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     A-456-96

Fadia Ezzat Khalil, Khaled Mohammad, Soha Mohammad et Lama Mohammad représentés par leur tutrice à l'instance Fadia Ezzat Khalil (appelants)

c.

Le secrétaire d'État du Canada (intimé)

Répertorié: Khalilc. Canada (Secrétaire d'État) (C.A.)

Cour d'appel, juges Linden, Robertson et McDonald, J.C.A."Toronto, 3 juin; Ottawa, 30 juin 1999.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Citoyens Demande de résidence permanente pour le mari, la femme et les enfants, conjointement signée par le mari et la femmeDroit d'établissement accordé à la familleUn arbitre a jugé par la suite que le mari n'était pas admissible pour cause de condamnation pénale antérieure et de fausse indication sur un fait important, faute de ne pas avoir révélé cette condamnationTrois ans après l'établissement, le juge de la citoyenneté, ignorant que le ministre envisageait d'ouvrir une enquête sur les appelants (la femme et les enfants) en raison de la fausse indication susmentionnée, a approuvé leur demande de citoyennetéLes appelants n'ont jamais été convoqués pour la prestation du serment de citoyennetéIls ne pouvaient prétendre à ordonnance de mandamus pour forcer le gouvernement à leur faire prêter ce sermentIls ne remplissent pas toutes les conditions préalables faute d'avoir prouvé qu'ils étaient légalement admis au CanadaIl était raisonnable de différer l'octroi de la citoyenneté en attendant que le statut du mari soit fixéIl échet d'examiner si les appelants étaient eux-mêmes sans reproche devant la Cour puisque la femme a signé sous serment la demande avec fausse indication sur un fait importantL'ordonnance de mandamus relève du pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes et comme il a exercé ce pouvoir de façon judicieuse, la Cour n'y touchera pas.

Droit administratif Contrôle judiciaire Mandamus CritèresIl échet d'examiner si la triple condition de l'injonction et de la suspension d'instance s'applique au recours en mandamusRejet du recours en mandamus pour forcer l'administration du serment de citoyenneté dans le cas où le ministre envisage d'engager une procédure pour cause de condamnation pénale et de fausse indication sur des faits importants.

En 1986, l'appelante Fadia Khalil, qui est la mère des trois autres appelants, a fait avec son mari une demande conjointe de résidence permanente. La famille s'est vu accorder le droit d'établissement en février 1987. En décembre 1988, un arbitre conclut que le mari était une personne non admissible par application de l'alinéa 27(1)a) de la Loi sur l'immigration et avait obtenu le droit d'établissement par suite d'une fausse indication sur des faits importants. Sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention a été subséquemment rejetée. En février 1990, la femme et les enfants demandent la citoyenneté canadienne; leur demande est approuvée en octobre 1990 par un juge de la citoyenneté qui les informe qu'ils seraient convoqués pour la prestation de serment. Selon un rapport établi en application de l'article 27 de la Loi sur l'immigration, les appelants étaient susceptibles d'enquête par application de la même Loi sous les mêmes chefs que pour le mari, mais le ministre a différé l'enquête en attendant l'issue de la procédure engagée contre ce dernier. À cette date, ils n'ont pas encore été convoqués pour la prestation du serment de citoyenneté. Les appelants ont introduit un recours en mandamus pour forcer le ministre à leur faire prêter ce serment. La Cour a refusé de rendre l'ordonnance de mandamus et a ajourné le recours par ce motif que le statut de l'appelante était incertain et ne serait pas connu avant que ne soit connue l'issue de la procédure engagée contre son mari. C'est cette décision qui fait l'objet de l'appel en instance.

Arrêt (le juge Robertson, J.C.A., dissident): il faut rejeter l'appel.

Le juge Linden, J.C.A.: L'ordonnance de mandamus est une mesure de redressement discrétionnaire. La Cour ne l'accorde que si les conditions évoquées par le juge Robertson dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), sont réunies. Deux de ces critères sont déterminants en l'espèce, savoir si les appelants remplissent toutes les conditions donnant lieu à l'obligation d'agir et, en second lieu, s'il y a en equity un obstacle au redressement recherché et si la décision relevait du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

Toutes les conditions préalables de l'obligation publique ne sont pas réunies puisque les appelants n'ont pas "été légalement admis au Canada" car il a été jugé qu'en ce qui concernait le mari, la demande conjointe de résidence permanente comportait une fausse indication grave. Au moment où il instruisait le dossier, le juge de la citoyenneté ne savait pas qu'une procédure était envisagée contre les appelants au sujet de cette fausse déclaration; ainsi donc, quand il les informa qu'ils remplissaient toutes les conditions d'accession à la citoyenneté canadienne, cette information était inexacte.

Dans les circonstances normales, la Loi n'investit pas le ministre du pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser la citoyenneté à quelqu'un qui en remplit les conditions, mais s'il est informé que ces conditions ne sont pas réunies, il peut différer l'octroi de la citoyenneté jusqu'à ce qu'il soit jugé que toutes les conditions nécessaires sont remplies. Toute autre conclusion reviendrait à le forcer à conférer la citoyenneté à quelqu'un qui a pu se faire admettre au Canada au moyen de fausses déclarations, et à engager la procédure de dénaturalisation immédiatement après. S'il est vrai qu'il n'est pas investi du pouvoir discrétionnaire de refuser la citoyenneté à quelqu'un qui en remplit les conditions, il faut qu'il retienne un certain pouvoir de refus dans le cas où il est constaté, avant que la citoyenneté n'ait été accordée, qu'il y a eu fausse déclaration concernant des faits essentiels, ou qu'il y a raisonnablement lieu de croire à l'existence de pareille fausse déclaration.

Celui qui conclut à une mesure de redressement en equity doit être lui-même sans reproche. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de décider si une fausse déclaration concernant un demandeur invalide ou non le visa de son conjoint. Cela dit, on ne saurait affirmer avec assurance que la femme, qui a attesté par sa signature sous serment la véracité d'une demande dont on devait découvrir subséquemment qu'elle contenait des fausses déclarations sur des faits essentiels, se soit présentée sans reproche devant la Cour et ait incontestablement droit à un redressement en equity. Les appelants ne se sont pas acquittés de l'obligation qui leur incombe de prouver qu'ils sont eux-mêmes sans reproche.

Au surplus, il est de droit constant que la délivrance ou le refus du bref de mandamus est une décision discrétionnaire qui ne sera pas réformée à moins que le juge du premier ressort n'ait commis une erreur flagrante dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le juge de première instance n'a pas mal jugé en refusant de rendre une ordonnance de mandamus; en conséquence, il ne faut pas toucher à sa décision discrétionnaire.

Le juge Robertson, J.C.A. (dissident): Il faudrait faire droit à l'appel. La décision de première instance n'est pas une décision discrétionnaire à l'égard de laquelle la juridiction d'appel doit faire preuve de réserve, et on ne peut pas dire non plus que les appelants ne se sont pas acquittés de l'obligation qui leur incombait de prouver qu'ils étaient eux-mêmes "sans reproche" devant la Cour fédérale. Enfin, les juges de la majorité ont adopté à tort une démarche qui confond les principes régissant le recours en mandamus et ceux qui régissent le recours en injonction interlocutoire.

Le ministre ne peut invoquer l'alinéa 27(1)e) pour conclure que les appelants n'ont pas été légalement admis au Canada et, conséquemment, que les conditions préalables de l'ordonnance de mandamus ne sont pas réunies. La simple allégation qu'une personne n'a pas été légalement admise au Canada n'est pas un motif suffisant pour refuser de délivrer le certificat de citoyenneté, une fois la demande agréée par un juge de la citoyenneté. Le ministre doit procéder par voie d'appel. Un demandeur accusé de fausse indication a le droit de se faire entendre en bonne et due forme. La Loi sur l'immigration prévoit expressément qu'il incombe à l'arbitre de juger si l'intéressé a obtenu le statut de résident permanent par des moyens frauduleux. En l'espèce, aucun arbitre n'a prononcé aucune conclusion défavorable au sujet des appelants.

Le ministre n'est pas investi d'un pouvoir résiduel pour dénier la citoyenneté sur la base d'une simple allégation de moyens frauduleux. Il avait au moins deux voies de droit pour s'assurer que la demande de citoyenneté de la femme ne serait pas agréée par le juge de la citoyenneté. Il aurait pu porter la soi-disant fausse déclaration à l'attention du greffier de la Cour de la citoyenneté, lorsque les investigations étaient en cours pour découvrir si la femme remplissait les conditions prévues par la Loi. Ou encore, il aurait pu, dans le délai réglementaire de 60 jours, former appel contre la décision du juge de la citoyenneté de faire droit à la demande des appelants. En refusant d'octroyer la citoyenneté, le ministre cherche à faire indirectement ce qui aurait dû se faire directement. En conséquence, les appelants ont droit à une ordonnance de mandamus à moins que, compte tenu du rapport des préjudices éventuels de part et d'autre, pareille ordonnance ne soit pas indiquée.

Par application du critère du rapport des préjudices éventuels de part et d'autre, tel que le définit la jurisprudence Apotex, la juridiction compétente retient le pouvoir discrétionnaire de refuser de rendre l'ordonnance si l'intérêt général l'emporte sur les intérêts de ceux qui, autrement, y auraient droit. Il ne s'agit pas d'un cas où il y a lieu pour la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du ministre. Il ne s'agit pas d'un cas exceptionnel mettant en jeu la santé ou la sécurité publique, ni d'un cas où une ordonnance de mandamus provoquerait le chaos administratif ou des dépenses inacceptables. L'ordonnance ne toucherait que les intérêts des appelants.

Il est de droit constant que celui qui fait une allégation a l'obligation de la prouver. Dans cet ordre d'idées, une simple allégation de fausse indication sur un fait important ne répond pas à cette charge de la preuve. Quoi qu'il en soit, on ne pourrait affirmer avec assurance que les appelants ne sont pas sans reproche. Le fait qu'une personne puisse être réputée, au regard de la Loi sur l'immigration, avoir donné une fausse indication sur un fait important ne signifie pas qu'elle n'est pas sans reproche dans le contexte du recours en equity. Pareille conclusion ne peut être tirée que s'il a été jugé que la femme a fait sciemment une fausse déclaration.

Le bref de mandamus n'est pas une ordonnance discrétionnaire. Le juge de première instance ne rend pas une ordonnance de mandamus par ce seul motif qu'à son avis, elle est indiquée. Le pouvoir discrétionnaire s'attache uniquement à l'examen du rapport des préjudices éventuels de part et d'autre. Ce qui est plus important encore, c'est que ce critère n'est pas le même que celui qui s'applique à la procédure en injonction ou en suspension d'instance. Les juges de la majorité ont confondu le critère à observer en matière de mandamus et celui applicable aux injonctions et aux suspensions d'instance.

Cet avis minoritaire s'expose à la critique de manque de réalisme, mais le ministre avait diverses options pour contester l'admissibilité des appelants à la citoyenneté. Puisqu'il a choisi de n'exercer aucune de ces options, il ne peut maintenant demander à la Cour de confirmer une mesure discrétionnaire qui déborde des dispositions expresses de la Loi.

    lois et règlements

        Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 3(1)c), 5(1), 10, 12, 14(1),(2),(5),(6), 17.

        Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 18, 19(1)c) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), g), 27(1)a) (mod. idem, art. 16), e).

        Règlement sur la citoyenneté, 1993, DORS/93-246, art. 3(6).

    jurisprudence

        décisions appliquées:

        Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742; (1993), 18 Admin. L.R. (2d) 122; 51 C.P.R. (3d) 339; 162 N.R. 177 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100; (1994), 176 N.R. 1; Ahani c. Canada, [1999] A.C.F. no 833 (C.A.) (QL); Fitzgerald v. Casualty Company of Canada (1981), 31 Nfld. & P.E.I.R. 521 (C.S.T.-N.); Borden v. Co-Operators General Insurance Company (1984), 63 N.S.R. (2d) 375; 5 C.C.L.I. 193 (C.S. 1re inst.); Independent Contractors & Business Assn. c. Canada (Ministre du Travail) (1998), 6 Admin. L.R. (3d) 92; 39 C.L.R. (2d) 121; 225 N.R. 19 (C.A.F.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Strange, C.J.P.C. v. Mackin, P.C.J. (1996), 176 R.N.-B. (2d) 321; 134 D.L.R. (4th) 243 (C.A.); Scott v. College of Physicians and Surgeons of Saskatchewan (1992), 95 D.L.R. (4th) 706; [1993] 1 W.W.R. 533; 100 Sask. R. 291 (C.A.); Corbeil and The Queen, Re (1986), 27 C.C.C. (3d) 245; 24 C.R.R. 174; 13 O.A.C. 382 (C.A. Ont.); Regina and Tracey, Re (1984), 44 O.R. (2d) 350; 4 D.L.R. (4th) 768; 9 C.C.C. (3d) 352 (C.A.).

        décisions examinées:

        D'Souza c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] 1 C.F. 343 (C.A.); Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. 299; (1997), 130 F.T.R. 294 (1re inst.); Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1999] A.C.F. no 1160 (C.A.) (QL); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; conf. (1995), 127 D.L.R. (4th) 329; 21 B.L.R. (2d) 68; 63 C.P.R. (3d) 67; 185 N.R. 291 (C.A.F.).

        décision citée:

        RJR "MacDonald Inc. v. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; (1994), 111 D.L.R. (4th) 385; 164 N.R. 1.

    doctrine

        Brown, Donald J. M. et John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition en feuillets mobiles. Toronto: Canvasback Publishing.

APPEL contre la décision de la Section de première instance (Khalil c. Canada (Secrétaire d'État) (1996), 36 Imm. L.R. (2d) 201 (C.F. 1re inst.)) qui a refusé de rendre une ordonnance de mandamus pour forcer le gouvernement à faire prêter le serment de citoyenneté aux appelants et a ajourné leur recours indéfiniment en attendant l'issue de la procédure engagée contre le mari de la principale appelante. Appel rejeté.

    ont comparu:

    Barbara L. Jackman pour les appelants.

    Ian Hicks pour l'intimé.

    avocats inscrits au dossier:

    Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour les appelants.

    Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A.:

Introduction

[]Cet appel porte sur la question de savoir si le juge de première instance [(1996), 36 Imm. L.R. (2d) 201] a abusé de son pouvoir discrétionnaire en refusant de rendre une ordonnance de mandamus pour forcer le ministre à faire prêter le serment de citoyenneté aux appelants qui sont l'épouse et les enfants du codemandeur, le mari, ces personnes ayant acquis ensemble le droit d'établissement après avoir dissimulé une condamnation antérieure du mari pour homicide, laquelle condamnation, eût-elle été connue, leur eût interdit l'admission au Canada par application de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration1.

Les faits de la cause et la décision entreprise

[]Les faits de la cause ne sont pas contestés. Les appelants sont Fadia Khalil, la mère, et ses trois enfants, Khaled Mohammad, Soha Mohammad et Lama Mohammad. Fadia Khalil et son mari Mahmoud Mohammad ont demandé le droit de résidence permanente à l'automne 1986. Il s'agissait d'une demande conjointe remplie par le mari et signée sous serment par les deux. Cette demande indiquait que ni la femme ni le mari "n'avait jamais été jugé coupable d'un crime ou infraction". Au-dessous de l'espace réservé à la signature, figurait cette mention:

Je reconnais que toute fausse déclaration de ma part ou dissimulation d'un fait important pourra entraîner mon exclusion du Canada et constituer des motifs à des poursuites contre moi ou à mon renvoi2.

[]La demanderesse Fadia Khalil et son mari ont été admis avec droit d'établissement au Canada en février 1987. En février 1990, elle a demandé, avec ses enfants, la citoyenneté canadienne. En septembre 1990, le juge de la citoyenneté qui lui faisait passer les épreuves requises, l'a informée qu'elle remplissait les conditions de citoyenneté et qu'elle serait convoquée pour la prestation de serment. Le 23 octobre 1990, un juge de la citoyenneté a approuvé sa demande de citoyenneté canadienne. Cette approbation a été étendue aux enfants en même temps.

[]Il se trouve qu'antérieurement à décembre 1988, il y a eu un rapport d'où il ressort que le mari Mahmoud Mohammad était un résident permanent qui, s'il n'avait pas obtenu le droit d'établissement, n'aurait pas été admissible par application de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration, en raison de crimes commis à l'étranger.

[]En décembre 1988, Mohammad a été amené devant un arbitre de l'immigration, devant lequel ont été produites des preuves et témoignages établissant que l'intéressé avait été jugé par un tribunal de Grèce coupable de trois chefs d'accusation: a) homicide par négligence; b) atteinte à la sécurité du transport aérien; et c) usage d'une arme dans l'acte d'homicide. L'arbitre de l'immigration a conclu: a) que Mohammad était classé à juste titre personne non admissible par application de l'alinéa 27(1)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de la Loi, et b) qu'il était un résident permanent ayant obtenu le droit d'établissement par suite d'une fausse indication sur des faits importants. Au cours de l'enquête, Mohammad a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, mais en vain.

[]La fausse indication portée sur la demande de résidence permanente concernait certes le mari, mais la femme a elle aussi signé cette demande sous serment.

[]Selon le ministre, les appelants sont susceptibles d'enquête sous le régime de la Loi sur l'immigration sous les mêmes chefs que pour le mari. En effet, un rapport dans ce sens a été établi contre les appelants en 1991 en application de l'article 27, mais le ministre a différé l'enquête en attendant l'issue de la procédure engagée contre le mari. À cette date, ils n'ont pas encore été convoqués pour la prestation du serment de citoyenneté.

[]Les appelants ont saisi la Section de première instance d'un recours en mandamus pour forcer le ministre à leur faire prêter ce serment.

[]Le juge de première instance saisi de l'affaire a ajourné ce recours en contrôle judiciaire après avoir noté que l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29] (la Loi) prévoit entre autres conditions que la citoyenneté n'est accordée qu'à la personne qui "a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent"3. Il a conclu que le statut de l'appelante était incertain, et ne serait pas connu avant que ne soit connue l'issue de la procédure engagée contre son mari:

Il est évident que le ministre ne peut rendre la décision nécessaire concernant l'effet de l'alinéa 5c) [sic] avant l'issue de la demande de M. Mohammad en vue de la révocation de son statut4.

[]Le juge de première instance a encore noté que l'article 10 de la même loi prévoit la révocation de la citoyenneté dans le cas où elle a été accordée par suite de fausses déclarations. À son avis, l'existence d'une procédure de dénaturalisation prévue par la loi excluait le recours à l'ordonnance de mandamus pour forcer le ministre à accorder la citoyenneté. Et de conclure:

À mon sens, il est certainement plus logique que le ministre fasse d'abord enquête sur ce que l'on soupçonne être des fausses déclarations avant d'accorder la citoyenneté en l'espèce plutôt que de s'exposer à la procédure extrêmement complexe de révocation évoquée à l'article 18. Le 22 mai 1996, l'avocate du ministre a de nouveau confirmé qu'elle continuait de conseiller au ministre de ne prendre aucune mesure visant le renvoi des requérants tant que le statut de l'époux de la requérante n'avait pas été réglé définitivement, et de consentir à l'ajournement indéfini de ces procédures5.

Analyse

[]L'ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity. La Cour ne l'accorde que si les conditions suivantes, définies par le juge Robertson dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général)6, sont réunies:

    a) il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public dans les circonstances de la cause;

    b) l'obligation doit exister envers le demandeur;

    c) il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, et notamment, le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

    d) le demandeur n'a aucun autre recours;

    e) l'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

    f) dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé; et

    g) compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue7.

[]À mon avis, deux des critères susmentionnés sont déterminants en l'espèce, savoir en premier lieu si les appelants remplissent toutes les conditions donnant lieu à l'obligation visée à l'alinéa c) ci-dessus et, en second lieu, s'il y a en equity un obstacle au redressement recherché et si la décision relevait du pouvoir discrétionnaire de la Cour, dont il est question à l'alinéa f). Étant donné les conclusions que je tire sur ces points, il n'est pas nécessaire d'examiner l'affaire sous l'angle du rapport des préjudices éventuels de part et d'autre, savoir le critère visé à l'alinéa g).

Toutes les conditions préalables ne sont pas réunies

[]L'ordonnance de mandamus est soumise à toutes les conditions préalables qui donnent lieu à l'obligation publique8. En l'espèce, l'une de ces conditions est que les appelants aient "été légalement admis au Canada". Il a été jugé qu'en ce qui concerne le mari, la demande conjointe de résidence permanente comportait une fausse déclaration grave. Au moment où il instruisait cette demande, le juge de la citoyenneté ne savait pas qu'une procédure était envisagée contre les appelants au sujet de cette fausse déclaration; ainsi donc, quand il les informa qu'ils remplissaient toutes les conditions d'accession à la citoyenneté canadienne, cette information était inexacte.

[]Je conviens avec mon collègue le juge Robertson, J.C.A. que, dans les circonstances normales, la Loi n'investit pas le ministre du pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser la citoyenneté à quelqu'un qui en remplit les conditions9. Cependant, les articles 5 et 12 de la même Loi ne lui font pas obligation de conférer automatiquement la citoyenneté dans tous les cas à toute personne recommandée à cet effet par un juge de la citoyenneté. Ils prescrivent d'octroyer la citoyenneté, dans le cours normal des choses, à quiconque satisfait aux conditions qui y sont prévues. Le ministre ne peut refuser arbitrairement la citoyenneté à quelqu'un qui remplit ces conditions. Dans le cas cependant où il est informé que les conditions prévues par la Loi ne sont pas réunies, il peut différer l'octroi de la citoyenneté jusqu'à ce qu'il soit jugé que toutes les conditions nécessaires sont remplies. Toute autre conclusion reviendrait à le forcer à conférer la citoyenneté à quelqu'un qui a pu se faire admettre au Canada au moyen de fausses déclarations, et à engager la procédure de dénaturalisation immédiatement après. S'il est vrai qu'il n'est pas investi du pouvoir discrétionnaire de refuser la citoyenneté à quelqu'un qui en remplit les conditions, il faut qu'il retienne un certain pouvoir de refus dans le cas où il est constaté, avant que la citoyenneté n'ait été accordée, qu'il y a eu fausse déclaration concernant des faits essentiels, ou qu'il y a raisonnablement lieu de croire à l'existence de pareille fausse déclaration.

Irrecevabilité en equity et pouvoir discrétionnaire

[]La Cour ne rend une ordonnance de mandamus que si aucun obstacle ne s'y oppose en equity. Il est de droit constant que celui qui conclut à une mesure de redressement en equity doit être lui-même sans reproche. En l'espèce, l'intimé soutient qu'une fausse déclaration dans la demande conjointe de résidence permanente discrédite tous les demandeurs, citant à cet effet l'arrêt D'Souza c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration10 de notre Cour. Si la conclusion de l'intimé est fondée ou si on peut dire qu'il pourrait la faire valoir ultérieurement, on ne peut dès lors dire que les demandeurs sont sans reproche.

[]Dans D'Souza, la mère de l'appelant, dans sa demande de droit d'établissement, a fait une fausse déclaration sur des faits essentiels concernant ce dernier. L'appelant soutenait que cette fausse déclaration faite par sa mère ne devait pas invalider son statut de résident permanent. La Cour a refusé de réformer l'ordonnance d'expulsion, concluant que la conscience de la fausse déclaration était un facteur en l'espèce, mais pourrait n'avoir aucun effet dans les causes à venir. Le juge en chef Thurlow a conclu en ces termes11:

[. . .] la Commission n'a pas conclu que l'appelant ne savait pas à l'époque considérée que sa mère avait fourni une réponse inexacte. Suivant la preuve, et compte tenu des circonstances dans lesquelles les demandes ont été faites, il se peut que la Commission n'ait pas été convaincue que l'appelant ne le savait pas [. . .]

Quoi qu'il en soit, pour adopter l'interprétation de la loi que propose l'appelant, il faudrait, à mon avis, trouver dans la loi d'autres termes qui restreignent son application aux situations où la personne concernée savait que la déclaration a été faite. Je ne crois pas que la Cour puisse ajouter ou insérer ces termes. À mon avis, s'il y a lieu de limiter l'application de la loi, c'est au Parlement qu'il appartient de le faire. Par conséquent, cet argument échoue. [Non souligné dans l'original.]

[]Dans Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)12, le juge MacKay conclut que d'interpréter le concept de "fausse déclaration" figurant à l'alinéa 27(1)e ) de la Loi de façon à le limiter à la fausse déclaration délibérée ou intentionnelle, c'est-à-dire à la fausse déclaration sciemment faite par le demandeur, reviendrait à réduire le sens du dernier membre de phrase de cette disposition, savoir qu'il y a lieu à rapport en cas de "moyens frauduleux ou irréguliers ou [. . .] fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclaration sont le fait d'un tiers" [non souligné dans l'original].

[]À mon avis, les précédents D'Souza et Mohammed ne tranchent pas définitivement la question de savoir si la fausse représentation faite dans la demande conjointe au sujet de Mahmoud Mohammad suffit à justifier le renvoi de sa femme et de ses enfants hors du Canada. D'une part, les termes de la Loi et la formulation de la demande sont suffisamment larges pour que la femme soit en faute en l'espèce, puisqu'elle a affirmé par sa signature sous serment qu'aucune des personnes énumérées dans la demande n'avait été jugée coupable de quelque infraction que ce soit. D'autre part cependant, dans D'Souza comme dans Mohammed, la fausse déclaration concernait l'appelant lui-même. En l'espèce, la fausse déclaration concerne seulement M. Mohammad, mais non les dossiers personnels des appelants.

[]La question n'ayant été débattue ni pleinement ni à juste titre devant la Cour, il n'est pas nécessaire que je me prononce là-dessus. Qu'une fausse déclaration concernant un demandeur invalide ou non le visa de son conjoint, voilà une question qu'il faut peut-être résoudre avant que les appelants ne puissent être renvoyés hors du Canada. Cela dit, on ne saurait affirmer avec assurance que la femme, qui a attesté par sa signature sous serment la véracité d'une demande, dont on devait découvrir subséquemment qu'elle contenait des fausses déclarations sur des faits essentiels, se soit présentée sans reproche devant la Cour et ait incontestablement droit à un redressement en equity.

[]Le justiciable qui exerce un recours en equity est tenu de prouver qu'il est lui-même sans reproche devant la Cour13. Ce que n'ont pas encore fait les appelants en l'espèce.

[]Une autre particularité du recours en mandamus, qui est primordiale en l'espèce, est que la décision portée en appel relevait du pouvoir discrétionnaire du juge saisi du contrôle judiciaire. Dans Ahani c. Canada14, dont le jugement fut rendu à l'audience deux jours avant l'audition de l'affaire en instance, notre Cour a refusé de réformer la décision discrétionnaire de la Section de première instance. Mme Jackman, qui est aussi l'avocate de la demanderesse en l'espèce, faisait valoir avec force le principe de non-ingérence dans les décisions discrétionnaires de première instance. Notre Cour a fait droit à cet argument, qu'elle a résumé en ces termes:

La compétence de la Cour pour intervenir lors d'un appel interjeté d'une décision mettant en cause la question de savoir si un sursis doit être accordé est bien établie. Ce n'est que lorsque le juge des requêtes a mal appliqué le droit ou a donné une interprétation erronée de la preuve, ou lorsque les circonstances ont changé après que le juge des requêtes a prononcé son ordonnance au point qu'elles justifient une intervention, que la Cour exercera sa compétence pour intervenir. En bref, la Cour n'exerce sa compétence que lorsqu'il est clair que le juge des requêtes n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire avec discernement.

Même si nous aurions pu exercer notre pouvoir discrétionnaire autrement que l'a fait le juge des requêtes, nous sommes incapables d'affirmer que le juge des requêtes a exercé sa discrétion de façon telle que notre intervention est justifiée15. [Non souligné dans l'original.]

[]Le principe de réserve à l'égard du pouvoir discrétionnaire des tribunaux de première instance n'est pas nouveau. Dans Independent Contractors & Business Assn. c. Canada (Ministre du Travail)16, le juge Stone J.C.A. a réitéré le principe de non-ingérence de notre Cour dans la décision discrétionnaire du juge des requêtes, par cette conclusion au paragraphe 21 [pages 100 et 101] des motifs de son jugement: "une cour d'appel ne sera justifiée d'intervenir dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance que si celui-ci s'est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice".

[]Il est vrai qu'au fil des ans, les cours ont développé divers critères applicables à l'exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de brefs de prérogative, mais il est de droit constant que la délivrance ou le refus du bref de mandamus est une décision discrétionnaire qui ne sera pas réformée à moins que le juge du premier ressort n'ait commis une erreur flagrante dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire17.

Application des règles de droit aux faits de la cause

[]À mon avis, le juge de première instance n'a pas mal jugé en refusant de rendre une ordonnance de mandamus; en conséquence, je ne toucherais pas à sa décision discrétionnaire. En premier lieu, les appelants n'ont pas prouvé qu'ils remplissent toutes les conditions de citoyenneté. Bien qu'un juge de la citoyenneté ait pu leur dire qu'ils satisfaisaient à toutes ces conditions, il ne savait pas qu'une procédure était en cours du fait que la demande de résidence permanente comporterait une fausse indication sur un fait important. Je ne suis pas enclin à forcer le ministre à conférer la citoyenneté à quelqu'un contre qui une allégation de fausse déclaration grave a été faite. Le ministre ne fait pas preuve d'arbitraire en s'y refusant. De fait, on pourrait dire qu'il manquerait à ses responsabilités s'il l'avait fait en tenant pour avérés, en toute bonne foi, les faux renseignements donnés dans la demande.

[]En second lieu, la femme n'a pas fait la preuve qu'elle-même est sans reproche. Bien qu'il ne soit pas nécessaire de décider pour le moment que la fausse déclaration quant à la condamnation antérieure du mari suffit à motiver le renvoi de la femme hors du Canada, je pense qu'il y a suffisamment de preuves pour justifier une enquête plus poussée en la matière. Ainsi donc, le juge de première instance était fondé à refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur des demandeurs en cet état de la cause et à ne pas ordonner la mesure de redressement draconienne qu'est le mandamus.

[]Le Ministère a expliqué pourquoi il tardait à engager la procédure contre les appelants. Il a été certes jugé que le mari n'est pas un réfugié au sens de la Convention, mais il lui est encore possible d'interjeter appel de cette décision. À la suite de l'appel, il pourrait encore faire une demande à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) et, si celle-ci était rejetée, faire valoir des raisons d'ordre humanitaire pour demander à demeurer au Canada. Subsidiairement, il pourrait demander la prorogation du délai d'appel contre la décision du juge de la citoyenneté et/ou la décision de procéder à une enquête sous le régime de la Loi sur l'immigration. À l'issue de l'une quelconque de ces procédures, il se peut bien qu'il acquière le droit de demeurer au Canada.

[]Si l'État devait engager la procédure (que ce soit avant ou après l'accession à la citoyenneté) contre les demandeurs, une situation difficile pourrait se produire: la femme et les enfants pourraient être renvoyés hors du Canada alors que le mari pourrait être autorisé à y demeurer. En cet état de la cause, l'État a fait savoir explicitement qu'il n'agirait pas contre les appelants en attendant l'issue de la procédure engagée contre le mari.

[]Une ordonnance de mandamus qui forcerait l'État à conférer la citoyenneté en l'espèce l'obligerait à engager tout de suite après la procédure de dénaturalisation, tout en poursuivant la procédure contre le mari. Il m'est impossible de concevoir une conclusion qui aboutirait à pareil état de choses.

[]Il faut noter en conclusion que le sort ultime de cette famille n'est pas décidé dans cet appel, quelle qu'en soit l'issue ultime. Il faudra d'autres procédures les concernant tous avant que son sort ne soit décidé.

[]Je me prononce pour le rejet de l'appel.

Le juge McDonald, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.

    ***

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[]Le juge Robertson, J.C.A. (dissident): Il y a en l'espèce appel contre l'ordonnance par laquelle la Section de première instance a rejeté le recours en mandamus tendant à forcer le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à conférer la citoyenneté aux appelants. Par les motifs qui suivent, je conclus que le juge des requêtes a commis une erreur et, puisque mes collègues sont parvenus à la conclusion contraire, je dois marquer mon désaccord. En particulier, je ne partage pas leur croyance que la décision de première instance est une décision discrétionnaire à l'égard de laquelle la juridiction d'appel doit faire preuve de réserve, ni leur conclusion que les appelants (dont trois étaient des enfants en bas âge) ne se sont pas acquittés de l'obligation qui leur incombait de prouver qu'ils étaient eux-mêmes "sans reproche" devant la Cour fédérale. Enfin, sauf le grand respect que je leur dois, je pense qu'ils ont adopté à tort une démarche qui confond les principes régissant le recours en mandamus et ceux qui régissent le recours en injonction interlocutoire. Mon analyse commencera par un rappel des faits essentiels de la cause, qui ne sont pas contestés.

[]Fadia Khalil et Mahmoud Mohammad Issa Mohammad (M. Mohammad) se sont mariés le 19 août 1976. Le 3 novembre 1986, Mme Khalil a signé une demande conjointe de résidence permanente, laquelle aurait été remplie par son mari, et l'a déposée auprès de l'ambassade du Canada en Espagne. Le 25 février 1987, ils se sont vu accorder le statut de résidents permanents ainsi que le droit d'établissement au Canada, avec leurs trois enfants en bas âge. Subséquemment, il y a eu un rapport établi en application du paragraphe 27(1) de la Loi sur l'immigration, à la suite de quoi M. Mohammad a été convoqué à une enquête d'immigration. Selon ce rapport, celui-ci n'aurait pas dû se voir accorder le droit d'établissement du fait qu'il appartenait à une catégorie non admissible au sens de l'alinéa 19(1)c), en ce qu'il avait commis à l'extérieur du Canada une infraction qui, eût-elle été commise dans ce pays, aurait été passible d'une peine d'emprisonnement maximale de 10 ans.

[]M. Mohammad avait été jugé par un tribunal de Grèce, coupable entre autres d'homicide par négligence à la suite d'une attaque contre un appareil de la compagnie El Al à l'aéroport d'Athènes en 1968. En août 1970, après qu'il eut été emprisonné pendant un an et demi environ, le gouvernement grec l'a gracié en commutant sa peine initialement fixée à 18 ans d'emprisonnement.

[]L'arbitre saisi de l'affaire a conclu que M. Mohammad tombait sous le coup à la fois de l'alinéa 27(1)a) du fait qu'il appartenait à une catégorie non admissible visée à l'alinéa 19(1)c), et de l'alinéa 27(1)e), du fait qu'il avait obtenu le droit d'établissement par suite d'une fausse indication sur des faits importants. Au cours de l'enquête cependant, M. Mohammad a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. À la clôture de l'enquête le 15 décembre 1988, l'arbitre a conclu qu'il pouvait être renvoyé hors du Canada, sous réserve du jugement sur sa revendication du statut de réfugié. Celle-ci a été entendue en 1996 par la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui l'a rejetée.

[]Le 26 février 1990, Mme Khalil et ses trois enfants (les appelants) ont demandé la citoyenneté sous le régime de l'article 5 de la Loi sur la citoyenneté. Le 26 septembre 1990, elle comparaît devant un juge de la citoyenneté qui a conclu qu'elle replissait les conditions d'accession à la citoyenneté canadienne. Le 23 octobre 1990, sa demande de citoyenneté est formellement agréée par le juge de la citoyenneté, et un avis de décision est envoyé le même jour au ministre compétent. Cependant, Mme Khalil n'a pas été convoquée pour la prestation du serment de citoyenneté, qui est requise avant que le certificat de citoyenneté ne prenne effet; le ministre n'a pas formé appel non plus contre la décision du juge de la citoyenneté. En janvier 1991, le ministère de l'Emploi et de l'Immigration informe le ministre que Mme Khalil devait faire l'objet d'une enquête sous le régime de l'article 27 de la Loi sur l'immigration, mais que cette enquête était différée en attendant la clôture de l'enquête relative à M. Mohammad. Il est constant que cette dernière était terminée en 1988, avant l'information soumise au ministre en janvier 1991. Le ministre n'a jamais convoqué l'enquête prévue à l'article 27 de la Loi sur l'immigration, afin de découvrir la vérité au sujet des fausses déclarations qu'aurait faites Mme Khalil.

[]Le 1er septembre 1992, les appelants saisissent la Cour fédérale d'un recours en mandamus par voie de demande de contrôle judiciaire, parce que le ministre ne leur permettait pas de prêter le serment de citoyenneté, qui est requis avant que le certificat de citoyenneté ne prenne effet.

[]Le juge de première instance a refusé de rendre l'ordonnance, mais a ajourné l'affaire sine die, en attendant l'issue de la procédure engagée contre M. Mohammad. C'est ce refus et la décision d'ajourner l'affaire sine die que vise l'appel en l'espèce.

[]Avant d'examiner le litige à la lumière des principes en vigueur en matière de mandamus, j'estime qu'il y a lieu de passer brièvement en revue les textes applicables.

[]L'article 5 de la Loi sur la citoyenneté est la disposition générale régissant l'octroi de la citoyenneté par le ministre. Essentiellement, il prévoit que le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui en fait la demande et qui remplit certaines conditions expressément prévues, dont le fait d'avoir été légalement admis au Canada. Aux termes du paragraphe 3(6) du Règlement sur la citoyenneté, 1993 [DORS/93-246] le greffier de la Cour de la citoyenneté est tenu, sur réception de la demande, de faire "entreprendre sans délai les enquêtes nécessaires pour déterminer si le demandeur remplit les conditions prévues par la Loi et le [. . .] règlement". L'article 17 de la Loi sur la citoyenneté prévoit que si le ministre, une fois saisi de la demande, estime ne pas avoir tous les renseignements nécessaires pour lui permettre de juger si le demandeur remplit les conditions prévues par la Loi, il peut suspendre l'instruction de cette demande jusqu'à six mois afin d'avoir le temps de s'assurer les renseignements qui manquent. Une fois les investigations terminées, le greffier doit soumettre la demande à un juge de la citoyenneté. Selon l'article 14 de la Loi, celui-ci doit examiner dans les 60 jours si le demandeur remplit les conditions prescrites par la Loi et le règlement. Une fois la demande agréée, le ministre est tenu par le paragraphe 12(2) de délivrer à l'intéressé un certificat de citoyenneté. Le paragraphe 12(3) prévoit cependant que ce certificat ne prend effet qu'après la prestation du serment de citoyenneté. L'application du paragraphe 12(2) est encore subordonnée au paragraphe 14(5), aux termes duquel le ministre peut interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel auprès de la Cour dans les 60 jours de l'approbation de la demande. Pour en faciliter la consultation, ces dispositions sont reproduites à l'annexe "A" des présents motifs.

[]En l'espèce, toutes les investigations nécessaires ont été faites sans l'intervention du ministre. Celui-ci n'a pas formé appel non plus, en application de l'article 14, après que la demande des appelants eut été approuvée par le juge de la citoyenneté. Il échet donc uniquement d'examiner si ces derniers ont droit à une ordonnance de mandamus dans ces conditions. Dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général)18, notre Cour a défini les conditions nécessaires de l'ordonnance de mandamus. Sur les huit conditions énumérées dans cette cause, les parties conviennent que trois seulement ont un rapport avec cet appel.

[]La première objection du ministre est qu'en l'espèce, le recours en mandamus est irrecevable au regard des règles d'equity. Son deuxième argument, qui est lié au premier, est que les appelants n'ont pas manifestement droit à l'ordonnance recherchée, puisqu'ils n'ont pas été légalement admis au Canada, comme le requiert l'article 5 de la Loi. Enfin, le ministre soutient que le rapport des préjudices éventuels de part et d'autre est tel qu'il n'y a pas lieu de rendre une ordonnance de mandamus. J'examinerai tour à tour ces trois arguments.

[]Pendant les débats, le ministre soutient que les agissements des appelants valent en equity motif d'irrecevabilité du recours en mandamus. Plus spécifiquement, il doute que Mme Khalil ait donné tous les renseignements nécessaires dans sa demande de résidence permanente. S'il est vrai que celle-ci ne se servait pas du nom de famille de son mari dans la formule de demande, ce document indique qu'elle est l'épouse de "Mahmoud Mohammad Issa Mohammad". À la clôture des débats, le ministre a reconnu qu'elle n'avait pas cherché à l'induire en erreur.

[]Le deuxième argument du ministre est que toutes les conditions nécessaires de l'ordonnance de mandamus ne sont pas réunies, en ce que les appelants n'ont pas été légalement admis au Canada. Il fait observer que selon l'alinéa 27(1)e) de la Loi sur l'immigration, quiconque a obtenu le droit d'établissement par suite d'une fausse indication sur un fait important peut être renvoyé du Canada, même si la fausse déclaration a été le fait d'un tiers. Voici ce que porte cette disposition:

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:

    [. . .]

    e) a obtenu le droit d'établissement soit [. . .] par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d'une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d'un tiers. [Non souligné dans l'original.]

[]En bref, le ministre interprète l'alinéa 27(1)e) comme signifiant qu'en cas de demande conjointe de droit d'établissement, il suffit que l'un des demandeurs donne une fausse indication sur un fait important pour que les deux soient disqualifiés. Puisqu'il a été jugé que M. Mohammad a donné une fausse indication de ce genre, le ministre conclut que Mme Khalil peut, ipso facto, être renvoyée elle aussi, citant à cet effet la décision D'Souza c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration19. De son côté, l'avocate des appelants soutient que Mme Khalil n'était pas au courant des verdicts de culpabilité prononcés contre son mari au moment de leur mariage ni au moment de leur demande de résidence permanente et de droit d'établissement. Selon son témoignage par affidavit, Mme Khalil n'écrivait ni ne parlait l'anglais au moment où la demande conjointe remplie par son mari fut soumise à l'ambassade du Canada en Espagne. Mme Jackman soutient que le ministre doit convoquer une enquête afin que Mme Khalil ait la possibilité de contester l'allégation de fausse indication et l'interprétation par le ministre de l'alinéa 27(1)e), ainsi que la portée et l'effet de la jurisprudence D'Souza. Je conviens avec Mme Jackman que cette question ne peut être résolue qu'au stade de l'enquête, où il incombera à Mme Khalil de prouver qu'elle n'était pas au courant des fausses indications données par son mari et qu'elle n'aurait pas dû être renvoyée hors du Canada sous ce chef.

[]Il résulte de ce qui précède que le ministre ne peut invoquer l'alinéa 27(1)e) pour conclure que les appelants n'ont pas été légalement admis au Canada et, conséquemment, que les conditions préalables de l'ordonnance de mandamus ne sont pas réunies. La simple allégation qu'une personne n'a pas été légalement admise au Canada n'est pas un motif suffisant pour refuser de délivrer le certificat de citoyenneté, une fois la demande agréée par un juge de la citoyenneté. Le ministre doit procéder par voie d'appel. Un demandeur accusé de fausse indication a le droit de se faire entendre en bonne et due forme. La Loi sur l'immigration prévoit expressément qu'il incombe à l'arbitre de juger si l'intéressé a obtenu le statut de résident permanent par des moyens frauduleux. En l'espèce, aucun arbitre n'a prononcé aucune conclusion défavorable au sujet des appelants.

[]Enfin, je n'accepte pas l'argument que le ministre est investi d'un pouvoir résiduel pour dénier la citoyenneté sur la base d'une simple allégation de moyens frauduleux. Il avait au moins deux voies de droit pour s'assurer que la demande de citoyenneté de Mme Khalil ne serait pas agréée par le juge de la citoyenneté. En premier lieu, il aurait pu porter la soi-disant fausse déclaration à l'attention du greffier de la Cour de la citoyenneté, lorsque les investigations étaient en cours pour découvrir si Mme Khalil remplissait les conditions prévues par la Loi. L'eût-il fait et eût-il ordonné ensuite l'enquête visée à l'alinéa 27(1)e), le juge de la citoyenneté n'aurait pas fait droit à la demande de citoyenneté, et cette longue procédure n'aurait pas été engagée. Il y a lieu de noter que telle était la démarche suivie par le ministre dans Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1999] A.C.F. no 1160 (C.A.) (QL). M. Moumdjian demandait la citoyenneté canadienne mais l'instruction de sa demande a été différée par ce motif qu'il n'était pas admissible au Canada par application de l'alinéa 19(1)g) de la Loi sur l'immigration. Dans cette affaire cependant, des mesures ont été immédiatement prises en application de la même Loi pour l'expulser pour cause d'inadmissibilité.

[]Ou encore, le ministre aurait pu, dans les 60 jours, former appel contre la décision du juge de la citoyenneté de faire droit à la demande des appelants, et ce par ce motif que Mme Khalil avait obtenu le statut de résident permanent par suite d'une fausse indication sur un fait important et qu'une enquête avait été ouverte en application de l'alinéa 27(1)e). Il se trouve cependant que le ministre n'a poursuivi ni l'une ni l'autre voie de droit, bien qu'il sache dès le début que le cas des appelants se prêtait à une enquête. Je n'accepte pas, à l'opposé de mes collègues, l'argument que le ministre retient le pouvoir discrétionnaire de refuser la citoyenneté pour cause de fausse indication sur un fait important, alors que le législateur a institué un régime légal précis pour le refus d'octroyer la citoyenneté sous ce chef. En refusant d'octroyer la citoyenneté, le ministre cherche à faire indirectement ce qui aurait dû se faire directement. En conséquence, les appelants ont droit à une ordonnance de mandamus à moins que, compte tenu du rapport des préjudices éventuels de part et d'autre, pareille ordonnance ne soit pas indiquée.

[]Par application du critère du rapport des préjudices éventuels de part et d'autre, tel que le définit la jurisprudence Apotex, la juridiction compétente retient le pouvoir discrétionnaire de refuser de rendre l'ordonnance si l'intérêt général l'emporte sur les intérêts de ceux qui, autrement, y auraient droit. Le ministre soutient que ce serait contraire au bon sens de délivrer le certificat de citoyenneté aux appelants, juste pour engager tout de suite après la procédure de dénaturalisation prévue à l'article 18 de la Loi. Bien que cet argument ne soit pas dénué de fondement du point de vue pratique"et de toute évidence il a persuadé le juge de première instance d'ajourner l'affaire sine die", il ne saurait être retenu.

[]Dans Apotex, deux facteurs ont été relevés à titre de facteurs déterminants de la question de savoir s'il y a lieu pour la Cour de refuser l'ordonnance de mandamus et d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de l'intérêt général. Ces facteurs ont un rapport avec l'affaire en instance. En premier lieu, le refus s'impose dans le cas où le coût ou le chaos administratif qui s'ensuivrait est évident et inacceptable. Le second motif, qui est plus spéculatif, se fait jour dans les cas où le risque pour la santé ou la sécurité publique l'emporte sur le droit de l'individu de poursuivre ses intérêts personnels ou économiques. Prononçant le jugement de notre Cour, j'ai mis en garde contre l'application du rapport des préjudices respectifs éventuels pour rejeter le recours en mandamus, sauf dans les cas les plus évidents (page 794):

En fait, le critère de la balance des inconvénients autorise la Cour à utiliser son pouvoir discrétionnaire pour remplacer la règle des considérations pertinentes ainsi que la doctrine des droits acquis. Ce critère ne devrait donc être utilisé que dans les cas les plus évidents et il ne faudrait pas le considérer comme une panacée permettant de combler les lacunes des textes législatifs. À moins que les tribunaux ne soient prêts à se laisser entraîner dans le domaine réservé aux élus, toute tentative de s'engager dans la pondération des intérêts doit s'effectuer dans un respect rigoureux des règles de droit. [Non souligné dans l'original.]

[]Nous ne sommes pas en présence d'un cas où il y a lieu pour la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du ministre. Il ne s'agit pas d'un cas exceptionnel mettant en jeu la santé ou la sécurité publique, ni d'un cas où une ordonnance de mandamus provoquerait le chaos administratif ou des dépenses inacceptables. L'ordonnance ne toucherait que les intérêts des appelants. Leur dénier ce redressement signifierait que leur sort serait entièrement entre les mains du ministre, qui, pendant 11 ans, n'a pris aucune mesure administrative pour remettre en question leur droit au statut de résident permanent et à la citoyenneté.

[]Il faut reconnaître que c'est en bonne foi que le ministre a différé toute action contre les appelants en attendant que le cas de Mohammad soit résolu. Cela ne le libère toutefois pas de l'obligation de se conformer au régime légal institué par le législateur. Les appelants ont le droit de savoir dans les meilleurs délais s'il leur sera permis de demeurer au Canada.

[]Je tiens à relever seulement deux points dans les motifs pris par mes collègues. En premier lieu, ils concluent qu'on ne saurait dire avec "assurance" que les appelants sont eux-mêmes sans reproche devant la Cour. En outre, c'est à ces derniers qu'ils imposent de prouver que leur recours n'est pas irrecevable en equity . Il est de droit constant que "celui qui fait une allégation a l'obligation de la prouver"20. Dans cet ordre d'idées, une simple allégation de fausse indication sur un fait important ne répond pas à cette charge de la preuve. Quoi qu'il en soit, je dois avouer que je ne pourrais pas affirmer avec assurance que les appelants ne sont pas sans reproche. Il se peut que, sous le régime de la Loi sur l'immigration, les agissements du fautif se déteignent sur les innocents. N'empêche que le fait qu'une personne puisse être réputée, au regard de la Loi sur l'immigration, avoir donné une fausse indication sur un fait important ne signifie pas qu'elle n'est pas sans reproche dans le contexte du recours en equity. Pareille conclusion ne peut être tirée que s'il a été jugé que Mme Khalil a fait sciemment une fausse déclaration.

[]Ma seconde objection s'adresse à l'assertion faite par mes collègues que la décision de refuser l'ordonnance de mandamus est une décision discrétionnaire à l'égard de laquelle la Cour doit faire preuve de réserve. Sauf leur respect, le bref de mandamus n'est pas une ordonnance discrétionnaire. Il ne s'agit pas d'un cas où les appelants demandent par exemple une prorogation de délai. Le juge de première instance ne rend pas une ordonnance de mandamus par ce seul motif que, tout bien pesé, elle est indiquée. Si tant est qu'on puisse parler de pouvoir discrétionnaire du juge en matière de mandamus, ce pouvoir s'attache uniquement à l'examen du rapport des préjudices éventuels de part et d'autre, tel que nous l'avons vu supra. Ce qui est plus important encore, c'est que ce critère n'est pas le même que celui qui s'applique à la procédure en injonction ou en suspension d'instance. En bref, la triple condition prescrite par les précédents comme RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général)21 pour la délivrance d'une injonction ou pour la suspension de l'instance n'a pas application dans la procédure en mandamus. Sauf leur respect, j'estime que mes collègues ont confondu le critère à observer en matière de mandamus et celui applicable aux injonctions et aux suspensions d'instance.

[]À supposer un instant que la présente espèce soit soumise à la triple condition de l'injonction et de la suspension d'instance, il est clair que la décision de mes collègues est fondée. Il y a bien une question sérieuse à trancher, et les appelants ne subiront pas un préjudice irréparable s'ils se voient temporairement refuser la citoyenneté. Le rapport des préjudices respectifs éventuels engage nettement à prononcer en faveur de ministre, car cela ne rimerait à rien d'accorder la citoyenneté aux appelants puis de faire tout de suite après le nécessaire pour la révoquer. Je ne suis cependant pas disposé à confondre les principes applicables en matière de mandamus et ceux qui régissent l'injonction et la suspension d'instance.

[]Pour terminer, je dois reconnaître que mon avis minoritaire s'expose à la critique de manque de réalisme. Ordonner au ministre de conférer la citoyenneté avant de prendre les mesures de révocation constitue un gaspillage et va à l'encontre du bon sens. Cependant, les causes difficiles permettent de dégager les bonnes règles de droit si on fait suffisamment attention aux principes juridiques pertinents, plutôt qu'aux faits. La règle de droit n'est valable que si elle transcende le cas d'espèce et, à moins qu'elle n'aboutisse à une absurdité, que si elle est appliquée sans détours. En l'espèce, j'ai relevé les diverses options ouvertes au ministre dans le cadre de la Loi sur l'immigration, pour contester l'admissibilité des appelants à la citoyenneté. En bref, il aurait pu convoquer une enquête en application de l'article 27, différer l'instruction de la demande de citoyenneté pour procéder à des investigations plus poussées sur l'admissibilité des appelants en application de l'article 17 [de la Loi sur la citoyenneté], ou former appel contre la décision du juge de la citoyenneté dans les 60 jours, conformément à l'article 14 [de la Loi sur la citoyenneté]. Puisqu'il a choisi de n'exercer aucune de ces options, il ne peut maintenant demander à la Cour de confirmer une mesure discrétionnaire qui déborde des dispositions expresses de la Loi.

[]Je me prononce pour l'accueil de l'appel, pour l'annulation de l'ordonnance de première instance, pour l'accueil du recours en contrôle judiciaire par ordonnance de mandamus pour obliger le ministre à délivrer le certificat de citoyenneté à chacun des appelants et à leur donner la possibilité de prêter le serment de citoyenneté. Ni l'une ni l'autre partie n'ayant conclu aux dépens, ils ne seront pas alloués.

1 L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée [art. 19(1)c) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11)].

2 Dossier d'appel, à la p. 358.

3 Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 5(1)c).

4 (1996), 36 Imm. L.R. (2d) 201 (C.F. 1re inst.), à la p. 203 (par. 4).

5 Ibid., aux p. 203 et 204 (par. 5).

6 [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.

7 Voir Apotex, susmentionné, aux p. 766 à 769.

8 Voir Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (recueil à feuilles mobiles) (Toronto: Canvasback Publishing).

9 Voir la Loi sur la citoyenneté, précité, art. 5(1).

10 [1983] 1 C.F. 343 (C.A.).

11 Ibid., à la p. 345.

12 [1997] 3 C.F. 299 (1re inst.).

13 Voir par exemple Fitzgerald v. Casualty Company of Canada (1981), 31 Nfld. & P.E.I.R. 521 (C.S.T.-N.); aussi Borden v. Co-Operators General Insurance Company (1984), 63 N.S.R. (2d) 375 (C.S. 1re inst.).

14 [1997] A.C.F. no 833 (C.A.) (QL) (ci-après Ahani).

15 Ibid., au par. 3 et 4.

16 (1998), 6 Admin. L.R. (3d) 92 (C.A.F.).

17 Voir Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, aux p. 76 à 80; Strange, C.J.P.C. c. Mackin, P.C.J. (1996), 176 R.N.-B. (2d) 321 (C.A.), à la p. 335: "La délivrance d'une ordonnance de "mandamus" est laissée à l'appréciation du juge de première instance et une juridiction supérieure ne devrait pas se voir chargée de passer la preuve au crible pour déterminer quels sont les faits qui étayent ceux des principes d'un précédent que le juge de première instance a invoqués."; Scott v. College of Physicians and Surgeons of Saskatchewan (1992), 95 D.L.R. (4th) 706 (C.A. Sask.), à la p. 712 [traduction]: "L'ordonnance de mandamus est essentiellement une mesure de redressement discrétionnaire [. . .] la tâche de notre Cour, du moins au début, est uniquement le contrôle, destiné à découvrir si le juge de première instance a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire."; Corbeil and The Queen, Re (1986), 27 C.C.C. (3d) 245 (C.A. Ont.); Regina and Tracey, Re (1984), 44 O.R. (2d) 350 (C.A.).

18 [1994] 1 C.F. 742 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.

19 [1983] 1 C.F. 343 (C.A.).

20 ;Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux p. 791 et 792, confirmant le jugement rendu par le juge Robertson, J.C.A. (1995), 127 D.L.R. (4th) 329 (C.A.F.), à la p. 337.

21 [1994] 1 R.C.S. 311.

    ANNEXE "A"

    Dispositions applicables de la Loi sur la

    citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29,

    modifiée [et du Règlement sur la

    citoyenneté, 1993]

Alinéa 3(1)c) de la Loi sur la citoyenneté:

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne:

    [. . .]

    c) ayant obtenu la citoyenneté"par attribution ou acquisition"sous le régime des articles 5 ou 11 et ayant, si elle était âgée d'au moins quatorze ans, prêté le serment de citoyenneté;

Paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté:

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois:

    a) en fait la demande;

    b) est âgée d'au moins dix-huit ans;

    c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent [. . .]

    [. . .]

    d) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;

    e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

    f) n'est pas sous le coup d'une mesure d'expulsion [. . .]

Paragraphe 3(6) du Règlement sur la citoyenneté, 1993, DORS/93-246:

3. [. . .]

(6) Sur réception de la demande et des documents transmis en vertu des paragraphes (2) ou (3), le greffier fait entreprendre sans délai les enquêtes nécessaires pour déterminer si le demandeur remplit les conditions prévues par la Loi et le présent règlement à l'égard de la demande.

Article 17 de la Loi sur la citoyenneté:

17. S'il estime ne pas avoir tous les renseignements nécessaires pour lui permettre d'établir si le demandeur remplit les conditions prévues par la présente loi et ses règlements, le ministre peut suspendre la procédure d'examen de la demande pendant la période nécessaire"qui ne peut dépasser six mois suivant la date de la suspension"pour obtenir les renseignements qui manquent.

Paragraphes 12(1), (2) et (3) de la Loi sur la citoyenneté:

12. (1) Sous réserve des règlements d'application de l'alinéa 27i), le ministre délivre un certificat de citoyenneté aux citoyens qui en font la demande.

(2) Le ministre délivre un certificat de citoyenneté aux personnes dont la demande présentée au titre des articles 5 [. . .] a été approuvée.

(3) Le certificat délivré en application du présent article ne prend effet qu'en tant que l'intéressé s'est conformé aux dispositions de la présente loi et aux règlements régissant la prestation du serment de citoyenneté. [Non souligné dans l'original.]

Paragraphes 14(1), (2), (5) et (6) de la Loi sur la citoyenneté:

14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité"avec les dispositions applicables en l'espèce de la présente loi et de ses règlements"des demandes déposées en vue de:

    [. . .]

    a) l'attribution de la citoyenneté, au titre du paragraphe 5(1);

(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l'article 15, approuve ou rejette la demande selon qu'il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

    [. . .]

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas:

    a) de l'approbation de la demande;

    [. . .]

(6) La décision de la Cour rendue sur l'appel prévu au paragraphe (5) est, sous réserve de l'article 20, définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel. [Non souligné dans l'original.]

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