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Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 83 BETWEEN : 1958 Sept. 29, 30, Oct. 1 THE MINISTER OF NATIONAL APPELLANT ; REVENUE 1959 Nov. 3 AND FRANK SURA RESPONDENT. RevenueIncome taxIncome from community of property (Que.) Liability of husband theref orCivil Code, arts. 1268, 1425The Income War Tax Act, R.S.C. 1927, c. 97, as amended, ss. 3, 9The Income Tax Act, 1948, S. of C. 1948, c. 52 as amended, ss. 2, 3The Income Tax Act, R.S.C. 1952, c. 148, as amended, ss. 2, 3. The respondent and his wife, both of whom were domiciled in the Province of Quebec, were married there without having previously entered into a marriage contract. They thus accepted and became subject to the regime of legal community of property as provided by the Quebec Civil Code. The respondent claimed that under the provisions of the Code the income from the community, which consisted of his wages and income from rentals, was the income of himself and his wife in equal parts, and that for income tax purposes, each should be assessed for one half of the total income. The Minister ruled that during the existence of the community of property the income was that of the husband exclusively and he alone was liable for the tax. The husband's appeal from the ruling was allowed by the Income Tax Appeal Board. On an appeal by the Minister from the Board's decision Held: That under the Civil Code of Quebec the relationship which exists between a husband and wife under the community of property is not a partnership in the ordinary sense of the law. 2. That the community is not a corporate body having the attributes of a legal entity. 3. That during the existence of the community the wife has none of the rights which characterize ownership. It is only after the dissolution and acceptance of the community that the law declares for the first time that the wife or her heirs have real and existing rights in the assets of the community. 4. That it is well settled law of the Province of Quebec that during the existence of the community, the husband is not only the administrator of the common property but that he is moreover the sole owner of the property. Childs v. Libby 1 C.S. 153 at 167; Saultry v. Farrel 31 C.S. 59; Bonin v. La Banque d'Epargne de la Cité et du District de Montréal 34 B.R. 322 at 331; Dame Guérin v. Giroux [19431 C.S. 323, 324. 5. That as during the existence of the community the husband is the sole owner of the property which makes up the assets of the community, he alone is liable for the debts which make up its liabilities.
84 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 6. That since the parties admit that the income in issue is, in the sense of MINISTER OF art. 1272 of the Code, an asset of the community, the assessment NATIONAL should be affirmed and the appeal allowed. REVENUE SURA APPEAL from a decision of the Income Tax Appeal Board. The appeal was heard before the Honourable Mr. Justice Fournier at Montreal. Guy Favreau, Q.C. and Maurice Paquin, Q.C. for appellant. Philip Vineberg and Perry Meyer for respondent. FOURNIER J. now (November 3, 1959) delivered the following judgment: Dans cette cause, il s'agit d'un appel de la décision rendue le le° octobre 1957 par la Commission d'Appel de l'Impôt sur le Revenus accueillant l'appel de l'intimé de cotisations d'impôt sur son revenu pour les années d'imposition 1947 à 1954 inclusivement. Le Ministre du Revenu national en cotisant l'intimé avait ajusté et augmenté les montants mentionnés par ce dernier dans ses décla-rations de revenu imposable pour les années en question. Ces ajustements et augmentations ne furent pas contestés par l'intimé. Il avait basé son appel sur le fait qu'il avait été marié sans contrat de mariage dans la Province de Québec, lui et son épouse étaient domiciliés lors de la célébration du mariage et ils ont continué à demeurer jusqu'à ce jour. Par conséquent, il était marié sous le régime de la communauté et soumis aux dispositions du Code Civil du Québec, particulièrement aux dispositions régissant la communauté de biens. Il alléguait que le revenu des biens de communauté n'était pas son revenu exclusif et que les cotisations avaient été faites en violation de ses droits. La décision de la Commission d'Appel de l'Impôt sur le Revenu, dont appel est présentement devant cette Cour, est à l'effet que l'intimé n'est imposable que pour la moitié du revenu de la communauté de biens pour chacune des années d'imposition supra. 1 57 D.T.C. 478; 18 Tax A.B.C. 65.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 85 Pour les fins de la présente cause seulement, les parties, 1959 par leurs procureurs respectifs, ont fait par écrit certaines MINIsTm OF admissions, mais ils se sont réservé le droit d'en discuter la REVENUE pertinence et matérialité relativement au litige. Ils S uR. A admettent que Fournier J. (1) L'intimé, Frank Sura, a été marié à Montréal le 19 janvier 1929 à dame Annie Sedilek, qui vit encore. (2) Au moment de son mariage, il était domicile dans la Province de Québec et n'avait pas fait de contrat de mariage prénuptial. (3) Les époux ont donc adopté le régime de la commu-nauté de biens suivant les dispositions du Code Civil du Québec. (4) Les époux en tout temps utile ont été domiciliés dans la cité de Montréal. (5) Les parties admettent que le revenu dont il est question dans le présent débat est un actif de la communauté au sens de l'article 1272 du code civil et provient de salaires relatifs à l'emploi du mari et de loyers d'immeubles. (6) La seule dispute entre les parties est une question de droit. Le revenu, connu comme le "revenu de la communauté" suivant la législation canadienne de l'impôt sur le revenu et les règles de la communauté légale de biens telles qu'édictées au code civil de Québec, est-il, pendant la durée de la communauté, le revenu exclusif du mari ou le revenu du mari et de la femme, chacun pour une moitié? Dans le premier cas, les cotisations devraient être confirmées et dans le second cas les cotisations devraient être amendées en conséquence. L'appelant a soumis que le revenu de la communauté de biens était le revenu exclusif du mari durant l'existence de la communauté et qu'il était imposable comme tel. D'autre part, l'intimé a soutenu que ce revenu était le revenu du mari et de l'épouse à parts égales et que chacun des conjoints devait être cotisé pour la moitié du revenu total.
86 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Pour justifier leur soumission, ils ont invoqué les mêmes MINISTER OF dispositions du Code Civil, en particulier les articles 1268 à R EQ uE 1425 (i) inclusivement; toutes autres dispositions corré- Sv. latives à la question en litige ainsi que les dispositions de la Loi de l'Impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97 Fournier J. et amendements et de la Loi de l'Impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 et amendements, et en particulier, mais sans en restreindre la généralité, les articles 2 et 3 de ces statuts. La question soumise à la Cour présente de nombreuses difficultés qui nécessitent une étude sérieuse des textes de lois, des différentes théories préconisées par les juristes et des décisions des tribunaux faisant autorité. La loi qui traite des conventions matrimoniales et de l'effet du mariage sur les biens des époux dans la Province de Québec est contenue au Livre III, Titre IV, du Code Civil. Avant l'adoption du Code Civil, le 26 mai 1866, le Bas-Canada, en matières civiles, était pays de droit coutu-mier et soumis aux dispositions de la coutume de Paris. C'est en 1857 que le législateur a ordonné une codification du droit civil du Bas-Canada. La tâche des codificateurs était de coordonner le droit existant et d'en indiquer les sources. S'ils le jugeaient à propos, ils pouvaient suggérer des modifications avec raisons à l'appui. Quant au plan à suivre, ils devaient adopter le plan général suivi par les codificateurs du Code Napoléon. Le Code Civil a donc con-servé le corps des anciennes lois en force immédiatement avant l'adoption du Code Civil. Les seules lois abrogées sont celles qui l'ont été expressément ou implicitement par le Code Civil ou celles qui sont incompatibles avec quel-ques dispositions qu'il contient. Une disposition expresse du Code Civil sur le sujet particulier des anciennes lois a l'effet d'abroger celles-ci (art. 2613). Les codificateurs du Code Civil, dans leur rapport sur les conventions matrimoniales et l'effet du mariage sur les biens des époux (5e Rapport, p. 200), font les remarques suivantes: Le titre du Code Napoléon, DU CONTRAT DE MARIAGE, est équivoque, puisqu'il signifie le mariage lui-même et l'acte qui en pose les conventions. C'est le premier sens que Pothier emploie en traitant de l'union conjugale; c'est le second qu'entendent les auteurs du Code Napoléon au sujet des conventions matrimoniales. Il fallait, pour la
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 87 clarté, y comprendre l'effet du mariage sur les biens des époux: ce sont 1959 des dispositions qui viennent de la loi, quand les conjoints ne se sont pas l 7 exp rimés. D'apr ès ces ~ yst èm ~ e ,qui est celui de la coutume de Paris ,la loi NATION AA L suppose en pareil cas qu'ils ont voulu s'en rapporter à ce qui se fait REVENUE généralement, c'est-à-dire adopter la communauté légale de biens ... v. SURA Ces remarques indiquent clairement que les auteurs du Fournier J. Code Civil lorsqu'ils traitent de l'union conjugale enten-dent considérer les obligations qui naissent du mariage et les droits et devoirs respectifs des époux quand il s'agit de déterminer les effets du mariage sur les biens des époux. C'est dans ce sens que les dispositions de la coutume de Paris ont été interprétées par Pothier. Ayant adopté les dispositions de la coutume de Paris, il est donc logique, dans les cas de doute sur l'interprétation des textes du droit civil, de recourir à l'ancien droit civil français tel qu'il était en vigueur dans le Bas-Canada avant l'adoption du code civil. Dans le cas qui nous intéresse, le régime matrimonial de l'intimé et de son épouse est déterminé par les articles 1260 et 1270 du Code Civil. Art. 1260. A défaut de conventions ou en l'absence de stipulations contraires, les époux sont présumés vouloir se soumettre aux lois et cou-tumes générales du pays, et notamment qu'il y ait entre eux communauté légale de biens et douaire coutumier ou légal en faveur de la femme et des enfants à naître. Art. 1270. La communauté légale est celle que la loi, à défaut de stipulations contraires, établit entre les époux, par le seul fait du mariage, quant à certaines espèces de leurs biens qu'ils sont censés avoir voulu y faire entrer. Les juristes ont défini la communauté comme une espèce de société de biens entre conjoints; une société de biens entre époux régie par des règles particulières; d'autres comme une société de biens entre époux de la nature d'une société ordinaire. Dans son Traité de Droit Civil (1781), vol. 3, p. 497, Pothier dit: 1. La communauté entre conjoints par mariage est une espèce de société de biens qu'un homme et une femme contractent lorsqu'ils se marient. 2. Cette communauté est fondée sur la nature même du mariage. Cette convention entre l'homme et la femme, que le mariage renferme, de vivre en commun pendant toute leur vie, fait présumer celle de mettre en commun leur mobilier, leurs revenus, les fruits de leurs épargnes et de tour commune collaboration.
88 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Dans son Droit Civil Canadien, vol. 6, p. 143, Mignault, MINISTER OF l'auteur canadien qui fait souvent autorité dans le Québec NATIONAL REVENIIE et que les praticiens citent le plus fréquemment devant les S V u i tribunaux, dit: La communauté est une société de biens entre époux, régie par des Fournier J. règles particulières. Il y a, en effet, entre elle et les sociétés ordinaires, des différences très notables. E Baudry-Lacantinerie, dans son Traité théorique et prati- que de droit civil, vol. 1, 3e éd., Du contrat de mariage, à la page 581, déclare: 637.... La communauté ou société de biens entre époux n'est repré-sentée que par un fonds commun, destiné à subvenir aux charges du ménage et â s'enrichir des économies momentanément confondues et finalement soumises au principe du partage égal. Ainsi se trouve bien consolidée, semble-t-il, l'idée d'une copropriété basée sur l'égalité, du moins théorique, des droits des deux conjoints. Ces citations sont faites pour fins de comparaison avec les remarques des auteurs du Code Civil dans leur 68 Rapport, p. 25, "De la société": Ce titre embrasse toute la matière des sociétés civiles ou commerciales, au contraire du Code Napoléon, qui ne traite que des sociétés civiles, les autres étant au Code de commerce.—Il ne s'agit pas ici des associations ou groupements d'intérêts, comme ceux qui résulte de la communauté conjugale ou de la propriété indivise, bien que les jurisconsultes les appel-lent sociétés. Les codificateurs expriment donc l'opinion que la com-munauté conjugale se résout pour les époux en une association ou groupement d'intérêts non soumis aux dispositions qui régissent les sociétés ordinaires. Je crois que nous pouvons conclure sans hésitation que la communauté conjugale n'est pas une société au sens que lui donne le code civil. Au point de vue juridique, le mot "communauté", lorsqu'il s'applique aux personnes mariées sans contrat de mariage, désigne leur régime d'association conjugale. L'expression "régime de communauté" est l'ensemble des règles légales applicables aux biens des époux et aux biens connus sous le nom de "biens de communauté". C'est donc, à défaut de contrat ou de stipulations contraires, une association conjugale que la loi établit entre les conjoints quant aux biens devant composer l'actif de la communauté, les-quels sont régis par des dispositions spéciales du Code
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 89 Civil. Ces règles sont exposées au chapitre intitulé "De la 1959 communauté de biens". Dans son essence, la communauté MINisrxR OF de biens est une union d'intérêts pécuniaires entre époux RA NUR et de la mise en commun de certains biens spécifiés dans le Sv. but de subvenir aux charges du ménage et de rencontrer les Fournier J. obligations qui naissent du mariage, telles que celles impo-sées par les articles 165 et 175 du Code Civil. C'est le régime matrimonial légal de la Province de Québec. Il régit les rapporta pécuniaires de la majorité des ménages du Québec. Les dispositions du Code Civil, relatives à la communauté de biens indiquant la composition de l'actif et du passif de la communauté, désignent le mari comme seul administrateur des biens et énumèrent les pouvoirs qui lui sont attribués; traitent du status juridique de la femme et de ses incapa-cités; de la dissolution de la communauté; de l'acceptation de la communauté et de la renonciation qui peut en être fait, avec les conditions qui y sont relatives; du partage des Miens. En d'autres termes, la communauté de biens serait, d'après le Code Civil, une série de dispositions légales qui, après avoir régi les intérêts des époux pendant la durée de la communauté, permettraient de décider, après la dissolution d'icelle et l'exercice de l'option de la femme ou de ses héritiers, comment se compose le patrimoine et comment il sera partagé. Dans le sens juridique ci-dessus, ces dispositions ou règles ont force de loi du jour de la célébration du mariage (art. 1269) ; mais la jurisprudence a toujours interprété ces mots comme signifiant que la com-munauté commence du moment du mariage. Le Code Civil, après avoir expliqué comment s'établit la communauté légale, pose une première règle. A l'article 1272 il énumère les biens qui composeront l'actif de la communauté. Art. 1272. La communauté se compose activement: 1. De tout le mobilier que les époux possèdent le jour de la célébration du mariage, et aussi de tout le mobilier qu'ils acquièrent, ou qui leur échoit pendant le mariage, à titre de succession ou de donation, si le donateur ou testateur n'a exprimé le contraire; 2. De tous les fruits, revenus, intérêts et arrérages, de quelque nature qu'ils soient, échus ou perçus pendant le mariage, provenant des biens qui appartiennent aux époux lors de la célébration, ou de ceux qui leur sont échus pendant le mariage à quelque titre que ce soit; 3. De tous les immeubles qu'ils acquièrent pendant leur mariage: 80666-1-2a
90 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Cette première règle désigne les catégories de biens qui MINISTER OF NATIONAL sont ou seront mis à la disposition du ménage. Dès le REVENUE début de la communauté et par la suite, ces biens seront v. s u$A affectés au passif actuel et futur occasionné par des Fournier J. dépenses antérieures non soldées ou des obligations contrac-tées pour les besoins de la famille. Il est évident qu'il y aura peu de stabilité dans la situation pécuniaire de la commu-nauté. Les biens qui composeront l'actif pourront varier en nombre et en valeur suivant les nécessités du moment. Le même sort est réservé aux obligations que le Code Civil appelle le passif de la communauté, dont l'énumération est faite à l'article 1280 C. C. Art. 1280. La communauté se compose passivement: 1. De toutes les dettes mobilières dont les époux sont grevés au; jour de la célébration du mariage, ou dont se trouvent chargées les successions qui leur échoient pendant sa durée, sauf récompense pour celles relatives aux immeubles propres à l'un ou à l'autre des époux; 2. Des dettes, tant en capitaux qu'arrérages ou intérêts, contractées par le mari pendant la communauté, ou par la femme du consentement du mari, sauf récompense dans les cas elle a lieu; 3. Des arrérages et intérêts seulement des rentes ou dettes passives qui sont personnelles aux deux époux; 4. Des réparations usufructuaires des immeubles qui n'entrent point en communauté; 5. Des aliments des époux, de l'éducation et entretien des enfants et de toute autre charge du mariage. - Les auteurs parfois désignent ces catégories de biens et d'obligations de masse commune ou de fonds commun. Au point de vue théorique ces termes sont peut-être appropriés, mais au point de vue pratique il ne faut pas oublier que cet actif et ce passif sont en continuel mouve-ment pendant la durée de la communauté. Aucune disposition du code civil n'exige une reddition de compte entre les époux ni l'établissement d'un bilan avant la dissolution de la communauté. Par conséquent, il me semble qu'au sens juridique il est impossible de conclure que la commu-nauté biens est une série d'additions de biens communs réellement existants, qui s'accumulent cinquante pour cent pour le mari et cinquante,. pour cent pour la femme à compter du mariage.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 91 Mignault commentant sur la composition de l'actif de 1959 la communauté soutient la théorie des trois patrimoines. MINISTER OF Voir volume 6, page 148. NAL REVENUE Dès que le mariage est formé, on peut dire qu'il y a au logis trois V. SuRn patrimoines différents: 1°' celui du mari; 2° celui de la femme; 3° le patrimoine commun au mari et à la femme, ou patrimoine de la Fournier J. communauté. La loi ne permet jamais qu'un des trois patrimoines s'enrichisse indirectement aux dépens d'un autre: lorsque cela arrive, le patrimoine enrichi doit indemnité ou récompense au patrimoine appauvri. Nous avons à rechercher les éléments constitutifs de chacun de ces trois patrimoines. Ceux qui lui appartiennent en pleine propriété s'appellent biens de communauté; les autres, biens personnels aux époux, propres de com- munauté, ou, plus brièvement, propres. La communauté, tant qu'elle dure, possède tous les biens, tant les biens de communauté que les propres. Lors donc qu'un époux prétend, à_ la dissolution de la communauté, qu'un bien lui est personnel, c'est à lus de le prouver en justifiant de la cause qui le lui a attribué en propre. Pour accepter cette théorie que les biens communs appar-tiennent en pleine propriété à la communauté ou qu'elle possède tous les biens, tant les biens de communauté que les propres, il faudrait admettre qu'elle est une personne morale qualifiée pour exercer ces droits. Sous le droit coutumier cette question ne se posait pas. La coutume de Paris avait établi le principe que le mari était seigneur et maître de la communauté (article 225). Art. 225. Le mari est seigneur des meubles et conquêts immeubles par lui faits durant et constant le mariage de lui et de sa femme. En telle manière qu'il peut les vendre, aliéner et hypothéquer et en faire et disposer par donation ou autre disposition faite entre vifs à son plaisir et volonté, sans le consentement de sa dite femme, à personne capable et sans fraude. Il aurait été inconcevable qu'un être fictif aurait pu supplanter le mari et que ce dernier n'aurait été que le représentant ou serviteur de cette personne morale. Sous le droit français moderne, le seul auteur de quelque répu-tation qui a soutenu que la communauté était une personne morale a été Duranton. Dans son Cours de Droit Français, vol. 14, quatrième édition, p. 102, il dit : Si donc le mari n'est pas réellement propriétaire absolu des biens de la communauté pendant le mariage, comme la femme ne l'est pas non plus, il faut bien, de toute nécessité, qu'il y ait un intérêt intermédiaire; or, cet intérêt intermédiaire, c'est la communauté, comme disait la coutume .de Paris: "Mari et femme seront uns et communs en biens dès le jour des épousailles et de la bénédiction nuptiale"; .. . 80666-1-2i a
92 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Oui, il y a entre le mari et la femme un être moral, quoiqu'en dise MINISTER OF M , . Toullier: cet être moral a des intérêts séparés de chacun de ceux des NATIONAL epoux, .. . REVENUE gII, Cette théorie que la communauté est une personne morale n'a eu que quelques adeptes, mais de nombreux Fournier J. adversaires; je n'en citerai que deux. Baudry-Lacantinerie (op. cit.), après avoir commenté cette question, termine en disant: D'après l'opinion commune, la communauté ne forme pas une per-sonnalité civile, comme la société. Ce n'est qu'un fonds commun, un troisième patrimoine distinct de ceux des époux, mais il y a confusion entre les biens de la communauté et ceux du mari. (Comp. M. -Baudry-Lacantinerie, Contrat de mariage, N° 249). Voici maintenant comment LaurentPrincipes de Droit Civil, vol. 21, p. 229, réfute la thèse de Duranton: Nôn-seulement le mari ne serait plus seigneur et maître des biens communs, il ne serait même plus propriétaire de ses biens propres, ces biens se confondant avec ceux de la communauté il en résulterait cette étrange conséquence que le mari serait dépouillé de ses propres et qu'il ne les gérerait que comme agent d'une personne morale qui absorberait les droits du mari comme chef et ses droits comme propriétaire. Pour admettre une fiction aussi monstrueuse, il faudrait des textes biens formels. D'abord, ce serait une grave dérogation au droit ancien et on ne pourrait l'admettre que si le législateur la consacrait expressément. Or, ni les travaux préparatoires ni le texte ne marquent l'intention d'innover; les auteurs du code se sont bornés, en cette matière, à consacrer la tradition... . D'ailleurs, cette thèse que la communauté est une person-nalité civile n'a jamais été préconisée ni soutenue ici. Faribault, dans son Traité de Droit Civil du Québec, vol. 10, p. 69, s'exprime ainsi à ce sujet: Une société ordinaire est une personne morale qui peut être poursuivie sous sa raison sociale et ses biens sont le gage du créancier qui a obtenu jugement contre elle. La communauté de biens, au contraire, n'a aucune personnalité civile. Devant ces opinions des juristes, il faut bien arriver à la conclusion que la communauté n'est pas un être fictif créé par la loi, avec pouvoir d'exercer les droits de possession, d'acquisition, d'aliénation, d'obligation, de stipulation. En d'autres termes, la communauté n'est pas une personne morale ayant les attributs des personnalités civiles. Malgré tout le respect et l'admiration que j'ai pour Mignault, je ne puis accepter, au point de vue juridique, la théorie que
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 93 tous les biens communs appartiennent à la communauté en 1959 pleine propriété et qu'elle possède tant les biens de com-MINISTER OF munauté que les propres jusqu'à la dissolution d'icelle. REVENUE Avant de passer à l'étude de l'administration de la com- s munauté et de l'effet des actes des époux relativement à Fournier J. la société conjugale, je crois utile de référer à la disposition de la loi cencernant la puissance maritale. Quoiqu'il soit permis de faire toutes sortes de conventions matrimoniales, la loi fait certaines exceptions. Les règles de la communauté légale de biens sont des conventions que les époux sont présumés avoir adoptées en se mariant sans contrat. Ces règles doivent s'interpréter en tenant compte des dispositions de l'article 1259 C.C. Art. 1259. Ainsi les époux ne peuvent déroger ni aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme et des enfants, ou appartenant au mari comme chef de l'association conjugale, ni aux droits conférés aux époux par le titre De la Puissance Paternelle, .. . Le principe de la puissance maritale étant ainsi reconnu, les règles qui régissent la communauté légale de biens découlent de ce principe. Cela devient évident lorsqu'on considère l'article 1292 du Code Civil relatif 'à l'administration de la communauté et aux pouvoirs extraordinaires du mari. Le mari exerce la puissance maritale; la femme lui doit obéissance (art. 174 C.C.). Pothier enseigne que la société de biens est une suite et image de la société des personnes: chef de l'un, le mari doit être chef de l'autre. Toutefois, rien dans la loi n'oblige les futurs époux à adop-ter le régime de la communauté de biens. Ils peuvent faire entre eux toutes sortes de conventions matrimoniales qui n'enfreignent pas les dispositions de la loi, mais en l'absence de telles conventions ils sont censés avoir voulu vivre en communauté de biens. Dans ce cas, la coutume de Paris dit à l'article 225 que le mari est seigneur des meubles et conquêts immeubles de la communauté. Il est vrai qu'après la révolution française cette formule a été changée, mais le droit coutumier, avec quelques modifications, a été con-tinué. Le mari seul adminisre les biens de la communauté. Le Code Civil du Québec à l'article 1292 dit.:- 1292. Le mari administre seul les biens de la communauté. Il peut les vendre, aliéner et hypothéquer sans le concours de sa femme.
94 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Si l'on peut dire que la communauté conjugale est une MINISTER OF espèce de société tout à fait d ifférente des sociétés ordi- NATIONAL REVENUE naires, l'on peut ajouter que l'administrateur des biens de Sux cette communauté est muni de pouvoirs et de droits a exorbitants de ceux des administrateurs des sociétés ordi- Fournier J. Haires. L'administrateur dans le cas qui nous intéresse pos-sède non seulement des droits de jouissance et d'administration mais aussi des droits généraux de disposition. Les auteurs du Code Civil dans leur rapport disent que ce premier alinéa de l'article 1292, tiré du Code Napoléon, est en tout point conforme aux coutumes de Paris et d'Orléans et à l'ancienne jurisprudence des pays de coutumes. Avant l'amendement de 1931, le deuxième alinéa se lisait: Il peut même seul en disposer par donation ou autre disposition entrevifs, pourvu que ce soit en faveur de personne capable et sans fraude. Aujourd'hui, cet alinéa se lit: Il ne peut, sans ce concours, disposer entrevifs à titre gratuit des immeubles de la communauté, ni de l'universalité ou d'une quotité du mobilier si ce n'est pour l'établissement des enfants communs. Il peut disposer des effets mobiliers à titre gratuit et particulier pourvu qu'il ne s'en réserve pas l'usufruit et que ce soit sans fraude. Cette disposition est une copie de l'article 1422 du Code Napoléon. C'est cette modification de l'ancien droit qui a fait dire à certains auteurs modernes que le mari n'est plus seul seigneur des biens de la communauté, puisqu'il ne peut plus en disposer entre vifs à titre gratuit. Je ne crois pas que cette disposition qui exige le con-sentement de la femme pour permettre au mari de faire donation de certains biens de la communauté, sauf pour l'établissement des enfants communs, ait pour effet de lui enlever le droit de disposition qu'il a en vertu du premier alinéa de l'article, mais tout au plus de donner à l'épouse une certaine protection des droits éventuels qu'elle pourrait avoir dans ces biens. Si l'on compare les règles qui régissent la communauté de biens et la définition de la propriété à l'article 406 C.C., il devient évident que le mari a tous les droits du propriétaire. Art. 406. La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 95 En d'autres termes, c'est le droit de jouir et de disposer 1959 des choses dans les limites de la loi, ce qui implique que ce MINISTER OF droit peut être l'objet de certaines restrictions, limitations NATIONAL REVENUE ou contrôles sans cesser d'être la propriété. Le fait que le V. SURA législateur soumet parfois la propriété à ces modifications ne peut être interprété comme mettant fin au droit du pro-Fournier J. priétaire de jouir et de disposer de sa chose. Il n'y a pas doute que l'article 1292 C.C. confère au mari le droit de faire les actes qui caractérisent essentiellement la propriété, à savoir les actes d'administration et de disposition. L'acte de disposition est l'acte final du propriétaire qui se dépossède de son bien ou de sa chose en le vendant ou en l'aliénant. Il a un droit réel dans la propriété: celui de l'hypothéquer, droit inhérent à la propriété. Je suis d'opinion que la prohibition de la loi de donner les immeubles et parfois les meubles sans le concours de la femme ne peut être interprété comme affectant radicale-ment le droit de disposition conféré par la propriété. S'il fallait conclure que les actes de disposition nécessitant le concours de tierces personnes avaient pour effet de priver le propriétaire de sa propriété, il deviendrait impossible d'interpréter juridiquement les dispositions de l'article 1422 du Code Civil. Cet article est relatif à la convention matrimoniale de séparation de biens et indique l'effet de cette convention sur les droits de la femme quant à ses biens. Je cite: Art. 1422. Lorsque les époux ont stipulé, par leur contrat de mariage qu'ils seront séparés de biens, la femme conserve l'entière administration de ses biens meubles et immeubles, la libre jouissance de ses revenus et le droit d'aliéner, sans autorisation, ses biens meubles. Elle ne peut sans autorisation aliéner ses immeubles ni accepter une donation immobilière. Dès la première phrase, il est évident que la femme séparée de biens est propriétaire de ses biens, puisque la loi lui donne l'administration de ses biens. Elle est proprié-taire mais elle ne peut pas aliéner ses immeubles, même à titre onéreux, ni accepter une donation immobilière sans autorisation de son mari ou, dans certaines circonstances, de la justice. Qui voudra prétendre que la femme séparée de biens perd ses droits de propriétaire dans ses immeubles du fait que la loi l'oblige à obtenir l'autorisation de son mari pour en disposer à titre onéreux? Non, cette restriction
96 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 ~-,-~ n'a pas l'effet d'enlever à la femme son droit de propriété. MINISTER os' Lorsque la loi dit que la femme séparée de biens conserve NATIONAL É~ UE l ' entiè re administration de ses biens et que le mari adminis- trera seul les biens de la communauté, elle n'entend pas dire qu'ils administreront des biens appartenant à d'autres Fournier J. personnes. Avant de continuer cette étude je crois utile de citer les remarques de Pothier, Traité de Droit Civil (1781), vol. 3, p. 497, relatives à la nature de la communauté et les droits, pouvoirs et obligations des conjoints quant aux biens de communauté. 3. Cette communauté entre conjoints par mariage est exorbitante des sociétés ordinaires. Dans celles-ci, chaque associé a un droit égal; au contraire, dans la communauté entre conjoints, la puissance que le mari a sur la personne et les biens de sa femme, le rend chef de cette com-munauté, et lui donne, en cette qualité, le droit de disposer à son gré, à tel titre que bon lui semble, même de donation entre vifs, de toutes les choses qui la composent, tant pour la part de la femme que pour la sienne, sans le consentement de sa femme, laquelle, de son côté, n'a pas droit de disposer de rien. C'est pour cette raison que le mari, pendant que la communauté dure, est réputé en quelque façon comme le seul seigneur et maître absolu des biens dont elle est composée, et que le droit qu'y a la femme n'est regardé, pendant que la communauté dure, que comme un droit informe, qui se réduit au droit de partager un jour les biens qui se trouveront la composer lors de sa dissolution. C',est ce qui fait dire à Dumoulin, que cette communauté était plutôt in habitu quàm in actu, non est proprie socia, sed speratur fore. Les auteurs du Code Civil ont suivi la règle que pour déterminer les effets du mariage sur les biens des époux il fallait considérer les obligations, droits et devoirs respectifs des époux qui naissent du mariage. C'est pour cette raison qu'ils ont incorporé la disposition de l'article 1259 C.C. relativement à la puissance maritale et paternelle. Un autre jurisconsulte français, Claude de Ferrière, Compilation de tous les commentateurs anciens et modernes sur la Coutume de Paris, Tome III, Titre X, De la commu-nauté de biens, (1714), p. 210, commente sur les droits des conjoints quant aux biens de la communauté. Il dit: La- coutume en cet article rend le mari maître absolu de tous les biens de la communauté, meubles ou immeubles, pour en pouvoir disposer à sa volonté, sans le consentement de sa femme. Ce _qui est contraire ;a la nature de la société, qui ne permet pas, que l'un des associés' puisse 'disposer solidairement et pour le tout, des biens d'icelle, sans le' consentement de ses associés.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 97 La raison est que pendant le mariage la femme n'a aucun droit dans 1959 les biens de la communauté qu'après la dissolution d'icelle, par l'accepta- MixismER or tion qu'elle en fait; mais tant qu'elle dure elle n'a qu'un droit virtuel, NATIONAL habituel et potestatif, et le mari par le travail et l'industrie duquel les REVENUE biens sont acquis, en est le maître, comme si la femme n'était point com-suas muse avec lui. Fournier J. En 1772, au Tome VII de ses oeuvres le Chancelier D'Aguesseau, l'un des plus grande juristes français, expose les motifs qui justifient l'opinion que la femme condamnée à la mort civile perdait tous ses droits dans la communauté vu que la mort civile en France impliquait la confiscation des biens. Dans son rapport au Parlement de Paris il discute la question de droit de propriété relativement aux biens de la communauté. Il s'est demandé si au moment ou avant la dissolution de la communauté la femme était propriétaire par indivis de cinquante pour cent de ce qu'on appelle les biens de la communauté, ou si elle n'était que propriétaire éventuel de ses biens jusqu'au moment de son acceptation de la communauté. A la page 577 il motive son opinion que la femme n'y avait évidement aucun droit véritable. Je cite ce qui me semble pertinent au présent litige: Certainement, à prendre les choses à la rigueur, la femme n'a encore aucune propriété dans les biens communs au jour de la condamnation qui est prononcée contre elle; il est vrai qu'elle aurait pu avoir un droit réel sur ces biens après la dissolution du mariage; mais elle ne l'a pas encore quand elle est condamnée: on ne peut donc la réputer propriétaire de la moitié de la communauté, que par une espèce de fiction, qui prévient l'ordre des temps, qui suppose ce qui n'est pas encore, et ce qui ne sera peut-être jamais, comme s'il était déjà. Ce droit de prendre la moitié de la communauté dépend d'un fait incertain, d'une option que la femme peut faire avec une liberté absolue, non-seulement selon son intérêt, mais encore selon son caprice; qui peut savoir ce qu'elle aurait fait, si elle avait été en état d'accepter ou de renoncer? Aussitôt que la condamnation 'est prononcée, elle est réputée morte civilement, ne pouvant plus ni être saisie elle-même d'aucun droit, ni saisir ses héritiers; ainsi comment peut-on feindre que le droit de prendre la moitié de la communauté passe au fisc, puisque ce droit n'a jamais été réalisé? Il n'a fait aucune impression sur la tête de la femme, elle n'a eu qu'une espérance certaine, à la vérité, en elle-même, mais qui n'a jamais été accomplie. La puissance n'a pas été réduite en acte, le fisc ne peut prendre les choses que dans l'état elles sont; or quel est cet état, si ce n'est un état de propriété certaine dans la personne du mari, un état d'espérance douteuse, casuelle, dépendante de plusieurs événements dans la personne de la femme? il est juste, dans ce parallelle, que le droit du mari l'emporte sur l'espérance de la femme, et qu'ainsi le fisc n'ait rien dans la communauté, parce qu'à la rigueur la femme n'y avait encore rien.
98 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 La doctrine préconisée par ces juristes d'autrefois, dans MINISTER OF leurs commentaires sur la communauté de biens sous la NATIONAL REVENUE Coutume de Paris, est, à mon avis, encore applicable aux v. règles du Code Civil qui régissent la communauté légale SIIR9 de biens. Les auteurs du Code Civil n'ont pas innové, mais Fournier J. ils ont codifié, pour les perpétuer, les lois en vigueur dans le Bas-Canada en cette matière. Avant l'adoption du Code Napoléon, le vieil adage de Dumoulin "non est pro prie socia, sed speratur fore" (la femme n'est pas l'associée du mari, elle n'a que l'espérance de l'être) n'a jamais été contesté avec succès. Il est vrai que certains auteurs ont prétendu que Dumoulin n'avait pas dit qu'il n'y avait pas de communauté mais seulement que la femme n'avait pas les droits d'une véritable associée, et que Pothier avait dit que le mari était réputé en quelque façon comme seul seigneur et maître absolu des biens. Je ne crois pas que les opinions de ces auteurs soient acceptables, vu le texte même de l'article 225 de la Coutume de Paris et l'ensemble des commentaires de Pothier. Même après l'adoption du Code Napoléon, des auteurs modernes, notamment Toullier et Championnière et Rigaud, ont continué à préconiser la doctrine que le mari est le seigneur et maître des biens communs et que ce n'est qu'à la dissolution que la femme acquerra des droits. Toullier, Le Droit civil français (1826), vol. 12, p. 125: La communauté proprement dite, c'est-à-dire la co-propriété actuelle des biens communs, ne s'ouvre donc réellement qu'au moment finit la société conjugale, saluto matrimonio. Avant cette époque, la femme n'est pas commune en biens ou associée; elle n'a que l'espérance de le devenir. Championnière et Rigaud, Traité des droits d'enregistre-ment, vol. 4, No 2835, p. 6: 2835.... Durant le mariage, le mari seul est propriétaire de tout ce que la loi qualifie biens de communauté, dans la prévision d'une com-munauté future. La femme n'est pas et ne sera jamais l'associée de son mari; cependant, par une fiction rétroagissante, elle l'aura été, et ses droits seront établis en conséquence... . A ce stage, je dois dire que la plupart des commentateurs du Code Napoléon ne partagent pas les opinions des auteurs que je viens de citer. Ils préconisent la théorie que les époux sont copropriétaires des biens de la communauté pendant sa durée. Je crois qu'il serait imprudent d'adopter leur point de vue avant d'avoir examiné les raisons qui motivent leurs
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 99 prétentions, ce que je me propose de faire après avoir 1959 terminé l'étude des dispositions du Code Civil qui me MINISTER OF semblent pertinentes au présent litige. REVENUE Après avoir établi les règles relatives à l'administration suit4 et à la disposition des biens de la communauté, le Code Fournier J. Civil procède à déterminer les effets des actes des époux quant aux biens communs. Art. 1296. Les actes faits par la femme sans le consentement du mari, même avec l'autorisation de la justice, n'engagent les biens de la com-munauté que jusqu'à concurrence de ce qu'elle en profite, .. . Même si dans certaines circonstances la justice peut autoriser la femme commune en biens à poser certains actes, ces actes n'engagent les biens de la communauté que jusqu'à concurrence de ce que la communauté en profite. L'autorisation, le consentement ou le concours du mari est essentiel pour que les actes de la femme engagent la commu-nauté. L'article supra confirme le paragraphe 2 de l'article 1280 C.C. à l'effet que le passif de la communauté se compose des dettes contractées par le mari pendant la com-munauté et non de celles contractées par la femme sans le consentement du mari. Art. 1297. La femme ne peut s'obliger ni engager les biens de la com-munauté, même pour tirer son mari de prison, ou pour l'établissement de leurs enfants communs .. . Art. 1294. Les condamnations pécuniaires encourues par le mari pour crime ou délit, peuvent se poursuivre sur les biens de la communauté. Celles encourues par la femme ne peuvent s'exécuter que sur ses biens et après la dissolution de la communauté. Comment expliquer ces dispositions de la loi si la théorie de la copropriété actuelle des époux était réellement un fait juridique? La loi permettrait au mari de solder ses condamnations pécuniaires pour délit à même les biens de sa femme, mais refuserait à celle-ci le droit d'acquitter ses propres condamnations pécuniaires pour les mêmes faits avec les biens de la communauté qui lui appartiendraient pour moitié. De plus, il me semble qu'il serait impossible de concilier cette théorie avec le texte des articles 1980 et 1981 C.C. Art. 1980. Quiconque est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir, . . . Art. 1981. Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers, . . .
100 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Le mari étant le seul qui puisse engager les biens com- MINISTER OF muns, il faut nécessairement conclure que les biens de la NATIONAL REVENUE communauté sont le gage commun des créanciers et que les S v u . lu seules dettes de la femme pouvant affecter les biens com- Fournier J. muns seraient celles contractées avec le consentement du mari. Dans ce cas, elle n'agirait que comme mandatàire du mari. Alors les biens du mari deviennent le gage des créanciers. La loi dit que les dettes contractées par la femme commune en biens, avec le consentement du mari, entrent dans le passif de la communauté. C'est donc le consente-ment du mari qui a l'effet d'engager les biens communs comme siens et d'en faire le gage des créanciers. En dé-finitive, les règles régissant la communauté de biens décrètent que les obligations contractées par la femme seule ne peuvent s'exécuter que sur les biens qu'elle aura après la dissolution de la communauté. Ces remarques, je crois, suffisent à démontrer que pendant l'existence de la communauté la femme n'a aucun des droits qui caracté-risent le propriétaire. Comme il est généralement reconnu que la communauté n'est pas une personne civile capable de posséder et que la femme, de par les règles du Code Civil, est dessaisie de sa part des biens qui entrent dans la com-munauté, il faut conclure que le mari, juridiquement, est propriétaire des biens de la communauté pendant sa durée. Lorsque la loi dit que la communauté légale de biens commence du jour de la célébration du mariage, elle ne fait que fixer le moment de l'entrée en vigueur des règles qui régissent la communauté de biens entre les époux et indi-quer qu'ils ne peuvent plus modifier ou changer les conventions matrimoniales édictées par la loi. Les dispositions que nous avons examinées jusqu'ici concernent les droits, pouvoirs, devoirs et obligations des époux, pendant l'existence de la communauté, relativement aux biens qui en composent l'actif et les obligations et dettes qui en compo-sent le passif. Les règles qui suivent traitent d'abord de la dissolution de la communauté. Elle se dissout par la mort naturelle, la séparation de corps, la séparation de biens et, dans certains
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 101 cas, par l'absence de l'un des époux. Sauf dans le cas de 1959 mort naturelle, la dissolution provient, entre autres de la MINISTER OF séparation de biens poursuivie par la femme et prononcée A L REVENUE par la justice. Il s'ensuit que la femme dont le mari est sue ' L décédé ou qui a obtenu une séparation judiciaire a le droit Fournier J. d'accepter ou de répudier la communauté. Art. 1338. Après la dissolution de la communauté, la femme ou ses héritiers et représentants légaux, ont la faculté de l'accepter ou d'y renoncer; toute convention contraire est nulle. Aux articles 1342 et 1344 il est décrété que la femme sur-vivante a un délai de trois mois pour faire inventaire des biens de la communauté et un délai de quarante jours pour délibérer avant d'exercer sa faculté d'accepter la commu-nauté de biens ou d'y renoncer. Au cas de renonciation de la femme ou de ses héritiers, les biens de la communauté continuent à être la propriété du mari ou de ses héritiers (art. 1379). Dans le cas d'acceptation de la communauté par la femme, l'article 1354 du Code Civil dit: 1354. Après l'acceptation de la communauté par la femme ou ses héritiers, l'actif se partage et le passif est supporté en la manière ci-après déterminée. C'est seulement après la dissolution et l'acceptation de la communauté par la femme ou ses héritiers, que, pour la première fois, la loi déclare que la femme ou ses héritiers ont des droits réels et actuels dans l'actif de la communauté et qu'elle les oblige à en supporter le passif. L'acte juridique d'acceptation de la communauté par la femme ou ses héritiers a pour effet de dessaisir le mari de son droit de propriété dans ces biens et l'oblige au partage de l'actif et le décharge de l'obligation d'en supporter seul le passif. Il faudra donc recourir aux dispositions du code relatives, à l'actif et au passif de la communauté pour déterminer ce qui constituera le patrimoine à partager. A l'article 1355 on voit les mots "la masse des biens communs". Art. 1355. Les époux ou leurs héritiers rapportent à la masse des biens communs tout ce dont ils sont débiteurs envers la communauté à titre de récompense ou d'indemnité, .. . Art. 1356. Chaque époux ou son héritier rapporte également les sommes qui ont été tirées de la communauté, ou la valeur des biens que l'époux y a pris . . .
102 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1 959 ` Les articles qui suivent continuent à déterminer corn - MINISTER of ment la masse à être soumise au partage est constituée. NATIONAL REVENUE L'article 1361 nous amène au partage de cette masse et v. s indique la part d'icelle qui devra être attribuée à chacun des époux. Fournier J. Art. 1361. Après les prélèvements faits et les dettes payées sur la masse, le surplus se partage par moitié entre les époux ou ceux qui les représentent. Pendant la durée de la communauté c'est l'inégalité entre les époux qui prévaut; après sa dissolution la loi donne à la femme la faculté de rétablir l'égalité, non quant aux biens ayant pu entrer dans la communauté pendant sa durée mais quant au surplus des biens existants lorsque la communauté aura disparu. Son acceptation de la com-munauté lui donne la propriété de la moitié de ce surplus. La femme est tellement peu propriétaire des biens de la communauté avant l'acceptation que, lorsqu'elle lègue sa part des biens de la communauté à ses héritiers, "si ces derniers se divisent, de sorte que l'un ait accepté la com-munauté à laquelle les autres ont renoncé, celui qui a accepté ne peut prendre dans les biens qui échéent au lot de la femme que la portion qu'il y aurait eue si tous eussent accepté". Le surplus reste au mari (voir art. 1362). Pour-tant, le legs qu'elle en fait semble établir la présomption qu'elle aurait elle-même accepté la communauté. Lorsque le législateur a décrété que, sous le régime de la communauté, le mari aurait sur les biens composant l'actif de la communauté tous les droits qui sont essentiels à la propriété et qu'il serait chargé de toutes les obligations qui résulteraient des dépenses du mariage et du passif de la communauté, il l'établissait chef et maître de la commu-nauté de biens. D'autre part, il donnait à la femme protection et le droit éventuel de partager les biens communs avec le mari si après la dissolution elle décidait d'accepter la com-munauté. Le mari en adoptant le régime de la communauté légale de biens s'obligeait à partager avec sa femme le surplus de la masse commune, si celle-ci, après la dissolution, exerçait sa faculté d'accepter la communauté. Il devenait donc débiteur sous condition suspensive. Son obligation n'avait d'effet que si. sa femme optait pour l'acceptation. Cette acceptation était facultative. La décision
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 103 dépendait de la seule volonté de la femme et constituait un 1959 événement futur et incertain. Voici comment le Code Civil MINISTER OF définit l'obligation conditionnelle : NATIONAL Art. 1079. L'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre SIIRA d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrive ou Fournier J. n'arrive pas. Dans le cas qui nous intéresse, l'obligation du mari naît au moment de l'acceptation de la femme et le droit de propriété ou de partage des biens communs ne devient réel et exécutoire qu'à cet instant. Je suis d'opinion que c'est la seule interprétation juridique possible des règles qui régissent la communauté légale de biens, puisqu'au cas de répudiation, de renonciation, les biens communs continuent à être confondus avec les biens du mari et constituent son patrimoine. D'ailleurs, c'est la théorie de la communauté conjugale sous la coutume de Paris, telle que préconisée et soutenue par Dumoulin, Pothier, D'Aguesseau, Touiller et Cham-pionnière et Rigaud. Mignault n'accepte pas cette théorie que le mari pendant le mariage est le seul propriétaire des biens communs et que la femme n'a que l'expectative de devenir un jour commune. Il pose comme principe qu'elle est copropriétaire avec le mari, non sous la condition suspensive de son acceptation mais sous la condition résolutoire de sa renon-ciation. Sa théorie est celle des commentateurs du Code Napoléon. Je me suis souvent demandé comment il pouvait concilier cette opinion avec ses commentaires relatifs à l'administration des biens communs par le mari et de ses droits de jouir et de disposer de ces même biens. Il est vrai que la communauté commence avec le mariage et finit avec lui, mais il est incontestable que les dispositions du Code Civil traitant de la dissolution, de l'acceptation, de la renonciation et du partage sont des règles applicables aux biens de la communauté, que les règles régissant la com-munauté légale de biens ne forment qu'un tout et qu'il faut interpréter les unes par les autres et dans leur ensemble. Je crois devoir citer ici les commentaires du même auteur sur les droits d'administration, de jouissance et de disposition des biens de la communauté du mari.
104 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Dans son Droit Civil Canadien, vol. 6, p. 215, il dit: MINISTER OF NATIONAL Le pouvoir d'administrer est d'ordinaire un pouvoir très restreint: REVENUE conserver les biens les faire fructifier, telle est la mission d'un adminis- v trateur ordinaire. SURA Mais le pouvoir du mari est si étendu qu'on peut l'assimiler au pouvoir Fournier J. du propriétaire. Ce pouvoir est défini par l'article 1292. Ici, je crois devoir faire remarquer que l'auteur emploie l'expression "assimiler", laquelle se définit par les mots "rendre semblable". Lorsque des pouvoirs sont semblables il est logique de dire qu'ils sont les mêmes; le mari aurait donc les mêmes pouvoirs que le propriétaire. Mais con-tinuons. En commentant l'article 1292 Mignault dit: A L'EGARD DES TIERS, il peut tout. Ainsi il peut vendre, échanger, aliéner, hypothéquer, donner (ce droit a été modifié en 1931), pourvu que ce soit sans fraude, les biens comme il l'entend, sans le con-sentement de la femme et malgré elle; il transige, il plaide, tant au possessoire qu'au pétitoire; il oblige la communauté, même lorsque ses obligations sont nées d'un délit ou lorsqu'elles ont été contractées dans son intérêt personnel. A L'EGARD DE LA FEMME, il peut également tout, pourvu que ce soit sans fraude. Ainsi il peut aliéner, hypothéquer, donner, plaider, transiger, ruiner la communauté en faisant des dépenses folles ou des libéralités. Il peut tout cela sans contrôle de la part de la femme, sans obligation de lui rendre compte. Elle ne peut pas lui dire: "Il y avait en caisse tel fonds social; qu'est-il devenu?" Le mari répondrait: "J'en ai fait ce que j'ai voulu, je l'ai dissipé, je l'ai donné." Pourvu qu'il ne s'enrichisse point aux dépens de la communauté, le mari l'administre, en principe, cum libera potestate; maritus potest perdere et dissipare res communes. La femme ne peut donc obtenir des indemnités à raison des actes émanés de son mari, ou en faire prononcer la nullité, qu'à la condition d'établir qu'il les a faits en violation d'une prohibition de la loi. Tous ces droits et pouvoirs du mari, relativement aux biens de la communauté, que l'auteur énumère et commente sont régis par des dispositions de la loi civile. Or le Code Civil dit que la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue,, pourvu que l'on n'en fasse pas un usage prohibé par la loi et les règlements. Tous ces droits sur les biens de la communauté sont l'apa-nage du mari. La femme avant son mariage .avait ces mêmes droits sur ces biens, mais en adoptant ,le régime de , com-munauté légale de biens elle en a été dépossédée,, dessaisie. Lorsqu'elle renonce à la propriété,, je le; répète,. le mari ne
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 105 devient pas propriétaire mais demeure propriétaire des 1959 biens communs. C'est bien ce que Pothier enseigne (voir M INISTER OF IONA L Œuvres de Pothier par Bugnet, tome 7, p. 300, No 568) : R NAET VEN UE 568. Premier effet.—L'effet de la renonciation de la femme ou de ses v. SURA héritiers, est de les exclure des biens de la communauté, desquels en _ conséquence le mari ou ses héritiers demeurent propriétaires pour le total, Fournier J. jure non decrescendi. Voici maintenant certaines opinions d'un auteur moderne canadien, Maître Léon Faribault. Dans son Traité de Droit Civil du Québec, vol. 10, p. 69, après avoir comparé la communauté conjugale avec les sociétés ordinaires, il dit: La communauté de biens, au contraire, n'a aucune personnalité civile. Elle ne constitue qu'un troisième patrimoine distinct de celui des époux, quoique, durant son existence, il y ait confusion de ses biens avec ceux du mari, de manière à permettre aux créanciers du mari de poursuivre le paiement de leurs créances sur les uns et les autres indifféremment. Au sujet de l'administration du mari, à la page 164, après avoir dit que le mari pouvait disposer des biens communs à titre onéreux, il continue: . et il ne doit compte de son administration à personne, pas même à son épouse; celle-ci n'est même pas admise à réclamer après que la communauté a été dissoute. On peut constater combien son administration diffère de celle d'un mandataire ordinaire, dont les pouvoirs sont généralement limités et qui doit toujours rendre compte à la fin de son mandat. Non seulement le mari peut se passer du consentement de sa femme, mais il peut même agir malgré elle. Il peut faire toutes les transactions qu'il veut. Rien ne l'empêche de ruiner la communauté par des dépenses extravagantes et folles. Toutes les obligations qu'il contracte engagent la communauté, même lorsqu'elles sont nées de son délit ou de son quasi-délit. D'ailleurs, la jurisprudence des tribunaux de la province de Québec a toujours, soit explicitement ou implicitement, suivi l'ancien droit et reconnu que pendant la durée de la communauté le mari seul était non seulement l'adminis-trateur des biens communs mais encore le seul propriétaire de ces biens. La femme n'y avait qu'un droit éventuel qui ne devenait réel et actuel qu'à l'arrivée d'une condition suspensive. Cette jurisprudence est considérable, mais je crois qu'il suffit de citer quelques exemples pour justifier mes conclusions. . 80666-1-3a
106 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Dans la cause de Childs v. Libby", il s'agit d'une femme MINISTER OF qui avait acheté un immeuble en son nom avec le con- NATIONAL REVENUE sentement de son mari. Le mari étant décédé, la femme Su v R A renonce à la communauté. Les créanciers, qui avaient une réclamation pour balance de prix de vente, poursuivent la Fournier J. femme, alléguant qu'elle était personnellement responsable parce que c'était elle qui avait acheté l'immeuble. Le juge Tellier, plus tard Sir Mathias Tellier, rendant la décision de la Cour de révision, dit à la page 167: Cette dernière (l'épouse) ne pouvait, dans aucun cas, en jouir ni en disposer, soit directement soit indirectement; il n'existait à son profit qu'un droit éventuel qui ne pouvait naître qu'après la dissolution de cette communauté. Il en résulte donc que, tant qu'elle subsistait, le dit immeuble qui en faisait partie était la propriété exclusive du mari, sauf le droit éventuel de la femme qui pouvait ne jamais se réaliser. Et comme nous l'avons déjà dit, ce droit éventuel s'est évanoui par le fait de la renoncia-tion de la défenderesse, qui a laissé le mari propriétaire absolu de cet immeuble. Dans une autre cause, Saultry v. Ferre l2, la Cour de révision a jugé que "La femme commune en biens qui déserte le domicile conjugal le mari se déclare prêt à la recevoir et à la soutenir, mais à qui il refuse de fournir, ailleurs, les choses nécessaires à la vie, a le droit de pour-suivre la séparation de biens." Le juge Mathieu, qui a rendu le jugement, après avoir dit que, d'après l'avis unanime des auteurs et suivant la jurisprudence, le mari ne peut lui opposer ce fait comme fin de non recevoir à la demande en séparation de biens, continue: . le devoir de cohabitation concerne la société des personnes, et n'a rien de commun avec la société des biens. Quand il s'agit de la société de biens, on ne peut reprocher à la femme d'avoir manqué à une obligation, car elle n'a pas plus d'obligations que de droits pendant la durée de la communauté. Quitte-t-elle le domicile conjugal, elle manque à ses devoirs de femme mariée; ce qui peut motiver contre elle une demande en sépara-tion de corps, mais elle ne viole pas une obligation de femme commune en biens. Tous les droits appartiennent au mari, et lui seul a des obligations. Voila pourquoi le mari ne peut pas demander la séparation de biens, mais on peut la demander contre lui... . Maintenant je citerai une cause de la Cour d'Appel dans laquelle il est reconnu que les biens communs sont la propriété exclusive du mari. Une femme commune avait, 11 C.S. 153. 231 C.S. 59.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 107 par son travail, amassé des économies qu'elle avait déposées 1959 à la banque en son nom. Le mari poursuivit la banque pour MINISTER OF NATIONAL avoir cet argent, qui, alléguait-il, lui appartenait en sa REVENUE qualité de chef de la communauté et sur lequel il avait un suRA droit de disposition absolu. La Cour d'Appel a maintenu Fournier J. ses prétentions. Dans la cause de Bonin v. La Banque d'Épargne de la Cité et du District de Montréal', Sir Mathias Tellier dit: Il ne sert de rien de dire que cet argent est le fruit du travail, de l'industrie, et des économies personnelles de la mise-en-cause. Serait-ce le cas, cela ne changerait rien à la chose; car le produit du travail, de l'industrie et des économies personnelles de chacun des époux appartient de droit et nécessairement à la communauté. Ainsi le veut la loi. La loi n'a pas tort, du reste, et il n'y a rien de plus juste, au fond, puisque les époux ont mis en commun tout ce qu'ils possédaient de talent, d'énergie, de force et de capacité d'acquérir. Dans le cas présent, il s'agit de salaires du mari et de loyers qu'il retire de maisons et appartements et que les parties ont admis être compris dans l'actif de la commu-nauté au sens de l'article 1272 C.C. Je terminerai ces citations de la jurisprudence québecoise par les remarques du juge Duranleau dans la cause de dame Guérin v. Giroux' (p. 324, in fine) : Tant que dure la communauté entre les époux, la femme est sans qualité et sans droit pour attaquer les actes d'aliénation de son mari des biens de la communauté comme faits en fraude de ses droits de commune: le mari est le maître absolu des biens communs; il peut les vendre, les hypothéquer, et même les donner sous certaines restrictions, depuis la modification à notre art. 1292 C.C., adoptée en 1931, et ce n'est qu'après que la communauté a été dissoute et qu'elle a été acceptée par la femme que cette dernière peut attaquer les actes d'aliénation du mari faits en fraude de ses droits. Cette règle n'a jamais été contestée en France, avant le Code Napoléon... . Après avoir signalé que l'article 1292 C.C. tel que modifié en 1931 est la reproduction textuelle des articles 1421 et 1422 C.N., il dit (p. 325, in fine) : Or, la grande majorité des commentateurs du Code Napoléon s'accordent pour soutenir que le Code Napoléon n'a pas fait le mari simple administrateur de biens d'une société, mais qu'il en est le maître, comme sous l'ancien droit, nonobstant les restrictions de l'art. 1422 C.N., .. . 134 B.R. 322, 331. 1 [1943] C.S. 323. 80666-1-3ia
108 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Et plus loin: MINISTER OF . , . si la femme accepte la communauté, après sa dissolution, elle NATIONAL devient alors associée réelle de son mari, et ce n'est qu'à partir de ce REV V. E NUE momentqu'elle a intérêt d'agirparceque le pa trimoine commun dont SURA elle prend la moitié est diminué par les libéralités illégales du mari et que l'intérêt est toujours la mesure des actions. Fournier J. Si j'ai considéré quelque peu longuement les opinions et commentaires des anciens juristes français sur la nature et les dispositions de la communauté légale de biens sous le droit coutumier français, particulièrement sous la coutume de Paris, c'est que les dispositions du Code Civil qui régissent la communauté de biens sont basées sur les textes des coutumes. Ces règles n'ont pas, dans tous les cas, été codifiées en termes identiques à celles des coutumes, mais les expressions employées se prêtent à la même inter-prétation que les textes des coutumes. Cette considération était nécessaire à l'analyse de plusieurs dispositions du Code Civil que je devais faire pour motiver les conclusions juridiques essentielles à la solution du présent litige. C'est pour la même raison que j'ai cité des auteurs canadiens et des décisions de nos tribunaux sur le sujet qui nous intéresse. D'ailleurs, pour comprendre le système juridique du régime de la communauté légale de biens dans la province de Québec, il faut référer aux lois anciennes françaises et aux commentaires des juristes d'autrefois, ainsi qu'aux opinions des auteurs canadiens et aux décisions de nos tribunaux. Autrement, il y aurait danger de confondre ce mode de vie chez nous avec des systèmes de communauté conjugale qui tendent à établir entre les conjoints des rapports d'égalité comparables à ceux qui existent entre associés ordinaires. Ici, c'est l'inégalité de droits, pouvoirs, obligations et intérêts qui existe entre les époux. Après ces considérations, je me propose de citer des passages des auteurs modernes qui ont commenté le Code Napoléon aux dispositions régissant la communauté con-jugale. Ces auteurs sont nombreux; dans mes notes, je devrai nécessairement en limiter la nomenclature. Qu'il me suffise de dire que la_ plupart s'accordent sur . les raisons motivant leur . affirmation que les biens de la communauté conjugale sont la copropriété du mari et de la femme en vertu des dispositions régissant la communauté qui ont été édictées par le Code Napoléon.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 109 Baudry-Lacantinerie, Traité théorique et pratique de 1959 droit civil, "Du Contrat de mariage", vol. 1, 3e éd., p. 581, MINISTER OF NATIONAL dit: REVENUE 637. Le mari et la femme sont copropropriétaires des biens de la V. SUTRA communauté. La communauté ou société de biens entre époux n'est _ représentée que par un fonds commun, destiné à subvenir aux charges du Fournier J. ménage et à s'enrichir des économies momentanément confondues et finalement soumises au principe du partage égal. Ainsi se trouve bien con-solidée, semble-t-il, l'idée d'une copropriété basée sur l'égalité, du moins théorique, des droits des deux conjoints. Si nous analysons ce paragraphe, la raison principale de l'auteur de soutenir la théorie de la copropriété serait le fait que les biens communs qui, momentanément, c'est-à-dire pendant la durée de la communauté, sont confondus .. . avec ceux du mari . . ., seront finalement, après la dissolution de la communauté, soumis au principe du partage égal. Le fait de la confusion des biens communs avec les biens du mari ne peut suggérer l'idée d'égalité; c'est donc le fait du partage égal lorsque la communauté aura cessé d'exister qui semble lui indiquer l'idée d'une copropriété basée sur l'égalité théorique des droits des deux époux. Il base sa théorie non sur les règles qui régissent les biens de la communauté pendant sa durée, mais sur les règles du code qui indiquent le sort des biens après la dissolution. A la page 582 il continue: Toutefois, cette idée se trouve singulièrement atténuée et transformée par l'étendue considérable et presque illimitée des pouvoirs du mari. Mais le mari et la femme ne sont point, en réalité, des associés égaux. La nature, et la loi après elle, désignent le mari comme chef du ménage. Le mari doit protection à la femme et celle-ci obéissance à son mari. La gestion des intérêts pécuniaires, surtout dans les relations avec les tiers, est confiée au mari. Cela a paru plus conforme à nos habitudes, aux moeurs, aux convenances mêmes... . Voilà pourquoi le mari, chef du ménage, est également le chef de la communauté. Ses pouvoirs sur les biens communs vont être presque sans limites. La communauté, tant qu'elle dure, est pour ainsi dire absorbée dans la personne de l'époux. Les raisons qui motivent l'opinion de cet auteur que les biens de la communauté sont la copropriété des époux pendant son existence ressemblent étrangement aux motifs qui ont incité des juristes d'autrefois et les tribunaux canadiens à conclure que le mari seul, pendant la durée de la communauté, était propriétaire des biens communs.
110 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Laurent, commentateur bien connu du Code Napoléon MINISTER OF dans "Principes de Droit Civil Français", 3e éd., vol. 21, NATIONAL REVENIIE à la page 225, après avoir dit que Dumoulin n'avait pas S u. enseigné qu'il n'y avait pas de communauté et que Pothier n'avait pas répété, avec les coutumes, que le mari était Fournier J. seigneur et maître, mais s'était borné à dire qu'il l'est en quelque façon, s'est demandé pourquoi ces restrictions. Il répond à sa question: "C'est que la femme est coproprié-taire." Pour supporter cette affirmation, il répète une affirmation de Laurière, auteur d'autrefois: Si le mari est seigneur des meubles et des conquêts immeubles, il n'en est pas propriétaire, si ce n'est de la moitié seulement; s'il peut les vendre, aliéner, hypothéquer, ce n'est que parce qu'il en a la libre administration, en qualité de chef de la communauté. Laurent conclut que ce sont les vrais principes de l'ancien droit: les deux époux sont associés, mais associés inégaux. Il préfère donc l'opinion de Laurière à celle des grands juristes que j'ai cités et dont les enseignements ont été constamment suivis ici. Lorsqu'il réfute avec succès la théorie que la communauté est un être moral ayant les droits des personnes civiles, il emploie des raisonnements qui pourraient tout aussi bien s'appliquer à la femme qui adopte le régime de la communauté de biens. Dans ce cas, les dispositions de la loi dépossèdent celle-ci des mêmes droits, pouvoirs et privilèges que la loi accorde aux person-nes civiles. Voici comment il s'exprime : La loi dit que le mari administre seul la communauté; il n'y a rien dans nos textes d' l'on puisse induire que le mari ne serait que l'administrateur d'un corps moral. C'est lui qui aliène les biens avec un pouvoir absolu; il est donc propriétaire et, encore une fois, rien ne marque que les biens communs appartiennent à un être fictif. Je me demande pourquoi cette règle ne s'appliquerait pas à la femme que la loi a dessaisie de ses droits dans les caté-gories de biens qui composent l'actif de la communauté. L'auteur pose comme principe que celui qui aliène les biens communs avec un pouvoir absolu est propriétaire de ces biens. Ce principe est d'ailleurs conforme au principe de la propriété. Mais suivons son raisonnement. On distingue le patrimoine de la communauté du patrimoine qui reste propre aux époux. La communauté ayant un actif et un passif, on pourrait croire qu'elle forme une personne différente des époux. Mais cette fiction est incompatible avec le pouvoir que la loi reconnaît au mari. Il est
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 111 propriétaire de la communauté, il est propriétaire de ses propres biens; 1959 est-ce que ces deux patrimoines sont distincts quant au mari, en sorte que 1V INISTR les dettes qui grèvent l'un ne grèveraientpas l'autre? Non, les deux NATIONAL patrimoines n'en forment qu'un. . . . REVENUE V. SUSA Plus loin: Les biens du mari et les biens communs ne font qu'un seul et même Fournier J. patrimoine que le mari gère en seigneur et maître. Il termine son exposé de la doctrine en disant que si son raisonnement n'était pas le seul vrai et conforme à la loi il en résulterait l'étrange conséquence que le mari serait dépouillé de ses propres biens et qu'il ne les gérerait que comme agent d'une personne morale qui absorberait les droits du mari comme chef et ses droits comme propriétaire. Je n'ai aucun doute que les opinions qu'il expose ainsi sont irréconciliables avec la théorie de la copropriété, mais qu'elles motivent par contre la théorie que le mari est seul propriétaire des biens communs. Un autre auteur, Théophile Huc, est partisan de la co-propriété des époux. Voici deux passages de "Commentaire théorique et pratique du code civil", Vol. IX, pp. 26 et 27: La société résultant de l'établissement de la communauté commence avec la communauté elle-même. A partir de ce moment, la femme est réellement une associée et n'a pas seulement l'espérance de la devenir un jour. Son droit sur la moitié des biens de la communauté s'acquiert et se constitue en même temps que le droit du mari sur l'autre moitié. Toutefois, il admet que Durant le mariage, ou du moins tant que dure le régime, le femme est comme n'existant pas. Le mari agit, non comme un associé, mais comme un maître absolu, comme s'il était seul propriétaire. La femme est associée, mais c'est comme si elle ne l'était pas, puisqu'elle ne peut rien faire. Son individualité juridique est comme anéantie, son incapacité dérivant encore du mundium du mari est complète; elle ne peut obliger la communauté, ni s'obliger personnellement sans l'autorisation du mari. Nous avons vu que la communauté conjugale de biens n'est pas une personne morale, qu'elle n'a pas de person-nalité civile. Nous savons maintenant que la femme commune est comme n'existant pas et que son individualité juridique est comme anéantie. La femme serait donc aux yeux de la loi incapable de posséder, de jouir et de disposer des biens, et cette incapacité proviendrait de son propre fait juridique et non pas seulement des dispositions de la loi. Elle était libre, alors qu'elle était capable, de choisir
112 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 entre le régime de la communauté légale de biens ou tout MINISTER OF NATIONAL autre régime consacré par la loi. Son incapacité est née REVENDE v. avec sa décision de se déposséder volontairement de la SuRA catégorie de biens qui tombent dans l'actif de la commu- Fournier J. nauté et d'accepter les règles de la communauté légale de biens qui donnent au mari tous les droits du propriétaire sur ces biens. Il est bien difficile de concevoir l'idée de lien de droit entre une personne sans individualité juridique et le fait pratique et juridique de la propriété des choses. "Le droit de la femme sommeille en quelque sorte tant que dure la communauté et se réveille au moment elle se dissout", disent Massé et Vergé dans leur "Droit civil français", vol. 4, p. 59. Toutefois, eux aussi soutiennent que la femme est copropriétaire des biens communs. Ils auraient tout aussi bien pu conclure que le droit de propriété de la femme dépendait d'une condition, c'est-à-dire d'un évé-nement futur et incertain, et qu'il était suspendu jusqu'à l'accomplissement de la condition. Ils auraient pu ajouter que si la dissolution de la communauté donnait ouverture à son droit conditionnel, ce n'est que son acceptation de la communauté qui pouvait donner lieu à l'obligation du mari de partager les biens. C'est à ce moment qu'elle devenait propriétaire et créancière de son mari ou de ses héritiers et qu'ils devaient lui remettre la moitié du résidu de l'actif de la communauté de biens. Mignault enseigne ce qui suit (vol. 5, pp. 442 et 443, para. V.-Des effets de la condition suspensive) : La condition suspensive, tant qu'elle n'est pas réalisée, tient en suspens tous les effets du contrat. L'obligation n'existe point encore, il y a seulement espoir qu'elle existera. Le débiteur conditionnel qui, par erreur, paye avant l'accom-plissement de la condition, paye donc ce qu'il ne doit pas: aussi a-t-il le droit de répéter ce qui a été payé. La propriété, lorsque la convention conditionnelle a pour objet de la transférer, n'est pas encore déplacée: il y a seulement espoir qu'elle le sera.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 113 Je crois que c'est dans l'ceuvre de Planiol et Ripert, 1959 Traité pratique de droit civil français, éd. 1957, que se trouve MINISTER Of NATIONAL l'exposé le plus clair et le plus intéressant de la nature de REVENUE la communauté et de ses effets sur les biens des époux. Je sunA cite (vol. 8, p. 319) : Fournier J. Dans ce qu'elle a d'essentiel et que l'on doit toujours retrouver à travers la variété de ses applications, la communauté est une union d'intérêt pécuniaire entre les époux et, plus spécialement, la mise en commun des gains réalisés pendant le mariage. Les codificateurs du Code Civil dans leur rapport au corps législatif sur la société disent: Il ne s'agit pas ici des associations ou groupements d'intérêts comme ceux qui résultent de la communauté légale ou de la propriété indivise, bien que les jurisconsultes les appellent sociétés. Bien avant l'auteur cité, nos codificateurs avaient exprimé l'opinion que la communauté était un groupement ou association d'intérêts pécuniaires entre les époux. Dans le Code Civil ce n'est qu'après la dissolution et l'acceptation de la communauté qu'il est question de la masse des biens communs (art. 1355). A la page 321, l'auteur dit: C'est en somme par anticipation que l'on parle de la masse commune, tant que la communauté n'a pas été dissoute. Jusque-là, la communauté désigne une catégorie de biens, soumise à un statut spécial. Durant la communauté, voici comment il désigne la masse (p. 331, in fine) : ... La communauté est une masse de biens, en perpétuel devenir, mise à la disposition du ménage qui est traditionnellement représenté par le mari; les dettes communes seront, en définitive, à la charge des biens communs. La réalisation d'un profit commun n'apparaît qu'au terme de l'expérience; s'il y a un reliquat actif, celui-ci sera partagé. C'est ce qu'exprimait le vieil adage qui définissait le droit de la femme pendant la durée de la communauté: non est socia, sed speratur fore. En parlant des effets juridiques, il dit (p. 332) : Quelle que soit l'origine du bien qui devient commun, un double effet juridique se constate: le bien dont il s'agit est désormais soumis aux règles qui régissent l'administration de la communité; il peut être saisi par les créanciers de la communité (qui se confondent, quant au droit de poursuite, avec les créanciers du mari).
114 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 Quelle est, au juste, la nature du droit dont le bien commun est MIN I STE R OF l'objet? C'est précisément le point s'affirme l'originalité de la corn-NATIONAL munauté, envisagée comme une catégorie de biens affectée aux intérêts du REVENUE ménage: la question de , propriété s'absorbe, en l'occurrence, dans une v question de pouvoirs. . SIIRA Fournier J. Maintenant, pendant la durée de la communauté: Un bien commun ne saurait être actuellement considéré comme destiné au partage. Le partage n'aura pas lieu si la femme renonce à la com-munauté; rien ne permet, en tout cas, de préciser les biens qui figureront un jour dans la masse partageable. Il ne serait donc pas seulement inexact, il serait prématuré de parler de droits indivis sur les biens communs. Par se vérifie la justesse de l'adage qui disait de la femme: non est socia, sed speratur fore. Et je termine avec quelques phrases qui résument les droits des époux à l'égard de leurs biens. En l'état actuel des textes, rien n'est apparemment changé en ce qui concerne les biens qui étaient la propriété du mari. Celui-ci était et demeure en possession. Il avait auparavant et, sauf pour les donations, il garde le pouvoir d'aliéner. Pour la femme, au contraire, le changement est brutal et complet; elle est dessaisie des biens dont elle avait la propriété, et elle perd tout pouvoir de gestion et de disposition. De ces remarques, il faut conclure que durant la com-munauté il est impossible de préciser les biens qui com-posent la masse des biens en perpétuel devenir et dont le _ résidu pourra être soumis au partage après la dissolution. Il ne peut être question de droit indivis sur ces biens avant la disparition de la communauté. De plus, le mari demeure propriétaire de ses biens pendant la communauté, tandis que la femme est dessaisie des biens qu'elle verse à la masse et perd son droit d'administration et de disposition de ces biens. Ces droits essentiels à la propriété sont dévolus au mari, sauf le cas de donation, qui, en conséquence, devient propriétaire de ces biens. Toute autre interprétation, je crois, laisserait ces biens dans un vide qui répugne à la raison et au système juridique de la communauté légale de biens du Québec. Je suis au terme de l'analyse des textes de lois, des différentes doctrines enseignées par les auteurs anciens et modernes français, des auteurs canadiens et des décisions des tribunaux canadiens. Ces textes, opinions et décisions sont d'une importance capitale, il me semble, à la solution de la question de droit qui m'a été soumise et-, serviront de
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 115 base à mes conclusions. Cette analyse n'a rien de nouveau. 1959 L'étude faite m'a convaincu que c'est encore le droit cou-MINISTER OF tumier français et en particulier la coutume de Paris qui NAL REVENUE sont en substance le droit qui a cours dans le Québec SU V R . A relativement à la communauté légale de biens. J'ai donc suivi les règles du Code Civil et les enseignements des juris- Fournier J. consultes français d'autrefois et les auteurs canadiens dans l'interprétation et l'application du système de loi qui a été transplanté ici au début de la colonie et a continué à être en force dans le Bas-Canada et la province de Québec jusqu'à nos jours, sauf certaines modifications qui, dans mon opinion, n'ont pas changé les principes de base de la communauté conjugale. C'est pour ces raisons que les opinions que j'exprimerai ci-après seront, je crois, conformes aux vrais principes du droit civil de la province de Québec et à la construction juridique constante appliquée au système de loi qui con-stitue le régime de la communauté légale et aux règles qui déterminent les droits, pouvoirs et obligations des époux relativement aux biens de la communauté. La communauté conjugale n'est pas une société au sens de la loi. Au point de vue juridique, le mot "communauté", lorsqu'il s'applique aux personnes mariées sans contrat de mariage ou aux époux qui l'ont stipulé dans leur contrat de mariage, désigne leur régime d'association conjugale. L'expression "régime de communauté" est l'ensemble des règles applicables aux biens des époux et aux biens connus sous le nom de "biens de la communauté". C'est donc une association conjugale que la loi établit entre les conjoints quant aux biens devant composer l'actif de la communauté, lesquels sont régis par des dispositions spéciales du Code Civil. Dans son essence, la communauté de biens est une union d'intérêts pécuniaires entre époux et la mise en commun de certains biens spécifiés, dans le but de subvenir aux charges du ménage et de rencontrer les obligations qui naissent du mariage. Le fait que la loi permet de faire toutes sortes de conventions matrimoniales par contrat de mariage (art. 1257 C.C.) indique qu'il y a plus d'un régime d'association con-jugale quant aux biens. Le choix du régime appartient aux futurs époux. Le défaut de contrat de mariage ou de
116 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 stipulation contraire implique que les époux ont adopté MINISTER OF tacitement le régime de la communauté légale de biens NATIONAL REVENUE établi par la loi. C'est donc volontairement qu'ils y sont Ste, soumis, puisqu'il dépendait d'eux d'en décider autrement. Fournier J. On ne peut dire que la l , o i leur a imposé la communauté conjugale. En se soumettant ainsi à ce régime, ils en acceptent les règles et les effets du mariage sur leurs biens. Ces règles qui régissent la communauté légale de biens sont une série de dispositions légales qui, après avoir régi les intérêts pécuniaires des époux pendant l'existence de la commu-nauté, permettent de déterminer, après la dissolution d'icelle et l'exercice de l'opinion de la femme ou de ses héritiers, comment se compose le patrimoine et comment il sera partagé. Dès le début, la loi décrète que les époux ne peuvent déroger aux droits qui résultent de la puissance maritale et paternelle et qui appartiennent au mari. Ce principe n'est pas contestable et n'a jamais été contesté, même par les adhérents de la copropriété des époux ou de l'indivision entre eux. Pour motiver le droit du mari d'administrer seul les biens communs, ils soutiennent que c'est en sa qualité de chef de la communauté conjugale qu'il en a la libre administration. Au point de vue juridique, je suis d'opinion que le mot chef veut dire maître. Ces principes posés, le Code Civil procède à déterminer les biens qui proviennent du patrimoine personnel des époux qui composeront l'actif de la communauté. A ce sujet notre droit civil est conforme au droit coutumier, comme d'ailleurs il suit le droit coutumier dans l'énumé-ration des charges qui composeront le passif de la com-munauté. Pendant l'existence de la communauté, ces biens actuels ou virtuels seront en continuel mouvement. Ils augmente-ront ou diminueront suivant les besoins du ménage et les variations dans les charges du passif. Le mari aura la maîtrise des biens et sera responsable des obligations résul-tant des charges de la communauté. Par conséquent, il me semble qu'au sens juridique il est impossible de conclure que la communauté de biens est une série d'additions de biens communs réellement existants, qui s'accumulent
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 117 cinquante pour cent pour le mari et cinquante pour cent 1959 pour la femme à compter du mariage jusqu'à la dissolution MINISTER OF de la communauté. NTIONAL RE E V EV E E N N UI U IE En vertu des pouvoirs conférés au mari par la loi, lui s seul aura le droit d'administrer, vendre, aliéner et hypothé- Fournier J. quer les biens de la communauté et ce sans le consentement ou concours de sa femme et même contre le gré de cette dernière. Son droit d'administration, de jouissance et de disposition sera absolu dans les limites de la loi et des règlements. Il peut s'obliger et obliger la communauté envers les tiers et même lorsque ses obligations ont été contractées dans son intérêt personnel ou proviennent de ses délits ou quasi-délits. Il peut transiger, plaider et même ruiner la communauté par des transactions malheureuses ou des dépenses imprudentes et ce sans avoir de compte à rendre à sa femme. Toutefois, il ne lui est pas permis d'en faire un usage prohibé par la loi ou en fraude des droits de la femme. En somme, quant aux tiers et à sa femme, il peut tout faire, pourvu que ce soit dans le cadre des lois. Ces droits qui résultent des dispositions du Code Civil me confirment dans l'opinion que le mari commun en biens continue à être propriétaire des biens qu'il contribue à l'actif de la communauté, tout comme il en était propriétaire auparavant. Ils demeurent en sa possession et il a le droit de les aliéner, sauf pour certaines donations. Au contraire, la femme est dessaisie des biens dont elle avait la propriété et elle perd ses droits d'administration et de disposition. Ces biens tombent en la possession du mari avec droit d'administration et de disposition. Ce dernier possède, administre, jouit et dispose de ces biens aux mêmes titres que ses propres biens. Il s'ensuit donc que la mari de par les textes du Code Civil a tous les droits qui appartiennent à un propriétaire, puisque la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu que les prohibitions de la loi soient respectées. Il est vrai que le législateur en 1931 a édicté une restriction au droit de disposition du mari par le nouvel alinéa 2 de l'article 1292, qui exige le concours de la femme pour disposer par donation des immeubles de la communauté dans certains cas. Je suis d'opinion que cette modification
118 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1960] 1959 doit être interprétée comme une des prohibitions prévues MINISTER OF ou même imprévues par les codificateurs lorsqu'ils ont NATIONAL REVENUE ajouté à la fin de la définition de la propriété (art. 406 C.C.) sûn les mots "pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et les règlements". Je ne puis croire que les pro-Fournier J. hibitions quant à l'usage des choses aient l'effet d'enlever au propriétaire son droit de propriété. Autrement, comment faudrait-il interpréter le fait juridi-que la femme séparée de biens, propriétaire de ses immeubles, ne peut les aliéner sans autorisation? Faudrait-il conclure qu'elle n'en est pas propriétaire? Je le crois. Mais cette conclusion ne découlerait pas d'une construction juridique du texte de l'article 406 C.C. Avant de définir la propriété, le droit civil pose comme principe que les biens appartiennent ou à l'État ou aux municipalités et autres corporations ou enfin aux par-ticuliers (art. 399). Dans le cas des biens de communauté, ils n'appartiennent ni à l'État ni à une corporation; ils doivent appartenir à une personne à qui la loi reconnaît des droits d'administration, de jouissance et de disposition de ces biens. La femme ayant été dépossédée de sa part des biens de la communauté et ayant perdu ses droits d'administration, de jouissance et de disposition ne peut en vertu des dispositions du Code Civil être reconnue comme copropriétaire des biens communs. D'autre part, le mari, de par la loi, étant en possession de ces biens pendant toute la durée de la communauté, d'une manière paisible, publique et non équivoque, avec droit de jouissance et de disposition, peut juridiquement être reconnu propriétaire de ces biens jusqu'à la dissolution de la communauté et l'exercice de l'option de la femme. Cela ne veut pas dire que le mari, en adoptant le régime de la communauté de biens, n'a pas d'obligations envers sa femme relativement à ces biens. Il a tacitement accepté l'obligation de partager également avec sa femme la masse des biens communs existants après la dissolution de la communauté, si elle ou ses héritiers acceptent la com-munauté. Son obligation est donc sous condition suspensive. Il ne deviendra débiteur de l'obligation que si l'événe-ment futur et incertain se réalise, c'est-à-dire si la femme ou ses héri tiers acceptent la communs uté. Si elle accepte, son
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 119 droit éventuel et virtuel, que certains auteurs décrivent 1959 comme un droit qui sommeille ou qui a été anéanti pendant MINISTER OF NATIONAL la communauté, devient un droit réel de propriété dans la REVENUE v. masse à partager si elle exerce son option d'acceptation. Si SuRA elle y renonce, le mari demeure seul propriétaire des biens Fournier J. communs. D'ailleurs les dispositions du Code Civil concernant le droit de la femme à la moitié des biens composant la masse n'apparaissent qu'après la dissolution de la communauté et l'exercice par la femme de son option d'acceptation. Jusqu'à ce moment, les textes ne reconnaissent à la femme aucun droit de propriété dans les biens de la communauté. Au contraire, la loi accorde au mari tous les droits et pouvoirs dans ces biens. Pour toutes ces raisons, je suis d'opinion que pendant la durée de la communauté, le mari est seul propriétaire des biens qui composent l'actif de la communauté et seul responsable des charges qui en constituent le passif. Le revenu dont il est question dans ce débat est un actif de la communauté au sens de l'article 1272 du Code Civil et provient des salaires de l'intimé et de loyers d'immeubles. Ces revenus sont donc les revenus de l'intimé, le mari étant seul propriétaire de l'actif de la communauté. Cette réponse à la question de droit soumise à la Cour me fait conclure que les cotisations de ces revenus comme revenus de l'intimé sont conformes aux dispositions des lois invoquées. La Cour confirme les cotisations du revenu de l'intimé pour fins d'impôt pour les années d'imposition 1947 à 1954 inclusivement. L'appel est maintenu avec frais. Jugement en conséquence.
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