Fiches analytiques

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Pénitenciers

Requête en injonction interlocutoire de la demanderesse demandant à la Cour que cesse son isolement préventif et qu’elle soit transférée dans un établissement pour femmes — La demanderesse est détenue à l’Établissement de Donnacona, un établissement carcéral pour hommes — Cependant la demanderesse est une personne trans, exprimant son identité de genre féminine — Le Service correctionnel du Canada (le Service) a refusé ses demandes de transfert dans un établissement pour femmes, considérant que la demanderesse présente un danger trop important, notamment quant à son risque d’évasion, pour être hébergée dans un établissement pour femmes — La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de ce refus et cette demande n’a pas encore été tranchée — La demanderesse a déjà commencé des traitements d’hormonothérapie et depuis exprime plus ouvertement son identité féminine au sein de l’établissement — Le Service a pris connaissance de menaces à la vie ou à la sécurité de la demanderesse et afin d’assurer sa sécurité, elle a été placée en isolement préventif — La demanderesse est née dans un corps d’homme et dès la vingtaine, s’est engagée dans diverses activités criminelles — Plus récemment, elle a été déclarée coupable de meurtre au premier degré et fut condamnée à l’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans — La demanderesse a été immédiatement conduite à l’établissement de Donnacona, un établissement à sécurité maximum, et fut ensuite attribué une cote de sécurité maximum — Après son arrivée à Donnacona, la demanderesse a indiqué qu’elle envisageait la chirurgie d’inversion sexuelle — Par après, la demanderesse a obtenu un changement de son prénom et de la mention de son sexe à son acte de naissance — La demanderesse a reçu des menaces de représailles proférées par d’autres détenus et sa sécurité était menacée à l’établissement — Il s’agissait de déterminer si la requête en injonction interlocutoire de la demanderesse devait être accueillie — Le critère à trois volets (soit la forte apparence de droit; le préjudice irréparable; et la prépondérance des inconvénients) applicable pour déterminer s’il convient d’émettre une injonction interlocutoire mandatoire a été appliquée — La thèse de la demanderesse était que son maintien dans un établissement pour hommes était discriminatoire et contrevenait aussi à la politique provisoire du Service sur le transsexualisme — Elle invoquait la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 — Quant au défendeur, il soutenait que le cas de la demanderesse, en raison de son risque élevé d’évasion, soulevait des préoccupations primordiales en matière de santé ou de sécurité qui ne pouvaient être résolues La demanderesse a démontré qu’elle a subi de la discrimination à première vue en raison de son identité ou expression de genre, étant donné qu’on lui a refusé un transfert dans un établissement pour femmes, malgré le fait que cela corresponde à son identité et à son expression de genre actuelles et à la mention de son sexe qui figure maintenant à son acte de naissance — De plus, la politique provisoire adoptée par le Service est d’ailleurs fondée sur l’idée que le respect du droit à l’égalité des personnes trans exige que l’on respecte leur choix entre les établissements pour hommes et pour femmes — Par ailleurs, la demanderesse a aussi été victime de discrimination à première vue sous l’angle de sécurité, car bien que tous les détenus fassent l’objet d’une évaluation de risque afin de déterminer leur cote de sécurité, seules les détenues trans peuvent voir le Service utiliser cette évaluation afin de leur nier la possibilité d’être hébergées dans un établissement pour femmes — Il s’agissait là d’un motif additionnel pour conclure à la discrimination à première vue — Quant à la justification de la discrimination [en-tête, p. 15], le défendeur n’a pas réussi à démontrer que les hypothèses concernant le risque présenté par les détenues trans permettaient de justifier la discrimination à première vue dont la demanderesse a été victime, de manière à faire obstacle à une « forte apparence de droit » Ainsi, le défendeur, qui supportait le fardeau de la preuve sur cette question, n’a pas convaincu la Cour que le transfert de la demanderesse dans un établissement pour femmes entraînerait une contrainte excessive — Les arguments d’ordre procédural du défendeur pour faire échec à la démonstration d’une « forte apparence de droit » de la part de la demanderesse n’ont pas été acceptés — La demanderesse a aussi démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable si l’injonction qu’elle réclamait n’était pas accordée — Le préjudice qu’elle invoquait avait trait à la sécurité de sa personne et découlait de deux sources  : les menaces dont elle faisait l’objet des autres détenus et l’isolement préventif qui lui a été imposé — Il a été établi que la demanderesse, qu’elle soit placée en isolement préventif ou qu’elle demeure au sein de la population carcérale générale d’un établissement pour hommes, est exposée à un préjudice irréparable — Concernant la pondération des inconvénients, même si le transfert de la demanderesse dans un établissement pour femmes entraînerait des inconvénients pour le Service, ces inconvénients n’étaient pas suffisamment importants pour contrebalancer le préjudice que subissait la demanderesse en raison de la situation actuelle — La requête ne pouvait validement viser que le refus de transférer la demanderesse dans un établissement pour femmes et donc aucune réparation en ce qui a trait à l’isolement préventif n’a été ordonnée — Requête accueillie en partie.

Boulachanis c. Canada (Procureur Général) (T-206-19, 2019 CF 456, juge Grammond, motifs du jugement en date du 15 avril 2019, 29 p.)

 

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