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DROITS DE LA PERSONNE

Sketchley c. Canada (Procureur général)

T-125-03

2004 CF 1151, juge Beaudry

20-8-04

28 p.

Contrôle judiciaire d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qui a rejeté une plainte alléguant que le Conseil du Trésor (CT) (l'employeur) avait fait preuve de discrimination fondée sur l'incapacité--La demanderesse affirme que le CT a refusé de tenir compte de son incapacité et l'a forcée à prendre sa retraite de la fonction publique--Elle conteste la politique du CT selon laquelle les employés qui souffrent d'une incapacité et qui sont en congé non rémunéré doivent, dans les deux ans, soit retourner au travail, soit prendre leur retraite, soit être congédiés pour un motif valable--Questions en litige: 1) il s'agissait de savoir 1) si la CCDP a commis une erreur de droit quand elle a conclu que le congédiement d'un employé atteint d'une incapacité qui n'est pas en mesure de préciser la date de son retour au travail n'était pas, à première vue, un acte discriminatoire; 2) la question est de savoir si la CCDP a violé les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale en n'effectuant pas un examen complet des allégations de discrimination--La demanderesse, une examinatrice en matière d'immigration, a été diagnostiquée en 1987 comme souffrant du syndrome de fatigue chronique--Après un congé de maladie de sept semaines, elle est retournée au travail, à temps partiel jusqu'en 1990, puis à plein temps--Elle a sollicité une réaffectation en 1993 en raison de la détérioration de son état de santé et elle l'a obtenue en 1994--La même année, elle a été diagnostiquée comme souffrant de fibromyalgie et elle a commencé à travailler à temps partiel--En janvier 1997, son médecin a recommandé un congé à plein temps; en mars, le défendeur a recommandé une retraite pour des raisons médicales mais la demanderesse a refusé--En mai 1999, le CT a donné un choix à la demanderesse: retourner au travail ou prendre sa retraite pour des raisons médicales--Lorsque le CT a rejeté sa demande pour que soit prolongé le congé non rémunéré, la demanderesse a déposé un grief--Après s'être vu refuser un congé pour des raisons personnelles, la demanderesse a présenté une demande de retraite pour raisons médicales et elle a déposé des plaintes auprès de la CCDP--En rejetant les plaintes, la CCDP a fait remarquer que son médecin avait attesté qu'elle n'était pas en mesure d'avoir un emploi régulier rémunérateur--En ce qui concerne la politique du CT, la CCDP a décidé qu'elle permettait de tenir compte des besoins des personnes qui souffrent d'une incapacité et que la différence entre les employés qui souffrent d'une incapacité qui sont en mesure de prévoir la date de leur retour au travail et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire n'était pas fondée sur un motif de distinction illicite--Le rapport de l'enquêteur a mentionné que la preuve n'étayait pas l'allégation selon laquelle, en l'espèce, la politique du CT avait été appliquée d'une manière discriminatoire--Une entente conclue en 1996 entre le défendeur et la Sun Life exige que les ministères appliquent la politique dans les deux ans à compter du début d'un congé non rémunéré--Le rapport a cité la décision Scheuneman c. Canada (Procureur général), [2000] 2 C.F. 365 (1re inst.), confirmée par la C.A.F., à l'appui de sa conclusion selon laquelle la politique n'est pas discriminatoire en soi--Le rapport a expliqué que le congé non rémunéré devait permettre à l'employé de bénéficier d'un répit temporaire et d'éviter l'interruption d'emploi--La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter: Chopra c. Canada (Procureur général) (2002), 222 F.T.R. 236 (C.F. 1re inst.)--En vertu de la politique du CT relative au congé non rémunéré, la direction a l'obligation de «régler les cas de congé non rémunéré dans les deux ans qui suivent la date du début du congé», mais cela ne s'applique qu'en cas de blessure ou de maladie--Cette différence est l'essence même de la discrimination: Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143--En ne reconnaissant pas l'existence à première vue de la discrimination, le rapport ne représentait pas une analyse appropriée--L'observation du procureur général, selon laquelle l'analyse de l'exigence professionnelle justifiée était «implicite», est rejetée; cette analyse était totalement absente--L'énoncé du rapport, selon lequel la politique ne traitait pas les employés qui souffrent d'une incapacité qui sont en congé non rémunéré d'une manière différente des employés qui sont en congé non rémunéré pour d'autres raisons, était manifestement faux--L'énoncé selon lequel la différence entre les employés qui souffrent d'une incapacité qui sont en mesure de prévoir la date de leur retour au travail et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire n'est pas fondée sur un motif de distinction illicite n'est pas conforme à la jurisprudence--La différence est fondée sur le degré d'incapacité, un motif de distinction illicite--L'arrêt Battlefords and District Co-operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566, étaye la proposition selon laquelle la création de catégories en rapport avec un motif illicite peut constituer de la discrimination--Même si la politique de l'employeur prévoit un accommodement, cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas, à première vue, de la discrimination-- L'accommodement peut constituer un moyen de défense, mais il n'exclut pas la discrimination: Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Banque Toronto- Dominion, [1998] 4 C.F. 205 (C.A.)--Ce moyen de défense, s'il est établi, a pour effet d'exclure l'acte discriminatoire de la catégorie des actes illicites--Bien que le procureur général ait concédé que la CCDP a commis une erreur en ne concluant pas qu'il y avait discrimination à première vue, il a fait valoir que la conclusion de la Commission n'était pas déraisonnable: Syndicat national des employés municipaux de Pointe-Claire c. Pointe-Claire (Ville), [2000] J.Q. no 988 (C.S.) (QL), mais on peut distinguer cette affaire des faits de l'espèce--Il en va de même pour l'arrêt Scheuneman, dans lequel le juge Cullen n'a pas traité de la politique en soi en concluant qu'on avait raisonnablement tenu compte des besoins de M. Scheuneman --Le juge a regardé la mise en application de la politique et non son contenu--La décision de la CCDP en l'espèce était entachée d'un vice fatal en raison d'une erreur de droit (conclusion que la politique du CT sur le congé non rémunéré n'était pas à première vue discriminatoire)--Quant à la question relative à la justice naturelle et à l'équité procédurale, bien que la CCDP, exerçant des fonctions d'administration et d'examen préalable, se soit vu accorder une très grande latitude pour décider si une affaire doit faire l'objet d'une enquête, la nature définitive de la décision exige un examen soigneux et si le fond de la plainte n'est pas examiné, il faudra conclure que l'enquête n'est pas valable parce qu'elle manque de rigueur--En l'espèce, l'enquêteur ne s'est pas penché sur le fond de la plainte: lorsque le congé non rémunéré avait été accordé, il n'avait plus été question d'accommodement--Il n'y a aucune preuve que d'autres solutions aient été envisagées à part la retraite obligatoire ou la précision de la date de retour au travail--Malgré le délai de deux ans, la politique prévoit la possibilité de prolonger le congé en tenant compte des besoins spéciaux du travailleur pour récupérer: «La période de congé non rémunéré doit être suffisamment souple pour permettre aux gestionnaires de tenir compte des besoins des employés ayant des problèmes particuliers de réadaptation, comme le besoin d'un recyclage»--On pouvait dire que la demanderesse souffrait de «problèmes particuliers de réadaptation» dont il fallait tenir compte--Il n'y a aucune preuve que l'enquêteur ait vérifié comment la politique avait été appliquée à l'égard d'autres personnes dans la même situation, le point de départ évident de l'analyse pour déterminer si la demanderesse avait été victime de discrimination--Il ne s'est jamais penché sur les mesures d'accommodement prises après le début du congé non rémunéré--La décision était entachée d'un vice fatal en raison de l'analyse incomplète de l'enquêteur--Sur plusieurs points, l'enquêteur a accepté l'opinion du défendeur, rejetant du revers de la main les graves allégations de la demanderesse --La décision de la CCDP n'a pas expliqué ni pourquoi l'absence d'accommodement n'était pas en soi discrimina-toire, ni le sens qu'elle donne à l'expression «difficultés excessives»--La demanderesse n'a jamais demandé qu'on la garde indéfiniment; elle a juste demandé plus de temps pour récupérer et pour examiner les solutions possibles--Le refus de cette demande n'a jamais été justifié par le défendeur et il n'a pas non plus fait l'objet d'un examen par la CCDP--La décision contestée est annulée, la plainte sera examinée par un nouvel enquêteur.

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