Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-173-01

2002 CAF 80

Greer Shipping Ltd. (appelante)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)

Répertorié: Greer Shipping Ltd. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.)

Cour d'appel, juges Strayer, Sexton et Sharlow, J.C.A.-- Vancouver, 31 janvier; Ottawa, 1er mars 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Exclusion et renvoi -- Renvoi de visiteurs -- Recouvrement des frais de renvoi -- Appel du rejet d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre avait tenu l'appelante responsable des frais d'expulsion d'un membre d'équipage qui avait abandonné un navire de charge au mois de juillet 1992 -- L'appelante fournissait sur demande des services au navire -- En vertu de l'art. 86 de la Loi sur l'immigration, le transporteur qui a amené au Canada un membre du personnel d'un véhicule qui perd qualité de visiteur est tenu de payer les frais de renvoi -- En 1992, le mot «transporteur» était défini comme visant les personnes qui transportaient ou faisaient transporter des personnes -- La définition a été modifiée en 1993 de façon à inclure le transport de marchandises -- Le juge de la Section de première instance a commis une erreur en se fondant sur l'arrêt Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (MCI) comme autorité à l'appui de la thèse selon laquelle le transport de personnes comprend le transport des membres d'équipage -- Dans l'arrêt Flota Cubana, la Cour n'avait pas exprimé d'avis au sujet de la question de savoir si le propriétaire ou l'exploitant d'un navire de charge était visé par l'ancienne définition du mot «transporteur», mais elle a fait remarquer que l'ajout des «marchandises» à la définition constituait un changement important qui avait pour effet d'élargir la définition de façon à inclure les propriétaires et les exploitants des navires de charge, ce qui donnait à entendre qu'elle n'aurait pas conclu qu'un navire de charge était visé par la définition du mot «transporteur» telle qu'elle était en vigueur en 1992 -- Le propriétaire ou l'exploitant en l'espèce n'était pas un «transporteur» en l'absence de preuve montrant que le navire avait apporté quoi que ce soit au Canada à part sa cargaison et son équipage -- Même si elle était un mandataire, l'appelante n'était pas responsable des frais de renvoi.

Il s'agissait d'un appel du rejet d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre avait tenu l'appelante responsable des frais d'expulsion d'un membre d'équipage qui avait abandonné, au mois de juillet 1992, un navire de charge auquel l'appelante avait fourni des services. Les autorités de l'immigration n'avaient pas pris de mesures en vue d'obtenir un cautionnement pour le paiement des frais d'expulsion du membre d'équipage pendant que le navire mouillait dans les eaux canadiennes, et ce, même si elles savaient que le membre d'équipage en question avait quitté le navire. Après l'expulsion, le ministre a avisé l'appelante des frais, mais cette dernière n'a pas offert de payer la somme demandée et n'a fourni aucune explication pour justifier le non-paiement. Au mois de juillet 1999, le ministre a recouvré les frais d'expulsion en les défalquant du remboursement d'impôt qui était dû à l'appelante. L'appelante ne possédait aucun pouvoir général de représenter le navire, mais elle fournissait les services qui étaient expressément demandés, les débours requis étant payés à l'aide des fonds transmis à l'avance. Les services fournis représentaient les «services à des navires de tramping» fournis aux navires qui ne venaient qu'une fois dans la province, ou qui n'y venaient pas souvent. La responsabilité imposée à l'appelante était fondée sur ce que celle-ci était le mandataire du «transporteur» qui avait amené le membre d'équipage au Canada. L'article 85 de la Loi sur l'immigration prévoit que le «transporteur» qui exploite le véhicule qui a amené au Canada un membre du personnel d'un véhicule qui perd la qualité de visiteur est responsable des frais de renvoi. En 1992, le mot «transporteur» était défini comme visant les personnes ou groupes de personnes qui transportaient ou faisaient transporter des personnes. La définition a été modifiée en 1993 de façon à ajouter le mandataire de pareilles personnes et à inclure le transport de marchandises. Le juge de la Section de première instance a conclu que la définition qui était en vigueur en 1992 s'appliquait et que compte tenu de l'arrêt Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 303 (C.A.), même si le navire était un navire de charge qui ne transportait personne sauf son propre équipage, le propriétaire ou l'exploitant du navire était visé par l'ancienne définition du mot «transporteur». Les questions suivantes ont été certifiées: la définition du mot «transporteur», avant d'être modifiée, s'appliquait-elle de façon à inclure les sociétés qui s'occupaient uniquement du transport de marchandises plutôt que de voyageurs? Quels sont les principes juridiques qui régissent la détermination de la question de savoir si une entité est le «mandataire» d'un «transporteur» au sens du paragraphe 2(1)?

Arrêt: l'appel doit être accueilli, la réponse à la première question étant «non» et aucune réponse n'étant donnée à la deuxième question étant donné qu'elle n'était pas nécessaire et qu'elle était trop abstraite.

Le juge Dawson a commis une erreur en se fondant sur l'arrêt Flota Cubana comme autorité à l'appui de la thèse selon laquelle le transport de personnes comprend le transport des membres d'équipage. Dans l'arrêt Flota Cubana, la Cour n'a pas exprimé d'avis au sujet de la question de savoir si le propriétaire ou l'exploitant d'un navire de charge peut être visé par l'ancienne définition du mot «transporteur». Si cette question avait carrément été posée à la Cour dans l'affaire Flota Cubana, elle aurait probablement été tranchée à l'encontre du ministre étant donné que la Cour d'appel a fait remarquer que l'ajout des «marchandises» à la définition du mot «transporteur» constituait un changement important qui avait pour effet d'élargir la portée de la définition de façon à inclure les propriétaires et les exploitants des navires de charge. Il n'y a rien dans l'historique législatif de la définition du mot «transporteur» qui nous oblige à adopter une interprétation plus large de l'ancienne définition. En l'absence de quelque élément de preuve montrant que le navire ait apporté quoi que ce soit au Canada à part sa cargaison et son équipage, son propriétaire ou exploitant n'était pas visé par l'ancienne définition du mot «transporteur». Par conséquent, même si l'appelante était un mandataire, elle ne pouvait pas être tenue responsable des frais de renvoi.

lois et règlements

Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, art. 1, 119.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) «transporteur» (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 1), 85 (mod., idem, art. 74), 86 (mod., idem, art. 75), 87 (mod., idem, art. 76), 91.1 (édicté, idem, art. 80), 92 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 23; L.C. 1992, ch. 49, art. 81).

jurisprudence

décisions appliquées:

Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 303; (1997), 154 D.L.R. (4th) 577; 41 Imm. L.R. (2d) 175; 221 N.R. 356 (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

APPEL du rejet d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre avait tenu l'appelante responsable des frais d'expulsion d'un membre d'équipage qui, en 1992, avait abandonné un navire de charge auquel l'appelante avait fourni des services (Greer Shipping Ltd. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 357; (2001), 200 F.T.R. 1; 12 Imm. L.R. (3d) 245 (1re inst.)). Appel accueilli pour le motif qu'un navire de charge n'est pas un «transporteur» au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration tel qu'il existait en 1992 et que l'appelante n'était donc pas responsable de ces frais.

ont comparu:

H. Peter Swanson pour l'appelante.

Helen C. H. Park pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Campney & Murphy, Vancouver, pour l'appelante.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Sharlow, J.C.A.: Le MS Trade Carrier est un navire de charge. Il est entré au port de Vancouver le 22 juillet 1992. À ce moment-là, seuls le capitaine et les membres de l'équipage étaient à bord du navire. Le navire a quitté Vancouver le 27 juillet 1992 et il a quitté les eaux canadiennes le 1er août 1992. Pendant que le navire était à Vancouver, un membre de l'équipage, M. Mohamed Nizam, a abandonné le navire. Près de six ans plus tard, M. Nizam a été expulsé aux Maldives, son pays de citoyenneté, moyennant des frais d'environ 10 000 $.

[2]Il s'agit ici de savoir si le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration peut tenir Greer Shipping Ltd. responsable, en vertu du paragraphe 87(3) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 76] de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, des frais occasionnés par l'expulsion de M. Nizam. Greer est une société de la Colombie-Britannique qui s'occupe de la prestation de services aux navires. Elle avait fourni des services au MS Trade Carrier pendant qu'il était à Vancouver.

[3]Une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre a été rejetée par un juge de la Section de première instance: Greer Shipping Ltd. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 357 (1re inst.). Le juge a certifié les questions suivantes en vue de permettre à Greer d'interjeter appel contre la décision:

1)     La définition du mot «transporteur», avant d'être modifiée par la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, s'applique-t-elle de façon à inclure les sociétés qui s'occupent uniquement du transport de marchandises plutôt que de voyageurs?

2)     Quels sont les principes juridiques qui régissent la détermination de la question de savoir si une entité est le «mandataire» d'un «transporteur» au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, telle qu'elle est maintenant modifiée [L.C. 1992, ch. 49, art. 1]?

[4]Pour replacer ces questions dans leur contexte, il faut énoncer les faits d'une façon plus détaillée. Le 28 juillet 1992, le capitaine du MS Trade Carrier a signalé aux autorités de l'immigration que M. Nizam n'était plus à bord du navire. Le rapport a été fait au moyen d'un document appelé [traduction] «Fiche de marin». La fiche de marin indiquait que Greer était le mandataire du navire.

[5]Pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la présente instance, le MS Trade Carrier a mouillé dans des eaux canadiennes près de Plumper Sound jusqu'au 1er août 1992; il est ensuite parti en direction de l'Asie. Les autorités de l'immigration n'ont pris aucune mesure avant le 1er août 1992 en vue d'obtenir un cautionne-ment pour le paiement des frais d'expulsion de M. Nizam, comme elles avaient le droit de le faire.

[6]M. Nizam s'est finalement présenté aux autorités de l'immigration au mois d'avril 1993. Il a alors revendiqué le statut de réfugié. Sa revendication a été rejetée dans une décision rendue le 20 mars 1996. M. Nizam a alors fait l'objet d'un certain nombre de procédures qui ont duré jusqu'au mois d'avril 1997. Il ne s'est pas présenté devant l'agent chargé du renvoi lorsqu'on lui a demandé de le faire; un mandat a été délivré en vue de son arrestation. M. Nizam a été arrêté au mois de janvier 1998 et il a été expulsé au mois de février 1998.

[7]Au mois de mars 1998, le ministre a avisé Greer des frais d'expulsion. Des comptes rendus ont régulièrement été envoyés à Greer par la suite, lesquels indiquaient les frais d'intérêt courus, mais Greer n'a pas offert de payer la somme demandée et n'a fourni aucune explication pour justifier le non-paiement. Au mois de juillet 1999, le ministre a recouvré les frais d'expulsion en les défalquant du remboursement d'impôt qui était dû à Greer.

[8]Le lien entre le MS Trade Carrier et Greer a été créé au début du mois de juillet 1992, lorsque Dyson Shipping Company Inc., un groupeur de marchandises et courtier de New York, a communiqué avec Greer pour le compte de Food Corporation of India au sujet de cinq navires qui devaient charger du blé sur la côte ouest du Canada. Le MS Trade Carrier était l'un de ces navires. Greer ne savait pas à qui appartenait le MS Trade Carrier, mais elle a supposé que Food Corporation of India en était l'affréteur et que Dyson Shipping Company Inc. était le mandataire nord-américain de Food Corporation of India.

[9]Les dispositions qui ont ensuite été prises à Vancouver pour le MS Trade Carrier étaient fondées sur les communications entre Greer et une société appelée Brokerage and Management Corp. de New York. Le dossier n'explique pas pourquoi ces communications mettaient en cause Brokerage and Management Corp. plutôt que Dyson Shipping Company Inc., mais il semble que cela importe peu aux fins qui nous occupent.

[10]Selon l'affidavit de David Greer, président-directeur général de Greer Shipping Ltd., Greer ne possédait aucun pouvoir général de représenter le MS Trade Carrier, mais la société fournissait les services qui étaient expressément demandés, les débours requis étant payés à l'aide des fonds transmis à l'avance par Brokerage and Management Corp. Les services fournis au MS Trade Carrier par Greer sont décrits comme suit au paragraphe 15 des motifs du juge:

a) permettre l'admission du navire au Canada en préparant et soumettant des documents de douane, et en produisant un rôle d'équipage et un certificat de santé que l'équipage du navire avait préparés;

b) prendre des dispositions en vue d'obtenir des pilotes pour entrer au Canada et y sortir par l'entremise de pourparlers avec l'Administration de pilotage du Pacifique;

c) prendre des dispositions en vue d'obtenir des remorqueurs et des manoeuvres de câbles en communiquant avec la compagnie de remorqueurs et le terminal;

d) prendre des dispositions en vue d'obtenir des services de lancement vers le navire et en provenance de celui-ci alors qu'il était ancré;

e) assurer la liaison avec la Commission canadienne du blé et la Grain Clearance Shippers Association, qui, selon l'entente convenue, avaient la responsabilité de fournir la cargaison du navire, désigner un emplacement de chargement du navire et prendre des dispositions pour l'obtenir, de même que charger la cargaison dans le navire, et payeraient, le cas échéant, l'indemnité de surestaries à l'égard de tout retard du chargement causé par la non-disponibilité de la cargaison;

f) prendre des dispositions en vue de la cueillette des ordures du navire;

g) prendre des dispositions pour que le navire soit doté d'un service téléphonique;

h) prendre des dispositions en matière d'inspection; et

i) prendre des dispositions en vue de payer les droits de port, les droits de stationnement, les cotisations à la Chamber of Shipping, le permis de circulation, et les dépenses liées à l'équipage, notamment sur les plans médical, du transport, et des communications.

[11]Selon l'affidavit de M. Greer, cela représente habituellement ce qu'il a appelé les [traduction] «services à des navires de tramping» fournis aux propriétaires, aux exploitants aux affréteurs de navires qui ne viennent qu'une fois en Colombie-Britannique, ou qui n'y viennent pas souvent.

[12]Par contre, Greer est également partie à des ententes que M. Greer a appelées [traduction] «services de ligne» fournis aux propriétaires, aux exploitants et aux affréteurs de navires qui sont régulièrement en Colombie-Britannique. Une entente relative aux services de ligne est normalement conclue pour une période relativement longue et est régie par une entente détaillée touchant la prestation de services en vertu de laquelle Greer serait d'une façon générale autorisée à fournir des services locaux au navire et à remettre des documents de fret, et pourrait également s'occuper de la promotion et des réservations.

[13]Comme il en a ci-dessus été fait mention, la responsabilité imposée à Greer était fondée sur ce que le propriétaire ou l'exploitant du MS Trade Carrier était un «transporteur» (tel que ce mot est défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration) qui avait amené M. Nizam au Canada, et que Greer était le mandataire du transporteur. Greer soutient que la définition légale du «transporteur» n'inclut pas le propriétaire ou l'exploitant d'un navire de charge et que, de toute façon, Greer n'était pas un mandataire du propriétaire ou de l'exploitant du navire en question.

[14]Les dispositions de la Loi sur l'immigration qui s'appliquent à la présente instance sont énoncées aux articles 85 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 74), 86 (mod., idem, art. 75) et 87 (mod., idem, art. 76), qui figurent tous dans la partie V «Obligations des transporteurs». Les parties pertinentes de ces dispositions étaient ainsi libellées:

85. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le transporteur qui a amené une personne au Canada peut être tenu responsable par le ministre du transport de celle-ci à destination:

[. . .]

c) du pays désigné conformément aux paragraphes 52(2) ou (3), dans le cas d'une personne qui doit quitter le Canada par suite d'une mesure de renvoi.

[. . .]

(5) Le présent article ne s'applique pas aux personnes qui entrent au Canada à titre de membres du personnel d'un véhicule ou pour le devenir.

86. Dans le cas où une personne entre au Canada à titre de membre du personnel d'un véhicule ou pour le devenir et perd la qualité de visiteur aux termes du paragraphe 26(1), le transporteur qui exploite le véhicule peut être tenu responsable par le ministre du transport de la personne à destination du pays d'où elle est arrivée, ou du pays agréé par le ministre à la demande du transporteur, ainsi que des frais de renvoi de la personne.

87. (1) Le transporteur doit être avisé de l'obligation de transport que lui imposent les articles 85 et 86 et doit avoir la possibilité de s'en acquitter au moyen de ses propres véhicules ou par tout autre moyen.

(2) Si le transporteur, une fois avisé, ne fait pas diligence, le ministre peut ordonner que les dispositions soient prises pour faire effectuer le transport par un autre transporteur, aux frais de Sa Majesté.

(3) Dans le cas visé au paragraphe (2), le transporteur à qui incombait le transport est tenu de rembourser à Sa Majesté, sur demande, les frais de renvoi.

[15]Le mot «transporteur» est défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. La définition actuelle, indiquant les modifications apportées par la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, article 1, est entrée en vigueur le 1er février 1993. J'appellerai cette définition la «définition postérieure à l'année 1993». Aux fins qui nous occupent, cette définition est ainsi libellée:

2. (1) [. . .]

«transporteur» Personne ou groupement, y compris leurs mandataires, qui assurent un service de transport de voyageurs ou de marchandises par véhicule ou tout autre moyen.

[16]Avant le 1er février 1993, la partie pertinente de la définition du mot «transporteur» était ainsi libellée (Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2):

2. (1) [. . .]

«transporteur» Personne ou groupement, y compris leurs mandataires, qui assurent un service de transport de voyageurs par véhicle ou tout autre moyen.

J'appellerai cette définition «l'ancienne définition».

[17]J'ai supposé, sans me prononcer à cet égard, que le «transporteur», dans l'une ou l'autre de ces définitions, est le propriétaire, l'exploitant ou l'affréteur d'un véhicule qui assure le transport nécessaire.

[18]Le juge a conclu que parce que M. Nizam avait abandonné le navire au mois de juillet 1992, avant que la définition postérieure à l'année 1993 entre en vigueur, la responsabilité des frais d'expulsion de M. Nizam devrait être fondée sur l'ancienne définition du mot «transporteur», indépendamment en particulier de la modification par laquelle l'expression «qui assurent un service de transport de voyageurs» a été remplacée par l'expression «un service de transport de voyageurs ou de marchandises», et ce, parce que l'article 119 de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, est ainsi libellée:

119. L'obligation financière qui incombe à une personne aux termes d'une disposition de la Loi sur l'immigration modifiée par une disposition de la présente loi est déterminée, si elle découle d'un fait -- acte ou omission -- commis avant l'entrée en vigueur de cette disposition, comme si celle-ci n'était pas en vigueur.

[19]Le juge a ensuite conclu, en se fondant principalement sur l'arrêt Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 303 (C.A.) que, même si le MS Trade Carrier est un navire de charge qui ne transporte personne sauf son propre équipage, le propriétaire ou l'exploitant du MS Trade Carrier était visé par l'ancienne définition du mot «transporteur». Selon Greer, cette conclusion n'est pas exacte.

[20]Compte tenu de l'importance qui lui est accordée dans la présente discussion, il faut examiner l'arrêt Flota Cubana plus à fond. Dans cette affaire, les demandeurs étaient propriétaires et exploitants d'un certain nombre de bateaux de pêche cubains qui étaient autorisés, par un accord international, à pêcher dans les eaux canadiennes au large de la côte est, à condition d'avoir pris des dispositions appropriées avec un partenaire canadien. Le partenaire canadien était une société établie à Shelburne (Nouvelle-Écosse), laquelle avait droit à 15 p. 100 de la prise effectuée par les bateaux cubains.

[21]En 1993, un certain nombre de membres d'équipage avaient abandonné les bateaux pendant qu'ils étaient dans des ports canadiens pour décharger la part de la prise du partenaire canadien. Le ministre avait cherché à recouvrer certains frais et à obtenir un cautionnement des demandeurs en se fondant sur les articles 91.1 [édicté par L.C. 1992, c. 49, art. 80] et 92 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 23; L.C. 1992, ch. 49, art. 81] de la Loi sur l'immigration. La responsabilité des demandeurs dépendait de la question de savoir si les propriétaires et les exploitants des bateaux de pêche cubains étaient des «transporteurs» au sens de la définition postérieure à l'année 1993. La Cour a statué qu'ils étaient visés par la définition et qu'ils étaient donc responsables.

[22]La conclusion de la Cour était fondée sur la prémisse selon laquelle un bateau de pêche ne transporte pas de marchandises, prémisse qui semble avoir été acceptée sans être contestée. Il est selon moi possible de soutenir que des poissons sont des marchandises et que l'exploitation d'un bateau de pêche consiste à pêcher le poisson et à le transporter jusqu'à un endroit où il peut être traité aux fins de la vente. Si c'est le cas, il semble évident que le propriétaire ou l'exploitant d'un bateau de pêche est un transporteur, du moins selon la définition postérieure à l'année 1993, soit la définition que la Cour a appliquée dans l'arrêt Flota Cubana. Les parties se sentaient peut-être contraintes à aborder uniquement la question certifiée, contrainte qui a subséquemment été éliminée par l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Quoi qu'il en soit, le fait que l'arrêt Flota Cubana fait autorité dépend de ce qui a en réalité été décidé.

[23]Les motifs prononcés dans l'arrêt Flota Cubana comprennent un examen fort détaillé des dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration telles qu'elles étaient libellées en 1927 [S.R.C. 1927 ch. 93] et telles qu'elles ont été modifiées de temps en temps jusqu'en 1993. L'historique législatif a été examiné à fond par rapport aux objectifs légaux. La Cour a tiré la conclusion suivante, telle qu'elle est énoncée dans les motifs que M. le juge Stone a prononcés au nom de la Cour, aux paragraphes 43 et 44:

Cette définition a pu, par le passé, se limiter aux entreprises de transport, ou à celles dont l'activité principale consistait à assurer un service de transport de voyageurs, mais les modifications qui y ont été apportées expriment l'intention d'élargir l'application de cette disposition afin qu'elle englobe un plus grand nombre d'entreprises. De plus, je suis convaincu que cette interprétation large correspond davantage à l'objet de la Loi qui consiste à contrôler l'entrée illégale de personnes au Canada et à recouvrer les dépenses liées à leur renvoi. D'après moi, le terme «transporteur» vise donc toutes les entreprises qui transportent des personnes ou des marchandises, ou en assurent le transport, par véhicule ou tout autre moyen. Il ne se limite pas, comme le prétendent les requérantes, aux entreprises dont l'activité principale consiste à transporter des personnes ou des marchandises à titre onéreux.

Je rejetterais les deux appels avec un seul mémoire de frais et je donnerais la réponse suivante à la question certifiée dans chaque appel:

Lorsque le propriétaire ou l'exploitant d'un véhicule qui n'est pas principalement utilisé aux fins du transport de personnes ou de marchandises, comme un navire utilisé pour la pêche, transporte des personnes ou des marchandises au Canada à bord de ce véhicule, le propriétaire, l'exploitant ou leur mandataire entrent dans la définition de «transporteur» donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. [Non souligné dans l'original.]

[24]Comme il en a ci-dessus été fait mention, ces remarques se rapportent à la définition postérieure à l'année 1993. En l'espèce, le juge s'est fondé sur l'arrêt Flota Cubana comme autorité à l'appui de la thèse selon laquelle le transport de personnes comprend le transport des membres d'équipage. Si cela est exact, le propriétaire ou l'exploitant d'un navire de charge est visé par l'ancienne définition même si cette définition se rapporte uniquement à des «personnes» plutôt qu'au «transport de personnes ou de marchandises».

[25]À mon avis, le juge a commis une erreur en se fondant sur l'arrêt Flota Cubana. Dans l'arrêt Flota Cubana, la Cour n'a pas exprimé d'avis au sujet d'une question qui est ici cruciale, à savoir si le propriétaire ou l'exploitant d'un navire de charge peut être visé par l'ancienne définition du mot «transporteur». Il me semble que si cette question avait carrément été posée à la Cour dans l'affaire Flota Cubana, elle aurait probablement été tranchée à l'encontre du ministre. Je tire cette conclusion étant donné que, dans l'affaire Flota Cubana, la Cour était au courant de la modification par laquelle on avait ajouté la mention des «marchandises» et qu'elle a fait des remarques au sujet de l'importance de cet ajout. Voici ce qui est dit au paragraphe 40:

Les modifications de 1992 ont opéré un autre changement important, soit l'ajout des termes «marchandises» en français et «goods» en anglais. Cette modification a servi à étendre l'application de la Loi aux entreprises qui transportent des marchandises au pays.

[26]La Cour n'aurait pas fait cette remarque si elle avait cru que les propriétaires et les exploitants des navires de charge étaient visés par l'ancienne définition simplement parce qu'ils transportaient des membres d'équipage. Je crois qu'il est possible de prendre connaissance d'office du fait que les navires sans équipage ne sont pas chose courante.

[27]À mon avis, dans l'arrêt Flota Cubana, la Cour a eu raison de conclure que l'ajout des «marchandises» à la définition du mot «transporteur» constituait un changement important qui avait pour effet d'élargir la portée de la définition de façon à inclure les propriétaires et les exploitants des navires de charge. Je ne puis rien constater dans l'historique législatif de la définition du mot «transporteur» figurant dans la Loi sur l'immigration qui m'oblige à adopter une interprétation plus large de l'ancienne définition.

[28]En l'absence de quelque élément de preuve montrant que le MS Trade Carrier ait apporté quoi que ce soit au Canada à part sa cargaison et son équipage, je conclus que le propriétaire ou l'exploitant du MS Trade Carrier n'est pas visé par l'ancienne définition du mot «transporteur». Par conséquent, même si Greer est un mandataire, il ne peut pas être tenu responsable des frais résultant du renvoi de M. Nizam.

[29]Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel et je répondrais à la première question certifiée comme suit:

La définition du mot «transporteur», avant d'être modifiée par la Loi modifiant la Loi sur l'immigration et d'autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, s'applique-t-elle de façon à inclure les sociétés qui s'occupent uniquement du transport de marchandises plutôt que de voyageurs?

Réponse: Non.

[30]La deuxième question certifiée se rapporte aux principes permettant de déterminer qui est un «mandataire» au sens qu'a ce mot tel qu'il est employé dans la définition du «transporteur». À mon avis, il n'est pas nécessaire de répondre à cette question; de toute façon, j'hésiterais à le faire étant donné qu'il s'agit d'une question fort abstraite.

Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris à cet avis.

Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris à cet avis.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.