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[1994] 1 C.F. 203

T-1539-92

La Commission canadienne des droits de la personne (requérante)

c.

The Heritage Front et Wolfgang Droege (intimés)

Répertorié : Canada (Commission des droits de la personne) c. Heritage Front (1re  inst.)

Section de première instance, juge Joyal—Toronto, 8 octobre 1993.

Pratique — Outrage au tribunal — Il échet d’examiner si les messages diffusés par une ligne directe violent l’ordonnance, rendue par la Cour en attendant la décision du tribunal des droits de la personne (TDP) sur la plainte, portant interdiction pour les intimés d’utiliser cette ligne pour diffuser des messages haineux — Les poursuites pour outrage au tribunal sont des affaires pénales, soumises aux règles de droit pénal — Le verdict de culpabilité est subordonné à la preuve sans l’ombre d’un doute raisonnable — Il n’a pas été prouvé sans l’ombre d’un doute raisonnable que les messages en cause contreviennent à l’art. 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ni qu’ils sont sensiblement les mêmes que les messages expressément interdits par l’ordonnance de la Cour — L’art. 44 de la Loi sur la Cour fédérale est invoqué pour interdire aux intimés de se servir de leur ligne directe en attendant que le TDP prononce sur la plainte.

Compétence de la Cour fédérale — Les intimés sont poursuivis pour outrage au tribunal pour violation de l’ordonnance interlocutoire qu’a rendue la Cour fédérale, en attendant la décision finale du TDP sur la plainte, pour leur interdire de diffuser des messages haineux par la ligne directe — La Cour rejette la poursuite pour outrage mais, afin de prévenir l’aggravation de la situation, invoque l’art. 44 de la Loi sur la Cour fédérale pour interdire l’utilisation de la ligne directe en attendant que le TDP prononce sur la plainte.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Liberté d’expression — Messages haineux — Les intimés sont-ils coupables d’outrage au tribunal pour avoir violé l’ordonnance interlocutoire qui leur interdit de diffuser des messages haineux par ligne directe — Revue des trois arrêts de la Cour suprême du Canada sur les messages haineux.

Interdiction avait été faite aux intimés de se servir d’une ligne directe pour diffuser des messages haineux et, en particulier, de tout message ayant sensiblement la même forme ou la même teneur que ceux que la Cour avait expressément interdits. Cette ordonnance avait été rendue en attendant qu’un tribunal des droits de la personne prononce sur la plainte portée contre les intimés en application du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, au sujet de la diffusion de messages haineux. Il y a en l’espèce poursuite pour outrage au tribunal contre les intimés qui auraient continué à diffuser par la ligne directe des messages similaires.

Jugement : il faut rejeter l’action en outrage au tribunal, mais il est interdit, en vertu de l’article 44 de la Loi sur la Cour fédérale, aux intimés de se servir de leur ligne directe en attendant que le TDP prononce sur la plainte.

Les trois décisions rendues par la Cour suprême du Canada à une majorité ténue en matière de messages haineux (Keegstra, Zundel et Taylor) font ressortir la difficulté qu’il y a à légitimer certaines contraintes légales attachées à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. En soumettant nos systèmes de valeur à l’épreuve judiciaire positiviste, les tribunaux entrent de plain-pied dans le domaine de la théologie séculière.

Les poursuites pour outrage au tribunal sont des affaires pénales, auxquelles s’appliquent les principes de la présomption d’innocence et de la preuve sans l’ombre d’un doute raisonnable. À la lumière des témoignages d’experts sur la forme et la teneur des messages en cause, il n’a pas été établi sans l’ombre d’un doute raisonnable que ceux-ci sont susceptibles d’exposer des personnes à la haine et au mépris. Il appartiendra au tribunal de se prononcer à ce sujet, sans les contraintes qui s’imposent au tribunal judiciaire saisi d’une instance d’outrage au tribunal.

Il n’a pas été non plus établi sans l’ombre d’un doute raisonnable que les messages diffusés depuis la date de l’ordonnance avaient essentiellement la même forme et la même teneur que les messages visés par cette ordonnance. Ils sont cependant de nature à ajouter à l’antagonisme et à ouvrir la porte à la multiplication des recours à notre Cour et de ses interventions.

Pour les prévenir, il y a lieu d’invoquer l’article 44 de la Loi sur la Cour fédérale qui habilite la Cour à rendre toute ordonnance selon qu’elle juge juste et opportun de le faire, pour interdire aux intimés de se servir de leur ligne directe en attendant que le tribunal des droits de la personne prononce sur la plainte dont il a été saisi. Attendu que la ligne directe n’est pas un moyen de communications de masse, pareille interdiction impose une restriction minimale sur les activités licites des intimés.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b), 15, 27.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 181, 319(2).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 5, 13(1), 14, 49(1.1) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 66).

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, art. 13(1).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no. 44], art. 35.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 44.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. Keegstra, [1970] 3 R.C.S. 697; (1990), 114 A.R. 81; [1991] 2 W.W.R. 1; 77 Alta. L.R. (2d) 193; 61 C.C.C. (3d) 1; 3 C.P.R. (2d) 193; 1 C.R. (4th) 129; 117 N.R. 284; R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731; (1992), 95 D.L.R. (4th) 202; 75 C.C.C. (3d) 449; 16 C.R. (4th) 1; 140 N.R. 1; 56 O.A.C. 161; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; (1990), 75 D.L.R. (4th) 577; 13 C.H.R.R. D/435; 3 C.R.R. (2d) 116; 117 N.R. 191.

DÉCISIONS CITÉES :

Beddow v. Beddow (1878), 9 Ch.D. 89; Re B.C. Govt. Employees’ Union (1983), 48 B.C.L.R. 1 (S.C.); conf. par (1985), 64 B.C.L.R. 113 (C.A.); conf. par, sous l’intitulé de cause B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214.

POURSUITE POUR OUTRAGE AU TRIBUNAL contre les intimés pour violation de l’ordonnance leur interdisant de diffuser des messages haineux par leur ligne directe. Poursuite rejetée, mais il est interdit aux intimés de se servir de leur ligne directe en attendant que le tribunal des droits de la personne prononce sur la plainte dont il a été saisi.

AVOCATS :

William F. Pentney pour la requérante.

George A. Wootten et Harold J. Doan pour les intimés.

PROCUREURS :

Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour la requérante.

George Wootten, Etobicoke (Ontario), et Harold J. Doan, Toronto, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Joyal : Il y a en l’espèce poursuite pour outrage au tribunal contre les intimés qui auraient violé l’ordonnance rendue par cette Cour le 29 septembre 1992 et corrigée le 19 janvier 1993, laquelle ordonnance dispose :

[traduction] La Cour, en attendant l’ordonnance définitive du tribunal des droits de la personne dans cette instance (numéros du greffe T-41854 et T-41855) intentée par le Native Canadian Centre, interdit aux intimés, The Heritage Front et Wolfgang Droege, de communiquer, directement ou par personne interposée, des messages téléphoniques susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris du fait que ces personnes appartiennent à un groupe identifiable par son origine nationale ou ethnique, sa couleur ou sa religion, en particulier les messages joints à titre de pièces « A » et « B » à l’affidavit établi sous serment le 24 juin 1992 par Rodney Bobiwash, ou tout autre message ayant sensiblement la même forme ou la même teneur.

LES FAITS DE LA CAUSE

Cette affaire a son origine dans une plainte faite auprès de la requérante Commission canadienne des droits de la personne par le susnommé Rodney Bobiwash, selon lequel certains messages communiqués par la ligne téléphonique directe des intimés contrevenaient au paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6]. Le texte de ces messages est reproduit aux annexes I et II des présents motifs.

Selon la plainte en question, ces messages étaient susceptibles d’exposer à la haine et au mépris des personnes appartenant à un groupe ethnique identifiable. La Commission a ouvert une enquête et, sur la foi des preuves produites, son président a, conformément au paragraphe 49(1.1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 66] de la Loi, constitué le 26 mai 1992 un tribunal pour instruire l’affaire.

Peu de temps après, soit le 24 juin 1992, la Commission requérante s’est adressée à cette Cour pour lui demander d’interdire aux intimés de continuer à diffuser par leur ligne directe des messages téléphoniques du même genre que ceux visés par la plainte, en attendant que le tribunal des droits de la personne se prononce à ce sujet. La requête a été entendue par le juge en chef adjoint qui, du consentement des parties, a rendu l’ordonnance, supra.

Par la suite, la Commission a eu lieu de croire que les intimés ne respectaient pas l’ordonnance de la Cour. Elle les a cités pour outrage au tribunal; j’ai finalement entendu l’affaire à Toronto le 23 février 1993. Le procès a repris le 6 avril, puis les 17 et 18 août, et a pris fin le 19 août 1993.

La question dont est saisi le tribunal des droits de la personne porte sur ce qu’on appelle de nos jours le discours raciste. Les intimés ne nient pas qu’ils aient pour propos de promouvoir le racisme blanc contre ce qu’ils appellent l’afflux d’immigrants noirs et asiatiques au Canada et contre ce qui paraît à leurs yeux les demandes croissantes des autochtones canadiens d’autonomie politique et d’indemnisation des terres dont l’homme blanc les avait illégalement dépossédés.

On peut donc se faire une idée générale du genre de messages que les intimés font tenir à quiconque appelle cette ligne directe. Ces messages critiquent la politique d’immigration non sélective; ils décrient l’altération de la physionomie des villes canadiennes par les immigrants non européens qui sont de plus en plus nombreux et l’érosion des valeurs des Blancs européens qui en résulte; ils attaquent aussi les politiques gouvernementales vis-à-vis des revendications d’autochtones en général. Même une vache sacrée comme la politique de bilinguisme officiel, consacrée dans la Constitution du pays, n’échappe pas à leur critique.

Quel est l’auditoire de ce discours raciste? Il me paraît clair que s’il peut y avoir en chacun de nous une germe de racisme atavique qui, dans le contexte canadien, passe pour être l’apanage exclusif d’une majorité blanche, il ne s’ensuit pas nécessairement que cette majorité est homogène ou que tous ses membres partagent ses valeurs ou ses caractéristiques humaines. Peut-être la seule chose que cette majorité ait en commun est-elle le pigment de la peau. Au sein de sa multitude, on peut trouver des groupes culturels, linguistiques, religieux identifiables, de même que des groupes identifiables par l’occupation ou par le niveau économique, autant d’éléments qui contredisent l’image monolithique que lui prêtent sociologues, psychologues et anthropologues. Si on considère la catégorie économique, quel groupe—relativement incapable de s’exprimer, pétri de sentiments d’insécurité et dépourvu de moyen d’expression de ses soucis et préoccupations—ne trouverait-il pas particulièrement attrayant le message des intimés? Les membres de ce groupe ne représentent-ils pas par leur nombre une minorité identifiable? Aussi évident que cela puisse être, il ressort de la grande quantité d’écrits et de commentaires sur les activités racistes que c’est dans cette couche sociale que les groupes racistes trouvent leur auditoire. Leurs dirigeants et partisans ne sont pas les produits des établissements d’enseignement supérieur et, avec leur casque dur, ils n’ont pas non plus leurs entrées à Riverdale, à Westmount ou à Tuxedo Park. De même, ils n’ont guère de chances de faire la page mondaine des magazines chic. Les groupes racistes s’identifient avec cette classe laborieuse indéfinissable et dénuée de pouvoir, et ils sont là pour lui servir de porte-voix, pour lui fournir une explication de ses frustrations et de ses sentiments d’insécurité, de même qu’ils lui assurent une publicité dont elle ne jouit pas jusqu’ici. Dans l’esprit de ces gens, cela compense en quelque sorte la publicité accordée aux minorités ethniques et aux autochtones par les préoccupations de la presse orthodoxe et de l’intelligentsia. Il s’agit là, à mon avis, d’un sentiment inné, viscéral : si je ne suis pas invité à votre soirée, je vais en organiser une chez moi.

Dans cette poursuite généralement pro-Blancs ou raciste, les intimés prennent naturellement pour cible ces minorités raciales, ethniques ou autres minorités identifiables qui, à ce titre, sont plus vulnérables à leurs messages plutôt grossiers. Ces minorités sont d’autant plus préoccupées qu’elles se croient protégées par la politique de multiculturalisme enchâssée dans la Constitution et par la garantie de non-discrimination de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Elles craignent que le discours raciste ne détruise le respect et le soutien du public pour ces importantes valeurs et ne réduise à néant ces garanties constitutionnelles. Le fait est que, en leur qualité d’immigrants ou d’autochtones, ils se trouvent pour la plupart au bas de l’échelle économique. On pourrait dire qu’ils doivent lutter sur deux fronts : il leur faut surmonter les obstacles qui leur barrent le chemin vers une vie satisfaisante et il faut que ce soit dans un climat de paix et d’harmonie.

Peut-être si on ignorait ces promoteurs de racisme blanc et les laissait s’égosiller seuls avec leurs nazis d’opérette, leur influence sur les relations communautaires ne serait qu’une parodie de ce qui se passait dans le troisième Reich au début du siècle. On peut facilement qualifier leurs activités de néo-nazies ou de néo-fascistes, mais il s’agit surtout de manifestations montées en épingle par la presse, où le nombre de journalistes présents est hors de proportion avec celui des participants. Les quelques partisans jouent leur scénario avec des « Sieg Heil » et des saluts nazis, exhibent fièrement leurs tatouages de croix gammée et la presse s’en délecte.

Il se trouve cependant que les groupes du genre des intimés n’ont pas le loisir de jouer tout seuls. L’application des politiques multiculturelles a permis à des minorités identifiables de former des organisations communautaires pour combattre ouvertement les défenseurs du discours raciste. À Toronto, le mouvement antiraciste demande tout autant l’attention de la presse par ses réunions, ses manifestations et autres activités. Il en résulte des confrontations avec les intimés, confrontations si violentes que la police anti-émeutes a dû intervenir. Depuis, la police est en état d’alerte chaque fois que l’un ou l’autre groupe organise une manifestation publique de ses convictions.

Les observations ci-dessus ne visent pas seulement à indiquer, de façon plus ou moins superficielle, la discipline sociologique dont relèvent ces questions, mais davantage à souligner que les tribunaux, traditionnellement appelés à juger à la lumière de faits concrets—c’est-à-dire le bric-à-brac dans lequel fouille le juge des faits pour exercer son rôle juridictionnel—doivent maintenant examiner, comme c’est le cas en l’espèce, des notions abstraites, c’est-à-dire des assertions qui ne sont pas le produit de l’investigation objective, mais d’observations intellectualisées, exprimées dans un langage ésotérique et traduisant dans la plupart des cas des idéologies contraires. Ces observations sont habituellement l’apanage des philosophes, qui partagent avec le tribunal leurs opinions érudites. Dans l’affaire en instance, comme dans toute question touchant la discrimination raciale, la littérature haineuse, les tendances sexuelles, etc., on pourrait dire que les philosophes commencent maintenant à trouver les tribunaux à leur goût.

Il en résulte que dans une société comme le Canada qui a érigé en doctrine constitutionnelle des valeurs sociales exprimées en termes si conceptuels que leur sens est plus question de dialectique qu’autre chose (comme cela a été le cas de la constitution de l’ancienne URSS, qui dans son texte est l’essence même d’un régime libre et démocratique, mais qui est formée de concepts doués d’une logique particulièrement marxiste ou hégélienne), il n’est pas étonnant que de nos jours, la recherche relative à l’éventail des opinions et aux limites de la liberté totale que garantit la nouvelle constitution canadienne soit une recherche plus cosmique dans des sphères jusqu’ici réservées à l’érudition académique.

Ainsi donc, pour ce qui est de savoir en particulier quelle interprétation les tribunaux ont donnée de la liberté d’expression que garantit l’article 2 de la Charte, de l’approche plus sectorielle des dispositions antidiscriminatoires sur le plan individuel de l’article 15 et des dispositions plus collectives des articles 35 [Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et 27 de la Charte, on se demande dans quelle mesure les valeurs opposées qui sont inhérentes aux deux approches individuelle et collective des droits et libertés dans notre constitution peuvent être interprétées ou conciliées. La responsabilité qui incombe à cet égard à la Cour suprême du Canada est bien lourde. Ainsi que l’a fait observer un éminent juriste dans un récent numéro de L’Actualité, la loi est conflictuelle ou « binaire », elle ne tient pas compte des zones grises dans un cas de dilemme éthique.

LE CONTEXTE LÉGISLATIF

Pour mieux saisir la position de notre Cour eu égard à la nature particulière de cette instance, il faut se rappeler en tout premier lieu que les poursuites pour outrage au tribunal sont des affaires pénales, auxquelles s’appliquent les principes de la présomption d’innocence et de la preuve sans l’ombre d’un doute raisonnable. En second lieu, il faut se rappeler l’histoire de la législation et de la jurisprudence en matière de discrimination, de littérature haineuse et de diffusion de fausses nouvelles, etc. Elles ont été laborieusement analysées afin d’éclairer la société sur ce qu’elle peut ou ne peut pas faire, et le travail n’a pas été facile.

Le discours haineux ou raciste et la dissémination de fausses nouvelles ont fait l’objet de trois arrêts de la Cour suprême du Canada. Dans l’affaire R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, elle a confirmé à la majorité de quatre voix contre trois, la validité du paragraphe 319(2) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] qui interdit la dissémination de la propagande haineuse. Dans R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, elle a, toujours avec une mince majorité de quatre voix contre trois, conclu à l’inconstitutionnalité de l’article 181 du Code criminel qui interdit la diffusion de fausses nouvelles. Enfin, dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, elle a confirmé la validité constitutionnelle du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, ch. 33] en jugeant que l’interdiction qui y est prévue est, sur le plan de nos valeurs constitutionnelles fondamentales, justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Je n’ai pas besoin de rappeler aux parties en présence que dans cette dernière affaire, la Cour suprême a prononcé à la majorité de cinq voix contre quatre, donc une très mince majorité.

Il est évident qu’en soumettant les systèmes de valeur ci-dessus à l’épreuve judiciaire positiviste, les tribunaux entrent de plain-pied dans le domaine de la théologie séculière, un domaine qui n’est pas trop éloigné de celui où s’exerçaient les théologiens du Moyen Âge, dont les déclarations sont souvent tournées en ridicule de nos jours. Le ciel préserve notre nouvelle approche du même sort.

LES FAITS DE LA CAUSE

Les intimés sont accusés d’inobservation d’une ordonnance de cette Cour, qui leur interdit de diffuser des messages susceptibles d’exposer à la haine et au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable. Cette injonction a un libellé identique à celui du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, et elle porte sur une question au sujet de laquelle un tribunal a été constitué pour faire enquête et prononcer en conséquence.

En sus des messages des intimés, joints à l’affidavit de Rodney Bobiwash dont fait état l’ordonnance susmentionnée, ont été versées au dossier les transcriptions d’un certain nombre de messages subséquemment diffusés par leur ligne directe. Elles sont jointes aux présents motifs par ordre chronologique, et marqués annexes III à XII. Tous ces messages, de même que ceux qui avaient été enregistrés avant la date de l’ordonnance, supra, de la Cour, ont fait l’objet du témoignage d’une linguiste éminente ainsi que d’une anthropologue non moins éminente.

La contribution de l’experte en linguistique, Mme Susan Erlich, consiste en l’analyse de leur forme et de leur teneur. Sa méthode se dit, dans le vocabulaire de son domaine d’expertise, analyse du discours. Le langage, dit-elle, trahit l’idéologie. Dans les messages produits devant la Cour, qu’elle a tous soigneusement étudiés, elle recherche les stratégies rhétoriques telles qu’elles se manifestent par la structure de la phrase, le choix et la répétition des mots, et le genre de répétition thématique qu’on trouve par exemple dans le Boléro de Ravel. Tout comme dans le message joint à titre de pièce « B » à l’affidavit de Bobiwash, au sujet des revendications d’autochtones, elle relève l’affirmation que ces revendications sont en train de submerger les tribunaux canadiens, qu’elles sont ridicules, stupides et sont un gaspillage de l’argent des contribuables. Elle relève ensuite ce qu’elle appelle une technique de la stratégie à rebours à propos d’un message de la ligne directe, selon lequel les Indiens, malgré leur passé de tortures et de meurtres brutaux, jouissent quand même de l’exemption d’impôt et du droit de chasser tout au long de l’année. Il s’agit là de privilèges dont ne jouissent pas les Blancs. Ce sont les Blancs les victimes.

Le témoin analyse ensuite le message contenu dans la pièce « A » jointe à l’affidavit de Bobiwash et décrit la stimulation émotionnelle qu’il exerce. Ce message exhorte l’auditeur, face aux revendications indiennes, à renoncer à la citoyenneté canadienne, à trouver un Indien auquel il cédera tous ses biens, puis à se terrer dans un trou pour y mourir. Le message passe ensuite à la question de l’immigration des gens du Tiers Monde. Il y a beaucoup de terres inoccupées au Canada, dit-il, mais la majorité des immigrants s’établissent dans les villes qui sont déjà surpeuplées, contribuant ainsi à la hausse du coût du logement, à l’accroissement de la criminalité, aux congestions de la circulation, etc.

Le témoin analyse ensuite de la même façon une quinzaine d’autres messages versés au dossier, qui ont été diffusés par la ligne directe des intimés à divers moments en 1992 et 1993. Elle y trouve le même genre de stratégies rhétoriques : la nécessité de l’homogénéité raciale, le danger du multiculturalisme, les problèmes de la promotion sociale, la transformation des Blancs en victimes, le tort qu’on a fait aux Canadiens nécessiteux en donnant deux milliards de dollars par an à l’aide extérieure.

Le témoin conclut que les messages visés par l’affidavit de Bobiwash sont du genre interdit par le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et que les messages postérieurs à l’injonction de la Cour ont sensiblement la même forme et la même teneur.

Contre-interrogé par l’avocat des intimés, le témoin reconnaît qu’elle n’a pas étudié les effets de ces messages sur un auditeur quelconque qui a appelé la ligne directe, et qu’elle ne sait pas quels sont les gens qui appellent cette ligne. Elle connaît le Heritage Front et, à son avis, c’est un groupe de caractère néo-fasciste et raciste, caractère qui se manifeste à travers ces messages.

Elle ne peut pas dire si une critique des revendications territoriales des autochtones a quelque chose de raciste. Elle ne répond pas à la question de savoir si en parlant des Indiens mis en vedette dans le film « Dances With Wolves » comme de nobles sauvages, elle connaît l’histoire des martyrs canadiens au Midland.

L’avocat des intimés produit ensuite un article paru dans le Toronto Star du 13 janvier 1993, qui rapporte la mort à Moscou de Helen Kroeger qui, avec son mari Peter, s’était enfuie des États-Unis au moment de l’éclatement de l’affaire d’espionnage Julius et Ethel Rosenberg. Helen et Peter Kroeger s’appelaient en réalité Lola et Morris Cohen. N’était-ce pas cela, demande-t-il, essentiellement la teneur du message du 15 janvier 1993 de la ligne directe?

Il a aussi produit un article d’Eric Margolis dans le Toronto Sunday Sun du 15 août 1993, sur les graves conséquences d’un afflux massif au Canada et aux États-Unis d’immigrants d’origine asiatique, africaine et mexicaine. Pareille opinion, demande-t-il, pourrait-elle être qualifiée de raciste et tomberait-elle sous le coup de l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? À cela le témoin n’a pas pu, bien naturellement, donner une réponse catégorique.

Le second témoin cité par la requérante est également un professeur connu. Il s’agit de Mme Frances Henry, une spécialiste de l’anthropologie sociale qui s’occupe depuis longtemps des questions de racisme et qui a servi, devant les tribunaux, d’experte au sujet des antécédents culturels de gens poursuivis en justice pour diverses infractions. Elle est aussi experte en matière de relations interraciales et d’activités antiracistes. Son nom a été récemment retenu pour un tribunal de la Commission canadienne des droits de la personne, mais elle n’y a pas été appelée. Elle est aussi expert-conseil près la Commission.

En ce qui concerne les messages de la ligne directe, ce témoin estime qu’ils comportent tous un thème raciste sous-jacent. Elle sait tout au sujet des intimés, dont elle dit qu’ils forment un mouvement de droite, néo-nazi, réactionnaire et raciste. Elle aussi a analysé le contenu des messages dont a parlé le premier témoin et, dans l’ensemble, corrobore les observations faites par Mme Erlich. Elle conclut que ces messages visent à semer la crainte, la haine et l’appréhension chez les Blancs contre tous ceux qui n’appartiennent pas à leur race. Les études parues dans les revues académiques au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni sur le phénomène des groupes racistes démontrent pour la plupart l’effet que ces derniers ont sur les groupes visés dans la société. Ces groupes visés qui appartiennent à la grande classe moyenne sont en proie à l’incertitude et demandent qu’on leur montre la voie.

Tout comme Mme Erlich, Mme Henry ne sait pas quel effet ces messages produisent sur ceux qui appellent la ligne directe du Heritage Front. Elle ne connaît aucun membre du groupe, ni ne connaît aucun document ou manifeste qui en présente le programme ou l’idéologie. Priée par l’avocat des intimés de dire si les vues exprimées dans ces messages présentent une différence quelconque avec des vues semblables, exprimées de temps à autre dans la presse écrite à grande diffusion, le témoin soutient qu’il y a une différence de dessein entre les deux. Les articles de journaux pourraient comporter des messages similaires mais, à son avis, le but visé est clairement différent.

L’ARGUMENTATION DE LA REQUÉRANTE

L’avocat de la requérante soutient que la question soumise à la Cour est double. Il y a d’abord l’injonction contre la diffusion de messages « susceptibles d’exposer des personnes à la haine ou au mépris » au sens du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il y a en outre la disposition additionnelle qui interdit aux intimés de diffuser des messages ayant sensiblement la même forme et le même contenu que ceux figurant aux annexes « A » et « B » de l’affidavit de Bobiwash. Ces derniers sont les messages de référence, auxquels tous les messages subséquents doivent être comparés. Selon le témoignage des experts, les messages subséquents sont définitivement similaires pour ce qui est de leur forme comme de leur contenu. La requérante en conclut qu’il y a preuve sans l’ombre d’un doute raisonnable et qu’il faut rendre l’ordonnance portant condamnation pour outrage au tribunal.

L’ARGUMENTATION DES INTIMÉS

L’avocat des intimés est, bien entendu, d’avis contraire. L’ordonnance du juge en chef adjoint vise à interdire à ces derniers de diffuser par la ligne directe des messages qui enfreignent le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La violation supposée de cette ordonnance doit être prouvée sans l’ombre d’un doute raisonnable, cette norme n’étant pas requise dans le cadre d’une instance civile fondée sur le paragraphe 13(1). L’avocat des intimés soutient que le même principe s’applique aux messages de référence comme aux messages subséquents.

Il rappelle à la Cour que les intimés avaient consenti à l’ordonnance, supra, et qu’il y a des preuves indiquant qu’ils auraient voulu que la Commission requérante approuve au préalable leurs messages pour s’assurer que la teneur n’en constitue pas une violation de l’ordonnance. Pour quelqu’un qui a consenti à une injonction, dit-il, ce serait insensé de chercher à l’enfreindre sciemment.

Pour ce qui est des témoignages produits devant la Cour, il soutient qu’il ne s’agit là que d’opinions. La juxtaposition des expressions, que relève l’affidavit de Mme Henry, n’est pas une preuve suffisante de similarité. De même, l’analyse de Mme Erlich qui relève des stratégies rhétoriques n’a guère force probante pour ce qui est de savoir si la violation est prouvée sans l’ombre d’un doute raisonnable.

L’avocat des intimés soutient encore que la présomption de contravention au paragraphe 13(1) peut se trouver dans l’affidavit de Bobiwash, dont la teneur a provoqué l’enquête devant la Commission et les procédures subséquentes devant cette Cour. Il n’a pas été permis aux intimés de confronter leur accusateur, ce qui représente un déni du droit fondamental de quiconque pourrait être soumis à de graves sanctions pénales. Il pose la question de savoir si exprimer des opinions vigoureuses sur les droits autochtones, sur l’autonomie politique des autochtones ou sur les revendications territoriales des Indiens, signifie attirer le mépris ou la haine sur ces derniers.

CONCLUSIONS

J’admets volontiers qu’il n’est pas facile pour la Cour de tirer des conclusions de tout ce qui précède. Le problème est d’autant plus difficile que le tribunal constitué par la Commission canadienne des droits de la personne est déjà saisi de l’affaire sous le régime du paragraphe 13(1) de la Loi et que son enquête a pris jusqu’ici cinq jours d’audience, avec quatre autres de prévus pour l’automne et probablement davantage à l’avenir.

En premier lieu, je note que si la Cour devait conclure sans l’ombre d’un doute raisonnable qu’il y a eu violation de l’ordonnance, pareille conclusion pourrait être interprétée comme une usurpation de la compétence exclusive dont le législateur a investi le tribunal à l’égard des plaintes fondées sur le paragraphe 13(1) ou visant les autres agissements interdits par les articles 5 à 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Cour peut convenir que le législateur a confié le jugement des questions de ce genre à un tribunal administratif dont la méthode variée d’enquête est plus à même de produire des décisions avisées et équilibrées.

En deuxième lieu, la Cour n’est pas à vrai dire appelée à décider si les intimés sont un groupe raciste soumis à la censure automatique, mais à décider quelle est la teneur des messages de référence eux-mêmes et si les messages subséquents ont essentiellement la même forme ou le même contenu. Demander à la Cour, qui est en présence d’une ordonnance fondée sur le paragraphe 13(1), de prononcer sur le potentiel de « haine et de ridicule » des messages visés à l’affidavit de Bobiwash reviendrait à entrer dans un domaine de la dialectique où seuls les sots foncent tête baissée et où les anges évitent de s’aventurer.

En troisième lieu, la Cour doit se rappeler que l’interdiction du paragraphe 13(1) de la Loi ne vise que les messages communiqués par les services d’une entreprise de télécommunications relevant de la compétence du Parlement. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un moyen de communications de masse. Les gens doivent appeler au préalable. Aucune preuve n’a été produite quant au nombre de personnes qui ont appelé, quant à l’effet que ces messages produisent sur eux, ou quant à la question de savoir s’ils cherchent de quoi alimenter leurs penchants racistes, ou s’ils ne sont que curieux, ou encore s’ils recherchent des preuves grâce auxquelles ils pourraient porter plainte.

En quatrième lieu, il ne faut pas oublier la trilogie des arrêts Keegstra, Zundel et Taylor (supra) par lesquels la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la nature criminelle de la diffusion des messages haineux et des fausses nouvelles, ainsi que sur la constitutionnalité du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La lecture de ces décisions rendues à une majorité ténue fait ressortir la difficulté qu’il y a à légitimer certaines contraintes légales attachées à la liberté d’opinion et d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il ressort de l’arrêt Taylor (supra) que la majorité des cinq voix contre quatre était heureuse de conclure que le paragraphe 13(1) était justifié au regard de l’article premier de la Charte par ce motif supplémentaire qu’il ne s’agissait pas là d’une disposition pénale. C’est ainsi que le juge en chef Dickson a été amené à conclure, en page 917 :

Il est essentiel toutefois de reconnaître qu’en tant qu’outil expressément conçu pour empêcher la propagation des préjugés et pour favoriser la tolérance et l’égalité au sein de la collectivité, la Loi canadienne sur les droits de la personne diffère nettement du Code criminel. La législation sur les droits de la personne, et en particulier le par. 13(1), n’a pas pour objet de faire exercer contre une personne fautive le plein pouvoir de l’État dans le but de lui infliger un châtiment. Au contraire, les dispositions des lois sur les droits de la personne tendent plutôt, en règle générale, à éviter ce genre d’affrontement en permettant autant que possible un règlement par voie de conciliation et, lorsqu’il y a discrimination, en prévoyant des redressements destinés davantage à indemniser la victime.

Interpréter les messages en cause dans une poursuite pour outrage au tribunal, où la matière faisant l’objet de la plainte est sous le coup de la loi pénale, n’assurerait pas la bonne administration de la justice.

Il me faut donc examiner la preuve constituée par plusieurs messages de la ligne directe, qui ont été versés au dossier et analysés par les deux experts. Il est indiscutable que le langage de la plupart d’entre eux est mordant, vigoureux et « piquant ». Si la ligne directe vise à communiquer un message, on peut dire qu’elle y a réussi. Mais quand on examine les messages en cause pour voir s’il y en a parmi eux qui enfreignent sans l’ombre d’un doute raisonnable le dispositif de l’ordonnance de la Cour, il faut se garder d’y voir plus qu’ils ne contiennent. La Cour doit se garder, dans cette instance, de confondre message et messager. Les experts pourraient être d’un autre avis et penser que tout message émanant des intimés est raciste dans sa forme et son contenu et enfreint la loi. N’empêche que la Cour n’a pas la latitude dont jouissent les protagonistes qui débattent les questions raciales.

Je veux dire par là qu’à la lumière des preuves et témoignages, je ne suis pas convaincu sans l’ombre d’un doute raisonnable que les messages en cause sont susceptibles d’exposer des personnes à la haine et au mépris, c’est-à-dire des messages qu’interdit l’ordonnance, supra, et qui sont expressément visés par le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il appartiendra au tribunal de se prononcer à ce sujet et, à cet égard, il ne sera pas tenu aux contraintes qui s’imposent au tribunal judiciaire saisi d’une instance d’outrage au tribunal.

Ma conclusion ne blanchit cependant pas les intimés. L’ordonnance de la Cour contient cette disposition additionnelle : « en particulier les messages joints à titre de pièces « A » et « B » à l’affidavit établi sous serment le 24 juin 1992 par Rodney Bobiwash, ou tout autre message ayant sensiblement la même forme et la même teneur ».

Cette disposition donne lieu à une autre question à résoudre par la Cour, savoir si les messages diffusés par les intimés depuis la date de l’ordonnance ont sensiblement la même forme et la même teneur que les messages joints à l’affidavit de Bobiwash. Pour répondre à cette question, la Cour doit se garder de voir dans les premiers plus qu’ils ne contiennent.

Le message du 15 janvier 1993, reproduit à l’annexe III des présents motifs, ne tombent certainement pas dans la catégorie interdite. Il parle du Parti réformiste et de son chef Preston Manning. Il parle ensuite de la mort de Kroeger en Russie et informe l’auditeur qu’elle s’appelait en réalité Lola Cohen et qu’elle était impliquée, avec son mari Morris, dans l’affaire Rosenberg dans les années 1950 aux États-Unis. Le texte n’est rien d’autre qu’une reproduction d’articles de journaux.

Le message du 8 janvier 1993, annexe IV, est tel que l’auditeur doit se demander pourquoi les intimés remuent le souvenir de Charlie Chaplin, qu’ils traitent de communiste et de traître à toutes les valeurs de l’Amérique qui avait fait sa fortune, et l’identifient par son vrai nom qui a une connotation juive, mais sans aucune identification raciale spécifique. Il semble que Charlie Chaplin représente surtout un souvenir nostalgique dans l’esprit de la plupart des gens qui accepteront ou non qu’on parle de lui en dehors de la sphère du spectacle, qui était la sienne de son vivant. Là encore, je ne peux conclure que ce message a sensiblement la même forme et le même contenu que les messages de référence.

Le message du 3 février 1993, annexe V, a été également formulé en termes généraux. Il professe qu’on peut tirer des leçons des divisions ethniques, tribales et religieuses d’un grand nombre de pays, et que le multiculturalisme officiel va à l’encontre des forces naturelles. Là encore, je ne vois pas que ce message ait sensiblement la même forme et la même teneur que les messages joints à l’affidavit de Bobiwash.

L’annexe VI, c’est-à-dire le message daté du 4 février 1993, ne fait que reproduire un échange entre les intimés et un tiers du nom de Kevin Thomas.

Le message suivant, celui du 5 février 1993, annexe VII, pourrait bien avoir un ton raciste, mais en termes de politique multiculturelle du Canada, il soutient que d’après l’expérience du passé, l’intégration des cultures et des races ne donnait pas des résultats pacifiques. Cette position est, bien entendu, loin d’être unique au sein de la société canadienne.

Celui du 8 février 1993, annexe VIII, se passe de commentaires.

De même, celui du 9 février 1993, annexe IX, n’est qu’une plaidoirie pour la liberté d’expression et qu’une exhortation à l’auditeur de chercher à en savoir davantage sur le Heritage Front.

L’annexe X, c’est-à-dire le message du 10 février 1993, semble représenter une position plus défensive de la part des intimés. La cible n’en est pas certaines minorités identifiables, mais le mouvement antiraciste. Le message est censé émaner d’un auditeur de Scarborough, qui dit aux racistes et aux antiracistes : « Que vous soyez maudits les uns et les autres », observation que pourraient partager bien des gens à Toronto.

Le message du 11 février 1993, annexe XI, pourrait être plus près de la limite. Il parle des agressions dans les rues de Dallas, du procès civil Rodney King et de l’affaire Reginald Denny à Los Angeles. Il parle des émeutes dans certaines villes américaines, auxquelles participaient manifestement des Noirs. Il parle des facteurs héréditaires et fait cette prédiction : « Dallas, L.A. et Toronto brûleront toutes à la fin ». Ce message est d’un ton plus virulent mais, à mon avis, n’atteint pas au contenu des messages joints à l’affidavit de Bobiwash.

Le dernier message, annexe XII, est daté du 12 février 1993. Je n’ai aucun mal à y voir une condamnation vigoureuse de la politique d’immigration actuelle. Bien qu’on puisse dire qu’il est raciste eu égard à son origine, je ne trouve pas qu’il ait sensiblement la même forme et la même teneur que les messages de référence.

Je dois donc conclure que les intimés n’ont pas défié l’ordonnance rendue par cette Cour le 29 septembre 1992 et corrigée le 19 janvier 1993. L’action en outrage au tribunal, intentée à leur égard, doit être rejetée.

DÉCISION COMPLÉMENTAIRE

La Cour tient pour fait notoire l’antagonisme qui oppose les groupes racistes et antiracistes de Toronto, où l’un et l’autre camps ont manifesté devant les bureaux de la Commission canadienne des droits de la personne, de la Cour fédérale ou devant le Palais de justice provincial où le tribunal des droits de la personne tenait ses audiences. Cet antagonisme fait échec au processus de compréhension et de conciliation qui est essentiel pour la protection des droits garantis par l’article 15 de la Charte, ainsi que pour la préservation et la promotion de notre patrimoine multiculturel, que garantit l’article 27.

Ces dispositions portant sur des valeurs ne sont pas de simples professions de foi qui ne sont là que pour la forme, mais font partie des lois fondamentales du pays, lois auxquelles le Canada a souscrit par un processus libre et démocratique. Tout en définissant un système de valeurs pour le citoyen canadien, elles imposent aussi des obligations civiques, savoir le devoir pour chacun d’essayer d’améliorer les relations les uns avec les autres, d’apprendre et de comprendre que la condition humaine est remplie de préjugés, mais que ceux-ci ne doivent pas submerger la nécessité fondamentale du respect et de la tolérance mutuels.

Comme je l’ai fait remarquer aux parties à la clôture du procès, c’est cette maîtrise de soi qui a été l’une des grandes caractéristiques de ce pays. Il y a eu chez nous des conflits, mais par comparaison avec d’autres pays et d’autres sociétés, il est rassurant de voir que si peu de ces conflits ont été résolus par une insistance sur les différences allant jusqu’à la violence, et que d’autres bien plus nombreux l’ont été par l’insistance sur les similarités pour aboutir au compromis.

J’ai eu l’occasion de souligner qu’en vue d’une administration ordonnée et pacifique de nos lois, il faut toujours parvenir au compromis entre des valeurs opposées, dont on peut dire qu’elles sont toutes également impératives. Parfois, le compromis n’est pas facile; en particulier, pour ce qui est du respect que nous devons aux principes d’égalité et de multiculturalisme, comme à notre liberté bien-aimée de pensée, de croyance et d’expression, nous pouvons voir les tensions auxquelles doivent faire face nos arbitres du dernier ressort pour réaliser un consensus, au sein de la Cour suprême du Canada.

La difficulté à trouver le juste milieu est, à mon humble avis, quelque chose que nous devons tous partager. Pour trouver des solutions, il ne sert à rien d’adopter une rhétorique inflammatoire et de provoquer des confrontations, ou encore de créer des antagonismes qui ne font que polariser les problèmes. Il est triste de voir que les conflits inhérents entre divers groupes importants dans une communauté variée comme Toronto sont mis en épingle, et que des groupes cherchent à exploiter les craintes que chacun d’eux pourrait avoir une raison de nourrir.

Si j’ai conclu que les messages diffusés par les intimés ne contreviennent pas nécessairement au paragraphe 13(1) de la Loi et si je ne peux conclure, sans l’ombre d’un doute raisonnable, qu’ils ont violé l’ordonnance de cette Cour, cela ne signifie pas que leurs messages, pris dans leur ensemble, ont quoi que ce soit de commun avec les saines homélies destinées à promouvoir la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Chacun d’eux comporte des éléments indéniables de racisme. Ils sont représentatifs d’un grand nombre d’autres messages que ce pays a entendus au fil des ans et qui fomentent le désordre, la discorde et les craintes morbides. Si, strictement parlant, ces messages sont peut-être intouchables, il est indiscutable que du point de vue social ou moral, ils sapent les efforts faits par la grande majorité des Canadiens, de toutes les races, croyances religieuses et origines ethniques, pour oublier leurs craintes et leurs vicissitudes au sujet des choses qui leur paraissent étranges ou étrangères, ou pour ne pas les exprimer sans retenue en public. Cette retenue et ces obligations normales sont conformes à la prescription de nos garanties constitutionnelles des droits et libertés. Il s’agit là à mon avis de conventions constitutionnelles sans lesquelles les garanties enchâssées dans la Constitution n’assureraient nullement la paix ni le bien-être pour tout un chacun.

Les intimés, sur plusieurs fronts, font la promotion de la suprématie de la race blanche. Ils exploitent les craintes et le ressentiment des gens alors que tant d’autres groupes communautaires se consacrent à les atténuer. Ils provoquent des positions également intransigeantes de la part des mouvements antiracistes dont on peut dire aussi qu’ils attisent les craintes et le ressentiment parmi leurs propres partisans.

Il n’appartient pas à cette Cour de tirer des conclusions des multiples observations figurant dans les présents motifs, ni de prononcer sur plusieurs points que font ressortir les preuves produites. Elle doit cependant, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en la matière, essayer de trouver une formule telle que les messages du genre susmentionné ne soient pas une source permanente de conflit ni n’attisent les dissensions.

En bref, le fait que les intimés n’aient pas violé l’ordonnance dont s’agit ne signifie pas que toutes les questions sont résolues. Les messages eux-mêmes, ainsi que le fait que le public en prend conscience davantage, sont, à mon avis, de nature à ajouter à l’antagonisme et à ouvrir la porte à la multiplication des recours à notre Cour et de ses interventions. L’ordonnance rendue par la Cour n’a pas interdit aux intimés de se servir de leur ligne directe. Les messages que j’ai examinés pourraient peut-être survivre à l’épreuve des règles de droit pénal, mais je pense que si cela n’avait pas été le cas, les intimés auraient eu à assumer la lourde charge de prouver que leurs propos n’étaient pas malveillants. Un grand nombre des messages en cause sont du même genre que ceux qui ont été interdits. Certains d’entre eux, qui ont un ton raciste discernable ou sentent la suprématie blanche, sont dangereusement proches des messages de référence. Dans ce contexte, on doit donc s’attendre à ce que d’autres messages tangents suivent, aggravant ainsi la tension actuelle. Il est évident qu’il ne s’agit pas là d’une situation propice au maintien ou au rétablissement de la paix, de l’ordre et du calme, que visait évidemment l’ordonnance initiale de la Cour.

Je suis parvenu à la conclusion qu’il n’y a pas lieu de risquer ou d’encourager plus d’incertitude ou d’instabilité. Je suis d’avis qu’en attendant le jugement du tribunal au regard du paragraphe 13(1), il ne faut pas que la situation demeure telle qu’elle rende possibles d’autres provocations, d’autres confrontations et d’autres saisines de la Cour.

Quel serait le meilleur moyen d’y parvenir? Je ne peux mettre fin à toutes les activités des intimés. Je ne pourrai pas non plus interdire aux personnes intéressées d’en saisir la Cour. Je constate cependant que l’article 44 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] habilite notre Cour à rendre toute ordonnance selon qu’elle juge juste et opportun de le faire. Bien que ce pouvoir soit prévu dans un texte de loi, celui-ci n’est que la consécration de la compétence étendue que la common law reconnaît aux cours supérieures.

Dans le célèbre précédent Beddow v. Beddow (1878), 9 Ch.D. 89, Sir George Jessel, M.R., a fait cette observation, en page 93 :

[traduction] Je suis investi du pouvoir illimité d’accorder une injonction dans tous les cas où je juge indiqué et juste de le faire.

Le même principe ou la même doctrine a été repris par le juge en chef McEachern de la Colombie-Britannique dans Re B.C. Govt. Employees’ Union (1983), 48 B.C.L.R. 1 (C.S.), confirmé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, (1985), 64 B.C.L.R. 113, et approuvé par la Cour suprême du Canada, [1988] 2 R.C.S. 214.

À la lumière des preuves produites, je conclus que l’ordonnance de ne pas faire rendue par notre Cour à l’égard des intimés, n’atteint pas, comme l’ont montré les circonstances, le but pour lequel elle a été rendue. Je me propose donc d’aller un peu plus loin et d’interdire aux intimés de se servir de leur ligne directe en attendant que le tribunal des droits de la personne statue sur la plainte dont il a été saisi. Par les motifs ci-dessus, je conclus qu’il est juste et opportun de rendre cette ordonnance en cet état de la cause. Je conclus également que vu la nature de la ligne directe, qu’on ne saurait qualifier de moyen de communications de masse, pareille ordonnance impose une restriction minimale sur les activités licites des intimés.

Une ordonnance sera donc rendue en conséquence. L’action en outrage au tribunal intentée contre les intimés est rejetée et ceux-ci sont libres de vaquer à leurs affaires.

* * *

[traduction] ANNEXE I

Merci d’avoir appelé la ligne directe anti-immigration qui est ouverte 24 heures sur 24, sous le parrainage du Heritage Front. Cette semaine, j’aimerais réfuter certaines notions ridicules qu’ont promues les médias. Le premier de ces mythes, c’est que cette terre appartient aux autochtones indiens. Si vous croyez à cette affirmation idiote, alors pourquoi ne pas l’appliquer jusqu’à sa conclusion ultime :

(A) Renoncez à votre citoyenneté canadienne.

(B) Trouvez un Indien, donnez-lui votre maison, vos biens et tout ce qui vous appartient, et

(C) Terrez-vous dans un trou pour y mourir.

Le fait est que nos ancêtres ont bâti sur une terre à l’état sauvage. Ils ont combattu et sont morts pour cette terre sur laquelle nous vivons. Si cela vous fait honte, allez-vous en. Si l’immigration massive des Européens au Canada a détruit le mode de vie des Indiens, alors qu’est-ce qui fait croire à certains Blancs idiots que cette nouvelle vague d’immigrants ne détruira pas le nôtre? Choisissez.

La seconde notion que je voudrais réfuter c’est la croyance que puisque le Canada a tellement de terres inoccupées, nous avons besoin des immigrants du tiers monde. C’est faux pour les deux raisons suivantes :

(1) parce que la grande majorité s’établit dans nos villes qui sont horriblement surpeuplées, contribuant ainsi à la hausse du coût du logement, à l’accroissement de la criminalité, aux congestions de la circulation, etc.

(2) au lieu d’attirer des immigrants de sources non traditionnelles, pourquoi ne faisons-nous pas davantage d’enfants? La réponse : parce que nous ne pouvons pas nous le permettre, alors que nous dépensons chaque année deux milliards pour l’aide extérieure. Et si on les emploie à aider les jeunes familles canadiennes qui ont du mal à joindre les deux bouts? Soyons sérieux, voyons!

Nous allons avoir sous peu une grande réunion dans une vaste salle avec des conférenciers pleins d’énergie. Si vous voulez y assister pour voir vous-même ce qu’est le Heritage Front, veuillez laisser votre nom et votre numéro de téléphone après le bip. Veuillez donner votre nom et votre numéro de téléphone à cause de la grève de la poste.

À la semaine prochaine, au revoir Canada.

Nous sommes le Heritage Front.

Luttant pour un meilleur lendemain.

[traduction] ANNEXE II

16-1-92

Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage.

Pourquoi les livres d’histoire présentent-ils les colons blancs comme des sauvages ne cherchant qu’à tuer les nobles autochtones, pourquoi les longs métrages comme « Dances With Wolves » passent-ils sous silence les tortures et les meurtres brutaux qui faisaient partie intégrante des cultures amérindiennes, pour présenter les autochtones comme des anges. Quiconque prétend que cette terre et tout ce qu’il y a dessus appartiennent aux autochtones est manifestement un ignorant.

Il est prouvé qu’ils arrivèrent d’Asie en traversant le détroit de Béring il y a à peu près 10 000 ans, mais ce n’est pas parce qu’ils sont les premiers à arriver ici, que le Canada leur appartient. En l’espace d’un seul siècle, les pionniers blancs ont réussi ce dont aucun Indien n’aurait pu rêver. Ils ont construit des villes, des ponts, des barrages, et ont apporté la décence et la charité chrétienne aux tribus guerrières.

L’argent des contribuables est gaspillé sur les revendications territoriales non fondées qui ont inondé les tribunaux du Canada; un grand nombre de régions avaient été cédées aux missionnaires mais les Indiens ne sont jamais contents des privilèges dont ils jouissent, par exemple l’exemption d’impôt et le droit de chasser tout au long de l’année. À qui appartient cette terre, à votre avis?

Si vous voulez avoir la réponse à cette question et si vous désirez avoir plus d’informations, veuillez laisser votre nom, votre adresse et votre numéro de téléphone après le bip.

[traduction] ANNEXE III

15-1-93

Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage et en politique, ça va mal quand un parti soi-disant du peuple plie l’échine devant un groupe de pression. Le leader du Parti réformiste, Preston Manning, a fait un discours maladroit et embarrassant pendant qu’il se mettait en quatre lors d’une réunion organisée par le B’nai Brith. Il s’est aussi roulé par terre et a fait des sauts périlleux renversés, mais sa prestation n’a pas été appréciée. Preston voulait que cette communauté adhère au Parti réformiste afin de vacciner celui-ci contre le racisme. Peut-être veut-il le remplacer par leur propre marque de racisme. As-tu besoin d’un nouveau nègre pour tes discours, Preston? Et pour passer aux notices nécrologiques, l’espionne communiste Helen Kroeger est morte en Russie à l’âge de 79 ans. Peter et Helen Kroeger s’appelaient en réalité Morrison et Lola Cohen. Ils travaillaient avec les espions communistes Julius et Ethel Rosenberg, qui étaient morts sur la chaise électrique en 1953. Choquant, n’est-ce pas? Eh bien, Helen Kroeger et son mari méritaient certainement le même sort mais ils se sont enfuis d’Amérique pour la Grande-Bretagne où ils avaient poursuivi leurs activités traîtresses jusqu’à ce qu’ils soient mis en prison. Pour plus d’informations, laissez votre nom et votre numéro de téléphone. Merci.

[traduction] ANNEXE IV

8-1-93

Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage. Ça ne va pas, mais alors pas du tout. Hollywood fait encore des siennes. La capitale du clinquant veut solliciter vos glandes lacrymogènes pour son pauvre Charlie Chaplin le persécuté devant l’éternel. Mais nous savons que le petit vagabond est aussi un petit traître. L’idée que ceux qui aiment l’argent ne peuvent être communistes est absurde. Une parfaite illustration en est Charlie Chaplin, qui a amassé une fortune énorme en Amérique et sous son régime. Charlie Chaplin méprisait et attaquait ce même régime de façon si virulente que même le State Department l’a exclu d’Amérique pour activités procommunistes. À première vue, il est difficile de comprendre comment un homme qui a reçu de l’Amérique autant de largesses et de richesses que Chaplin pourrait être un communiste. Un simple fait peut l’expliquer. Charlie Chaplin s’appelait en réalité Israel Thornstein. Il était guidé par ses tendances communistes et ses penchants sexuels. Charlie Chaplin n’était pas un génie, quoi qu’en dise Hollywood. Quiconque faisait des films à cette époque aurait joui de la même notoriété. Le Heritage Front croit en la vérité. Non à la propagande hollywoodienne. Charlie était un communiste et un traître. Deux fi pour le petit vagabond. Pour plus d’informations, laissez votre nom et votre numéro de téléphone. Merci.

[traduction] ANNEXE V

3-2-93

Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage. Le conflit est la règle là où le même territoire abrite plusieurs groupes ethniques biens définis. C’est la conclusion qui se dégage d’études faites par des chercheurs qui ont analysé à fond les relations ethniques à travers le monde. Le chroniqueur Richard Reeves fait observer que le racisme fait partie intégrante de la vie et que la guerre raciale est une véritable menace dans nombre de pays. Il ajoute qu’il n’a pas encore vu sur notre planète un seul pays où les gens ne sont vraiment pas racistes. Les disputes tribales acrimonieuses en Afrique, la haine religieuse et ethnique au Moyen-Orient et en Irlande du Nord, et les tensions engendrées par l’immigration massive en Europe occidentale. La plupart des pays d’Asie partagent la croyance que la société est la plus forte quand tous ses membres appartiennent à la même race ou à la même ethnie. L’instinct de conservation participe de la loi naturelle. Les Canadiens d’origine européenne commencent à s’inquiéter pour la survie et l’intégrité de leur groupe. Ça se comprend. Chaque race crée la société qui lui est naturelle. Le multiculturalisme officiel nous aura enseigné une leçon précieuse : on ne peut pas tromper mère nature. Pour plus d’informations, laissez votre nom et votre numéro de téléphone. Merci.

[traduction] ANNEXE VI

4-2-93

Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage pour un profil de la gauche. Nous parlons aujourd’hui de Kevin Thomas, porte-parole de l’ARA, c’est-à-dire de l’Action antiraciste. Mais Kevin Thomas est beaucoup de choses à la fois. Il est aussi anarchiste. Kevin anime une émission de radio anarchiste le mardi après-midi à 12 h 30. C’est au poste CINT FM et ça s’appelle Uppercuts. Ça fait pas mal percutant, n’est-ce pas? Eh bien non, ça ne l’est pas. J’ai défié Kevin Thomas à un débat à l’émission de mardi prochain, je tenais à condamner publiquement le galvaudage du mot nazi. Kevin m’a dit qu’il croit aux débats mais qu’il ne m’affrontera pas dans un débat. Et pourquoi ne veut-il pas m’affronter? C’est simple, c’est parce que j’ai raison et qu’il a tort. Cet anarchiste antiraciste n’est pas capable de m’affronter dans un débat. Je gagne par forfait. Kevin sait que les Blancs ont autant que n’importe que autre groupe racial le droit de célébrer leur patrimoine. Ce n’est pas du nazisme, ça. La plupart des gens ne savent même pas que le mot nazi est un mot composé signifiant national-socialiste. C’était le nom d’un parti politique pangermaniste qui a cessé d’exister en 1945. Ceux qui encouragent la haine contre les Blancs ont toujours recours à cette tactique éculée. Puisque le nazisme comprenait l’unité des Blancs, ils ont essayé d’assimiler tout mouvement d’unité des Blancs au nazisme. Voilà qui est ridicule, et les gens intelligents y voient tout de suite une promotion de la haine. Kevin Thomas montre ses vraies couleurs. Kevin l’anarchiste n’est pas un bon argumentateur. Et Kevin l’antiraciste est celui qui est pétri de haine. Pour plus d’informations, laissez votre nom et votre numéro de téléphone. Merci.

[traduction] ANNEXE VII

4-2-93

Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage. L’immigration a fait la manchette des médias à l’été 1986, lorsque le public canadien apprit que des transfuges de la mer tamils avaient été acceptés d’emblée. Ceux qui s’y opposent aimeraient savoir pourquoi des gens qui avaient essayé de violer la loi pour entrer dans le pays, puis avaient menti au sujet de leur point de départ, ont été admis par voie de permis ministériel. L’idéal c’est de demander davantage de multiculturalisme, de louer le gouvernement Mulroney pour ses décisions. Avant les années 1950, les Anglo-canadiens croyaient que la confédération existait pour une seule raison. Le lien britannique. Le tout premier Premier ministre du Canada, Sir John A. McDonald, a dit : « Je suis né sujet britannique, je mourrai sujet britannique ». Mais ce qui unissait les Canadiens, ce n’était pas seulement un territoire commun, ou le désir de faire du commerce les uns avec les autres sur de longues distances, mais le désir bien plus grand de demeurer au sein de l’Empire britannique, non pas de l’Empire américain. Mais l’idéologie libérale s’est installée dans le vide laissé par la retraite de l’Empire britannique après la guerre. Pierre Trudeau a dit que l’avenir de l’humanité est dans le multinationalisme. Canada devait devenir une nation unie expérimentale offerte au regard émerveillé du monde. Mais nos ancêtres ne pensaient pas que l’intégration des cultures et des races donnerait des résultats pacifiques. S’ils pouvaient voir ce qui se passe parce que nous avons laissé faire, ils se retourneraient dans leurs tombes. Pour plus d’informations, laissez votre nom et votre numéro de téléphone. Merci.

[traduction] ANNEXE VIII

8-2-93

Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage. La plupart des médias donnent une image stéréotypée des partisans du Heritage Front. Ceux qui jettent de hauts cris contre la caractérisation stéréotypée des gens sont souvent ceux qui s’y livrent le plus. La vérité c’est qu’il n’y a pas un type de partisans du Heritage Front, parce qu’un grand nombre de personnes percent à jour la campagne de dénigrement de la presse. Les gens qui pensent comme leur téléviseur ne nous intéressent pas. Les gens qui ne veulent ou ne peuvent pas exercer leurs capacités intellectuelles ne nous intéressent pas. Le Heritage Front recherche des idées nouvelles et progressives de la part des citoyens qui se préoccupent de la situation. Et nous les recevons de toutes les couches sociales : manœuvres, fonctionnaires, enseignants, étudiants et entrepreneurs. Même les groupes d’environnementalistes reconnaissent maintenant que la politique d’immigration doit être intégrée dans une politique démographique fondée sur notre potentiel économique et environnemental. Certains libéraux soi-disant modérés en ont vraiment assez du conformisme de pensée politique et sont maintenant prêts à entendre la voie du bon sens. Même les gens qui croyaient que l’antiracisme était une cause noble, se rendent maintenant compte que le mouvement antiraciste est effrontément anti-Blancs. Débranchez donc votre téléviseur et faites connaissance avec le vrai Heritage Front. Laissez votre nom et votre numéro de téléphone et un représentant du Heritage Front vous rappellera sous peu.

[traduction] ANNEXE IX

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Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage. Nombre de gens conviennent maintenant que le Canada est devenu une tragédie. Comme la plupart de ceux qui ont étudié les drames shakespeariens peuvent se le rappeler, une tragédie est un événement qui se produit quand les propres actions du protagoniste ne lui permettent pas de réaliser son potentiel, mais le conduisent à l’auto-destruction. Le Canada aurait dû avoir le niveau de vie le plus élevé au monde. Un environnement propre et une société qui respecte les droits et libertés de l’individu. Mais tel n’est pas le Canada de 1993. Nous somme passés de la liberté au socialisme, du fair-play à la discrimination, de la prospérité à la faillite. La grande majorité des jeunes Canadiens ne pourront jamais s’offrir leur propre maison dans leur propre pays. Les changements ne seront pas le fait des politiciens qui ne s’intéressent qu’aux votes, mais des citoyens avertis. Mais maintenant ils cherchent à étouffer toute opinion qui pourrait offrir des vues justes ou des solutions. Le gouvernement d’Ottawa et ses amis essaient toutes les manœuvres possibles pour fermer la ligne directe. Cela a créé une situation tendue. Un grand nombre de citoyens demandent à savoir pourquoi on peut violer la liberté d’expression de qui que ce soit. Si vous êtes vraiment un Canadien épris de liberté, il est temps que vous appreniez la vérité. Pour plus d’informations, laissez votre nom et votre numéro de téléphone et un représentant du Heritage Front vous rappellera sous peu. Merci.

[traduction] ANNEXE X

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Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage. Le Heritage Front reçoit un grand nombre de lettres intéressantes. En voici une :

Cher Heritage Front, je n’ai pas honte de dire que je suis un vieux hippie qui avais participé à quantités de manifestations pacifistes. C’est ce qui me prédisposait favorablement envers le mouvement antiraciste. J’ai rencontré plusieurs organisateurs qui étaient censés combattre le racisme, mais je me suis tout de suite rendu compte que ce n’est pas ça leur programme. Lorsqu’ils ont commencé à proférer des propos haineux contre votre organisation, je n’ai pas pu m’empêcher d’être soupçonneux. Quand je leur ai demandé si les Noirs et les autres minorités pouvaient être racistes, la plupart d’entre eux ont vraiment répondu non. J’ai su alors qu’ils n’étaient pas sincères. J’écoute certains de vos messages téléphoniques et je suis opposé à la plus grande partie de ce que vous dites, mais les soi-disant antiracistes que j’ai rencontrés sont terriblement hypocrites. Ils sont eux-mêmes racistes, mais seulement à l’égard des Blancs. Je suis parvenu à la conclusion que leur forme de racisme anti-Blancs n’est guère meilleur que votre racisme. Que vous soyez maudits les uns et les autres. Sincèrement vôtre, Mark, de Scarborough (Ontario).

Pour plus d’informations, laissez votre nom et votre numéro de téléphone et un représentant du Heritage Front vous rappellera sous peu. Merci.

[traduction] ANNEXE XI

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Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage. Et amateurs de sports, si vous pensiez que le Super Bowl avait son compte de coups brutaux, vous auriez dû voir la parade. Les images ne mentent pas. Et nous nous demandons si ce type de comportement brutal ne devrait pas être puni d’une pénalité majeure. Qu’est-ce qui a motivé ces agressions dans les rues de Dallas, au Texas? Le procès civil Rodney King n’était même pas ouvert. Aucun jugement n’avait été encore rendu dans le procès de ceux qui avaient brutalisé Reginald Denny dans une agression raciste. Dans ce cas, c’était la parade du Super Bowl. Ce devait être l’occasion de s’amuser. Alors pourquoi ces agressions sauvages? La réponse est simple. La race est une communauté caractérisée de facteurs héréditaires, et des caractères comme ceux-là peuvent réellement tomber sur votre parade. Dallas, L.A. et Toronto brûleront toutes à la fin. Nombre d’autres villes brûleront aussi. Est-ce que ce sera la faute du Heritage Front? Mais non. Vous ne pouvez pas en imputer la faute au Heritage Front. Vous pouvez en attribuer la faute aux libéraux de gauche qui sont offusqués par la discussion honnête de ces questions vitales. Le Heritage Front a les réponses. Si vous voulez les entendre, laissez votre nom et votre numéro de téléphone et un représentant du Heritage Front vous rappellera sous peu. Merci.

[traduction] ANNEXE XII

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Merci d’avoir appelé la ligne directe de Heritage. Et en politique, qui doit endosser la responsabilité d’avoir allumé l’amorce de la bombe à retardement de l’immigration au Canada? C’était Lester B. Pearson qui a esquissé le nouveau Canada à venir. Pierre Trudeau en a jeté les bases. Clark et Mulroney lui ont donné forme avec l’aide des Flora MacDonald et des Barbara McDougall. Qui leur a confié ce mandat? L’immigration est une bombe à retardement, prête à exploser. Le gouvernement canadien essaie d’en cacher les vices et s’occupe activement à formuler des lois pour museler le public canadien. McKenzie King a dit une fois qu’un pays avait certainement le droit de décider quel sang il voulait voir dans les veines de sa population. Où sont ceux qui ont la conviction nécessaire pour mettre un terme au bradage des Canadiens? Avant Lester Pearson, le Canada était en voie de devenir une nation de Canadiens. Si les tendances actuelles se poursuivent, le mot Canada ne sera plus qu’un nom géographique. Pas d’identité, pas de nation et pas d’avenir. Laissez votre nom et votre numéro de téléphone et un représentant du Heritage Front vous rappellera sous peu. Merci.

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