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Entreprises Ludco Ltée c. Canada

A-884-97 / A-885-97 / A-886-97 / A-887-97

juges Marceau et Desjardins, J.C.A. et juge Létourneau, J.C.A., dissident

30-3-99

69 p.

Appels d'une décision de la Section de première instance ((1997), 139 F.T.R. 241) confirmant les nouvelles cotisations établies par le MRN refusant la déduction de frais d'intérêts (art. 20(1)(c)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (LIR)) relativement à des intérêts payés sur cinq emprunts faits par les appelants, entre septembre 1977 et juin 1979, en vue d'investir dans deux compagnies étrangères de placement créées et structurées en vue d'assurer à leurs actionnaires un certain nombre de bénéfices fiscaux-Les compagnies avaient été incorporées au Panama et opéraient à partir des Bahamas oú leurs revenus n'étaient pas imposables-Elles n'étaient pas non plus imposables au Canada-Le gain en capital réalisé par les appelants au moment de la revente de leurs actions en 1985 fut de 9,24 millions de dollars-Ils avaient reçu en dividendes au cours des huit années quelque 600 000 $ mais les intérêts sur les sommes empruntées pour investir s'étaient élevées à 6 000 000 $-C'est cette dernière somme qui faisait l'objet de la déduction réclamée par les appelants que le ministre a refusée, refus confirmé par la Cour canadienne de l'impôt et par la Section de première instance-Appel rejeté (le juge Létourneau, J.C.A., étant dissident)-Le juge Marceau, J.C.A.: les tergiversations des responsables du ministère du Revenu national quant à la façon d'enrayer la multiplication des véhicules de placement vers des fonds organisés à l'étranger, les efforts pour susciter une solution législative à certains des problèmes impliqués, et les discussions qu'ils ont eue sur le cas particulier des appelants sont peut-être un signe de l'énorme intérêt et de la complexité du problème d'ensemble, mais on ne peut en tirer un argument contre la position finalement adoptée ici par le ministre-Il n'y a pas non plus d'intérêt à appuyer sur le fait que l'organisation des deux compagnies en tant que véhicules de placement est tout à fait conforme à la loi-La conclusion du juge de première instance que le but véritable des appelants, en investissant dans les deux compagnies telles que structurées, était de différer l'impôt et de transformer les revenus en gains en capital est une conclusion de fait qu'il n'y a pas lieu de modifier-Ce qu'il dit au sujet de l'insignifiance des dividendes n'est développé que pour appuyer la conclusion maîtresse-Dans la jurisprudence, aucune décision ne porte directement sur le problème que soulève le cas présent-Dans l'art. 20(1)(c), il est manifestement question d'intention réelle, véritable et non simulée ou seulement prétendue-Le paiement de dividendes était peut-être une considération mais non le but véritable que les appelants poursuivaient-Ce but était précisément celui identifié par le juge, soit de transformer en gains en capital non taxables la moitié des revenus taxables que les investissements qui seraient faits avec leur argent pouvaient engendrer-Dire que le test à respecter se limite à regarder si des revenus ont été versés et taxés a l'effet de priver de tout sens le mot "purpose" dans la version anglaise, et l'expression correspondante "en vue de" dans la version française, et faire fi de l'intention du Parlement telle que reconnue dès le départ par la Cour suprême dans Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32-Distinction faite d'avec Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336-Le juge Desjardins, J.C.A. (motifs concordants): la question en litige consiste à déterminer si les appelants sont autorisés à déduire, lors du calcul de leur revenu pour les années d'imposition 1981 à 1985, les intérêts qu'ils ont encourus suite aux prêts bancaires qui leur ont permis d'investir dans les compagnies en cause-Ils le pourront selon que le prévoit l'art. 20(1)(c)(i) si l'argent emprunté par les appelants a été utilisé en vue de tirer un revenu d'un bien-Le juge Létourneau a raison lorsqu'il affirme qu'il ne peut souscrire à la prétention selon laquelle l'obtention d'un revenu à partir des sommes empruntées doit être le but dominant de l'investisseur pour que la condition maîtresse de l'art. 20(1)(c) soit satisfaite et que les intérêts soient déductibles; qu'il suffit que le contribuable ait, au moment de faire son investissement avec de l'argent emprunté, une expectative raisonnable de revenus; que l'argent emprunté doit servir à acquérir un bien en vue de tirer un revenu brut et non un revenu net-Il ne faut pas conclure pour autant que les appelants soient autorisés à déduire les intérêts bancaires qu'ils ont effectués-La structure corporative établie dans un paradis fiscal dans laquelle les appelants ont investi, la politique de placement composée exclusivement de titres obligataires à revenus fixes, et la méthode de rachat des actions constituent, ensemble, des indices clairs que les appelants recherchaient véritablement un gain en capital-Les dividendes qu'ils ont reçus et sur lesquels ils ont payé de l'impôt n'ont été que secondaires, incidents à leur emprunt et à leur investissement-Leur action était certes légitime, mais lorsque ces investissements sont faits avec de l'argent emprunté, l'intérêt n'est pas déductible-Les appelants ont effectivement reçu des dividendes et ceux-ci ont été taxés, mais la réception de dividendes n'était pas l'objectif réel visé par leurs placements-Même en tenant pour acquis, pour les fins de cette cause, que le juge Létourneau a raison d'affirmer qu'il existe une présomption selon laquelle un contribuable qui se porte acquéreur d'un bien qui produit un revenu, quel qu'en soit le montant, ait l'intention de tirer un revenu de ce bien, en l'espèce, cette présomption est renversée par les documents qui ont servi à l'organisation des structures corporatives dans lesquelles les fonds empruntés ont été investis-La politique énoncée et/ou suivie par Revenu Canada n'est pas pertinente; cela ne change rien à la Loi-Bien que le juge de première instance ait commis plusieurs erreurs de droit, la preuve devant lui justifiait sa conclusion-Le juge Létourneau, J.C.A. (dissident): les appels devraient être accueillis-Le plan astucieux mis de l'avant pour les actionnaires des deux compagnies était la résultante d'une planification juridique légale-En conséquence, cette planification ne saurait colorer l'analyse et l'interprétation juridiques qu'il y a lieu de faire du droit à la déduction des intérêts en vertu de l'art. 20(1)(c)(i) de la Loi-Le juge de première instance a rejeté les prétentions des appelants pour deux raisons: le but et l'usages réels et premiers des emprunts faits par les appelants n'étaient pas de tirer un revenu de biens au sens de l'art. 20(1)(c)(i) mais plutôt de faire un gain en capital; les dividendes reçus par les appelants ne constituaient pas un bénéfice et il n'y avait aucune expectative raisonnable de bénéfice puisque les coûts du loyer de l'argent excédaient largement et irrémédiablement les montants des dividendes (il faut donc conclure qu'il a conféré au terme "revenu" à l'art. 20(1)(c)(i) le sens de "revenu net" ou "profit")-Le législateur, dans cette disposition, a qualifié la nature du but recherché par l'acquisition d'un bien, mais n'a pas indiqué si ce but devait être exclusif, immédiat, premier ou dominant ou s'il pouvait aussi être non limitatif, ultime, secondaire ou subsidiaire-Les tribunaux ont retenu et appliqué le concept du but réel ou véritable-Lorsque, comme en l'espèce, un emprunteur poursuit deux buts, soit la possibilité de faire à la fois un bénéfice et un gain en capital, il est inapproprié pour les fins de l'interprétation de l'art. 20(1)(c)(i) de retenir l'un des buts et d'écarter l'autre au motif que l'un correspond plus au but réel ou véritable de l'emprunteur et qu'en conséquence l'autre doit être fictif-Cette disposition ne prévoit pas que l'argent emprunté doit être utilisé "principalement" dans le but de tirer un revenu de biens; il suffit que l'investisseur ait, au moment de faire son investissement avec de l'argent emprunté, une expectative raisonnable de revenus-Il n'est pas nécessaire qu'il ait une expectative de revenus raisonnables-Il n'appartient pas aux tribunaux de réécrire l'art. 20(1)(c)(i) pour y introduire une notion de gradation, d'exclusivité ou de primauté dans les buts réels ou véritables recherchés par le contribuable-La prétention des intimés que le but des appelants n'était pas d'obtenir un revenu puisque les revenus tirés du capital étaient nominaux ou insignifiants ne peut être retenue-Cette prétention n'est pas supportée par le texte de loi et l'interprétation judiciaire qui en a été faite et elle ne trouve pas de fondement dans la preuve au dossier-La jurisprudence permet de conclure à l'existence d'une présomption qu'un contribuable qui se porte acquéreur d'un bien qui produit un revenu, quelqu'en soit le montant, avait vraisemblablement l'intention de tirer un revenu de ce bien-La prétention que les revenus tirés par les appelants étaient nominaux n'est pas supportée par la preuve lorsque la comparaison de ces revenus se fait avec les pratiques commerciales qui avaient cours à l'époque et les politiques de l'intimée à l'époque en matière de déduction d'intérêts sur les emprunts faits pour tirer un revenu de placement-Même si un bien produit un revenu, il ne produit pas nécessairement un profit par lui-même, et il serait absurde d'exiger que chaque bien produise réellement un "revenu net" (profit) par lui-même: Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336-Il ne s'agissait pas d'une opération qui réduirait indûment ou de façon factice le revenu (art. 245(1) de la LIR): la déduction des intérêts s'inscrit dans l'objectif et l'esprit de l'art. 20(1)(c)(i); l'emprunt s'accorde avec les habitudes normales du commerce relatives à l'acquisition d'actions ou de titres obligataires; l'emprunt effectué avait un objet commercial véritable-Enfin, l'appelante, les Entreprises Ludco Ltée, n'a pas perdu le bénéfice de la déduction des intérêts en disposant de la source de revenus en 1983 puisque le bien générateur de revenus acquis avec l'argent emprunté a été remplacé par un autre bien lui aussi productif de revenus et que la valeur des actifs générateurs de revenus imposables acquis en remplacement des actifs initiaux était supérieure au montant de la dette résultant de l'emprunt-Il apparaît fondamentalement injuste de refuser une déduction des intérêts à un contribuable en particulier à partir d'un critère purement arbitraire alors que ce même critère n'est pas appliqué aux autres contribuables, le tout en espérant que les tribunaux se montrent sympathiques à cette approche en la cautionnant-Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 20(1)(c)(i), 245.

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