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[1996] 2 C.F. 371

T-956-90

Sa Majesté la Reine (demanderesse)

c.

St. Lawrence Cruise Lines Inc. (défenderesse)

Répertorié : Canada c. St. Lawrence Cruise Lines Inc. (1re inst.)

Section de première instance, juge Dubé—Ottawa, 4 décembre 1995 et 30 janvier 1996.

Droit administratif Principes fondamentauxLégislation déléguéeUne disposition réglementaire imposant un droit sur les passagers des navires de croisière qui utilisent une installation portuaire publique alors que les transbordeurs en sont exemptés, est-elle ultra vires au regard de la Loi sur les ports et installations portuaires?Analyse de précédents jurisprudentiels marquants mettant en cause l’exercice du pouvoir discrétionnaireL’objet de la politique portuaire nationaleL’art. 12 habilite le gouverneur en conseil à prendre des règlements relatifs à la gestion et à l’utilisation des ports publics y compris l’imposition de droitsIl est compréhensible que les droits puissent varier selon le type de navireLa définition du mot « navire » est laissée à la discrétion du ministreAucune discrimination n’est faite entre des personnes se trouvant dans une même situation puisque les droits frappent tous les navires de croisièreLes transbordeurs n’entrent pas dans cette catégorie puisqu’ils offrent un autre genre de service.

Droit maritime Ports Législation déléguéeLe Règlement sur les quais de l’État est-il ultra vires au regard de la Loi sur les ports et installations portuaires du fait : (1) que la Loi n’a pas autorisé ce règlement, (2) que celui-ci repose sur des considérations hors de propos, et (3) qu’il est discriminatoireDes droits sont imposés sur les passagers des navires de croisière faisant usage d’une installation portuaire publiqueLe transbordeur local utilise sans frais la même installationL’objet de la politique portuaire nationaleLes pouvoirs de réglementation du gouverneur en conseil sont énoncés dans la LoiLe Règlement exclut les transbordeurs de la définition de « navire de croisière » — Ce Règlement outrepasse-t-il le cadre de la Loi en distinguant entre un « navire de croisière » et d’autres embarcations?L’art. 12 de la Loi accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire d’imposer des droits sur les navires de croisièreIl est compréhensible que les droits puissent varier selon le type de navire.

Il s’agit d’une action en réclamation des droits afférents aux passagers imposés en vertu de la Loi sur les ports et installations portuaires et du Règlement sur les quais de l’État. Depuis 1988, la défenderesse a possédé et exploité des navires de croisière qui utilisent une installation portuaire publique située à Kingston (Ontario) pour l’embarquement et le débarquement des passagers.

L’article 3 de la Loi énonce l’objet de la politique portuaire nationale qui comprend la création d’un système efficace de ports publics en vue de réaliser des objectifs sociaux et économiques aux plans tant national que régional ou local et de garantir l’égalité de traitement aux usagers des ports canadiens. Le terme "navire », qui est largement défini à l’article 2, comprend toutes les catégories d’embarcations. L’article 12 autorise le gouverneur en conseil à édicter des règlements en vue de la gestion, du contrôle, de l’exploitation et de l’utilisation des ports et installations portuaires publics, y compris l’imposition de droits ou taxes sur les navires et les personnes qui font usage de ces installations. Le transbordeur local, qui utilise le même quai que les navires de la défenderesse, est exclu de la définition de « navire de croisière » et il est exempté des droits. La défenderesse a allégué que le Règlement était ultra vires aux motifs (1) que la Loi ne l’a pas autorisé, (2) qu’il reposait sur des considérations hors de propos, et (3) qu’il était discriminatoire. Elle a soutenu que l’un des objectifs de la politique portuaire nationale consiste à garantir l’égalité de traitement aux usagers des ports canadiens et que la Loi prévoit l’imposition de droits et d’autres frais à un navire sans conférer le pouvoir de distinguer entre les navires de croisière ou à passagers, les navires de croisière de jour ou les transbordeurs. Elle a fait valoir que l’objectif avoué du ministre en haussant les droits portuaires pour mieux récupérer les coûts relatifs à l’infrastructure portuaire nationale et appuyer les efforts du gouvernement fédéral visant à réduire le déficit, ne justifiait pas la distinction établie entre les passagers des transbordeurs et ceux des navires de croisière. La défenderesse a enfin soutenu que le droit frappant les passagers des navires de croisière était nettement discriminatoire et que la loi habilitante n’autorisait pas le gouverneur en conseil à établir pareille distinction.

Jugement : l’action doit être accueillie.

(1) Le gouverneur en conseil avait exercé à bon escient son pouvoir discrétionnaire. Le Règlement a été édicté conformément à la loi habilitante et aucun des motifs invoqués par la défenderesse ne prouve qu’il était ultra vires. L’article 12 de la Loi accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire suffisant pour imposer, par voie de règlement, des droits sur les navires de croisière.

(2) La définition du mot « navire » est laissée à la discrétion du ministre à qui incombe, en vertu de l’article 4 de la Loi, la réalisation de la politique portuaire nationale. Si l’initiative vise à accroître les recettes et à réduire le déficit, elle est valide et autorisé par l’article 3 de la Loi pour que soit offert un service efficace dans le cadre de la politique portuaire nationale.

(3) Le Règlement n’était pas discriminatoire. Des distinctions peuvent être discriminatoires si leurs effets se reflètent inégalement sur des personnes de même situation. Rien ne prouve, toutefois, que les droits imposés aux passagers ne frappaient pas tous les navires de croisière. Si le transbordeur local n’y a pas été assujetti, c’est parce qu’il ne s’agissait pas d’un navire de la même catégorie qui n’offrait pas le même genre de service et ne se trouvait donc pas dans la même situation.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi référendaire, L.C. 1992, ch. 30.

Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, ch. 52.

Loi sur les ports et installations portuaires publics, L.R.C. (1985), ch. P-29, art. 2 « navire », 3(1), 12(1).

Règlement sur les quais de l’État, C.R.C., ch. 881, art. 2 « navire de croisière » (édicté par DORS/86-493, art. 1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Metropolitan Toronto, The Municipality of v. The Corporation of the Village of Forest Hill, [1957] R.C.S. 569; (1957), 9 D.L.R. (2d) 113; Bunce and Town of Cobourg, Re, [1963] 2 O.R. 343; (1963), 39 D.L.R. (3d) 513 (C.A.); Tegon Developments Ltd. and Montreal Trust Company v. City of Edmonton and Alberta Minister of Culture (1977), 8 A.R. 384; 81 D.L.R. (3d) 543; 5 Alta. L.R. (2d) 63 (D.A.C.S.); conf. par [1979] 1 R.C.S. 98; (1978), 7 Alta. L.R. (2d) 292; 24 N.R. 269; Alaska Trainship Corporation et autre c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261; (1981), 120 D.L.R. (3d) 577; 35 N.R. 271; Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres, [1985] 1 R.C.S. 368; (1985), 14 D.L.R. (4th) 161; 29 M.P.L.R. 220; 58 N.R. 339; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.); Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; (1983), 143 D.L.R. (3d) 577; 46 N.R. 91; Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995; (1993), 105 D.L.R. (4th) 577; 156 N.R. 81.

DOCTRINE

Dussault, René et Louis Borgeat. Traité de droit administratif, 2e éd., vol. 1, Québec : Presses de l’Université Laval, 1984.

Holland, D. C. and J. P. McGowan. Delegated Legislation in Canada. Toronto : Carswell, 1989.

Jones, D. P. and A. S. de Villars. Principles of Administrative Law, 2nd ed. Toronto : Carswell, 1994.

Keyes, J. M. Executive Legislation : Delegated Law Making by the Executive Branch. Toronto : Butterworths, 1992.

ACTION en réclamation des droits annuels afférents à l’utilisation d’une installation portuaire publique, imposés en vertu de la Loi sur les ports et installations portuaires et du Règlement sur les quais de l’État. Action est accueillie.

AVOCATS :

Marie-Louise Wcislo pour la demanderesse.

J. Kenrick Sproule pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.

Marler, Sproule, Castonguay, Montréal, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Dubé : La demanderesse, représentée par le ministre des Transports (le ministre) réclame le paiement des droits afférents aux passagers dont la défenderesse, la St. Lawrence Cruise Lines Inc. (St. Lawrence Cruise) est redevable en vertu de la Loi sur les ports et installations portuaires publics[1] (la Loi) et le Règlement sur les quais de l’État[2], modifié par le DORS/86-493 (le Règlement).

Les faits essentiels ne sont pas contestés. Depuis 1988, St. Lawrence Cruise a exploité le Canadian Empress et, en outre, durant la période 1990-1992, le Victorian Empress, deux navires de croisière dont elle est propriétaire et qui sont affectés au transport de passagers. La société utilisait le quai Crawford, une installation portuaire publique située dans la ville de Kingston, pour l’embarquement et le débarquement des passagers. Elle a reçu des factures s’élevant, au 28 novembre 1994, à la somme de 52 636 27 $. Suite à une ordonnance de la Cour en date du 23 avril 1990, la susdite société a déposé à la Cour le montant des droits annuels réclamés par le ministre pour pouvoir continuer à utiliser le quai Crawford.

St. Lawrence Cruise allègue qu’elle n’est pas légalement tenue de verser les droits en question au motif que le nouveau Règlement est ultra vires au regard de la Loi habilitante. À l’audition de la cause, l’avocat de la défenderesse a pleinement exposé les trois raisons qu’il invoquait à l’appui de son argument, à savoir : 1) que la Loi n’a pas autorisé le nouveau Règlement; 2) que l’objet de ce nouveau Règlement repose sur des considérations hors de propos; 3) et que le nouveau Règlement est discriminatoire.

1- La Loi n’a pas autorisé le nouveau règlement

En s’attaquant au règlement, l’avocat de la société s’est appuyé, dans le premier volet de sa contestation, sur deux points, à savoir : que tout d’abord, le nouveau texte réglementaire crée deux catégories distinctes de payeurs de droits et, en second lieu, qu’il ne tient pas compte de l’objet de la loi habilitante.

L’objet de la politique portuaire nationale est énoncé au paragraphe 3(1) de la Loi que voici :

3. (1) La politique portuaire nationale a pour objet la création d’un système de ports publics qui ait pour rôle ou caractéristique :

a) de contribuer à la réalisation des objectifs en matière de commerce extérieur ainsi que des objectifs sociaux et économiques, aux plans tant national que régional et local;

b) d’être efficace;

c) de garantir aux usagers des ports canadiens l’égalité de traitement et le libre accès aux services de transport de marchandises et de passagers;

d) de coordonner ses activités avec celles du secteur maritime et avec les réseaux de transport aérien et terrestre.

L’article 2 définit le mot « navire », dans les termes suivants :

2.

« navire » Toute construction flottante qui sert ou peut servir, exclusivement ou partiellement, à la navigation maritime, qu’elle soit pourvue ou non d’un moyen propre de propulsion, y compris une drague, un élévateur flottant, une habitation flottante, une plate-forme de forage, un hydravion, un radeau, une estacade de billes ou de bois de construction et un aéroglisseur.

L’article 12 de la Loi énonce, de façon générale, les pouvoirs de réglementation du gouverneur en conseil et, plus précisément, prévoit ce qui suit aux alinéas 12(1)i) et 12(1)j) :

12. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements en vue de la gestion, du contrôle, de l’exploitation et de l’utilisation des ports et installations portuaires publics, notamment dans les domaines suivants

i) l’imposition et la perception de droits ou taxes sur les navires, véhicules et personnes entrant dans ces ports ou installations ou en faisant usage, ou sur les marchandises ou cargaisons soit déchargées de ces navires, chargées à leur bord ou transbordées par eau dans le périmètre portuaire, soit stockées dans les installations portuaires publiques ou passant par elles;

j) la fixation des droits ou frais exigibles pour l’usage de ces ports ou installations ou pour la prestation de services qu’y fournit le ministre.

Le 1er juin 1986, le terme « navire de croisière » a été ajouté au règlement et défini ainsi :

2. …

« navire de croisière » Navire qui transporte des passagers moyennant tarif et qui est utilisé pour un voyage au cours duquel les passagers sont à bord pour au moins une nuit, à l’exclusion des transbordeurs.

L’avocat signale que l’un des objectifs de la politique portuaire nationale consiste à assurer un traitement équitable aux utilisateurs des ports canadiens, que la définition du mot « navire » figurant dans la Loi est très large et qu’elle ne distingue pas entre un « navire de croisière » et d’autres types d’embarcations qu’il s’agisse de navires d’excursion ou de croisière de jour ou de transbordeurs. Il souligne également que le pouvoir de prendre des règlements se rapporte à la gestion, au contrôle, à l’exploitation et à l’utilisation des ports publics. La jurisprudence en droit administratif a clairement établi que les tribunaux ne permettent pas qu’un règlement outrepasse les cadres de sa loi mère[3]. L’avocat soutient que ce principe se rapporte à un pouvoir de réglementation général ou à une disposition cadre ce qui n’existe pas dans la Loi. Dans l’affaire Metropolitan Toronto, The Municipality of v. The Corporation of the Village of Forest Hill[4], la Cour suprême du Canada a annulé, en 1957, un règlement visant à mettre en œuvre un programme de fluoration. La loi habilitante voulait assurer la fourniture d’une eau pure et saine à la population rurale. Le juge Cartwright (à la page 580), s’est ainsi exprimé : [traduction] « Dans le fond, le règlement ne vise pas essentiellement à assurer la fourniture d’eau, mais à imposer une médication préventive à tous les habitants de la région ».

Denys C. Holland et John P. McGowan, les deux auteurs de l’ouvrage Delegated Legislation in Canada, écrivent au paragraphe relatif à l’interprétation de pouvoirs déterminés (à la page 196) ce qui suit[5] :

[traduction] Nous avons vu que les attitudes des tribunaux au regard de l’interprétation des dispositions habilitantes varieront dans la mesure où les règlements pris en vertu de ces dispositions se refléteront sur les droits individuels. Si l’effet de cette ingérence réglementaire éventuelle dans ces droits est un outil d’interprétation appréciable, toute analyse judiciaire doit toujours avoir pour point de départ la signification pure et simple des termes utilisés par le législateur.

Les tribunaux seront appelés en pratique à déterminer la portée

i) soit d’un octroi de pouvoir précis,

ii) soit du pouvoir général objet de la disposition habilitante.

À la page 197, les auteurs expliquent en ces termes ce qu’ils entendent par octroi de pouvoir précis :

[traduction] Lorsque nous parlons ici d’octrois de pouvoir, nous donnons au mot « pouvoir » la plus large de deux acceptions. Nous entendons par là essentiellement toute forme de délégation d’autorité législative autre qu’une disposition cadre.

Et les auteurs de poursuivre à la page 198 :

[traduction] Lorsque la législation déléguée fait suite à un octroi de pouvoir précis dans le sens restreint ci-dessus, la tendance s’est portée vers une interprétation littérale du langage législatif.

L’avocat soutient qu’en l’absence d’une disposition cadre dans la Loi, les pouvoirs conférés au gouverneur en conseil se limitent à l’interprétation littérale de l’article 12 de la Loi, plus spécialement les alinéas 12(1)i) et j).

Dans l’affaire Bunce and Town of Cobourg, Re[6], portée devant la Cour d’appel de l’Ontario, la municipalité avait obtenu le pouvoir de classifier les magasins d’après le type de marchandises qu’ils vendaient. Dans sa décision, la Cour a jugé, à la page 346, que le conseil municipal n’avait pas le pouvoir de subdiviser la classification et de faire en sorte que les magasins compris dans une subdivision soient soumis à l’arrêté municipal et d’autres non. La Cour a jugé que l’arrêté en question était [traduction] « injuste et déraisonnable ».

Dans son ouvrage intitulé Executive Legislation[7], John Mark Keyes sous la rubrique « Defining Terms and Requirements », a examiné les dispositions qui définissent expressément les termes et celles qui en restreignent ou élargissent le sens. La règle veut que les limites imposées à ces dispositions définissantes se rattachent à [traduction] « la règle d’interprétation voulant que les termes figurant dans les textes réglementaires revêtent la même signification que leur donne la loi habilitante ». Il dit ceci (aux pages 210 et 211) :

[traduction] La définition d’un terme dans une loi habilitante ou connexe est en elle-même inoffensive. Cependant, lorsqu’elle modifie des exigences, des droits, des avantages ou l’autorité imposée ou conférée aux termes d’une loi habilitante ou connexe, elle risque vraisemblablement d’être ultra vires. Plus la modification est importante et plus forte est la probabilité qu’elle soit frappée de nullité. Les définitions qui altèrent le sens des mots délimitant la portée de la loi habilitante sont spécialement susceptibles de contestation sur cette base.

Les définitions qu’on trouve dans les textes réglementaires sont le plus souvent frappées de nullité en l’absence de toute autorité expresse de définir des termes ou lorsqu’il s’agit d’une disposition habilitante cadre, même lorsque la portée en est étendue par une terminologie subjective. Toutefois, certaines définitions ont été également annulées bien qu’établies en vertu de dispositions habilitantes plus précises.

L’avocat invite la Cour à conclure que les alinéas 12(1)i) et j) ne comportent aucun pouvoir de définition semblable. Le mot « navire » est clairement défini dans la Loi et le gouverneur en conseil n’est nullement habilité à modifier cette définition par voie de règlement. La loi prévoit l’imposition de droits et d’autres frais à un navire ou à sa cargaison, mais elle ne confère pas le pouvoir d’opérer une distinction entre les navires de croisière, les navires à passagers, les navires d’excursion de jour ou les transbordeurs.

Abordant le second volet de son premier argument, à savoir, que le règlement est ultra vires du fait qu’il n’est pas conforme à l’objectif déclaré de la Loi, l’avocat se réfère de nouveau au même auteur, cette fois-ci au chapitre 9 de son ouvrage intitulé « Enabling Provisions », à la rubrique « Authorized Purposes ». Voici ce que John Mark Keyes écrit aux pages 187 et 188 :

[traduction] Les objectifs qui motivent l’octroi de l’autorité législative au pouvoir exécutif influent toujours sur sa portée. Toutefois, leurs effets varient en fonction du degré d’expression que leur donne la loi habilitante et du lien avec l’autorité législative. Des objectifs précis et clairement liés à cette autorité lui confèrent sa substance. Ils ont également une incidence sur les actes autorisés dans la mesure où ils englobent des questions précises, faisant ainsi échec à l’exercice de l’autorité sur des points tout à fait étrangers aux objectifs autorisés.

L’avocat pose la question suivante : le nouveau Règlement favorise-t-il le traitement équitable au regard du mouvement des passagers dans les ports canadiens? Sa réponse est négative. Il cite, à titre d’exemple, le transbordeur local Island Queen qui, plusieurs fois par jour, embarque et débarque des passagers du quai Crawford, mais échappe à la nouvelle définition et aux droits en question. À son avis, la seule différence appréciable entre les deux catégories de passagers est le fait que ceux qui se trouvent à bord d’un navire de croisière ont davantage les moyens de payer que les passagers d’un transbordeur. Comme l’a dit le ministre dans une lettre adressée à la députée de la localité, les droits qui frappent les passagers d’un navire de croisière visent en réalité à produire un revenu. Par conséquent, les droits ne sont pas imposés de la façon équitable qui cadre avec l’objet de la politique portuaire nationale énoncée à l’article 3 de la Loi.

2- L’objet du nouveau Règlement repose sur des considérations hors de propos

Dans leur ouvrage intitulé Principles of Administrative Law[8], David Phillip Jones et Anne S. de Villars étudient cette question sous la rubrique « The Abuse of an Improper Intention : Unauthorized or Ulterior Purpose, Bad Faith, Irrelevant Considerations » (à la page 149). Voici ce qu’ils écrivent aux pages 149 et 150 :

[traduction] Bien sûr, le fait de savoir si l’objectif précis qui sous-tend l’exercice du pouvoir de légiférer est autorisé ou non par la loi est une bonne question d’interprétation légale qui se posera fréquemment …

Par ailleurs, une seule de ces phrases peut s’appliquer pour décrire l’erreur commise par l’autorité législative déléguée. Les tribunaux tout particulièrement peuvent hésiter à conclure à la mauvaise foi, même lorsque le délégué a agi dans un but irrégulier ou pour des considérations hors de propos. Compte tenu de cette difficulté d’ordre terminologique, il est utile d’étudier des exemples dans chacune de ces catégories.

L’avocat affirme que la question de mauvaise foi n’entre pas en jeu dans le cas d’espèce, mais qu’il s’agit simplement d’objectifs inavoués ou de considérations étrangères à la question. Pour illustrer leurs propos, les auteurs citent la décision suivante d’un tribunal albertain[9] (à la page 151) :

[traduction] La décision rendue dans l’affaire Tegon Developments Ltd. c. Edmonton City Council illustre bien l’attitude des tribunaux à l’égard de ce problème. Il s’agissait en l’occurrence d’une résolution du conseil municipal interdisant tout aménagement ou toute démolition de nature à porter atteinte au caractère historique de la région d’Old Strathcona d’Edmonton. Bien que le Planning Act reconnût expressément au conseil municipal le droit d’adopter des résolutions touchant « a) l’utilisation de terrains dans des zones déterminées, ou b) tous aspects spéciaux relatifs à des types de mise en valeur particuliers et à la manière de les surveiller », le juge Moir a conclu que la résolution en question voulait se servir de ce pouvoir législatif à une fin non autorisée.

Dans l’affaire Alaska Trainship Corporation et autre c. Administration de pilotage du Pacifique[10], la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si le pavillon d’un navire pouvait entrer en ligne de compte pour exempter ou dispenser un navire du pilotage obligatoire. Le juge en chef a déclaré ce qui suit (à la page 268) :

Il ressort des premiers mots du par. 14(1) que le pouvoir de réglementation d’une administration est limité par l’exigence que les règlements doivent être établis dans la poursuite de ses objets ou en conformité avec eux. Ces objets sont énumérés à l’art. 12 de la Loi dans les termes suivants :

12. Une Administration a pour objets d’établir, de faire fonctionner, d’entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace dans la région indiquée dans l’annexe en ce qui concerne cette Administration.

La Cour a jugé que le pavillon d’un navire ne pouvait équitablement pas être considéré comme une question de sécurité pour la réalisation de l’objectif de l’administration aux termes de la Loi sur le pilotage [S.C. 1970-71-72, ch. 52]. Dans sa lettre mentionnée ci-dessus, datée du 10 avril 1986, adressée à la députée de la localité, l’honorable Flora MacDonald, ministre de l’Emploi et de l’Immigration, le ministre a répondu dans les termes suivants aux préoccupations formulées par la défenderesse.

[traduction] Veuillez informer M. Clark qu’il est nécessaire de procéder à la hausse envisagée des frais portuaires et d’imposer un droit aux passagers des navires de croisière pour refléter l’augmentation des coûts relatifs au maintien d’un système de ports publics et d’infrastructure portuaire. Ces hausses permettront aux ports et installations portuaires publics de relever le niveau de récupération de leurs frais, ce qui s’inscrit dans le programme de réduction du déficit gouvernemental.

Suite aux consultations tenues avec les usagers et les fonctionnaires ministériels, les propositions ont été révisées. Le nouveau droit, fixé à 3 $, frappant les passagers des navires de croisière ne prendra pas effet avant le 1er avril 1987 pour permettre aux exploitants d’en tenir compte dans leur barème des tarifs pour la saison 1987. Il ne s’appliquera pas aux navires de croisière de jour ni aux transbordeurs et sera imposable aux navires qui utilisent une installation portuaire publique pour embarquer ou débarquer des passagers.

Ainsi, aux dires de la défenderesse, les nouveaux droits ont pour double objectif d’être une source de recettes et de réduire le déficit. L’avocat soutient que l’objectif avoué ne justifie pas que l’on distingue entre les passagers qui utilisent les installations portuaires pour prendre un transbordeur et ceux qui embarquent sur un navire de croisière. En fait, ceux-là utilisent bien davantage les quais que les croisiéristes.

3- Le nouveau Règlement est discriminatoire

Les auteurs du Traité de droit administratif, René Dussault et Louis Borgeat, dont il a été question précédemment, abordent la question de la discrimination par la législature et les autorités de réglementation en ces termes (aux pages 557 et 558) :

L’interdiction faite au législateur et aux autorités réglementantes d’édicter des normes portant discrimination sous certains aspects, tels le sexe ou la race, a été mentionnée antérieurement. Fondée sur des dispositions de nature constitutionnelle ou quasi constitutionnelle, cette prohibition est sanctionnée rigoureusement par les tribunaux. Les critères de discrimination prévus dans ces dispositions ne sont cependant pas les seuls qui fassent l’objet de surveillance de la part du pouvoir judiciaire dans le cas de l’exercice d’un pouvoir réglementaire. Les tribunaux considèrent souvent en effet que le Parlement doit être le seul détenteur de ce pouvoir délicat qui consiste à défavoriser une catégorie de citoyens par rapport à une autre.

Ainsi, la discrimination constitue une frontière qui vient limiter l’exercice du pouvoir réglementaire. L’avocat prétend que la discrimination [traduction] « dans l’acception neutre du terme » existe manifestement entre les croisiéristes de jour et ceux qui passent la nuit à bord : le droit de prendre des règlements n’entraîne pas celui de créer des exemptions de nature discriminatoire. Dans son ouvrage cité plus haut et intitulé Executive Legislation : Delegated Law Making by the Executive Branch, John Mark Keyes écrit ce qui suit sous la rubrique « Discrimination » (aux pages 225 et 227) :

[traduction] Une forme d’examen antérieure et bien distincte touchant la discrimination concerne exclusivement la législation déléguée. On l’appelle parfois « discrimination législative d’ordre administratif » et elle se fonde sur une présomption interprétative exigeant que la discrimination par voie de législation déléguée soit assortie d’une autorité précise. Bien que cette forme d’examen ait été éclipsée au Canada par les dispositions constitutionnelles et quasi constitutionnelles qu’on vient de mentionner, elle est toujours viable et, en dehors du Canada, constitue l’assise principale sur laquelle repose l’examen de la législation déléguée pour cause de discrimination.

La notion d’égalité est inhérente à la règle de droit. Bien que dans ce contexte la définition de l’égalité selon Dicey est aujourd’hui dépassée, elle aide à expliquer les différences qui existent entre la discrimination législative d’ordre administratif et la discrimination en matière de droits de la personne. Pour Dicey, la discrimination avait trait à l’administration de la loi, par opposition à la loi elle-même. Si l’on tient la législation déléguée pour une forme d’administration de la loi, alors la discrimination existe dans la mesure où elle n’est pas envisagée par la « loi » habilitante.

La discrimination législative d’ordre administratif est une notion bien moins subtile. Elle survient lorsqu’une loi distingue expressément entre les personnes à qui elle s’applique. Ces distinctions ne dépendent pas nécessairement des caractéristiques immuables ou constituantes requises pour qu’il y ait discrimination aux termes de la Charte. La discrimination peut naître d’autres distinctions si les effets qui en découlent se reflètent inégalement sur des personnes partageant la même situation. Souvent, enfin, la discrimination survient indépendamment du caractère rationnel des distinctions. La discrimination législative d’ordre administratif peut servir de base à l’annulation d’un instrument de législation déléguée à moins qu’une telle discrimination soit autorisée par la loi habilitante.

L’avocat allègue qu’il peut attaquer la législation déléguée pour cause de discrimination si la loi habilitante n’accorde pas à l’autorité réglementante le droit de distinguer entre deux types de navires. La décision qui marque un tournant dans les affaires de discrimination législative d’ordre administratif a été rendue dans l’arrêt Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres[11]. La Cour suprême du Canada était saisie d’un arrêté municipal de la ville de Montréal visant à interdire l’entrée des jeunes de moins de 18 ans dans les salles de jeux électroniques. La Cour suprême a annulé en partie la législation déléguée qui était contestée, sur le fondement qu’elle était discriminatoire et que la loi n’autorisait pas expressément le genre de distinction envisagé par l’arrêté. Le juge Beetz a écrit à ce sujet (à la page 406) :

La doctrine québécoise contemporaine, entre autres, reconnaît le principe énoncé par lord Russell of Killowen dans Kruse v. Johnson, précité. Ainsi, Louis-Philippe Pigeon écrit-il, dans Rédaction et interprétation des lois, 1978, à la p. 34 :

Il est une autre observation importante à faire sur la question du pouvoir de réglementation. C’est la suivante : le pouvoir de faire des règlements ne permet pas d’établir des dispositions discriminatoires. Autrement dit, un règlement doit, à moins que le texte qui l’autorise dise le contraire, s’appliquer à tout le monde de la même façon. Si l’on veut pouvoir faire des distinctions il faut le dire. Une des décisions intéressantes sur ce point, c’est Rex v. Paulowich, [1940] 1 W.W.R. 537. Il y en a quantité d’autres.

De même, René Dussault et Louis Borgeat, dans leur Traité de droit administratif, t. I, 1984, à la p. 558 :

Ce principe a évidemment pour corollaire l’illégalité de tout règlement discriminatoire non autorisé par une disposition législative.

En raison de quoi, l’avocat soutient que le droit imposé aux passagers des navires de croisière est nettement discriminatoire. De plus, la Loi habilitante n’accorde au gouverneur en conseil aucun pouvoir législatif lui permettant d’établir une telle distinction.

4- L’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire

L’avocat de la demanderesse convient volontiers que le nouveau droit qui frappera les passagers des navires de croisière est un mécanisme permettant d’accroître les recettes du gouvernement fédéral, mais il souligne que cet objet est clairement énoncé à l’article 3 de la loi habilitante. Cet article dispose que la politique portuaire nationale a pour objet la création d’un système de ports publics en vue de réaliser des objectifs sociaux et économiques, aux plans tant national que régional et local. La défenderesse peut rétorquer qu’elle a été injustement traitée et a fait l’objet de discrimination; mais l’équité ne signifie pas que tout le monde soit traité exactement de la même manière. Il est possible que des personnes placées dans des situations différentes ne soient pas traitées de la même façon. En l’espèce, la défenderesse et les exploitants de transbordeurs ne se trouvent pas dans la même situation et ils ne sont pas assimilables.

L’article 12 de la Loi, qui traite du pouvoir de réglementation, dispose que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements en vue de la gestion, du contrôle, de l’exploitation et de l’utilisation des ports et installations portuaires. Ces pouvoirs sont très étendus. L’alinéa 12(1)i) autorise, plus particulièrement, le gouverneur en conseil à imposer et à percevoir des droits ou taxes sur les navires qui utilisent de telles installations. L’alinéa 12(1)j) lui reconnaît le droit de fixer des droits ou frais pour l’usage de ces ports et installations. Si le gouverneur en conseil juge que les exploitants des navires de croisière de jour ne devraient pas être assujettis à ces droits, l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est valide. L’introduction du paragraphe 12(1) est rédigée en termes assez larges pour permettre la création d’une catégorie par voie de définition et pareilles définitions constituent une partie essentielle des règlements. Il faut aussi se rappeler que ce ne sont pas les passagers, mais les propriétaires des navires qui doivent acquitter les droits en question.

5- Analyse

Je suis d’avis que le gouverneur en conseil a exercé à bon escient son pouvoir discrétionnaire. Le nouveau Règlement a été dûment édicté conformément à la loi habilitante et je ne peux conclure, à partir des arguments avancés par la défenderesse, qu’il est ultra vires. Bien que je souscrive pleinement à l’exposé des principes de droit administratif fondamentaux que l’avocat de la défense a habilement présenté, je me permets de ne pas partager son avis quant à l’application de ces principes aux faits de la présente cause. L’article 12 de la Loi accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire suffisant pour édicter le nouveau Règlement imposant de nouveaux droits aux navires de croisière. Passons d’abord succinctement en revue la jurisprudence en matière d’exercice du pouvoir discrétionnaire.

Dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis[12], la Cour suprême du Canada a essentiellement défini cet exercice en ces termes (à la page 140) :

[traduction] Dans une réglementation publique de cette nature, il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit ; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi. La fraude et la corruption au sein de la commission ne sont peut-être pas mentionnées dans des lois de ce genre, mais ce sont des exceptions que l’on doit toujours sous-entendre. La « discrétion » implique nécessairement la bonne foi dans l’exercice d’un devoir public. Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption. Pourrait-on refuser un permis à celui qui le demande sous le prétexte qu’il est né dans une autre province, ou à cause de la couleur de ses cheveux ? On ne peut fausser ainsi la forme courante d’expression de la législature.

En 1968, dans la cause Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food[13], la Chambre des lords a examiné plus à fond l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé à un ministre du gouvernement. Elle dit (à la page 1030) :

[traduction] Dans l’argument présent pour le Ministre, il est implicite qu’il n’y a que deux interprétations possibles de cette disposition—soit qu’il doive renvoyer chaque plainte au comité, soit qu’il ait une discrétion absolue, dans tous les cas, de refuser de renvoyer la plainte au comité. Je ne crois pas que ce soit correct. Le Parlement a dû attribuer ce pouvoir discrétionnaire avec l’intention qu’il soit exercé pour promouvoir la politique et les objets de la Loi. La politique et les objets de la Loi doivent être déterminés en interprétant la Loi dans son ensemble et l’interprétation est toujours une question de droit pour la Cour. Dans une affaire semblable, il n’est pas possible de fixer des limites précises et inflexibles, mais si le Ministre, parce qu’il a mal interprété la Loi ou pour toute autre raison, exerce son pouvoir discrétionnaire de façon à contrecarrer la politique ou les objets de la Loi ou à aller à l’encontre de ceux-ci, alors notre droit accuserait une grave lacune si les personnes qui en subissaient des préjudices n’avaient pas droit à la protection de la Cour. Il est donc nécessaire de procéder d’abord à l’interprétation de la Loi.

En 1983, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre[14] devait trancher la question de savoir si un décret du conseil étendant les limites du port de St. John’s de façon à y inclure une propriété privée, était ultra vires. La Cour a déclaré que bien que le décret du conseil, pris en vertu d’un pouvoir établi par la loi, soit susceptible de contrôle judiciaire, il n’entre pas dans les attributions de la Cour d’enquêter sur les motifs qui ont poussé le cabinet fédéral à l’édicter. De plus, lorsqu’il ressort des éléments de preuve que ce décret n’est pas entaché de mauvaise foi, (ce que la défenderesse n’allègue pas en l’occurrence), mais qu’il est dicté par des considérations de politique économique et des raisons politiques valables, il ne devrait pas être invalidé. Le juge Dickson (tel était alors son titre) s’est exprimé en ces termes (à la page 117) :

Les appelantes reconnaissent que l’art. 7 confère effectivement au cabinet fédéral compétence pour étendre les limites du port. Elles prétendent cependant que cela peut se faire seulement en vue de « l’administration, gestion et régie » du port et que l’art. 7 n’autorise nullement l’extension pour augmenter les revenus du Conseil.

J’ai déjà souligné que le port n’a pas été étendu à la seule fin d’accroître les revenus et que la « rationalisation » des activités maritimes de la région a également été un facteur important. Il me semble que la « rationalisation », au sens déjà indiqué, relève facilement des pouvoirs que confère le par. 7(2).

Dans le cas de Thorne’s Hardware, supra, la partie appelante a également soutenu que le décret du conseil prévoyait uniquement l’imposition et la perception de « droits », alors qu’il s’agissait en réalité « d’impôts ». Le juge Dickson a succinctement tranché la question en disant ceci (à la page 123) :

Pour prouver que les droits exigés par le Conseil sont des « impôts » et, partant, excèdent sa compétence, il faudrait à tout le moins établir que ses revenus dépassent largement les coûts occasionnés par la fourniture au public d’installations et de services portuaires; en l’espèce, on n’a même pas essayé de le démontrer.

Aucune tentative n’a été faite, dans ce cas-ci, pour démontrer que les droits exigés dépassaient appréciablement les coûts nécessaires à la fourniture des installations en question.

Enfin, dans l’arrêt Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections)[15], on a demandé à la Cour suprême de se prononcer sur la validité d’un décret du conseil pris en vertu de la Loi référendaire [L.C. 1992, ch. 30] (Canada). La Cour a déterminé que tant la décision de tenir un référendum que celle touchant le nombre de provinces où un référendum aura lieu sont des décisions de politiques entièrement laissées aux soins des gouvernements et des assemblées législatives, du fait qu’elles mettent en cause des questions d’ordre politique. Mme le juge L’Heureux-Dubé a développé ce point en disant (aux pages 1046 et 1047) :

… le gouverneur en conseil n’est pas tenu de justifier un exercice particulier de son pouvoir discrétionnaire. Ainsi que le note le juge Dickson dans l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, aux pp. 112 et 113 :

Les gouvernements ne publient pas les motifs de leurs décisions; ils peuvent être mus par une foule de considérations d’ordre politique, économique ou social, ou par leur propre intérêt.

Les motifs qui ont pu inciter le gouverneur en conseil à la tenue d’un référendum ne sont pas contestés en l’espèce et il n’appartient pas aux tribunaux de se substituer au législateur et à son jugement politique.

En résumé, la politique portuaire nationale a pour objet la création d’un système de ports publics efficace pour la réalisation des objectifs sociaux et économiques aux plans tant national que régional et local et elle garantit l’égalité de traitement et le libre accès aux services de transport de marchandises et de passagers. Le mot « navire », défini très largement à l’article 2 de la Loi, comprend toute construction flottante. L’article 12 habilite le gouverneur en conseil à prendre des règlements en vue de la gestion, du contrôle, de l’exploitation et de l’utilisation des ports et installations portuaires y compris l’imposition et la perception de droits ou taxes sur les navires et les personnes faisant usage de ces installations. De nombreuses catégories de navires utilisent pareilles installations et il est compréhensible que les droits imposés varient en conséquence.

Sans doute, la définition du mot « navire » relève-t-elle de la discrétion du ministre à qui incombe, en vertu de l’article 4 de la Loi, la réalisation de la politique portuaire nationale. S’il s’agit, par cette initiative, d’accroître les recettes et de réduire le déficit, ce double objectif est non seulement louable, mais il est valide et autorisé par l’article 3 de la Loi pour que soit offert un service efficace dans le cadre de la politique portuaire nationale.

Point n’est possible d’alléguer non plus que le nouveau Règlement est discriminatoire. Comme l’écrit John Mark Keyes, auteur de l’ouvrage Executive Legislation : Delegated Law Making by the Executive Branch, cité précédemment (à la page 226) [traduction] « la discrimination peut surgir à partir d’autres distinctions, si leurs effets se reflètent inégalement sur des personnes de même situation ». Rien ne prouve que les droits imposés aux passagers ne frappent pas tous les navires de croisière. La seule évidence est que le nouveau Règlement ne les exige pas du transbordeur local Island Queen qui, bien sûr, n’est pas un navire de la même catégorie, n’offre pas le même genre de service et ne se trouve donc pas dans la même situation.

Par conséquent, je conclus que le Règlement en question n’est pas ultra vires au regard de la loi habilitante et que la demanderesse est en droit de percevoir les droits imposés aux navires de croisière visés en l’espèce pour les années 1988 à 1995 inclusivement (le montant pour 1995 a été maintenant fixé à 8 300 85 $ et consigné à la Cour). La demanderesse a ainsi droit à la somme de 60 937 12 $, les intérêts courus avant et après jugement ainsi que les dépens.



[1] L.R.C. (1985), ch. P-29.

[2] C.R.C., ch. 881.

[3] René Dussault et Louis Borgeat, Traité de droit administratif, 2e éd., vol. 1, Québec : Presses de l’Université Laval, 1984, aux p. 463 et 464.

[4] [1957] R.C.S. 569.

[5] Denys C. Holland et John P. McGowan, Delegated Legislation in Canada, Toronto : Carswell, 1989.

[6] [1963] 2 O.R. 343 (C.A.).

[7] John Mark Keyes, Executive Legislation : Delegated Law Making by the Executive Branch, Toronto : Butterworths, 1992.

[8] David Phillip Jones et Anne S. de Villars, Principles of Administrative Law, 2e éd., Toronto : Carswell, 1994.

[9] Tegon Developments Ltd. and Montreal Trust Company v. City of Edmonton and Alberta Minister of Culture (1977), 8 A.R. 384 (D.A.C.S.), confirmé sans rédaction de motifs par [1979] 1 R.C.S. 98.

[10] [1981] 1 R.C.S. 261.

[11] [1985] 1 R.C.S. 368.

[12] [1959] R.C.S. 121.

[13] [1968] A.C. 997 (H.L.).

[14] [1983] 1 R.C.S. 106.

[15] [1993] 2 R.C.S. 995.

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