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Éx. C.R.] EXCHEQUER COURT 01 CANADA 189 FRANÇOIS . THIBOUTOT SUPPLIANT; 1932 vs Mar. 3. HIS MAJESTY THE KING RESPONDENT. April 19. CrownResponsibilityPublic worksNegligenceExchequer Court Act, Section 19, as. (c) T., a carpenter, was engaged in doing certain carpentering on a building at the Experimental Farm, at St. Anne de la Pocatière, a public work of Canada. He and his co-employee were shown certain planks by the foreman in charge and told to build their own scaffold and to be careful, in the selection of planks and to test them; and upon T. saying there were only old planks, he replied: there are some new and some old, but the old are good. T., in the course of scaffolding, was standing on that part of the scaffold across which the planks are placed on which to stand while working, and asked his co-employee B. to hand him a plank to put, across. This B. did, and T. placed it across the support, and upon T.'s walking upon it, the plank snapped and T. fell to the ground and was injured. The plank had a' knot in i t running transversely, at which point it broke. The Crown ,claims T. was warned, and that being an expert ,carpenter he should have noticed the defect, and failing to do so, he was the victim of his own negligence. Held that the injury to T. 'resulted from the negligence of an officer or servant Of, the Crown while acting within the scope of his duties or employment on a public work, and that T. was entitled to recover from the Crown for the damage he, had suffered. 2. That the question of responsibility is to be decided according to the law 'of the province where the cause of action arose: (The King v. Desrosiers, 41 S.C.R. 71 and' The King v. Armstrong, 40 S.C.R.• 229 referred to.). 3. That the Crown was in law. held. to see that only competent and prudent foremen were engaged to see to the safety of the men, and that the fact 'of the foreman furnishing the defective plank in question and' stating the used ones were good, coupled with the act of a 'co-employee in handing it to him, was negligence for which the Crown was responsible. , 4. That, in the circumstances, there was no negligence on the part of T. in not noticing the defect. ' PETITION of Right to recover: from the Crown a certain sum for damages suffered by the' petitioner due' to a fall from . a. ' scaffold on ' which he was working making
190 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1932 1932, repairs to a building at an experimental farm, a public THIDOIITOT work of Canada. THE KING. The action was tried before the Honourable Mr. Justice Angers, at Quebec. Pierre de Guise for suppliant. Leo Bérubé for respondent. The facts are stated in the reasons for judgment. ANGERS J. now (April, 19, 1932) delivered the following. judgment. Le pétitionnaire, par j sa pétition de droit, réclame, à titre de dommages-intérêts, la somme de $8,512.60, * * * Le 14 novembre 1930, le pétitionnaire était à l'emploi du Ministère des travaux publics: le fait est admis (parag. 1 de la défense). Le pétitionnaire, menuisier de son métier, travaillait à la Ferme Expérimentale de Sainte-Anne de la Pocatière, qui est sous la direction du Ministère fédéral de l'agriculture. Le pétitionnaire, au cours de son travail, est monté sur ce qu'il appelle un "toquet", indiqué dans le croquis produit comme exhibit numéro 1 par la lettre "A"; son but était de placer sur ce "toquet" ou support un madrier traversant du point "A" au point "B" (un autre "taquet" ou support), lequel madrier devait servir d'échafaud. Il a reçu des mains d'un nommé Boucher, l'un de ses compagnons de travail et lui-même apprenti-menuisier à l'emploi du Minis-tère des travaux publics, le madrier qu'il devait poser et qu'il a de fait posé sur les taquets "A" et `B". Cela fait, le pétitionnaire est monté sur un échafaud supérieur pour y exécuter certains travaux selon les instructions qu'on lui avait, données. Son ouvrage terminé sur cet échafaud, il en est descendu pour remonter sur l'échafaud inférieur, . savoir celui construit avec le madrier que lui avait fourni Boucher. Le pétitionnaire a traverser ce madrier dans l'exécu-tion de son travail; en arrivant au milieu du madrier, celui-ci a cassé et le pétitionnaire a été précipité sur le sol d'une hauteur de 9 à 10 pieds. Il s'est fracturé deux os du pied gauche. Immédiatement après l'accident; le pétitionnaire a reçu du docteur , Pageau les traitements d'urgence, , puis il a .été, sur l'ordre de ce dernier, transporté à l'hôpital à Lévis,.
Ex. C.R.] EXCHEQUER COURT OF CANADA 191 il est resté d'abord du 14 novembre au 31 décembre 1930, 1932 puis du 5 au 17 janvier 1931 et finalement du 11 au 21 THIBOVTOT février 1931. Le pétitionnaire dit qu'il lui a été impossible THE KING. de faire quelque ouvrage que ce soit avant le commence- ment de septembre 1931. D'un autre côté, il est allé voir le Angers J. docteur Roy vers le commencement de juillet 1931 et celui- ci a alors fixé à 18 p. 100 l'incapacité permanente partielle du pétitionnaire. A compter de cette date l'état physique du pétitionnaire, quant à ce qui concerne les conséquences de l'accident, doit être considéré comme définitif. Aux dires du docteur Roy, le pétitionnaire souffrira d'une incapacité permanente partielle résultant d'une déchirure de certains ligaments; il est sujet à se renverser ou se tour- ner le pied fréquemment. La déchirure des ligaments est irrémédiable. De plus, le pétitionnaire est exposé à ressen- tir de la douleur dans le talon du pied gauche à cause de la présence d'une parcelle ,d'os brisé dans le talon. Il incombe d'abord au pétitionnaire, pour pouvoir obtenir gain de cause, de démontrer que son cas tombe sous le coup du paragraphe (c) de l'article 19 du chapitre 34 des Statuts Revisés du Canada, 1927: La cour de l'Exchiquier a aussi juridiction exclusive en première instance pour entendre et juger les matières suivantes: (a) (b) (c) Toute réclamation contre la Courenne provenant de la mort de quelqu'un ou de blessures à la personne ou de dommages â la propriété, résultant de la négligence de tout employé ou serviteur de la Couronne pendant qu'il agissait dans l'exercice de ses fonctions ou de son emploi dans tout chantier public. Il doit donc être établi: 1° que l'accident est survenu dans un chantier public public work --selon le texte anglais du Statut. 2° que les blessures subies par le pétitionnaire résultent de la négligence d'un employé ou serviteur de la Cou-ronne, agissant dans l'exercice de ses fonctions ou de son emploi. Il est prouvé hors de doute que l'accident est arrivé sur un chantier public, appartenant à la Couronne et exploité par elle. Il reste à déterminer si l'accident est attribuable à la négligence d'un employé ou serviteur de la Couronne, com-mise pendant que- cet employé ou serviteur agissait 'dans l'exercice ses fonctions.
EXCI-M,Q1JR., COURTE OF, CANADA ; [I982 Le pétitionnaire 'allègue dans sa. 'pétition:.• ,',T.?Finovrar -(a) . que le madrier qui s'est brisé ,a. été' plaie Sur ,récha-v. TgE, KING. faud,par ;un, 'ouvrier à l'emploi du ' GouVerherrient, sur les ordres d'un contremaître égaleineirt à 1/61-tiPlOi Ani g 7 e r ' s -du Gouvernement; - , , .• , (b)' que ;ce madrier' était 'en Mauvais état ; ; ' ,' ';, (c) que le Gouvernement, par- lui-mênie sew eihrd.Oés, . 'manqué ,de priiden'ce en 'ne fourniSsant' pas" -au •; pétitionriairee un échafaud' convenable. ' •' ';'": L'intimé répond ' ' " (a): :;qUe le madrier a' été placé réehafaud 'Par le tionnaire ' lui-même, avec l'aSsigtanCe ployé, mais 611:l'absence COntrefnaltre;- ' (b) que; comMe' Menuisier,' le pétitionnaire 'était ", ; pOsséder la' , ciriripéterice nécéSsaire pour 'n'eniPloYer liana la construction d'Un éChafarid qte rnatériatk 'sains 'et qUe' l'acCident est diiUniqtrendent à sefatite et' négligerice.' . ; •• ,•• ; -'La : preuve cléniontre que le madrier, 'resPonsable de l'ae-(Adent, a été Placé Sur réchafaud 'Par Pétitionnairé mêMe f -;Coi-itrairemérit l'allégation 5 'tte pétition 'mais conformément à sa déposition en cour (P. -; J'Ai men-té 'sur-ce "toque-L.1h poni poser uii idaelriér :sur ' le 'inclue 1414.16rd A; .Lotus-Philippe' BdUcher donné un. madrier c id e-j'ai this sur , le togne en, traversant de , A, à , ,.„ ; ; . Sir ;çe point, Thiboutot est 'corroboré par ,Boucher ; celui7 le, madrier, parmi 'd'autres, à terre, près de l'écha, faUdage,pt l'a remis A.Thiboutot qui l'a,. placé. , ' Boucher travaillait la Ferme Expérimentale coriurie apprenti-menuisier, à. d'emploi 'du Gouvernement.-' -; Madore, menuisier'ide 'son ritétier depUis rioiribre'd'anriéeS et ,contremaître; s'otas les ordresde 'qui travaillait ' pétil tionnairei déclare que SainteLMariel qtli était qforerriari" et registraire ,.(vraiseiriblablerterit régisieUr);' 'lui aurait' 'dOnné ordre de voir aux travaux et'' de' "fournir. le -bas V-Oute il ajoute que;.• lui ; (Madore), il -a donné , iristruetibris ès hommes de 'prendre garde eu.; 'échafaudant- 'et de'':SOriderk.tléS madriers),-..avant , de, 'monter leS .!éclialauds'et ;que ThibdUtbt était-présent quand il.' a' donné ces 'instructiotik:"' te tionnaire lui a dit qu'il y avait'SeUlement vieuk Thadriei. ce. à _quOi il aurait, répondu: 11, y, a des. vieux. madriers mais
Ex. C.R.] EXCHEQUER COURT OF CANADA 193 ils sont bons, en tous les cas, il y en a des neufs aussi. Vous 1932 les sonderez, ça se voit quand un madrier est bon." Ta/BomroT Aux dires de ce témoin, il y avait, lors de l'accident, une V. THE KING. dizaine de madriers, dont six neufs; voici, au surplus, le Angers J. texte même de sa déposition sur ce sujet: Q. Quelle quantité de madriers y avait-il ? R. Il y avait encore une dizaine de madriers, je les ai comptés après l'accident. Q. Parmi ces dix madriers-là, combien en avait-il qui pouvaient faire des bons échafaudages? R. Il y avait six madriers neufs, et le restant était de vieux madriers, des vieux qui avaient servi à des échafauds avant. Des échafauds qu'on avait démontés. Plus loin, l'on trouve dans son témoignage, la déclaration suivante: Q. Vous avez dit à Thiboutot et aux autres que les vieux madriers étaient bons? R. ILy en avait des bons, mon cher monsieur, on rachevait la bâtisse, on avait échafaudé tout le tour avec, il y en avait des vieux et des neufs, et cela n'a pas cassé. Thiboutot, de son côté, affirme que Madore ne lui a pas dit de faire attention aux madriers. C'était la coutume à la Ferme d'employer dans la construction des échafauds des madriers déjà utilisés: ceci res-sort des témoignages du pétitionnaire, de Boucher et de Madore. Que le madrier qui a causé l'accident n'était pas propre à l'usage pour lequel il a servi, cela s'infère de l'accident même: res ipsa loquitur. Inutile d'insister sur ce point. En résumé, il me paraît avéré que le madrier en question a été posé par le pétitionnaire, à qui il a été remis par Boucher, un employé du Gouvernement; que ce madrier a été pris parmi plusieurs autres, dont quelques-uns neufs et quelques autres usagés, mis à la disposition des menuisiers par le Gouvernement ou ses employés ou serviteurs pour la construction des échafauds et utilisés à cette fin couram-ment, à la connaissance, voire même sur les instructions, du contremaître. Notons en passant que la question de responsabilité doit être déterminée d'après les lois de la province la cause d'action a pris naissance: The King vs Desrosiers (1); The King vs Armstrong (2). (1) (1908) 41 S.C.R. 73. (2) (1908) 40 SC.R. 229. 51576la
194 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1932 1932 Les faits ci-dessus relatés suffiraient pour établir la res- THIDOUTOT ponsabilité de l'intimé, à moins que j'en arriverais à la con-xma. elusion que le pétitionnaire, comme menuisier, aurait THE constater que le madrier que lui passait Boucher était en Angers s. mauvais état et impropre à l'usage auquel on le destinait. Dans ce cas, il pourrait y avoir lieu au rejet de l'action, si la faute du pétitionnaire a été l'unique cause déterminante de l'accident, ou à un jugement de faute commune, si l'accident a été occasionné tant par la faute de l'intimé ou de ses employés ou serviteurs que par la faute du pétitionnaire lui-même. Il n'y aurait pas de doute, il me semble, que, si le madrier fourni par Boucher eût été posé par un employé du Gou-vernement autre que le pétitionnaire, l'intimé serait res-ponsable des dommages causés à Thiboutot, en vertu des dispositions de l'article 1054 C.C., à moins que la preuve ne révélerait que l'accident est attribuable à la faute du péti-tionnaire lui-même; il ne saurait être question, en l'espèce, d'un cas fortuit ou de force majeure. Mais, comme il a été dit, le madrier a été placé sur l'écha-faudage par le pétitionnaire lui-même. Le cas se trouve également régi par l'article 1054 C.C., et la responsabilité de l'intimé est engagée, à moins qu'il n'ait établi que l'accident a été causé par la négligence de la victime; la question de force majeure ou de cas fortuit ne se présente point, dans le cas qui nous occupe. Mais il y a plus. Je crois que la preuve démontre qu'il y a eu négligence de la part d'employés et serviteurs de l'in-timé. Si, comme le prétend l'intimé, et comme le déclarent deux témoins de la défense (Madore et Perrault), la défec-tuosité du madrier, i.e. le noeud qui l'affectait, était visible et facile à constater, sûrement elle l'était pour Sainte-Marie, le surintendant ou régisseur des travaux, pour Madore, le contremaître, et pour Boucher, tous trois employés ou serviteurs de la Couronne. Et ceux-ci étaient dans une meilleure position pour juger de la qualité du madrier que le pétitionnaire qui était dans une situation plutôt précaire et désavantageuse sur un "toquet" ou support de douze ou treize pouces de largeur. Boucher dit bien qu'il ne se serait pas servi de ce madrier pour en faire un échafaud; pourquoi alors l'a-t-il passé à Thiboutot? Le contremaître Madore affirme que l'on pou-
Ex. C.R.] EXCHEQUER COURT OF CANADA 195 vait constater que le madrier en question était défectueux; 1932 pourquoi l'a-t-il laissé à la disposition des ouvriers et T uiaourOT menuisiers qu'il avait sous sa charge? Pourquoi a-t-il déclaré THE KING. à Thiboutot qui lui faisait remarquer que c'était de vieux Angers J. madriers, que ces madriers étaient bons? Devant la preuve au dossier, il semble difficile d'en arri-ver à une autre conclusion qu'il y a eu négligence: (a) de la part de Sainte-Marie et de Madore, de laisser à la disposition de leurs ouvriers des matériaux de mauvaise qualité; (b) de la part de Madore, de dire à Thiboutot que les vieux madriers étaient bons; (c) de la part de Boucher, de passer à Thiboutot un madrier qui n'était pas suffisamment sain et fort pour servir à un échafaudage. Le Gouvernement était tenu de mettre à la direction des travaux un contremaître compétent et suffisamment prudent pour voir à la sécurité de ses ouvriers; ne l'ayant pas fait, il a engagé sa responsabilité: article 1053 C.C. Il reste à examiner si le pétitionnaire a lui-même commis une faute. Dans l'affirmative, il s'agira de déterminer si cette faute a été l'unique" cause déterminante de l'accident ou si elle y a simplement contribué. La défense soutient qu'il y a eu faute de la part du péti-tionnaire, alléguant que, vu sa qualité de menuisier, il aurait pu et constater que le madrier qu'on lui offrait était défectueux. Il ne faut pas perdre de vue que Thibou-tot était sur un support ou "toquet" d'une douzaine de pouces de largeur à une hauteur de 9 ou 10 pieds du sol. Un de ses compagnons de travail lui a tendu, à bout de bras vraisemblablement, un madrier qui devait avoirla preuve sur ce point, comme sur d'autres d'ailleurs, est malheureuse-ment incomplète et peu satisfaisanteune douzaine de pieds de longueur et peut-être plus. Ce madrier avait déjà servi et n'était pas propre. Il était difficile, pour ne pas dire impossible, en pareilles circonstances, de constater l'existence d'un noeud. En fait Thiboutot affirme qu'il ne l'a pas vu. Et Madore lui-même, bien qu'il déclare qu'il n'aurait pas employé le madrier, n'ose pas affirmer que les défectuosités en étaient apparentes: Q. Est-ce que pour un ouvrier connaissant son métier, les défectuo-sités de ce madrier étaient apparentes? R. C'est malaisé à dire après qu'on le voit . . . quand on le voit après qu'il est cassé, c'est malaisé. 51576-1 la
196 EXCHEQUER COURT OF CANADA [ 1932 1932 D'un autre côté, Thiboutot avait raison de croire que le THIBOUTOT madrier que Boucher lui offrait était sain et solide; il était THE KING. justifiable d'ajouter foi à l'assertion du contremaître Madore que les vieux madriers, laissés à la disposition des Angers J. ouvriers pour fins d'échafaudage, étaient bons. La preuve relative au moment l'accident est arrivé n'est guère précise. D'après la version de Thiboutot, il se serait produit environ une heure après que le madrier a été installé; aux dires de Boucher il serait survenu le lende-main. La chose n'a peut-être guère d'importance, bien que l'on ait semblé vouloir suggérer que Thiboutot avait eu tout le temps voulu pour se rendre compte de l'état du madrier. D'abord je suis disposé à accepter la version catégorique de Thiboutot sur ce point de préférence à celle, plutôt hésitante, de Boucher. Celui-ci n'a pas affirmé caté-goriquement que l'accident était arrivé le lendemain matin; il a simplement déclaré qu'il le croyait. Il n'y a d'ailleurs rien d'étonnant à ce que ce détail ne lui soit pas resté à la mémoire après le délai assez long qui s'est écoulé entre la date de l'accident et le jour il a été entendu comme témoin; il n'avait aucune raison quelconque de noter ce fait particulier. Il est tout naturel, par contre, que le péti-tionnaire se remémore les circonstances de l'accident dont il a été victime. La version qu'il a donnée relativement à l'emploi de son temps entre l'installation du madrier et sa chute semble bien indiquer que l'accident est arrivé peu de temps après l'érection de l'échafaud; le pétitionnaire est descendu de l'échafaud supérieur pour immédiatement remonter sur l'autre échafaud, d' il est tombé. La des-cente de l'échafaud supérieur, l'ascension sur l'échafaud inférieur et la chute, trois faits concomitants, sont natu-rellement restées gravées dans la mémoire de Thiboutot. Encore une fois, je crois devoir adopter sa version. En toute justice, cependant, j'ajouterai que les deux témoignages m'ont paru être de bonne foi et que cette divergence sur une question de détail n'offre rien d'insolite et ne peut affecter la crédibilité de l'un ou l'autre des témoins. Au surplus, le fait que l'accident aurait pu avoir lieu le lendemain matin ne pourrait absoudre l'intimé de sa res-ponsabilité, vu que le pétitionnaire, pour les raisons préci-tées, n'avait aucun motif de douter de la solidité du madrier.
Ex. C.R.] EXCHEQUER COURT OF CANADA 197 Le procureur de l'intimé a appuyé quelque peu sur les 1932 instructions qu'aurait données le contremaître à ses hommes THmouTOT de faire attention aux matériaux qu'ils emploieraient dans THE KING. la construction de leurs échafauds, pour en conclure que le pétitionnaire, ayant désobéi à ces instructions, s'est rendu Ani J. coupable de négligence et qu'il est en conséquence seul blâmable pour l'accident dont il a été la victime. L'on ne m'a cité, de part ni d'autre, aucune autorité sur la question; j'ai cru devoir y consacrer une étude particulière. Il est bon de noter d'abord que les instructions, que Madore prétend avoir données, sont en termes généraux, imprécises et nullement détaillées. Il recommande simple- ment de prendre garde en échafaudant, de sonder les madriers avant de monter les échafauds et, sur une remar- que de Thiboutot, il ajoute que les vieux madriers sont bons. Il ne mentionne pas quels matériaux devront être utilisés, il n'indique pas la qualité ni la dimension des madriers dont on devra se servir, il n'exige même pas l'em- ploi de madriers neufs. Au contraire, comme je viens de le faire remarquer, il dit à Thiboutot que les madriers qui ont déjà servi sont bons, en autorisant ainsi et même en recom- mandant l'emploi. Il ne faut pas perdre de vue qu'il ressort de la preuve que c'était une coutume établie et connue aussi bien du contre- maître que des ouvriers de se servir de madriers usagés dans l'érection d'échafauds. La déclaration de Madore que ces madriers étaient bons ne faisait que confirmer cette coutume et ne pouvait avoir d'autre effet que d'en encou- rager la continuation. Dans trois causes, à ma connaissance, ressortissant à ce tribunalil en est probablement d'autresla portée que peut avoir la désobéissance d'un ouvrier à des instructions données par un contremaître sur la responsabilité du patron résultant d'un accident a été discutée. Il y a d'abord la cause de Lamontagne et le Roi (1) : il s'agissait d'un accident survenu à un chauffeur (stoker) sur un bateau du Gouvernement. Ordre avait été donné par l'ingénieur en chef et communiqué au pétitionnaire "that no employee on board, including stoker or `graisseur', was to touch the machinery without a special order from the chief engineer". Malgré cette défense absolue, le pétition- (1) (1909) 12 Ex. C.R. 284.
198 EXCHEQUER COURT OF CANADA [ 1932 1932 paire, employé comme chauffeur, a, à la demande d'un TaIBOUTOT ingénieur malade, jugé à propos de mettre la machine en Tsé x uva. opération; comme résultat il a été blessé. Sa pétition de droit a été rejetée, pour cause de désobéissance aux instruc-Angers J. tons reçues, équivalant à faute. La Cour a trouvé qu'il n'y avait eu aucune négligence de la part des employés de l'intimé. Vient ensuite la cause de Sabourin et le Roi (1). Il s'agissait en l'espèce d'une réclamation de la part d'une veuve résultant de la mort de son mari, électrocuté, alors qu'il était à réparer une lampe électrique faisant partie du système d'éclairage du canal Soulanges, pour ne s'être pas servi de gants de caoutchouc qu'il avait à sa disposition, malgré des instructions formelles à cet effet. La cause a d'abord été entendue par un arbitre (referee) qui a rejeté la réclamation par le motif que l'accident était à la faute de la victime, et cette décision de l'arbitre a été main-tenue par l'honorable juge Cassels. Il y a enfin la cause de Girard et le Roi (2) : un ouvrier, contrairement à une défense formelle de ce faire, ayant mis la main dans une machine pour en retirer une pièce qui y était tombée, s'est fait couper un doigt qui a être amputé. La pétition de droit en réclamation de dommages a été rejetée, le motif étant que la cause immédiate de l'accident était la désobéissance de la victime aux instructions reçues et qu'aucune négligence n'était imputable à la Couronne ou ses employés ou serviteurs. Il y a une distinction à faire entre ces trois causes et celle qui nous occupe. Dans les causes précitées, il y avait eu des instructions explicites et formelles de ne pas faire une chose dangereuse déterminée ou de ne la pas faire sans adopter des mesures de précaution ou de sûreté précises et clairement indiquées et, dans chacun des cas, la désobéis-sance de la victime a été la cause déterminante de l'accident. Le fait de se tenir sur un échafaud n'est pas en soi une chose dangereuse; il n'y a danger que si l'échafaud n'est pas solide ou n'est pas construit de matériaux suffisamment forts. Comme nous l'avons vu, le contremaître a recom-mandé à ses hommes de prendre garde, de faire attention, de sonder les madriers en érigeant leurs échafauds. Et, sur (1) (1911) 13 Ex. C.R. 341. (2) (1916) 16 Ex. C.R. 95.
Ex. C.R.] EXCHEQUER COURT OF CANADA 199 une remarque du pétitionnaire que les madriers à sa dispo-1932 sition étaient de vieux madriers, le contremaître lui a THIBOIITOT répondu qu'ils étaient bons. En s'en servant Thiboutot THE KING. n'allait pas à l'encontre des ordres de son contremaître; au Angers J. contraire, il employait les matériaux qu'on lui recomman- dait. La position eût été bien différente si, par exemple, Madore avait dit aux ouvriers de n'employer que des madriers neufs dans l'érection des échafauds et que, passant outre à cette recommandation, le pétitionnaire aurait pris un vieux madrier dans un tas il s'en serait trouvé de neufs et d'usagés. Mais il n'a nullement été question d'utiliser des madriers neufs; Madore a simplement dit à Thiboutot que les vieux madriers étaient bons. Je ne vois pas comment, dans les circonstances, le pétitionnaire pour- rait être taxé de négligence pour avoir employé un madrier recommandé par son contremaître comme bon. Le maître est responsable du dommage causé à ses employés par le mauvais état des outils ou machines mis à leur disposition ou par leur installation défectueuse. Il est tenu de prendre toutes les précautions possibles pour garantir la sécurité de ses ouvriers contre les accidents et même les protéger contre leur propre négligence. La doc- trine et la jurisprudence sont d'accord sur ce point: Cossette v. Leduc (1) ; Gingras v. Cadieux (2) ; Ross v. Lan- glois (3) ; Canadian Vickers et Smith (4) ; D.P. 55.2.86; D.P. 68.1.13; D.P. 76.2.72; 20 Laurent, n° 474; 2 Sour- dat, Traité de la responsabilité (sixième édition), n° 912 et note 3, au bas de la page 136; St. Lawrence Sugar Refining Co. v. Campbell (5); St-Arnaud v. Gibson (6); Tremblay et Proulx (7). Le principe est le même lorsqu'il s'agit d'un chantier de construction. Il a été décidé que l'omission par le patron de fournir à ses employés des échafauds convenables et suffisamment solides constitue une négligence: Côté v. Anglo Canadian Pulp and Paper Co. (8), (confirmé par la Cour Suprême le 27 octobre 1930) ; Bélanger v. Riopel (9) ; Pageau v. Quebec, Montreal & Southern Ry. (10). Dans (1) (1883) 6 L.N. 181. (6) (1890) R.J.Q. 13 C.S. 23. (2) (1890) M.L.R. 6 C.S. 33. (7) (1927) R.J.Q. 43 B.R. 504. (3) (1885) M.L.R. 1 B.R. 280. (8) (1930) R.J.Q. 50 B.R. 527. (4) (1923) S.C.R. 203. (9) (1887) M.L.R. 3 CS. 258. (5) (1885) M.L.R. 1 B.R. 290. (10) 1909) 15 R.L. n.s. 203.
200 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1932 1932 cette dernière cause, le juge Archibald en est arrivé à la THmouTOT conclusion qu'il y avait eu faute commune, le demandeur THE KING. ayant admis qu'il avait lui-même, avec un compagnon, posé le poteau ou support central de l'échafaudage et qu'en ce Angers J. faisant il avait des doutes au sujet de la suffisance de sa solidité. Rien de semblable ne se présente en l'espèce: Thiboutot croyait et avait raison de croire le madrier sain et solide. Je ne crois pas qu'il y ait lieu pour moi de con-clure à faute commune et de tenir le pétitionnaire respon-sable de l'accident conjointement avec l'intimé. Le procureur de l'intimé a soumis que le pétitionnaire a, de son plein gré, assumé le risque de l'accident dont il a été la victime et il conclut à la non-responsabilité de l'intimé en vertu de la maxime "Volenti nonfit injuria". Je pour-rais me dispenser de toucher à cette question, vu que j'en suis venu à la conclusion que l'accident est uniquement attribuable à la négligence des employés et serviteurs de l'intimé. Je me contenterai de dire que la doctrine énoncée dans cette maxime a été exposée en divers arrêts et récem-ment discuté et résumée par le Conseil Privé, in re Letang v. Ottawa Electric Railway (1) . L'accident étant arrivé sur un chantier public, au sens du paragraphe (c) de l'article 19 du chapitre 34 des Statuts Revisés du Canada, 1927, et ayant été causé par la négli-gence d'employés et serviteurs du Gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions, l'intimé doit être tenu respon-sable des dommages subis par le pétitionnaire. Reste à déterminer le quantum de dommages. Le pétitionnaire a payé pour frais d'hôpital $231, et pour honoraires de médecin $45 et $30.35 pour dépenses diverses suivant compte produit. Il a droit à ces trois montants. Le pétitionnaire réclame pour perte de salaire une somme de $777, moins celle de 123.75 reçue du Gouvernement, soit une somme de $653.25. Ce montant est excessif. Le péti-tionnaire gagnait 272c. 'de l'heure et travaillait dix heures. par jour' et six jours par semaine. Il n'a pu travailler du jour de l'accident (14 novembre 1930) au commencement de juillet 1931, date à laquelle le docteur Roy dit avoir déterminé définitivement le degré d'incapacité permanente du pétitionnaire. Ceci représente environ trente-trois. (1) (1926) R.J.Q. 41 B.R. 312, particulièrement aux pages 316 et 317.
Ex. C.R.] EXCHEQUER COURT OF CANADA 201 semaines; le salaire hebdomadaire à raison de 271c. de 1932 l'heure, de dix heures par jour et de six jours par semaine THIBOUTOT se chiffre à $16.50. Trente-trois semaines à $16.50 repré- THE KING sentent un total de $544.50, duquel il faut déduire la somme de $123.75 reçue du Gouvernement, laissant un Angers J. solde de $420.75, auquel le pétitionnaire a droit. Le montant de l'indemnité pour incapacité permanente partielle est moins facile à déterminer; la preuve versée au dossier à ce sujet est peu satisfaisante. La diminution de capacité est fixée par le docteur Roy à 18 p. 100; il n'y a pas d'autre preuve médicale, sauf la déposition du docteur Pageau qui ne s'est pas prononcé sur ce point. Il y a lieu pour la Cour, dans les circonstances, d'accepter ce chiffre de 18 p. 100. Le montant du capital nécessaire pour consti- tuer une rente équivalente au degré de l'incapacité perma- nente partielle ne peut servir de base de calcul dans une action pour dommages-intérêts résultant d'un quasi-délit, si elle constitue le mode de calcul en vertu des dispositions de la Loi des Accidents du Travail de Québec; elle peut tout au plus servir d'élément de preuve. Le pétitionnaire peut travailler. Il pourra en toute pro- babilité continuer à exercer son métier, quoique peut-être avec moins de facilité qu'avant l'accident. Le chiffre de 18 p. 100 adopté par le docteur Roy comme représentant sa diminution de capacité permanente me paraît généreux. Prenant en considération l'âge du pétitionnaire, qui est encore jeune, les chances apparemment favorables qu'il a de se remettre de son accident de façon rapide et relative- ment satisfaisante, le fait qu'il est en mesure de reprendre le travail, son état de santé général, les risques de maladie et de chômage, un montant de $1,000 serait une indemnité raisonnable et suffisante pour l'incapacité permanente par- tielle dont il pourra souffrir à l'avenir. Le pétitionnaire réclame $200 pour souffrances endurées; ce montant, qui ne paraît pas exagéré, doit lui être alloué. Les sommes de $231, $45, $30.35, $420.75, $1,000 et $200 forment un montant total de $1,927.10 auquel le pétition- naire a droit. Il y aura donc jugement en faveur du pétitionnaire pour $1,927.10, avec dépens contre l'intimé. Jugement en conséquence.
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