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Droit d’auteur

Violation

Demande par laquelle la demanderesse, agissant pour un groupe ayant introduit un recours collectif, a demandé des mesures injonctives, des dommages-intérêts préétablis, des dommages-intérêts pour atteinte aux droits moraux, des dommages-intérêts majorés, des dommages-intérêts punitifs et des dépens pour violation des droits d’auteur et des droits moraux, en contravention des art. 27 et 28.1 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 — La défenderesse exploitait un site Web, www.afterlife.co/ca, qui affichait des articles nécrologiques et des photographies prises par la demanderesse et d’autres membres du groupe — Elle l’a fait sans le consentement de la demanderesse et des autres membres du groupe — Le site Web de la défenderesse était une base de données nécrologique; il indiquait contenir 1 141 790 articles nécrologiques « au Canada » La défenderesse reproduisait, dans son site Web, des articles nécrologiques et des photos d’accompagnement tirés des sites Web des salons funéraires et des journaux canadiens — Selon les conditions d’utilisation affichées sur le site Web de la défenderesse, celle-ci détenait les droits d’auteur sur le contenu — Dans le site Web, on trouvait, sur la même page que l’article nécrologique, de la publicité pour des entreprises tierces ainsi que pour la vente de fleurs et de bougies virtuelles, et ces publicités généraient des profits pour la défenderesse — La demanderesse, dont le père est décédé, a découvert que le site Web de la défenderesse affichait l’article nécrologique et la photo de son père ainsi que des options pour l’achat de fleurs et de bougies virtuelles sur la même page, le tout sans son consentement — Elle a soutenu que la défenderesse a fait en sorte que des personnes ayant consulté l’article nécrologique sur le site Web aient cru qu’elle avait consenti à cette utilisation, et qu’elle en tirait profit — Elle a expliqué avoir été indignée et mortifiée à l’idée que des gens aient pu penser qu’elle cherchait à profiter de la mort de son père — La description qu’a faite la demanderesse de sa réaction à la découverte de l’article nécrologique de son père sur le site Web de la défenderesse a été reprise par de nombreux autres membres du groupe, lesquels ont vécu une expérience similaire après le décès d’un proche — La défenderesse n’a pas participé à la présente instance — La demanderesse a soutenu que la défenderesse a commis une violation du droit d’auteur et une violation des droits moraux en reproduisant les articles nécrologiques, en modifiant le contenu de bon nombre d’entre eux et en y ajoutant une composante de vente de bougies et de fleurs virtuelles, en plus d’afficher des annonces pour toute une gamme de produits — Il s’agissait de savoir si la défenderesse a violé le droit d’auteur et les droits moraux des membres du groupe lorsqu’elle a reproduit les articles nécrologiques ou les photographies sur le site Internet (afterlife.co/ca) sans autorisation; si les membres du groupe avaient droit à une mesure injonctive à l’encontre de la défenderesse; si la réparation pécuniaire peut être mesurée sur une base globale (pour l’ensemble du groupe) et, le cas échéant, quel en est le montant; si des dommages-intérêts punitifs ou des dommages-intérêts majorés devraient être accordés contre la défenderesse et, dans l’affirmative, à combien ils devraient s’élever — Étant donné que la défenderesse n’a pas pris part à la procédure, la demande était analogue à un jugement par défaut — La demanderesse devait établir la violation et le droit à la réparation demandée selon la prépondérance des probabilités — La preuve a établi que la demanderesse et les autres membres du groupe ont rédigé personnellement les articles nécrologiques et pris les photographies de la personne décédée, lesquels articles et photographies s’inscrivent dans la définition de l’expression « œuvre originale » telle qu’elle a été interprétée par la Cour suprême du Canada — Les affichages sur le site Web de la défenderesse ont prouvé qu’elle a reproduit les œuvres originales; la preuve fournie par la demanderesse et les membres du groupe a établi qu’ils n’ont pas autorisé la défenderesse à le faire; que certains membres du groupe ont demandé à la défenderesse de retirer leurs œuvres originales, mais que la défenderesse ne s’est conformée à leurs demandes qu’en partie — La défenderesse a fermé le site Web après l’introduction de la présente demande — La défenderesse a violé le droit d’auteur de la demanderesse et des membres du groupe sur les œuvres originales au sens de l’art. 27(1) de la Loi — En ce qui concerne le droit moral prévu à l’art. 28.2 de la Loi, la jurisprudence récente a souligné que le critère lié à l’atteinte aux droits moraux comporte à la fois un aspect subjectif et un aspect objectif — La preuve a établi que la défenderesse a associé les œuvres originales à un produit ou à un service en ajoutant la vente d’annonces, de fleurs et de bougies aux pages affichant les articles nécrologiques — Il est clair que les œuvres originales ont été utilisées en association avec ces produits — La preuve des membres du groupe a décrit en détail l’impact émotionnel qu’a eu sur eux la conduite de la défenderesse — L’art. 28.2 de la Loi porte sur le préjudice à l’honneur ou à la réputation, mais la jurisprudence a établi qu’il existe à la fois un élément subjectif et un élément objectif pour déterminer si l’honneur ou la réputation de l’auteur a subi un préjudice — Bien que la demanderesse soit sincère dans sa conviction que son honneur et sa réputation ont été lésés, aucune preuve objective n’a été fournie, comme une preuve de l’opinion publique ou une preuve d’expert — Par conséquent, la défenderesse n’a pas violé les droits moraux de la demanderesse et des membres du groupe — Conformément à l’art. 34 de la Loi, une injonction était justifiée dans la présente instance pour empêcher la défenderesse de continuer à violer les droits des membres du groupe sur les œuvres originales — Toutefois, une injonction large en vertu de l’art. 39.1 de la Loi n’était pas justifiée dans la présente instance — L’art. 34 de la Loi prévoit que les dommages-intérêts constituent un recours en cas de violation — La preuve disponible montrait qu’environ deux millions de violations ont été commises — L’octroi de dommages-intérêts globaux était approprié en l’espèce, étant donné que l’évaluation des dommages-intérêts individuels des membres du groupe serait peu pratique, entre autres raisons — La demanderesse a choisi l’attribution de dommages-intérêts préétablis — Les facteurs pertinents énoncés à l’art. 38.1(5) de la Loi, notamment la bonne foi ou la mauvaise foi de la défenderesse, ont été pris en considération dans la présente affaire et appuyaient pleinement l’octroi de dommages-intérêts préétablis — Par conséquent, l’argument de la demanderesse selon lequel des dommages-intérêts préétablis de 10 000 000 $ constituaint un montant juste et approprié dans les circonstances particulières de l’espèce a été accepté — En ce qui concerne les dommages-intérêts majorés, la demanderesse a réclamé une indemnité d’au moins 10 000 000 $ en dommages-intérêts majorés pour la dédommager, elle et les membres du groupe, des préjudices intangibles, comme la détresse et l’humiliation, causés par la conduite de la défenderesse — Compte tenu de la taille potentielle du groupe et de la répartition, au prorata, de tout montant susceptible d’être recouvré, aucun des membres du groupe ne serait réellement indemnisé de façon adéquate; par conséquent, des dommages-intérêts majorés de 10 000 000 $ étaient justifiés, et ont été accordés — Enfin, la demande de dommages-intérêts punitifs a été rejetée — Ces dommages-intérêts n’ont pas pour but d’indemniser, mais de punir; ils demeurent exceptionnels, et ne sont accordés que lorsque les dommages-intérêts compensatoires et les autres recours ne sont pas suffisants pour dénoncer le comportement en cause — La conduite de la défenderesse était arrogante et répréhensible, et constituait un écart marqué par rapport aux normes de la décence, mais le seuil élevé requis pour l’imposition de dommages-intérêts punitifs n’a pas été atteint en l’espèce — Demande accueillie.

                                                           

Thomson c. Afterlife Network Inc. (T-38-18, 2019 CF 545, juge Kane, motifs du jugement en date du 1er mai 2019, 28 p.)

 

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