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[2017] 3 R.C.F. 272

IMM-3296-15

2016 CF 1119

Carmelo Bruzzese (demandeur)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeurs)

Répertorié : Bruzzese c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour fédérale, juge Barnes—Toronto, 25 avril; Ottawa, 6 octobre 2016.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire visant une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) selon laquelle le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’art. 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Un mandat d’arrestation a été émis par les autorités italiennes à l’égard du demandeur en lien avec sa prétendue association avec une organisation criminelle — La Commission a entre autres jugé que le demandeur était un membre haut placé de l’organisation et qu’il affichait l’intention criminelle requise pour l’appartenance — Le demandeur a soutenu, entre autres, que la Commission était partiale et qu’elle a commis une erreur en rendant une conclusion déraisonnable d’interdiction de territoire et en obligeant le demandeur à témoigner — Il s’agissait principalement de savoir si la Commission a commis une erreur en contraignant le demandeur à témoigner, en refusant d’ordonner la communication de tous les éléments de preuve et en engendrant une crainte raisonnable de partialité — La Commission a rendu une décision réfléchie et approfondie en concluant que le demandeur était un témoin contraignable — Le fait que le demandeur a été tenu de témoigner contre ses intérêts devant la Commission n’avait aucune conséquence juridique — L’essence même d’obliger une personne à témoigner dans un processus administratif est d’obtenir des éléments de preuve pertinents — Le processus suivi en l’espèce n’a entraîné aucune conséquence pénale — Le cadre législatif de la Loi sur les enquêtes est suffisant pour permettre à la Commission de contraindre le demandeur à témoigner — Aucune procédure parallèle au Canada ne visait le demandeur — Par conséquent, aucun but ultérieur ne pouvait être atteint en essayant d’obtenir un témoignage incriminant à utiliser dans une autre procédure — Pour bien s’acquitter de son mandat, la Commission doit avoir les moyens de contraindre des témoignages — Le demandeur n’a pas été privé d’une occasion significative de répondre à ce qui lui est reproché — Les résumés des conversations interceptées étaient suffisamment détaillés pour permettre une contestation significative — Une divulgation exhaustive de la preuve par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile n’était pas nécessaire pour que le demandeur fournisse une réponse à la preuve produite par ce dernier — Il n’existe aucune présomption de partialité du simple fait qu’un arbitre entend des affaires connexes — En l’espèce, le membre de la Commission qui a participé à l’examen des motifs de détention du demandeur a pris soin de ne pas se retrancher dans des considérations liées à l’interdiction de territoire et ne s’est pas prononcé définitivement sur la crédibilité du demandeur — Enfin, la Commission n’a pas privé injustement le demandeur de la possibilité d’attaquer les motifs du défendeur le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de convoquer une enquête; le demandeur a bénéficié d’une application régulière de la loi; et la Commission n’a pas commis d’erreur dans son attribution du poids aux éléments de preuve — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) selon laquelle le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Un mandat d’arrestation a été émis par les autorités italiennes à l’égard du demandeur, un citoyen de l’Italie, en lien avec sa prétendue association avec une organisation criminelle. La Commission a entre autres jugé que le demandeur était un membre haut placé de l’organisation, qu’il affichait l’intention criminelle requise pour l’appartenance, et que la nature et la qualité de sa participation au groupe étaient bien établies par les éléments de preuve. La Commission a conclu que ce lien satisfaisait aux critères « lien institutionnel » ou « participation consciente » aux activités du groupe qui sont requis pour conclure qu’il était membre de l’organisation. Le demandeur a soutenu, entre autres, que la Commission était partiale et qu’elle a commis une erreur en accordant un poids exagéré à certains éléments de preuve et en tirant une conclusion déraisonnable sur l’interdiction de territoire. Il a également fait valoir que la Commission a manqué à son devoir d’équité en l’obligeant à témoigner.

Il s’agissait principalement de savoir si la Commission a commis une erreur en contraignant le demandeur à témoigner, en refusant d’ordonner la communication de tous les éléments de preuve et en engendrant une crainte raisonnable de partialité.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La Commission a rendu une décision réfléchie et approfondie en concluant que le demandeur était un témoin contraignable. Le fait que le demandeur soit tenu de témoigner contre ses intérêts devant la Commission n’avait aucune conséquence juridique. L’essence même d’obliger une personne à témoigner dans un processus administratif est d’obtenir des éléments de preuve pertinents. Le processus suivi en l’espèce n’entraînait aucune conséquence, et toute détention à la suite d’une conclusion d’interdiction de territoire se limiterait aux situations où un danger public est perçu ou un risque de fuite est établi. Ce que la Commission a fait en l’espèce était conforme au droit. Le cadre législatif de la Loi sur les enquêtes est suffisant pour permettre à la Commission de contraindre la personne faisant l’objet d’une audience pour interdiction de territoire à témoigner, du moins dans la mesure où l’objectif principal est de faire valoir un objectif légitime. Aucune procédure parallèle au Canada ne visait le demandeur. Par conséquent, aucun but ultérieur ne pouvait être atteint en essayant d’obtenir un témoignage incriminant à utiliser dans une autre procédure. Pour bien s’acquitter de son mandat, la Commission doit avoir les moyens de contraindre des témoignages et de les apprécier par rapport aux autres éléments de preuve. Le fait de permettre à une personne comme le demandeur d’éviter de témoigner pourrait possiblement nuire aux objectifs légitimes de l’enquête de la Commission. Le fait que la Commission ne croyait pas le demandeur n’est pas préoccupant. En effet, la capacité de vérifier l’exactitude des éléments de preuve est la justification même de la contraignabilité au départ.

Le demandeur n’a pas été privé d’une occasion significative de répondre à ce qui lui est reproché. Les résumés des conversations interceptées étaient suffisamment détaillés pour permettre une contestation significative. La décision de la Commission a fait intervenir une appréciation de la preuve et l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. La Commission a compris qu’il fallait un équilibre approprié. Dans ces circonstances, une divulgation exhaustive de la preuve par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile n’était pas nécessaire pour que le demandeur fournisse une réponse à la preuve produite par ce dernier. Le ministre n’est pas tenu de chercher chaque élément de preuve pertinent qui pourrait être en possession d’un organisme étranger, particulièrement lorsque les éléments de preuve produits sont intrinsèquement fiables.

La façon dont la Commission a réglé les questions dont elle était saisie est sans reproche et aucune partialité n’a été établie. Il n’existe aucune présomption de partialité du simple fait qu’un arbitre entend des affaires connexes. En l’espèce, rien dans la décision du membre de la Commission d’examiner les motifs de détention du demandeur ne laissait supposer une prédisposition défavorable. Le membre a pris soin de ne pas se retrancher dans des considérations liées à l’interdiction de territoire et ne s’est pas prononcé définitivement sur la crédibilité du demandeur.

Enfin, la Commission n’a pas privé injustement le demandeur de la possibilité d’attaquer les motifs du défendeur le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de convoquer une enquête; le demandeur a bénéficié d’une application régulière de la loi; et la Commission n’a pas commis d’erreur dans son attribution du poids aux éléments de preuve.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art. 4.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 37(1)a), 165.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33; Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3; Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97.

DÉCISIONS CITÉES :

Jaballah (Re), 2010 CF 224, [2011] 3 R.C.F. 155; Arthur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 94 (C.A.).

Demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (2015 CanLII 97801) de juger le demandeur interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Barbara Jackman pour le demandeur.

Martin Anderson et Ildiko Erdei pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jackman, Nazami & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Barnes : La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision prise par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission [Bruzzese c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CanLII 97801]) selon laquelle Carmelo Bruzzese a été déclaré interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La décision de la Commission reposait sur sa conclusion voulant que M. Bruzzese était membre d’un groupe du crime organisé, à savoir une organisation calabraise connue sous le nom de « ‘Ndrangheta ».

I.          Contexte

[2]        M. Bruzzese est citoyen de l’Italie. Il a obtenu sa résidence permanente au Canada en 1974 et est marié à une citoyenne canadienne. Entre 1977 et 1990, M. Bruzzese a vécu la plus grande partie du temps en Italie, revenant à l’occasion au Canada.

[3]        En 2008, M. Bruzzese a été poursuivi en Italie pour son association à une organisation criminelle sicilienne. Il a finalement été acquitté de cette accusation. Cependant, en 2010, un mandat d’arrestation à l’encontre de M. Bruzzese a été émis par les autorités italiennes, alléguant qu’il était recherché en rapport à son association alléguée avec la ‘Ndrangheta. Ce mandat formait une partie importante du dossier du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile dans l’audience devant la Commission. La traduction anglaise du mandat a donné lieu à un document de 910 pages. Il comportait 16 conversations interceptées faisant référence à l’association de M. Bruzzese avec la ‘Ndrangheta, notamment plusieurs conversations intégrales. Ces interceptions sont résumées aux pages 87 à 90 de la décision de la Commission. Parmi les autres aspects traités dans le mandat, mentionnons des éléments de preuve obtenus par surveillance montrant M. Bruzzese qui assiste à des réunions avec d’autres membres connus de la ‘Ndrangheta. La Commission a caractérisé les éléments de preuve concernant M. Bruzzese comme suit :

Essentiellement, la preuve montre que son affiliation avec la ‘Ndrangheta n’est pas sans profondeur ou superficielle. Elle révèle plutôt que M. Bruzzese est un membre haut gradé de la ‘Ndrangheta, le capo, qui gère le locale de Grotteria et prend les décisions les plus importantes.

Il prend part à d’importants événements du groupe, comme des réusions pour recevoir des mises à jour, assurer la coordination et comprendre la situation de la ‘Ndrangheta, des cérémonies où des grades sont attribués et des délibérations sur les mesures stratégiques à prendre pour ouvrir de nouveaux locali ou mettre sur pied des organes de contrôle. Il noue des relations avec d’autres sections de l’organisation et participe à la résolution des conflits et à la médiation.

M. Bruzzese a témoigné qu’il ne faisait pas partie de la ‘Ndrangheta, qu’il ne savait pas ce que cela signifiait et qu’il ignorait l’existence de cette organisation avant sa détention, et qu’il a seulement entendu le ministre en parler pendant sa détention, mais le tribunal est convaincu qu’il s’agit simplement d’un détachement opportun pour lui.

En réalité, M. Bruzzese affiche l’intention coupable requise pour l’appartenance. La preuve montre qu’il fait partie de la structure organisationnelle de la ‘Ndrangheta et qu’il en connaît la nature et les activités criminelles; à tout le moins, il faut considérer qu’il possède ces connaissances ou que celles-ci lui sont attribuées, compte tenu du rôle de commandement qu’il assume dans l’organisation et les importants antécédents criminels du groupe. [Notes de bas de page omises.]

[Décision de la Commission, aux paragraphes 345 à 348.]

[4]        La confiance de la Commission dans le mandat d’arrestation italien reposait en grande partie sur le témoignage du major Giuseppe De Felice. Le major De Felice est un haut gradé des Carabinieri. Il est titulaire d’un diplôme en droit et a une vaste expertise des rouages du crime organisé italien. Il a participé directement à l’enquête sur la ‘Ndrangheta entre 2008 et 2010 et, à ce titre, il était au courant des éléments de preuve concernant M. Bruzzese.

[5]        Le major De Felice a dit dans son témoignage qu’en 2008, les Carabinieri ont obtenu l’autorisation légale d’intercepter les communications mentionnées dans le mandat d’arrestation. Il a aussi décrit la surveillance dont ont fait l’objet M. Bruzzese et d’autres personnes d’intérêt. La Commission a résumé le processus suivi pour l’autorisation légale du mandat d’arrestation, le décrivant comme étant un processus [traduction] « approfondi », « circonspect », « circonstancié », « révélateur » et « fiable ». Pour ces motifs, la Commission a conclu que le mandat constituait une description digne de foi du dossier criminel italien à l’encontre de M. Bruzzese et a accordé au mandat un « poids important ». Par son examen du contenu du mandat, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

Cela dit, le dénominateur commun des conversations interceptées et des dossiers de surveillance est le fait qu’ils montrent raisonnablement que M. Bruzzese est une figure centrale dans les rangs de la ‘Ndrangheta et qu’il est au cœur des opérations de cette organisation. Même s’il n’est pas vraiment clair depuis combien de temps il fait partie du groupe, la nature de sa participation et son degré d’établissement dans le groupe sont bien démontrés par la preuve.

[…]

Tous les renseignements examinés démontrent que M. Bruzzese fait partie intégrante de la ‘Ndrangheta. Ce lien satisferait aux critères « liens institutionnels » ou « participation consciente » aux activités du groupe, critères qu’il faut remplir pour conclure que l’intéressé « fait partie » de l’organisation, comme il a été confirmé dans l’affaire Sinnaiah c. Canada (M.C.I.). Par conséquent, le tribunal est convaincu que M. Bruzzese remplit sans réserve le critère de l’interprétation large et libérale de l’appartenance au groupe criminel organisé qu’est la ‘Ndrangheta. [Notes de bas de page omises; soulignement dans l’original.]

[Décision de la Commission, aux paragraphes 335 et 349.]

II.         Questions en litige et norme de contrôle

[6]        M. Bruzzese soutient qu’on l’a privé d’une instruction équitable en raison de la partialité de la Commission et parce que certaines de ses décisions interlocutoires l’ont empêché de vérifier l’exactitude des faits qu’on lui reproche et de les contester. En outre, M. Bruzzese soutient que la Commission a commis une erreur en donnant un poids exagéré à certains éléments de preuve et en tirant une conclusion déraisonnable sur l’interdiction de territoire.

[7]        M. Bruzzese soutient que la Commission l’a privé d’une instance équitable en refusant d’ordonner la production des enregistrements des conversations interceptées en Italie. Il soutient également que la Commission a contrevenu à son devoir d’équité en l’obligeant à témoigner et en rejetant sa motion de récusation compte tenu des éléments de preuve de partialité. Il affirme également que la Commission n’a pas été équitable et qu’elle a commis une erreur de compétence en refusant d’entendre un argument selon lequel le dossier relatif à l’interdiction de territoire était, en réalité, une extradition déguisée (c.-à-d. un abus de procédure). Finalement, M. Bruzzese se plaint du fait que la Commission a tiré des conclusions inéquitables sans le bénéfice des observations d’un avocat et a limité la capacité de l’avocat de contre-interroger les témoins du ministre. Il précise que toutes ces préoccupations sont des questions de compétence ou d’équité procédurale et susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte.

[8]        Étant donné que la Commission a examiné toutes les questions en litige et les a réglées sur le fond, j’ai de grandes réserves quant à savoir si la décision correcte est la norme de révision qui s’applique. Dans ses décisions interlocutoires, la Commission a interprété sa loi constitutive et appliqué ses règles de procédure dans le contexte du dossier dont elle était saisie. À mon avis, on doit faire preuve d’une certaine retenue à l’égard de la Commission dans l’exercice de sa compétence procédurale, bien entendu, avec la réserve que lorsqu’une telle décision rend le processus inéquitable, la décision définitive est intrinsèquement déraisonnable. Une autre façon de poser la question est de savoir si l’une des décisions procédurales de la Commission a rendu le processus inéquitable, c’est-à-dire priver M. Bruzzese du droit de savoir ce qui lui est reproché et d’y répondre. Si j’ai tort, je conclus que la Commission a pris la décision correcte concernant ces questions en litige et a accordé une instance équitable à M. Bruzzese.

[9]        Bien entendu, les arguments fondés sur les éléments de preuve de M. Bruzzese sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable.

A.        La Commission a-t-elle commis une erreur en contraignant M. Bruzzese à témoigner?

[10]      Mme Jackman soutient que son client a subi un préjudice en étant contraint à témoigner, parce que sa non-crédibilité a été établie avec succès, puisque la Commission a utilisé ses éléments de preuve contre lui. Mme Jackman dit que laissé à lui-même, M. Bruzzese ne se serait pas exposé à ce risque.

[11]      Il ne fait guère de doute que M. Bruzzese n’a pas aidé sa cause par certains de ses témoignages. Par exemple, ses éléments de preuve selon lesquels il ne connaissait rien de la ‘Ndrangheta, malgré ses liens d’amitié établis avec plusieurs de ses hauts gradés, n’étaient pas vraisemblables. À l’égard de plusieurs autres questions en litige, comme l’a fait observer à juste titre la Commission, M. Bruzzese donnait des réponses évasives ou ne répondait pas. La Commission a remarqué particulièrement l’allégation de M. Bruzzese selon laquelle, même s’il était lié d’amitié avec le chef notoire de mafia, Vito Rizzuto, il ne savait absolument rien des lourds antécédents criminels de M. Rizzuto. Par contre, pour l’essentiel, ses éléments de preuve consistaient uniquement en un simple déni des allégations criminelles italiennes.

[12]      Mais la question de savoir si la non-crédibilité de M. Bruzzese a été établie avec succès, le simple fait qu’il ait dû témoigner contre ses intérêts devant la Commission n’a aucune conséquence juridique. L’essence même d’obliger une personne à témoigner dans un processus administratif est d’obtenir des éléments de preuve pertinents. Le processus suivi en l’espèce consiste à poser des questions relativement à l’interdiction de territoire, ce qui n’a aucune conséquence pénale. Toute détention qui suit une conclusion relative à l’interdiction de territoire se limitera aux situations de danger public perçu ou lorsqu’un risque de fuite est établi, et toute détention à cet effet est susceptible de contrôle judiciaire et administratif périodique.

[13]      Ce que la Commission a fait en l’espèce était conforme au droit. L’article 165 de la LIPR investit la Commission des pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11. La Commission peut également prendre les mesures qu’elle juge utiles à la procédure. L’article 4 de la Loi sur les enquêtes accorde à un commissaire le pouvoir d’assigner des témoins et de leur enjoindre de déposer sous la foi du serment ou d’une affirmation solennelle. Ce cadre légal suffit pour permettre à la Commission de contraindre le témoignage du sujet d’une audience pour interdiction de territoire, du moins dans la mesure où l’objet principal est de faire valoir un objectif légitime, licite. Ce point a été établi dans l’arrêt British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 35 :

De toute évidence, cet objet de la Loi justifie la tenue d’enquêtes d’une portée restreinte. La Loi vise à protéger le public contre les pratiques commerciales malhonnêtes susceptibles de frauder les investisseurs. Elle vise à assurer que le public puisse se fier à des négociateurs honnêtes de bonne réputation qui sont en mesure d’exploiter leur entreprise d’une façon non préjudiciable au marché ou à l’ensemble de la société. Une enquête de ce genre contraint légitimement une personne à témoigner puisque la Loi vise la réalisation d’un objectif d’une grande importance pour le public, à savoir, recueillir des témoignages pour réglementer le secteur des valeurs mobilières. Pareilles enquêtes aboutissent souvent à des procédures de nature essentiellement civile. L’enquête est du genre autorisé par notre droit puisqu’elle a une utilité sociale évidente. L’enquête a ainsi pour objet prédominant de recueillir le témoignage pertinent aux fins des présentes procédures et non dans le but d’incriminer Branch et Levitt. Plus précisément, il n’y a rien, à ce stade, dans le dossier qui porte à croire que les assignations en l’espèce ont pour objet d’obtenir des éléments de preuve incriminants contre Branch et Levitt. Les ordonnances de la Commission et les assignations visent la réalisation de l’objet prédominant de l’enquête mentionné plus haut. En conséquence, le témoignage proposé se trouve régi par la règle générale applicable en vertu de la Charte, selon laquelle un témoin est contraint à témoigner et bénéficie en retour d’une immunité relative à la preuve : S. (R.J.), précité. [Souligné dans l’original.]

[14]      Dans l’arrêt Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, la Cour a pris en considération la question de la contraignabilité dans le cadre d’une enquête publique concernant deux personnes qui faisaient simultanément l’objet d’accusations au criminel. Les deux instances découlaient d’une explosion survenue dans une mine de charbon, la mine Westray, à Stellarton, en Nouvelle-Écosse. La Cour n’a eu aucune difficulté à conclure que les deux accusés pouvaient être contraints à témoigner à l’enquête, indépendamment de la possibilité de conflit entre les deux instances :

Dans sa plaidoirie devant notre Cour, le procureur général de la Nouvelle-Écosse a reconnu les risques de la tenue immédiate d’une enquête exhaustive. Il a néanmoins déclaré que son gouvernement estimait que la reprise immédiate de l’enquête présentait une importance tellement considérable pour la collectivité qu’il était prêt à courir le risque qu’un préjudice soit causé aux poursuites criminelles ou que celles-ci soient même arrêtées à cause de l’enquête. Il est presque absolument certain que le gouvernement est mieux placé que les tribunaux pour juger de la nécessité et de la valeur de l’enquête. Il est mieux à même de calculer et de peser les risques et les avantages de la reprise de l’enquête au regard du bien public. S’il n’a pas été prouvé que la conduite du gouvernement a été répréhensible, celui-ci ayant refusé par exemple d’appliquer le droit criminel d’une manière qui équivaut à une irrégularité flagrante, les tribunaux ne doivent pas s’immiscer dans le choix qu’il a fait.

Autrement dit, sauf si l’on peut démontrer que le gouvernement agit de mauvaise foi, les tribunaux interviendront rarement pour lui interdire par avance d’agir s’il a décidé de constituer une commission d’enquête qui relève de sa compétence. Rien n’indique dans le présent dossier qu’il y ait eu mauvaise foi ou refus d’appliquer le droit criminel. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a évalué et pris en considération la possibilité que Gerald Phillips et Roger Parry ne puissent jamais être cités à leur procès, et rien n’indique qu’il y ait lieu que notre Cour révise sa décision. Si l’enquête devait se tenir avant les procès criminels avec jury, il appartiendrait au juge du procès de statuer sur la réparation convenable au cas où les audiences auraient entraîné une violation de droits garantis par la Charte.

En résumé, il ne fait aucun doute que les intimés Gerald Phillips et Roger Parry seraient des témoins contraignables à l’enquête publique. Ils répondent de toute évidences aux exigences formulées dans les arrêts S. (R.J.) et Branch. Ils ne sont pas appelés à témoigner pour démontrer leur culpabilité criminelle. Le but prédominant de l’obtention de leur témoignage est plutôt de favoriser les objectifs de l’enquête, qui ont une très grande importance pour le public et sont au cœur même de la nature et de l’efficacité de l’enquête.

Néanmoins, bien que M. Phillips et M. Parry soient des témoins contraignables, il existe peut-être des motifs de s’opposer à ce que leur soient posées certaines questions qui pourraient aller au-delà des buts de l’enquête. Toutefois, pour le moment, le seul préjudice qu’ils risquent de subir est celui qui se rapporte à l’utilisation d’éléments de preuve dérivés de leur témoignage. Ainsi qu’il est mentionné dans l’arrêt Branch, il ne s’agit pas là d’un motif suffisant pour refuser qu’ils soient contraints à témoigner.

[Phillips c. Nouvelle-Écosse, aux paragraphes 98 à 101.]

[15]      En l’espèce, contrairement aux arrêts Branch et Phillips, aucune procédure parallèle au Canada ne visait M. Bruzzese. Par conséquent, aucun but ultérieur ne pouvait être atteint en essayant d’obtenir un témoignage incriminant à utiliser dans une autre procédure.

[16]      La confiance que M. Bruzzese accorde à la décision de la juge Eleanor Dawson dans Jaballah (Re), 2010 CF 224, [2011] 3 R.C.F. 155, est mal à propos. Le libellé législatif qui s’applique aux affaires de certificat de sécurité et les conséquences pour les personnes visées diffèrent beaucoup de ce qui s’applique en l’espèce.

[17]      Dans le contexte d’une affaire comme celle-ci, la grande partie des éléments de preuve pertinents sera connue uniquement de la personne visée. Pour bien s’acquitter de son mandat, la Commission doit avoir le moyen de contraindre des témoignages et de les apprécier par rapport à d’autres éléments de preuve. Permettre à une personne comme M. Bruzzese d’éviter de témoigner ferait probablement obstacle aux objectifs légitimes de l’enquête de la Commission. Le fait que la Commission n’ait pas cru M. Bruzzese ne constitue pas une source de préoccupation. En effet, la capacité de vérifier l’exactitude des éléments de preuve est la justification même de la contraignabilité au départ.

[18]      En concluant qu’on peut contraindre M. Bruzzese à témoigner, la Commission a pris une décision réfléchie et approfondie qui, à mon avis, résout correctement la question dont elle est saisie (voir le dossier certifié du tribunal (DCT), vol. 1, pages 135 à 158).

B.        La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d’ordonner la communication de tous les éléments de preuve?

[19]      M. Bruzzese se plaint que la Commission a manqué au devoir d’équité en omettant d’ordonner au ministre de demander et, en cas de succès, de produire les enregistrements des conversations interceptées qui étayaient le mandat d’arrestation italien.

[20]      Il ne fait aucun doute pour moi que, dans le contexte d’une audience sur interdiction de territoire comme celle-ci, le ministre a une obligation de divulgation de la preuve. En effet, la Commission n’a pas tiré d’autres conclusions, décrivant ainsi l’obligation :

À la lumière de toutes les circonstances en l’espèce, le tribunal a rendu une décision interlocutoire, refusant essentiellement de soutenir la demande de M. Bruzzese pour que le ministre communique davantage de renseignements. Tout en tenant compte du fait que le ministre est obligé de communiquer adéquatement la preuve à M. Bruzzese et de lui donner l’occasion d’y répondre, le tribunal était convaincu que, en l’espèce, M. Bruzzese avait été amplement informé de la preuve en question. Le tribunal n’a pas estimé que l’absence des interceptions complètes avait en quelque sorte diminué ou compromis la capacité de M. Bruzzese de répondre ou miné l’équité de la procédure le visant. [Notes de bas de page omises.]

[Décision de la Commission, au paragraphe 311.]

[21]      Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33 (Harkat), la Cour a abordé l’exigence de communication dans le contexte d’une procédure concernant un certificat de sécurité pour laquelle seulement des résumés des communications interceptées étaient disponibles. La Cour a conclu que la communication est suffisante si elle permet à la partie visée de connaître et de contester la preuve qui pèse contre elle. Vraisemblablement, cela sous-entend aussi un devoir de bonne foi en ce sens que le gouvernement ne peut pas sciemment retenir des éléments de preuve qui pourraient aider la partie visée. L’analyse que fait la Cour du fait de s’appuyer sur des résumés d’éléments de preuve s’applique tout particulièrement en l’espèce :

Ainsi, la question à trancher en l’espèce est celle de savoir si l’exclusion des résumés est nécessaire pour remédier à l’atteinte à la capacité de M. Harkat de connaître la preuve qui pèse contre lui et d’y répondre ou pour sauvegarder l’intégrité du système de justice. À mon avis, ce n’est pas le cas.

La communication d’une version caviardée des résumés à M. Harkat et d’une version intégrale à ses avocats spéciaux était suffisante pour empêcher qu’il soit porté atteinte de manière importante à la capacité de M. Harkat de connaître la preuve qui pèse contre lui et d’y répondre. Certes, comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale, la destruction des originaux empêche de vérifier avec une certitude absolue si les résumés contiennent des erreurs ou des inexactitudes : par. 133. [traduction] « L’évaluation du préjudice pose problème lorsque, comme en l’espèce, les renseignements pertinents sont irrémédiablement perdus » : R. v. Bero (2000), 137 O.A.C. 336, par. 49. Cependant, l’incidence de la perte d’éléments de preuve sur l’équité du procès doit être examinée [traduction] « dans le contexte de l’ensemble de la preuve et de la position adoptée par la défense » : R. v. J.G.B. (2001), 139 O.A.C. 341, par. 38.

Or, en l’espèce, la destruction des documents opérationnels originaux n’a pas porté atteinte de manière importante à la capacité de M. Harkat de connaître la preuve qui pèse contre lui et d’y répondre. Comme l’a fait remarquer le juge Noël, des résumés fiables des documents originaux relatifs aux conversations interceptées ont été communiqués à M. Harkat. Ce dernier a néanmoins choisi de nier l’existence même de la plupart de ces conversations plutôt que d’en contester les éléments précis. En outre, le contenu des résumés a été corroboré par le récit d’ensemble de la vie de M. Harkat telle qu’elle a été décrite lors des audiences : 2010 CF 1243, par. 66–67.

En outre, je suis convaincue que l’admission en preuve des résumés ne mine pas l’intégrité du système de justice. Même si la destruction des documents opérationnels du SCRS a constitué une violation grave de l’obligation de conserver les éléments de preuve, elle n’a pas été menée pour délibérément soustraire le ministre à son obligation de communiquer la preuve. Il faut aussi admettre que, avant que la Cour ne se prononce dans Charkaoui II, la question de l’existence et de la portée de l’obligation légale du SCRS de conserver ses documents opérationnels n’avait pas été définitivement tranchée par les tribunaux. On ne peut prétendre que l’application de la politique OPS-217 par le SCRS met en évidence un mépris systématique de la loi. Puisque l’admission en preuve des résumés n’a ni privé M. Harkat de l’équité procédurale ni miné l’intégrité du système de justice, je conclus que le juge Noël n’a commis aucune erreur susceptible de révision en refusant d’exclure les résumés de conversations interceptées dont l’admissibilité a été contestée.

[Harkat, aux paragraphes 96 à 99.]

[22]      Dans l’arrêt Harkat, précité, la Cour a également analysé l’obligation du ministre de demander les éléments de preuve pertinents en la possession d’organismes de gouvernements étrangers dans le contexte d’instances ex parte pour lesquelles il y a obligation de franchise et de bonne foi la plus absolue. La portée de cette obligation est la suivante :

Les avocats spéciaux ont soutenu que leurs obligations de franchise et de bonne foi la plus absolue exigent des ministres qu’ils demandent aux organismes étrangers de renseignement de leur fournir l’ensemble des renseignements et des éléments de preuve relatifs à plusieurs présumés terroristes avec qui, selon eux, M. Harkat a été associé. Ils font valoir que les ministres ne se sont pas acquittés de ces obligations. Pour leur part, les tribunaux d’instances inférieures ont conclu que les ministres avaient fourni des efforts raisonnables pour obtenir les renseignements demandés par les avocats spéciaux.

Dans Ruby, la Cour a reconnu que les obligations de franchise et de bonne foi la plus absolue s’appliquent lorsqu’une partie se fonde sur des éléments de preuve durant des procédures ex parte : « Elle doit offrir une preuve complète et détaillée, et n’omettre aucune donnée pertinente qui soit défavorable à son intérêt » (par. 27). La Cour fédérale a ajouté, dans Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163, par. 500, que « [l]es obligations de bonne foi la plus absolue et de franchise impliquent que la partie s’appuyant sur une preuve ex parte effectuera un examen approfondi des renseignements en sa possession et présentera des observations fondées sur tous les renseignements, y compris ceux qui ne sont pas favorables à sa thèse. »

Les obligations de franchise et de bonne foi la plus absolue supposent que la partie qui y est tenue fasse des efforts constants pour mettre à jour les renseignements et la preuve relatifs à la personne visée et ce, tout au long des procédures : voir, à titre d’exemple, Almrei, 2009 CF 1263, par. 500. Les avocats spéciaux soutiennent que, compte tenu de ces obligations, les ministres doivent faire parvenir des demandes détaillées aux organismes étrangers de renseignement. À leur avis, ces demandes doivent préciser le contexte des audiences sur les certificats de sécurité, les fins auxquelles les renseignements seront utilisés de même que les conséquences pour la personne visée si ces derniers ne sont pas fournis.

La position que préconisent les avocats spéciaux revient à demander aux ministres de mener une enquête suivant leurs directives. Or, les ministres n’ont aucune obligation générale de communiquer des éléments de preuve ou des renseignements dont ils n’ont pas le contrôle : R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727, par. 21; R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754, par. 2. Il leur incombe de faire des efforts raisonnables pour obtenir des mises à jour quant aux éléments de preuve et aux renseignements détenus par les organismes étrangers de renseignement et de les communiquer. Ce qui équivaut à des efforts raisonnables dépendra des faits de chaque cas. Dans le présent pourvoi, je suis d’accord avec le juge Noël qui a estimé que les ministres avaient fait des efforts raisonnables : voir 2010 CF 1243, annexe « A », par. 6–7. Ils ont expédié des demandes écrites, par courrier, aux organismes étrangers de renseignement, à qui il était pertinent de s’adresser. La réponse à ces demandes a bien pu ne pas satisfaire les avocats spéciaux, mais ce fait, en soi, ne suffit pas à conclure que les efforts fournis par les ministres étaient insuffisants.

[Harkat, aux paragraphes 100 à 103.]

[23]      Il me semble que dans le contexte d’une instance inter partes, la capacité de la personne visée de solliciter la divulgation de la preuve demandée d’une tierce partie (en l’espèce, les autorités italiennes chargées des poursuites) constitue un facteur que la Commission est habilitée à prendre en considération lorsqu’elle détermine les limites de l’obligation correspondante du ministre. Même les données probantes ne sont pas totalement claires quant aux possibilités qui s’offrent à M. Bruzzese de solliciter les conversations interceptées enregistrées en Italie, il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour étayer la conclusion de la Commission selon laquelle elle n’avait fait aucune tentative d’obtenir ces éléments de preuve par l’entremise de l’avocat italien en matières criminelles. En effet, son avocat a dit dans son témoignage qu’il avait écouté les conversations enregistrées et conclu que la qualité [traduction] « n’était pas exactement la meilleure » (voir le DCT, vol. 19, page 4135). L’inférence évidente est que M. Bruzzese avait accès aux enregistrements, mais qu’il a choisi de ne pas les obtenir pour les utiliser devant la Commission. En l’espèce, la Commission a conclu que le mandat d’arrestation italien était intrinsèquement fiable et très détaillé. Le mandat ne reposait pas uniquement sur les communications interceptées; il comprenait aussi un très grand nombre d’éléments de preuve de surveillance qui confirmaient la présence de M. Bruzzese aux réunions de la ‘Ndrangheta. Les résumés des conversations interceptées étaient aussi suffisamment détaillés pour permettre une contestation significative.

[24]      L’objectif déclaré de M. Bruzzese pour demander les conversations interceptées était tout simplement de vérifier la fidélité des résumés contenus dans le mandat d’arrestation italien. Il n’a rien présenté pour mettre en doute l’exactitude des résumés. Compte tenu de l’évaluation minutieuse par la Commission de la fiabilité du contenu du mandat d’arrestation italien, l’idée qu’il pourrait y avoir des incohérences relève en grande partie de la conjecture.

[25]      Cette décision interlocutoire par la Commission a fait intervenir l’appréciation des éléments de preuve ainsi que l’exercice du pouvoir discrétionnaire. La Commission a compris qu’il fallait un équilibre approprié. Dans ces circonstances, une divulgation exhaustive de la preuve par le ministre n’était pas nécessaire pour que M. Bruzzese réponde au dossier du ministre. Après tout, le ministre n’est pas tenu de chercher le moindre des éléments de preuve pertinents que peut avoir en sa possession un organisme étranger, en particulier lorsque ce qui est communiqué est intrinsèquement fiable. La décision de la Commission était raisonnable, équitable et fondée en droit. M. Bruzzese n’a pas été privé d’une occasion significative de répondre à ce qui lui est reproché.

[26]      J’ajouterais que le dossier dont je suis saisi indique à plusieurs endroits que l’avocat du ministre a déployé des efforts pour obtenir les enregistrements des communications interceptées, mais en vain. Même si de meilleurs éléments de preuve à ce sujet auraient pu être produits, je conclus que, dans la mesure où une obligation de divulgation plus élevée était nécessaire, cette obligation a été remplie conformément aux principes exposés dans l’arrêt Harkat, précité.

C.        Une crainte raisonnable de partialité a-t-elle été établie?

[27]      M. Bruzzese allègue qu’une crainte raisonnable de partialité découle de l’implication précédente d’une commissaire dans cette affaire. On soutient qu’en entendant et rejetant un contrôle antérieur des motifs de détention, la commissaire s’était déjà fait une idée quant à la crédibilité de M. Bruzzese et ne serait pas perçue comme étant objective en présidant son audience sur l’interdiction de territoire. À l’égard d’une requête antérieure, le juge Yvan Roy a refusé d’entendre cette argumentation et a rejeté la requête.

[28]      Le critère pour déterminer s’il y a partialité n’est pas une question controversée. La Cour suprême a étudié à fond la règle de droit dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282, et l’a énoncée dans le passage suivant :

Le critère applicable pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité n’est pas contesté et il a été formulé pour la première fois par notre Cour en ces termes :

… à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? [Référence omise.]

[…]

(Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394, le juge de Grandpré (dissident))

Ce critère — à quelle conclusion en arriverait une personne raisonnable et bien renseignée — a été constamment approuvé et précisé par notre Cour : p. ex., Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, par. 60; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, par. 199; Miglin c. Miglin, [2003] 1 R.C.S. 303, par. 26; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 46; R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, par. 11, le juge Major, par. 31, les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin, par. 111, le juge Cory; Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267, par. 45; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, p. 143; Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, p. 684.

L’objectif du critère est d’assurer non seulement l’existence, mais l’apparence d’un processus décisionnel juste. La question de la partialité est donc inextricablement liée au besoin d’impartialité. Dans l’arrêt Valente, le juge Le Dain a fait le lien entre l’absence de préjugé et l’impartialité, concluant que « [l]’impartialité désigne un état d’esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée » et « connote une absence de préjugé, réel ou apparent » : p. 685. Les notions d’impartialité et d’absence de préjugé sont devenues des exigences tant juridiques qu’éthiques. Les juges doivent — et sont censés — aborder toute affaire avec impartialité et un esprit ouvert : voir S. (R.D.), par. 49, les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin.

Dans l’arrêt Wewaykum, notre Cour a confirmé la nécessité de statuer en toute impartialité pour préserver la confiance du public dans la capacité du juge d’être véritablement ouvert d’esprit :

… la confiance du public dans notre système juridique prend sa source dans la conviction fondamentale selon laquelle ceux qui rendent jugement doivent non seulement toujours le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus comme agissant de la sorte.

L’essence de l’impartialité est l’obligation qu’a le juge d’aborder avec un esprit ouvert l’affaire qu’il doit trancher. [Souligné dans l’original [par le juge Abella], par. 57-58.]

[Commission scolaire francophone du Yukon, aux paragraphes 20 à 23.]

[29]      Bien entendu, il n’existe aucune présomption de partialité du simple fait qu’un arbitre entend des affaires connexes : voir Arthur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 94 (C.A.), aux pages 105 à 107. Il faut davantage pour établir une prédisposition relativement à la question en litige à trancher dans la deuxième instance. Cela comporte nécessairement un examen du lien ou du chevauchement des questions en litige entre les deux instances et un examen du dossier des procédures pour recenser les indications de préjugé.

[30]      Il y a très peu en commun entre un examen des motifs de détention et une enquête. Le premier porte sur deux questions : une personne représente-t-elle un danger futur pour le public ou un risque de fuite. Même si ces questions peuvent se rapporter aux antécédents de criminalité d’une personne, aucune conclusion définitive de culpabilité n’est nécessaire. À l’opposé, une enquête porte sur les conclusions d’associations ou de conduite passées, et non sur les prévisions d’un comportement futur.

[31]      Un examen des motifs de détention concernant M. Bruzzese réalisé par la commissaire indique que, en confirmant sa détention, on accorde beaucoup de poids aux contrôles judiciaires antérieurs à la détention. La commissaire a conclu que rien de significatif lui avait été présenté [traduction] « qui justifierait qu’on s’écarte de ces contrôles ». La commissaire a explicitement reconnu que l’enquête en instance [traduction] « restait à trancher ». En effet, la commissaire s’est clairement distancée de l’enquête en cours en déclarant :

Je ne tirerai aucune conclusion quant à votre culpabilité ou votre complicité et je ne tirerai aucune conclusion quant à votre interdiction de territoire au Canada, qui est une question pour l’enquête.

[32]      En résumé, rien dans la décision relative à l’examen des motifs de détention prise par la commissaire ne laisse entendre à une prédisposition défavorable. La commissaire a pris soin de ne pas se retrancher dans des considérations liées à l’interdiction de territoire et n’a adopté aucune prise de position définitive quant à la crédibilité de M. Bruzzese. D’après le dossier dont je suis saisi, rien n’étaye une conclusion relativement à une crainte raisonnable de partialité ou ne laisse entendre que la Commission avait arrêté son opinion quant aux questions sur lesquelles elle devait se prononcer en fonction de son implication antérieure.

[33]      Mme Jackman indique également qu’il existe une crainte raisonnable de partialité dans cette affaire sur la base du traitement déséquilibré apparent de la Commission et de son hostilité manifeste envers M. Bruzzese et son avocate.

[34]      Un examen de la transcription indique que l’audience devant la Commission a été difficile pour toutes les parties en cause et, à l’occasion, indûment acrimonieuse. Cependant, rien dans le dossier ne permet de penser, et de loin, que la Commission s’était fait une opinion quant aux questions en litige qu’elle devait trancher. Même si un sentiment de frustration est évident à l’occasion de la part de la Commission, il est principalement attribuable à une certaine provocation de la part de l’avocate. Par exemple, à un moment donné, l’avocate a accusé la Commission de [traduction] « ne rien faire de sa journée ». Cette remarque s’est attiré une remontrance pertinente, mais non inappropriée de la part de la Commission (voir le DCT, vol. 16, page 3422). Dans de nombreux autres cas, la Commission a jugé nécessaire de contrôler les interruptions de l’avocate ou de composer avec d’autres comportements dérangeants. La situation était suffisamment préoccupante pour que la Commission réprimande longuement de façon appropriée l’avocate au cours de l’audience du 26 juin 2014 (voir le DCT, vol. 15, pages 3130 à 3132). On peut trouver un autre exemple d’un échange inapproprié de la part de l’avocate aux pages 3008 à 3011 du volume 15 du DCT, tiré de la transcription du 24 juin 2014.

[35]      Si M. Bruzzese est lésé par le traitement que la Commission a accordé aux objections de son avocate et par la fréquence à laquelle ces objections ont été rejetées, ce n’est assurément pas par manque d’impartialité. Les objections doivent correspondre aux faits et au droit. Lorsque les objections étaient rejetées par la Commission, elles étaient amplement fondées.

[36]      Le rejet par la Commission de l’argument de partialité de la part de M. Bruzzese est exposé aux paragraphes 51 à 54 de sa décision, dont la conclusion est présentée ci-dessous :

La prise de décisions défavorables à une partie n’est pas une preuve de partialité. L’exercice d’un contrôle judiciaire adéquat pour imposer un décorum, une structure et des limites à l’enquête n’est pas non plus une preuve de partialité. En fait, si des décideurs devaient rendre des décisions injustifiées, faire abstraction de circonstances inappropriées, ou approuver en quelque sorte un comportement inapproprié avant qu’il puisse être dit qu’une audience est impartiale, cela minerait grandement l’exercice de la justice et encouragerait les comportements inappropriés de la part des conseils, qui pourraient alors éliminer de façon sélective, de par leur comportement, des présidents d’audience.

Le tribunal est d’accord avec les déclarations éclairées que la juge Boyd a formulées dans l’affaire Middlekamp c. Fraser Valley Real Estate Board, alors qu’elle était également visée par une allégation de partialité et une demande de récusation :

[traduction]

Je ne puis retenir cet argument, au risque de créer un dangereux précédent devant nos tribunaux. Agir autrement reviendrait à inviter des plaideurs mécontents ou leur conseil à formuler toute allégation qu’ils veulent au soutien de leur demande de récusation d’un juge. Si les allégations ne permettaient pas de conclure à de partialité ou à une crainte raisonnable de partialité, le plaideur pourrait quand même se consoler en sachant que le simple fait de formuler de telles allégations aurait pour effet d’entacher la procédure et de contraindre le juge à se récuser. Le juge en chef McEachern de la Colombie-Britannique a reconnu ce danger dans la décision G.W.L. Properties Limited c. W.R. Grace et Company of Canada Ltd., (1992), 1992 CanLII 934 (CA C.-B.), 74 B.C.L.R. (2e) 283 (C.A. C.-B.) dans laquelle il a déclaré :

[traduction]

« Il n’y a normalement crainte raisonnable de partialité que lorsqu’il existe des motifs juridiques justifiant la récusation du juge. Les choses ne sont cependant pas toujours aussi simple, parce qu’il faut toujours s’assurer qu’il n’y ait aucune apparence d’injustice. Cela ne permet cependant pas au tribunal de céder devant toute objection véhémente qui lui est adressée au sujet du déroulement de l’instance. Nous entendons tellement d’objections véhémentes de nos jours que nous devons prendre garde de ne pas sacrifier des droits importants simplement pour apaiser ceux qui veulent à tout prix que les choses se passent comme ils l’entendent […] »

Dans des circonstances comme celles en l’espèce, il est tentant pour un juge de première instance de céder devant un plaideur mécontent ou son conseil. Cependant, une telle action aurait pour effet de faire fi des droits des nombreux plaideurs en l’espèce, qui ont jusqu’à maintenant pris part à un procès de presque quatre mois, et d’éliminer ces droits. Mon devoir public est de siéger et de continuer de siéger de façon équitable et impartiale et de tenir le procès jusqu’au bout. Je suis convaincu qu’il est possible de le faire de bonne foi et de façon juste et impartiale.

En effet, le tribunal n’est pas concerné par l’issue de la présente procédure, mais reconnaît les importants droits qui sont en jeu pour les parties et en tient compte. Par conséquent, il s’intéresse seulement à s’acquitter de son devoir en tranchant l’affaire de façon juste et impartiale, et à rendre une décision raisonnablement appuyée par la preuve.

En conclusion, le tribunal ne s’est mis en aucune façon du côté d’une partie ou l’autre. Le dossier ne permet tout simplement pas à une personne raisonnablement informée et bien au courant du contexte et des circonstances d’avoir une crainte raisonnable de partialité. [Notes de bas de page omises.]

[37]      Dans mon examen de la transcription, la façon dont la Commission a réglé les affaires dont elle était saisie est tout à fait sans reproche et aucun argument défendable de partialité ne m’a été présenté ou à la Commission.

D.        La Commission a-t-elle commis une erreur en refusant d’entendre un argument lié à l’abus de procédure?

[38]      M. Bruzzese se plaint que la Commission l’a privé injustement de la possibilité d’attaquer les motifs du défendeur le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le défendeur) de convoquer une enquête. Selon cet argument, la conduite du défendeur équivalait à un abus de procédure destiné à contourner l’incapacité d’extrader. Il s’agissait d’un argument soulevé précédemment devant la Cour à l’appui d’une ordonnance de communication dans le contexte d’un contrôle judiciaire visant l’obtention d’un jugement déclaratoire et une ordonnance d’interdiction. Le juge Peter Annis a refusé d’ordonner une communication parce que l’allégation sous-jacente de mauvaise foi n’avait pas un [traduction] « air de réalité ». On peut en dire autant maintenant de l’argument que l’on me présente : il n’est rien d’autre que pure conjecture.

[39]      Dans une décision interlocutoire rendue le 22 janvier 2015, la Commission a refusé d’entendre la contestation de M. Bruzzese pour abus de procédure pour absence de compétence. Après un examen minutieux de la jurisprudence, notamment quelques opinions contradictoires, la Commission a conclu [aux paragraphes 37 à 42 et 56] :

[traduction] Respectueusement, le Tribunal préfère la trajectoire Rogan et considère que l’abus de procédure et l’argument d’extradition déguisée ne sont pas pertinents à la présente enquête; ils constituent en fait une contestation ou une attaque indirecte ou collatérale de la validité ou de la légalité du rapport et du renvoi, et le Tribunal conclut qu’il n’a aucune compétence pour examiner le rapport ou le renvoi.

Comme il est indiqué plus haut, le paragraphe 162(1) de la LIPR habilite explicitement la Section de l’immigration à tenir compte de toutes les questions de droit, y compris les questions de compétence. Bien que vaste, ce pouvoir est néanmoins limité là où le législateur a, implicitement ou explicitement, enlevé ce pouvoir au Tribunal.

Dans le contexte des enquêtes, l’article 45 de la LIPR, de par son libellé, limite les pouvoirs de la Section de l’immigration. Cet article se lit ainsi :

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l’immigration rend telle des décisions suivantes :

a) reconnaître le droit d’entrer au Canada au citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, à la personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et au résident permanent;

b) octroyer à l’étranger le statut de résident permanent ou temporaire sur preuve qu’il se conforme à la présente loi;

c) autoriser le résident permanent ou l’étranger à entrer, avec ou sans conditions, au Canada pour contrôle complémentaire;

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

Par conséquent, les options sont passablement limitées et, sur le plan pratique, la seule mesure qui peut prendre la Section de l’immigration au terme d’une enquête est celle visée par l’alinéa 45d) de la LIPR. La Section de l’immigration ne peut d’aucune autre façon conclure le processus ou y mettre fin. Cette disposition n’accorde pas à la Section de l’immigration le pouvoir de tirer des conclusions quant à la bonne foi des processus entrepris par l’ASFC, débouchant sur le renvoi de rapports à la Section.

Bien que la Section de l’immigration ait un certain pouvoir concentré pour empêcher un abus de son propre processus dans le cadre de ses propres procédures et de son propre contexte pour s’assurer que les droits en matière de procédure et les droits visés par la Charte sont respectés, son rôle ne peut pas être élargi de façon à inclure l’examen et l’évaluation de mesures prises en vertu de processus périphériques à ses processus, ou à l’extérieur de ces derniers.

Ainsi, l’enquête ne constitue pas la tribune pour approfondir des considérations et des évaluations sur la façon dont le rapport a été préparé ou sur ce qui est à l’origine du rapport et du renvoi. Il s’agit tout simplement du mécanisme visant à déterminer l’interdiction de territoire ou non fondée sur la totalité des éléments de preuve et, lorsque cela est justifié et exigé, le mode pour prendre une mesure de renvoi. Ce résultat, conclut la Cour fédérale, est une conclusion inévitable.

[…]

En conclusion, le Tribunal conclut qu’il n’a pas le pouvoir d’examiner la question d’abus de procédure par le biais de l’argument d’extradition déguisée soulevé par M. Bruzzese. Prendre cet argument en considération reviendrait à entendre une affaire qui n’a rien à voir avec la question centrale de savoir si M. Bruzzese est ou non interdit de territoire au Canada en vertu du paragraphe 37(1) de la LIPR. En outre, le faire équivaudrait à remettre en question la validité ou la légalité du rapport sur l’interdiction de territoire et le renvoi connexe, chose que la Section de l’immigration n’est pas autorisée à faire. [Souligné dans l’original; notes de bas de page omises.]

[40]      Les motifs de la Commission pour refuser d’étendre l’audience à une attaque sur les motifs du défendeur sont réfléchis, exhaustifs et conformes au poids de la jurisprudence applicable. Même si la Commission a formulé la question en litige comme étant une question de compétence, il s’agit toujours d’une question en litige qui fait intervenir l’interprétation de la LIPR. Par conséquent, il s’agit d’une décision qui justifie la retenue. Le fait que M. Bruzzese puisse faire valoir une certaine autorité juridique concurrente ne rend pas la décision déraisonnable. Si j’ai tort quant à l’exigence de faire preuve de retenue à l’égard de cette conclusion, je suis aussi convaincu que la Commission a pris la décision correcte.

E.        La Commission a-t-elle limité injustement le droit de M. Bruzzese de répondre à ce qui lui est reproché?

[41]      Les observations écrites de M. Bruzzese indiquent que la Commission a pris des décisions interlocutoires sans entendre son avocate et a limité le droit de contre-interrogatoire de son avocate. Cependant, il faut signaler que ces allégations ne sont pas étayées par les exemples cités. Mon examen du dossier valide ce que fait valoir le ministre, à savoir que M. Bruzzese a eu amplement accès au contre-interrogatoire de 280 pages du major De Felice qui s’est étalé sur cinq séances, le contre-interrogatoire amical de M. Bruzzese représentant quelque 59 pages de la transcription.

F.         La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

[42]      M. Bruzzese soutient que la Commission a commis une erreur dans son attribution du poids aux éléments de preuve en acceptant, sur parole, les assurances de fiabilité du major De Felice. Rien dans la décision n’étaye cet argument. En effet, les motifs de la Commission traduisent une évaluation sensible, réfléchie et minutieuse des éléments de preuve menant à la conclusion raisonnable que M. Bruzzese était membre de la ‘Ndrangheta et que le ministre s’est acquitté du fardeau de la preuve.

[43]      Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[44]      L’avocate de M. Bruzzese a cinq jours pour proposer une question certifiée et les avocats du ministre auront trois jours pour y répondre.

JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

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