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BREVETS

                                                                                            Contrefaçon

Les demanderesses sont la titulaire et les licenciées du brevet canadien 1275350 (le brevet 350) qui vise une classe de composés chimiques déclarés utiles dans le traitement de lhypertensionLe lisinopril est lun de ces composés Certaines demanderesses vendent au Canada des médicaments contenant du lisinoprilLa défenderesse fabrique et vend au Canada une version générique de certains médicaments de lisinopril des demanderessesLes demanderesses allèguent la contrefaçon; la défenderesse présente une demande reconventionnelle en invalidité de brevetDans une autre action visant un brevet connexe relié à l’énalapril, le brevet a été jugé valide et contrefait par ApotexLe brevet 350 nest que lun des nombreux brevets issus de la demande initiale de brevet 340 déposée en 1979Le brevet 350 résulte dune demande complémentaire  séparée de la demande initiale 340 en 1989Il doit donc être traité sous le régime des dispositions de l’« ancienne » Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P‑4)Une autre des demandes complémentaires, comportant des revendications touchant une classe de composés incluant l’énalapril, a finalement abouti à la délivrance du brevet portant le numéro 1275349 (le brevet 349)La description du brevet 350 est essentiellement la même que celle de la demande initiale 340Les usages, les dosages et la combinaison avec dautres substances y sont identiques à ceux de la demande 340 initialeInterprétation des revendications et du mémoire descriptif du brevet 350 et du brevet 340 initialSagissant de la demande initiale, le mémoire descriptif vise une classe de composés, divisée en trois classes, les composés recommandés, favorisés et privilégiésLe lisinopril, l’énalapril et l’énalaprilat sont spécifiquement présentés dans les exemples et revendiqués comme composésAucune donnée nest présentée au sujet daucun composé et il nest effectué aucune comparaison entre les composésLe lisinopril nest aucunement séparé de la classe des composés désignés comme « privilégiés »—Le brevet 350 comporte presque précisément la même descriptionLa question soulevée par Apotex est la suivante : la demande 340 initiale décrit‑elle une invention unique, nommément une classe de composés, ou vise‑t‑elle un grand nombre dinventions distinctes, lune portant sur la classe et les autres, sur les composés cités spécialement tels que le lisinopril, l’énalapril et l’énalaprilat?Sens du mot « invention »—Bien que le mémoire descriptif de la demande 340 conduise forcément à la conclusion quune seule invention est décrite (comme la conclu la majorité dans larrêt May & Baker Limited et al. v. Boots Pure Drug Company Limited (1950), 67 R.P.C. 23 (H.L.), la Cour de l’Échiquier, dans deux décisions, toutes les deux confirmées par la C.S.C., a conclu autrement au sujet de brevets qui présentaient des divulgations et des revendications dune ressemblance frappante avec celles de la demande 340Il nexiste aucune distinction importante entre lespèce et les décisions Bœhringer Sohn, C.H. v. Bell‑Craig Ltd., [1962] R.C.É. 201; conf. par [1963] R.C.S. 410 et Hœchst Pharmaceuticals of Canada Ltd. et al. v. Gilbert & Company et al., [1965] 1 R.C.É. 710La courtoisie judiciaire force à conclure que la demande 340 divulgue des inventions distinctes à l’égard de chaque membre de la classe, le lisinopril, l’énalapril et l’énalaprilatApotex a également incité la Cour, dans lexamen de la question de linterprétation de la demande de brevet, à prendre en considération la preuve extrinsèque, notamment les communications entre les avocats en brevets de Merck aux États‑Unis et le United States Patent Office (Bureau des brevets des États‑Unis) au cours de linstruction de la demande de priorité déposée aux États‑UnisMais la preuve extrinsèque ne doit pas être prise en compte, car le brevet doit être complet en lui‑mêmeEn outre, la règle générale selon laquelle la preuve extrinsèque nest pas admissible pour linterprétation du mémoire descriptif du brevet doit nécessairement sappliquer au témoignage de linventeur sur la juste interprétation du mémoire descriptif Linterprétation des revendications du brevet 350 doit sappliquer à la date où le brevet a été délivré et accordé— Apotex admet que si les revendications 1, 2 et 5 sont jugées valides, elle aura contrefait ces revendications sous réserve des exceptions suivantes : 1) lart. 56 de lancienne Loi sur les brevets crée une exception pour les matières acquises avant la délivrance du brevet 350 en 1990; 2) la licence obligatoire octroyée à Delmar à l’égard du brevet 350 crée une exception pour certaines quantités du lisinopril fabriqué par Delmar et acquis finalement par Apotex; 3) lart. 55.2 de la Loi sur les brevets autorise Apotex à utiliser et à conserver certaines quantités de lisinopril pour la production du dossier dinformation aux autorités gouvernementales; 4) la common law en matière de brevets autorise, sans quil y ait contrefaçon, lusage de certaines quantités de lisinopril à des fins expérimentalesApotex ne peut contester la validité des revendications1) Trois lots de lisinopril sont visés par largument invoquant lexception visé à lart. 56Pour lessentiel, la même question avait été soulevée au sujet de l’énalapril dans larrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., ([1995] 2 C.F. 723), où la Cour dappel fédérale avait conclu que lart. 56 ne pouvait sappliquer qu’à une matière se trouvant dans un état tel quelle puisse être considérée par le fabricant comme un produit susceptible d’être expédié à un clientLes lots en question n’étaient utilisables à aucune fin à la date critiqueLexception de lart. 56 ne sapplique pas2) Sagissant de la licence obligatoire de Delmar, la propriété du lisinopril fabriqué par Delmar au cours de la durée de la licence, mais non la possession, a été transférée à un tiersApotex a finalement acquis la propriété et est entrée en possession de ce lisinopril longtemps après lexpiration de la licenceLes décisions antérieures de la Section de première instance de la Cour fédérale ([1994] A.C.F. no 1898 (QL)) et de la Cour dappel fédérale, [1995] 2 C.F. 723 qui concernent une licence très semblable de Delmar pour de l’énalapril, créent de la confusion car elles confondent la prise en considération de la licence et la prise en compte de lart. 56, qui semble non pertinent à l’égard de la question de la licence Ultérieurement la C.S.C., dans une affaire touchant des parties différentes, a examiné leffet dune licence obligatoire venue à expiration dans larrêt Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129Elle a conclu quen labsence de conditions expresses en sens contraire, lacheteur dun tel produit sous licence est libre den disposer à son gré sans craindre de contrefaire les brevet visésPar la suite, la Cour dappel fédérale a examiné larrêt Eli Lilly dans larrêt Apotex Inc. c. Merck & Co., [2003] 1 C.F. 242 et conclu que larrêt Eli Lilly ne représentait pas un changement du droitNeût été de cet arrêt, Apotex aurait pu à juste titre soutenir que loctroi dune licence par le commissaire comporte le droit de fabriquer et de vendre linvention (le lisinopril) pour la préparation ou la production du médicamentAucune condition restrictive de la licence nexige que la personne qui prépare ou produit le médicament soit Delmar, un mandataire de Delmar ou une personne ayant passé un contrat avec DelmarDelmar peut vendre le lisinopril à dautres personnes en vue de la préparation ou de la production du médicament Mais depuis quil a été conclu dans larrêt de 2002 de la C.A.F. mettant en cause les mêmes parties, Apotex et Merck, à l’égard dune licence obligatoire identique dans ses conditions à la licence visée en lespèce, portant sur un brevet issu de la même demande initiale (la demande 340) que le brevet 350 visé en lespèce, quApotex navait pas le droit dintenter un nouveau procès sur la question de la licence, Apotex ne peut pas, maintenant, invoquer la licence visant le brevet 350 comme moyen de défense à la contrefaçon—Étant tenu par cet arrêt, la Cour estime que la licence, même expirée, conserve sa validité à l’égard des marchandises fabriquées avant son expiration, ce qui fournit un moyen de défense valable contre la contrefaçonLart. 12(2) de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets prévoit quil ne peut être intenté aucune action en contrefaçon à l’égard dun acte accompli avant la date dentrée en vigueur3) Lart. 55.2(1) prévoit quil ny a pas contrefaçon de brevet lorsquune personne fabrique, utilise ou vend linvention brevetée dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier dinformation quoblige à fournir une loi réglementant la fabrication, lutilisation ou la vente dun produitLes fabricants de médicaments sont tenus par les autorités réglementaires fédérales du Canada et des États‑Unis de conserver régulièrement des échantillons Le lisinopril et les matières incorporant du lisinopril ont été préparés et utilisés en vue dobtenir lautorisation nécessaire à la vente au Canada et aux États‑Unis de médicaments contenant du lisinopril, usages faisant lobjet dune exception en vertu de lart. 55.2Les échantillons conservés par Apotex comme pièces de référence éventuellement demandées conformément aux dispositions de la réglementation nentrent jamais dans le circuit commercial et sont finalement détruitsCes échantillons font également lobjet dune exception en vertu de lart. 55.24) i) Sagissant des exceptions de common law en matière de contrefaçon de brevet, lusage du lisinopril dans la recherche et le développement courants des formulations nouvelles et des techniques nouvelles de fabrication des comprimés tombe sous lexception du « traitement équitable » visée dans larrêt Micro Chemicals Limited c. Smith Kline & French Inter‑American Corporation, [1972] R.C.S. 506ii) La cession de certaines revendications du brevet 1276559 visant des usages particuliers du lisinopril a été rédigée spécifiquement de manière à ce quelle naltère pas la force exécutoire ou la validité des revendications 1, 2 et 5 non cédées du brevet 350Les exceptions jugées applicables ne valent que pour les actes survenus le 26 janvier 2000 ou ultérieurement (cest‑à‑dire six ans avant la modification des actes de procédure dApotex visant à invoquer ces exceptions en défense) : art. 55.01 de la Loi sur les brevetsApotex attaque la validité des revendications 1, 2 et 5 du brevet 350 aux motifs du retard, du double brevet et du caractère inapproprié de la demande complémentaireLes demande-resses sappuient sur lart. 45 de la Loi sur les brevets, qui prévoit que le brevet, sauf preuve contraire, est présumé être valideIl a déjà été statué par la Cour fédérale et par la Cour dappel fédérale que les revendications du brevet 349 portant sur l’énalapril sont valides et ont été contrefaitesRevue de la jurisprudence sur le caractère définitif des instancesLes mêmes questions auraient pu être soulevées dans le procès antérieur, mais ne lont pas été Apotex est irrecevable à attaquer la validité du brevet 350 en invoquant le retard, le brevet complémentaire incorrect ou le double brevet Néanmoins, ces arguments sont traités et rejetés comme non fondésSi plusieurs brevets revendiquant la même invention ont été accordés, lapplication des principes en matière de double brevet offre une possibilité suffisante de redressement à l’égard de la validité—Le lisinopril et l’énalapril associés à un diurétique sont des inventions où il ny a pas « identité » entre les inventionsLe brevet 350 nest pas invalide au motif du double brevet en regard du brevet 684Il a fallu presque 12 ans à partir du dépôt de la demande de priorité originale ou presque 11 ans à partir du dépôt de la demande originale au Canada pour aboutir à la délivrance du brevet 350Merck a répondu sans délai aux demandes du Bureau des brevetsAucune preuve n’établit que Merck a volontairement retardé la délivrance du brevet 350Rien dans la jurisprudence canadienne ni dans la Loi sur les brevets ne vise les conséquences quentraîne le fait de retarder linstruction de la demande de brevet, si ce nest labandon dans le cas où le demandeur ne répond pas en temps voulu et nacquitte pas le paiement des taxesAnalyse critique des réparations en matière de contrefaçon de brevetLes demanderesses ont manifestement droit à des dommages‑ intérêtsDans la présente action, il a fallu dix ans pour en arriver au procèsEn 1999, au moment où Apotex est entrée sur le marché avec une vaste gamme de dosages du comprimé, Merck et Astra ont abandonné le marché à ApotexLe fait que les demanderesses ont fondamentalement abandonné la partie et ont laissé laction évoluer sans presse incite à conclure quelles ne devraient pas avoir droit à la restitution des bénéficesLactivité de fabrication, dutilisa-tion et de vente de produits contenant du lisinopril dApotex fait lobjet dune injonction jusqu’à lexpiration du brevet 350Les dommages‑intérêts « majorés » ne sont pas accordés parce quil ny a aucune demande à ce sujetDes intérêts avant jugement et après jugement ont été attribués Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 45 (mod. par L.C. 2001, ch. 10, art. 1), 55.01 (édicté par L.C. 1993, ch. 15, art. 48), 55.2 (mod. par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; L.C. 2001, ch.10, art. 2), 56 (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 194)Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 2, art. 12(2).

Merck  &  Co.,  Inc.  c.  Apotex  Inc.  (T‑2792‑96, 2006 CF  524,  juge  Hughes,  jugement  en date du 26‑4‑06, 88 p.)

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