Fiches analytiques

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2021] 4 R.C.F. F-23

Pratique

Sujet connexe : Droit d’auteur

Appel interjeté à l’encontre d’un jugement (2021 CF 216)  par lequel la Cour fédérale a accueilli l’appel de la décision de la protonotaire rejetant l’action sous‑jacente intentée par les appelantes pour violation du droit d’auteur à l’égard des œuvres cinématographiques apparaissant sur les « sites Web Pornhub » des intimés — L’affaire portait sur la réparation appropriée lorsqu’il est établi qu’il y a un retard injustifié, conformément à la règle 167 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (Règles) — Plus précisément, il s’agissait de savoir si la Cour devrait commencer par la présomption de rejet qui existe si un retard injustifié est établi ou si le pouvoir discrétionnaire de la Cour est absolu et que le rejet ne devait être utilisé qu’en dernier recours — Les intimés ont présenté le 23 septembre 2019 une demande de précisions à laquelle il a été répondu partiellement le 30 septembre 2019 et en totalité le 21 octobre 2019; toutefois, les appelantes ont refusé de fournir la plupart des précisions demandées — Les réponses des appelantes mentionnaient une intention de déposer une déclaration modifiée, ce qui a eu lieu le 13 février 2020 — Le 11 mars 2020, les intimés ont présenté une nouvelle demande de précisions; ils ont également mentionné qu’ils présenteraient une requête en précisions et (ou) une requête en radiation si les renseignements demandés n’étaient pas reçus au plus tard le 25 mars 2020 — Peu de temps après, la Cour a décidé, par suite de l’émergence de la pandémie de COVID‑19, de suspendre, par étapes, le compte à rebours en lien avec les délais imposés par les Règles à compter du 16 mars 2020, puis jusqu’en juin et juillet 2020, pour différentes régions du Canada — N’ayant pas eu de nouvelles des appelantes, les intimés sont allés de l’avant avec leur lettre du 11 mars et ont déposé une requête en rejet pour cause de retard le 11 mai 2020 — Le 4 juin 2020, les appelantes ont fourni les détails demandés par les intimés et se sont engagées à fournir une autre déclaration modifiée, qui a été déposée le 16 juin 2020 — Le 16 octobre 2020, la protonotaire a rejeté la requête des intimés visant à obtenir l’autorisation de déposer une preuve en réplique sous forme d’affidavit fait sous serment le 13 juillet 2020, mais elle a accueilli en partie la requête en rejet — En ce qui concerne la requête en autorisation, la protonotaire a conclu que des éléments de preuve supplémentaires concernaient des événements survenus après le dépôt de la requête en rejet; cette preuve n’était donc pas utile, puisqu’elle ne se rapportait pas à des événements antérieurs au dépôt de la requête — Par conséquent, la protonotaire n’a pas conclu que l’intérêt de la justice justifiait l’octroi de l’autorisation et a rejeté la requête — Dans le cadre de la requête en rejet, la protonotaire a conclu que les intimés n’avaient jamais manqué aux Règles, qu’ils avaient été justifiés de suspendre la signification de leur défense jusqu’à ce qu’ils reçoivent les précisions demandées et qu’ils avaient ainsi satisfait à la première exigence de la règle 167 — Elle a également conclu que les intimés s’étaient acquittés de leur fardeau de démontrer l’existence d’un retard excessif — Convaincue qu’il était satisfait au critère à trois volets relatif au retard injustifié, la protonotaire a ensuite statué que l’affaire devait être entendue suivant la gestion de l’instance; elle a conclu que les intimés semblaient prêts à aller de l’avant nonobstant le retard — Dans le cadre de la requête en autorisation, la Cour fédérale a statué que la protonotaire avait commis une erreur en omettant de déterminer si l’affidavit en réplique était pertinent dans le contexte de l’évaluation de la réparation à accorder à l’égard du retard injustifié; elle a conclu que l’affidavit en réplique était pertinent quant à la question de la réparation et que l’autorisation aurait dû être accordée — En ce qui concerne la requête en radiation, la Cour fédérale a conclu que les questions de savoir s’il y avait eu défaut des intimés et s’il y avait eu retard injustifié n’avaient pas été régulièrement soumises à la Cour — Elle a également conclu que la protonotaire n’avait pas tenu compte des éléments de preuve pertinents qui indiquaient que la gestion de l’instance était inappropriée dans les circonstances — Il s’agissait de savoir si les appelants ont interjeté appel conformément à l’art. 27(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7; si la Cour fédérale a commis une erreur en accordant l’autorisation de déposer une preuve en réplique; si la Cour fédérale a commis une erreur en rejetant l’instance pour retard — L’art. 2 de la Loi définit le jugement définitif comme étant un « jugement ou autre décision qui statue au fond, en tout ou en partie, sur un droit d’une ou plusieurs des parties à une instance » — La Loi ne définit pas le « jugement interlocutoire » — Toutefois, dans une affaire antérieure, la Cour a statué que toute ordonnance portée en appel qui ne statue pas au fond sur des droits est interlocutoire — Si la Cour fédérale avait statué sur la requête relative à la preuve en réplique dans un jugement autonome, il ne fait aucun doute que celui‑ci aurait été considéré comme étant un jugement interlocutoire — La portée de la preuve disponible ressortit manifestement à la procédure et non au fond — En l’espèce, la Cour fédérale a rendu un jugement unique sur les deux requêtes, qui ont été plaidées ensemble et qui étaient étroitement liées — L’admission de la preuve en réplique a de toute évidence joué un rôle déterminant dans la décision rejetant l’action sous‑jacente — Le fait d’exiger des appelantes qu’elles déposent deux appels distincts dans ces circonstances ne favoriserait pas une saine administration de la justice — Par conséquent, l’appel relatif à la preuve en réplique a été déposé en temps opportun et devrait être instruit — Il y a  trois questions à répondre sous le régime de la règle 167 : la question de savoir si la partie requérante est en défaut aux termes des Règles; 2) dans la négative, s’il y a eu un retard injustifié de la part des demanderesses dans l’affaire; et 3) dans l’affirmative, si l’affaire doit être rejetée ou si d’autres sanctions doivent être imposées — Compte tenu de la nature discrétionnaire du pouvoir de la Cour de rejeter l’instance ou d’imposer une autre sanction, la protonotaire aurait dû se demander si la preuve l’aiderait à déterminer la réparation appropriée dans les circonstances — La protonotaire a fait preuve d’incohérence en accordant aux appelantes un crédit pour des faits qui sont survenus après le dépôt de la requête tout en refusant aux intimés la possibilité de déposer une preuve par affidavit sur des faits postérieurs au dépôt de la requête qui mettaient le comportement des appelantes en contexte — La protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante dans son évaluation de l’utilité de l’affidavit en réplique que les intimés ont demandé l’autorisation de déposer; la Cour fédérale était justifiée d’intervenir et d’annuler la décision de la protonotaire à cet égard — La jurisprudence existante de la Cour fédérale a énoncé un critère à trois volets pour déterminer si une instance doit être rejetée pour retard — La Cour doit déterminer : 1) s’il y a eu un retard injustifié; 2) si le retard est excusable; 3) si le retard est susceptible de causer un préjudice grave aux défendeurs (intimés) — Les appelantes ont contesté la décision de la Cour d’annuler la sanction imposée par la protonotaire (gestion de l’instance) et de rejeter l’action comme mesure de réparation appropriée, après avoir interprété la règle 167 comme incluant une présomption de rejet déclenchée une fois qu’il est satisfait aux éléments de la règle; elles ont soutenu que la Cour fédérale avait commis une erreur en imposant cette présomption — L’interprétation de la règle 167 donnant lieu à une présomption de rejet lorsqu’un retard injustifié a été constaté ne serait pas compatible avec le texte, le contexte et l’objet de la règle en cause — L’élément central de la règle 167 est le pouvoir discrétionnaire accordé à la Cour d’imposer tout type de sanction qu’elle juge utile pour assurer le bon déroulement de l’instance, en temps opportun — La Cour fédérale a commis une erreur de droit en concluant que la présomption de rejet s’appliquait si un délai injustifié était établi — Ni le libellé de la règle 167, ni son objet, ni la jurisprudence n’appuyaient une telle interprétation — Le retard judiciaire ne devrait jamais être toléré; il y a lieu de décourager fortement la complaisance en présence de manœuvres d’obstruction, de tactiques visant à retarder le déroulement d’une instance et d’un véritable manque de diligence pour faire avancer une instance — L’erreur de la Cour fédérale concernant le fardeau de la preuve ou la réparation présumée a joué un rôle déterminant dans sa décision d’infirmer la décision discrétionnaire de la protonotaire ordonnant la gestion de l’instance — La décision discrétionnaire de la protonotaire aurait dû être maintenue — La protonotaire n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a ordonné la gestion de l’instance — La protonotaire aurait dû accepter la preuve en réplique, mais cette erreur n’était pas dominante, puisqu’elle n’a pas eu pour effet de changer le résultat — L’opposition à la gestion de l’instance ne dépouille pas la Cour fédérale de ses pouvoirs de réparation en vertu de la gestion de l’instance, de son pouvoir inhérent de contrôler sa propre procédure ou de sa capacité de citer des parties pour outrage au tribunal au motif qu’elles ont omis de se conformer à des ordonnances judiciaires — La Cour fédérale a commis une erreur de droit en modifiant les conclusions de la protonotaire en l’absence d’une erreur manifeste et dominante — Appel accueilli en partie — Le jugement de la Cour fédérale relativement à la règle 167 a été annulé; l’ordonnance de la protonotaire voulant que l’action sous‑jacente se déroule comme une instance en gestion spéciale a été rétablie.

Sweet Productions Inc. c. Licensing IP International S.A.R.L. (A-100-21, 2022 CAF 111, juge de Montigny, J.C.A., motifs du jugement en date du 10 juin 2022, 21 p.)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.