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A-281-13

2014 CAF 262

Behzad Najafi (appelant)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (intimé)

Répertorié : Najafi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour d’appel fédérale, juges Pelletier, Gauthier et Trudel, J.C.A.—Toronto, 1er avril; Ottawa, 7 novembre 2014.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle l’appelant était interdit de territoire conformément aux art. 34(1)b) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant est ou avait été membre du Parti démocratique kurde d'Iran (PDKI) et que le PDKI avait été l’auteur d’actes visant au renversement du gouvernement iranien par la force ou y avait participé — La question de savoir si les obligations du Canada, en matière de droit international, obligent la Section de l’immigration, lors de son interprétation de l’art. 34(1)b) de la Loi d’exclure de l’interdiction de territoire ceux qui participent aux activités d'une organisation qui utilise la force dans une tentative de renverser un gouvernement en vue de faire avancer le droit revendiqué par un peuple opprimé à l’autodétermination a été certifiée — La SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant, un citoyen iranien d’origine kurde, était un membre de fait du PDKI au sens large du terme « membre » à l’art. 34(1)f) de la Loi — La Cour fédérale a confirmé cette décision — Il s’agissait de déterminer de quelle façon répondre à la question certifiée et interpréter l’art. 34(1)b) de la Loi — Le seul instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire au sens de l’art. 3(3)f) de la Loi qui était pertinent en l’espèce est le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) — Ni le Protocole I ni les Conventions de Genève n’obligent les signataires à accorder quelque type de statut d’immigrant que ce soit aux personnes opprimées qui revendiquent le droit à l’autodétermination, et il n’existe aucune disposition de ce genre — Par conséquent, en adoptant une disposition sur l’interdiction de territoire comme l’art. 34(1)b) de la Loi, le Canada ne viole pas le Protocole I ni les Conventions de Genève — En ce qui concerne l’interprétation de l’art. 34(1)b), l’expression « renversement par la force » n’est pas définie dans la Loi et il n’existe aucune définition universelle — Dans la disposition en cause, l’expression « renversement par la force » doit être interprétée dans le contexte « d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force » — L’expression « actes visant au renversement d’un gouvernement par la force » (non souligné dans l’original) ne laisse pas entendre à première vue une qualification de quelque sorte que ce soit du gouvernement en question — Le législateur entendait que l’expression « actes visant au renversement d’un gouvernement par la force » à l’art. 34(1)b) soit appliquée largement à l’étape de la détermination de l’interdiction de territoire — Le libellé de l’art. 34(1)b) est clair — Compte tenu du contexte juridique général examiné, l’art. 34(1)b) ne devrait pas être interprété comme englobant seulement l’utilisation d’une force illégitime ou illégale en vertu du droit international — L’interprétation de la SI était clairement raisonnable et la réponse à la question certifiée était négative — Appel rejeté.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle l’appelant était interdit de territoire — La SI a rejeté l’argument de l’appelant selon lequel l’art. 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés devrait être interprété de manière à éviter une violation de son droit à la liberté d’association garanti par l’art. 2d) de la Charte — Il s’agissait de déterminer si la SI pouvait raisonnablement interpréter le mot « organisation » à l’art. 34(1)f) comme excluant le Parti démocratique kurde d’Iran dont l’appelant était membre en l’absence d’une contestation constitutionnelle de la validité de cette disposition — Ayant examiné les termes à l’art. 34(1)f) dans l’ensemble de leur contexte et ayant pris en compte l’intention du législateur de se conformer à la Charte, la SI ne pouvait pas raisonnablement interpréter le mot « organisation » comme excluant une organisation au Canada dont les activités sont légales au Canada et qui n’a pas participé à l’étranger à des activités illicites du genre de celles énoncées à l’art. 34(1)b) alors que la personne visée en était membre.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelant visant la décision de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de le juger interdit de territoire en vertu des alinéas 34(1)b) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était ou avait été membre du Parti démocratique kurde d’Iran (PDKI) et que le PDKI avait été l’auteur d’actes visant au renversement du gouvernement iranien par la force ou y avait participé. La question de savoir si les obligations du Canada, en matière de droit international, obligent la Section de l’immigration, lors de son interprétation de l’alinéa 34(1)b) de la Loi, d’exclure de l’interdiction de territoire ceux qui participent aux activités d'une organisation qui utilise la force dans une tentative de renverser un gouvernement en vue de faire avancer le droit revendiqué par un peuple opprimé à l’autodétermination a été certifiée. L’appelant a fait valoir que l’alinéa 34(1)f) de la Loi devait être interprété de manière à éviter une violation de son droit à la liberté d’association (alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés).

L’appelant, un citoyen iranien d’origine kurde, a présenté une demande d’asile lorsqu’il est arrivé au Canada. Sa demande a été acceptée, mais il n’a pas obtenu le statut de résident permanent parce qu’un rapport a été produit en vue de le déclarer interdit de territoire du fait de sa participation aux activités du PDKI. Par suite de la procédure d’interdiction de territoire, la SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était un membre de fait du PDKI au sens large du terme « membre » à l’alinéa 34(1)f) de la Loi. La SI a rejeté l’argument selon lequel l’alinéa 34(1)f) ne devrait pas être interprété de manière à inclure une organisation légale au Canada qui n’a pas pris part à des activités illégales à l’extérieur du Canada, car cela constituerait une violation du droit constitutionnel de l’appelant à la liberté d’association (alinéa 2d) de la Charte).

Quant à la Cour fédérale, elle est arrivée à la conclusion que la SI avait déterminé, à juste titre, que les droits que l’appelant tire de la Charte n’avaient pas été violés, qu’elle avait estimé de façon raisonnable que l’appelant était ou avait été membre du PDKI, et qu’elle avait jugé de façon raisonnable que le PDKI était l’instigateur d’actes visant au « renversement […] par la force » de gouvernements iraniens. La Cour ne croyait pas que la SI avait commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de recourir au droit international ou de s’écarter de l’interprétation de l’article 34 de la Loi établie par la jurisprudence. La Cour fédérale a donc jugé que la décision de la SI devait être confirmée. La SI et la Cour fédérale ont toutes deux conclu que la présomption selon laquelle le législateur entendait que les lois soient conformes aux obligations de droit international était réfutable et qu’il n’était pas nécessaire de prendre en considération et d’évaluer le contenu du droit international étant donné le libellé clair et non ambigu de l’alinéa 34(1)b).

Il s’agissait de déterminer de quelle façon répondre à la question certifiée et interpréter l’alinéa 34(1)b) de la Loi.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le seul instrument international portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire au sens de l’alinéa 3(3)f) de la Loi qui était pertinent en l’espèce est le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I). Il s’agissait de déterminer si la force peut être utilisée pour lutter contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’appelant a soutenu que l’utilisation de la force par le PDKI dans ces circonstances particulières était consacrée dans des traités contraignants sur le plan juridique, était légitime étant donné le droit à l’autodétermination d’un peuple opprimé et que par conséquent, elle n’était manifestement pas visée par l’expression « actes visant au renversement d’un gouvernement par la force » au sens de l’alinéa 34(1)b) de la Loi. Cependant, ni le Protocole I ni les Conventions de Genève n’obligent les signataires à accorder quelque type de statut d’immigrant que ce soit à ces combattants en particulier, et il n’existe aucune disposition de ce genre. Par conséquent, en adoptant une disposition sur l’interdiction de territoire comme l’alinéa 34(1)b) de la Loi, le Canada ne viole pas le Protocole I ni les Conventions de Genève.

En ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 34(1)b), l’expression « renversement par la force » n’est pas définie dans la Loi et il n’existe aucune définition universelle. Dans la disposition en cause, l’expression « renversement par la force » doit être interprétée dans le contexte « d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force », tandis qu’à l’alinéa 34(1)a), elle fait référence à une « subversion contre toute institution démocratique ». La question d’interprétation soulevée par ces faits était celle de savoir si le terme « gouvernement » à l’alinéa 34(1)b) se limite à un « gouvernement démocratiquement élu » ou une autre formule désignant un gouvernement dont la légitimité n’est pas remise en question, ou s’il s’applique à tout gouvernement, même s’il est oppressif et raciste. Lorsque l’on examine l’expression « d’un gouvernement » à l’alinéa 34(1)b), celle-ci est claire et non ambiguë. L’expression « actes visant au renversement d’un gouvernement par la force » (non souligné dans l’original) ne laisse pas entendre à première vue une qualification de quelque sorte que ce soit du gouvernement en question. Le législateur a indiqué une intention de prioriser la sécurité (alinéa 3(1)h) de la Loi) lorsqu’il a adopté l’alinéa 34(1)b), qui prévoit précisément les faits emportant une interdiction de territoire pour des raisons de sécurité. De plus, le législateur entendait que l’expression « actes visant au renversement d’un gouvernement par la force » à l’alinéa 34(1)b) soit appliquée largement à l’étape de la détermination de l’interdiction de territoire. Compte tenu du contexte juridique général examiné, l’alinéa 34(1)b) ne devrait pas être interprété comme englobant seulement l’utilisation d’une force illégitime ou illégale en vertu du droit international. Bien que l’intimé puisse examiner la question de la légalité ou de la légitimité dans le cadre du paragraphe 34(2) de la Loi, elle n’est pas pertinente à l’application de l’alinéa 34(1)b). Par conséquent, l’interprétation de la SI était clairement raisonnable et la réponse à la question certifiée était négative.

Quant à l’alinéa 34(1)b) de la Loi et à l’alinéa 2)d) de la Charte, il fallait d’abord déterminer si la SI pouvait raisonnablement interpréter le mot « organisation » à l’alinéa 34(1)f) comme excluant le PDKI en l’absence d’une contestation constitutionnelle de la validité de cette disposition. Ayant examiné les termes à l’alinéa 34(1)f) dans l’ensemble de leur contexte, qui inclut le paragraphe 34(2), dans leur sens ordinaire et grammatical, en harmonie avec le régime de la Loi, l’objet de la disposition et la Loi elle-même, et ayant examiné l’intention du législateur de se conformer à la Charte, la SI ne pouvait pas raisonnablement interpréter le mot « organisation » comme excluant une organisation au Canada dont les activités sont légales au Canada et qui n’a pas participé à l’étranger à des activités illicites du genre de celles énoncées à l’alinéa 34(1)b) alors que la personne visée en était membre. Pour en arriver à une telle interprétation, il faudrait réécrire la disposition dans une mesure telle qu’il serait impossible de le faire sans une contestation constitutionnelle.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2d).

Loi modifiant la Loi de l’Immigration, S.C. 1919, ch. 25, art. 3(6)n).

Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquences, L.C. 1992, ch. 49.

Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, art. 9.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19.

Loi sur l’immigration, S.C. 1952, ch. 42, art. 5m),n), 9c).

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 19.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1),(3), 25, 34, 42.1(1) (édicté par L.C. 2013, ch. 16, art. 18), 44(1), 74d), 115.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37, arts. 31, 32.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. n° 6.

Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole I), qui est l’annexe V de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89; Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431.

décisions examinées :

Németh c. Canda (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 71 (1re inst.), inf. par 2001 CAF 399, [2002] 3 C.F. 3; Gebreab c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CAF 274.

décisions citées :

B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895.

DOCTRINE CITÉE

Black’s Law Dictionary, 6e éd. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1990, « subversion ».

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Témoignages, 37e lég., 1re sess., no 25 (15 mai 2001).

Débats de la Chambre des Communes, 37e lég., 1re sess., no 78 (13 juin 2001).

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008.

Wilson, Heather A. International Law and the Use of Force by National Liberation Movements, Oxford : Clarendon Press, 1988.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2013 CF 876, [2015] 1 R.C.F. 26) rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelant visant la décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (2012 CanLII 95546) de le juger interdit de territoire en vertu des alinéas 34(1)b) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Lorne Waldman et Clare Crummey pour l’appelant.

David Cranton et Sophia Karantonis pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Waldman & Associates, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Gauthier, j.c.a. : La Cour est saisie de l’appel d’un jugement [2013 CF 876, [2015] 1 R.C.F. 26] par lequel la juge Gleason (la juge) de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire que M. Najafi a présentée à l’encontre de la décision [2012 CanLII 95546] par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Section de l’immigration) l’a déclaré interdit de territoire en vertu des alinéas 34(1)b) et f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Dans sa décision, la Section de l’immigration a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Najafi était ou avait été membre du Parti démocratique kurde d’Iran (le PDKI) et que le PDKI avait été l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement du gouvernement iranien par la force.

[2]        La juge a certifié la question suivante en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR :

« Est-ce que les obligations du Canada, en matière de droit international, obligent la Section de l’immigration, lors de son interprétation de l’alinéa 34(1)(b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2011, ch. 27, d’exclure de l’interdiction de territoire ceux qui participent dans une organisation qui utilise la force dans une tentative de renverser un gouvernement en vue de faire avancer le droit revendiqué par un peuple opprimé à l’autodétermination? »

[3]        Dans le présent appel, M. Najafi soutient également, comme il l’a fait devant la Section de l’immigration et la juge, que l’alinéa 34(1)f) de la LIPR doit recevoir une interprétation atténuée afin d’éviter de porter atteinte à sa liberté d’association (alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte)).

[4]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le présent appel.

I.          Les faits

[5]        M. Najafi est un citoyen iranien d’origine kurde. Il est arrivé au Canada en 1999 et a présenté une demande d’asile, qui a été accueillie. Il a donc la qualité de réfugié, mais n’a pas obtenu le statut de résident permanent au Canada. En fait, le 5 mars 2010, un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR a été établi au sujet de M. Najafi. Le 2 mars 2011, ce rapport a été présenté à la Section de l’immigration en vue de faire déclarer M. Najafi interdit de territoire en raison de sa participation aux activités du PDKI.

[6]        Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) n’a jamais allégué que M. Najafi avait participé lui-même à des actes de violence, dont un acte visant au renversement du gouvernement par la force. Les questions que devait trancher la Section de l’immigration étaient de savoir si M. Najafi avait été membre du PDKI et si cette organisation était visée par les alinéas 34(1)f) et b) de la LIPR.

[7]        Dans le cadre de la procédure d’interdiction de territoire, M. Najafi a fourni, en plus de son propre témoignage, ceux d’un membre haut placé du PDKI au Canada, d’un journaliste qui connaît bien les activités du PDKI, et de deux experts en droit international qui ont témoigné au sujet de la légalité du recours à la force en droit international dans le contexte d’un peuple opprimé cherchant à disposer de lui-même.

II.         La décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié

[8]        Premièrement, la Section de l’immigration a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Najafi était un membre de facto du PDKI, dans le sens large du terme « membre » énoncé à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Bien que cette conclusion ne soit pas contestée en appel, je souligne que la Section de l’immigration s’est appuyée sur l’association de M. Najafi avec le PDKI tant en Iran qu’ultérieurement au Canada. M. Najafi se fonde sur cette conclusion pour affirmer que l’alinéa 2d) de la Charte doit être pris en compte dans l’interprétation de cette disposition. Si la Section de l’immigration avait fondé ses conclusions uniquement sur sa participation en Iran, la Charte ne se serait pas appliquée.

[9]        En ce qui concerne le PDKI, la Section de l’immigration a affirmé que la preuve indique que i) le PDKI est une organisation internationale comptant de nombreuses sections dans divers pays, y compris le Canada, ii) la qualité de membre du PDKI au Canada emporte automatiquement la qualité de membre du PDKI en Iran également, et iii) les personnes qui veulent devenir membres du PDKI au Canada doivent obtenir l’approbation du PDKI au Kurdistan (paragraphe 24 de la décision).

[10]      La Section de l’immigration a rejeté l’argument selon lequel le PDKI comportait deux factions rivales ou une organisation politique distincte de l’aile militaire. La Section de l’immigration a conclu que le PDKI exerçait en fait ses activités suivant une structure de commandement unifiée comptant des sections complémentaires, mais distinctes sur le plan fonctionnel, et que les activités de son aile militaire pouvaient être attribuées à l’organisation dans son ensemble et à chaque membre de celle-ci aux fins d’une enquête en vertu de l’alinéa 34(1)f) (paragraphe 15 de la décision).

[11]      Deuxièmement, la Section de l’immigration a examiné le concept de « subversion by force of any government » (en français : « renversement d’un gouvernement par la force »). Elle a constaté que la LIPR ne définit pas le terme « subversion » (en français : « renversement »), passé en revue la jurisprudence de notre Cour et de la Cour fédérale et examiné les définitions des dictionnaires, comme la sixième édition du Black’s Law Dictionary [St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1990] (paragraphes 27 à 31 de la décision).

[12]      La Section de l’immigration s’est dite d’avis que le « renversement d’un gouvernement par la force » peut être distingué, selon son objectif précis, du concept large du recours à la force contre l’État. Il implique précisément le recours à la force dans le but de renverser le gouvernement, que ce soit dans certaines parties de son territoire ou dans le pays en entier. La Section de l’immigration s’est également dite convaincue que les mots « un gouvernement » comprennent même un régime despotique, et que les mesures prises par le gouvernement, qu’elles soient oppressives ou non, ne sont pas pertinentes dans le cadre de l’analyse (paragraphe 32 de la décision).

[13]      Compte tenu de ce qui précède, la Section de l’immigration a conclu ceci au paragraphe 32 de sa décision :

Bien que d’autres interprétations soient possibles, je conclus que la jurisprudence indique que le recours à la force dans le but de renverser un gouvernement équivaut à une subversion par la force.

En rendant cette décision, la Section de l’immigration a rejeté l’argument de M. Najafi voulant que le « renversement d’un gouvernement par la force » réfère nécessairement au recours illicite à la force et que les recours légitimes à la force lors de conflits internationaux comme ceux mentionnés dans les affidavits de ses juristes ne doivent pas être visés par la définition. Elle a conclu que l’analyse de la légitimité ou de la légalité de la lutte armée n’est pas nécessaire dans le contexte d’une enquête — bien qu’elle soit sans doute très pertinente dans le cadre d’une demande de dispense ministérielle en vertu du paragraphe 34(2) (maintenant 42.1(1) [édicté par L.C. 2013, ch. 16, art. 18] de la LIPR) (paragraphe 33 de la décision).

[14]      Troisièmement, la Section de l’immigration s’est demandé si l’objectif du PDKI avait été de renverser le gouvernement de l’Iran. Elle a conclu que le PDKI avait encouragé le renversement du Shah d’Iran et y avait participé et que, plus tard, dans la poursuite de son objectif à long terme, consistant à établir une société socialiste démocratique au sein d’un Iran fédéral, le PDKI avait favorisé le remplacement de ce qu’il a qualifié de « [traduction] “dictature théocratique du régime réactionnaire et sanguinaire de la République islamique” » [note en bas de page omise] par un nouveau système fédéral démocratique : la République fédérale d’Iran (paragraphes 34 à 36 de la décision).

[15]      La Section de l’immigration s’est ensuite penchée sur les méthodes employées par le PDKI. Après avoir reconnu qu’il existait un grand nombre d’éléments de preuve selon lesquels le PDKI avait en grande partie eu recours à la force pour se défendre, elle a conclu que celui-ci n’avait pas moins eu recours volontairement à la force armée pour tenter de renverser le gouvernement de l’Iran et que cela faisait partie de son répertoire stratégique. Ce fut certes le cas au cours des années 1967 et 1968, alors qu’il a participé à un soulèvement armé infructueux contre le Shah d’Iran. En 1973, le PDKI « [traduction] “s’est officiellement engagé dans une lutte armée” » [note en bas de page omise]. La Section de l’immigration a ensuite souligné que le conflit armé entre le PDKI et le gouvernement iranien a atteint son sommet en 1982 et en 1983, période au cours de laquelle le PDKI a été chassé des agglomérations et forcé de prendre part à une guérilla dans les montagnes, bien qu’il ait temporairement repris le contrôle de la ville de Bukan en septembre 1983 (paragraphes 37 à 41 de la décision).

[16]      La Section de l’immigration a également souligné que, du milieu des années 1980 au début des années 1990, les forces du PDKI contrôlaient les régions rurales avec l’aide de la population kurde, alors que les forces iraniennes détenaient les villes. Elle a conclu que le PDKI avait bel et bien attaqué les forces iraniennes dans les zones où il exerçait un contrôle avant le retrait de ses forces armées dans le milieu des années 1990 du territoire iranien (paragraphes 41 et 42 de la décision).

[17]      La Section de l’immigration a conclu que, dans l’ensemble, les éléments de preuve présentés par les deux parties suffisaient à satisfaire au critère peu exigeant consistant à établir qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le PDKI a été l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force (paragraphe 43 de la décision).

[18]      La Section de l’immigration a rejeté l’argument de M. Najafi voulant que le PDKI ait explicitement renoncé à toute forme de violence, affirmant que le PDKI a toujours une aile militaire qui offre une formation sur les tactiques de guerre. Elle a également conclu qu’il existait des éléments de preuve établissant qu’après la renonciation à la violence alléguée, le PDKI avait continué de mener des opérations de guérilla en Iran. Ainsi, même si on devait admettre qu’il y a une exception « lorsqu’une organisation violente s’est transformée en parti politique légitime et a explicitement renoncé à toute forme de violence », cette exception ne s’appliquerait pas au PDKI en l’espèce (paragraphes 11 à 13 de la décision).

[19]      La Section de l’immigration a rejeté l’argument de M. Najafi selon lequel l’alinéa 34(1)f) ne devrait pas être interprété de manière à viser une organisation légale au Canada qui ne s’est livrée à aucune activité illégale hors du Canada parce que cela constituerait une violation de son droit constitutionnel à la liberté d’association (alinéa 2d) de la Charte). La Section de l’immigration a conclu que M. Najafi peut continuer de vivre au Canada et de participer librement aux activités du PDKI s’il le souhaite, et qu’il peut demander une dispense ministérielle conformément au paragraphe 34(2) de la LIPR. Elle a donc conclu qu’il est impossible de présumer que le fait de déclarer M. Najafi interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR aurait « pour lui d’importantes conséquences défavorables sur le plan juridique, encore moins des conséquences suffisantes pour constituer une violation de ses droits prévus par la Charte » (paragraphes 16 à 18 de la décision).

III.        La décision de la Cour fédérale

[20]      La juge résume ainsi ses conclusions au paragraphe 7 de ses motifs, publiés sous la référence 2013 CF 876, [2015] 1 R.C.F. 26 (les motifs) :

Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que la décision de la CISR devrait être confirmée parce que la CISR a déterminé, à juste titre, que les droits que le demandeur tire de la Charte n’avaient pas été violés, a estimé de façon raisonnable que le demandeur était ou avait été membre du PDKI, et a jugé de façon raisonnable que le PDKI était l’instigateur d’actes visant au « renversement […] par la force » de gouvernements iraniens. En ce qui concerne l’argument du demandeur relatif au droit international, je ne crois pas que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de recourir au droit international ou de s’écarter de l’interprétation de l’article 34 de la LIPR établie par la jurisprudence. Par conséquent, pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande sera rejetée.

i) L’alinéa 34(1)b) et le droit international

[21]      Dans la partie III de ses motifs, qui commence au paragraphe 52, la juge se penche sur l’argument de M. Najafi selon lequel le « renversement d’un gouvernement par la force » (alinéa 34(1)b) de la LIPR) ne saurait être interprété comme comprenant le recours à la force par le PDKI contre le gouvernement iranien parce qu’il s’agissait d’un recours à la force reconnu comme légitime en droit international.

[22]      Après avoir résumé la preuve d’expert de M. Najafi (paragraphes 54 et 55 des motifs), la juge a décidé qu’elle devait trancher trois questions, à savoir :

i)          Quelle est la norme de contrôle applicable?

ii)         La Section de l’immigration a-t-elle commis une erreur, justifiant l’infirmation de sa décision, en ne tenant pas compte du droit international?

iii)        Dans l’affirmative, le droit international exige-t-il que l’on retienne l’interprétation proposée par M. Najafi?

[23]      Concernant la première question, la juge a reconnu que, selon les arrêts les plus récents de la Cour suprême du Canada, l’interprétation que la Section de l’immigration fait de sa propre loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat commande habituellement la déférence. Elle a ensuite tenu compte du fait qu’il est de jurisprudence constante que la question de savoir si les actes d’une personne ou d’une organisation sont visés par l’alinéa 34(1)b) est une question mixte de fait et de droit et que les deux volets (l’interprétation factuelle et juridique des mots « renversement d’un gouvernement par la force ») ne doivent pas être dissociés l’un de l’autre (paragraphe 59 des motifs). Elle a en outre souligné la similitude entre la question dont elle était saisie et celle examinée par notre Cour dans l’arrêt B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326 (paragraphes 58 à 60 des motifs).

[24]      La juge en a conclu que la conclusion de la Section de l’immigration au sujet de l’applicabilité de l’alinéa 34(1)b) devait être examinée selon la norme de la décision raisonnable. La juge a toutefois précisé que le choix de la norme de contrôle n’était pas déterminant. Elle a estimé que l’interprétation que la Section de l’immigration avait donnée à l’alinéa 34(1)b) était à la fois raisonnable et bien fondée (paragraphe 61 des motifs).

[25]      Quant à la deuxième question formulée sous la présente rubrique — soit celle de savoir si la Section de l’immigration a commis une erreur en ne tenant pas compte du droit international — la juge a conclu que le contexte indique que « le législateur souhaitait que l’examen de la légitimité du recours à la force relève du ministre sous le régime du paragraphe 34(2) de la LIPR et non de la SPR sous le régime du paragraphe 34(1) » (paragraphe 68 des motifs).

[26]      La juge a fondé cette conclusion sur son analyse du libellé de l’alinéa dans le contexte de l’article dans son ensemble, y compris son historique législatif (paragraphes 64 à 67). Elle a également appuyé son interprétation de l’alinéa 34(1)b) sur la jurisprudence et sur le fait que la présomption que le législateur entendait se conformer au droit international ne saurait être utilisée pour faire fi des dispositions claires d’une loi. À son avis, la Section de l’immigration n’a donc pas commis d’erreur en refusant de recourir au droit international pour interpréter l’alinéa 34(1)b) (paragraphes 69 à 73).

[27]      La juge est allée plus loin en concluant que, même si elle se trompait sur la façon de traiter le droit international, M. Najafi n’a pas établi que le droit international reconnaît le droit de recourir à la force pour défendre le droit d’un peuple de disposer de lui-même de la manière suggérée (paragraphes 74 à 79 des motifs). Elle a notamment statué [au paragraphe 77] que M. Najafi n’est pas visé par la définition de « combattant » puisqu’il n’a jamais « [traduction] “exercé des fonctions de combattant de façon continue” ». Elle a également conclu que, compte tenu de l’article 25 (l’exemption ministérielle pour motifs d’ordre humanitaire) et du paragraphe 34(2) de la LIPR, on ne pouvait conclure que le Canada contrevenait à ses obligations internationales simplement parce que M. Najafi était déclaré interdit de territoire en vertu du paragraphe 34(1) de la LIPR (paragraphes 74 à 79 des motifs).

ii) Alinéa 2d) de la Charte

[28]      Aux paragraphes 23 à 51 de ses motifs, la juge a analysé la prétention de M. Najafi selon laquelle l’interprétation de la Section de l’immigration viole le droit à la liberté d’association garanti par l’alinéa 2d) de la Charte, et va donc à l’encontre de la présomption que le législateur entendait que la LIPR s’applique dans le respect de la Charte.

[29]      La Section de l’immigration a interprété l’alinéa 34(1)f) en faisant abstraction de cette présomption de respect de la Charte parce que, à son avis, l’affaire ne faisait pas entrer en jeu un droit constitutionnel.

[30]      Sur cette question, la juge a appliqué la norme de la décision correcte et a rejeté l’argument du ministre voulant que la norme de la décision raisonnable énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395 (Doré) s’applique. À son avis, la norme déférente de la raisonnabilité ne s’applique pas lorsque la Section de l’immigration est appelée à tirer des conclusions sur le fond au sujet de droits garantis par la Charte, comme en l’espèce. La juge a ajouté que le rôle que joue la Section de l’immigration est entièrement différent de celui confié au ministre par le paragraphe 34(2). À son avis, ce n’est que dans ce dernier cas — lorsque le ministre exerce un pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la loi — que la décision est assujettie à la norme de la décision raisonnable en vue de vérifier si elle est conforme à la Charte au sens de l’arrêt Doré (paragraphes 32 et 36 de ses motifs).

[31]      Quant au bien-fondé de la prétention de M. Najafi, la juge s’est appuyée sur les arrêts Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016, et Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, pour rejeter l’argument du ministre voulant que l’alinéa 2d) ne s’applique pas du tout parce que la présente affaire ne concernait que la suppression d’avantages conférés par une loi (voir le paragraphe 11 des motifs, où la juge décrit les conséquences de la décision de la Section de l’immigration sur M. Najafi).

[32]      La juge a souscrit à l’opinion du ministre voulant que l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh) donne de bonnes balises relativement aux prétentions de M. Najafi en l’espèce. Elle a d’abord souligné que, dans l’arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada a statué que la liberté d’association ne s’étendait pas à la protection de l’acte consistant à adhérer ou à appartenir à une organisation qui se livre à des actes de violence. À son avis, la Cour suprême du Canada a également balayé l’argument de M. Suresh portant que toutes ses activités au Canada étaient parfaitement légales. Enfin, elle s’est appuyée sur le passage suivant de l’arrêt Suresh [au paragraphe 110], qui traitait de l’article 19 (remplacé par l’article 34) :

Nous croyons que le législateur n’avait pas l’intention d’inclure dans la catégorie de personnes suspectes décrite à l’art. 19 celles qui, en toute innocence, apportent une contribution à des organisations terroristes ou en deviennent membres. Cette interprétation trouve appui dans la disposition édictée à la fin de l’art. 19, qui exclut des catégories décrites à l’art. 19 les personnes qui « convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ». L’article 19 doit donc être considéré comme ayant pour effet de permettre à un réfugié de prouver que le fait qu’il continue de résider au Canada ne sera pas préjudiciable au Canada, malgré la preuve qu’il est associé à une organisation terroriste ou qu’il en est membre. Un réfugié peut ainsi établir que l’association avec le groupe terroriste qu’on lui reproche avait un caractère innocent. En pareil cas, la ministre exercerait son pouvoir discrétionnaire en conformité avec la Constitution en concluant que le réfugié n’appartient pas à la catégorie — visée à l’art. 19 — de personnes susceptibles d’expulsion pour des raisons de sécurité nationale.

[33]      La juge a ensuite examiné les décisions de la Cour fédérale les plus pertinentes depuis l’arrêt Suresh. Après avoir souscrit à l’argument de M. Najafi voulant qu’il y ait lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et ces affaires, ainsi que l’affaire Suresh, sur le plan des faits, la juge a néanmoins conclu que toutes ces décisions appuient le principe selon lequel l’alinéa 2d) de la Charte ne protège pas le droit d’adhérer à des organisations qui se livrent à des actes de violence. Tous s’entendent pour dire que le PDKI s’est livré à des actes de violence pendant de nombreuses années dans le cadre de la campagne qu’il a menée pour renverser deux régimes différents en Iran.

[34]      Après s’être assurée qu’il n’y avait aucune violation des droits constitutionnels de M. Najafi, la juge a indiqué qu’il n’était pas nécessaire de se pencher sur le raisonnement proposé par la Section de l’immigration.

IV.       Les dispositions législatives

[35]      À l’époque pertinente, les dispositions de la LIPR qui nous intéressent sont les suivantes :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

[…]

h) de protéger la santé et la sécurité publiques et de garantir la sécurité de la société canadienne;

[…]

Objet en matière d’immigration

(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

[…]

d) d’assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui touche les principes, d’une part, d’égalité et de protection contre la discrimination et, d’autre part, d’égalité du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada;

[…]

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

[…]

Interprétation et mise en œuvre

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

Sécurité

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

(2) [Abrogé, 2013, ch. 16, art. 13]

(Tel que déjà mentionné, le paragraphe 34(2) a été abrogé et une nouvelle version adoptée au paragraphe 42.1(1) de la LIPR en juin 2013.)

Exception

V.        Les questions en litige

[36]      La juge a certifié la question énoncée au paragraphe 2 ci-dessus. Dans la conclusion de son mémoire (au paragraphe 116), M. Najafi affirme qu’il faut répondre par l’affirmative à cette question. Toutefois, il n’a jamais, ni dans son mémoire (voir les paragraphes 2 à 5, 54 et 92 à 114) ni à l’audience, abordé la question telle qu’elle a été formulée par la juge.

[37]      M. Najafi reformule ainsi les questions de fond qui doivent être examinées en appel :

La Cour a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de l’omission de la Section de l’immigration d’appliquer les principes de droit international à son interprétation des mots « renversement d’un gouvernement par la force » figurant à l’alinéa 34(1)b) de la LIPR?

La Cour a-t-elle commis une erreur dans son appréciation des arguments de l’appelant concernant le renversement d’un gouvernement par la force?

[38]      M. Najafi soulève également la question suivante dans son mémoire :

La juge de première instance a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la décision du Tribunal ne violait pas le droit à la liberté d’association que garantit à l’appelant l’alinéa 2d) de la Charte?

Cependant, comme je l’explique aux paragraphes 99 et 100 ci-dessous, je m’en tiendrai à l’interprétation de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[39]      M. Najafi ne conteste aucune des conclusions de fait de la Section de l’immigration. Il se fonde d’ailleurs sur la conclusion de la Section de l’immigration selon laquelle il était un membre du PDKI pour étayer ses prétentions sur les questions susmentionnées, particulièrement celle fondée sur l’alinéa 2d) de la Charte.

VI.       Analyse

A.        La question certifiée et l’alinéa 34(1)b) de la LIPR

1) Commentaires préliminaires

[40]      Il est bien établi en droit que l’exigence préliminaire qui s’applique à la certification d’une question consiste à se demander s’il y a « une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11).

[41]      Il y a lieu de reproduire de nouveau la question certifiée par la juge :

« Est-ce que les obligations du Canada, en matière de droit international, obligent la Section de l’immigration, lors de son interprétation de l’alinéa 34(1)(b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2011, ch. 27, d’exclure de l’interdiction de territoire ceux qui participent dans une organisation qui utilise la force dans une tentative de renverser un gouvernement en vue de faire avancer le droit revendiqué par un peuple opprimé à l’autodétermination? »

[42]      Au paragraphe 90 des motifs, la juge indique très clairement que la question qu’elle est disposée à certifier concerne l’interaction entre, d’une part, le présumé droit reconnu par le droit international et, d’autre part, l’interprétation à donner à l’alinéa 34(1)b) de la LIPR. Cependant, si on interprète littéralement la question certifiée, il est manifeste que le droit international n’oblige à aucune exclusion, car il n’a habituellement aucune application directe en droit canadien. En outre, cela ne constituerait pas une question grave, étant donné que le rôle du droit international dans l’interprétation des lois (c.-à-d. l’interaction entre les deux) a été analysé dans plusieurs décisions de la Cour suprême du Canada et de notre Cour, dont certaines portaient précisément sur la LIPR. Les principes établis ayant une portée générale, ils s’appliquent donc à l’interprétation de l’alinéa 34(1)b) de la LIPR.

[43]      Ces principes sont résumés par la professeure Ruth Sullivan au chapitre 20 de son ouvrage intitulé Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2008) (Construction of Statutes, 2008). Comme l’auteure l’indique à la page 537, le droit international est généralement utilisé pour faciliter l’interprétation de la législation interne. Les deux parties s’entendent pour dire que la présomption selon laquelle le législateur entendait respecter les obligations du Canada en matière de droit international est réfutable.

[44]      Ceci pourrait bien expliquer pourquoi, comme je l’ai déjà mentionné, M. Najafi a reformulé les questions à trancher concernant l’alinéa 34(1)b) (voir le paragraphe 37 ci-dessus).

[45]      Ceci dit, l’intention de la juge se précise lorsque l’on examine ses commentaires dans leur contexte — la Section de l’immigration et la juge ont toutes deux conclu que la présomption dont il a été question ci-dessus a été réfutée sans qu’il soit nécessaire d’examiner et d’apprécier le contenu du droit international en raison de la clarté et de l’absence d’ambiguïté du libellé de l’alinéa 34(1)b).

[46]      J’en conclus que la question que doit trancher notre Cour est la suivante :

L’alinéa 34(1)b) de la LIPR peut-il être interprété de manière à exclure de sa portée le droit allégué d’avoir recours à la force pour tenter de renverser un certain type de gouvernement en vue de faire avancer le droit revendiqué par un peuple opprimé à l’autodétermination, en supposant qu’un tel droit soit reconnu par le Protocole I des Conventions de Genève de 1949?

B.        Le droit international en cause : commentaires préliminaires

[47]      En l’espèce, le seul instrument international pertinent portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, au sens de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, est le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) [qui est l’annexe V de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3], 8 juin 1977, 1125 R.T.N.U. 3, ratifié par le Canada en 1990 (Protocole I).

[48]      Il est bien établi que les Conventions de Genève auxquelles le Protocole I se rapporte et le Protocole I lui-même visent à protéger la population civile au cours d’un conflit armé, selon la définition qui y est énoncée, ainsi que les droits et obligations des « combattants » au sens du Protocole I et des Conventions de Genève. Ainsi, ces instruments traitent généralement de ce qui est souvent qualifié en droit international de jus in bello (la conduite de la guerre) par opposition au jus ad bellum (le droit de faire la guerre).

[49]      La question de droit international qui est en cause dans le présent appel n’est pas de savoir si le droit international reconnaît le droit des peuples opprimés de disposer d’eux-mêmes. Cette notion n’est pas contestée. Elle a été examinée dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217.

[50]      Il s’agit plutôt de savoir si la force peut être utilisée pour parvenir à l’autonomie externe dans les cas de domination coloniale, d’occupation étrangère ou de régime raciste. Comme il a été reconnu à l’audience, les experts de M. Najafi ne se fondent pas sur une prétendue règle coutumière du droit international à cet égard. En effet, au paragraphe 34 de son affidavit, René Provost dit clairement ceci :

[traduction] La manière dont un peuple peut faire un choix et l’exprimer dans le cadre de l’exercice de son droit à l’autodétermination externe n’est pas clairement énoncée par le droit international.

[51]      M. Najafi semble être d’avis que, dans cet ensemble très précis de circonstances, la légalité du recours à la force par un peuple opprimé pour exercer son droit de disposer de lui-même est confirmée dans des traités ayant force obligatoire. Les experts de M. Najafi ne citent que le Protocole I à l’appui de cette affirmation (voir, par exemple, l’affidavit de René Provost, au paragraphe 41). Selon cet argument, le recours à la force (c.-à-d. la violence) par le KPDI est donc légitime et ne saurait, de ce fait, être visé par le « renversement d’un gouvernement par la force » au sens de l’alinéa 34(1)b).

[52]      Je ne comprends pas pourquoi M. Najafi dit que le Protocole I ou les Conventions de Genève contiennent des dispositions traitant précisément du droit des combattants d’entrer sur les territoires des signataires. Ni le Protocole I ni les Conventions de Genève n’obligent les signataires à accorder quelque statut d’immigration que ce soit à ces combattants ou à qui que ce soit d’autre dans leur pays. En fait, une telle disposition n’existe pas.

[53]      En conséquence, personne ne prétend vraiment qu’en édictant une disposition emportant interdiction de territoire comme l’alinéa 34(1)b) de la LIPR, le Canada violait le Protocole I ou les Conventions de Genève.

[54]      Cela va à l’encontre de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] de 1951 (la Convention relative aux réfugiés) qui prévoit expressément l’octroi d’un statut particulier — celui de réfugié. Comme je l’ai déjà mentionné, M. Najafi a toujours la qualité de réfugié, malgré le fait qu’il a été déclaré interdit de territoire. Il convient de rappeler qu’il ne faut pas confondre l’interdiction de territoire avec le renvoi; il s’agit de deux notions distinctes. Personne ne conteste le fait que M. Najafi ne peut faire l’objet d’un renvoi sans que d’autres mesures importantes soient prises conformément aux dispositions de la LIPR visant à assurer une protection contre le « refoulement », comme l’exige la Convention relative aux réfugiés.

C.        La norme de contrôle

[55]      Dans le présent appel, le rôle de notre Cour est de déterminer si la juge a choisi la norme de contrôle appropriée pour chacune des questions dont elle était saisie et si elle les a appliquées correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), aux paragraphes 45 à 47).

[56]      En ce qui concerne maintenant la norme que la juge a choisie, je souscris à son analyse voulant que rien ne permette, dans le présent contexte, d’écarter la présomption selon laquelle il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation que la Section de l’immigration fait de sa propre loi constitutive (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 34; Agraira, au paragraphe 50; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, aux paragraphes 20, 21 et 33). Cela est d’autant plus vrai quand on considère que la question en l’espèce n’est pas de savoir si la Section de l’immigration a mal interprété un instrument international ou une règle coutumière du droit international. Il s’agit plutôt de savoir si elle a commis une erreur en concluant que la question de la légitimité du recours à la force ne se pose pas en raison de la clarté et de l’absence d’ambiguïté du libellé de l’alinéa 34(1)b) de la LIPR.

[57]      Ceci signifie que, pour déterminer si la juge a appliqué la norme de façon appropriée, je dois me demander si, selon une analyse contextuelle et téléologique appropriée de l’alinéa 34(1)b), l’interprétation adoptée par la Section de l’immigration appartient aux issues possibles et acceptables.

D.        Interprétation de l’alinéa 34(1)b)

[58]      Avant d’entreprendre mon analyse de l’interprétation que la Section de l’immigration a donnée à l’alinéa 34(1)b), je traiterai brièvement de deux arguments avancés par M. Najafi.

[59]      Premièrement, à l’audience, M. Najafi a fait valoir qu’en principe, ni la Section de l’immigration ni la juge ne pouvaient conclure que la présomption de respect était écartée avant d’avoir examiné sa preuve d’expert sur la légitimité du recours à la force par le PDKI. Deuxièmement, il a soutenu qu’en principe encore une fois, pour que ladite présomption puisse être écartée, le législateur doit indiquer expressément que ses obligations internationales ne doivent pas être prises en compte (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 93).

[60]      Quant à la première question, il est clair que, comme n’importe quel tribunal chargé d’interpréter des lois, la Section de l’immigration doit appliquer la méthode moderne d’interprétation des lois préconisée par le professeur Driedger (Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983, à la page 87) :

[traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[61]      Le droit international peut constituer un élément important du contexte juridique, mais il n’est qu’un des nombreux facteurs et présomptions qui sont examinés dans l’application de cette méthode moderne. À mon avis, le droit international applicable, comme les autres éléments pertinents du contexte juridique, devrait idéalement être pris en compte avant de déterminer si un texte est clair ou ambigu. Je souligne qu’il s’agit également de l’opinion exprimée dans Construction of Statutes, 2008, à la page 547, mais, comme le mentionne l’auteure, plusieurs tribunaux considèrent encore l’ambiguïté comme une condition préalable.

[62]      Cela dit, la méthode moderne est contextuelle. Il n’existe donc pas une façon unique de l’appliquer. En effet, il peut y avoir des cas où les autres facteurs du contexte pertinent militent si fortement en faveur d’une interprétation donnée que le droit international n’y changerait pas grand-chose. Dans de tels cas, le tribunal peut ne pas avoir à se livrer à l’exercice de l’appréciation de la preuve dont il est saisi, surtout lorsque ce qui est invoqué ne constitue pas véritablement une violation directe d’un instrument international dont le Canada est signataire, ou ne concerne pas une règle coutumière du droit international particulièrement bien établie.

[63]      En outre, dans l’arrêt Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281 (Németh), la Cour suprême du Canada a récemment souligné que l’article 115 de la LIPR, lu dans le contexte de la loi dans son ensemble, était clair, avant de se pencher sur la portée des obligations que la Convention relative aux réfugiés impose au Canada. Ensuite, après avoir examiné la Convention relative aux réfugiés et conclu qu’elle allait plus loin que ce qui ressortait du sens qu’elle avait d’abord attribué à l’article 115, la Cour a simplement dit qu’il fallait donner effet au sens clair de cette disposition puisque la présomption de respect du droit international est réfutable (paragraphes 31, 34 et 35).

[64]      En ce qui concerne le second argument de M. Najafi, je ne saurais convenir que le législateur doit indiquer expressément dans la disposition en cause que ses obligations internationales ne doivent pas être prises en compte. Si c’était le cas, la Cour suprême du Canada n’aurait pas pu tirer la conclusion qu’elle a tirée dans l’arrêt Németh selon laquelle l’article 115 de la LIPR ne concerne pas le renvoi par extradition alors qu’il a été reconnu que le sens ordinaire du mot « renvoyée » employé dans cette disposition pouvait englober l’extradition comme forme de renvoi. Il ne s’agit donc pas d’une question de principe. Il s’agit plutôt simplement d’appliquer correctement la méthode contextuelle, en tenant compte des termes de l’alinéa 34(1)b) (en français et en anglais) et en les lisant dans leur contexte global d’une manière qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Pour apprécier le caractère raisonnable de l’interprétation de la Section de l’immigration, je procéderai maintenant de cette façon.

[65]      Comme l’a fait remarquer la Section de l’immigration, la Loi ne définit pas le terme anglais « subversion » (en français : « renversement »), et il n’en existe pas de définition adoptée par tous. La définition du Black’s Law Dictionary à laquelle la Section de l’immigration se réfère au paragraphe 27 (en particulier, les mots « [t]he act or process of overthrowing […] the government ») est tout à fait conforme au sens ordinaire du texte français (« actes visant au renversement d’un gouvernement »). Bien que, dans certains contextes, le terme anglais « subversion » puisse être interprété comme désignant des actes illicites ou des actes posés à des fins détournées, les mots employés dans le texte français ne revêtent pas une telle connotation. Je suis convaincue que le sens commun des deux textes ne comporte généralement aucune mention de la légalité ou de la légitimité de ces actes.

[66]      Je note que le mot « subversion » n’est employé que dans la version anglaise de l’alinéa 34(1)b), alors qu’il est employé dans les deux versions, anglaise et française, de l’alinéa 34(1)a). Cela peut indiquer ou non un sens différent, mais je n’ai pas l’intention d’interpréter correctement l’alinéa 34(1)a) dans le présent appel. Je me contenterai de souligner que, dans la décision Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 71 (1re inst.), inf. par 2001 CAF 399, [2002] 3 C.F. 3, la juge de première instance devait se pencher sur une version antérieure de l’alinéa 34(1)a), et que notre Cour n’a jamais eu à se prononcer sur le sens du terme « subversion » en appel.

[67]      Dans la version anglaise de la disposition en cause en l’espèce, le terme « subversion » doit être lu dans le contexte de l’expression « subversion by force of any government » (en français : « actes visant au renversement d’un gouvernement par la force »), tandis que, à l’alinéa 34(1)a), il est employé relativement à « an act of subversion against a democratic government » (en français : « la subversion contre toute institution démocratique »).

[68]      Bien que M. Najafi ait tenté de faire porter le débat sur l’interprétation des mots « subversion by force » (en français : « renversement d’un gouvernement par la force ») figurant à l’alinéa 34(1)b), et sur la légitimité du recours à la force dans certains contextes mentionnés précédemment en droit international, il ressort clairement de la preuve d’expert sur laquelle il s’appuie que l’une des questions clés concerne la légitimité du gouvernement contre lequel ce recours à la force est dirigé.

[69]      La notion de droit d’un peuple opprimé de disposer de lui-même en ayant recours à la force sur laquelle il s’appuie a un lien direct avec l’« illégitimité » du gouvernement auquel on s’oppose en raison de la domination coloniale, de l’occupation étrangère et du racisme.

[70]      C’est pourquoi la juge a accordé autant d’importance au contexte immédiat de l’alinéa 34(1)b). La question d’interprétation que soulèvent ces faits est de savoir si le terme « gouvernement » se limite à un « gouvernement démocratiquement élu » ou à toute autre formule désignant un gouvernement dont la légitimité n’est pas remise en question, ou s’il s’applique à n’importe quel gouvernement, même oppressif et raciste. Lorsqu’on examine les termes de l’alinéa 34(1)b) « un gouvernement », ceux-ci sont clairs et non ambigus. Les mots « renversement d’un gouvernement par la force » (non souligné dans l’original) ne sous-entendent pas, à première vue, de qualification quelconque quant au gouvernement en question.

[71]      Bien que la LIPR énumère plusieurs objectifs au paragraphe 3(1), le législateur a indiqué l’intention de prioriser la sécurité (alinéa 3(1)h)) lorsqu’il a édicté l’alinéa 34(1)b). En effet, cette disposition prévoit expressément qu’une personne peut être interdite de territoire pour raison de sécurité. La disposition en cause met donc l’accent sur le droit du gouvernement d’exercer un contrôle sur sa frontière et de refuser l’entrée aux personnes pouvant constituer une menace pour sa sécurité.

[72]      En ce qui concerne maintenant l’évolution législative de ce motif précis d’interdiction de territoire, la première disposition de ce genre a été incluse dans la Loi modifiant la Loi de l’immigration, S.C. 1919, ch. 25 (alinéa 3(6)n)), et parlait des « [p]ersons who believed in or advocated the overthrow by force or violence of the Government of Canada or of constituted law and authority, or who disbelieved in or are opposed to organized government » (en français : « les personnes qui croient au renversement ou qui préconisent le renversement, par la force ou la violence, du gouvernement du Canada ou de la loi ou de l’autorité constituée, ou qui ne croient pas à un gouvernement organisé et s’y opposent »).

[73]      C’est en 1952 que le mot « subversion » (en français : « renversement ») a été employé pour la première fois dans la Loi sur l’immigration, S.C. 1952, ch. 42. L’alinéa 5m) visait les « persons who have engaged in or advocated or […] are likely to engage in or advocate subversion by force or other means of democratic government » (le texte français, cependant, parlait toujours de « renversement, par la force ou autrement, du régime, des institutions ou des méthodes démocratiques »). Une nouvelle disposition, l’alinéa 5n), a également été incluse pour interdire l’entrée aux « persons […] likely to engage in espionage, sabotage or any subversive activity directed against Canada or detrimental to the security of Canada » (en français : « les personnes qui […] sont susceptibles de se livrer à l’espionnage, au sabotage ou à toute autre activité subversive dirigée contre le Canada ou préjudiciable à sa sécurité »). Ces dispositions ont été reprises dans les Statuts révisés du Canada de 1970.

[74]      Dans les modifications de 1976-77 apportées à la Loi sur l’immigration de 1976 (S.C. 1976-77, ch. 52), les dispositions relatives aux catégories pertinentes de personnes interdites ont été replacées à l’article 19, qui traitait des catégories de personnes non admissibles. L’alinéa 19(1)f) parle toujours de « subversion by force of any government », tandis que le texte français parle de « renversement d’un gouvernement par la force ». Les mots « espionage, sabotage or any subversive activity » (en français : « à l’espionnage, au sabotage ou à toute autre activité subversive ») ont été modifiés et la catégorie a été replacée à l’alinéa 19(1)e), qui s’appliquait aux « acts of espionage or subversion against democratic governments » (en français : « actes d’espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques »). En 1992 [Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquences] (L.C. 1992, ch. 49) les dispositions ont toutes été replacées à l’alinéa 19(1)e), sans aucune modification des mots susmentionnés.

[75]      Avec l’adoption de la nouvelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR, L.C. 2001, ch. 27), les catégories emportant interdiction de territoire pour raison de sécurité ont été replacées à l’article 34, qui constitue la version des dispositions sur laquelle la Section de l’immigration s’est appuyée (voir le paragraphe 34 ci-dessus).

[76]      Je signale que, dans les nombreuses incarnations des catégories de personnes interdites ou non admissibles, il y a eu plusieurs autres modifications, mais celles-ci ne sont pas pertinentes quant à la présente question en litige.

[77]      Il convient également de mentionner que, depuis 1927 (Statuts révisés de 1927), les différentes versions des dispositions pertinentes prévoient la possibilité d’obtenir une dispense ministérielle. Ce n’est que depuis 1952 (S.C. 1952, ch. 42, alinéa 9c)) que la disposition relative à la dispense ministérielle mentionne expressément la nécessité de s’assurer que cette dispense n’est pas contraire à l’intérêt public. Les mots « contraire à l’intérêt public » sont devenus « préjudiciable à l’intérêt national » en 1992 (L.C. 1992, ch. 49, alinéa 19(1)f) in fine).

[78]      L’historique législatif de l’alinéa 34(1)b) présente peu d’intérêt. Il faut accorder moins de poids à cette source dans tous les cas. Cela dit, la juge pouvait faire état du document qu’elle décrit au paragraphe 67 des motifs, car il ne fait que confirmer ce qui ressort de l’évolution législative — que le législateur voulait que l’expression « renversement d’un gouvernement par la force » figurant à l’alinéa 34(1)b) fasse l’objet d’une application large.

[79]      Les commentaires faits et le rejet ultime d’une motion visant à ajouter les mots « démocratiquement élu » aux mots « un gouvernement » à l’alinéa 34(1)b) devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration [Témoignages, 37e lég., 1re sess., réunion no 25 (15 mai 2001)] et les commentaires faits au cours des débats de la Chambre des communes, à l’étape de la troisième lecture [Débats de la Chambre des Communes, 37e lég., 1re sess., vol. 137, no 78 (13 juin 2001)], confirment que le législateur était parfaitement au fait d’arguments s’accordant avec le point de vue de M. Najafi lorsqu’il a adopté cette disposition.

[80]      Évidemment, lorsque je dis que le législateur voulait que cette disposition soit appliquée de façon large, je parle de l’étape de l’interdiction de territoire, car, comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh, quoique dans un contexte différent, le législateur a toujours voulu que le ministre ait la possibilité de dispenser n’importe quel étranger visé par ce libellé général, après avoir tenu compte des objectifs énoncés au paragraphe 34(2), ce qui se fait par le dépôt d’une demande. (Comme nous l’avons vu, le paragraphe 34(2) est devenu le paragraphe 42.1(1). En vertu du paragraphe 42.1(2), cette dispense peut maintenant être accordée à l’initiative du ministre.)

[81]      Ce mécanisme peut être utilisé pour protéger les membres innocents d’une organisation, mais aussi les membres d’organisations dont l’admission au Canada ne serait pas préjudiciable ou contraire à l’intérêt national en raison des activités de l’organisation au Canada et de la légitimité du recours à la force pour renverser un gouvernement à l’étranger.

[82]      Il est évident que, dans le dernier cas en particulier, la résolution de questions de droit international peut être complexe, ce qui étaye l’argument voulant que le ministre soit mieux placé pour s’occuper de ces questions dans le contexte d’une demande de dispense ministérielle. On trouve un exemple d’un tel raisonnement à l’article 9 de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, qui autorise le ministre des Affaires étrangères à délivrer un certificat attestant l’existence d’un conflit armé, international ou non, entre des États ou dans un de ceux-ci.

[83]      À ce stade de mon analyse, je conclus que le libellé de l’alinéa 34(1)b) est clair.

[84]      Comme dans l’arrêt Németh, je vais maintenant examiner le principe de droit international que M. Najafi invoque à l’appui de son opinion selon laquelle l’alinéa 34(1)b) devrait être interprété de la façon suivante :

[traduction] Le renversement par la force s’entend du recours à la force pour renverser un gouvernement, mais ne comprend pas le recours à la force par des combattants légitimes protégés par le Protocole I.

[85]      Dans l’arrêt Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431 (Febles), au paragraphe 12, la Cour suprême du Canada a rappelé que les conventions internationales doivent être interprétées conformément aux articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités [23 mai 1969], [1980] R.T. Can. no 37, qui ressemblent à nos propres principes généraux d’interprétation des lois.

[86]      La preuve des experts de M. Najafi à cet égard semble quelque peu incomplète. Par exemple, ils n’expliquent pas comment ils ont interprété les paragraphes suivants du préambule du Protocole I et quel effet ils ont accordé à son article 4.

PRÉAMBULE

[…]

Exprimant leur conviction qu’aucune disposition du présent Protocole ou des Conventions de Genève du 12 août 1949 ne peut être interprétée comme légitimant ou autorisant tout acte d’agression ou tout autre emploi de la force incompatible avec la Charte des Nations Unies,

Réaffirmant, en outre, que les dispositions des Conventions de Genève du 12 août 1949 et du présent Protocole doivent être pleinement appliquées en toutes circonstances à toutes les personnes protégées par ces instruments, sans aucune distinction défavorable fondée sur la nature ou l’origine du conflit armé ou sur les causes soutenues par les Parties au conflit, ou attribuées à celles-ci,

[…]

Article 4 […] L’application des Conventions et du présent Protocole ainsi que la conclusion des accords prévus par ces instruments n’auront pas d’effet sur le statut juridique des Parties au conflit. Ni l’occupation d’un territoire ni l’application des Conventions et du présent Protocole n’affecteront le statut juridique du territoire en question.

[87]      Je souligne également que l’opinion de ces experts va à l’encontre de celle exprimée par Heather Wilson dans son livre intitulé International Law and the Use of Force by National Liberation Movements [Oxford : Clarendon Press, 1988] (recueil de jurisprudence et de doctrine, vol. 4, onglet 52). Dans ses conclusions, à la page 135, elle affirme qu’il est exagéré d’affirmer sans équivoque que le Protocole I indique un changement en droit international donnant aux mouvements de libération internationaux le pouvoir d’avoir recours à la force d’une manière légitime.

[88]      Cela dit, comme la Section de l’immigration n’a pas fait de commentaires sur cet élément de preuve, je suis disposée à présumer, mais sans le décider, que l’effet juridique du Protocole I est celui énoncé dans les affidavits des experts de M. Najafi, ce qui me permettra de terminer mon examen du contexte juridique global de la façon la plus avantageuse pour M. Najafi.

[89]      Même si j’adopte cette méthode, le contexte juridique global ne me permet pas de conclure que l’alinéa 34(1)b) doit être interprété comme s’il visait seulement le recours à la force qui n’est pas légitime ou légal selon le droit international.

[90]      Comme la Section de l’immigration, j’estime que la légalité ou la légitimité peut fort bien constituer une question que le ministre peut examiner en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR, mais il ne s’agit pas d’un facteur qui est pertinent quant à l’application de l’alinéa 34(1)b). L’interprétation de la Section de l’immigration est donc manifestement raisonnable. Je suis d’avis de répondre à la question certifiée, telle qu’elle a été formulée par la juge ou reformulée au paragraphe 46, par la négative.

[91]      Pour arriver à cette conclusion, j’ai examiné l’argument de M. Najafi selon lequel l’interprétation de la Section de l’immigration pourrait faire entrer un membre des Forces armées canadiennes dans le champ d’application de l’alinéa 34(1)b) de la LIPR. Cette hypothèse visait à illustrer l’« absurdité » de l’interprétation de la Section de l’immigration. Selon mon expérience, on peut généralement concocter un exemple douteux destiné à démontrer qu’une disposition donnée va trop loin et ne peut avoir été voulue, mais les tribunaux doivent considérer que la loi sera appliquée de façon raisonnable. Il faudrait être bien crédule pour supposer qu’un rapport d’interdiction de territoire serait établi à l’égard d’un membre des Forces armées canadiennes pour les actes qu’il a posés en tant que soldat.

E.        L’alinéa 34(1)f) et l’alinéa 2d) de la Charte

1) L’avis de question constitutionnelle

[92]      Avant l’audience, les parties ont débattu la question de savoir si M. Najafi devait signifier un avis de question constitutionnelle conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour pouvoir faire valoir son argument fondé sur l’alinéa 2d) de la Charte.

[93]      Bien qu’il ne croie pas qu’il était nécessaire d’envoyer un tel avis, M. Najafi l’a fait par excès de prudence. Les deux parties ont toutefois demandé à la Cour d’élucider la question.

[94]      Dans une lettre à la Cour datée du 31 mars 2014, l’avocat de M. Najafi a clairement indiqué que sa position avait été la même depuis le début, et que ce que M. Najafi affirme, c’est que [traduction] « la disposition doit être interprétée de manière à ne pas porter atteinte au droit d’association de l’appelant protégé par l’alinéa 2d) de la Charte, ce qui oblige la Cour à exclure du champ d’application du paragraphe 34(1) les membres des organisations qui sont légales au Canada et qui n’apportent pas leur soutien à des activités illégales commises à l’extérieur du Canada ». L’avocat de M. Najafi a indiqué qu’il s’appuyait sur la présomption de respect du droit constitutionnel qui, selon lui, est suffisante pour permettre à la Section de l’immigration et à notre Cour de donner à l’alinéa 34(1)f) une interprétation atténuée de manière à exclure les organisations comme le PDKI.

[95]      Encore une fois, à l’audience et à la demande du tribunal, M. Najafi a indiqué très clairement qu’il avait choisi de ne pas faire valoir que l’alinéa 34(1)f) est invalide, inapplicable ou inopérant pour des motifs d’ordre constitutionnel et que, par conséquent, l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales ne devrait pas s’appliquer.

[96]      Je suis d’accord. Dans ce cas, aucun avis de question constitutionnelle n’est nécessaire.

[97]      Cela dit, il importe de souligner que, bien que l’interprétation atténuée puisse être utilisée comme technique d’interprétation ou comme réparation constitutionnelle, la distinction entre les deux est importante dans le cadre des affaires relatives à la Charte. Lorsqu’on s’appuie sur la présomption de respect de la Charte pour atténuer l’interprétation d’une disposition, la question de savoir si le libellé, sans l’exclusion, est justifiable en vertu de l’article premier ne se pose pas. Par contre, lorsque l’interprétation atténuée est utilisée comme réparation dans le cadre d’une contestation constitutionnelle de la validité d’une disposition, la validité est examinée en premier et la nécessité de donner aux mots une interprétation atténuée ne se pose pas tant que tous les moyens de défense possibles en vertu de l’article premier n’ont pas été tentés en vain (Construction of Statutes, 2008, aux pages 465 et 466).

2) L’interprétation atténuée de l’alinéa 34(1)f)

[98]      La juge n’a jamais eu à se prononcer sur la norme de contrôle applicable à l’interprétation qu’il convient de donner au terme « organisation » figurant à l’alinéa 34(1)f) puisqu’elle ne s’est jamais rendue à cette question, ayant conclu que l’affaire ne concernait pas la violation d’un droit garanti par la Charte.

[99]      À la lumière des précisions que M. Najafi a apportées à ses arguments (voir les paragraphes 94 et 95 ci-dessus), il n’y a pas lieu de se pencher sur la conclusion de la juge portant que l’affaire ne comportait pas une violation de la Charte si, de toute façon, l’alinéa 34(1)f) de la LIPR ne peut recevoir une interprétation atténuée de manière à exclure les organisations comme le PDKI, simplement sur le plan de l’interprétation, plutôt que de la réparation.

[100]   Je vais donc d’abord décider si, selon la méthode moderne d’interprétation des lois préconisée par le professeur Driedger (et l’alinéa 3(3)d) de la LIPR), la Section de l’immigration pouvait raisonnablement interpréter le terme « organisation » employé à l’alinéa 34(1)f) comme excluant le PDKI en dehors d’une contestation constitutionnelle de la validité de cette disposition.

[101]   La Section de l’immigration a interprété l’alinéa 34(1)f) conformément à une jurisprudence de longue date, y compris l’arrêt de notre Cour dans Gebreab c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CAF 274, selon laquelle l’existence d’un lien temporel n’est pas nécessaire entre l’appartenance et les actes mentionnés aux alinéas 34(1)a), b) et c) de la LIPR. Elle l’a également interprété comme s’appliquant aux activités exercées par l’organisation à l’étranger même si les activités exercées au Canada étaient légales.

[102]   M. Najafi ne conteste pas le fait qu’il s’agit d’une interprétation raisonnable lorsqu’elle s’applique à une organisation à laquelle l’alinéa 2d) de la Charte ne peut s’appliquer. Il fait cependant valoir que ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit d’une appartenance à une organisation protégée par la Charte. Il ajoute également que le renversement par la force par une organisation devrait être exclu, même lorsque ce n’est pas le cas, si la personne elle-même a commis les actes mentionnés à l’alinéa 34(1)b).

[103]   À l’audience, l’avocat de M. Najafi a proposé que le terme « organisation » soit simplement interprété de la façon suivante :

[traduction] Une organisation autre qu’une organisation œuvrant au Canada dont les activités sont légales au Canada.

[104]   À mon avis, cette interprétation est trop large. Elle irait à l’encontre de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Suresh.

[105]   Dans l’arrêt Suresh, on a fait valoir que l’organisation en cause n’avait jamais exercé d’activités illégales au Canada. La Cour suprême du Canada n’en a pas moins conclu que l’alinéa 2d) ne protège pas le droit de s’associer à une organisation qui se livre à la violence ou au terrorisme à l’étranger pendant que la personne en est membre.

[106]   En ce qui concerne maintenant l’interprétation de l’alinéa 34(1)f), j’estime pertinent que, dans l’arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada ait souligné que la disposition relative à l’interdiction de territoire (dans cette affaire, l’article 19 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, traitant de l’appartenance à une organisation se livrant à des actes de terrorisme) doit être lue de concert avec la disposition prévoyant une dispense ministérielle (la disposition antérieure au paragraphe 34(2) de la LIPR), car cela fait ressortir l’intention du législateur de permettre la mise en balance des valeurs consacrées par la Charte et des autres valeurs fondamentales canadiennes, comme l’intérêt national, la sécurité nationale et le maintien de la sécurité au sein de la société canadienne (arrêt Suresh, aux paragraphes 109 et 110). Cela est d’autant plus vrai depuis que les arrêts Agraira et Doré ont indiqué très clairement que la décision du ministre relative à une dispense en vertu du paragraphe 34(2) doit comporter une telle mise en balance des droits et valeurs garantis par la Charte et des objectifs importants énoncés dans cette disposition.

[107]   Après avoir examiné les termes de l’alinéa 34(1)f) et les avoir lus dans leur contexte global, qui comprend le paragraphe 34(2), en suivant leur sens ordinaire et grammatical, qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la disposition, et la loi, et compte tenu de l’intention du législateur de respecter la Charte, je conclus que la Section de l’immigration ne pouvait raisonnablement interpréter le terme « organisation » comme excluant une organisation œuvrant au Canada, dont les activités sont légales au Canada et qui ne s’est pas livrée, à l’étranger, à des activités illicites comparables à celles énoncées à l’alinéa 34(1)b) pendant que la personne en était membre. Agir ainsi équivaudrait à réécrire la disposition à un point tel que cela ne peut se faire en dehors d’une contestation constitutionnelle. Au paragraphe 67 de l’arrêt Febles, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que « [l]orsque l’intention exprimée par le législateur dans une disposition législative est claire et sans ambiguïté, la Charte ne peut servir d’outil d’interprétation pour donner au texte législatif un sens non voulu par le législateur ».

[108]   Étant donné que l’alinéa 34(1)f) de la LIPR a un sens plus large que celui qu’il lui donne, si M. Najafi estimait que ce sens violait l’alinéa 2d) de la Charte, il aurait dû solliciter un jugement déclaratoire portant que cette disposition viole l’alinéa 2d) et est donc invalide. S’il avait procédé ainsi et réussi à établir une violation de l’alinéa 2d), il aurait pu avoir droit à des redressements souples. Mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

VII.      Conclusion

[109]   Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis de rejeter le présent appel et de répondre à la question certifiée, telle qu’elle a été formulée par la juge ou reformulée au paragraphe 46 ci-dessus, par la négative.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

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