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[2017] 3 R.C.F. 492

A-476-15

2016 CAF 319

Abhishek Ajay Sharma (appelant)

c.

Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (intimé)

Répertorié : Sharma c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Rennie et de Montigny, J.C.A.—Winnipeg, 17 novembre; Ottawa, 21 décembre 2016.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale selon laquelle l’appelant n’avait pas droit à ce qu’on lui communique le rapport d’interdiction de territoire établi en vertu de l’art. 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés avant que le dossier ne soit renvoyé à la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en application de l’art. 44(2) de cette même loi — L’appelant est né en Inde et il est devenu résident permanent du Canada — Il a été déclaré coupable d’une agression sexuelle et a été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour en 2013 — Une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité — Un rapport a été préparé en vertu de l’art. 44(1); le dossier a été renvoyé à la SI en application de l’art. 44(2) de cette même loi — La SI a conclu que l’infraction dont l’appelant avait été déclaré coupable tombait sous le coup de la définition de grande criminalité qui est exposée à l’art. 36(1)a) de la Loi; elle a prononcé une mesure d’expulsion — Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour n’était pas convaincue que la teneur de l’obligation d’équité exigeait que l’un des décideurs fournisse à l’appelant la version intégrale du rapport d’interdiction de territoire avant que l’on renvoie l’affaire à la SI; la Cour a certifié une question à cet effet — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a conclu avec raison que le processus suivi a été équitable du point de vue procédural — Quelle est la portée du pouvoir discrétionnaire qu’a l’agent dans le cadre de l’application de l’art. 44(1) — Il s’agissait de savoir si l’agent doit considérer l’intérêt supérieur de l’enfant en vertu de l’art. 44 de la Loi — La décision que prend un agent en vertu de l’art. 44(1) et celle que prend le ministre en vertu de l’art. 44(2) ne comportent aucune des caractéristiques d’une décision de nature judiciaire ou quasi judiciaire — Bien que les agents, ainsi que le ministre ou son délégué, semblent avoir une certaine latitude pour ce qui est de décider s’il convient ou non de rédiger un rapport d’interdiction de territoire ou de le renvoyer à la SI, il y a des limites au pouvoir discrétionnaire que l’on accorde aux agents et aux délégués du ministre, malgré l’emploi du verbe « peut » dans le libellé de l’art. 44(1) — L’étendue du pouvoir discrétionnaire est donc tributaire d’un certain nombre de facteurs — L’obligation d’équité ne se situe manifestement pas à l’extrémité supérieure du continuum dans le contexte des décisions qui sont prises en application des art. 44(1) et (2) de la Loi — Le processus qui a été suivi en l’espèce satisfaisait aux exigences de l’équité procédurale — Avant que l’on décide d’établir un rapport, il y a eu un entretien avec l’appelant, on l’a informé qu’il n’aurait aucun droit d’appel si la SI prenait à son endroit une mesure de renvoi compte tenu du changement législatif et on l’a également invité à présenter des observations écrites — Il n’y a aucune obligation de fournir à la personne en cause le rapport d’interdiction de territoire établi en vertu de l’art. 44(1) avant qu’il soit décidé de renvoyer l’affaire en vertu de l’art. 44(2) — En conclusion, la Cour a conclu avec raison que le processus suivi a été équitable du point de vue procédural et que l’intimé n’était pas tenu de communiquer le rapport d’interdiction de territoire avant qu’il soit décidé de procéder au renvoi de l’affaire — L’obligation d’agir avec équité n’exige pas que l’on transmette un rapport d’interdiction de territoire à la personne en cause avant que le ministre ou son délégué décide de déférer l’affaire à la Section de l’immigration en vertu de l’art. 44(2), à la condition que ce document soit communiqué à la personne en cause avant l’audience de la SI — La question de la portée du pouvoir discrétionnaire en vertu de l’art. 44 a divisé la Cour fédérale — Il existe deux séries de décisions : une première série a adopté une interprétation restrictive de l’art. 44 alors qu’une deuxième série a adopté une approche plus large — En l’espèce, la Cour fédérale a été manifestement sensible à cette dernière approche, soit celle selon laquelle les agents avaient un pouvoir discrétionnaire suffisamment vaste pour prendre en considération la situation personnelle d’une personne — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en décidant de ne pas se prononcer de manière définitive sur cette question au vu du fait que, dans la présente affaire, les décideurs avaient effectivement pris en compte des facteurs personnels ou atténuants de l’appelant — La Cour fédérale a à bon droit conclu que l’appelant n’avait aucune raison de se plaindre de la portée du mandat que l’agente a adopté, car il a bénéficié de l’approche la plus favorable — Étant donné le peu d’éléments de preuve fournis par l’appelant à l’agente sur l’intérêt supérieur de son fils, la Cour fédérale a eu raison de conclure que l’appelant ne pouvait blâmer nul autre que lui si l’agente n’a eu rien à dire de plus sur son fils — La décision de la Cour fédérale était donc tout à fait raisonnable — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale selon laquelle l’appelant n’avait pas droit à ce qu’on lui communique le rapport d’interdiction de territoire établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés avant que le dossier ne soit renvoyé à la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en application du paragraphe 44(2) de cette même loi.

L’appelant est né en Inde et il est devenu résident permanent du Canada en février 2007. Il a été déclaré coupable d’une agression sexuelle commise au Canada et a été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour, en 2013. Pour déterminer la peine appropriée, la juge chargée de cette tâche a tenu compte du statut d’immigrant de l’appelant et, en particulier, des droits d’appel restreints dont disposent les résidents permanents qui sont déclarés coupables d’une infraction criminelle grave. Par la suite, une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada a informé l’appelant qu’il se pouvait qu’il soit interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi. Cette lettre indiquait aussi que l’appelant, s’il était déclaré interdit de territoire, n’aurait pas le droit d’interjeter appel de la décision auprès de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) en raison de modifications de la Loi adoptées par le législateur en juin 2013. Selon ces modifications, aucun étranger condamné à une peine d’emprisonnement de plus de six mois ne peut interjeter appel d’une décision de la SI. L’agente est arrivée à la conclusion que l’appelant était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. Un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi a été préparé et un délégué de l’intimé a souscrit à la recommandation de l’agente et a renvoyé l’affaire à la SI en vue de la tenue d’une enquête, aux termes du paragraphe 44(2) de la Loi. La SI a conclu que l’infraction dont l’appelant avait été déclaré coupable tombait sous le coup de la définition de grande criminalité qui est exposée à l’alinéa 36(1)a) de la Loi et la SI a prononcé une mesure d’expulsion. L’appelant a voulu interjeter appel de la mesure de renvoi, mais sans succès.

Lors du contrôle judiciaire, le rapport d’interdiction de territoire établi et les décisions en matière de renvoi ont été contestés, mais les deux demandes ont été finalement rejetées. La Cour fédérale a refusé de se prononcer sur la portée du pouvoir discrétionnaire qu’avait l’agente de prendre en compte des circonstances personnelles ou atténuantes dans le cadre de l’application du paragraphe 44(1), puisqu’elle disposait d’une preuve que l’agente avait bel et bien procédé à une analyse de la situation personnelle de l’appelant. De plus, la Cour fédérale n’était pas convaincue que la teneur de l’obligation d’équité exigeait que l’un des décideurs fournisse à l’appelant la version intégrale du rapport d’interdiction de territoire avant que l’on renvoie l’affaire à la SI. Elle a certifié la question de savoir si l’obligation d’équité exige que le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi soit communiqué à la personne en cause avant que l’affaire ne soit déférée à la SI en vertu du paragraphe 44(2).

Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a conclu avec raison que le processus suivi a été équitable du point de vue procédural; quelle est la portée du pouvoir discrétionnaire qu’a l’agent dans le cadre de l’application du paragraphe 44(1) de la Loi; et si l’agent doit considérer l’intérêt supérieur de l’enfant en vertu de l’article 44 de la Loi.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le résident permanent ou l’étranger que l’on déclare interdit de territoire pour cause de grande criminalité ne jouit d’aucun droit d’appel devant la SAI. Avant 2013, un résident permanent ou un étranger pouvait porter en appel une conclusion d’interdiction de territoire si le crime qu’il avait commis avait été puni par un emprisonnement de moins de deux ans. Cette option a maintenant été supprimée. Dans n’importe quelle circonstance donnée, la portée de l’obligation d’équité est variable et contextuelle. Il est évident que la décision que prend un agent en vertu du paragraphe 44(1) et celle que prend le ministre en vertu du paragraphe 44(2) ne comportent aucune des caractéristiques d’une décision de nature judiciaire ou quasi judiciaire. Bien que les agents, ainsi que le ministre ou son délégué, semblent avoir une certaine latitude pour ce qui est de décider s’il convient ou non de rédiger un rapport d’interdiction de territoire ou de le renvoyer à la SI, il y a des limites au pouvoir discrétionnaire que l’on accorde aux agents et aux délégués du ministre, malgré l’emploi du verbe « peut » dans le libellé des paragraphes 44(1) et (2). L’étendue du pouvoir discrétionnaire est donc tributaire d’un certain nombre de facteurs, dont les présumés motifs d’interdiction de territoire et le fait de savoir si la personne en cause est un résident permanent ou un étranger. La Loi même n’énonce aucune procédure particulière à suivre pour ce qui est d’établir un rapport et de le renvoyer à la SI. Le législateur a laissé au décideur le soin de déterminer la marche à suivre. Cependant, dans le chapitre ENF 5 « Rédaction des rapports en vertu du L44(1) » du Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF), Citoyenneté et Immigration Canada a choisi de donner à la personne en cause la possibilité de soumettre des observations écrites ou orales, de même que des lettres d’appui. L’obligation d’équité ne se situe manifestement pas à l’extrémité supérieure du continuum dans le contexte des décisions qui sont prises en application des paragraphes 44(1) et (2) de la Loi. Même en tenant pour acquis qu’un résident permanent a un degré quelque peu supérieur de droits de participation par rapport à un étranger parce que le fait de s’être établi davantage au Canada entraîne des conséquences plus sérieuses en cas de renvoi, le processus qui a été suivi en l’espèce satisfaisait aux exigences de l’équité procédurale. Avant que l’on décide d’établir un rapport, il y a eu un entretien avec l’appelant, et celui-ci a reçu une lettre décrivant la nature de la décision à prendre et on l’a informé qu’il n’aurait aucun droit d’appel si la SI prenait à son endroit une mesure de renvoi. On l’a également invité à présenter des observations écrites et des lettres d’appui, et il s’est prévalu de ces deux options. Il n’y a donc aucune obligation de fournir à la personne en cause le rapport d’interdiction de territoire établi en vertu du paragraphe 44(1) avant qu’il soit décidé de renvoyer l’affaire en vertu du paragraphe 44(2). D’autres facteurs tels le fait que l’appelant a bénéficié délibérément d’une peine réduite infligée par un juge du Banc de la Reine pour qu’il puisse interjeter appel auprès de la SAI et qu’au moment du prononcé de la peine, l’appelant bénéficiait du droit d’interjeter appel d’une mesure de renvoi devant la SAI, mais a perdu son droit d’appel à cause du moment où le rapport écrit a été produit et celui où l’affaire a été renvoyée en vue de la tenue d’une enquête n’étaient pas pertinents pour ce qui est du degré de droits de participation que l’on devait à l’appelant et n’ont certes pas servi à réhausser l’obligation d’équité procédurale dont il convenait de faire preuve dans les circonstances. En conclusion, la Cour fédérale a conclu avec raison que le processus suivi a été équitable du point de vue procédural, que l’appelant a bénéficié de tous les droits de participation que permet sa situation et que l’intimé n’était pas tenu de communiquer le rapport d’interdiction de territoire avant qu’il soit décidé de procéder au renvoi de l’affaire. Par conséquent, en ce qui concerne la question certifiée, l’obligation d’agir avec équité n’exige pas que l’on transmette un rapport d’interdiction de territoire à la personne en cause avant que le ministre ou son délégué décide de déférer l’affaire à la SI en vertu du paragraphe 44(2), à la condition que ce document soit communiqué à la personne en cause avant l’audience de la SI.

Quant à la portée du pouvoir discrétionnaire d’un agent en vertu de l’article 44, cette question a divisé la Cour fédérale. Dans une série d’affaires, une interprétation restrictive de l’article 44 a été adoptée et il a été conclu que les agents n’avaient pas le pouvoir discrétionnaire de prendre en considération des facteurs qui allaient au-delà de l’allégation d’interdiction de territoire d’une personne. À l’inverse, dans une autre série de décisions, une approche plus large a été adoptée et il a été conclu que les agents avaient un pouvoir discrétionnaire suffisamment vaste pour prendre en considération la situation personnelle d’une personne, en plus des faits qui sous-tendaient l’allégation d’interdiction de territoire. La Cour fédérale en l’espèce a été manifestement sensible à cette dernière approche. Cependant, elle n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en décidant de ne pas se prononcer de manière définitive sur cette question au vu du fait que, dans la présente affaire, les décideurs avaient effectivement pris en compte des facteurs personnels ou atténuants. La Cour fédérale a à bon droit conclu que l’appelant n’avait aucune raison de se plaindre de la portée du mandat que l’agente a adopté, car il a bénéficié de l’approche la plus favorable.

Étant donné le peu d’éléments de preuve fournis par l’appelant à l’agente sur l’intérêt supérieur de son fils, la Cour fédérale a eu raison de conclure que l’appelant ne peut blâmer nul autre que lui si l’agente n’a eu rien à dire de plus sur son fils. Même en présumant que l’intérêt supérieur d’un enfant est un facteur dont il convient de tenir compte pour décider s’il y a lieu de rédiger un rapport ou pas, l’agente en a été réduite à formuler des hypothèses quant à l’effet possible du renvoi de l’appelant sur son fils. La décision de la Cour fédérale à cet égard était donc tout à fait raisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, L.C. 2013, ch. 16, art. 33.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)h),i), 25, 36(1), 44, 45d), 64, 112.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409; R. c. Pham, 2013 CSC 15, [2013] 1 R.C.S. 739.

DÉCISIONS CITÉES :

Zaghbib c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 182, [2017] 1 R.C.F. 392; O’Brien c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 159; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 R.C.F. 3; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 158; Spencer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 990; Hernandez c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 725; Chand c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 548; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1078; Qureshi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 238; Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, [2001] 3 C.F. 3; Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.); Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 782; Leong c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1126; Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, [2009] 1 R.C.F. 675, conf. par 2009 CAF 73; Faci c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 693.

DOCTRINE CITÉE

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 5 « Rédaction des rapports en vertu du L44(1) ».

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 6 « L’examen des rapports établis en vertu de la L44(1) ».

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2015 CF 1315) selon laquelle l’appelant n’avait pas droit à ce qu’on lui communique le rapport d’interdiction de territoire établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés avant que le dossier ne soit renvoyé à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en application du paragraphe 44(2) de cette même loi. Appel rejeté.

ONT COMPARU

David Matas pour l’appelant.

Cary Clark et Brendan Friesen pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

David Matas, Winnipeg, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge de Montigny, J.C.A. : L’appelant interjette le présent appel sur le fondement d’une question certifiée, en vue de contester la conclusion du juge Barnes (le juge de première instance) de la Cour fédérale, à savoir qu’il n’avait pas droit à ce qu’on lui communique le rapport d’interdiction de territoire établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi) avant que son dossier soit renvoyé à la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), en application du paragraphe 44(2) de cette même loi. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le présent appel.

I.          Le contexte

[2]        L’appelant, Abhishek Ajay Sharma, est né en Inde en 1979, et il est devenu résident permanent du Canada en février 2007. À la suite d’une déclaration de culpabilité pour une agression sexuelle commise en 2008, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour, le 11 juin 2013.

[3]        Il ressort du dossier que, pour déterminer la peine appropriée, la juge chargée de cette tâche a tenu compte du statut d’immigrant de l’appelant et, en particulier, des droits d’appel restreints dont disposent les résidents permanents qui sont déclarés coupables d’une infraction criminelle grave.

[4]        Le 14 janvier 2014, une agente (l’agente) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a interrogé l’appelant en prison et lui a transmis une lettre l’informant qu’il se pouvait qu’il soit interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité aux termes du paragraphe 36(1) de la LIPR. La lettre l’informait des critères qui seraient pris en compte lors du processus décisionnel et l’invitait à faire part d’observations écrites sur la raison pour laquelle il ne devait pas faire l’objet d’un rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR. Cette lettre indiquait aussi que l’appelant, s’il était déclaré interdit de territoire, n’aurait pas le droit d’interjeter appel de la décision auprès de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) en raison de modifications à la LIPR adoptées par le législateur le 19 juin 2013 (Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, L.C. 2013, ch. 16 (la LARCE)). Selon ces modifications, aucun étranger condamné à une peine d’emprisonnement de plus de six mois (par opposition à une peine de deux ans, ce qui était antérieurement le cas) ne peut interjeter appel d’une décision de la SI de la Commission. En réponse à cette lettre, l’appelant a fourni des observations manuscrites, de même qu’un certain nombre de lettres d’appui.

[5]        Après avoir passé en revue les informations fournies par l’appelant, l’agente est arrivée à la conclusion que celui-ci était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. Le 4 mars 2014, elle a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, dans lequel elle a fait état de son opinion et a recommandé la tenue d’une enquête. Le même jour, un délégué du ministre a examiné le rapport, a souscrit à la recommandation de l’agente et a renvoyé l’affaire à la SI en vue de la tenue d’une enquête, aux termes du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[6]        La SI a conclu que l’infraction dont l’appelant avait été déclaré coupable tombait sous le coup de la définition de « grande criminalité » qui est exposée à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. En raison du libellé impératif de l’alinéa 45d) de la Loi, la SI a prononcé une mesure d’expulsion le 15 septembre 2014. L’appelant a voulu interjeter appel de la mesure de renvoi, mais sans succès, puisque, du fait des paragraphes 64(1) et (2) de la LIPR, la SAI n’avait pas compétence pour entendre ou trancher l’affaire.

[7]        Le 14 octobre 2014, l’appelant a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire au sujet du rapport d’interdiction de territoire établi en vertu du paragraphe 44(1) et des décisions en matière de renvoi relatives au paragraphe 44(2). Le juge de première instance a rejeté les deux demandes dans une décision publiée sous la référence 2015 CF 1315.

II.         La décision contestée

[8]        D’entrée de jeu, le juge de première instance a refusé de se prononcer sur la portée du pouvoir discrétionnaire qu’avait l’agente de prendre en compte des circonstances personnelles ou atténuantes dans le cadre de l’application du paragraphe 44(1), puisqu’il disposait d’une preuve que l’agente avait bel et bien procédé à une analyse de la situation personnelle de l’appelant.

[9]        L’avocat de l’appelant a fait valoir auprès du juge de première instance que la teneur de l’obligation d’équité exigeait que l’un des décideurs fournisse à son client la version intégrale du rapport d’interdiction de territoire avant que l’on renvoie l’affaire à la SI. L’appelant a plaidé en faveur d’une obligation d’équité accrue, et ce, pour les motifs suivants : 1) la juge chargée de la détermination de la peine avait fixé la peine en tenant compte de son statut d’immigrant; 2) dans les huit jours suivant le prononcé de sa peine, la loi avait été modifiée par l’élimination du droit d’appel à la SAI dans le cas d’une peine d’emprisonnement de plus de six mois; 3) l’intérêt supérieur de son enfant était en jeu; 4) l’ASFC aurait pu produire le rapport avant l’entrée en vigueur des changements législatifs. L’appelant laisse entendre que l’ASFC, en retardant la production du rapport, l’a privé d’une possibilité d’éviter d’être expulsé.

[10]      Le juge de première instance n’a pas été convaincu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale, pas plus que l’un quelconque des facteurs susmentionnés était pertinent à l’égard de la question de savoir s’il aurait fallu remettre à l’appelant une copie du rapport d’interdiction de territoire avant que le délégué du ministre renvoie l’affaire à la SI. Après avoir fait référence à plusieurs décisions, il est arrivé à la conclusion que la jurisprudence était bien établie, en ce sens que l’équité procédurale n’exigeait pas que le rapport d’un agent soit transmis à la personne en cause avant de déférer l’affaire en vertu du paragraphe 44(2). Selon le juge de première instance, le droit de contester le rapport d’interdiction de territoire ne ferait que réitérer ce qui avait été déjà communiqué à l’appelant, soit les circonstances à l’origine de l’enquête sur son admissibilité, la possibilité de présenter des observations écrites, de même qu’un entretien personnel.

[11]      Quant à l’argument de l’intérêt supérieur de l’enfant, le juge de première instance a fait remarquer que le manque de détails sur cette question dans le rapport de l’agente était directement attribuable au manque d’attention que l’appelant avait lui-même accordée à cet aspect. Il a également souligné qu’il était encore loisible à l’appelant de présenter une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et que c’était dans le contexte d’une telle demande que la question de l’intérêt supérieur de son enfant attirerait davantage son attention et celle du décideur compétent.

[12]      Le juge de première instance a donc rejeté la demande de l’appelant. Il a néanmoins certifié la question suivante [au paragraphe 25] (avec une certaine hésitation, compte tenu de « l’apparente uniformité des décisions » sur ce point) :

L’obligation d’agir avec équité exige-t-elle que le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR soit communiqué à la personne en cause avant que l’affaire ne soit déférée à la Section de l’immigration en vertu du paragraphe 44(2)?

III.        Les questions en litige

[13]      La Cour n’est pas confinée aux questions qu’un juge de la Cour fédérale a certifiées, pas plus qu’elle n’est tenue de répondre à ces questions si elle estime qu’il serait inopportun ou inutile de le faire pour l’issue de l’appel. C’est ce qui a été clairement indiqué dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (arrêt Baker), et réitéré depuis lors par la Cour (voir, par exemple, l’arrêt Zaghbib c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 182, [2017] 1 R.C.F. 392, au paragraphe 49; l’arrêt O’Brien c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 159, au paragraphe 8).

[14]      En l’espèce, le juge de première instance n’a certifié qu’une seule question concernant l’obligation d’équité au regard de l’article 44. L’avocat de l’appelant a néanmoins soulevé deux autres questions qui ont été abordées par le juge de première instance, mais qu’il a refusé de certifier : l’une concernant l’étendue du pouvoir discrétionnaire de prendre en compte des facteurs personnels ou atténuants en vertu de l’article 44, et l’autre concernant l’intérêt supérieur de l’enfant de l’appelant. Étant donné que les parties ont lié contestation sur ces questions, j’en traiterai également dans les présents motifs.

IV.       Analyse

[15]      Dans le cas d’un appel relatif à une décision rendue à la suite d’une demande de contrôle judiciaire, la tâche de la Cour consiste à déterminer si le juge de première instance a déterminé la norme de contrôle appropriée et s’il l’a appliquée correctement (arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47). Dans la présente affaire, le juge de première instance a déterminé correctement les normes de contrôle applicables, à savoir la décision correcte pour ce qui est de la question de l’équité procédurale soulevée dans la question certifiée, et la décision raisonnable pour ce qui est des décisions de rédiger un rapport d’interdiction de territoire et de le renvoyer ensuite à la SI. La question dont la Cour est saisie consiste donc à déterminer si ces normes ont été appliquées correctement.

[16]      Je conviens avec les avocats de l’intimé que la décision du juge de première instance de s’abstenir de se prononcer sur la portée du mandat que l’agente a adopté est de nature discrétionnaire. Cela étant, cette décision appelle à une certaine retenue, et il y a lieu de la contrôler selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (voir, de façon générale, l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

A.        L’obligation d’équité

[17]      Dans le cas d’un étranger ou d’un résident permanent qui a été déclaré coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, ou d’une infraction pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois a été infligé, la LIPR comporte un processus en trois étapes qu’il est obligatoire de suivre avant que la personne puisse être déclarée interdite de territoire pour grande criminalité au sens du paragraphe 36(1). Premièrement, l’agent d’immigration doit exercer son pouvoir discrétionnaire en vue d’établir un rapport à l’intention du ministre :

Rapport d’interdiction de territoire

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

[18]      Le ministre, ou son délégué, peut alors renvoyer le rapport à la SI en vue de la tenue d’une enquête, s’il estime le rapport bien-fondé :

44 […]

Suivi

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

[19]      Aux termes de l’alinéa 45d), la SI semble avoir pour seul choix de prendre une mesure de renvoi contre l’étranger ou le résident permanent si cette personne est interdite de territoire au sens de la Loi :

Décision

45 Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

[…]

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

[20]      Comme il a déjà été mentionné, le résident permanent ou l’étranger que l’on déclare interdit de territoire pour cause de grande criminalité ne jouit d’aucun droit d’appel devant la SAI. Avant 2013, un résident permanent ou un étranger pouvait porter en appel une conclusion d’interdiction de territoire si le crime qu’il avait commis avait été puni par un emprisonnement de moins de deux ans. Cette option a maintenant été supprimée.

[21]      Il est bien établi que, dans n’importe quelle circonstance donnée, la portée de l’obligation d’équité est variable et contextuelle. Conformément au principe énoncé dans l’arrêt Baker, le type de droits de participation que requiert l’obligation d’équité dépend habituellement des cinq facteurs non exhaustifs qui suivent : 1) la nature de la décision; 2) le régime législatif; 3) l’importance de la décision pour la personne visée; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; 5) le choix de procédure que fait le décideur administratif.

[22]      Si l’on applique ces principes, il est évident que la décision que prend un agent en vertu du paragraphe 44(1) et celle que prend le ministre en vertu du paragraphe 44(2) ne comportent aucune des caractéristiques d’une décision de nature judiciaire ou quasi judiciaire. Certes, les agents, ainsi que le ministre ou son délégué, semblent avoir une certaine latitude pour ce qui est de décider s’il convient ou non de rédiger un rapport d’interdiction de territoire ou de le renvoyer à la SI, mais, comme l’a conclu la Cour dans l’arrêt Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409 (arrêt Cha), au paragraphe 35, il y a des limites au pouvoir discrétionnaire que l’on accorde aux agents et aux délégués du ministre, malgré l’emploi du verbe « peut » dans le libellé des paragraphes 44(1) et (2). Dans l’arrêt Cha, la Cour a conclu que la situation particulière de l’étranger, de même que la nature de l’infraction, de la déclaration de culpabilité et de la peine infligée, débordaient le cadre des pouvoirs discrétionnaires exercés en vertu des paragraphes 44(1) et (2).

[23]      L’étendue du pouvoir discrétionnaire est donc tributaire d’un certain nombre de facteurs, dont les présumés motifs d’interdiction de territoire et le fait de savoir si la personne en cause est un résident permanent ou un étranger. En fait, dans l’arrêt Cha, la Cour a prévenu qu’elle ne traitait que des étrangers et qu’il se pouvait que des aspects différents s’appliquent aux résidents permanents. Il est possible, par exemple, que la portée du pouvoir discrétionnaire soit quelque peu plus étendue pour les résidents permanents que pour les étrangers en raison de leurs liens plus étroits avec le Canada. Je reviendrai à cette question au moment d’analyser la deuxième question soulevée dans le présent appel. Au bout du compte, toutefois, les agents et le ministre ou son délégué doivent toujours garder à l’esprit l’intention du législateur de faire de la sécurité une priorité essentielle (voir les alinéas 3(1)h) et i) de la LIPR). La justification qui suit, présentée par la Cour dans l’arrêt Cha à l’appui d’un pouvoir discrétionnaire restreint, semble s’appliquer avec une force égale aux étrangers comme aux résidents permanents [au paragraphe 37] :

Je ne peux concevoir que le législateur ait mis autant de soins pour préciser, aux articles 36 et 44 de la Loi, de manière objective, les cas où les auteurs de certaines infractions bien définies commises au Canada doivent être renvoyés du pays, pour ensuite offrir la possibilité à un agent d’immigration ou à un représentant du ministre de permettre à ces personnes de rester au Canada pour des motifs autres que ceux prévus par la Loi ou le Règlement. Il n’appartient pas à l’agent d’immigration, lorsqu’il décide d’établir ou non un rapport d’interdiction de territoire pour des motifs visés par l’alinéa 36(2)a), ou au représentant du ministre lorsqu’il y donne suite, de se pencher sur des questions visées par les articles 25 (motif d’ordre humanitaire) et 112 (examen des risques avant renvoi) de la Loi […]

[24]      Cela dit, je suis disposé à accepter que les décisions de rédiger un rapport et de le renvoyer par la suite à la SI ne sont pas dépourvues d’importance. Étant donné que, après le renvoi de ce rapport, les options dont dispose la SI semblent très restreintes puisqu’elle « rend » la décision de prendre une mesure de renvoi si elle est convaincue que l’étranger ou le résident permanent est interdit de territoire, il semble que le seul pouvoir discrétionnaire (quoique très restreint) d’empêcher qu’un étranger ou un résident permanent soit renvoyé repose entre les mains de l’agent d’immigration et du ministre ou de son délégué. Je suis donc disposé à admettre que ce facteur milite en faveur d’un degré accru d’équité procédurale.

[25]      Quant à la nature du régime législatif et à l’importance de la décision, l’arrêt Baker nous enseigne qu’il est généralement nécessaire d’adopter des mesures de protection procédurale accrues dans les cas où « la loi ne prévoit aucune procédure d’appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu’il n’est plus possible de présenter d’autres demandes » (au paragraphe 24). Il est utile de signaler que le fait de rédiger un rapport en vertu du paragraphe 44(1) et de le renvoyer à la SI conformément au paragraphe 44(2) n’implique pas forcément un renvoi. Ainsi, il est possible de demander au ministre une dispense pour considérations d’ordre humanitaire (article 25 de la LIPR) à la suite de la prise d’une mesure d’expulsion, une possibilité dont l’appelant s’est prévalu. Une évaluation des risques avant renvoi (article 112 de la LIPR) est une autre option possible dans de telles circonstances. Ces deux voies permettent de présenter d’autres observations que le décideur particulier prendra en considération. Le rapport fondé sur le paragraphe 44(1), le renvoi fondé sur le paragraphe 44(2) et la mesure de renvoi de la SI ne déterminent donc pas nécessairement si l’appelant sera renvoyé du Canada, vu la possibilité d’obtenir une mesure corrective en recourant à d’autres dispositions de la Loi. Ces décisions sont importantes en ce sens qu’elles déclenchent le processus qui, en définitive, peut dépouiller l’appelant de son statut de résident permanent, mais elles n’ont pour ce dernier aucune conséquence immédiate et pratique.

[26]      S’il est dit qu’une attente légitime existe, celle-ci commandera habituellement des exigences accrues en matière d’équité procédurale. La doctrine des attentes légitimes requiert que l’on fasse particulièrement attention aux promesses ou aux pratiques habituelles des décideurs administratifs, en reconnaissance du fait qu’il est généralement inéquitable d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles (Baker, au paragraphe 26). À cet égard, l’appelant se reporte au Guide de l’immigration ENF 5 (Rédaction des rapports en vertu du L44(1)) (le Guide) pour montrer qu’il s’attendait légitimement à ce que le rapport d’interdiction de territoire de l’agente lui soit communiqué avant que le délégué du ministre procède à son examen. Voici ce qu’indique la section 11.3 du Guide :

Dès que cela est possible, l’agent qui rédige un rapport doit aussi fournir une copie de ce rapport à la personne concernée. Il doit faire tous les efforts raisonnables pour localiser l’intéressé et indiquer au dossier toutes les démarches et mesures prises à cette fin.

[…]

Il est admis dans le contexte de « justice naturelle » que les personnes qui feront l’objet [d’un] rapport en vertu du L44(1) devraient parfaitement comprendre les allégations faites contre elles et la nature et les objectifs du rapport.

[27]      Malheureusement, le Guide n’est d’aucun secours pour l’appelant. Non seulement ce genre de ligne directrice gouvernementale ne saurait lier les tribunaux (voir, par exemple, l’arrêt Cha, au paragraphe 15), mais il n’existe aucune preuve que l’appelant s’est fondé sur ce document ou qu’on a promis de lui communiquer plus tôt le rapport d’interdiction de territoire. De plus, la procédure exposée dans le Guide n’étaye pas la position de l’appelant. Premièrement, ce document ne précise pas quand le rapport doit être communiqué. En outre, la communication a pour objet de veiller à ce que les personnes visées par le rapport comprennent la preuve qu’elles doivent réfuter devant la SI, et non de soumettre d’autres observations au ministre ou à son délégué. Cette interprétation du Guide est confirmée par le Guide de l’immigration ENF 6 (L’examen des rapports établis en vertu de la L44(1)) (le Guide ENF 6), selon lequel « les droits participatifs ne seront accordés qu’une fois à l’intéressé, à l’étape du 44(1) » (voir la section 5.1, à la page 17).

[28]      Enfin, la LIPR même n’énonce aucune procédure particulière à suivre pour ce qui est d’établir un rapport et de le renvoyer à la SI. Le législateur a laissé au décideur le soin de déterminer la marche à suivre. Cependant, dans le Guide, Citoyenneté et Immigration Canada a choisi de donner à la personne en cause la possibilité de soumettre des observations écrites ou orales, de même que des lettres d’appui. Le Guide exige aussi que l’on informe les résidents permanents des critères par rapport auxquels leur dossier est évalué, ainsi que de l’issue possible si ce dossier est renvoyé à la SI, y compris la possibilité de ne pas avoir de droits d’appel devant la SAI. Comme il a été indiqué dans l’arrêt Baker, il convient de respecter les choix de procédure que fait le décideur (au paragraphe 27).

[29]      Après avoir soupesé la totalité de ces facteurs, je suis d’avis que l’obligation d’équité ne se situe manifestement pas à l’extrémité supérieure du continuum dans le contexte des décisions qui sont prises en application des paragraphes 44(1) et (2) de la Loi. Même en tenant pour acquis qu’un résident permanent a un degré quelque peu supérieur de droits de participation par rapport à un étranger parce que le fait de s’être établi davantage au Canada entraîne des conséquences plus sérieuses en cas de renvoi, je suis convaincu que le processus qui a été suivi en l’espèce satisfait aux exigences de l’équité procédurale. Avant que l’on décide d’établir un rapport, il y a eu un entretien avec l’appelant, et celui-ci a reçu une lettre décrivant la nature de la décision à prendre et on l’a informé qu’il n’aurait aucun droit d’appel si la SI prenait à son endroit une mesure de renvoi. On l’a également invité à présenter des observations écrites et des lettres d’appui, et il s’est prévalu de ces deux options. Les observations et les documents à l’appui qu’il a présentés ont été examinés par l’agente. Tout en gardant à l’esprit que les décisions de rédiger un rapport et de le renvoyer à la SI ne constituent pas une décision définitive quant au droit qu’a l’appelant de rester au Canada, comme cela a été le cas dans l’arrêt Baker, il n’y a aucun doute dans mon esprit que l’on a accordé à l’appelant le genre de droits de participation que justifient les décisions de cette nature.

[30]      Je conviens avec le juge de première instance, en particulier, qu’il n’y a aucune obligation de fournir à la personne en cause le rapport d’interdiction de territoire établi en vertu du paragraphe 44(1) avant qu’il soit décidé de renvoyer l’affaire en vertu du paragraphe 44(2). Pour être significative, une telle obligation devrait comporter un droit de réponse de la part de l’appelant, réponse dans laquelle celui-ci ne pourrait que réitérer les observations déjà faites à l’agent d’immigration. C’est pour informer la personne en cause de la preuve qu’elle doit réfuter devant la SI et lui donner la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire que le rapport est communiqué, et non pour lui donner une seconde chance devant le ministre, en se fondant sur les mêmes informations que l’agent a déjà prises en compte et appréciées.

[31]      La jurisprudence de la Cour fédérale sur ce point semble rejeter unanimement la thèse de l’appelant (voir, par exemple, la décision Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2016] 1 R.C.F. 3 (la décision Hernandez 2005), aux paragraphes 70 à 72; la décision Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 158, aux paragraphes 31 à 33; la décision Spencer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 990 (la décision Spencer), aux paragraphes 18 à 20; la décision Hernandez c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 725, aux paragraphes 24 à 26; la décision Chand c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 548, au paragraphe 26; la décision Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1078, aux paragraphes 20 à 27; la décision Qureshi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 238, aux paragraphes 15 et 16).

[32]      Les seules décisions que l’avocat de l’appelant a pu réunir à l’appui de sa théorie (Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, [2001] 3 C.F. 3; Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.)) sont tirées d’autres types de processus administratifs, c’est-à-dire dans le contexte de l’avis de danger pour le public et dans celui du règlement d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[33]      L’examen des décisions mettant en cause des recommandations formulées avant l’avis de danger pour le public ou l’avis de risque intérieur que déclenche une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire montre que ces décisions sont de nature différente et ne peuvent pas être comparées au rapport et au renvoi qu’envisagent les paragraphes 44(1) et (2). Je conviens avec l’intimé que le rapport d’interdiction de territoire et les faits marquants de l’affaire ressemblent davantage à des documents pro forma, dont l’objet essentiel est d’énumérer des informations pertinentes extraites du dossier (à propos de la déclaration de culpabilité au criminel et des faits objectifs connexes) ainsi que de justifier brièvement les mesures prises et la recommandation formulée par l’agente. Ces éléments se distinguent nettement d’une revue de recommandations formulées dans le contexte d’un avis de danger pour le public et d’un avis de risque intérieur, qui ressemblent davantage à des outils de plaidoyer.

[34]      Il ressort de toutes les décisions pertinentes de la Cour fédérale qu’il est justifié d’accorder un degré relativement faible de droits de participation dans le contexte des paragraphes 44(1) et (2), et que l’équité procédurale n’exige pas que l’on communique le rapport de l’agent à la personne en cause pour lui donner une autre possibilité de répondre avant que l’affaire soit déférée à la SI en vertu du paragraphe 44(2). Dans la mesure où la personne est informée des faits qui ont déclenché le processus, a la possibilité de présenter des éléments de preuve et de faire des observations, obtient un entretien après qu’on lui a fait part de l’objet de cette mesure et des conséquences possibles, a la possibilité de demander l’assistance d’un avocat et reçoit un exemplaire du rapport avant la tenue de l’enquête, on satisfait aux exigences de l’obligation d’équité. Comme l’a souligné la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Baker [au paragraphe 22] :

[…] l’idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

[35]      L’avocat de l’appelant soutient néanmoins que, même s’il n’y a aucune obligation générale de la part de l’intimé de communiquer un rapport avant que le ministre ou son délégué renvoie l’affaire à la SI, il y a, dans la présente affaire, des facteurs qui militent en faveur d’une telle obligation. Ces facteurs sont les suivants : 1) l’intérêt supérieur d’un enfant est en jeu; 2) l’appelant a bénéficié délibérément d’une peine réduite infligée par un juge du Banc de la Reine pour qu’il puisse interjeter appel auprès de la SAI; 3) au moment du prononcé de la peine, l’appelant bénéficiait du droit d’interjeter appel d’une mesure de renvoi devant la SAI; 4) l’appelant a perdu son droit d’appel devant la SAI à cause du moment où le rapport écrit a été produit et celui où l’affaire a été renvoyée en vue de la tenue d’une enquête.

[36]      À mon avis, aucun de ces facteurs n’est pertinent pour ce qui est du degré de droits de participation que l’on doit à l’appelant et ne sert certes pas à rehausser l’obligation d’équité procédurale dont il convient de faire preuve dans les circonstances.

[37]      Même en présumant qu’il faudrait prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant de l’appelant au moment de décider d’établir un rapport et de renvoyer ensuite celui-ci en vue de la tenue d’une enquête, je ne vois pas quelle incidence cela pourrait avoir sur la question restreinte qui est en jeu en l’espèce, soit celle de savoir si l’appelant était en droit de recevoir le rapport de l’agente (y compris le rapport énonçant les faits marquants) avant que le ministre décide de renvoyer l’affaire à la SI. Le seul facteur dont il est question dans l’analyse faite dans l’arrêt Baker et qui pourrait être touché par la présence d’un enfant est l’importance de la décision à rendre pour l’appelant. Toutefois, comme il a été mentionné plus tôt, les décisions d’établir un rapport et de le renvoyer à la SI sont de nature administrative, et ne mènent à aucun changement au statut de l’appelant. Seule la SI peut prendre une mesure de renvoi en l’espèce, et l’appelant peut se prévaloir d’un certain nombre d’autres recours avant d’être effectivement renvoyé du pays (demandes en vue de soumettre à un contrôle judiciaire le rapport, le renvoi et les décisions de la SI, une évaluation de risques avant renvoi, de même qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire). Même si j’en venais à conclure que les décisions prises aux termes des paragraphes 44(1) et (2) pourraient avoir une vague incidence sur l’intérêt supérieur de l’enfant de l’appelant, ce qui rehausserait quelque peu l’importance de ces décisions, je ne suis pas convaincu que cela ferait pencher la balance dans l’analyse globale qu’exige l’arrêt Baker pour prescrire des exigences procédurales additionnelles (c.-à-d. la possibilité de répondre avant que l’affaire soit renvoyée en vertu du paragraphe 44(2)) dans le cadre d’un processus qui est déjà éminemment équitable et transparent.

[38]      Les trois autres facteurs que soulève l’appelant sont étroitement liés, et je les analyserai ensemble. La première chose qu’il convient de dire est que la décision du législateur d’abaisser le seuil de la grande criminalité que prévoit l’article 64 et de limiter le droit d’appel ne suffit pas, en soi, pour élever le seuil des exigences de l’équité procédurale auxquelles il est nécessaire de répondre dans ces procédures. Avant le changement législatif, l’obligation d’équité qui s’appliquait aux personnes sans droit d’appel (les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de plus de deux ans) ne comprenait pas le droit d’obtenir le rapport de l’agent et de faire des observations au stade du renvoi. Le fait que le législateur ait décidé de tracer la ligne de démarcation à six mois plutôt qu’à deux ans n’est d’aucune importance pour ce qui est de déterminer les droits de participation des personnes en cause. En fait, le législateur s’est penché sur la question de l’application temporelle de sa modification et en a adouci l’effet en déterminant que les personnes dont le renvoi du dossier à la SI avait été signé par le ministre ou son délégué avant le 19 juin 2013, indépendamment de la date de l’envoi du renvoi à la SI, ne tomberaient pas sous le coup de la nouvelle limite de six mois et seraient en droit d’interjeter appel si leur période d’emprisonnement était inférieure à deux ans (voir l’article 33 de la LARCE). Il n’appartient pas aux tribunaux de modifier l’intention explicite du législateur et de remédier à l’injustice alléguée de son choix en étirant les exigences de l’équité procédurale au-delà du contenu et du sens qu’on lui reconnaît.

[39]      Le fait que la juge chargée de la détermination de la peine ait condamné à dessein l’appelant à une peine de deux ans moins un jour afin qu’il puisse porter en appel une éventuelle mesure de renvoi n’est d’aucune conséquence pour ce qui est de délimiter les exigences en matière d’équité procédurale qui s’appliquent en l’espèce. Tout d’abord, la déclaration de culpabilité de l’appelant suivie de sa condamnation devant une cour criminelle est un processus tout à fait distinct de la procédure d’immigration. Les choix qu’a faits la juge de la cour criminelle dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ne peuvent se répercuter sur les obligations de l’intimé envers l’appelant sous le régime d’une loi qui a été adoptée à des fins tout à fait différentes. De plus, il est évident que la juge chargée de la détermination de la peine n’aurait pas pu concevoir une peine prévoyant la tenue d’un appel devant la SAI si la modification apportée au paragraphe 64(2) de la LIPR avait été adoptée à l’époque où elle avait imposé cette peine. Son examen de la jurisprudence l’a amenée à conclure que l’éventail approprié des peines pour agression sexuelle était de deux à trois ans d’emprisonnement. En conséquence, le fait de réduire d’un jour le seuil inférieur de cet éventail en vue d’éviter l’impact d’une peine plus sévère sur le statut d’immigrant de l’appelant n’a pas eu pour effet de rendre la peine disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. On ne pourrait toutefois pas dire la même chose d’une réduction de peine de deux ans à six mois. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Pham, 2013 CSC 15, [2013] 1 R.C.S. 739 [aux paragraphes 13 à 16] :

Pour ces raisons, les conséquences indirectes en matière d’immigration peuvent être pertinentes pour fixer adéquatement la peine, mais leur importance dépend des faits particuliers de chaque affaire et doit être déterminée en fonction de ceux-ci.

La règle générale demeure : la peine doit être juste eu égard au crime commis et au délinquant concerné. Autrement dit, le juge qui détermine la peine peut exercer son pouvoir discrétionnaire et tenir compte des conséquences indirectes en matière d’immigration, pourvu que la peine qui est infligée en définitive reste proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

La souplesse que permet notre processus de détermination de la peine ne doit pas donner lieu à l’infliction de peines inappropriées et artificielles dans le but d’éviter les conséquences indirectes susceptibles de découler d’un régime législatif ou autre texte de loi donné et, ainsi, d’éluder la volonté du législateur.

Il ne faut pas permettre que ces conséquences dominent dans la détermination de la peine ou encore aient pour effet de dénaturer ce processus, et ce, que ce soit en faveur ou à l’encontre de l’expulsion. Qui plus est, elles ne doivent pas conduire à l’établissement d’un régime distinct de détermination de la peine qui serait assorti, dans les faits sinon en droit, d’une fourchette spéciale de décisions applicables dans les cas où l’expulsion constitue un risque.

[40]      Enfin, soutient l’appelant, n’eût été le temps mis pour établir le rapport et procéder au renvoi, il aurait bénéficié d’un droit d’appel. Sans imputer à l’intimé une faute ou une mauvaise foi quelconque, l’appelant prétend que le simple fait que ce dernier aurait pu établir le rapport et renvoyer l’appelant à la SI avant le 19 juin 2013 signifie que c’est le moment où ces décisions ont été prises qui a déterminé la question de savoir si l’appelant pouvait interjeter appel ou non.

[41]      Là encore, il ne s’agit pas d’un facteur pertinent pour ce qui est de déterminer la portée de l’obligation d’équité procédurale en l’espèce. Je conviens avec le juge de première instance que l’ASFC n’était fort probablement pas au courant de la déclaration de culpabilité de l’appelant dans les huit jours précédant le changement législatif, et l’on ne peut pas faire valoir avec sérieux que le fait de ne pas établir un rapport et de ne pas renvoyer l’appelant à une enquête dans un délai de moins de cinq jours ouvrables constitue le genre de retard excessif qui rehausserait en l’espèce la portée de l’obligation d’équité procédurale. Il n’y a absolument aucune preuve (pas plus que cet argument n’a été invoqué) que l’intimé a délibérément retardé l’affaire dans le but de priver l’appelant d’un droit d’appel. Et même si c’était le cas, le fait d’accorder plus de droits de participation à l’appelant et de l’autoriser à formuler d’autres observations avant le renvoi du rapport ne serait manifestement pas la mesure qu’il conviendrait de prendre; les droits procéduraux sont conçus pour garantir l’équité et la transparence, et non pour sanctionner la conduite répréhensible d’un fonctionnaire. Et j’irais jusqu’à ajouter, une fois de plus, qu’il n’appartient pas à la magistrature de contrecarrer l’intention du législateur et d’étendre la portée de dispositions transitoires. Le législateur aurait pu choisir, comme mesure de transition, la date de la détermination de la peine comme date butoir, plutôt que celle à laquelle la décision de procéder à un renvoi est signée par le ministre ou son délégué. Il n’a pas jugé bon de le faire, et les tribunaux n’ont pas à intervenir dans ce choix de principe.

[42]      Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que le juge de première instance a conclu avec raison que le processus suivi a été équitable du point de vue procédural, que l’appelant a bénéficié de tous les droits de participation que permet sa situation et que l’intimé n’était pas tenu de communiquer le rapport d’interdiction de territoire avant qu’il soit décidé de procéder au renvoi de l’affaire.

B.        La portée du pouvoir discrétionnaire que prévoit l’article 44

[43]      S’appuyant sur l’utilisation du verbe « peut » au paragraphe 44(1) (par opposition à la formule impérative employée dans la version antérieure de la LIPR) ainsi que sur l’historique législatif, l’avocat de l’appelant a invoqué (comme il l’avait fait devant le juge de première instance) le puissant argument qui suit : les agents ont le vaste pouvoir discrétionnaire de prendre en considération des circonstances personnelles ou atténuantes au moment de décider de rédiger un rapport d’interdiction de territoire et ils ne sont pas tenus de produire un tel rapport aussitôt que sont établis les faits objectifs énoncés au paragraphe 36(1) (c.-à-d. le fait d’être déclaré coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé). Aux dires de l’avocat, quand le gouvernement a adopté la LIPR et restreint le droit d’appel des résidents permanents, la contrepartie a consisté à conférer aux agents le pouvoir discrétionnaire de prendre en considération des considérations d’ordre humanitaire que la Commission a antérieurement appréciées.

[44]      La portée du pouvoir discrétionnaire qu’il est possible d’exercer aux termes de l’article 44 est une question qui divise la Cour fédérale, et c’est la conclusion à laquelle est arrivé le juge de première instance. Dans une série d’affaires, illustrées par des décisions telles que Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 782; Leong c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1126; Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 806, [2009] 1 R.C.F. 675, conf. par 2009 CAF 73, une interprétation restrictive de l’article 44 a été adoptée et il a été conclu que les agents n’avaient pas le pouvoir discrétionnaire de prendre en considération des facteurs qui allaient au-delà de l’allégation d’interdiction de territoire d’une personne. À l’inverse, dans une autre série de décisions, une approche plus large a été adoptée et il a été conclu que les agents avaient un pouvoir discrétionnaire suffisamment vaste pour prendre en considération la situation personnelle d’une personne, en plus des faits qui sous-tendaient l’allégation d’interdiction de territoire (voir, par exemple, les décisions Hernandez 2005; Spencer; et Faci c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 693).

[45]      Le juge de première instance a été manifestement sensible à cette dernière approche, et je signale que l’intimé a lui aussi reconnu l’existence du pouvoir discrétionnaire restreint de prendre en considération des facteurs personnels ou atténuants. En fait, le Guide suggère de prendre en compte les facteurs suivants avant de décider de rédiger un rapport : 1) dans le cas d’un délit mineur, si une décision concernant la réadaptation est imminente; 2) les déclarations de culpabilité antérieure et une implication dans des activités criminelles ou liées au crime organisé; 3) la peine maximale qui aurait pu être imposée; 4) la peine imposée; 5) les circonstances de l’incident examiné; 6) si la déclaration de culpabilité incluait des éléments de violence ou des drogues.

[46]      Dans le même ordre d’idées, le Guide ENF 6 énumère les facteurs qui peuvent être pris en compte au moment de décider s’il convient de renvoyer un rapport à la SI : 1) l’âge au moment de l’établissement; 2) la durée de la résidence, ainsi que la provenance du soutien familial et les responsabilités; 3) les conditions dans le pays d’origine; 4) le degré d’établissement; 5) les déclarations de culpabilité antérieures et l’implication dans des activités criminelles ou liées au crime organisé; 6) les antécédents en matière de non-conformité et l’attitude actuelle; 7) la gravité de l’infraction commise; 8) la peine infligée et la peine maximale qui aurait pu être infligée. Ces guides, bien que non contraignants, dénotent à coup sûr que les agents, quand ils rédigent un rapport, et le ministre ou son délégué, quand il décide de renvoyer le rapport à la SI, ne sont pas astreints à vérifier simplement une déclaration de culpabilité et/ou une période d’emprisonnement.

[47]      Cependant, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en décidant de ne pas se prononcer de manière définitive sur cette question au vu du fait que, dans la présente affaire, les décideurs avaient effectivement pris en compte des facteurs personnels ou atténuants. Il ressort du dossier que l’appelant a été invité à présenter des observations par écrit sur diverses questions, dont l’âge qu’il avait au moment où il avait acquis le statut de résident permanent, le temps depuis lequel il se trouvait au Canada, la provenance de son soutien familial et ses responsabilités connexes, son degré d’établissement au Canada (travail, langue, engagement dans la collectivité), ainsi que d’autres facteurs pertinents. L’appelant s’est prévalu de cette possibilité, en fournissant des lettres d’appui ainsi que ses propres observations manuscrites. Il a aussi eu un entretien avec l’agente. Dans son rapport, celle-ci a déclaré que [traduction] « toutes les informations au dossier et fournies par M. SHARMA » ont été prises en considération (dossier d’appel, à la page 41).

[48]      Dans ces circonstances, je conviens avec le juge de première instance que l’appelant n’a aucune raison de se plaindre de la portée du mandat que l’agente a adopté, car il a bénéficié de l’approche la plus favorable. Les observations de l’appelant à cet égard sont donc théoriques, et le fait de déterminer l’étendue précise du pouvoir discrétionnaire d’un agent n’aurait aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Il est donc préférable de laisser à un autre jour l’examen de cette question et, en particulier, celle de savoir si une personne en cause a droit à une analyse des considérations d’ordre humanitaire en bonne et due forme au stade du rapport d’interdiction de territoire.

C.        L’intérêt supérieur de l’enfant

[49]      L’appelant soutient que l’agente n’a pas été réceptive, attentive ou sensible à l’intérêt de son fils, et il se fonde à cet égard sur le rapport des faits marquants, où la seule mention qui est faite de son fils est la suivante : [traduction] « Il [l’appelant] est divorcé depuis peu et son ex-épouse vit avec son fils à Calgary » (dossier d’appel, à la page 39). Selon lui, ces raisons ne reflètent pas l’intérêt supérieur de son enfant, et il faut donc considérer qu’elles illustrent le peu de considération que l’on a accordé à cet aspect primordial.

[50]      Le problème que présente cet argument est que l’appelant n’a pas fourni à l’agente beaucoup d’éléments de preuve sur l’intérêt supérieur de son fils. Dans la lettre manuscrite de neuf pages qu’il lui a transmise, l’appelant consacre à peine quelques lignes à son fils, et ses observations ont consisté principalement à dire qu’il aimait son fils et qu’il avait l’intention de déménager à Calgary pour avoir un meilleur accès à lui. À part cette lettre, les seules autres références à son fils se trouvent dans les lettres d’une tante et d’un cousin, qui affirment que l’appelant aime son fils et ne peut pas vivre sans lui. Il est révélateur que l’appelant ait omis de dire quoi que ce soit sur l’effet qu’aurait son éventuelle expulsion sur son fils. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’agente disposait de peu d’éléments.

[51]      Dans ces circonstances, je conviens avec le juge de première instance que l’appelant ne peut blâmer nul autre que lui si l’agente n’a eu rien à dire de plus sur son fils. Même en présumant que l’intérêt supérieur d’un enfant est un facteur dont il convient de tenir compte pour décider s’il y a lieu de rédiger un rapport ou pas, l’agente en a été réduite à formuler des hypothèses quant à l’effet possible du renvoi de l’appelant sur son fils. La décision du juge de première instance à cet égard est donc tout à fait raisonnable.

V.        Conclusion

[52]      Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel. Les parties n’ont pas demandé de dépens, et aucuns ne seront donc adjugés. Je répondrais de la manière suivante à la question certifiée :

Question : l’obligation d’agir avec équité exige-t-elle que le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR soit communiqué à la personne en cause avant que l’affaire ne soit déférée à la Section de l’immigration en vertu du paragraphe 44(2)?

Réponse : l’obligation d’agir avec équité n’exige pas que l’on transmette un rapport d’interdiction de territoire à la personne en cause avant que le ministre ou son délégué décide de déférer l’affaire à la Section de l’immigration en vertu du paragraphe 44(2), à la condition que ce document soit communiqué à la personne en cause avant l’audience de la Section de l’immigration.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Rennie, J.C.A. : Je suis d’accord.

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