminer une cause en instance, que ces décisions portent sur cette cause ou sur toute autre affaire.

Pour garantir adéquatement la condition essentielle de l'inamovibilité d'un membre d'un tribunal administratif devant bénéficier d'un haut degré d'indépendance, le régime législatif doit conférer à la personne qui joue un rôle décisionnel le droit de s'acquitter de cette tâche jusqu'au bout sans intervention des pouvoirs législatif et exécutif du gouvernement. En d'autres termes, la capacité du membre d'un tribunal de terminer une instruction portant sur des droits fondamentaux protégés par la Loi ne devrait pas dépendre de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire du ministre. Pour ce motif, j'ai conclu que le régime législatif établi par la Loi est inadéquat vu qu'il ne comporte pas de garantie suffisante de l'inamovibilité des membres des tribunaux. En outre, j'ai conclu que l'insuffisance d'une telle garantie, dans le contexte d'un tribunal devant bénéficier d'un haut degré d'indépendance, susciterait une crainte raisonnable de partialité chez une personne raisonnable parfaitement informée.

b)  la sécurité financière

La Loi confère à la Commission compétence pour prendre des règlements administratifs régissant son activité, y compris des règlements fixant le taux de rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour des membres des tribunaux. En 1985 ou en 1986, la Commission a pris le Règlement administratif no 4 qui fixait la rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour versées aux membres des tribunaux. Bien que ce Règlement administratif n'ait pas été modifié depuis son entrée en vigueur, la présidente du Comité et les dirigeants de la Commission ont discuté, en 1992 et 1993, du taux quotidien de rémunération versé aux membres des tribunaux. Ces discussions ont été suspendues par suite du gel des salaires dans la fonction publique. Cependant, vu que l'on a récemment mis fin à ce gel, la question de la rémunération des membres des tribunaux surgira vraisemblablement très bientôt, entraînant des discussions et des négociations entre la présidente du Comité et les dirigeants de la Commission.

Il faut également tenir compte de la pratique qui a régi les rapports entre le Comité et la Commission en matière du financement, et particulièrement en ce qui concerne les honoraires des membres des tribunaux, de 1990 jusqu'au réaménagement administratif survenu en janvier 1997. Au cours de ces années, le greffier a préparé et soumis à la Commission, pour qu'elle les transmette au président de la Commission et au Conseil du Trésor, des présentations budgétaires distinctes pour le compte du Comité, lesquelles faisaient état des fonds dont ce dernier avait besoin pour payer les honoraires quotidiens de ses membres. En vertu de la Loi, seule la Commission pouvait obtenir les crédits nécessaires du Parlement. La Commission incluait donc dans ses prévisions budgétaires annuelles un montant indiquant les fonds requis par le Comité pour l'exercice suivant. Une fois les crédits alloués par le Parlement, la Commission versait au Comité les fonds qui lui revenaient, en vertu d'un accord reposant sur l'honneur. Enfin, les comptes d'honoraires des membres des tribunaux étaient soumis par le Comité, aux services financiers de la Commission en vue de leur paiement, et les mots "Commission canadienne des droits de la personne" figuraient sur les chèques délivrés aux membres des tribunaux.

Conformément au régime législatif en vigueur, la rémunération versée aux membres des tribunaux était fixée par un règlement administratif de la Commission, laquelle comparaissait en tant que partie intéressée dans les instances se déroulant devant les tribunaux. De plus, cette rémunération ne pouvait être augmentée que si la Commission convenait, à la suite de discussions et de négociations avec le Comité, de prendre un nouveau règlement administratif. Enfin, en raison de la pratique suivie de 1990 jusqu'au début de 1997, les membres des tribunaux étaient payés au moyen de chèques demandés à la Commission et sur lesquels figuraient les mots "Commission canadienne des droits de la personne"; ces chèques étaient tirés sur des fonds alloués par la Commission.

Dès 1986, un petit groupe de personnes bien informées, dont le président et d'autres dirigeants de la Commission de même que les différents présidents et le greffier du Comité, ont exprimé la crainte que le mode de rémunération des membres des tribunaux prévu par la Loi influait sur la perception de l'indépendance des tribunaux constitués en vertu de la Loi. Ces craintes étaient apparemment partagées par au moins deux procureurs généraux, qui ont présenté des projets de loi devant le Parlement en 1992 et à deux reprises en 1997 en vue, notamment, d'abolir le pouvoir de la Commission, conféré par les alinéas 37(1)e) et f) de la Loi, de prendre des règlements administratifs fixant la rémunération et les indemnités de déplacement et de séjour versées aux membres des tribunaux.

La jurisprudence, depuis l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité, jusqu'au récent Renvoi sur les juges, précité, établit que l'essence de la deuxième caractéristique fondamentale de l'indépendance judiciaire commande un seuil minimal de sécurité financière qui ne soit pas "sujet aux ingérences arbitraires" ou à la manipulation économique, en reconnaissant que différents régimes de rémunération peuvent convenir à différents types de tribunaux. Le Renvoi sur les juges , précité, indique aussi que le fait de négocier avec une partie aux litiges crée un conflit d'intérêts qui anéantit la perception d'indépendance. Les avocats des intimés ont fait valoir que les principes énoncés dans le Renvoi sur les juges, précité, ne s'appliquaient pas aux tribunaux administratifs. Je ne saurais retenir cet argument. À mon avis, les principes énoncés dans le Renvoi sur les juges, précité, s'appliquent aux tribunaux administratifs et peuvent être adaptés à la situation de ces derniers, tout comme l'ont été les principes énoncés dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité. J'ai donc conclu que l'analyse du juge en chef Lamer dans le Renvoi sur les juges, précité, concernant l'apparence créée par la négociation d'un traitement avec une partie au litige s'appliquait tout autant à un tribunal administratif devant bénéficier d'un haut degré d'indépendance.

Les avocats des intimés ont en outre soutenu que le juge en chef Lamer avait approuvé l'utilisation de règlements administratifs pour fixer la rémunération des membres des tribunaux administratifs, dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, précité. Je conviens que le juge en chef Lamer a approuvé, à la page 51 de sa décision, la prise de règlements administratifs par une bande indienne pour fixer la rémunération des membres de ses tribunaux administratifs. Toutefois, cette cause portait sur des tribunaux administratifs qui tranchaient des différends relativement aux impôts fonciers, à l'égard desquels le juge en chef Lamer a conclu qu'il y avait lieu de faire preuve d'une plus grande souplesse dans l'application des principes énoncés dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, précité. En l'espèce, j'ai conclu qu'un tribunal constitué en vertu de la Loi, qui exerce un rôle purement décisionnel concernant des droits fondamentaux de la personne, devait bénéficier d'un haut degré d'indépendance. Dans les circonstances, je suis convaincue que le raisonnement par lequel le juge en chef Lamer a approuvé le recours, par une bande indienne, à des règlements administratifs pour fixer la rémunération des membres de ses tribunaux ne s'applique pas en l'espèce.

En appliquant les principes pertinents aux faits de la présente affaire, j'ai conclu que le régime législatif établi par la Loi ne respectait pas l'essence de la condition de la sécurité financière, parce que la rémunération des membres des tribunaux était contrôlée par la Commission, partie intéressée dans toutes les instances dont les tribunaux sont saisis. En outre, la rémunération fixée par le règlement administratif de la Commission ne peut être augmentée qu'au moyen de négociations entre le Comité et la Commission. À cet égard, je suis convaincue que la tenue de négociations entre le Comité et la Commission relativement à la rémunération des membres des tribunaux créerait un conflit d'intérêts qui aurait une incidence négative sur la perception d'indépendance. Le fait que le Conseil du Trésor doive approuver la rémunération fixée par règlement administratif n'écarte pas ce conflit d'intérêts et ne corrige pas autrement les faiblesses du statut des tribunaux établis en vertu de la Loi. Pour ces seuls motifs, j'ai conclu qu'une personne raisonnable parfaitement informée, qui examinerait l'ensemble des faits, éprouverait une crainte raisonnable de partialité de la part d'un tel tribunal.

Ayant tiré cette conclusion, je fais remarquer que de nombreuses personnes raisonnables parfaitement informées, dont un ancien président de la Commission, les différents présidents du Comité (y compris la présidente actuelle) et son greffier, ont toutes exprimé la crainte, relativement à la "perception", que les dispositions de la Loi en matière de la rémunération aient une incidence négative sur la perception d'indépendance des tribunaux. En fait, plusieurs de ces personnes ont exercé des pressions sur le gouvernement dans l'espoir d'obtenir des modifications législatives qui règlent ce problème. Par surcroît, au moins deux procureurs généraux ont présenté des projets de loi devant le Parlement en vue, notamment, d'abroger les dispositions contestées. À mon avis, ces faits étayent sans équivoque ma conclusion selon laquelle l'indépendance des tribunaux constitués en vertu de la Loi est perçue comme insuffisante. Je fais également remarquer que la pratique suivie de 1990 à 1997 n'a pu qu'exacerber ce manque apparent d'indépendance, étant donné que les membres des tribunaux étaient rémunérés au moyen de chèques demandés à la Commission sur lesquels figuraient les mots "Commission canadienne des droits de la personne" et qui étaient tirés sur des fonds alloués par la Commission. De plus, j'estime que les nouvelles pratiques mises en place à la suite du réaménagement administratif de 1997 ne suffisent pas pour corriger les faiblesses du statut des tribunaux établis en vertu des dispositions législatives contestées.

c)  l'indépendance administrative

Bien que, jusqu'au réaménagement administratif de 1997, le personnel du greffe du Comité ait été constitué par des employés de la Commission, je suis convaincue qu'un tribunal constitué en vertu de la Loi était suffisamment indépendant relativement aux questions administratives qui ont un effet direct sur l'exercice de ses fonctions judiciaires.

v)  la conclusion sur la question de l'indépendance institutionnelle

J'ai conclu que le régime législatif établi par la Loi en matière d'inamovibilité et de sécurité financière affaiblissait le statut des tribunaux constitués en vertu de la Loi au point où ils ne bénéficiaient pas du degré d'indépendance institutionnelle requis. Dans les circonstances, je suis convaincue qu'une personne raisonnable parfaitement informée éprouverait une crainte raisonnable de partialité de la part d'un tribunal constitué en vertu de la Loi.

vi)  l'impartialité institutionnelle

Ayant conclu qu'il existe une crainte raisonnable de partialité concernant les deux caractéristiques fondamentales de l'inamovibilité et de la sécurité financière des tribunaux constitués en vertu de la Loi, je n'ai pas à examiner la question de l'impartialité institutionnelle. Toutefois, je tiens à préciser que j'ai de sérieuses réserves concernant l'impact, sur l'impartialité institutionnelle, du pouvoir de la Commission, laquelle est partie à tous les litiges tranchés par les tribunaux, de rendre des ordonnances précisant "les limites et les modalités de l'application de la présente loi" qui lient les tribunaux (paragraphe 27(2)). Sur ce point, je fais remarquer que les modifications prévues dans le projet de loi C-108 auraient écarté tout problème éventuel en prévoyant que ces ordonnances ne lieraient pas les tribunaux. J'avance sans aucune hésitation que pour préserver l'impartialité institutionnelle des tribunaux constitués en vertu de la Loi, la façon de procéder qui convient le mieux et qui est la plus prudente consisterait à permettre à la Commission de rendre des ordonnances qui ne lient pas les tribunaux.

vii)  les conséquences de la conclusion qu'il existe une crainte raisonnable de partialité

Dans l'arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, la Cour suprême du Canada a indiqué, dans un arrêt unanime, qu'une conclusion de crainte raisonnable de partialité faisait échec au droit à une audience équitable. Voici ce que la Cour a dit, à la page 645:

Les conséquences d'une conclusion à la partialité

Quiconque comparaît devant une commission administrative a droit à un traitement équitable. Ce droit est à la fois distinct et absolu. Comme je l'ai déjà mentionné, du moment que la crainte raisonnable de partialité est établie, une audience équitable ou l'équité procédurale sont impossibles. S'il y a eu négation du droit à une audience équitable, la décision subséquente du tribunal ne peut y remédier. La décision d'un tribunal qui a refusé aux parties une audience équitable ne peut être simplement annulable et être validée ensuite par la décision subséquente du tribunal. L'équité procédurale est un élément essentiel de toute audience tenue devant un tribunal. Le préjudice résultant d'une crainte de partialité est irrémédiable. L'audience, ainsi que toute ordonnance à laquelle elle aboutit, est nulle.

Je suis convaincue que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Public Utilities), précité, s'appliquent à la conclusion qu'il existe une crainte raisonnable de partialité fondée sur l'absence perçue d'indépendance institutionnelle de la part d'un tribunal administratif. J'ai donc conclu que la procédure engagée devant le tribunal en l'espèce était nulle. Un tribunal constitué en vertu de la Loi ne pourra statuer sur les droits fondamentaux en cause dans la présente affaire tant qu'une réforme législative, réclamée depuis tant d'années, ne corrigera pas les problèmes constatés relativement à l'inamovibilité et à la sécurité financière.

viii)  la décision du tribunal

Compte tenu de ma conclusion en l'espèce, j'ai statué que le tribunal a commis une erreur de droit et s'est trompé en jugeant qu'il était "un organisme quasi judiciaire indépendant, capable sur le plan institutionnel de procéder à l'audition d'une affaire d'une manière équitable et conforme aux principes de justice naturelle et de liberté fondamentale."

DISPOSITIF

La demande de contrôle judiciaire est accueillie dans le dossier T-1257-97. La procédure engagée devant le tribunal est annulée. Aucune autre procédure ne doit être engagée dans la présente affaire tant que les problèmes décrits dans les présents motifs concernant l'inamovibilité et la sécurité financière ne seront pas corrigés par des modifications législatives à la Loi.

Compte tenu de ma décision dans le dossier T-1257-97, les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T-2722-96 et T-950-97 sont rejetées parce qu'elles sont devenues théoriques.

1 Les plaintes dans tous ces dossiers ayant abouti à un règlement à l'amiable, la question de l'indépendance institutionnelle des tribunaux depuis les modifications de 1985 n'a jamais été tranchée par la Cour.

2 [Décret transférant de la Commission canadienne des droits de la personne au Comité du tribunal des droits de la personne la responsabilité à l'égard du Greffe du Comité du tribunal des droits de la personne] TR/96-109, 5 décembre 1996, Gazette du Canada, Partie II, vol. 130, no 26, à la p. 3396.

3 [Décret modifiant l'annexe I-1 de la Loi sur la gestion des finances publiques] DORS/96-537, [Décret modifiant l'annexe I de la Loi sur l'accès à l'information] DORS/96-538, [Décret modifiant l'annexe de la Loi sur la protection des renseignements personnels] DORS/96-539, [Décret modifiant l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique] DORS/96-540, et [Décret modifiant l'annexe I de la Loi sur la rémunération du secteur privé] DORS/96-541, 5 décembre 1996, Gazette du Canada, Partie II, vol. 130, no 26, aux p. 3345 à 3350.

4 Ibid., aux p. 3349 et 3350.

5 Le projet de loi S-5 est identique au projet de loi C-98, sauf en ce qui a trait à une question mineure qui n'est pas pertinente en l'espèce.

6 Cet amendement porte sur les programmes spéciaux pour les groupes défavorisés et n'est pas pertinent en l'espèce.

7 Voici le libellé de l'art. 11d) de la Charte:

11. Tout inculpé a le droit:

. . .

d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

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