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Pratique

Renvois

En septembre 2020, le procureur général du Canada a fait part à la Cour de sa position sur la façon d’appliquer l’art. 6 de la Loi sur les délais et autres périodes (COVID-19), L.C. 2020, ch. 11 (Loi) — Il était nécessaire de donner une réponse immédiate à la position du procureur général, car celle-ci contredisait le fondement sur lequel la Cour s’est appuyée pour gérer ses affaires depuis le début de la pandémie, ce qui causait une incertitude — L’art. 6 de la Loi prescrit notamment que les délais prévus sous le régime d’une loi fédérale sont suspendus pour la période commençant le 13 mars 2020 et se terminant soit le 13 septembre 2020, soit à une date antérieure fixée — La position du procureur général est que l’art. 6 de la Loi a pour effet de suspendre rétroactivement tous « les délais […] prévus sous le régime d’une loi fédérale » durant la période du 13 mars au 13 septembre et que l’art. 6 se substitue aux « ordonnances et directives émises » par les cours, y compris notre Cour, suspendant ou fixant des délais procéduraux La logique soutenant la position du procureur général rendrait inapplicable la directive à la pratique de la Cour[1], laquelle permettait à certaines instances de passer à l’étape de l’audience sur le fond — Si l’on se fie à la position adoptée par le procureur général, cette directive à la pratique, une directive à la pratique ultérieure datée du 1er septembre 2020 concernant les délais, ainsi que les décisions prises conformément à ces directives dans des affaires précises ne seraient plus valides, et ce, rétroactivement — Il était nécessaire que la Cour apporte des éclaircissements, en vertu de l’art. 54 des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106 (Règles), sur les délais applicables dans les instances en cours — La Cour a le pouvoir de donner des directives en vertu de l’art. 54 des Règles pour répondre à des parties qui font valoir unilatéralement leur position; elle peut également agir en vertu du plein pouvoir qu’elle possède de régir ses pratiques et procédures ainsi que de réagir à toute menace à celles-ci — Il était nécessaire en l’espèce d’émettre une directive en vertu de l’art. 54 des Règles et du plein pouvoir de la Cour — L’incertitude et la confusion créées par la position adoptée par le procureur général ont un effet direct sur la gestion des affaires dont la Cour est saisie ainsi que sur beaucoup de ses décisions — Il ne fait aucun doute que l’art. 6 modifie effectivement les délais prévus sous le régime de lois fédérales pour l’introduction d’instances devant la Cour — L’art. 6 vise aussi toute autre disposition prévoyant, sous le régime d’une loi fédérale, des délais applicables à la prise de mesures ou à l’accomplissement d’actes dans le cadre d’instances — Ce type de disposition est rare — Il a fallu examiner l’objet et le contexte de l’art. 6 afin d’en déterminer le sens authentique — Le législateur n’avait pas l’intention d’interférer dans les Règles, prises conformément à la procédure explicite, spéciale et distincte prévue à l’art. 46 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7; il n’avait pas l’intention d’invalider ou de modifier tous les délais prévus par tous les jugements, ordonnances, directives, directives à la pratique et mesures du greffe — Si ce n’était pas le cas, il en résulterait de la confusion et potentiellement du tort – ce qui n’est sûrement pas l’intention du législateur — Pour mener à de tels résultats, il faudrait que l’art. 6 soit libellé dans le langage législatif le plus clair possible, mais l’art. 6 n’est pas libellé dans un tel langage — Les Règles n’ont pas été prises « sous le régime d’une loi fédérale » au sens dont on l’entend généralement — Les Règles sont établies par un comité constitué par la loi (Loi sur les Cours fédérales, art. 45.1(1)) composé en majorité de juges, en consultation avec des intervenants importants, dont le procureur général du Canada — La bonne façon de modifier les Règles est de passer par le comité des Règles — Si on interprétait l’art. 6 comme autorisant le législateur à intervenir unilatéralement dans la gestion et l’administration d’instances en cours, le législateur s’immiscerait dans une des fonctions essentielles du pouvoir judiciaire — Lorsque c’est possible – et c’est possible en l’espèce – l’art. 6 doit se voir attribuer un sens qui est compatible avec l’indépendance judiciaire et qui respecte les impératifs constitutionnels — De plus, les ordonnances et directives de la Cour constituent le droit applicable jusqu’à ce qu’elles soient annulées — Cette règle est absolue  : les ordonnances et directives ont plein effet juridique à moins qu’elles ne soient explicitement modifiées, exclues ou invalidées par des ordonnances ou directives explicites subséquentes ou par une loi précise (à supposer qu’une telle loi soit constitutionnelle) — L’art. 6 ne prévoit pas expressément la modification, l’exclusion ou l’invalidation des ordonnances judiciaires déjà prononcées ni des décrets déjà pris — Il s’ensuit que les délais prévus par les ordonnances et les directives de la Cour demeurent valides et que l’art. 6 ne s’y est pas substitué De même, les dispositions des Règles qui fixent des délais demeurent valides et l’art. 6 ne s’y est pas substitué — L’art. 6 est sans effet sur les directives à la pratique données par la Cour et sur les mesures prises par le greffe conformément à ces directives à la pratique — La Cour a donc donné une directive selon laquelle la position du procureur général au sujet de l’interprétation et de l’effet de l’art. 6, en ce qui concerne les délais fixés par règlement pris ou par ordonnance rendue en vertu de celui-ci, est mal fondée en droit et il ne doit pas en être tenu compte — Les Règles ainsi que les directives à la pratique, jugements, ordonnances et directives de la Cour demeurent tenantes et applicables.

Affaire intéressant l’article 6 de la Loi sur les délais et autres périodes (COVID-19) (A-212-20, 2020 CAF 137, juge en chef Noël, motifs de la directive en date du 3 septembre 2020, 8 p.)



[1] Avis aux parties et à la communauté juridique intitulé Levée graduelle de la période de suspension – COVID-19 (11 juin 2020)

 

 

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