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[2017] 2 R.C.F. 396

[***]

2016 CF 1105

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée par [***] visant la délivrance de mandats en application des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C., 1985, ch. C-23 et en présence du Procureur général du Canada et d’amici;

ET AFFAIRE INTÉRESSANT les activités liées à la menace de [***]

Répertorié : X (Re)

Cour fédérale, juge Noël—Ottawa, 25 et 26 février, 1er et 31 mars, 1er avril et 9 mai; 4 octobre 2016.

Note de l’arrêtiste : Les parties expurgées par ordonnance de la Cour sont indiquées par [***].

Renseignement de sécurité — Mandats — Demande visant la délivrance de mandats et des modifications de certaines conditions figurant dans les ébauches des modèles de mandats présentée par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) en vertu de l’art. 12(1) et de l’art. 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (la Loi) — L’art. 12(1) de la Loi autorise le SCRS à recueillir, au moyen d’enquêtes ou autrement (dans la mesure strictement nécessaire), à analyser et à conserver les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada — L’art. 21 traite de la procédure que doit suivre le SCRS pour demander des mandats si les méthodes d’enquête traditionnelles sont insuffisantes pour faire progresser l’enquête — Le SCRS a créé le Centre d’analyse des données opérationnelles (CADO) pour exploiter toutes les données recueillies au moyen d’enquêtes et en vertu de mandats — Le SCRS conservait des informations de tiers, y compris des données connexes, recueillies dans l’exécution de mandats — Les données connexes sont des données recueillies dans l’exécution de mandats et dont le contenu a été considéré comme non lié à la menace et inutile dans le cadre d’une enquête — Depuis 2006, le SCRS conserve les données connexes pour une période indéterminée; celles-ci sont conservées et incorporées au programme du CADO à des fins d’enquête ultérieures — Il fallait déterminer en l’espèce le sens de l’expression « dans la mesure strictement nécessaire » de l’art. 12(1) de la Loi et ses incidences sur les fonctions du SCRS que sont la collecte, la conservation et l’analyse d’informations — Le demandeur a allégué, entre autres, que l’art. 12(1) ne s’applique pas à l’art. 21 de la Loi sur le SCRS — Il a soutenu que la collecte d’informations relevait exclusivement des paramètres établis à l’art. 21 — Il s’agissait de déterminer principalement si l’omission du SCRS de divulguer et d’expliquer l’existence du programme du CADO depuis son lancement en 2006 constituait un manquement à l’obligation de franchise dont le SCRS doit faire preuve envers la Cour; si le principe de stricte nécessité s’applique également à la fonction de conservation des informations recueillies dans l’exécution de mandats décernés au titre de l’art. 12(1) et des art. 2 et 21 de la Loi sur le SCRS; si les données connexes peuvent être conservées aux fins d’enquêtes ultérieures dans le cadre du programme du CADO, conformément à l’art. 12(1) et aux art. 2 et 21 de la Loi sur le SCRS — Le SCRS a manqué à son obligation de franchise — La Cour ne peut pas examiner adéquatement des mandats lorsqu’elle n’est pas informée des politiques et des pratiques de conservation directement liées aux informations dont elle autorise la collecte par le SCRS — Le SCRS a la lourde obligation de s’assurer que les juges désignés peuvent pleinement remplir leur rôle — La Cour n’a pas été informée « d’une manière claire et transparente » du programme de conservation des données — L’argument voulant que l’art. 21 ne confère pas aux juges de la Cour fédérale un pouvoir de surveillance est inacceptable — Le SCRS doit informer la Cour d’une manière complète, détaillée, claire et transparente de l’usage qu’il fait ou prévoit faire des informations qu’il recueille dans l’exécution des mandats qu’elle décerne — Le qualificatif « dans la mesure strictement nécessaire » restreint le mandat du SCRS — Il s’agissait essentiellement de déterminer si les différentes parties de la Loi sur le SCRS s’appliquent indépendamment les unes des autres — Le mandat du SCRS est limité à la collecte et à la conservation d’informations — Il ne peut conserver les données connexes — L’art. 21 ne crée pas un régime distinct n’ayant absolument aucun lien avec la première fonction du SCRS comme il est décrit à l’art. 12(1) — Au contraire, l’art. 21 vient compléter la première fonction, c’est-à-dire « faire enquête », en établissant des exigences procédurales applicables aux demandes de mandats — L’art. 21 établit un système de contrôle judiciaire dans le cadre du processus de demande de mandats — Les paramètres établis à l’art. 12(1) ne permettent pas au SCRS de conserver à long terme les informations qui ne sont pas liées à la menace ni à la cible — Si les informations recueillies ne répondent pas au principe de stricte nécessité, les trois fonctions (collecte, conservation et analyse des informations) outrepassent le mandat législatif limité du SCRS — Donner cette interprétation aux art. 12(1) et 2 permet de tenir pleinement compte du mandat limité du SCRS — Quant aux changements demandés aux modèles de mandats, confier des responsabilités décisionnelles à tout « employé du Service » dans le libellé des conditions prévues aux mandats aurait une incidence négative sur l’obligation de rendre compte du SCRS — Le transfert des responsabilités décisionnelles du directeur régional général ou de la personne désignée à une catégorie appelée « employés du service » est inapproprié — Il faut s’assurer qu’une décision aussi importante soit prise par un cadre supérieur du SCRS — Les conditions prévues dans les mandats doivent tenir compte de la réalité opérationnelle et s’y adapter — Les tâches opérationnelles relatives à l’examen des informations devraient être confiées à la ressource la plus compétente, pourvu qu’il s’agisse d’une personne précise et non d’une catégorie d’employés — Le directeur général régional doit demeurer entièrement responsable — La Cour a autorisé certains changements aux conditions du mandat en l’espèce et a proposé deux périodes d’examen différentes pour traiter et examiner les informations recueillies en vertu de mandats — Demande accueillie, mais seulement les conditions telles qu’elles étaient énoncées avant les modifications proposées sont acceptées.

Il s’agissait d’une demande visant la délivrance de mandats et des modifications de certaines conditions figurant dans les ébauches des modèles de mandats présentée par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) en vertu du paragraphe 12(1) et de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (la Loi ou Loi sur le SCRS).

Le paragraphe 12(1) autorise le SCRS à recueillir, au moyen d’enquêtes ou autrement (dans la mesure strictement nécessaire), à analyser et à conserver les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada. L’article 21 traite de la procédure que doit suivre le SCRS pour demander des mandats à la Cour fédérale si les méthodes d’enquête traditionnelles sont insuffisantes pour faire progresser l’enquête.

Les modèles de mandats subissent périodiquement des modifications pour qu’ils fassent état des pouvoirs octroyés et de leurs limites. Les modèles doivent être adaptés, entre autres, à l’évolution de la technologie et des méthodes d’enquête. En 2006, le SCRS a créé le Centre d’analyse des données opérationnelles (CADO) pour exploiter toutes les données recueillies au moyen d’enquêtes et en vertu de mandats dans le cadre d’enquêtes en cours et futures grâce à un programme technologique. Ce n’est qu’en 2011 que le SCRS a fait indirectement mention du programme CADO devant la Cour. En janvier 2016, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a rendu public le fait que le SCRS conserve des informations recueillies dans l’exécution de mandats. La Cour a pris conscience pour la première fois que le Service conservait pour une durée indéterminée des informations de tiers recueillies dans l’exécution de mandats. Les données connexes sont des données recueillies dans l’exécution de mandats et dont le contenu a été considéré comme non lié à la menace et inutile dans le cadre d’une enquête ou de poursuites et dans les domaines des affaires internationales ou de la défense du Canada. La preuve a révélé que le SCRS conserve depuis 2006 les données connexes pour une période indéterminée et les incorpore au programme du CADO à des fins d’enquête ultérieures. Il fallait déterminer le sens de l’expression « dans la mesure strictement nécessaire » du paragraphe 12(1) de la Loi et ses incidences sur les fonctions du SCRS que sont la collecte, la conservation et l’analyse d’informations. Il se dégage de l’historique de la Loi sur le SCRS que l’intention du législateur était de limiter de façon importante le mandat et les fonctions du SCRS au regard du paragraphe 12(1).

Le demandeur a allégué, entre autres, que le paragraphe 12(1) ne s’applique pas à l’article 21 de la Loi sur le SCRS. Le demandeur a prétendu que le SCRS est autorisé par le paragraphe 12(1) à obtenir des informations de base et que, à la suite de la délivrance d’un mandat, le paragraphe 12(1) ne s’applique plus et la collecte d’informations relève plutôt exclusivement des paramètres établis à l’article 21. Le demandeur a fait valoir que l’application du qualificatif « strictement nécessaire » tant à la collecte qu’à la conservation constitue une interprétation du libellé qui est contraire à la structure du paragraphe 12(1) et à la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration) (Charkaoui II).

Contrairement à la position du demandeur, les amici soutiennent que le paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS confère au Service un pouvoir exclusif de recueillir et de conserver les informations au cours de ses enquêtes sur des menaces envers la sécurité du Canada. La collecte fortuite est la seule forme de collecte d’informations non liées à la menace qui répond au critère de stricte nécessité énoncé au paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS.

Il s’agissait de déterminer principalement si l’omission du SCRS de divulguer et d’expliquer l’existence du programme du CADO depuis son lancement en 2006 constituait un manquement à l’obligation de franchise dont le SCRS doit faire preuve envers la Cour; si le principe de stricte nécessité s’applique également à la fonction de conservation des informations recueillies dans l’exécution de mandats décernés au titre du paragraphe 12(1) et des articles 2 et 21 de la Loi sur le SCRS; et si les données connexes peuvent être conservées aux fins d’enquêtes ultérieures dans le cadre du programme du CADO, conformément au paragraphe 12(1) et aux articles 2 et 21 de la Loi sur le SCRS.

Jugement : la demande doit être accueillie, mais seulement les conditions telles qu’elles étaient énoncées avant les modifications proposées sont acceptées.

Le SCRS a manqué à son obligation de franchise en omettant d’informer la Cour de son programme de conservation des données connexes. La Cour ne peut pas bien exercer ses fonctions d’examen de mandats très attentatoires lorsque la partie qui comparaît devant elle, ex parte et à huis clos, ne l’informe pas des politiques et des pratiques de conservation directement liées aux informations dont elle autorise la collecte par le SCRS dans l’exécution de mandats qu’elle décerne. Les juges désignés agissent à titre de gardiens contre les pouvoirs intrusifs en assurant un équilibre entre les droits des particuliers et le besoin de l’État d’empiéter sur ces droits pour le bien de la collectivité. Ils doivent également veiller à ce que les méthodes intrusives demandées soient proportionnelles à la gravité de la menace. Les mandats décernés par les juges désignés ont des conséquences directes sur les activités du SCRS et sur les informations susceptibles d’être recueillies et conservées. Compte tenu de sa position unique en tant que demandeur et seule source de preuve devant la Cour, le SCRS a la lourde obligation de s’assurer que les juges désignés peuvent pleinement remplir leur rôle. Si le SCRS limite indûment la communication d’informations dont la Cour a besoin pour rendre de bonnes décisions, le SCRS peut alors être considéré comme un organisme qui manipule le processus décisionnel judiciaire. La Cour n’a pas été informée « d’une manière claire et transparente » de l’établissement du programme de conservation des données. Le SCRS savait qu’il devait informer la Cour des changements importants qu’il apportait à sa politique de conservation d’informations. Malheureusement, la preuve ne permet pas de conclure que le SCRS a intentionnellement omis d’informer la Cour d’une manière claire et transparente. À tout le moins, le SCRS était au courant qu’il devait informer la Cour en 2006, mais il ne l’a pas fait. La position du SCRS voulant que l’article 21 de la Loi sur le SCRS ne confère pas aux juges de la Cour fédérale un pouvoir de surveillance est inacceptable. Le SCRS ne peut décider lui-même de ce dont la Cour devrait être informée ou non. Le SCRS, en raison de sa lourde obligation de franchise, doit informer la Cour d’une manière complète, détaillée, claire et transparente de l’usage qu’il fait ou prévoit faire des informations qu’il recueille dans l’exécution des mandats qu’elle décerne, sans quoi elle n’est pas en mesure de bien s’acquitter de son obligation judiciaire de rendre justice conformément à la primauté du droit.

Le qualificatif « dans la mesure strictement nécessaire » qui se trouve au paragraphe 12(1) permet d’établir que le mandat du SCRS est restreint. Il s’agissait essentiellement de déterminer si les différentes parties de la Loi sur le SCRS s’appliquent indépendamment les unes des autres. Le mandat du SCRS est limité à la collecte et à la conservation d’informations obtenues dans l’exécution de mandats. Le SCRS a le mandat de recueillir des informations liées à la menace, mais il ne peut conserver les données connexes recueillies dans l’exécution de mandats. Les données connexes sont de fait des métadonnées recueillies dans le cadre d’un mandat dont le contenu analogue a été considéré comme non lié à la menace et détruit. L’article 21 s’applique lorsque les méthodes traditionnelles sont insuffisantes pour faire progresser une enquête et qu’il est nécessaire de recourir à des méthodes intrusives. L’article 21 ne crée pas un régime distinct n’ayant absolument aucun lien avec la première fonction du SCRS comme il est décrit au paragraphe 12(1). Au contraire, l’article 21 vient compléter la première fonction, c’est-à-dire « faire enquête », en établissant des exigences procédurales applicables aux demandes de mandats. L’article 21 a été adopté pour établir un système efficace de contrôle judiciaire dans le cadre du processus de demande de mandats. Le paragraphe 12(1) et l’article 2 prévoient des restrictions précises. En ce qui concerne les fonctions principales définies au paragraphe 12(1), l’expression « dans la mesure strictement nécessaire » établit une importante restriction obligatoire aux fonctions du SCRS. La terminologie utilisée montre que la disposition visait à être claire et non ambiguë. Quant à l’article 2, le segment figurant à la fin des définitions de menaces envers la sécurité du Canada, « [l]a présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d) », montre que les activités légitimes (activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord) sont expressément exclues du champ de compétence du SCRS. Ainsi, le mandat et les fonctions du SCRS ne sont pas illimités, mais plutôt clairement restreints par le vocabulaire utilisé pour les décrire. Le paragraphe 12(1) doit être interprété avec logique. La fonction de conservation ne peut logiquement s’appliquer qu’à ce qui a été recueilli sur une base « strictement nécessaire ». S’il étend sa collecte d’informations au-delà de ce que la loi l’autorise à faire, c’est-à-dire s’il outrepasse la portée du mandat ou recueille des informations non liées à la menace, le SCRS ne peut pas conserver ces informations à long terme ni les analyser, puisqu’elles n’auraient pas dû être recueillies au départ. Compte tenu du libellé du paragraphe 12(1), le SCRS ne peut recueillir et conserver des informations uniquement si elles ont été obtenues au moyen d’enquêtes ou autrement et uniquement si elles s’inscrivent dans les limites établies au paragraphe 12(1) et à l’article 2. Les paramètres établis au paragraphe 12(1) ne permettent pas au SCRS de conserver à long terme les informations qui ne sont pas liées à la menace ni à la cible. Un tiers ne devient pas automatiquement une cible au sens de la loi du simple fait qu’il a été en contact avec un individu ou un groupe visé ou avec les moyens de communication de cet individu ou de ce groupe. Les informations non liées à la menace ou à la cible recueillies en raison d’une coïncidence relative au temps ou aux événements ne devraient pas être conservées plus longtemps qu’une courte période d’examen permettant d’établir si elles sont liées à la menace. L’arrêt Charkaoui II rendu par la Cour suprême appuie les conclusions de la Cour portant que le principe de stricte nécessité s’applique également à la fonction de conservation et que l’article 21 n’est pas une disposition indépendante qui s’applique isolément des restrictions prévues au paragraphe 12(1). Le principe de stricte nécessité ne peut logiquement s’appliquer à cette fonction s’il n’est pas question d’informations recueillies et conservées de façon appropriée. L’argument selon lequel le principe de stricte nécessité ne s’applique qu’à la fonction de collecte s’écarte de la question. Les trois fonctions reposent sur l’idée que le Service conserve et analyse seulement les informations légalement recueillies. Il découle directement de cette limite stricte imposée d’emblée à la collecte que les deux autres fonctions peuvent s’appliquer sans contrainte, le filtrage ayant déjà été effectué. Si les informations recueillies ne satisfont pas au principe de stricte nécessité, les trois fonctions outrepassent le mandat législatif limité du SCRS. C’est la seule manière d’interpréter le paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS. Le fait de ne pas donner le plein effet au paragraphe 12(1) est contraire à l’intention du législateur. Donner cette interprétation au paragraphe 12(1) et à l’article 2 permet de tenir pleinement compte du mandat limité du Service. Une telle interprétation permet de reconnaître entièrement la primauté du droit.

Quant aux changements demandés aux modèles de mandats, la Cour craignait que la proposition du SCRS de confier des responsabilités décisionnelles à tout « employé du Service » dans le libellé des conditions prévues aux mandats ait une incidence négative sur l’obligation de rendre compte du SCRS. Les mandats sont de nature exceptionnelle et constituent des méthodes d’enquête intrusives. Il est inapproprié de demander à la Cour d’autoriser le transfert de ces importantes responsabilités décisionnelles du directeur général régional ou de la personne désignée à une catégorie appelée « employés du service ». Dans une telle situation, le concept de responsabilité revêt une grande importance. Il faut s’assurer qu’une décision aussi importante soit prise par un cadre supérieur du SCRS. Il convient d’autoriser un cadre supérieur désigné à prendre la décision puisque cela s’inscrit dans son mandat en vertu de la Loi sur le SCRS, et que cela n’enfreint pas le mandat des juges désignés. Cependant, pour qu’une telle délégation de pouvoirs demeure valide et légale, les informations recueillies doivent être liées à la menace établie dans le mandat et à sa cible. Les conditions prévues dans les mandats doivent tenir compte de la réalité opérationnelle et s’y adapter. Tant que l’obligation de rendre compte demeure importante, parce que la responsabilité ultime repose sur le directeur général régional, les tâches opérationnelles relatives à l’examen des informations recueillies dans l’exécution d’un mandat devraient être confiées à la ressource la plus compétente, pourvu qu’il s’agisse d’une personne précise et non d’une catégorie d’employés. On pourrait donc y mentionner des personnes à condition que le directeur général régional demeure entièrement responsable.

Enfin, la Cour a autorisé certains changements aux conditions du mandat et a proposé deux périodes d’examen différentes pour traiter et examiner les informations recueillies en vertu de mandats. À la suite de ces examens, les informations (le contenu et les données connexes) considérées comme inutiles à l’enquête sur une menace ou dans le cadre de poursuites ou dans les domaines de la conduite des affaires internationales ou de la défense du Canada doivent être détruites.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8.

Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres lois, L.C. 2015, ch. 9.

Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada, L.C. 2015, ch. 20, art. 2.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 « menaces envers la sécurité du Canada », 12, 12.1(1), 13, 14, 15, 16, 19, 21, 21.1, 40(1), 41, 42, 53, 54.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, ch. 21.

Projet de loi C-9, Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité, édictant la Loi concernant la poursuite de certaines infractions en matière de sécurité et dans des domaines connexes et modifiant certaines lois en conséquence ou de façon corrélative, 2e sess., 32e lég., 1984.

Projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence, 1re sess., 42e lég., 2015.

Projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres lois, 2e sess., 41e lég., 2015.

Projet de loi C-157, Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité, 1re sess., 32e lég., 1983.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684, confirmant 2013 CF 1275, [2015] 1 R.C.F. 635; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33; Renvoi relatif à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, 2012 CF 1437, [2014] 2 R.C.F. 514.

DÉCISIONS CITÉES :

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657; Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111; Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), [1998] 1 C.F. 420 (1re inst.).

DOCTRINE CITÉE

Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vols. 1-2, partie V, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981.

Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Premier rapport : Sécurité et Information, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1980.

Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Troisième rapport : Certaines activités de la GRC et la connaissance qu’en avait le gouvernement, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981.

Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2014-2015. « Vers de nouveaux horizons : préparer le terrain du changement dans la surveillance des activités de renseignement de sécurité ». Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2015.

Canada. Commission royale d’enquête sur la sécurité. Rapport de la commission royale d’enquête sur la sécurité, Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1969.

Canada. Conseil privé. Le rapport de la Commission royale, nommée sous le régime de l’arrêté en conseil C.P. 411 du 5 février 1946 pour enquêter sur les faits intéressant et les fonctionnaires publics et autres personnes occupant des postes de confiance, de renseignements secrets et confidentiels aux agents d’une puissance étrangère : le 27 juin 1946, Ottawa : Imprimeur du Roi, 1946.

Canada. Loi et division de la recherche du gouvernement. Service canadien du renseignement de sécurité : comparaison entre les projets de loi C-157 et C-9, Ottawa : Bibliothèque du Parlement, 1984.

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Une période de transition mais non de crise : Rapport du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, septembre 1990.

Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule no 28 (3 et 10 avril, 24 mai, 7 juin 1984).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 32e lég., 2e sess. (10 février 1984).

Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, novembre 1983.

Côté, Pierre-André, Interprétation des lois, 4e éd. Montréal : Éditions Thémis, 2009.

Solliciteur général du Canada. Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90 : Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, février 1991.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : Lexis Nexis, 2014.

DEMANDE visant la délivrance de mandats et des modifications de certaines conditions figurant dans les ébauches des modèles de mandats présentée par le Service canadien du renseignement de sécurité en vertu du paragraphe 12(1) et de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. La demande doit être accueillie, mais seulement les conditions telles qu’elles étaient énoncées avant les modifications proposées sont acceptées.

ONT COMPARU

Robert Frater, Katia Bustros, Karla Unger et Anna Walsh, pour le demandeur.

François Dadour et Gordon Cameron à titre d’amici curiae.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Table des matières

Paragraphe

I.          Introduction

1

A.        Aperçu

1

B.        Les faits

9

C.        Terminologie et concepts utiles

26

1)         Phases d’une enquête de renseignement

27

2)         Qu’entend-on par données connexes?

31

3)         Moyens opérationnels du SCRS liés à l’exploitation de données

37

D.        Lois applicables

46

E.        Aperçu historique

50

II.         Arguments

56

A.        Arguments du procureur général et des avocats du SCRS

56

1)         Le paragraphe 12(1) ne s’applique pas à l’article 21 de la Loi sur le SCRS

58

2)         Arguments relatifs au droit à la vie privée

64

3)         Modifications proposées aux conditions

67

B.        Arguments des amici curiae

69

1)         Le paragraphe 12(1) s’applique à l’article 21

73

2)         Arguments relatifs aux droits à la vie privée

78

3)         Propositions concernant les modifications aux conditions prévues dans les mandats

81

III.        Questions en litige

85

IV.       Analyse

86

A.        L’obligation de franchise

86

B.        Mandat limité du SCRS

109

1)         Principes d’interprétation

110

2)         Méthode contextuelle

117

a)         Commission McDonald

120

b)         Le projet de loi C-157 et le Rapport Pitfield

133

c)         Le projet de loi C-9

137

d)         Le Comité permanent de la justice et des questions juridiques

139

e)         Examen quinquennal et réponse du gouvernement

146

3)         Le régime de la Loi sur le SCRS : Analyse téléologique et textuelle

150

a)         Détermination des fonctions principales et secondaires du Service

159

b)         Précisions sur les fonctions secondaires

164

c)         Distinction entre les effets de l’article 21 sur le paragraphe 12(1) et l’article 16

167

d)         Contrôle judiciaire découlant de l’article 21

170

e)         Distinction entre « motifs raisonnables de croire » et « motifs raisonnables de soupçonner »

173

f)          Commentaires sur la partie III – Surveillance (CSARS et projet de loi C-22)

176

g)         Précisions sur le paragraphe 12(1)

181

4)         Considérations additionnelles

189

a)         Différences et similarités avec l’arrêt Charkaoui II

189

5)         Conclusions principales

196

C.        Effets pratiques

201

1)         Changements demandés aux modèles de mandats

201

a)         Ajout d’une condition relative aux [***] aux mandats sur [***] et sur [***]

204

b)         Ajout d’une condition autorisant la conservation [***]

208

c)         Ajout d’une condition régissant [***] aux mandats sur [***]

212

d)         Destruction des informations

217

e)         Proposition concernant la délégation de pouvoirs et la responsabilité (remplacement de « directeur régional ou la personne désignée » par « employés du Service »)

220

(i)         Commentaires généraux

221

(ii)        [***]

224

(iii)       [***]

228

(iv)       Autres changements : remplacement de « directeur général régional ou la personne désignée » par « employés désignés du Service » pour examiner les informations de tiers recueillies en vertu de mandats

231

f)          Suppression de la condition 2 du mandat sur [***]

236

g)         Modification du mandat sur [***] et du mandat sur [***] en ce qui concerne la condition 3

238

h)        Ajout d’une nouvelle condition 3 au mandat sur [***]

240

i)          Précisions sur les communications entre un avocat et son client et autres changements, dont certains sont déjà convenus

241

j)          Autres changements demandés à la suite des audiences en banc : nouvelle définition de « données connexes », communication et période de conservation de [***] au lieu d’une période indéterminée

247

2)         Autres commentaires : processus en deux étapes pour examiner les informations recueillies en vertu d’un mandat

252

V.        Conclusion

254

A.        Conclusions à l’égard des questions précisément énoncées

254

B.        Observations finales

260

VI.       Annexe

A.        Dispositions législatives applicables

B.        Bibliographie

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Noël :

I.          Introduction

A.        Aperçu

[1]        Dans la présente demande visant la délivrance de mandats présentée par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS, également appelé le Service) auprès d’un juge désigné de la Cour fédérale en vertu du paragraphe 12(1) et de l’article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (la Loi sur le SCRS [ou la Loi]), le SCRS, outre des mandats spécifiques, demande également à la Cour de modifier certaines conditions figurant dans les ébauches des modèles de mandats (ci-après appelées « modèles de mandats »). La présente demande découle de trois situations : la décision de la Cour d’appel fédérale dans X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684, l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres lois [L.C. 2015, ch. 9], et la discussion continue entre le SCRS et la Cour sur la nécessité de protéger les informations de tiers recueillies dans l’exécution de mandats, notamment dans le dossier [***]. À la suite de la publication du rapport annuel 2014-2015 du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le Rapport du CSARS) à la fin du mois de janvier 2016, de nouveaux éléments de preuve ont été déposés relativement à un programme de collecte et conservation d’informations du SCRS. La Cour n’a jamais été pleinement informée de l’existence du programme. La Cour a appris durant les audiences que le programme existait depuis 2006, mais elle n’a jamais entendu ni vu d’éléments de preuve à ce sujet avant les récentes audiences. Étant donné que je fournirai des détails plus loin, il est suffisant de noter pour l’instant que, pour le SCRS, les « données connexes » constituent un type spécifique de métadonnées obtenues auprès de fournisseurs de service. Bien que les présents motifs reposent sur la définition de « données connexes » du SCRS, j’estime qu’il est nécessaire d’adapter l’expression au contexte juridique et judiciaire en l’espèce (voir les paragraphes 31 et suivants). (Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2014-2015 : « Vers de nouveaux horizons : préparer le terrain du changement dans la surveillance des activités de renseignement de sécurité » (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2015).) (Projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres lois, 2e sess., 41e lég., 2015.)

[2]        Après la publication du Rapport du CSARS, la Cour a convoqué une audience en banc au cours de laquelle il a été discuté des modifications proposées aux conditions figurant dans les modèles de mandats ainsi qu’au programme de collecte et de conservation. Tous les juges désignés disponibles assistent à une audience en banc, peuvent y participer et entendent la preuve produite. Cette formule est utile puisqu’elle permet la présentation d’éléments de preuve pouvant avoir trait aux demandes de mandats éventuelles et aide à éviter la répétition. Les juges désignés peuvent également bénéficier du point de vue de chacun. Durant la présente audience en banc, la Cour a entendu la preuve relative aux demandes de mandats pendant quatre jours.

[3]        Le juge en chef m’a chargé de traiter toutes les questions soulevées dans la présente demande. Cela signifie que, même si tous les juges désignés ont assisté aux audiences, je suis l’unique décideur en l’espèce, et je rédige les présents motifs en toute indépendance judiciaire. À l’« annexe B » des présents motifs, j’ai joint non seulement une bibliographie des documents soumis par les groupes d’avocats concernés, mais également toutes les sources de documents que je considère comme des lectures essentielles aux fins du présent dossier. La quantité de documents consultés est imposante, mais cela est nécessaire pour bien comprendre l’ensemble des questions dont la Cour est saisie en ce moment. Les groupes d’avocats ont fait référence aux rapports de la Commission McDonald ainsi qu’à des extraits du Hansard et d’un comité de la Chambre des communes, lesquels seront abordés, cités et mis en contexte plus loin. Après avoir lu attentivement les observations et les recueils de jurisprudence soumis, pour bien remplir mon rôle de juge, j’ai estimé qu’il était nécessaire de consulter en détail le contenu des sources principales mentionnées par les avocats afin de vérifier l’intention du législateur (voir, par exemple, le paragraphe 62 des présents motifs). De plus, j’ai pris connaissance du rapport découlant de la disposition d’examen prévue dans la Loi sur le SCRS, et de la réponse correspondante.

[4]        Vu les questions importantes que soulèvent les modifications proposées aux conditions des mandats et le programme de collecte et de conservation, j’ai nommé deux amici curiae (M. Gordon Cameron et M. François Dadour) (les amici) qui ont participé aux audiences en banc, reçu toute la documentation, contre-interrogé les témoins, et déposé des observations. J’ai pu bénéficier des observations écrites du procureur général, des avocats du SCRS et des amici nommés. J’ai finalement décerné les mandats, mais seulement accepté les conditions telles qu’elles étaient énoncées avant les modifications proposées. Ainsi, je me suis fondé sur des conditions formulées et examinées pendant plusieurs années et j’ai pris en délibéré les modifications proposées aux modèles de mandats. J’ai également pris en délibéré les modifications relatives à la question des informations recueillies et conservées dans l’exécution d’un mandat ainsi que les autres modifications proposées.

[5]        Le libellé, le contexte et l’objet de la Loi sur le SCRS entourant l’adoption du paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS, qui correspondait à l’article 12 avant 2015, établissent que le fait de limiter strictement le mandat du SCRS faisait partie intégrante de l’intention du législateur. À ce titre, les fonctions liées à la collecte et à la conservation des informations ne doivent être exercées que si elles sont strictement nécessaires. Cependant, la Cour estime que limiter strictement la fonction d’analyse du SCRS est injustifié et contraire à l’intention de départ du législateur et au sens commun. Dans la mesure où les informations analysées sont recueillies et conservées parce qu’elles sont liées à la menace au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS, aucune limite ne doit être imposée à la portée de l’analyse susceptible d’être menée par le Service.

[6]        Les informations recueillies et conservées en vertu du paragraphe 12(1) et de l’article 21 de la Loi sur le SCRS doivent être liées à une menace envers la sécurité du Canada et à la cible du mandat. L’article 21 ne s’applique pas indépendamment du mandat premier et des fonctions principales énoncées au paragraphe 12(1). Soulignons que constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités définies à l’article 2 qui, selon l’enquête, impliquent la cible. Actuellement, pour conserver des informations conformément aux conditions d’un mandat, le SCRS doit les examiner durant la période d’un an fixée à l’alinéa 21(5)b) pour déterminer si elles sont effectivement liées à la menace établie ou susceptibles d’être utiles aux fins de poursuite ou en matière de défense nationale ou d’affaires internationales. En particulier, en raison des activités reconnues comme illégales, les informations qui ne sont pas liées à la menace et qui visent des tiers ne doivent pas être conservées puisqu’elles ne s’inscrivent pas dans la portée des mandats décernés par la Cour.

[7]        En outre, le SCRS a manqué à son obligation de franchise envers la Cour en omettant de l’informer d’une manière claire et transparente du programme de conservation, notamment en ce qui a trait aux données connexes recueillies et conservées dans l’exécution de mandats. Chacune de ces conclusions sera abordée en détail dans les présents motifs, lesquels comprennent également les conclusions quant aux modifications proposées aux modèles de mandats.

[8]        En vue de présenter cette décision complexe, je passe maintenant à une description de la structure générale des motifs qui suivront. Premièrement, je donnerai un aperçu des faits, de la terminologie, des lois et de l’historique législatif en cause. Deuxièmement, j’exposerai les observations présentées par le procureur général, les avocats du SCRS et les amici. Troisièmement, j’énoncerai les questions en litige soulevées. Quatrièmement, j’effectuerai une analyse qui contiendra plusieurs chapitres. Le premier chapitre traitera de l’obligation de franchise. Le second chapitre, le plus long, portera sur la question de savoir pourquoi la première fonction du SCRS, c’est-à-dire faire enquête sur des menaces, est limitée « dans la mesure strictement nécessaire » (paragraphe 12(1) et articles 2 et 21). Ensuite, le troisième chapitre explorera les effets pratiques de mes conclusions sur le Service, notamment en ce qui concerne les modifications demandées aux modèles de mandats. Finalement, je présenterai une brève conclusion et ajouterai des observations finales. Il sera suggéré que la loi de 1984 fasse l’objet d’une révision afin de répondre aux besoins présents et futurs, accompagnée d’une adaptation aux nouvelles technologies en jeu. Il sera utile de discuter de nouveau des avantages d’assurer une meilleure sécurité nationale, mais d’une manière qui porte atteinte le moins possible au droit à la vie privée. Il est nécessaire d’effectuer une mise en balance adéquate de ces nouvelles technologies.

B.        Les faits

[9]        Les juges désignés surveillent toujours de près la formulation des mandats. Ils veillent sans cesse à ce que les pouvoirs conférés par les mandats soient clairement définis, que les informations recueillies et les mesures prises soient proportionnelles à la menace et que ces informations ne soient liées qu’à la cible du mandat et non à des tiers innocents qui n’ont rien à voir avec les faits décrits relativement à la menace dans chaque demande de mandat.

[10]      Les mandats sont des documents évolutifs qui exigent un examen continu par les juges désignés, étayé par les observations des avocats du SCRS et des amici nommés (lorsque cela est jugé nécessaire). Les modèles de mandats subissent périodiquement des modifications pour qu’ils fassent fidèlement état des pouvoirs octroyés et de leurs limites. Les modèles doivent être adaptés à l’évolution de la technologie, des méthodes d’enquête, des programmes et moyens de communications et de la jurisprudence ainsi qu’aux nouvelles dispositions législatives et aux modifications à la Loi sur le SCRS. Les présents motifs sont un exemple d’un tel examen périodique sur les conditions figurant dans les modèles de mandats.

[11]      En 2005, un groupe d’étude du SCRS a recommandé que le Service conserve toutes les données recueillies au moyen d’enquêtes et en vertu de mandats en vue de les exploiter dans le cadre d’enquêtes en cours et futures grâce à un programme technologique. Ainsi, le Centre d’analyse des données opérationnelles (le CADO) a été créé et est devenu opérationnel en avril 2006.

[12]      Le SCRS avait initialement l’intention de présenter le programme du CADO à la Cour et de solliciter ses commentaires ainsi que d’exposer sa nouvelle position sur la conservation de données non liées à la menace recueillies dans l’exécution de mandats (voir le paragraphe 31). Il a présenté le programme au ministre responsable, mais non à la Cour. Ce n’est qu’en décembre 2011, lors d’une audience en banc tenue pour examiner les modifications proposées aux modèles de mandats par suite de l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326 (ci-après appelé « Charkaoui II », vu que l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, « Charkaoui I », a été rendu antérieurement), qu’il a été fait indirectement mention du programme. Lorsque je les ai invités à ajouter quelque chose à titre d’observation finale, les avocats du SCRS ont mentionné le programme, mais n’ont pas précisé son nom ni en quoi il consistait. Ils ont affirmé que [traduction] « ce sont d’autres changements mineurs aux conditions qui, selon nous, apportent des précisions […] nous avons également tenté d’améliorer la formulation […] non pas de changer, mais d’améliorer la formulation ». Je reviendrai là-dessus plus tard (voir la transcription du dossier [***] datée du [***], aux pages 83 à 85).

[13]      En fait, ces « changements mineurs » permettent d’établir une distinction entre les « données connexes » et le « contenu ». Les informations considérées comme du « contenu », selon les conditions applicables des mandats, doivent être détruites. En insérant le terme « contenu » dans la condition, le SCRS l’a effectivement rendue muette sur les « données connexes ». Ce changement n’a pas été apporté en réaction à Charkaoui II, mais plutôt pour des raisons opérationnelles, comme le montrent le dossier historique du CADO et l’usage des données connexes.

[14]      Dans la foulée de ces « changements mineurs » en apparence anodins, le SCRS a adopté la position selon laquelle il avait expliqué d’une « manière claire et transparente » la conservation de données connexes à la Cour. Cependant, le CSARS, qui a étudié l’usage de métadonnées par le SCRS, a conclu dans son rapport annuel 2014-2015 que le SCRS aurait dû être plus explicite à l’égard de la Cour.

[15]      Après deux jours d’audience en banc en mars 2016, dans une lettre datée du 29 avril 2016, le procureur général et les avocats du SCRS ont reconnu que la Cour n’était pas [traduction] « entièrement informée des pratiques du Service en matière de conservation de données connexes » et qu’« [i]l était profondément regrettable que cela n’ait été fait que récemment ».

[16]      Au milieu de l’année 2015, dans la demande de mandats [***] qui m’a été assignée, le SCRS a proposé une série de modifications aux conditions prévues dans les modèles de mandats par suite de l’arrêt X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684 [précité] à son tour donnant effet à la décision X (Re), 2013 CF 1275, [2015] 1 R.C.F. 635, et compte tenu de l’entrée en vigueur du projet de loi C-44, aussi appelé Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres lois. En raison de l’importance des changements demandés, un amicus curiae, M. Gordon Cameron, a été nommé.

[17]      Dans la demande [***], la Cour a examiné les modifications proposées par le SCRS qui visaient à assurer la conformité avec la nouvelle loi, surtout en ce qui a trait à l’échange d’informations avec des services de renseignement étrangers. Cette question a été résolue avec la participation des avocats du SCRS et de l’amicus : les modifications aux modèles de mandats ont été acceptées pour imposer au SCRS l’obligation de tenir compte d’un préjudice possible à la personne concernée en conséquence de l’échange d’informations. J’ai soulevé d’autres questions dans cette même demande, notamment l’engagement du SCRS [***] et la question de la collecte et de la conservation d’informations qui ne sont pas liées à la menace et qui visent des tiers. Ces discussions visaient en premier lieu à débattre de la possibilité d’instaurer une période d’examen aux fins de la conservation inférieure à [***]. Six audiences ont été tenues pour discuter de toutes ces questions; j’ajouterai des commentaires à ce sujet plus loin. La demande de mandats dans le dossier [***] a été accueillie sous réserve de modifications concernant l’échange d’informations.

[18]      Les avocats du SCRS ont demandé du temps pour examiner les autres questions à la lumière des besoins opérationnels pertinents du Service. À leur demande, la période accordée pour répondre aux préoccupations de la Cour a été prolongée deux fois par rapport à l’échéance initiale du mois de septembre 2015, d’abord jusqu’en octobre, puis jusqu’en décembre 2015. Ce n’est que le 8 décembre 2015 que les avocats du SCRS ont abordé, dans une lettre à la Cour, la définition du terme « détruit » et la période d’examen requise par le SCRS pour décider des informations qui peuvent être conservées conformément aux conditions des mandats. La lettre contenait de nombreuses modifications aux modèles de mandats. En aucun temps durant les nombreuses audiences ni dans quelconque correspondance après coup a-t-on mentionné que le SCRS conservait des données non liées à la menace et concernant des tiers, comme le précisent les conditions requises pour qu’un mandat soit décerné, bien que la question de la conservation soit au cœur des préoccupations de la Cour lorsqu’il s’agit d’informations non liées à la menace et concernant des tiers. Toutes les autres modifications demandées dans le dossier [***] ont dû être traitées dans une autre demande de mandats.

[19]      L’examen de certaines modifications a été assez facile. Dans une directive émise le 11 janvier 2016, la Cour a accepté la modification concernant le terme « obtention » et une seconde modification visant à raccourcir la période de conservation pour certains types de mandats [***] au lieu [***] pour les mandats [***]. La même directive prévoyait une autre audience en banc pour aborder les autres changements importants demandés, ce qui exigeait un témoignage oral. Cette audience en banc, qui est devenue le dossier [***], soit la présente instance, devait se dérouler les 25 et 26 février 2016. Deux autres jours d’audiences ont eu lieu le 31 mars et le 1er avril 2016.

[20]      Dans la présente demande, le SCRS sollicite les modifications suivantes aux modèles de mandats :

[traduction]

a) Une disposition permettant au Service de conserver [***];

b) Une nouvelle condition permettant au Service de conserver [***];

c) Une nouvelle condition régissant spécifiquement et explicitement [***];

d) Une nouvelle condition énonçant explicitement que les informations détruites en application d’une condition prévue à un mandat [***];

e) Un nouveau libellé décrivant les personnes responsables de déterminer si les informations, les communications, ou les communications orales recueillies devraient être conservées, c’est-à-dire le remplacement de tous les renvois au « directeur général régional ou [à] la personne désignée »;

f)   Une série de changements stylistiques ou mineurs.

(Voir les observations écrites du demandeur, au paragraphe 12.)

Concernant la condition e), par suite de l’audience en banc, le SCRS propose désormais que l’expression soit remplacée par « directeur régional » pour certaines décisions et par les « employés du Service » pour d’autres.

[21]      Le Rapport du CSARS, déposé le 28 janvier 2016 à la Chambre des communes, a rendu public le fait que le SCRS conserve des informations recueillies dans l’exécution de mandats. J’ai alors pris conscience pour la première fois que le Service conservait pour une durée indéterminée des informations de tiers recueillies dans l’exécution de mandats.

[22]      Le lendemain de ma lecture du Rapport du CSARS, dans le cadre de la demande [***] (le présent dossier), j’ai émis une directive au SCRS l’informant que la prochaine audience en banc prévue pour la fin du mois de février 2016 devrait porter sur cette nouvelle question et qu’un affidavit devait être déposé pour [traduction] « expliquer en ordre chronologique les diverses interprétations adoptées par le SCRS quant à l’usage des métadonnées et aux pratiques de conservation, en mentionnant les libellés pertinents des mandats, les dates des changements proposés aux libellés accompagnés de la référence exacte dans la demande de mandats, par laquelle les avocats ont porté à l’attention de la Cour la nature de l’usage des métadonnées, dont l’usage et la conservation sont, selon le Service, en conformité avec l’exception applicable aux conditions prévues dans les mandats ». J’ai demandé que l’auteur de l’affidavit soit disponible pour un interrogatoire pendant les deux jours déjà prévus et que des amici soient nommés pour aider la Cour; M. Gordon Cameron et M. François Dadour ont été nommés.

[23]      Le même jour, le greffe des instances désignées de la Cour fédérale a reçu une lettre du sous-procureur général adjoint (Litiges) adressée au juge en chef de la Cour fédérale. La lettre précisait que, lors de l’audience en banc du 16 décembre 2011, le SCRS avait [traduction] « clairement informé […] du programme de conservation des données connexes ». La lettre expliquait également que, [traduction] « pour éviter toute confusion quant à la question à régler », les avocats avaient déjà apporté les changements dans les affidavits à l’appui des deux demandes de mandats [***], au paragraphe 91 et [***], au paragraphe 71) en ajoutant l’information suivante et en la portant à l’attention du juge présidant l’audience.

[traduction] « Lorsqu’une communication est interceptée, le Service obtient le contenu de la communication, mais également ses données connexes. Les données connexes à une communication recueillies par le Service sont conservées, sauf dans les deux situations suivantes :

a) les données connexes aux communications avocat-client sont détruites en même temps que le contenu de la communication, conformément aux conditions relatives aux communications entre un avocat et son client prévues dans les mandats;

b) les données connexes à certaines conversations interceptées en vertu d’un mandat [***] sont détruites en même temps que le contenu conformément aux conditions prévues dans le mandat. »

Contrairement à ce qui a été dit dans cette lettre, l’information en question n’a pas été abordée par les avocats du SCRS durant les audiences tenues en 2015. Par conséquent, ce que le sous-procureur général adjoint (Litiges) a écrit dans sa lettre n’était pas exact. Lors du premier jour des audiences en banc, les avocats du SCRS ont affirmé ce qui suit :

[traduction] « Il est regrettable que l’ajout de données connexes dans l’affidavit n’ait pas été mentionné à l’audience du mois d’août. Avec le recul, c’est assurément quelque chose qui aurait dû être porté à l’attention de la Cour pour expliquer en contexte cet ajout. »

(Voir la transcription de l’audience en banc datée du 25 février 2016, à la page 58.)

Comme il a déjà été mentionné, et je m’y attarderai plus tard, le procureur général et le SCRS reconnaissent désormais que l’existence du programme de conservation des données recueillies en vertu de mandats n’a pas été clairement communiquée.

[24]      Le juge en chef, après avoir reçu davantage d’informations à la suite d’un échange de lettres avec le sous-procureur général adjoint (Litiges), a convoqué une autre audience en banc pour examiner les questions systémiques découlant de la conduite du SCRS envers la Cour relativement au programme de conservation de données connexes et à d’autres préoccupations s’y rapportant. Cette audience en banc, dans laquelle le sous-procureur général adjoint et le directeur du SCRS ont comparu, a été tenue le 10 juin 2016 en après-midi. Les motifs qui suivent ne traitent pas de l’audience du 10 juin 2016, mais des diverses questions soulevées dans le dossier [***] (le présent dossier) au sujet du programme du CADO et de la question suivante : la Cour a-t-elle été informée adéquatement de son existence? Comme il a été dit, les présents motifs traitent également des modifications demandées par le SCRS par suite des audiences tenues dans le cadre du dossier [***], qui a donné lieu à la lettre datée du 8 décembre 2015 dont il est fait mention au paragraphe 18.

[25]      Les audiences en banc sur ces questions, que j’ai présidées, ont duré quatre jours en février, en mars et en avril 2016. Cinq affidavits ont été déposés et trois de leurs auteurs ont été interrogés par les avocats du SCRS, par les amici et par certains juges désignés, dont moi-même. Un grand nombre de pièces ont été produites. Tant la preuve orale que la preuve manuscrite portaient sur le CADO, sur la conservation de données connexes et sur les fondements opérationnels des modifications demandées aux modèles de mandats. Les deux groupes d’avocats ont déposé des observations écrites, et les avocats du procureur général et le SCRS ont envoyé une réplique. Après avoir passé en revue le fondement factuel des présents motifs, j’exposerai maintenant en détail certains termes et concepts utiles.

C.        Terminologie et concepts utiles

[26]      Avant de commencer, je tiens à souligner que le vocabulaire et les définitions que j’emploie sont utiles pour établir la portée des présents motifs, mais qu’ils ne seront pas obligatoires dans toute autre circonstance. Je suis conscient du fait que le SCRS et d’autres parties utilisent des définitions et concepts différents pour répondre à leurs propres besoins. D’abord, je décrirai les phases d’une enquête de renseignement. Ensuite, je définirai l’expression « données connexes » et enfin, je présenterai un résumé du programme du CADO, comme en fait état la preuve.

1)         Phases d’une enquête de renseignement

[27]      En premier lieu, le SCRS établit, à l’étape initiale d’une enquête, l’identité des « personnes d’intérêt » (personnes, groupes, ou gouvernements) qui, pour une raison quelconque, ont attiré son attention parce qu’elles sont susceptibles d’être liées à une menace. Une personne peut avoir attiré l’attention du SCRS de différentes manières, notamment parce qu’elle a fait l’objet d’un signalement, qu’elle a adopté certains comportements ou qu’elle a été mentionnée dans le cadre d’une enquête nationale ou internationale. À cette étape initiale, le SCRS consultera sa base de données et les informations du domaine public pour déterminer s’il existe un lien entre les faits et la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » figurant à l’article 2. À cette étape d’évaluation initiale, la cible de l’enquête est qualifiée de « personne d’intérêt ». Le tableau qui suit résume les trois phases et les expressions correspondantes :

Étape 1

« personne d’intérêt »

Étape 2

« personne faisant l’objet d’une enquête »

Étape 3

« cible d’une enquête »

[28]      En deuxième lieu, en vertu du paragraphe 12(1), si le SCRS a des motifs raisonnables de soupçonner que les faits concernant ou impliquant la personne d’intérêt se rapportent à des activités susceptibles de constituer une menace envers la sécurité au sens de l’article 2, la personne fait alors l’objet d’une enquête. Le SCRS peut employer des méthodes d’enquête traditionnelles, par exemple la mise à contribution d’une source humaine ou le recours à la filature et aux autres outils et méthodes normalement utilisés par les forces policières ou les services de renseignement. Cette étape de l’enquête ne permet pas l’usage de méthodes d’enquête intrusives qui exigent un mandat.

[29]      En troisième lieu, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’un mandat est nécessaire pour enquêter sur la menace, le Service peut alors, sous réserve de l’approbation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, présenter une demande de mandat conformément aux paragraphes 21(1) et 21(2) de la Loi. Si le SCRS présente une telle demande et que celle-ci est accueillie, un mandat est décerné et la personne désignée dans la demande devient la « cible d’une enquête ». Le tableau ci-après, non exhaustif, résume mes explications :

Étape

Critère

Nomenclature

Portée des moyens d’enquêtes

Étape 1

Le SCRS se rend compte qu’il s’agit peut-être d’une personne d’intérêt.

« personne d’intérêt »

Informations du domaine public et recherches dans des bases de données

Étape 2

Le SCRS a des motifs raisonnables de soupçonner que la personne constitue peut-être une menace.

« personne faisant l’objet d’une enquête »

(paragraphes 12(1) et (2))

Méthodes d’enquête traditionnelles

Étape 3

Le SCRS a des motifs raisonnables de croire que des mesures intrusives sont nécessaires pour enquêter sur la menace, et le mandat est décerné.

« cible d’une enquête »

(paragraphes 12(1) et (2) et article 21)

Méthodes d’enquête traditionnelles et intrusives

[30]      Ces descriptions des phases d’une enquête effectuée au titre de la Loi sur le SCRS sont les miennes; il se peut que le SCRS utilise un vocabulaire ou des concepts différents à ses propres fins. L’explication de ces phases vise à montrer que les présents motifs portent sur les informations recueillies dans l’exécution de mandats décernés par la Cour fédérale. En particulier, les présents motifs ne traitent pas d’autres formes de collecte puisqu’il n’y a pas eu de preuve présentée à cet égard. Toujours est-il que les présents motifs peuvent établir des principes généraux à des fins ultérieures. Cela dit, les données connexes sont une composante essentielle des présents motifs, et j’entends exposer le concept comme le SCRS le décrit et également comme en fait état la preuve.

2)         Qu’entend-on par données connexes?

[31]      Bien que le concept de « données connexes » soit large, puisqu’il englobe en fait les informations de tiers et les informations liées à la menace et à la cible, j’entends me pencher spécifiquement sur la légalité de la conservation d’informations non liées à la menace et d’informations de tiers. Les informations de tiers, c’est-à-dire celles qui ne sont pas liées à la menace, sont fréquemment recueillies dans l’exécution de mandats. La conservation de telles informations préoccupe la Cour, parce qu’elles ne sont liées ni à la menace ni à la cible. Les conditions figurant dans les mandats obligent le SCRS à examiner les informations de tiers qu’il a recueillies pour déterminer si elles répondent à ces conditions et si elles peuvent ainsi être conservées. Le SCRS utilise l’expression « données connexes » pour décrire ce type particulier d’informations obtenues auprès de fournisseurs de service. Le SCRS a décrit l’expression comme suit dans un affidavit, mais je souligne que les témoins y ont fait référence parfois d’une façon plus générale dans leurs témoignages :

[traduction] [Les] informations associées à une communication, par exemple [***].

(Voir l’affidavit supplémentaire de [***], déposé le 22 février 2016, à la page 18, note de bas de page 10.) (Voir la transcription datée du jeudi 31 mars 2016 [Interrogatoire de [***]] aux pages 41 et 42.) (Voir la transcription datée du jeudi 31 mars 2016 [contre-interrogatoire de [***] par M. Dadour] aux pages 77 à 80, 90 et 100 à 103.)

[32]      Aux termes des présentes conditions 2 ou 3 figurant dans les modèles de mandats, le SCRS dispose [***] pour examiner les informations recueillies dans l’exécution de mandats afin de s’assurer que les informations concernant des tiers sont effectivement liées à la menace, sans quoi elles doivent être détruites. Lors de son examen, le SCRS doit avoir des motifs raisonnables de croire que les informations peuvent être liées à l’enquête sur une menace, servir dans le cadre d’une enquête de renseignement ou de poursuites ou concerner la conduite des affaires internationales ou la défense du Canada. Un tel examen confère au SCRS un certain pouvoir discrétionnaire. La condition définissant ces paramètres se lit comme suit :

[traduction] « Sous réserve de la condition 1, tout document ou objet qui a été obtenu en vertu du présent mandat et qui n’est pas destiné à [la cible] ou [qu’elle] n’a pas envoyé doit être examiné par le directeur général régional ou la personne désignée. Toute copie du document ou de l’objet doit être détruite dans un délai [***] suivant l’obtention, à moins qu’il existe des motifs raisonnables de croire, à la suite de cet examen, que le document ou l’objet peut, selon le cas : a) aider l’enquête sur une menace envers la sécurité du Canada; b) servir dans le cadre d’une enquête ou de poursuites relatives à une infraction présumée à une loi fédérale ou c) concerner la conduite des affaires internationales ou la défense du Canada. »

(Voir les conditions 2 ou 3 de certains modèles de mandats. Le paragraphe qui précède se rapporte à [***] tandis que les autres conditions sont adaptées aux particularités de chaque modèle de mandats. Ils contiennent tous la même exigence relative à l’examen.)

[33]      Au cours des présentes procédures, il est devenu clair, grâce aux observations et aux témoignages, que la Cour considère que les « données connexes » sont des données recueillies dans l’exécution de mandats et dont le contenu a été considéré comme non lié à la menace et inutile dans le cadre d’une enquête ou de poursuites et dans les domaines des affaires internationales ou de la défense du Canada. (Voir l’affidavit de [***], reçu le 24 mars 2016, aux paragraphes 47, 56 à 67 et 90 à 92.)

[34]      Le tableau suivant illustre à quelle étape se situent les données connexes dans un cadre plus général des activités du SCRS; je suis conscient que je m’écarte légèrement de la définition du SCRS :

Étape 1 : Collecte de l’information (contenu + métadonnées)

(Passer à l’étape 2).

Étape 2 : Examen de l’information par le SCRS

-           Si le contenu est lié à la menace, le contenu et les métadonnées sont conservés.

OU

-           Si le contenu n’est pas lié à la menace, le contenu est détruit, mais les métadonnées sont conservées (passer à l’étape 3).

Étape 3 : Création et conservation des « données connexes »

-           Les métadonnées provenant du contenu non lié à la menace, qui a été détruit, s’appellent les « données connexes ».

-           Le SCRS conserve toutes les données connexes qu’il a recueillies pour une période indéterminée.

[35]      Comme le révèle la preuve présentée à la Cour, les données connexes sont conservées et incorporées au programme du CADO à des fins d’enquête ultérieures. Depuis 2006, le SCRS conserve les données connexes pour une période indéterminée.

[36]      Après avoir établi les phases d’enquête et défini les données connexes aux fins des présents motifs, je passe maintenant à la description du programme du CADO lui-même.

3)         Moyens opérationnels du SCRS liés à l’exploitation de données

[37]      Au début des années 2000, le SCRS estimait que les informations qu’il recueillait au moyen d’enquêtes étaient sous-utilisées parce qu’elles n’étaient pas traitées à l’aide de techniques d’analyse modernes. En avril 2006, le SCRS a créé le CADO, qui se veut un [traduction] « centre d’excellence en matière d’exploitation et d’analyse » de bases de données. Il aura fallu [***] pour que le centre devienne entièrement opérationnel. Le CADO assume de nombreuses responsabilités : il exploite des banques de données afin d’offrir [traduction] [***]. (Voir le sommaire de l’Évaluation des facteurs relatifs à la vie privée du Centre d’analyse des données opérationnelles, daté du 10 août 2010, rédigé par [***] (consultant) et achevé par l’équipe chargée de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels au SCRS. Document figurant dans le recueil Documents for Amici à titre de complément à l’affidavit de [***] (établi le 21 avril 2016), dans le dossier [***], sous l’onglet 8.)

[38]      Jusqu’à la fin de l’année 2010, le CADO était hébergé par la [***] qui, en soi, offre un appui spécialisé et diversifié aux activités du SCRS. Le CADO [***].

[39]      Plus précisément, le CADO traite les informations détenues par le SCRS en vertu :

[traduction] […] d’un mandat ou au moyen d’une enquête approuvée. Depuis le mois de janvier 2010 […], les bases de données du CADO se composent [***].

(Voir la lettre datée du 8 novembre 2012 adressée au Commissariat à la protection de la vie privée par [***], coordonnatrice de l’Accès à l’information et de la Protection des renseignements personnels, à la page 4. Document figurant dans le recueil Documents For Amici à titre de complément à l’affidavit de [***] (établi le 21 avril 2016), dans le dossier [***], sous l’onglet 10.)

[40]      La preuve présentée durant les audiences n’a pas mis à jour cette information en date de 2016, à l’exception de ce qui suit. En plus d’analyser et de transformer ces ensembles de données en informations aux fins d’enquête, le CADO :

[traduction] […] fournit un soutien opérationnel dans le cadre de ces activités d’enquête en produisant des renseignements utilisables [***].

(Voir la lettre datée du 8 novembre 2012 adressée au Commissariat à la protection de la vie privée par [***], coordonnatrice de l’Accès à l’information et de la Protection des renseignements personnels, aux pages 3 et 4. Document figurant dans le recueil Documents for Amici à titre de complément à l’affidavit de [***] (établi le 21 avril 2016), dans le dossier [***], sous l’onglet 10.)

[41]      [***]. Les présents motifs ne doivent pas donner l’impression que la Cour est bien informée des tenants et aboutissants de [***]. En effet, très peu d’éléments de preuve ont été fournis. Puisque le programme portait toujours le nom CADO au moment de la demande, j’utiliserai cet acronyme plutôt que [***].

[42]      Le CADO est un programme efficace qui traite les métadonnées et les transforme en un produit comportant des détails par ailleurs impossibles à obtenir par le simple examen des chiffres en eux-mêmes. Les processus et les analyses de données du CADO portent, entre autres, sur [***]. Le produit final, c’est-à-dire le renseignement, donne un portrait précis et intime de la vie et de l’environnement des personnes sur lesquelles le SCRS enquête. Le programme permet d’établir des liens entre diverses sources et d’énormes quantités de données, ce qu’aucun humain n’arriverait à faire. [***].

[43]      Le groupe d’étude sur l’exploitation des données nous renseigne davantage sur les moyens initiaux du CADO. [***], pourtant la preuve présentée devant la Cour à cet égard a été très limitée.

[traduction] [***].

(Data Exploitation Task Force Draft Report (version 1.3) (version 1.3 du rapport préliminaire du groupe d’étude sur l’exploitation des données), daté du 11 juillet 2005, à la page 10, figurant à l’annexe B, sous l’onglet 4, du recueil fourni à la Cour en réponse à la lettre du 23 mars 2016 du juge en chef.)

[44]      Les informations recueillies dans l’exécution de mandats sont transmises au CADO [***]. Le SCRS examine le contenu [***] qui suit et le détruit s’il conclut qu’il n’est pas lié à la menace ou qu’il ne peut pas servir dans le cadre de poursuites ni en matière de défense nationale ou d’affaires internationales. Les informations qui n’ont pas été examinées à la fin de la période limite [***] doivent être détruites comme il est mentionné ci-dessus. Quant à elles, les métadonnées sont conservées pour une période indéterminée, même si le contenu auquel elles sont associées n’est pas considéré comme lié à une menace. Comme nous le verrons plus loin, il est important de comprendre [***] pour déterminer si une période de conservation [***] est nécessaire et appropriée.

[45]      Après avoir décrit pour l’essentiel la terminologie, les concepts sous-jacents et le programme CADO de manière générale, je vais exposer en détail les lois applicables et donner un aperçu historique de la Loi sur le SCRS.

D.        Lois applicables

[46]      La question centrale de mon interprétation du paragraphe 12(1) consistera à déterminer le sens de l’expression « dans la mesure strictement nécessaire » et ses incidences sur les fonctions du SCRS. Les fonctions principales du SCRS sont la collecte, la conservation et l’analyse d’informations. Ces trois fonctions doivent être examinées conjointement avec l’existence de menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS. Je dois mentionner que je n’examinerai pas les modifications apportées à la Loi sur le SCRS en 2015, sauf que je tiens à préciser qu’elles confèrent des fonctions additionnelles au Service, telles que la capacité d’agir à l’échelle internationale (paragraphe 12(2)) et de prendre des mesures pour réduite une menace (paragraphe 12.1(1)). En outre, je souligne que la Cour ne se prononce plus sur les demandes de mandats visant à obtenir des informations de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) depuis l’adoption de la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada, L.C. 2015, ch. 20, art. 2. Le fondement factuel de ce changement se trouve dans le Rapport du CSARS 2014-2015, aux pages 27 et 28. Ce nouveau texte de loi a élargi et facilité la communication d’informations entre certaines institutions du gouvernement du Canada compétentes ou responsables en matière de sécurité nationale. En pratique, le SCRS n’est plus tenu de demander un mandat pour obtenir des informations de l’ARC. Aucun des groupes d’avocats n’a présenté d’observations au sujet de ces nouveaux moyens. Leurs observations se limitent au paragraphe 12(1) et aux articles 2 et 21 de la Loi.

[47]      Voici le paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS, à la suite des modifications apportées en 2015 :

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

Fonctions du Service

Informations et renseignements

12(1) Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard. [Non souligné dans l’original.]

[48]      L’expression « menaces envers la sécurité du Canada » qui figure au paragraphe 12(1) est ainsi définie à l’article 2 de la Loi sur le SCRS :

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

Définitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

menaces envers la sécurité du Canada Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d). (threats to the security of Canada)

[49]      L’article 21 est également important, car il traite de la procédure que doit suivre le SCRS pour demander des mandats à la Cour fédérale si les méthodes d’enquête traditionnelles sont insuffisantes pour faire progresser l’enquête. Comme l’article 21 est passablement long, vous le trouverez dans les annexes à la fin des présents motifs. (Voir l’annexe A — Dispositions législatives applicables.)

E.        Aperçu historique

[50]      Comme je l’expliquerai aux paragraphes 117 à 149, il se dégage de l’historique de la Loi sur le SCRS que l’intention du législateur était de limiter de façon importante le mandat et les fonctions du SCRS au regard du paragraphe 12(1). Les résultats liés aux multiples facteurs qui ressortent des diverses sources présentant l’intention législative coïncident grandement. Toutes les sources, qu’il s’agisse des recommandations de la Commission McDonald, du Rapport Pitfield ou des explications du Solliciteur général durant l’étude article par article réalisée par le Comité permanent de la justice et des questions juridiques, amènent au principe général selon lequel le mandat et les fonctions du SCRS devraient être strictement définis et limités (voir les détails ci-dessous).

[51]      Après la constitution de la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) en 1977, également connue sous le nom de la Commission McDonald, et la publication définitive de ses recommandations en 1981, le gouvernement de l’époque a déposé le projet de loi C-157 [Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité, 1re sess., 32e lég., 1983] à la Chambre des communes pour créer un service civil du renseignement de sécurité. J’ai choisi l’année 1977 comme date de départ la plus pertinente, mais il est évidemment possible de faire référence à des publications et à des événements plus anciens, à savoir la Commission royale sur la sécurité en 1969 (la Commission MacKenzie) et la Commission Kellock-Taschereau en 1946 (l’affaire Gouzenko). (Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1979, 1981). On y trouve plusieurs rapports et volumes, voir l’annexe B — Bibliographie pour les détails.)

[52]      En juin 1983, devant l’opposition générale, le projet de loi C-157 a été renvoyé à un comité sénatorial spécial, qui a recommandé des amendements importants au projet de loi. En novembre 1983, le Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité a déposé son rapport exhaustif intitulé Équilibre délicat : Un service du renseignement de sécurité dans une société démocratique (le Rapport Pitfield). Le projet de loi C-157 est ensuite mort au feuilleton, et une version remaniée, le projet de loi C-9 [Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité, édictant la Loi concernant la poursuite de certaines infractions en matière de sécurité et dans des domaines connexes et modifiant certaines lois en conséquence ou de façon corrélative, 2e sess., 32e lég., 1984], a été déposé à la place. (Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique (novembre 1983) (Président : P.M. Pitfield).)

[53]      À la suite du Rapport Pitfield, le gouvernement a produit une réponse écrite dans laquelle il indiquait les recommandations qu’il acceptait, rejetait ou acceptait en partie. Il a ainsi accepté la recommandation du Rapport Pitfield de limiter la première fonction du SCRS par l’ajout d’un critère relatif à la « nécessité ». À ce titre, le paragraphe 14(1) du projet de loi C-157 a été modifié et est devenu le paragraphe 12(1) dans le projet de loi C-9.

Projet de loi C-157

Projet de loi C-9

Fonctions du Service

Fonctions du Service

14.(1) Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des raisons sérieuses de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada et, il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.

12.(1) Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada et, il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard. [Non souligné dans l’original.]

[54]      Le projet de loi C-9 a été déposé en janvier 1984 durant la deuxième session de la 32e législature. Le projet de loi C-9 contenait pratiquement tous les amendements recommandés par le Rapport Pitfield. Il a fait l’objet d’une première lecture en janvier 1984 et a été renvoyé au Comité permanent de la justice et des questions juridiques en mars. Le projet de loi C-9 a été adopté en troisième lecture, a reçu la sanction royale en juin et est entré en vigueur en deux temps au cours des mois de juillet et d’août 1984.

[55]      La Loi sur le SCRS adoptée en 1984 renfermait une disposition exigeant qu’elle fasse l’objet d’un examen cinq ans après son entrée en vigueur. Un tel examen a été effectué en 1990, et le gouvernement a produit un rapport y donnant suite en 1991. De 1991 à aujourd’hui, la Loi sur le SCRS a été modifiée à l’occasion, notamment par l’ajout et la précision de certaines fonctions en 2015. Il convient maintenant d’examiner les arguments du procureur général, des avocats du SCRS et des amici.

II.         Arguments

A.        Arguments du procureur général et des avocats du SCRS

[56]      Sommairement, en ce qui concerne l’obligation de franchise du SCRS envers la Cour, le procureur général du Canada et les avocats du SCRS (collectivement appelés le PGC) laissent entendre que la Cour était bel et bien au courant du programme de conservation, quoique pas aussi en détail qu’il aurait fallu, et aucune preuve de « dissimulation systémique » n’a été présentée. Peu importe, le Service s’est engagé, à l’avenir, à informer sans délai la Cour de tous les changements proposés en pratique. Par contre, le PGC soutient que les propositions des amici quant aux modifications des conditions figurant dans les mandats sont irréalisables.

[57]      Dans les prochains paragraphes, j’expliquerai en détail les arguments les plus complexes du PGC, en commençant par celui selon lequel le paragraphe 12(1) et l’article 21 sont des dispositions distinctes qui s’appliquent indépendamment l’une de l’autre. Ensuite, concernant la légalité de la conservation des données connexes, j’exposerai en détail les arguments du PGC selon lesquels l’analyse des amici sur les droits à la vie privée au regard de l’article 8 de la Charte comporte des lacunes, et je m’étendrai sur ce que le PGC considère comme justifiable en matière de conservation de telles données. Puisque je conclus que le SCRS n’a pas compétence pour conserver des informations de tiers non liées à la menace, je n’aborderai pas les arguments présentés en matière de protection de la vie privée, mis à part quelques brefs commentaires que j’exposerai plus loin. Cependant, j’ai inclus les arguments à titre de référence ultérieure et par souci d’exhaustivité. (Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte).)

1)         Le paragraphe 12(1) ne s’applique pas à l’article 21 de la Loi sur le SCRS

[58]      Contrairement à la position de base des amici, le PGC allègue que le paragraphe 12(1) ne s’applique pas à l’article 21 de la Loi sur le SCRS. Autrement dit, les limites imposées aux activités du Service par le paragraphe 12(1) ne devraient pas s’appliquer à la collecte d’informations effectuée à la suite de la délivrance d’un mandat valide. Essentiellement, le PGC prétend que la collecte et la conservation d’informations fonctionnent en deux phases distinctes ayant chacune leur ensemble de paramètres. Dans la première phase, le Service est autorisé par le paragraphe 12(1) à obtenir des informations de base. Dans la deuxième phase, à la suite de la délivrance d’un mandat, le paragraphe 12(1) ne s’applique plus et la collecte d’informations relève plutôt exclusivement des paramètres établis à l’article 21.

[59]      Les limites établies au paragraphe 12(1) ne devraient s’appliquer aux informations recueillies dans l’exécution d’un mandat décerné en vertu de l’article 21 que si : a) l’article 21 incorpore explicitement ou implicitement le paragraphe 12(1) ou que si b) le paragraphe 12(1) s’applique à la collecte d’informations effectuée au titre d’un mandat décerné en vertu de l’article 21. Selon le PGC, ces deux options sont inapplicables. Rien dans le libellé de l’article 21 ne laisse entendre que l’intention était d’incorporer les restrictions énoncées au paragraphe 12(1). Une interprétation différente de la question risquerait de créer des conflits entre les conditions des mandats et le paragraphe 12(1).

[60]      Subsidiairement, vu que le paragraphe 12(1) et l’article 21 figurent dans différentes parties de la Loi sur le SCRS, respectivement « Fonctions du Service » et « Contrôle judiciaire », il ne conviendrait pas de conclure qu’ils s’appliquent l’un à l’autre. Les articles 15 et 16 seraient limités, par exemple, par le paragraphe 12(1) puisqu’ils se trouvent tous dans la même partie (partie I [articles 3 à 20]) de la Loi sur le SCRS, mais l’article 21 ne le serait pas, car il figure dans la partie suivante (partie II [articles 21 à 28]). Le PGC allègue que les dispositions prévues dans une partie d’une loi ne peuvent avoir une incidence sur les dispositions dans une autre partie que si le libellé des textes législatifs le permet. Compte tenu de la structure du régime, le PGC fait valoir qu’il n’existe pas de base d’interprétation claire permettant d’appliquer des limites prévues au paragraphe 12(1) à certaines activités du Service (p. ex. l’article 21) et non à d’autres (p. ex. les articles 15 et 16).

[61]      L’article 21 n’incorpore pas expressément le paragraphe 12(1). En outre, le paragraphe 21(4), qui énumère les indications que le mandat doit contenir, ne correspond aucunement au libellé du paragraphe 12(1). De la même façon, l’article 21 n’incorpore pas implicitement les critères établis au paragraphe 12(1). En fait, le paragraphe 21(3) confère au juge qui décerne le mandat le pouvoir d’autoriser les destinataires à « intercepter des communications ou à acquérir des informations, documents ou objets ».

[62]      Le PGC répond à l’argument des amici, selon lequel le qualificatif « strictement nécessaire » établi au paragraphe 12(1) s’applique tant à la collecte qu’à la conservation, en alléguant qu’une telle interprétation du libellé est contraire à la structure du paragraphe 12(1) et au paragraphe 38 de l’arrêt Charkaoui II de la Cour suprême, dont il est question plus haut. De plus, le PGC soutient qu’une phrase tirée d’une explication plus longue donnée par le ministre Kaplan, solliciteur général au moment de l’adoption de la Loi sur le SCRS, révèle que l’expression « dans la mesure strictement nécessaire » s’applique à la fonction de collecte, mais non à la fonction de conservation :

M. Kaplan : Dans cet amendement, j’ai suivi à la lettre les recommandations du comité du Sénat. Le comité du Sénat a considéré que la fonction de collecte était celle qui devrait être limitée au strict nécessaire. Nous ne voulons pas qu’ils recueillent plus d’informations et de renseignements qu’il n’est strictement nécessaire, car c’est cette activité qui est la plus susceptible de violer la vie privée et les droits des gens.

Comme il sera mentionné plus tard, le PGC fait dire à M. Kaplan, en présentant un si court extrait tiré d’une si longue discussion, le contraire de ce qu’il affirme lorsque le contexte intégral est rétabli. (Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule no 28 (24 mai 1984), à la page 28:52 (Président : Claude-André Lachance).)

[63]      Le PGC est d’avis que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657, a statué que les juges établissent un équilibre efficace entre les droits à la vie privée du particulier et l’intérêt de l’État par la délivrance de mandats. À ce titre, il n’est pas nécessaire que le paragraphe 12(1) s’applique à l’article 21 pour que les droits à la vie privée soient protégés par les juges. Le seul lien entre le paragraphe 12(1) et l’article 21 est que le Service doit avoir lancé une enquête en application du paragraphe 12(1) afin de vérifier les faits nécessaires pour convaincre la Cour qu’un mandat est requis.

2)         Arguments relatifs au droit à la vie privée

[64]      Le PGC est d’avis que l’analyse des amici concernant l’article 8 de la Charte sur les droits à la vie privée et l’existence d’une attente de protection à cet égard est erronée, puisqu’ils n’ont pas tenu compte des décisions pertinentes et ont proposé une approche qui n’est pas étayée par la jurisprudence. La conclusion des amici, selon laquelle l’analyse des données connexes permet d’en apprendre davantage sur les renseignements biographiques de base, n’est pas appuyée par la preuve présentée à la Cour.

[65]      Dans les faits, la Cour suprême du Canada n’a pas conclu que l’existence d’une attente en matière de vie privée est subordonnée à la possibilité de tirer des conclusions de nature attentatoire des informations analysées. Au contraire, selon la Cour suprême, l’utilisation envisagée de ces informations dans un but précis est l’élément principal. En bref, la Cour ne devrait pas se pencher sur le possible caractère attentatoire des informations après analyse, mais plutôt (et c’est la seule option appropriée) sur le possible caractère attentatoire des informations en elles-mêmes, à première vue (avant regroupement et analyse). La bonne approche est de tenir compte des présentes circonstances seulement, et non de l’éventuel degré de risque de caractère attentatoire. Le fait que le contenu n’est pas conservé et que les données connexes ne révèlent pas d’informations biographiques de base signifie en fait qu’il y a absence d’atteinte.

[66]      Plus précisément, le PGC soutient que la jurisprudence en common law entourant l’article 8 de la Charte autorise la collecte de données connexes en vertu du mandat lui-même. Ce sont les conditions figurant dans le mandat qui, en soi, permettent au SCRS de recueillir et de conserver les données connexes. Par contre, le PGC admet qu’il y a effectivement atteinte au droit à la vie privée de tiers. Cependant, la jurisprudence permet une atteinte inévitable à la vie privée à la suite de la mise en balance des droits privés et collectifs effectuée par le juge lorsqu’il décide s’il y a lieu de décerner un mandat. Une atteinte à la vie privée ne rend pas nécessairement déraisonnable l’autorisation de recueillir des informations, mais elle n’a pas non plus à être atténuée puisque la mise en balance a déjà été effectuée.

3)         Modifications proposées aux conditions

[67]      Le PGC propose finalement des modifications aux modèles de mandats, lesquelles figurent dans la section « Les faits » qui se trouve aux paragraphes 9 à 25. En général, le PGC fait valoir que la période d’examen [***] prévue dans les conditions actuelles des mandats est suffisante puisqu’elle est liée à un critère strict en matière de conservation, c’est-à-dire « des motifs raisonnables de croire », qui est utilisé par la Cour au moment de déterminer si un mandat doit être décerné. Le PGC propose une période plus longue pour traiter les [***]. Il en sera question au chapitre « Effets pratiques » débutant au paragraphe 201.

[68]      Quant à elle, la période d’examen de [***] suggérée par les amici est trop courte pour être réalisable en pratique. Aucune preuve n’a été présentée pour appuyer l’idée qu’une période plus courte [***] est réalisable; au contraire, [***] est raisonnable et protège de manière appropriée les droits à la vie privée des tiers. Subsidiairement, si la Cour concluait autrement, soit à l’égard de la période de conservation ou de la nature de l’examen effectué, le PGC demande une période de mise en œuvre [***] en vue de tenter de s’adapter aux changements.

B.        Arguments des amici curiae

[69]      Les amici soutiennent que le SCRS n’a pas le pouvoir selon la loi de recueillir ou de conserver des informations non liées à la menace. En pratique, ils allèguent que les informations non liées à la menace ou à la cible doivent être détruites le plus tôt possible.

[70]      Contrairement à la position du PGC, les amici soutiennent que le paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS confère au Service un pouvoir exclusif de recueillir et de conserver les informations au cours de ses enquêtes sur des menaces envers la sécurité du Canada et que la délivrance d’un mandat au titre de l’article 21 n’élargit pas la portée de ce pouvoir. Il importe peu de savoir si l’information a été recueillie ou conservée en vertu d’un mandat; le paragraphe 12(1) à lui seul définit le pouvoir du Service de recueillir et de conserver des informations. Les seules informations que le SCRS est légalement autorisé à conserver sont celles qui sont liées à la menace, recueillies en vertu d’un mandat décerné conformément au paragraphe 12(1) et à l’article 21 de la Loi sur le SCRS.

[71]      En outre, l’usage de l’expression « informations de tiers » par le SCRS et ses avocats est trompeur. En fait, seules les informations liées à la menace et à la cible devraient être conservées, car la provenance des informations n’a pas d’importance. Les informations provenant de parties autres que les cibles ne seront généralement pas liées à la menace et ne peuvent donc pas être conservées. Néanmoins, il se peut également que des informations non liées à la menace soient produites par la cible d’un mandat et par les personnes avec qui elle a communiqué. Le facteur déterminant qui doit être appliqué pour établir si les informations peuvent être légalement conservées n’est pas de connaître l’auteur de la communication, mais plutôt l’existence de menaces envers la sécurité du Canada.

[72]      Les amici soutiennent que la collecte fortuite est la seule forme de collecte d’informations non liées à la menace qui répond au critère de stricte nécessité énoncé au paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS.

1)         Le paragraphe 12(1) s’applique à l’article 21

[73]      Quant à savoir si l’expression « strictement nécessaire » du paragraphe 12(1) s’applique seulement à la fonction de collecte ou également à la fonction de conservation, les amici laissent entendre que les termes « constituent des menaces » au paragraphe 12(1) s’appliquent clairement à la conservation d’informations du fait que le libellé exclut la conservation d’informations non liées à une menace précise.

[74]      Compte tenu du type d’informations dont il est question au paragraphe 21(1), il est clair que le SCRS est tenu de limiter sa collecte d’informations aux données connexes liées à la menace visée par le mandat. Si le Service doit conserver des « données connexes », il ne peut le faire que si elles sont liées à la menace.

[75]      Si un mandat prévoit la destruction du contenu des communications, mais non la destruction des données connexes, cela ne signifie pas que la conservation des données connexes est autorisée. Cette situation est particulièrement vraie lorsqu’une condition du mandat porte sur la destruction de certains types d’informations. En résumé, la conservation des « données connexes » peut être autorisée par le paragraphe 12(1) si elles sont liées à la menace. Dans le cas contraire, le SCRS n’a pas légalement le pouvoir de conserver les informations.

[76]      Les amici proposent que le segment « [peut] aider l’enquête sur une menace », qui se trouve dans les conditions, soit interprété de manière à ce que le SCRS puisse conserver des données qui peuvent « aider l’enquête sur une menace » précise, car ils soutiennent qu’il est erroné de l’interpréter de manière à ce que les données conservées puissent aider à un moment donné l’enquête sur une menace non définie. De façon succincte, les amici proposent que le Service ne soit autorisé à conserver les informations qu’en vertu d’un mandat, lorsqu’elles sont liées à la menace, aux termes du paragraphe 12(1).

[77]      Un mandat décerné en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS est seulement un outil servant à recueillir ou à conserver des informations dans le cadre d’une enquête lancée en application du paragraphe 12(1). Ce n’est que lorsque les informations s’inscrivent dans les paramètres du paragraphe 12(1) que l’article 21 confère au SCRS le pouvoir de recueillir ou de conserver des informations liées à la menace visée.

2)         Arguments relatifs aux droits à la vie privée

[78]      Les amici ne sont pas d’accord avec la manière dont le SCRS a conceptualisé la définition et la portée de l’expression « informations de tiers » à titre de catégorie de personnes [***]. L’interprétation actuelle est trop étroite pour les trois motifs suivants : 1) elle ne tient pas compte des droits constitutionnels en matière de vie privée de nombreuses personnes, 2) l’analyse de la pertinence est à tort fondée sur la méthode utilisée plutôt que sur l’attente raisonnable en matière de vie privée des tiers et 3) la question n’est pas pertinente, puisque la Loi sur le SCRS ne s’attarde pas sur l’origine des informations, mais sur leurs liens avec la menace. En outre, ils allèguent que les préoccupations en matière de vie privée des Canadiens sont indépendantes du paragraphe 12(1).

[79]      Dans leurs observations écrites, les amici ont effectué une analyse approfondie des droits à la vie privée relativement à l’article 8 de la Charte. En somme, ils affirment que la collecte et la conservation d’informations par le SCRS sont assujetties aux mesures de protection prévues à l’article 8 puisque la collecte et la conservation d’informations équivalent à une fouille, à une perquisition ou à une saisie. Ils allèguent que l’attente forte et raisonnable, tant subjective qu’objective, en matière de droits à la vie privée s’applique à deux sources, soit les métadonnées à proprement dit, dans la mesure où elles révèlent une activité liée aux droits à la vie privée, et les inférences qui peuvent être tirées à partir du regroupement et de l’analyse de ces métadonnées. Selon la jurisprudence, l’attente du public en matière de vie privée est normative (ce que la société est prête à accepter) et non descriptive (une conclusion qui découle d’un cadre factuel particulier). Les amici ne sont pas d’accord avec la position du PGC selon laquelle les métadonnées prises seules ne sont pas pertinentes. Les amici rétorquent que la jurisprudence appuie leur affirmation voulant que les métadonnées elles-mêmes ainsi que le produit de leur regroupement et de leur analyse permettent d’obtenir des informations qui constituent des « informations biographiques de base » d’une personne et qui, par conséquent, portent atteinte aux droits à la vie privée. Les métadonnées, prises seules et ayant fait l’objet d’un regroupement et d’une analyse, peuvent fournir des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels des particuliers; elles ne forment pas un ensemble d’informations anodin. En outre, les méthodes analytiques du SCRS et les résultats qu’elles donnent sont beaucoup plus élaborés que les méthodes ou types d’informations en cause dans d’anciennes affaires de la Cour suprême du Canada.

[80]      Les amici sont d’accord qu’une mise en balance doit être établie entre les droits à la vie privée du particulier et l’intérêt de l’État. Selon eux, il est possible de régler avec précision cette mise en balance en ajustant la période de conservation des informations recueillies.

3)         Propositions concernant les modifications aux conditions prévues dans les mandats

[81]      Selon la proposition principale des amici en ce qui touche les conditions prévues dans les mandats, la conservation des informations devrait dépendre exclusivement du fait qu’elles sont liées à la menace ou non. Cette catégorisation vise à inclure les informations provisoirement considérées comme une menace pendant une période d’examen. Par définition, la proposition des amici entend exclure la conservation d’informations qui ne sont visiblement pas liées à la menace.

[82]      Les droits à la vie privée des tiers doivent être respectés. Même s’il est inévitable que les communications de tiers seront interceptées dans l’exécution de mandats, la conservation de ces informations pendant une période proportionnelle constituerait un compromis approprié pour cette atteinte aux droits à la vie privée. À cet égard, les amici proposent des définitions précises des conditions et des périodes différentes de conservation selon les types d’informations. En général, ils suggèrent que la Cour permette que les informations soient conservées [***] pour qu’un analyste des communications puisse établir si elles sont liées à la menace. Avant qu’une décision soit prise, les informations devraient demeurer dans un cadre d’analyse préliminaire.

[83]      Pour les amici, la difficulté ne réside pas dans l’établissement d’une définition claire des informations liées à la menace, mais plutôt dans le traitement des informations ambiguës. À titre de solution, les amici proposent qu’un juge désigné fixe la période de conservation appropriée à l’étape de l’autorisation du mandat, et ce, en fonction de chaque cas. Si le juge ne fixe pas une période de conservation appropriée à cette étape et s’il est difficile de juger si les informations concernent la cible de l’enquête ou un tiers, le SCRS doit alors demander à la Cour des directives après la collecte d’informations.

[84]      À ce titre, les amici proposent notamment des changements aux conditions prévues dans les mandats régissant la conservation d’informations de tiers. D’abord, la période actuelle de conservation [***] devrait en général être réduite à [***]. Incidemment, les amici suggèrent que la norme de conservation devienne celle « des motifs raisonnables de soupçonner » au lieu de la norme actuelle « des motifs raisonnables de croire ». En outre, les données connexes ne devraient pas être différenciées du contenu de la communication; les deux devraient être examinées, et soit détruites ou conservées dans leur ensemble. Les informations, tant le contenu que les métadonnées, ne devraient pas être analysées avant qu’il ait été déterminé qu’elles peuvent être conservées. Enfin, les informations non liées à la menace ne devraient être conservées qu’aux fins de communication, conformément à l’article 19 (Autorisation de communication) de la Loi sur le SCRS.

III.        Questions en litige

[85]      Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

1.         L’omission du SCRS de divulguer et d’expliquer l’existence du programme du CADO depuis son lancement en 2006 constitue-t-elle un manquement à l’obligation de franchise dont le SCRS doit faire preuve envers la Cour?

2.         Dans le cas où la fonction de collecte d’informations doit être exercée seulement « dans la mesure strictement nécessaire », le principe de stricte nécessité s’applique-t-il également à la fonction de conservation des informations recueillies dans l’exécution de mandats décernés au titre du paragraphe 12(1) et des articles 2 et 21 de la Loi sur le SCRS?

3.         Les données connexes que recueille le SCRS dans l’exécution de mandats décernés par la Cour depuis 2006, telles qu’elles sont définies aux paragraphes 33 et 34 des présents motifs, peuvent-elles être conservées aux fins d’enquêtes ultérieures dans le cadre du programme du CADO, conformément au paragraphe 12(1) et aux articles 2 et 21 de la Loi sur le SCRS?

4.         Les modifications demandées aux conditions prévues dans les mandats respectent-elles les paramètres établis au paragraphe 12(1) et aux articles 2 et 21 de la Loi sur le SCRS?

5.         Quelle période de conservation des informations recueillies dans l’exécution de mandats serait appropriée pour permettre au SCRS d’établir si ces informations peuvent aider à l’enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou être utiles dans le cadre de poursuites ou en matière d’affaires internationales ou de défense nationale? S’il est déterminé que les informations ne sont liées à aucun de ces trois objectifs, à quel moment doivent-elles être détruites?

IV.       Analyse

A.        L’obligation de franchise

[86]      Je dois établir si le SCRS a délibérément choisi de ne pas informer la Cour, entre 2006 et 2016, au sujet de sa politique modifiée de collecte et de conservation en ce qui concerne les mandats décernés par la Cour au titre du paragraphe 12(1) et de l’article 21 de la Loi sur le SCRS. Je dois également établir si une telle conduite, en général, constitue un manquement à l’obligation de franchise du SCRS envers la Cour. J’ai brièvement exposé certains faits pertinents aux fins de mon analyse de l’obligation de franchise aux paragraphes 9 à 25 des présents motifs.

[87]      J’ai soulevé à de nombreuses occasions, lors d’audiences ex parte et à huis clos, la question de la conservation d’informations non liées à la menace ou à la cible dans le cadre d’un mandat; beaucoup d’autres juges désignés ont réitéré cette préoccupation. La Cour a proposé que ces informations sans lien quelconque soient détruites le plus tôt possible puisqu’elles ne sont pas considérées comme liées à la menace. La Cour a également suggéré que la période d’examen servant à déterminer si les informations recueillies sont liées à la menace ou à la cible soit en général réduite à [***] et, dans certains cas, réduite encore davantage. À titre d’exemple, dans le dossier [***], la Cour a examiné s’il était réalisable d’établir une période de conservation de moins [***].

[88]      Les juges désignés ont déjà débattu de la question des informations non liées à la menace ou à la cible, notamment lorsque la Cour s’est penchée sur les mandats relatifs [***]. Dans ce dossier, la Cour a décidé que les informations comme [***] considérées comme non liées à une enquête devaient être détruites dans les [***]. Une préoccupation semblable a également été exprimée à l’égard des mandats sur [***] pour lesquels une période de [***] a été appliquée aux [***] non liées à la cible du mandat. Dans l’ensemble, les juges désignés ont adopté une approche uniforme à l’égard de la conservation et de la destruction des informations de tiers.

[89]      Le juge Mosley a exposé en détail les paramètres juridiques de l’obligation de franchise dans la décision X (Re), 2013 CF 1275, [2015] 1 R.C.F. 635 [précitée] lesquels ont plus tard été confirmés en appel dans l’arrêt X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684 [précité]. Le juge Mosley, aux paragraphes 82 à 89, a écrit :

La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 27, s’est penchée sur la question de l’obligation de divulgation complète et franche dans une instance ex parte :

La partie qui plaide ex parte devant un tribunal a l’obligation de présenter ses arguments avec la bonne foi la plus absolue. Elle doit offrir une preuve complète et détaillée, et n’omettre aucune donnée pertinente qui soit défavorable à son intérêt : Royal Bank, précité, par. 11. Presque tous les codes de déontologie professionnelle applicables aux avocats leur font cette obligation. Voir, par exemple, l’Alberta Code of Professional Conduct, ch.10, règle 8.

Le SPGC reconnaît que cette obligation, également qualifiée d’obligation de bonne foi la plus absolue, joue dans toutes les instances dans lesquelles le Service plaide ex parte devant la Cour fédérale : Harkat (Re), 2010 CF 1243, au paragraphe 117, infirmée pour d’autres motifs 2012 CAF 122, [2012] 3 R.C.F. 635, jugement en délibéré devant la Cour suprême [la Cour suprême a depuis rendu sa décision. Voir 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33]; Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299, aux paragraphes 153 et 154; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163, au paragraphe 498. Lorsqu’il présente une demande de mandat au titre des articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, le Service doit faire état de tous les faits importants, favorables ou non.

[…]

À l’occasion de l’affaire R. v. G.B. (application by Bogiatzis, Christodouloui, Cusato and Churchill), [2003] O.T.C. 785 (C.S.J. Ont.), où il était question d’une demande de sursis des procédures au motif qu’un agent de police avait menti dans des affidavits afin d’obtenir des autorisations d’écoute téléphonique, la Cour, aux paragraphes 11 et 12, a défini les faits importants de la manière suivante :

[traduction] Les faits importants sont ceux qui peuvent permettre au juge saisi d’une demande de vérifier si les critères applicables en matière d’autorisation d’écoute téléphonique ont été satisfaits. Pour que la communication soit franche, c’est-à-dire sincère, l’affiant doit se pencher sur les faits qui sont défavorables à sa demande et communiquer en entier les faits connus, y compris tous les faits à partir desquels des déductions peuvent être tirées. Par conséquent, l’obligation de communication complète et franche signifie que l’affiant doit communiquer dans l’affidavit les faits qui lui sont connus qui tendent à réfuter l’existence de motifs raisonnables et probables ou la nécessité de faire enquête en ce qui concerne l’une ou l’autre cible visée par l’autorisation envisagée.

L’obligation de communication complète et franche signifie également que l’affiant ne doit jamais faire une déclaration trompeuse dans l’affidavit, que ce soit par la formulation utilisée ou par une omission stratégique de renseignements. [Souligné par le juge Mosley.]

Je retiens la thèse de l’avocat du SPGC portant que, en matière de demande de mandat au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, les faits importants sont ceux qui peuvent aider le juge désigné à décider si les critères énoncés aux alinéas 21(2)a) et 21(2)b) ont été satisfaits.

[…]

Toutefois, je ne retiens pas la conception étroite de la pertinence préconisée par le SPGC en cette matière car elle exclut les renseignements concernant le cadre élargi dans lequel les demandes de délivrance de mandat au titre de la Loi sur le SCRS sont présentées. Selon moi, cela revient à dire que la Cour ne doit pas être informée quant à des questions au sujet desquelles elle pourrait avoir des réserves si elle en était informée […]

[90]      Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33, aux paragraphes 101 et 102, citant l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, et la décision Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’une lourde obligation de franchise s’applique lorsqu’une partie se fonde sur des éléments de preuve durant des procédures ex parte et que des efforts constants pour mettre à jour les informations sont nécessaires.

[91]      Le SCRS a commencé à conserver des données connexes en 2006. De ce moment à décembre 2011, la Cour n’a pas été informée par le SCRS que de telles informations, non liées à la menace ou à la cible d’un mandat, étaient conservées pour une durée indéterminée. En décembre 2011, lors d’une audience, le SCRS a mentionné la conservation de données dans une discussion sur des changements au libellé des mandats. L’objet de tels changements, comme les avocats du SCRS l’ont expliqué, était d’« améliorer le vocabulaire ».

[92]      La preuve documentaire révèle que, de 2006 à 2008, le SCRS avait la ferme intention d’informer la Cour au sujet de la conservation de données connexes dans le cadre de son programme. Par la suite, toute preuve de cette intention du SCRS d’informer la Cour a disparu, mais rien n’indique clairement que le SCRS n’avait aucune intention d’informer la Cour, et rien n’explique pourquoi la Cour n’a pas été informée. Aucune preuve concluante à cet égard n’a été présentée à la Cour.

[93]      Cela dit, la preuve établit que, par suite de l’arrêt Charkaoui II en 2008, le SCRS a revu son programme de conservation d’informations et a adapté ses politiques au fil des ans. Ce n’est qu’en décembre 2011 qu’une modification aux conditions prévues dans les mandats a été apportée pour tenir compte de la nouvelle politique prévoyant une période de conservation [***] applicable seulement au « contenu » et implicitement inapplicable aux « données connexes ».

[94]      Comme il a été brièvement mentionné ci-dessus, au terme de l’audience en banc tenue en décembre 2011 qui portait sur de nombreuses modifications aux conditions prévues dans les mandats, les avocats du SCRS, lorsqu’on leur a demandé s’ils voulaient ajouter quelque chose, ont fait ce commentaire de dernière minute :

[traduction] « […] il y a d’autres changements mineurs aux conditions qui, selon nous, apportent des précisions […] nous avons également tenté d’améliorer la formulation […] si je peux m’exprimer ainsi; non pas de changer, mais d’améliorer la formulation, […] avant on pouvait lire : « […] sous réserve de la condition 1, toute communication faite par une personne » et nous avons ajouté les termes « le contenu de toute communication ». Il est donc clair que les métadonnées ne font pas partie de ce qui devrait être détruit. Et juste à titre informatif pour la Cour, les métadonnées ne sont essentiellement pas détruites et sont conservées peu importe ce qui arrive à la communication, et seules celles qui sont assujetties au secret professionnel de l’avocat seront détruites. […] Ce sont de nouveaux changements que nous avons apportés. Ils ont été faits en réalité pour s’adapter à la pratique et à ce que d’autres mandats énoncent. Nous essayons toujours d’améliorer la formulation des mandats. »

(Voir la transcription du dossier [***], datée du 16 décembre 2011, aux pages 83 à 87.)

[95]      Les concepts de « métadonnées » et de « données connexes » n’étaient pas l’objet de l’audience en banc tenue en décembre 2011. À l’époque, la Cour était saisie d’autres changements importants aux conditions prévues dans les modèles de mandats. Les concepts de conservation et de destruction d’informations ont seulement été abordés vers la fin de l’audience, apparemment pour tenir compte d’un changement anodin à la pratique du SCRS et « pour améliorer la formulation des mandats ». Avec le recul, ce « changement mineur » était loin de l’être et ne consistait vraiment pas à simplement « améliorer la formulation ».

[96]      En juin 2015, dans le dossier [***], qui a fait l’objet de plusieurs audiences avec l’aide d’un amicus, j’ai expressément soulevé la question concernant la conservation d’informations de tiers. Au cours de ces jours d’audience, comme en font état les transcriptions, le SCRS n’a jamais discuté de sa politique de conservation des métadonnées. Pourtant, à bien des occasions, les avocats du SCRS ont dit à la Cour que la conservation d’informations de tiers soulevait des questions complexes et qu’il fallait du temps pour y réfléchir. Tout au long de ces six audiences, j’ai formulé quelques propositions. En premier lieu, les conditions prévues dans les mandats devraient clairement préciser que les informations non liées à la menace ou à la cible, comme les informations de tiers, ne doivent pas être conservées. En deuxième lieu, j’ai suggéré que la période d’examen applicable aux informations de tiers non liées à la menace ou à la cible soit limitée à [***] plutôt qu’à [***]. Les avocats du SCRS ont proposé de reporter ces discussions de manière à ce que le SCRS puisse revoir ses propres activités internes et présenter de nouvelles approches à une date ultérieure. (Voir la transcription du dossier [***], datée du 1er juin 2015, à la page 55.) (Voir la transcription du dossier [***], datée du 3 juin 2015, aux pages 11 et 12.) (Voir la transcription du dossier [***], datée du 10 juin 2016, à la page 19.)

[97]      Par conséquent, le 8 décembre 2015, après deux prolongations de délai accordées par la Cour, les avocats du SCRS ont présenté par lettre des propositions de modifications aux conditions prévues dans les modèles de mandats. La lettre datée du 8 décembre 2015 ne faisait pas état de la politique de conservation des métadonnées du Service. Les modifications sont devenues l’objet du dossier [***]. La question concernant la conservation des métadonnées par le SCRS n’a été ajoutée au dossier [***] qu’après la publication du Rapport du CSARS 2014-2015 à la fin du mois de janvier 2016. Ce n’est qu’après avoir lu le rapport et la lettre du sous-procureur général datée du 28 janvier 2016 que mes collègues juges désignés et moi-même avons pleinement saisi que le SCRS conservait des métadonnées. Par la suite, il a été décidé que la politique de conservation de telles informations serait ajoutée aux questions à traiter à l’audience en banc déjà convoquée pour examiner les modifications décrites dans la lettre du 8 décembre 2015.

[98]      Avec le recul, cela me préoccupe que le SCRS et le CSARS connaissaient le programme de conservation alors que la Cour ne le connaissait pas. Comment la Cour peut-elle bien exercer ses fonctions d’examen de mandats très attentatoires lorsque la partie qui comparaît devant elle, ex parte et à huis clos, ne l’informe pas des politiques et des pratiques de conservation directement liées aux informations dont elle autorise la collecte par le SCRS dans l’exécution de mandats qu’elle décerne? Le programme de conservation était au cœur des questions soulevées par la Cour dans le dossier [***]. Pourtant, le SCRS a décidé de demander un délai supplémentaire plutôt que d’informer la Cour de l’existence du programme. Je souligne en particulier que la preuve indique que le SCRS a ressenti la nécessité d’informer la Cour de détails du programme remontant à aussi loin que 2006. Néanmoins, il a fallu des événements extrinsèques pour que la Cour découvre l’existence du programme en 2016. Voici les extraits pertinents du Rapport du CSARS 2014-2015 :

[…] Lors d’une présentation de demande de mandat auprès de la Cour fédérale à la fin de 2011, lorsque la question de la modification de la formulation a été soulevée, les services d’aide juridique du SCRS ont bien fait référence à la conservation des métadonnées. Cependant, on n’a fourni aucune indication au CSARS sur la totale transparence du Service à l’égard de la Cour fédérale au sujet de la nature et de la portée de ses activités liées aux métadonnées dans le cadre de cette discussion. Le Comité estime toutefois que la Cour fédérale s’intéresse, de manière générale, à la façon dont le Service utilise les renseignements recueillis en vertu d’un mandat, y compris les métadonnées.

[…] le CSARS a recommandé que le SCRS détaille à la Cour fédérale les façons dont il utilise et conserve les métadonnées collectées en vertu d’un mandat.

[…] Compte tenu de l’importance à long terme du sujet, le Comité reviendra sur l’exploitation et l’acquisition des données dans son prochain cycle de recherche pour évaluer si la collecte se fait « dans la mesure strictement nécessaire », tel que stipulé à l’article 12 de la Loi sur le SCRS.

(Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2014-2015. « Vers de nouveaux horizons : préparer le terrain du changement dans la surveillance des activités de renseignement de sécurité » (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2015), à la page 25.)

[99]      Je souligne le fait important que le CSARS a recommandé au SCRS d’informer la Cour de son programme de conservation, mais que ce dernier a refusé de le faire pour les raisons suivantes :

RÉPONSE DU SCRS AUX RECOMMANDATIONS :

Le Service décline la recommandation du CSARS visant à notifier la Cour fédérale des activités relatives aux métadonnées recueillies dans le cadre d’un mandat. Le SCRS estime que l’article 21 de la Loi sur le SCRS ne confère aucun pouvoir général de surveillance aux juges de la Cour fédérale, par conséquent, il estime la recommandation du CSARS inappropriée et injustifiée. En outre, le Service maintient que sa position sur l’enjeu en question a été communiquée de façon claire et transparente à la Cour fédérale lors d’une demande de mandat en décembre 2011. [Non souligné dans l’original; caractère gras dans l’original.]

(Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2014-2015. « Vers de nouveaux horizons : préparer le terrain du changement dans la surveillance des activités de renseignement de sécurité » (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2015), à la page 26.)

[100]   Comment une partie qui jouit d’un privilège, comparaissant ex parte et à huis clos, peut-elle répliquer de telle manière? Les juges désignés agissent à titre de gardiens contre les pouvoirs intrusifs en assurant un équilibre entre les droits des particuliers et le besoin de l’État d’empiéter sur ces droits pour le bien de la collectivité. Ils doivent également veiller à ce que les méthodes intrusives demandées soient proportionnelles à la gravité de la menace. Les mandats décernés par les juges désignés ont des conséquences directes sur les activités du SCRS et sur les informations susceptibles d’être recueillies et conservées. Compte tenu de sa position unique en tant que demandeur et seule source de preuve devant la Cour, le SCRS a la lourde obligation de s’assurer que les juges désignés peuvent pleinement remplir leur rôle. La réponse du SCRS à la recommandation du CSARS démontre un manque de compréhension et de respect inquiétant à l’égard des responsabilités d’une partie bénéficiant du privilège de comparaître ex parte. S’il limite indûment la communication d’informations dont la Cour a besoin pour rendre de bonnes décisions, le SCRS peut alors être considéré comme un organisme qui manipule le processus décisionnel judiciaire.

[101]   En 2005, un groupe d’étude du SCRS a recommandé l’établissement d’un programme de conservation de données. Dès le jour où le programme a été mis en œuvre en 2006, le SCRS a jugé le programme assez important pour envoyer, en juillet 2006, une lettre informant le ministre de son existence. À ce moment, le SCRS était d’avis que la Cour devait également être dûment informée :

[traduction] « […] le Service présentera ses arguments à la Cour fédérale ou sous quelconque forme, soulèvera auprès de la Cour, la position révisée du Service en matière de conservation, et sollicitera ses commentaires sur la question […] »

(Voir l’affidavit de [***], daté du 21 avril 2016, au paragraphe 27.)

[102]   Si le programme de conservation justifiait une telle présentation et une telle demande de commentaires à la Cour en 2006, pourquoi alors le SCRS n’a-t-il abordé le sujet avec indifférence qu’à la fin de l’audience en décembre 2011 sous le prétexte « d’améliorer la formulation »? Comment le SCRS peut-il prétendre avec crédibilité avoir informé la Cour « d’une manière claire et transparente »?

[103]   Je ne suis pas du tout d’accord avec l’affirmation du SCRS selon laquelle la Cour a été informée « d’une manière claire et transparente ». Le SCRS savait, depuis aussi loin que 2006, qu’il devait informer la Cour des changements importants qu’il apportait à sa politique de conservation d’informations. Malheureusement, la preuve ne permet pas de conclure que le SCRS a intentionnellement omis d’informer la Cour d’une manière claire et transparente. À tout le moins, le SCRS était au courant qu’il devait informer la Cour en 2006, mais il ne l’a pas fait.

[104]   En outre, la réponse du SCRS à la recommandation du CSARS d’informer la Cour fédérale soulève d’autres interrogations :

[…] Le SCRS estime que l’article 21 de la Loi sur le SCRS ne confère aucun pouvoir général de surveillance aux juges de la Cour fédérale […]

(Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2014-2015. « Vers de nouveaux horizons : préparer le terrain du changement dans la surveillance des activités de renseignement de sécurité » (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2015), à la page 26.)

[105]   Une telle position est inacceptable. Comment le SCRS, en 2006, peut-il reconnaître la nécessité de présenter le programme de conservation à la Cour et solliciter ses commentaires, mais prétendre en 2015 qu’il n’est absolument pas responsable de le faire parce que les juges désignés « n’ont pas de pouvoir de surveillance »? Cette position est pour le moins incohérente et contradictoire. Elle porte aussi à croire que le SCRS n’a en fait jamais eu l’intention d’informer la Cour de façon appropriée.

[106]   Finalement, il aura fallu au SCRS quatre jours d’audiences en banc, plusieurs témoins et cinq affidavits pour expliquer le programme de conservation des données connexes et pour répondre aux questions des juges désignés.

[107]   Le SCRS a un rôle privilégié à jouer devant la Cour, mais il ne doit pas en abuser. Le SCRS ne peut décider lui-même de ce dont la Cour devrait être informée ou non. Le SCRS, en raison de sa lourde obligation de franchise, doit informer la Cour d’une manière complète, détaillée, claire et transparente de l’usage qu’il fait ou prévoit faire des informations qu’il recueille dans l’exécution des mandats qu’elle décerne, sans quoi elle n’est pas en mesure de bien s’acquitter de son obligation judiciaire de rendre justice conformément à la primauté du droit. Le SCRS doit avoir la confiance de la Cour lorsqu’il présente des demandes de mandats. Dans le présent dossier, il n’a certes pas favorisé la confiance de la Cour.

[108]   Dans les présentes observations, au paragraphe 99, le SCRS admet qu’il a manqué à son obligation de franchise depuis 2006, laquelle consistait à révéler l’existence du programme de conservation des données connexes. Le SCRS n’a pas informé la Cour « d’une manière claire et transparente » comme il aurait dû le faire. Malgré cette admission, dix ans plus tard, une telle conduite demeure inacceptable et contraire à l’intérêt de la justice. Aux fins de la présente instance, je conclus que le SCRS a manqué à son obligation de franchise en omettant d’informer la Cour de son programme de conservation des données connexes. Dans la décision X (Re), précitée, mon collègue le juge Mosley, dans un contexte factuel différent, a également conclu à un manquement à l’obligation de franchise. J’arrive à une conclusion similaire trois ans plus tard. Je me demande ce qui sera nécessaire pour s’assurer que de telles conclusions sont prises au sérieux. Sera-t-il nécessaire de recourir à une procédure d’outrage au tribunal, qui comporte de nombreuses conséquences?

B.        Mandat limité du SCRS

[109]   J’amorce la discussion sur l’interprétation du paragraphe 12(1) et des articles 2 et 21 de la Loi sur le SCRS dans la mesure où la collecte et la conservation d’informations dans l’exécution de mandats sont concernées. Je répète que les présents motifs se limitent à la demande dont je suis saisi et à ces articles. Dans cette section, j’entends établir en détail le mandat premier et les fonctions principales du SCRS. Pour ce faire, j’effectuerai premièrement une revue des principes applicables en matière d’interprétation législative. Deuxièmement, j’examinerai le contexte de la Loi sur le SCRS, notamment en examinant à fond les situations qui ont mené à son adoption. Troisièmement, j’exposerai en détail le régime de la Loi, puisqu’il est essentiel de le faire pour trancher adéquatement nombre des questions en litige. Quatrièmement, j’examinerai les différences et les similarités avec l’arrêt Charkaoui II, précité. Cinquièmement et finalement, j’énoncerai les conclusions clés de cette section.

1)         Principes d’interprétation

[110]   Dans son ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, la professeure Sullivan expose la méthode classique d’interprétation en trois volets : l’analyse fondée sur le sens ordinaire, qui utilise le texte de la loi comme source principale, l’analyse fondée sur le contexte telle qu’elle avait initialement été décrite par Elmer Driedger et précisée par la Cour suprême après qu’elle eut accepté la méthode dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, et l’analyse téléologique pour prendre en compte l’idée pratique derrière l’adoption de l’article dont il est question et de la loi dans son ensemble ainsi que les effets réels de l’interprétation de la Cour. (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (Markham, Ont. : Lexis Nexis, 2014) (Sullivan 2014), au paragraphe 2.1.)

[111]   Dans l’arrêt X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684 [précité], aux paragraphes 68 à 71, la Cour d’appel fédérale résume la manière dont une loi devrait être interprétée :

La méthode privilégiée en ce qui a trait à l’interprétation des lois a été ainsi définie par la Cour suprême du Canada (voir : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21. Voir aussi R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, au paragraph 29) :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

La Cour suprême a réaffirmé ce principe par l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

Cet enseignement quant à la bonne méthode à retenir en matière d’interprétation des lois a été rappelé par les arrêts Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 21, et Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, au paragraphe 27.

L’approche contextuelle de l’interprétation des lois est fondée sur l’idée que le sens grammatical et ordinaire d’une disposition n’est pas déterminant quant à son sens. Il faut tenir compte du contexte global de la disposition à interpréter, « même si, à première vue, le sens de son libellé peut paraître évident » (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 48). C’est à partir du libellé et du contexte global que le juge appelé à interpréter le texte recherche l’intention du législateur, qui est « [l]’élément le plus important de cette analyse » (R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, au paragraphe 26).

[112]   Comme l’a exprimé la Cour d’appel fédérale, les professeurs Côté et Sullivan, dans leurs plus récents ouvrages, affirment qu’à elle seule, l’analyse fondée sur le sens ordinaire ne suffit plus. Les deux auteurs éminents s’entendent plutôt pour dire que le contexte est primordial et que l’interprétation est légitime même si le sens ordinaire semble clair. Le professeur Côté affirme que :

[TRADUCTION] […] [n]ous tenons à exprimer notre profond désaccord avec l’idée selon laquelle l’interprétation est légitime ou appropriée seulement lorsque le texte est obscur. Cette idée repose sur le point de vue, incorrect, voulant que le sens d’une règle juridique est identique à une interprétation littérale de son texte. Le rôle de la personne qui interprète consiste à établir le sens des règles, non des textes, au moyen du sens textuel comme point de départ, tout au plus, d’un processus qui prend nécessairement compte d’éléments extratextuels. Le sens à première vue d’un texte doit être interprété à la lumière d’autres critères pertinents pour l’interprétation. Une personne compétente en matière d’interprétation se demandera si la règle ainsi interprétée peut être conciliée avec les autres règles et principes du système juridique : ce sens est-il compatible avec l’historique du texte? Les conséquences d’une interprétation de la règle reposant uniquement sur son sens littéral justifient-elles une révision de l’interprétation? Et ainsi de suite. [Note en bas de page omise.]

(Pierre-André Côté, The Interpretation of Legislation in Canada, 4e éd. (Toronto : Carswell, 2011) (PA Côté 2011), aux pages 268 et 269.)

[113]   À ce titre, même si le paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS ne pose pas de difficulté importante quant à son sens ordinaire et littéral, nous devons regarder plus loin. Comme l’a exprimé le professeur Côté, nous devons vérifier si le sens ordinaire correspond au contexte et à l’objet du paragraphe 12(1) lus conjointement avec l’article 2 et la loi dans son ensemble. (Sullivan 2014, précité, aux paragraphes 2.1, 2.2, 23.15 et 23.17.)

[114]   Étant donné que la règle du sens ordinaire n’est plus considérée comme une méthode d’interprétation adéquate en soi, les professeurs Côté et Sullivan conviennent que les anciennes règles qui n’admettent pas certains éléments extrinsèques pour éclairer le contexte doivent également être écartées. En fait, les deux auteurs sont d’accord pour dire que le matériel extrinsèque est utile aux fins d’une interprétation convaincante des lois. Bien que toute la preuve extrinsèque soit admissible, les auteurs signalent que le rôle de la Cour est désormais de déterminer le poids, l’importance et la valeur qu’elle devrait attribuer aux divers facteurs. (PA Côté 2011, précité, à la page 47.) (Sullivan 2014, précité, aux paragraphes 23.15 et 23.17.)

[115]   Il est bien reconnu que les historiques législatifs sont des sources extrinsèques utiles pour déterminer l’intention du législateur et l’objet de la Loi. À propos de l’analyse documentaire de l’historique législatif, la professeure Sullivan précise que, généralement, [traduction] « [d]ans un système parlementaire, le contenu des mesures législatives est probablement assujetti en grande partie aux intentions d’un nombre relativement restreint de personnes. Dans le cas des lois, il s’agira du ministre qui a fait la recommandation, qui tiendra compte des points de vue du Cabinet, ainsi que des parlementaires qui forment la majorité au Comité qui examine le projet de loi ». Ainsi, les déclarations faites par les personnes susmentionnées sont beaucoup plus utiles que les simples commentaires ou débats faisant intervenir d’autres parlementaires. La Cour suprême du Canada se fonde régulièrement sur des documents relatifs à l’historique législatif pour déterminer les objectifs des régimes créés par les lois. (Sullivan 2014, précité, aux paragraphes 23.67, 23.81 et 23.83.) (PA Côté 2011, précité, à la page 47.)

[116]   Bien que les rapports des commissions ne représentent pas la voix des ministres parrains ou des parlementaires concernés directement, les professeurs Sullivan et Côté sont clairement d’avis que ces rapports sont utiles et admissibles. En fait, ils les considèrent comme particulièrement utiles dans le processus d’interprétation et soulignent qu’ils ont été le premier type de preuve extrinsèque à être admis par les Cours. La professeure Sullivan donne l’explication suivante :

[traduction] Souvent une loi est précédée par le rapport d’une commission de réforme du droit ou d’un organisme similaire qui s’est penché sur une situation ou un problème et qui a recommandé une réponse législative. En général, de tels rapports font état des recherches effectuées par la commission, énoncent ses conclusions, décrivent les options stratégiques étudiées et formulent des recommandations. Il s’agit de travaux non partisans, dont les conclusions sont soigneusement motivées. Ces caractéristiques rendent probablement les rapports plus fiables que les documents dans le Hansard. En outre, les rapports des commissions jouent souvent un rôle précis dans la préparation d’une loi et, dans certains cas, un rôle considérable qui est susceptible d’accroître leur pertinence et leur importance. Il n’est donc pas surprenant que les rapports des commissions aient été le premier type d’historique législatif à être admis par les tribunaux dans les affaires d’interprétation législative.

(Sullivan 2014 [précité], au paragraphe 23.68.) (PA Côté 2011, précité, aux pages 455 et 456.)

2)         Méthode contextuelle

[117]   J’exposerai en détail le contexte entourant la Loi sur le SCRS. Pour ce faire, il sera essentiel de se reporter aux principes d’interprétation énoncés ci-dessus et à l’épopée législative qui a donné lieu à la version actuelle de cette Loi. J’ai fait un résumé de l’historique législatif aux paragraphes 50 à 55 des présents motifs. J’examinerai maintenant la question à fond.

[118]   Comme l’ont établi les professeurs Sullivan et Côté, une solution purement textuelle n’est plus considérée comme une réponse complète en matière d’interprétation. Le texte de la loi doit correspondre à l’objet du régime, tel qu’il se dégage de l’intention du législateur. Par conséquent, pour confirmer notre méthode dans l’examen du mandat et des fonctions du SCRS, la Cour doit étudier l’origine législative du SCRS. À cette fin, il faut remonter au début des années 1980, lorsque la Commission McDonald a publié son rapport sur le prédécesseur du SCRS, le Service de renseignement de la GRC. Ce rapport a suscité de nombreux débats politiques qui ont finalement donné lieu au dépôt du projet de loi C-157, qui a ensuite été examiné par un comité sénatorial, ce qui a mené au Rapport Pitfield. En réponse aux changements proposés par le Rapport Pitfield, le gouvernement de l’époque a déposé le projet de loi C-9, lequel, après quelques légères modifications, est devenu la Loi sur le SCRS en 1984 [Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, ch. 21].

[119]   La Commission McDonald a soulevé la préoccupation relative à l’imposition, à un service de renseignement, d’un mandat limité et du principe de stricte nécessité. Cette mesure ne figurait pas dans le projet de loi C-157, qui a été le premier projet de loi à être déposé pour créer un service canadien de renseignement. Après l’examen du projet de loi C-157, le Rapport Pitfield a recommandé que le mandat soit limité au « strictement nécessaire pour protéger la sécurité du Canada ». Le gouvernement de l’époque a suivi la recommandation du Rapport Pitfield de « limiter strictement » le mandat du service, mais n’a pas ajouté dans le projet de loi C-9 le segment « pour protéger la sécurité du Canada ». Il avait été expliqué à l’époque qu’une définition précise de « menaces envers la sécurité du Canada » (article 2) suffisait lorsqu’il en était question l’article 12.

a)         Commission McDonald

[120]   Un principe d’interprétation vise à repérer les erreurs que la mesure législative proposée cherche à corriger. Avant d’examiner en détail l’historique législatif de la Loi sur le SCRS, il convient de souligner que l’une des recommandations les plus importantes de la Commission McDonald consistait à proposer la constitution d’un service civil, complètement détaché de la GRC. La Commission McDonald a reconnu que le nouveau service devait être empreint d’une nouvelle mentalité entièrement distincte de la manière dont une organisation policière fonctionne, pour éviter de répéter les erreurs du passé.

[121]   Le Rapport de la Commission McDonald, publié en 1981 par suite de l’enquête sur les activités du Service de renseignement de la GRC, faisait état de sérieuses préoccupations quant aux violations de la loi commises par la GRC au nom de la sécurité nationale. Pour s’assurer que de telles activités illégales ne se reproduisent pas, la Commission McDonald a suggéré que le mandat d’un futur service de renseignement soit expressément défini et limité afin de dissuader ses membres de mener des activités illégales au nom de la sécurité nationale. Elle a formulé les recommandations suivantes :

45. […]

Nous croyons qu’une disposition statutaire faisant état de la nécessité de restreindre les activités de renseignements pour la sécurité à ce qui est strictement nécessaire pour assurer la sécurité du Canada amènerait probablement les responsables des activités de sécurité, tant au niveau de la direction qu’à celui de l’exécution, à prendre davantage conscience des menaces que pourrait faire peser sur la liberté une interprétation trop large du mandat du service.

NOUS RECOMMANDONS QUE la loi instituant le service de renseignements pour la sécurité du Canada renferme une disposition portant que le travail du service devrait se limiter à ce qui est strictement nécessaire pour protéger la sécurité du Canada et que le service de renseignements pour la sécurité ne devrait pas faire enquête sur une personne ou sur un groupe du seul fait de la participation de cette personne ou de ce groupe à des initiatives légitimes de défense d’une cause, de protestation ou de dissidence. [Non souligné dans l’original; caractère gras dans l’original.]

(Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie V (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), à la page 465, au paragraphe 45.)

[122]   C’est pourquoi le principe de stricte nécessité applicable au mandat du service de renseignement a été instauré. Il visait à rappeler au personnel du renseignement opérationnel qu’il y avait des limites à leurs actions et que la primauté du droit empêchait une interprétation beaucoup trop large du mandat du service.

[123]   De surcroît, afin d’éviter une collecte excessive de renseignements, il a été recommandé que le mandat du nouveau service soit précis :

190. […] Mais en l’absence d’un mandat clair et net, un service de renseignements pour la sécurité est naturellement porté, quel que soit son talent analytique, à recueillir trop d’informations, de crainte de se voir reprocher par le gouvernement de ne pas être en mesure de fournir les renseignements qu’il lui demande. On ne recueille pas des renseignements comme on ouvre et ferme un robinet. Voilà aussi pourquoi il est important que le Parlement établisse une politique d’ensemble cohérente en matière d’enquêtes de sécurité.

(Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie V (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), à la page 524, au paragraphe 190.)

[124]   En outre, la Commission McDonald a précisé ce qu’elle considérait comme les fonctions propres à un service de renseignement :

30. […]

c) […] La loi devrait définir formellement la responsabilité fondamentale du service qui est de recueillir, d’analyser et de communiquer des renseignements concernant les menaces à la sécurité nationale et implicitement circonscrire ses opérations, en lui interdisant de se livrer en matière de renseignements à des activités n’ayant rien à voir avec les menaces à la sécurité nationale (comme les définit la loi) et d’assumer des tâches administratives liées à l’application des mesures de sécurité. La loi devrait indiquer, outre les responsabilités générales du service, jusqu’où celui-ci peut aller dans l’exécution d’un certain nombre de tâches précises : activités menées à l’extérieur du Canada, relations avec les services étrangers et les autorités municipales et provinciales, préparation de rapports dans le cadre de programmes de filtrage sécuritaire intéressant les employés de la Fonction publique, l’immigration, la citoyenneté et les certificats d’identité. [Non souligné dans l’original.]

(Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 2, partie VIII (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), aux pages 942 et 943, au paragraphe 30c).)

[125]   La Commission a donc formulé les recommandations suivantes :

31. […]

NOUS RECOMMANDONS QUE le Parlement adopte une mesure législative autorisant un organisme à exercer des activités en matière de renseignements et de sécurité et prévoyant

[…]

c)   les responsabilités générales du service de recueillir, d’analyser et de communiquer des renseignements concernant la sécurité sans aller au-delà de ces activités, y compris l’autorisation expresse d’exercer certaines activités à l’extérieur du Canada, d’établir des relations avec les services étrangers et les autorités provinciales et municipales et déjouer un rôle dans les programmes de filtrage sécuritaire;

[…]

5. NOUS RECOMMANDONS QUE toutes les tâches de collecte de renseignements que le gouvernement confie au service de renseignements pour la sécurité soient compatibles avec la définition statutaire du mandat de ce service et que toute législation ou réglementation prévoyant des exemptions ou des pouvoirs spéciaux à des fins sécuritaires soient conformes à la définition des menaces à la sécurité du Canada, telle qu’elle figure dans la loi instituant le service de renseignements pour la sécurité. [Non souligné dans l’original; caractère gras dans l’original.]

(Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 2, partie VIII (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), à la page 944, au paragraphe 31. Voir également à la page 1130, au paragraphe 5 du Résumé des recommandations.)

[126]   Comme on peut le lire, les fonctions principales de collecte et d’analyse sont énumérées, entre autres. La Commission a clairement exprimé que le mandat du service de renseignement doit être limité. Précisément, les fonctions principales doivent s’accorder avec la définition de menaces envers la sécurité du Canada.

[127]   La Commission McDonald a abordé la question de la conservation d’informations séparément des deux autres fonctions principales (collecte et analyse). La Commission, tout à fait consciente des préoccupations liées à la protection de la vie privée et des subtilités d’une enquête en matière de renseignement, s’attendait à ce que les méthodes intrusives utilisées soient proportionnelles à la gravité des menaces :

2. […]

b) Le moyen d’enquête utilisé doit être proportionné à la gravité de la menace et à la probabilité de sa mise à exécution. Dans une société libérale, qui en principe désire réduire au minimum l’ingérence des organismes secrets de l’État dans la vie privée de ses citoyens et dans les affaires tant de ses groupements politiques que de ses institutions privées, les techniques d’enquête qui empiètent sur la vie privée ne doivent être utilisées que lorsque le justifient la gravité et l’imminence de la menace à la sécurité nationale. Ce principe prend une importance particulière lorsqu’on envisage de mener des enquêtes de sécurité sur des groupes, bien qu’il n’y ait pas de preuve qu’ils ont commis ou sont sur le point de commettre un acte criminel. [Non souligné dans l’original.]

(Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie V (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), aux pages 539 et 540, au paragraphe 2b).)

[128]   En résumé, la Commission était également d’avis que les services du renseignement recueilleraient plus d’informations que nécessaire, en raison des « sous-produits accidentels ou des “retombées” ». Avec perspicacité, la Commission a affirmé qu’un service ne devrait pas conserver des informations non liées à des menaces réelles ou éventuelles envers la sécurité du Canada. La Commission a demandé à ce que des contrôles soient établis pour prévenir cette situation :

11. Les renseignements obtenus « accidentellement » par le recours aux techniques « intrusives » autorisées pour une autre enquête constituent une autre source de renseignements confidentiels qui pourrait être accessible à ce premier niveau. Le système de contrôle du FBI, à ce niveau, permet le recours aux sources humaines, mais non aux sources techniques existantes (c’est-à-dire à l’écoute électronique). Il s’agit ici d’un des aspects du phénomène des sous-produits accidentels ou des « retombées » dont traite plus à fond le chapitre suivant. Il est possible, par exemple, qu’une enquête complète autorisée sur l’organisation A révèle que l’organisation B peut poser une grave menace à la sécurité, alors qu’une enquête complète n’a pas été autorisée sur l’organisation B à l’aide de techniques comportant intrusion. Dans ces circonstances, on pourrait déroger au système de contrôle régissant l’emploi des techniques d’enquête avec intrusion et profiter de l’occasion pour utiliser les sous-produits accidentels de ces techniques. Les agents des bureaux régionaux ou des services pertinents de la Direction générale devraient pouvoir se servir de ces renseignements dans leur évaluation préliminaire de l’organisation B, mais l’usage des renseignements ainsi obtenus doit être noté à la Direction générale, afin de faciliter le contrôle de l’activité par la haute direction du service et par l’organisme de révision indépendant.

[…]

14. Nous croyons que des mécanismes de contrôle s’imposent pour empêcher le service de renseignements pour la sécurité de tenir des dossiers sur des milliers de personnes qui ne sont ni de près ni de loin des menaces à la sécurité du pays. Dire que le service peut recueillir des renseignements sur des particuliers pour autant que ces renseignements se rapportent au mandat du service, c’est poser une règle si vague et si lâche qu’elle suffirait à justifier n’importe quel programme de collecte. [Non souligné dans l’original.]

[…]

21. La haute direction du service de renseignements pour la sécurité devrait mettre en œuvre un programme bien structuré d’examen des dossiers afin de retirer et de détruire les données qui n’ont aucun rapport avec le mandat du service ou qui sont devenues désuètes. Le Service de sécurité de la GRC a exécuté un tel programme au cours des dernières années. De janvier 1972 à juin 1977, par exemple, 501 000 dossiers ont été créés, mais 332 201 ont été détruits. Bien entendu, comme en fait foi la destruction des dossiers relatifs à l’Opération Checkmate, il peut y avoir des abus aussi bien dans la destruction que dans la création de dossiers. Nous avons eu connaissance de cas où la destruction de dossiers a été décrétée afin de supprimer toute trace d’activités douteuses. La destruction des dossiers ne doit pas se faire au petit bonheur, mais plutôt selon un plan clairement établi et d’après des critères approuvés par le ministre responsable du service. [Non souligné dans l’original.]

(Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie V (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), aux pages 543, 544 et 547, aux paragraphes 11, 14 et 21.)

[129]   Dans l’ensemble, la Commission McDonald a insisté pour que le mandat et les fonctions de collecte et de conservation des services du renseignement soient strictement limités aux menaces envers la sécurité du Canada. De ce fait, la Commission voulait que la fonction de conservation se limite également au « strictement nécessaire » afin d’éviter la conservation d’informations non liées à la menace. La Commission est allée plus loin en recommandant l’établissement de politiques garantissant l’examen et la destruction des informations non liées à la menace. Dans les mandats de la Cour se trouvent des conditions qui tentent de tenir compte de ces préoccupations.

[130]   Avant de passer à la prochaine étape utile pour établir le contexte, il serait opportun d’examiner les raisons fondamentales qui expliquent l’établissement de paramètres juridiques applicables aux activités d’un service de renseignement. Les paramètres juridiques visent à empêcher les agents de renseignement d’agir illégalement au nom d’un intérêt soi-disant supérieur. La Commission a clairement affirmé que les questions de sécurité nationale ne permettent pas de justifier toute mesure prise par les agents de renseignement, peu importe son degré d’illégalité, en invoquant la sécurité du Canada :

21. En second lieu; la règle de droit doit être respectée dans toutes les opérations de sécurité. Cette expression a donné lieu à diverses interprétations, mais retenons le sens qu’en donne l’auteur anglais, A. V. Dicey, lorsqu’il écrit :

… chacun, quel que soit son rang ou sa condition, tombe sous le coup de la loi ordinaire du royaume et ressortit à la juridiction des tribunaux ordinaires… Pour nous, tout serviteur de l’État, du, premier ministre au simple agent de police ou percepteur d’impôts, doit répondre comme tout autre citoyen des actes posés sans justification légale.

Quant à nous, cela signifie que les policiers et les membres d’un service de sécurité; de même que les hauts fonctionnaires et ministres qui les autorisent à agir, ne sont pas au-dessus des lois. Les membres du Service de sécurité ne devraient pas être libres d’enfreindre la loi au nom de la sécurité nationale. S’ils estiment que la loi ne leur accorde pas suffisamment de pouvoirs pour assurer la sécurité de l’État, les responsables de la sécurité doivent tenter de convaincre les législateurs, en l’occurrence le Parlement et les assemblées législatives des provinces, de modifier la loi. Ils doivent éviter d’y passer outre. C’est là une condition de toute société libérale. Il serait donc inacceptable de souscrire à l’opinion qui, à notre connaissance, a été exprimée au sein de la GRC et selon laquelle il n’appartient pas à un tribunal, mais à l’Exécutif, lorsqu’il y a conflit, de concilier les exigences de la sécurité nationale et la liberté de l’individu. [Non souligné dans l’original; note en bas de page omise.]

(Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie V (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), aux pages 45 et 46, au paragraphe 21.)

[131]   Ce message demeure aussi pertinent aujourd’hui que lorsqu’il a été exprimé sur papier pour la première fois. Il nous rappelle que nous devons rester vigilants pour nous assurer que les mandats législatifs de nos services de sécurité sont entièrement respectés. S’il y a lieu, il convient d’apporter les changements requis à ces mandats au moyen de modifications législatives, pas en étirant le sens d’un texte de loi. Autrement dit, les modifications doivent être légitimement adoptées, c’est-à-dire qu’il faut convaincre l’organe parlementaire du gouvernement qu’elles sont nécessaires pour renforcer la sécurité collective du Canada.

[132]   Je conviens que, pour maintenir et soutenir la primauté du droit, le mandat précis d’un service de renseignement doit être clairement défini par la loi. La Commission a repéré les erreurs du passé et proposé des façons de les corriger. Certaines d’entre elles ont déjà été mentionnées. Il se dégage manifestement des extraits du rapport de la Commission (ci-dessus) que l’établissement d’un mandat défini pour le service a servi précisément à corriger ces erreurs.

b)         Le projet de loi C-157 et le Rapport Pitfield

[133]   Comme il a été brièvement mentionné plus tôt, le projet de loi C-157 ne renfermait pas le principe de stricte nécessité dans la partie sur les fonctions du Service. Ce principe découle plutôt de l’étude du projet de loi C-157 par le Sénat (le Rapport Pitfield) publié en 1983. Le projet de loi C-157 a plus tard été déposé de nouveau sous la forme du projet de loi C-9. Je constate, d’après les débats et les rapports, que le projet de loi C-157 a été de façon générale vivement critiqué par les commentateurs et les témoins. Les critiques portaient notamment sur l’imprécision du mandat législatif initial.

[134]   Le Rapport Pitfield établit essentiellement un cadre réalisable pour la création d’un service de renseignement. La plupart de ses recommandations ont été adoptées et incorporées au projet de loi C-9. Aux fins de notre analyse, deux recommandations du rapport revêtent une importance cruciale, soit 1) l’incorporation du principe de stricte nécessité dans les fonctions et le mandat du service de renseignement et 2) l’importance accordée à l’idée que le mandat du service soit lié « aux menaces envers la sécurité du Canada » et à la protection des « activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord », pourvu que ces activités ne cadrent pas dans les définitions des catégories de menaces. Il est essentiel de noter que le Rapport Pitfield met l’accent sur la nécessité d’imposer des limites à ce qu’on appelle la [traduction] « première fonction » (article 14 du projet de loi C-157, ensuite article 12, maintenant paragraphe 12(1)) et sur l’idée que cette fonction est circonscrite par les définitions de « menaces envers la sécurité du Canada » (article 2).

[135]   Voici comment le Rapport Pitfield a fait référence à la Commission McDonald et comment il a abordé le mandat et les fonctions du futur service de renseignement :

28 Le paragraphe 14(1) du projet de loi énonce ce qu’on pourrait considérer comme la « première fonction » du Service du renseignement de sécurité :

Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des raisons sérieuses de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.

À première vue, il n’y aurait rien à redire à ce paragraphe. Il énonce clairement l’activité principale d’un service du renseignement de sécurité, à savoir la collecte, l’analyse et la conservation de renseignements et d’informations sur les menaces envers la sécurité. Mais si l’on y regarde de plus près, aussitôt se pose une question capitale : que faut-il entendre par « menace envers la sécurité du Canada »? La réponse à cette question est, on s’en doute, cruciale en ce qui concerne l’ampleur des pouvoirs du Service. En d’autres termes, comment définir le mandat de ce Service?

29 Avant d’y répondre, le Comité estime qu’il serait tout d’abord utile d’imposer une limite à la fonction première prévue au paragraphe 14. Il n’oublie pas, en effet, ce que la Commission McDonald et plusieurs autres témoins ont recommandé, à savoir que le libellé de l’article relatif au mandat du Service soit tel qu’il ne puisse donner lieu à des interprétations trop larges. La Commission McDonald recommandait, entre autres, ce qui suit :

Que la loi instituant le Service de renseignements pour la sécurité du Canada renferme une disposition portant que le travail du Service devrait se limiter à ce qui est strictement nécessaire pour protéger la sécurité du Canada […] (Recommandation no 4, Deuxième rapport, vol. 1, p. 465)

30 Il serait salutaire, aux fins d’interprétation, de modifier dans ce sens le paragraphe 14(1). Cette même Commission recommandait aussi, un peu plus loin, d’inclure certaines expressions qu’on retrouve au paragraphe 14(3) du projet de loi. Le Comité est d’avis que cet énoncé est également bienvenu, mais qu’il devrait être formulé dans une proposition affirmative qui tienne compte de la définition des menaces envers la sécurité du Canada dont il est question ci-dessous.

31 Ce qui nous ramène à la question du mandat. L’article 2 propose une définition des « menaces envers la sécurité du Canada ». On ne saurait exagérer l’importance de cette définition. C’est la limite fondamentale qu’on impose à la liberté d’action du Service. Elle précise les normes essentielles que le SCRS, son directeur et ses employés, doivent respecter dans l’exercice de leurs fonctions et jouera un rôle déterminant dans l’appréciation judiciaire du bien-fondé de telle ou telle technique d’enquête par intrusion. Elle servira également de point de référence pour l’évaluation des activités du Service par les organismes de surveillance et par les responsables politiques du Service. Cette définition ne crée cependant pas un nouveau crime ni une nouvelle catégorie de crimes. [Non souligné dans l’original; note en bas de page omise.]

(Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada (novembre 1983) (Président : P.M. Pitfield), aux paragraphes 28 à 31.)

[136]   Les changements proposés dans le Rapport Pitfield visaient à « préciser » l’objet principal des activités du service de renseignement et à protéger la démonstration et l’expression légitimes de différents points de vue, tout en informant adéquatement le gouvernement des menaces véritables pour la sécurité du pays. Une fois encore, ce langage très ferme, tiré d’un deuxième rapport portant sur les mêmes sujets, réaffirme les recommandations de la Commission McDonald de limiter le mandat du service de renseignement, seulement cette fois s’y ajoutent les commentaires du Sénat.

c)         Le projet de loi C-9

[137]   Le 10 février 1984, M. Robert Kaplan, à l’époque solliciteur général du Canada (le ministre), a expliqué à la Chambre des communes les objectifs du projet de loi et la façon dont ils pouvaient être atteints :

[M. Kaplan :] […]

Nous voulons restreindre le mandat de notre service de sécurité afin que la portée de nos activités de renseignement de sécurité soit plus clairement et plus minutieusement définie. Nous voulons indiquer les pouvoirs précis que le service sera autorisé à utiliser, et nous voulons préciser les conditions et les limites de l’utilisation de ces pouvoirs. Nous voulons que ces conditions soient définies dans un cadre détaillé qui assurera le respect total de l’autorité de la loi, et nous voulons établir un comité non gouvernemental et totalement indépendant qui surveillera la justification des activités de renseignements de sécurité et rendra compte régulièrement au solliciteur général du Canada et au Parlement.

Le projet de loi a donc pour but, dans une large mesure, de présenter une nouvelle gamme de garanties et de contrôles qui n’existent pas actuellement pour protéger les droits des Canadiens contre des ingérences indues.

[…]

[M. Kaplan :] […]

Il faut au moins faire savoir au nouvel organisme en termes législatifs clairs et sans équivoque ce qu’il est censé faire. C’est pourquoi le projet de mandat est une partie si importante du projet de loi C-9. Le mandat sera la définition par le Parlement de la portée et des limites des activités du renseignement de sécurité […]

Le but primordial du service sera de recueillir et d’analyser des renseignements afin de garantir la sécurité du Canada […] Le service se bornera à recueillir et à analyser les renseignements de sécurité et en faire rapport.

[…]

[M. Kaplan :] […]

Je signale également que d’après la mission qui lui a été confiée sous une forme remaniée dans le projet en discussion, les services de sécurité ne sont autorisés à faire que les enquêtes qui sont « strictement nécessaires » à la sécurité nationale. Donc, cette mission doit s’interpréter au sens strict. Ce n’est pas que lorsqu’il aura été démontré que ces enquêtes étaient nécessaires à la sécurité nationale que les services chargés de cette mission pourront en effectuer. [Non souligné dans l’original.]

(Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 32e lég., 2e sess. (10 février 1984), aux pages 1272 à 1274.)

[138]   Les termes employés par le ministre sont clairs :

1.         Le mandat législatif du service de sécurité doit être restrictif et interprété étroitement;

2.         Le mandat législatif déterminera la portée des activités du service de sécurité;

3.         Les pouvoirs conférés au service de renseignement seront précisés et limités;

4.         L’objectif principal du service est de recueillir, d’analyser et de communiquer les informations concernant les menaces envers la sécurité du Canada. Je souligne qu’on n’y mentionne pas la conservation, bien qu’on la trouve à l’article 12 de l’avant-projet de loi; des précisions à ce sujet seront apportées plus loin.

d)         Le Comité permanent de la justice et des questions juridiques

[139]   Au Comité permanent de la justice et des questions juridiques, pendant une période de trois jours, les députés de l’opposition, M. Lawrence (un ancien solliciteur général du Parti progressiste-conservateur) et M. Robinson (député néo-démocrate de la Colombie-Britannique), ont précisément interrogé le ministre sur le libellé de l’article 12 proposé. Ils ont demandé si l’expression « dans la mesure strictement nécessaire » visait à limiter seulement la fonction de collecte ou également la fonction de conservation d’informations. Voici comment le débat sur cette question importante s’est déroulé :

M. Lawrence : […]

[…] Le FBI est également dans l’obligation d’avoir recours à ce que l’on appelle des « procédures de minimisation » qui visent à réduire l’invasion de la vie privée de personnes innocentes. Ainsi, il doit détruire promptement toutes bandes magnétiques des conversations personnelles de tous les innocents qui ont utilisé un appareil téléphonique faisant l’objet d’écoute clandestine. Votre projet de loi, par ailleurs, ne présente aucune restriction de ce genre. Si vous n’y avez pas pensé, cela vaudrait peut-être la peine de l’inclure.

M. Kaplan : Nous avons une politique stricte qui oblige à détruire toute information qui n’est pas pertinente aux renseignements captés selon les procédures appropriées.

M. Lawrence : Je suis heureux de vous l’entendre dire. Mais s’il s’agit d’une politique stricte, il n’y aurait rien de mal à l’inscrire noir sur blanc dans la loi, n’est-ce pas?

M. Kaplan : Si c’est une politique, elle pourrait en effet être inscrite dans la loi.

[…]

M. Robinson (Burnaby) : […]

Cet article comprend le complément circonstanciel « dans la mesure strictement nécessaire ». Il qualifie le membre de phrase précédent « recueille, aux moyens d’enquêtes ou autrement ». Selon certains témoins, toutes les activités et les fonctions du service devraient en fait être qualifiées. Pourquoi n’est-ce pas le cas, je ne comprends pas? Le service devrait « recueillir, au moyen d’enquêtes ou autrement, analyser et conserver, dans la mesure strictement nécessaire ». En d’autres termes, il ne conserverait et n’analyserait que les informations et les renseignements strictement nécessaires.

Dans le cas présent, ce qui m’inquiète plus particulièrement, c’est la conservation des informations et des renseignements. J’aimerais connaître la pensée du ministre à ce sujet. Étant donné les abus malheureux en matière de conservation de renseignements et d’ouverture de dossiers qui n’auraient jamais dû être ouverts, j’ose espérer que le ministre ne s’opposerait pas à ce que le complément circonstanciel « dans la mesure strictement nécessaire » soit appliqué tout autant à l’analyse et à la conservation qu’à la collecte.

M. Kaplan : Dans cet amendement, j’ai suivi à la lettre les recommandations du comité du Sénat. Le comité du Sénat a considéré que la fonction de collecte était celle qui devrait être limitée au strict nécessaire. Nous ne voulons pas qu’ils recueillent plus d’informations et de renseignements qu’il n’est strictement nécessaire, car c’est cette activité qui est la plus susceptible de violer la vie privée et les droits des gens.

M. Robinson (Burnaby) : Et la conservation. S’ils conservent ….

M. Kaplan : Non, car ne devriez-vous pas pour le moins pouvoir analyser les informations et les renseignements qui ont étés recueillis conformément à ce principe de la stricte nécessité? La fonction analytique a sa propre logique. Si vous avez obtenu les informations et les renseignements strictement nécessaires sans violer ni la vie privée ni les droits des intéressés, comment pouvez-vous exiger que leur analyse soit également limitée? Cette analyse est fonction des facultés cérébrales de l’analyste.

[…]

M. Robinson (Burnaby) : C’est surtout la notion de conservation qui m’inquiète.

M. Kaplan : C’est la même chose. S’il est démontré que cette collecte n’a pas outrepassé ce qui était strictement nécessaire, point n’est besoin de qualifier la conservation. Nous ne voulons pas d’autres points de contrôle, car ce n’est pas logique. Si l’accès est limité aux documents strictement nécessaires, point n’est besoin de qualifier leur conservation.

M. Robinson (Burnaby) : Il ne reste que cette collecte est régie par des motifs raisonnables. En ce qui me concerne, ce seuil est bas et la question reste à débattre.

La collecte est régie par des motifs raisonnables. Il se peut que les renseignements ainsi recueillis soient superflus, qu’ils n’auraient pas dû être recueillis. C’est la raison pour laquelle je suggère que la notion de stricte nécessité devrait également être appliquée à la conservation.

M. Kaplan : S’il s’avère qu’ils ne sont pas strictement nécessaires, ils n’auraient pas dû être recueillis.

M. Robinson (Burnaby) : D’où la question de la conservation, mais j’y reviendrai.

[…]

M. Robinson (Burnaby) : […]

D’abord, monsieur le président, aux termes de l’article 12 :

Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve…

[…]

M. Kaplan : Monsieur le Président, je suis d’accord avec ceux qui voudraient que les pouvoirs du Service soient strictement contrôlés. Mais je crois que les dispositions du projet de loi permettent déjà d’atteindre cet objectif, et je préfère attendre que les amendements soient déposés pour expliquer les raisons pour lesquelles je les trouve inutiles ou inappropriés.

[…]

M. Robinson (Burnaby) : […]

Je propose que les lignes 39 à 42, la page 6 et la ligne 1, page 7, du projet de loi C-9 soient rayées et remplacées par ce qui suit :

12(1) Le Service recueille, analyse et conserve, dans la mesure strictement nécessaire, les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs probables et raisonna- … »

Monsieur le président, le but de cet amendement, qui sera accepté par les députés de l’autre côté de la Chambre, je l’espère, est de garantir que le principe de la stricte nécessité s’applique non seulement à la cueillette de renseignements, mais aussi à l’analyse et à la conservation des informations et renseignements.

J’espère, monsieur le président, que le ministre réalise qu’en précisant que « le Service recueille … dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements … », on laisse entendre que le Service pourrait effectivement conserver des renseignements qui ne sont pas strictement nécessaires pour atteindre ces objectifs. Donc, je propose simplement d’appliquer le principe de la stricte nécessité à toutes les principales fonctions, à savoir la cueillette, l’analyse et la conservation des renseignements.

[…]

Mais vous constaterez que je n’ai changé le libellé de l’article actuel d’aucune autre façon. J’ai simplement voulu m’assurer que ce principe de stricte nécessité s’appliquerait, comme je l’ai déjà dit, à la conservation des renseignements, de sorte que tout renseignement qui n’est pas directement relié à la réalisation des objectifs du Service ne puisse être retenu. Mais, je le répète, je m’inquiète surtout de l’interprétation éventuelle des juges, si jamais un juge ou le directeur du service devait prendre une décision là-dessus. Ils pourraient prétendre que même si le service ne pouvait recueillir des renseignements que dans la mesure strictement nécessaire, rien ne l’empêcherait de conserver des renseignements même si ceux-ci n’étaient pas strictement nécessaires à la réalisation de leur mandat.

Par conséquent, il s’agit d’un petit amendement très important, en ce sens qu’il précise expressément le principe de stricte nécessité dans les domaines dont il est question au paragraphe (1) de l’article 12.

[…]

M. Kaplan : Je prétends, dis-je, que si le libellé qu’il propose avait été en vigueur à l’époque, il n’aurait jamais été question de conserver des dossiers, puisque les dossiers n’auraient même pas été établis. Donc, l’expression n’ajoute absolument rien à la protection du public. Par ailleurs, je vois mal qu’on puisse appliquer ce principe de stricte nécessité à l’analyse; pour moi, cela n’a pas de sens. Je comprends très bien qu’on puisse appliquer ce principe à la cueillette ou à la conservation de renseignements mais, à mon sens, cela ne convient nullement dans le cas de l’analyse.

Le président : Proposé par M. Robinson que l’article 12 du projet de loi C-9 soit modifié par substitution aux lignes 39 à 42, page 6, et à la ligne 1, page 7, de ce qui suit :

12. (1) Le Service recueille, analyse et conserve, dans la mesure strictement nécessaire, les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs probables et raisonna-

L’amendement est rejeté par 5 voix contre 3. [Non souligné dans l’original.]

(Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule no 28 (3 avril, 24 mai, 7 juin 1984), aux pages 10:54, 28:52, 28:53, 38:39, 38:42 et 38:43 (Président : Claude-André Lachance).)

[140]   J’ai inclus un long extrait de ces importantes discussions pour donner le contexte intégral de l’échange. Dans leurs observations, le procureur général et les avocats du SCRS ont seulement fourni une partie de cet échange. Contrairement à leurs observations, comme on peut le lire ci-dessus, le ministre n’a pas rejeté d’emblée la modification proposant d’ajouter le qualificatif « strictement nécessaire » à la fonction de conservation.

[141]   Au contraire, dans ces échanges, principalement entre M. Robinson et le ministre, la question soulevée dans le présent dossier a été directement abordée. Lorsque M. Robinson a demandé pourquoi le principe de « stricte nécessité » ne pouvait être interprété comme s’appliquant non seulement à la fonction de collecte, mais aussi à celle de conservation et d’analyse, le ministre a répondu que, puisque la collecte d’informations était limitée à ce qui est strictement nécessaire, il allait de soi que les informations qui n’étaient pas considérées comme strictement nécessaires ne seraient pas conservées.

[142]   M. Robinson a ensuite demandé au ministre d’aborder la question de la collecte d’informations superflues qui n’auraient pas dû être recueillies. Le ministre a répondu que « [s]’il s’avère qu’ils ne sont pas strictement nécessaires, ils n’auraient pas dû être recueillis ». Le ministre a ajouté que, si la collecte est limitée, la conservation de ce qui n’est pas strictement nécessaire devrait par conséquent être limitée également.

[143]   Le ministre a abordé la fonction d’analyse différemment. Il a affirmé que, si les informations ont été obtenues « conformément » au principe de stricte nécessité, il n’y a pas lieu de restreindre l’analyse qu’en fait le service. En outre, il a précisé que l’application du qualificatif « strictement nécessaire » à la fonction d’analyse limiterait l’esprit humain, ce qui n’était pas le résultat souhaité.

[144]   En bref, selon le ministre, il était inutile de strictement et expressément limiter la fonction de conservation puisqu’elle était déjà implicitement limitée par une collecte d’informations stricte. De la même manière, la fonction d’analyse ne pouvait être restreinte aussi longtemps que les informations sous-jacentes avaient également été recueillies de façon légale. L’argument portant que l’expression « strictement nécessaire » ne s’applique pas à la fonction de conservation des informations ne reflète pas adéquatement l’intention expresse du législateur.

[145]   Finalement, le projet de loi C-9 est revenu à la Chambre des communes en troisième lecture; de nombreuses modifications ont été proposées, mais elles ont toutes fait l’objet d’une attribution de temps. En juin 1984, le projet de loi a franchi l’étape de la troisième lecture sans modifications importantes et a été adopté en deux parties au cours des mois de juillet et d’août 1984.

e)         Examen quinquennal et réponse du gouvernement

[146]   Telle qu’elle a été adoptée, la Loi sur le SCRS comportait une disposition prévoyant qu’elle devait faire l’objet d’un examen parlementaire et d’une réponse du gouvernement cinq ans après son adoption. L’examen a été effectué en septembre 1990, et le gouvernement a déposé sa réponse en février 1991. Les deux documents confirment le point de vue schématique de la Loi du ministre Kaplan et tiennent compte du fait que la grande majorité des recommandations du Rapport Pitfield ont été suivies.

[147]   Dans sa réponse, le gouvernement mentionne expressément les articles 12 (désormais le paragraphe 12(1)) et 2 comme les composantes du « mandat premier » du Service. En outre, je constate qu’il y fusionne les trois fonctions de collecte, de conservation et d’analyse en une seule, globale. Les fonctions ne sont pas séparées et sont toutes assujetties aux limites prévues aux articles 12 et 2 :

Le mandat premier du Service, portant sur son rôle essentiel à l’égard du renseignement de sécurité, se trouve dans deux dispositions de la Loi sur le SCRS : les définitions de « menaces envers la sécurité du Canada » aux paragraphes 2a), b), c) et d); la description du devoir du Service de recueillir, d’analyser et de conserver les informations et les renseignements qui pourraient constituer des « menaces envers la sécurité du Canada », à l’article 12.

L’exercice de ce mandat est régi par les limites et les contrôles prévus aux articles 2 et 12, par les instructions du ministre et par les règles et procédures opérationnelles du Service. En outre, certains pouvoirs utilisés par le Service doivent faire l’objet d’une demande de mandat judiciaire.

[…]

Les activités du SCRS en matière de collecte de renseignements de sécurité font aussi l’objet de restrictions qui vont au-delà des définitions contenues dans l’article 2. Deux de ces restrictions figurent à l’article 12 et ont des répercussions importantes sur les activités d’enquête du Service.

– Le SCRS doit avoir des « motifs raisonnables de soupçonner » que les activités constituent des menaces avant de pouvoir ouvrir une enquête.

– Le SCRS ne peut recueillir des informations ou des renseignements que « dans la mesure strictement nécessaire. » [Souligné dans l’original.]

(Solliciteur général du Canada. Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 1990 : Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur les infractions en matière de sécurité (Pierre H. Cadieux – Solliciteur général) (février 1991), au chapitre 5, aux pages 37 et 39.)

[148]   En ce qui concerne l’article 21 et la demande de mandats permettant le recours à des méthodes d’enquêtes intrusives, le rapport quinquennal donnait un aperçu du mécanisme visé :

9.6.1 […]

Le processus de demande et d’approbation des mandats est régi par les articles 21 à 28 de la Loi sur le SCRS. L’article 21 prescrit qu’il faut, avant de présenter une demande de mandat au juge de la Cour fédérale, obtenir l’autorisation du ministre. L’article 21 exige aussi que le directeur du Service, ou l’employé désigné par le ministre, ait « des motifs raisonnables de croire » qu’un mandat est nécessaire pour que le Service puisse enquêter sur des menaces envers la sécurité du Canada ou exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16 de la Loi sur le SCRS (comme, par exemple, la collecte d’informations sur des États et des citoyens étrangers). Il importe de mentionner que les dispositions relatives aux mandats sont nuancées par celles de la Loi sur le SCRS qui énoncent les fonctions du Service et de rappeler en particulier l’article 12 qui stipule :

Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada … [Non souligné dans l’original.]

(Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Une période de transition mais non de crise : Rapport du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (septembre 1990) (Président : Blaine Thacker), à la page 123.)

[149]   Je souligne le passage important du rapport d’examen qui énonce explicitement que le mécanisme applicable aux mandats selon l’article 21 ne constitue pas une partie indépendante à l’écart des restrictions imposées dans les autres articles. En effet, le rapport mentionne clairement que les limites de l’article 12 s’appliquent directement à la procédure de demande de mandats établie à l’article 21.

3)         Le régime de la Loi sur le SCRS : Analyse téléologique et textuelle

[150]   Comme l’ont présenté les parties, il s’agit essentiellement de déterminer si les différentes parties de la Loi sur le SCRS s’appliquent indépendamment les unes des autres. Les amici allèguent que le paragraphe 12(1) énonce les principes généraux et s’applique donc à la Loi dans son ensemble. De leur côté, le PGC et les avocats du SCRS rétorquent qu’il faut le renvoi explicite ou implicite de la disposition, d’une partie à une autre d’une loi, pour que la disposition prenne effet dans l’autre partie. Par conséquent, étant donné que le paragraphe 12(1) se trouve dans la partie I, il ne s’appliquerait pas au processus relatif aux mandats qui se trouve dans la partie II.

[151]   Compte tenu des règles d’interprétation applicables et de l’historique des questions en litige, le mandat du SCRS est limité à la collecte et à la conservation d’informations obtenues dans l’exécution de mandats. L’application de ces règles confirme que le SCRS a le mandat de recueillir des informations liées à la menace, mais qu’il ne peut conserver les données connexes recueillies dans l’exécution de mandats. Les données connexes sont de fait des métadonnées recueillies dans le cadre d’un mandat dont le contenu analogue a été considéré comme non lié à la menace et détruit. J’expliquerai également plus loin pourquoi un mandat ainsi limité correspond parfaitement aux enseignements de la Cour suprême du Canada exprimés dans l’arrêt Charkaoui II, précité.

[152]   Pour comprendre la Loi sur le SCRS et interpréter le mandat du Service, il est nécessaire de débuter en faisant un survol de la loi et en portant une attention particulière à la compétence législative du SCRS en matière de collecte et de conservation d’informations découlant du paragraphe 12(1).

[153]   En premier lieu, l’examen de la Cour d’appel fédérale sur l’objet de la Loi sur le SCRS dans l’arrêt X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684 [précité], au paragraphe 86, fournit un bon point de départ en appui à l’idée selon laquelle des contrôles stricts font partie intégrante du régime de la Loi sur le SCRS :

[…] La nécessité d’assujettir à des contrôles stricts les interventions des agences de renseignement et de sécurité est reconnue depuis longtemps. A l’occasion de l’affaire Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’objet visé par la loi ainsi que sur les principes directeurs ayant abouti à la création du SCRS. Au paragraphe 22 des motifs de son arrêt, la Cour suprême a cité l’extrait suivant Rapport du Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité [Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique] :

Un service du renseignement de sécurité doit, pour être crédible et efficace, jouir de pouvoirs extraordinaires et être en mesure de recueillir et d’analyser de l’information en empiétant parfois sur les libertés civiles des uns ou des autres. Mais il doit aussi être assujetti à des contrôles sévères et ne pas disposer de plus de pouvoirs qu’il ne lui en faut pour atteindre ses objectifs, qui doivent eux-mêmes se limiter à ce qui est requis pour assurer la sécurité du Canada.

(Rapport du comité sénatorial spécial, au par. 25)

[154]   En deuxième lieu, le rapport quinquennal obligatoire depuis l’adoption de la Loi sur le SCRS, publié en 1990 et intitulé Une période de transition mais non de crise : Rapport du Comité spécial d’examen de la Loi sur le SCRS et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, présente une brève vue d’ensemble de l’application de la Loi, aux paragraphes 2.1 à 2.3 :

2.1 […]

Le Service canadien du renseignement de sécurité est un organisme civil qui est contrôlé et administré par son directeur, et qui relève du solliciteur général. Le SCRS n’a pas le pouvoir de faire appliquer la loi et n’est pas autorisé, à titre d’organisme de renseignement, à se livrer à des activités offensives ou à prendre des « contre-mesures ». Autrement dit, ses employés n’ont pas, contrairement aux agents de la paix, le pouvoir de recueillir des éléments de preuve criminelle et de procéder à des arrestations, et ses activités revêtent un caractère essentiellement défensif. Le Service a un mandat principal et plusieurs mandats secondaires.

2.2 […]

Le mandat principal du Service est défini à l’article 12 de la Loi sur le SCRS : il doit recueillir au moyen d’enquêtes ou autrement, et dans la mesure du strict nécessaire, des informations et des renseignements sur les activités que l’on a de bonnes raisons de croire qu’elles menacent la sécurité du Canada, les analyser et les conserver. Le Service en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.

L’article 12 de la Loi sur le SCRS doit être interprété en fonction de la définition, à l’article 2, des « menaces envers la sécurité du Canada ». Ces menaces comprennent l’espionnage et le sabotage, les activités influencées par des pays étrangers, le terrorisme et la subversion. Selon cette définition, les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord ne constituent pas en soi des menaces si elles n’ont pas de lien avec l’un des éléments de la définition. L’article 12 et la définition des menaces envers la sécurité du Canada forment ensemble le mandat du Service en matière de renseignement de sécurité.

2.3 […]

Le SCRS a trois mandats secondaires, qui sont définis dans les articles 13, 14 et 16 de la loi.

(Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Une période de transition mais non de crise : Rapport du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (septembre 1990) (Président : Blaine Thacker), aux pages 13 et 14, aux paragraphes 2.1 à 2.3.)

[155]   La réponse du gouvernement au rapport sur l’examen quinquennal, intitulée Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90 : Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur les infractions en matière de sécurité, à la page 35, nous permet de mieux comprendre les objectifs de la loi :

En vertu de la Loi sur le SCRS, le Parlement a attribué au Service une série d’objectifs clairement définis. Les voici :

– recueillir, analyser et conserver les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; en faire rapport au gouvernement du Canada et le conseiller à cet égard (article 12);

– fournir des évaluations de sécurité, à l’appui du programme du gouvernement concernant les autorisations de sécurité (article 13);

– fournir des informations et des conseils à l’appui des programmes de citoyenneté et d’immigration du gouvernement (article 14);

– aider à la collecte de renseignements étrangers (article 16). [Souligné dans l’original.]

(Canada. Solliciteur général du Canada. Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90 – Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur les infractions en matière de sécurité (Pierre H. Cadieux – Solliciteur général) (février 1991), au chapitre 5, à la page 35.)

[156]   En troisième lieu, sur le plan plus structurel, la Loi sur le SCRS se compose de quatre parties et d’une série de définitions essentielles qui ont un lien avec certaines de ces parties. Je donnerai d’abord des détails sur les quatre parties et, au besoin, j’établirai un rapport avec les définitions pertinentes.

[157]   La partie I porte sur la constitution d’un service civil du renseignement de sécurité au Canada. La partie II établit et décrit le recours au contrôle judiciaire applicable lorsque le SCRS demande la délivrance de mandats. La partie III [articles 29 à 55] prévoit une surveillance civile des activités du SCRS par la constitution du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le CSARS). Enfin, la partie IV [article 56] prévoit un examen du rôle et de l’application du régime dans son ensemble cinq ans après l’adoption de la Loi. Comme il a déjà été dit, un tel examen a été effectué, un rapport a été produit et le gouvernement a présenté une réponse. Par ailleurs, lors de son adoption en 1984, la Loi sur le SCRS prévoyait également des contrôles ministériels des activités du SCRS par l’entremise du Bureau de l’inspecteur général. Ce poste a été aboli en partie en 2012 et n’a pas été remplacé.

[158]   Selon cette description schématique très générale, en ce qui a trait aux mandats, il saute aux yeux que l’intention du législateur était de veiller à ce que les activités du SCRS ne soient pas exclusivement surveillées par l’appareil judiciaire. En effet, le régime prévoit également une surveillance de nature civile (le CSARS) et de nature politique (initialement l’Inspecteur général relevant du Solliciteur général, et plus tard du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile).

a)         Détermination des fonctions principales et secondaires du Service

[159]   La partie I de la Loi traite de la constitution administrative normale d’un service civil. Elle établit et décrit les fonctions du Service. La « première fonction », c’est-à-dire faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada, est définie comme telle dans le Rapport Pitfield et est établie au paragraphe 12(1), qui correspondait initialement au paragraphe 14(1) dans son prédécesseur, le projet de loi C-157, et ensuite à l’article 12 avant les récentes modifications. Le Rapport Pitfield décrit le paragraphe 12(1) comme « l’activité principale d’un service du renseignement de sécurité », laquelle comprend « la collecte, l’analyse et la conservation de renseignements et d’informations sur les menaces envers la sécurité ». (Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada (novembre 1983) (Président : P.M. Pitfield), à la page 11, au paragraphe 28.)

[160]   La définition de « menaces envers la sécurité du Canada » donnée à l’article 2 se veut le complément de cette « première fonction ». Pris ensemble, le paragraphe 12(1) et l’article 2 forment le cœur de la fonction fondamentale du SCRS : faire enquête sur les menaces envers la sécurité du Canada.

[161]   Lorsque les méthodes traditionnelles ne permettent pas de faire progresser une enquête de façon significative, les paragraphes 21(1) et 21(2) et l’alinéa 21(2)b) en particulier (désignés ci-après simplement comme l’article 21) entrent en jeu pour permettre au SCRS de demander la délivrance de mandats à la Cour. La demande doit démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les informations demandées sont, sur le plan factuel, liées à une menace envers la sécurité du Canada, comme il en est fait mention aux paragraphes 21(1) et 12(1), et au sens de l’article 2. L’affidavit à l’appui de la demande de mandat et l’interrogatoire tenu ensuite à l’audience sont déterminants pour le juge qui doit décider s’il convient de décerner le mandat. Comme il est bien souligné dans le Rapport Pitfield, dans la discussion sur cette première fonction, la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » prévue à l’article 2 de la Loi constitue :

[…] la limite fondamentale qu’on impose à la liberté d’action du Service. Elle précise des normes essentielles que le SCRS, son directeur et ses employés doivent respecter dans l’exercice de leurs fonctions et jouera un rôle déterminant dans l’appréciation judiciaire du bien-fondé de telle ou telle technique d’enquête par intrusion. [Non souligné dans l’original.]

(Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada (novembre 1983) (Président : P.M. Pitfield), à la page 12, au paragraphe 31.)

[162]   L’article 21 s’applique lorsque les méthodes traditionnelles sont insuffisantes pour faire progresser une enquête et qu’il est nécessaire de recourir à des méthodes intrusives. Dans un tel cas, la Cour s’assure que la demande de mandats respecte toutes les exigences de la loi et que les mesures demandées sont justifiées au vu des faits présentés. L’article 21 ne crée pas un régime distinct n’ayant absolument aucun lien avec la première fonction du SCRS comme il est décrit au paragraphe 12(1). Au contraire, l’article 21 vient compléter la première fonction, c’est-à-dire « faire enquête », en établissant des exigences procédurales applicables aux demandes de mandats.

[163]   Aux termes de l’article 21, une demande de mandats doit contenir les faits pertinents, une explication selon laquelle d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain ou semblent avoir peu de chances de succès, les catégories de communications à intercepter, l’identité de la cible (si elle est connue) ou les catégories de personnes cibles proposées, une description générale du lieu où le mandat doit être exécuté, la durée proposée du mandat et les demandes antérieures présentées par le SCRS touchant aux personnes mentionnées dans l’affidavit.

b)         Précisions sur les fonctions secondaires

[164]   Ayant établi que la fonction fondamentale du SCRS est de faire enquête sur les menaces envers la sécurité du Canada, je dois maintenant m’étendre sur les fonctions secondaires du Service afin de bien saisir le régime de la Loi. Les fonctions secondaires du SCRS sont également précisées dans la partie I. Elles comprennent entre autres les activités suivantes : fournir des évaluations de sécurité aux ministères fédéraux, aux provinces, et aux services de police (paragraphes 13(1) et 13(2), respectivement), permettre au SCRS de conclure des ententes avec des États étrangers (paragraphe 13(3)) et fournir des conseils aux ministres sur les questions de sécurité du Canada (article 14).

[165]   En particulier, l’article 16, qui vise également des fonctions secondaires, prévoit la collecte d’informations concernant des États étrangers ou des personnes dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada. Les citoyens canadiens, les résidents permanents et les personnes morales constituées sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale sont exclus du champ d’application de l’article 16. Une enquête menée en application de l’article 16 vise à recueillir, au Canada, des informations ou des renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger, d’un groupe d’États étrangers ou d’un représentant autorisé. Le juge Mactavish a interprété de la façon suivante l’article 16 de la Loi sur le SCRS dans le Renvoi relatif à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, 2012 CF 1437, [2014] 2 R.C.F. 514, au paragraphe 84 :

Le paragraphe 16(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité interdit clairement au Service de prêter assistance en réponse à une demande ministérielle, si cette demande vise [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne]. Un [citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] est visé par les mandats demandés en l’espèce. Par conséquent, j’estime que je n’ai pas le pouvoir de décerner des mandats autorisant le Service à intercepter intentionnellement les communications [d’un citoyen canadien, d’un résident permanent au Canada ou d’une personne morale canadienne], y compris […]

(Voir également Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Une période de transition mais non de crise : Rapport du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (septembre 1990) (Président : Blaine Thacker), aux pages 13 et 14, au paragraphe 2.3, pour les détails.) (Voir également Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule no 28 (3 avril 1984), à la page 10:13 (Président : Claude-André Lachance).)

[166]   Comme on peut le lire à l’article 21, des mandats attentatoires peuvent être demandés en application de l’article 16. Cependant, contrairement aux mandats demandés en application du paragraphe 12(1), qui se rapportent à des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’article 2, le demandeur d’un mandat visé par l’article 16 et les exigences prévues à l’article 21 n’est pas tenu d’établir un lien avec des menaces envers la sécurité du Canada. Au contraire, la protection subsidiaire en place réside dans le fait qu’il n’est possible de demander un tel mandat qu’après que le ministre de la Défense ou le ministre des Affaires étrangères a sollicité personnellement la permission de le faire au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui doit être d’accord.

c)         Distinction entre les effets de l’article 21 sur le paragraphe 12(1) et l’article 16

[167]   Je dois absolument préciser de nouveau que les conclusions tirées en l’espèce, ainsi que l’interprétation donnée au paragraphe 12(1) dans les présents motifs, portent seulement sur la collecte, la conservation et l’analyse d’informations au regard de la première fonction ayant été décrite (lien avec des « menaces envers la sécurité du Canada »). L’interprétation des fonctions secondaires ne fait pas partie des questions soulevées dans la présente demande et aucune preuve n’a été présentée à cet égard.

[168]   En somme, l’article 21 se rapporte au paragraphe 12(1) et à l’article 16, mais, comme il est précisé ci-dessus, l’un porte sur une menace envers la sécurité du Canada (le paragraphe 12(1) en corrélation avec l’article 21), tandis que l’autre porte sur la collecte de renseignements étrangers effectuée par suite de demandes présentées par des ministres (l’article 16 en corrélation avec l’article 21). Le paragraphe 12(1) et l’article 16 doivent être traités différemment, étant donné qu’ils reposent sur des fondements factuels distincts dans le cadre d’une demande de mandats. On peut aussi ajouter que l’article 21 existe pour permettre, sur le plan procédural, l’application du paragraphe 12(1) et de l’article 16 au moyen de mandats judiciairement autorisés. Les autres fonctions ne peuvent se prévaloir de la procédure établie à l’article 21.

[169]   Une enquête menée en vertu du paragraphe 12(1) doit respecter les exigences établies à l’article 21 en vue de la délivrance de mandats. L’article 21 n’élargit pas la fonction principale décrite au paragraphe 12(1), il énonce plutôt les exigences en matière de procédure et de preuve pour convaincre un juge désigné que les mandats attentatoires demandés peuvent être décernés légalement. (Voir Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule no 28 (10 avril 1984), à la page 12:45 (Président : Claude-André Lachance).)

d)         Contrôle judiciaire découlant de l’article 21

[170]   À mon avis, tant la Commission McDonald que le Rapport Pitfield renforcent ma conclusion selon laquelle l’article 21 (anciennement l’article 22 du projet de loi C-157) a été adopté pour établir un système efficace de contrôle judiciaire dans le cadre du processus de demande de mandats.

[171]   Le Rapport Pitfield fait état d’une insatisfaction à l’égard de l’article 22 du projet de loi C-157 et propose un ensemble rigoureux de contrôles pour les mandats. La norme exigeant qu’un juge soit « convaincu » a été critiquée dans le rapport, qui recommande donc une norme plus rigoureuse. Cette recommandation a été adoptée lorsque le gouvernement a changé la norme pour « des motifs raisonnables de croire ».

[172]   Au risque de me répéter, l’article 21 n’a pas été adopté à titre de régime distinct et indépendant de la fonction principale créée par le paragraphe 12(1). Il a plutôt été adopté pour assurer le respect d’exigences procédurales rigoureuses et prévoir un système de vérification au moyen de contrôles judiciaires efficaces. Dans l’ensemble, les recommandations qui ont mené à l’adoption du paragraphe 12(1) visaient à garantir « que la collecte de renseignements sur l’étranger est à ce point essentielle à la sécurité de l’État qu’elle justifie une atteinte à la vie privée des personnes visées par le mandat ». En outre, le rapport recommandait l’inclusion d’une limite fixe quant à la durée des mandats et laissait entendre que l’examen judiciaire des mandats serait avantageux pour « la délivrance des mandats » (non souligné dans l’original). (Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada (novembre 1983) (Président : P.M. Pitfield), à la page 22, au paragraphe 60 et à la page 23, au paragraphe 66.)

e)         Distinction entre « motifs raisonnables de croire » et « motifs raisonnables de soupçonner »

[173]   Il s’avère crucial de comprendre la distinction entre les expressions « motifs raisonnables de soupçonner » figurant au paragraphe 12(1) et « motifs raisonnables de croire » figurant à l’article 21 pour bien examiner la Loi sur le SCRS en ce qui a trait aux enquêtes et à la délivrance de mandats.

[174]   La coexistence de deux normes distinctes qui s’appliquent aux diverses étapes d’une enquête était clairement intentionnelle, comme le montre des extraits des travaux du comité sur le projet de loi C-9. M. Kaplan était le solliciteur général à l’époque et M. Ted Finn occupait le poste de directeur du Groupe de transition du renseignement de sécurité du ministère du Solliciteur général. M. Finn est ensuite devenu le premier directeur du SCRS civil après la transition. Voici des extraits de leurs témoignages devant le Comité permanent de la justice et des questions juridiques en ce qui concerne le projet de loi C-9 :

M. Kaplan : […] J’estime que le critère établi au paragraphe 12.(1), à savoir des « motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada », nous assure que les activités qui ne constituent pas une menace ne feront pas l’objet d’une surveillance, et c’est précisément cette condition qui doit être remplie avant que le service de sécurité ne mette en œuvre des mesures de surveillance.

[…]

M. Finn : Si vous me permettez un bref commentaire, monsieur le président, je vous ferai remarquer qu’il existe un autre critère à l’article 21 portant sur les mandats, très précisément au paragraphe 21(1), il faut des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada.

M. Kaplan : Autrement dit, avant qu’on puisse recourir à des techniques de surveillance, il faut remplir la condition énoncée au paragraphe 21(1).

(Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule no 28 (3 avril 1984), aux pages 10:41 à 10:43 (Président : Claude-André Lachance).)

[175]   Même si ce n’est pas nécessaire aux fins des présents motifs, je souligne que les mesures de réduction des menaces envers la sécurité du Canada, issues des modifications apportées en 2015, exigent « des motifs raisonnables de croire » et non des « motifs raisonnables de soupçonner » (paragraphe 12.1(1) de la Loi sur le SCRS).

f)          Commentaires sur la partie III : Surveillance (CSARS et projet de loi C-22)

[176]   Après avoir examiné la partie II (contrôle judiciaire), je me pencherai brièvement sur la partie III de la Loi sur le SCRS, qui établit les processus d’examen et de surveillance des activités du Service complémentaires au contrôle de la Cour qui statue sur les demandes de mandats.

[177]   En premier lieu, la Cour fédérale entend les demandes de mandats à huis clos et ex parte. Avant de rendre sa décision, la Cour se renseigne sur le fondement de la demande en interrogeant les auteurs des affidavits et les avocats du SCRS et en soupesant la preuve et les arguments. Les méthodes intrusives doivent être soigneusement examinées puisqu’elles empiètent considérablement sur le droit à la vie privée des cibles. Conscient de ces conséquences, le législateur a décidé que des contrôles judiciaires s’imposaient pour limiter ces pouvoirs. Je souligne qu’un contrôle judiciaire s’exerce au regard des faits propres à chaque enquête, en fonction des événements passés et des conséquences. Contrairement à un examen après les faits, la Cour est au courant des questions et des préoccupations réelles auxquelles le SCRS fait face dans ses activités quotidiennes et ses enquêtes sur les menaces envers la sécurité du Canada.

[178]   En deuxième lieu, en dehors des tribunaux, seul le CSARS, l’organisme civil de surveillance, assure actuellement la fonction de surveillance. Le CSARS, composé de membres du Conseil privé de la Reine, examine ex post facto (après le fait) le rendement du SCRS, les instructions du ministre, les ententes conclues par le SCRS en ce qui concerne, entre autres, les évaluations de sécurité avec les provinces ou les États étrangers ainsi que les règlements, entre autres. De plus, le CSARS peut notamment faire enquête sur les activités que mène le SCRS pour se conformer à la loi (paragraphe 40(1)), les plaintes contre le SCRS (article 41) et les refus d’une habilitation de sécurité (article 42). Il présente un rapport annuel au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et au Parlement (article 53). Le CSARS peut également présenter un rapport spécial de sa propre initiative ou à la demande du ministre (article 54).

[179]   Le SCRS est donc assujetti d’une part à des contrôles judiciaires lorsqu’il présente des demandes de mandats au titre du paragraphe 12(1) et des articles 21 et 16 et, d’autre part, à une surveillance civile au moyen d’examens de ses activités par le CSARS. Le législateur a établi ces mesures de contrôle pour veiller au respect de la Loi sur le SCRS. Chaque année, le CSARS examine environ cinq demandes de mandats pour vérifier si le SCRS s’est bien acquitté de ses responsabilités. La participation du CSARS fournit des indications sur la préparation des demandes de mandats, le processus de collecte d’informations à l’appui des affidavits et les conséquences juridiques générales des mesures prises par le SCRS. Le travail du CSARS est précieux, et la Cour apprécie les examens qu’il effectue. Le Rapport du CSARS de 2014-2015, qui traite de la collecte de métadonnées dans l’exécution de mandats, en est un parfait exemple. Les rapports contiennent également des statistiques sur les mandats décernés par la Cour chaque année. Il s’agit d’informations utiles, et il se peut que le CSARS fournisse plus d’informations à ce sujet dans l’avenir.

[180]   En troisième lieu, comme je l’ai déjà mentionné, le poste d’inspecteur général chargé de la surveillance ministérielle a été aboli. Au moment où je rédige les présents motifs, le projet de loi C-22, la Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence, a été déposé à la Chambre des communes. Il vise à créer un comité de parlementaires dont le mandat sera « a) d’examiner les cadres législatif, réglementaire, stratégique, financier et administratif de la sécurité nationale et du renseignement; b) à moins que le ministre compétent ne détermine que l’examen porterait atteinte à la sécurité nationale, d’examiner les activités des ministres liées à la sécurité nationale ou au renseignement; c) d’examiner toute question liée à la sécurité nationale ou au renseignement dont il est saisi par un ministre » [à l’article 8 de la première lecture le 16 juin 2016]. Il reste à voir si le projet de loi sera adopté et, dans l’affirmative, comment ce nouveau comité fonctionnera au sein du cadre de surveillance déjà établi et de concert avec les tribunaux. (Projet de loi C-22, Loi constituant le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et modifiant certaines lois en conséquence, 1re sess., 42e lég., 2015.) Actuellement, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est le représentant du gouvernement qui, entre autres responsabilités, donne des instructions, examine les politiques opérationnelles internes du SCRS et répond aux questions touchant le Service de la Chambre des communes.

g)         Précisions sur le paragraphe 12(1)

[181]   Je réitère que mon analyse du libellé du paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS est axée sur les mandats; je ne ferai pas de commentaires sur l’applicabilité des présents motifs aux autres fonctions du Service. En bref, le paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS établit les fonctions principales du SCRS : recueillir, analyser et conserver les informations et les renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada, au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS.

[182]   D’autres fonctions du Service non connexes, mais dignes d’être soulignées en l’espèce sont, entre autres : les évaluations de sécurité (article 13), les conseils aux ministres (article 14), les pouvoirs d’enquête (article 15) et la collecte d’informations concernant des États étrangers et des personnes (article 16). Mises ensemble, ces fonctions reflètent le mandat législatif conféré au SCRS par le Parlement.

[183]   Le paragraphe 12(1) et l’article 2 prévoient des restrictions précises. En ce qui concerne les fonctions principales définies au paragraphe 12(1), l’expression « dans la mesure strictement nécessaire » établit une importante restriction obligatoire aux fonctions du SCRS. La terminologie utilisée montre que la disposition visait à être claire et non ambiguë. Quant à l’article 2, le segment figurant à la fin des définitions de menaces envers à la sécurité du Canada, « [l]a présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d) », montre que les activités légitimes (activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord) sont expressément exclues du champ de compétence du Service. Ainsi, le mandat et les fonctions du SCRS ne sont pas illimités, mais plutôt clairement restreints par le vocabulaire utilisé pour les décrire.

[184]   De prime abord, le lecteur pourrait être amené à croire que l’expression « strictement nécessaire » qui se trouve au paragraphe 12(1), en raison de sa position dans la phrase, ne s’applique qu’à la fonction principale de collecte, et non aux deux autres (conservation et analyse). En outre, la conjonction « et » qui suit l’expression « strictement nécessaire » peut également donner l’impression que la collecte doit être exécutée dans la mesure strictement nécessaire, tandis que les fonctions de conservation et d’analyse ne sont pas limitées de la sorte. Voilà ce que donnerait une interprétation littérale strictement limitée. Cependant, comme l’exigent les principes d’interprétation des lois, nous devons pousser plus loin notre analyse.

[185]   Le paragraphe 12(1) doit être interprété avec logique. En effet, si la collecte d’informations se fait selon le principe de stricte nécessité, il va sans dire que la conservation d’informations rigoureusement filtrées est permise, étant donné que le point d’entrée des informations réside dans le processus de collecte rigoureux. Ainsi, la fonction de conservation ne peut logiquement s’appliquer qu’à ce qui a été recueilli sur une base « strictement nécessaire ». La même justification s’applique à la fonction d’analyse : si la collecte a été validement effectuée, seules ces informations recueillies de manière rigoureuse sont analysées. Dans ces cas de figure, il n’y a pas de limites à la conservation ou à l’analyse des informations parce qu’elles ont été légitimement recueillies conformément au paragraphe 12(1) et à l’article 2. Cependant, s’il étend sa collecte d’informations au-delà de ce que la loi l’autorise à faire, c’est-à-dire s’il outrepasse la portée du mandat ou recueille des informations non liées à la menace, le SCRS ne peut pas conserver ces informations à long terme ni les analyser, puisqu’elles n’auraient pas dû être recueillies au départ.

[186]   Compte tenu du libellé du paragraphe 12(1), le SCRS ne peut recueillir et conserver des informations uniquement si elles ont été obtenues au moyen d’enquêtes ou autrement et uniquement si elles s’inscrivent dans les limites établies au paragraphe 12(1) et à l’article 2. Les cibles légitimes sont des particuliers ou des groupes d’intérêt qui sont ou risquent d’être liés à des activités constituant des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’article 2 de la Loi. Le SCRS peut évidemment analyser ces informations recueillies et conservées de manière rigoureuse dans la pleine mesure de ses compétences. Cependant, il est essentiel de préciser que les informations qui ne sont pas liées à la menace ni à la cible, recueillies de manière fortuite, ne font pas partie de ce qui est « strictement nécessaire ». Il en résulte que les informations de tiers qui ne sont liées ni à la menace ni à la cible ne peuvent être conservées que pour une courte période, le temps de vérifier si elles concernent la sécurité nationale. Ces informations doivent être détruites si cet examen révèle qu’elles ne sont pas liées à des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS, qu’elles ne peuvent pas servir dans le cadre de poursuites ou qu’elles ne concernent pas la conduite des affaires internationales ou la défense du Canada.

[187]   Si la collecte d’informations dans l’exécution de mandats se limite aux activités liées à la menace que mène la cible, il peut alors être justifié que ces informations soient conservées aux fins d’utilisation et d’analyse futures. La question précise qui est soulevée dans la présente instance, vu la preuve présentée, est que l’exécution d’un mandat, peu importe qu’il s’agisse de l’interception d’une télécommunication ou d’une communication écrite, permet de recueillir davantage que ce qui est directement lié à la cible du mandat. Par conséquent, des informations non liées à la cible ou à la menace peuvent être recueillies de façon fortuite dans l’exécution du mandat. Cependant, la collecte de telles informations n’entre pas dans la portée du mandat et n’est pas la raison pour laquelle le mandat a été décerné. La Cour décerne un mandat parce que la preuve a révélé que la cible se livre à des activités liées à des menaces au sens de l’article 2 de la Loi. Un mandat ne donne pas la permission de conserver des données connexes à des informations qui ne sont pas liées à la cible et que le SCRS a subséquemment considérées comme non liées à la menace, inutiles dans le cadre de poursuites ou dans les domaines de la conduite des affaires internationales ou de la défense du Canada.

[188]   Les paramètres établis au paragraphe 12(1) ne permettent pas au SCRS de conserver à long terme les informations qui ne sont pas liées à la menace ni à la cible. Si le SCRS veut conserver ces informations qui ne sont pas visées par son mandat, il doit obtenir des changements législatifs lui permettant de le faire. Le SCRS ne respecte pas son mandat législatif strict lorsqu’il conserve pour une durée indéterminée les informations sur des parties non liées à la cible ou à la menace recueillies dans l’exécution de mandats visant, avec raison, des menaces envers la sécurité du Canada. Un tiers ne devient pas automatiquement une cible au sens de la loi du simple fait qu’il a été en contact avec un individu ou un groupe visé ou avec les moyens de communication de cet individu ou de ce groupe. Les informations non liées à la menace ou à la cible recueillies en raison d’une coïncidence relative au temps ou aux événements ne devraient pas être conservées plus longtemps qu’une courte période d’examen permettant d’établir si elles sont liées à la menace.

4)         Considérations additionnelles

a)         Différences et similarités avec l’arrêt Charkaoui II

[189]   Contrairement à ce que le PGC et le SCRS font valoir, l’arrêt Charkaoui II rendu par la Cour suprême appuie mes conclusions portant que le principe de stricte nécessité s’applique également à la fonction de conservation et que l’article 21 n’est pas une disposition indépendante qui s’applique isolément des restrictions prévues au paragraphe 12(1). L’arrêt Charkaoui II ne contredit pas cette interprétation de la Cour du paragraphe 12(1). Dans l’arrêt Charkaoui II, qui porte également sur la conservation d’informations, après une analyse de l’historique législatif du paragraphe 12(1) semblable à la nôtre, la Cour suprême a confirmé que les informations liées aux cibles d’enquête doivent être conservées dans leur format original et ne pas être transposées dans des documents secondaires si l’original est détruit par la suite. Ce faisant, la Cour suprême a confirmé que le mandat du SCRS doit être interprété de façon restrictive au sens du paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS.

[190]   La distinction essentielle entre les présents motifs et les conclusions de l’arrêt Charkaoui II en ce qui concerne la conservation d’informations réside dans le fait que l’arrêt Charkaoui II, lorsque lu dans son intégralité, porte clairement sur la conservation par le SCRS de notes opérationnelles recueillies conformément à sa loi habilitante, tandis que l’affaire dont la Cour est actuellement saisie porte sur la collecte d’informations qui ne sont pas liées à la menace ni à la cible. Par conséquent, nous devons lire attentivement le paragraphe 38 de l’arrêt Charkaoui II et établir les distinctions qui s’imposent :

Rien n’indique, dans cette disposition, que le SCRS est tenu de détruire l’information recueillie. Nous sommes plutôt d’avis que l’art. 12 de la Loi sur le SCRS lui impose une obligation de conserver ses notes opérationnelles. Pour paraphraser l’art. 12, le SCRS doit acquérir de l’information dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement de son mandat, puis analyser et conserver les informations et renseignements pertinents.

[191]   La Cour suprême ne s’est pas penchée sur la conservation d’informations non liées à la menace ou à la cible, qui ne seraient donc pas pertinentes. À ce titre, seul l’énoncé général de la Cour suprême en matière de conservation, au paragraphe 38, semble pertinent en l’espèce :

[…] SCRS doit acquérir de l’information dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement de son mandat, puis analyser et conserver les informations et renseignements pertinents.

[192]   La Cour suprême a également fait référence aux recommandations importantes du Rapport Pitfield sur le mandat limité du Service, au paragraphe 22 [de l’arrêt Charkaoui II]. Elle a cité le paragraphe ci-après du Rapport Pitfield pour expliquer que, puisque le SCRS a obtenu de larges pouvoirs en matière d’enquête, ses fonctions devraient être strictement liées à l’objectif visant à protéger la sécurité du Canada :

Un service du renseignement de sécurité doit, pour être crédible et efficace, jouir de pouvoirs extraordinaires et être en mesure de recueillir et d’analyser de l’information en empiétant parfois sur les libertés civiles des uns ou des autres. Mais il doit aussi être assujetti à des contrôles sévères et ne pas disposer de plus de pouvoirs qu’il ne lui en faut pour atteindre ses objectifs, qui doivent eux-mêmes se limiter à ce qui est requis pour assurer la sécurité du Canada.

(Rapport du comité sénatorial spécial, par. 25)

[193]   En outre, la Cour suprême a confirmé [dans l’arrêt Charkaoui II] que la Loi sur le SCRS tient compte des recommandations de la Commission McDonald et du Rapport Pitfield (au paragraphe 24) :

La Loi sur le SCRS reflète les principes d’organisation et d’action recommandés par les rapports qui ont précédé son adoption. Cette loi prévoit les diverses fonctions dévolues au SCRS, dont voici quelques exemples. Le SCRS est principalement chargé de recueillir « les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada » (art. 12).

[194]   Dans la même décision, la Cour suprême est également attentive à la question selon laquelle le rôle moderne du SCRS n’est pas demeuré inchangé depuis l’adoption de sa loi constitutive en 1984. Je retiens et prends en considération cet important détail qui a été exposé dans son analyse générale (au paragraphe 26) :

Certes, le SCRS ne constitue pas un service policier. Ce constat ressort de l’historique législatif présenté ci-haut. Cependant, la réalité commande de reconnaître que des convergences se développent entre les activités de la GRC et celles du SCRS depuis que le terrorisme national et international est devenu une préoccupation croissante pour ces organismes et pour le Canada. Le partage des tâches accomplies par le SCRS et la GRC, en matière d’enquête sur des activités terroristes, tend à devenir moins net que les auteurs des rapports cités plus haut semblaient l’envisager à l’origine.

[195]   J’en comprends des paragraphes ci-dessus que le SCRS ne doit pas conserver les informations qu’il n’a pas recueillies légalement, c’est-à-dire celles qui échappent à la portée du mandat ou qui ne sont pas liées à des menaces envers la sécurité du Canada. Par contre, le SCRS doit conserver dans leur format original les informations qui sont effectivement liées à de telles menaces ou à la cible du mandat pour respecter les droits protégés par l’article 7 de la Charte.

5)         Conclusions principales

[196]   L’historique précédant l’adoption de la Loi sur le SCRS me permet de conclure ce qui suit au sujet de l’intention du législateur, en gardant à l’esprit les principes d’interprétation des lois. En somme, compte tenu de son mandat restreint et de ses fonctions principales, le SCRS est autorisé, aux fins de l’application du paragraphe 12(1) et des articles 2 et 21, à recueillir et à conserver, selon le principe de stricte nécessité, les informations recueillies au moyen d’enquêtes ou autrement qui sont liées à des activités qui correspondent à la définition de « menaces envers la sécurité du Canada ». En conséquence, le SCRS peut recueillir et conserver toutes les informations liées à des « menaces envers la sécurité du Canada », mais non celles qui ne sont pas visées par ces paramètres précis. Les données connexes qui, selon le SCRS, ne sont pas liées à la menace, sont inutiles dans le cadre d’une enquête ou de poursuites ou ne concernent pas la conduite des affaires internationales ou la défense ou du Canada, en l’absence du contenu correspondant, constituent des informations qui ne relèvent pas du mandat limité du SCRS.

[197]   Plus précisément, les informations recueillies au moyen d’enquêtes ou autrement, ou comme sous-produits accidentels ou « retombées », ne peuvent être conservées si elles sont considérées comme non liées à des « menaces envers la sécurité du Canada ». Tel est le cas pour les sous-produits accidentels ou les « retombées » non liés à des menaces envers la sécurité du Canada ou à la cible, recueillis dans l’exécution de mandats. Le SCRS ne peut conserver des données connexes, étant donné qu’il n’est pas habilité par la loi à le faire; autrement dit, il n’a pas la compétence à cet égard.

[198]   Quant à la fonction d’analyse, la Cour ne peut qu’être en accord avec les points de vue exprimés par le ministre en 1984 : tant que les informations ont été recueillies légalement, elles peuvent être analysées dans la pleine mesure des compétences du SCRS. Le principe de la « stricte nécessité » ne peut logiquement s’appliquer à cette fonction s’il n’est pas question d’informations recueillies et conservées de façon appropriée.

[199]   Si l’on revient au libellé du paragraphe 12(1) de la Loi, l’argument du PGC selon lequel le principe de la stricte nécessité ne s’applique qu’à la fonction de collecte s’écarte de la question. Les trois fonctions reposent sur l’idée que le Service conserve et analyse seulement les informations légalement recueillies. Le paragraphe 12(1), tel qu’il est interprété, est défini par une composante clé qui l’emporte sur toutes les fonctions principales : la collecte « strictement nécessaire ». Il découle directement de cette limite stricte imposée d’emblée à la collecte que les deux autres fonctions peuvent s’appliquer sans contrainte, le filtrage ayant déjà été effectué. Si les informations recueillies ne satisfont pas au principe de stricte nécessité, les trois fonctions outrepassent le mandat législatif limité du SCRS.

[200]   C’est la seule manière d’interpréter le paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS. Le fait de ne pas donner le plein effet au paragraphe 12(1) est contraire de l’intention du législateur. Donner cette interprétation au paragraphe 12(1) et à l’article 2 (définition de « menaces envers la sécurité du Canada ») permet de tenir pleinement compte du mandat limité du Service. Une telle interprétation permet de reconnaître entièrement la primauté du droit.

C.        Effets pratiques

1)         Changements demandés aux modèles de mandats

[201]   Aux fins de la présente partie, il sera important de garder à l’esprit, entre autres, les documents suivants :

1.         la lettre adressée le 8 décembre 2015 à la Cour par [***], avocat du SCRS, proposant les changements aux mandats;

2.         les affidavits, les interrogatoires et les contre-interrogatoires de [***] (et l’affidavit supplémentaire), de [***] et de [***] (en général et en ce qui a trait aux clauses sur la transférabilité);

3.         les observations du PGC et des avocats du SCRS, ainsi que la réplique et les observations des amici.

[202]   Dans la lettre du 8 décembre 2015, le SCRS proposait au départ six modifications aux conditions prévues dans les mandats. Par suite des audiences en banc, il a demandé les nouvelles modifications qui suivent :

•           A) Ajouter une nouvelle condition qui permettrait au Service de conserver [***] pour une période de [***], en vertu des mandats sur [***] et sur [***].

•           B) Ajouter une nouvelle condition autorisant le Service à conserver [***], en vertu des mandats [***], sur [***] et sur [***].

•           C) Ajouter une nouvelle condition régissant spécifiquement et explicitement [***], en vertu des mandats sur [***] et sur [***].

•           D) Ajouter une nouvelle condition énonçant que les informations détruites en application d’une condition prévue à un mandat [***], par le Service en vertu des mandats sur [***].

•           E) Il avait été proposé au départ que tous les renvois au « directeur régional ou [à] la personne désignée » soient remplacés par « employés du Service » pour tenir compte du fait que, durant la période de validité d’un mandat, différents employés à divers niveaux peuvent procéder à l’examen des informations non liées à la cible recueillies en vertu de mandats. À la suite de l’audience en banc, le SCRS a proposé de nouveaux changements présentant une autre formulation adaptée aux trois types de décision prévus dans les mandats.

•           F) Dans le mandat sur [***], le SCRS propose de supprimer la condition 2, la jugeant inutile pour deux motifs. Premièrement, les informations obtenues en vertu de ce mandat porteront toujours sur la cible d’une enquête. Deuxièmement, étant donné qu’avant de décerner un mandat, un juge désigné doit vérifier si le Service a établi la nécessité d’un tel mandat, il est inutile de procéder à un autre examen après la collecte; le SCRS est d’avis que seules les informations liées à la cible sont recueillies et que, partant, cette condition ne s’applique pas.

•           G) De la même façon, dans le cas des mandats [***], le SCRS soutient qu’il n’est pas nécessaire de procéder à un examen subséquent des informations recueillies puisque celles-ci doivent être liées à une enquête sur une menace (pour le mandat sur [***]) ou à la cible (pour le mandat sur [***]).

•           H) Il est proposé que soit ajoutée au mandat sur [***] une condition 3 s’appliquant aux informations susceptibles d’être obtenues en vertu du paragraphe 2 du mandat, puisqu’aucune disposition de ce genre n’est prévue actuellement.

•           I) Il est proposé d’apporter quelques changements stylistiques concernant la condition relative au secret professionnel de l’avocat, à savoir remplacer l’expression « toute communication entre un avocat et son client interceptée ou obtenue » par « toute communication entre un avocat et son client obtenue » dans les mandats sur [***], étant donné qu’ils ne permettent pas l’interception de communications. En effet, une communication entre un avocat et son client peut seulement être obtenue (p. ex. la copie d’une lettre) et non interceptée. Le Service propose également que toutes les occurrences du mot « obtention » (en anglais) soient remplacées par « from the date it was obtained » ([traduction] « à compter de la date à laquelle elle a été obtenue ») dans tous les mandats l’utilisant. Ces deux changements ainsi que d’autres, comme nous le verrons, ont été acceptés conformément à une directive de la Cour émise le 11 janvier 2016.

[203]   Par suite des audiences en banc qui se sont étendues sur quatre jours, le SCRS a proposé d’autres changements aux mandats.

•           (J) Ajouter la définition de « données connexes », revoir de la définition de « communication » et présenter une nouvelle formulation limitant à [***] la période de conservation des données connexes émanant de tiers non déclarés ou de communication anonymes.

(Voir les observations du demandeur, au paragraphe 13.)

a)         Ajout d’une condition relative aux [***] aux mandats sur [***] et sur [***]

[204]   Actuellement, le SCRS doit détruire les [***] dans [***] suivant la collecte, peu importe si la communication a été considérée comme liée à la menace, conformément à la condition 2 du mandat. Comme l’établit la preuve, le [***], et il est difficile de prévoir combien de temps et de ressources seront nécessaires pour le faire. Le SCRS propose que [***] soient conservées pour une période maximale de [***] à compter de la date de leur collecte. La période de conservation [***] ne commencerait à courir qu’après [***] effectué dans le [***]. S’il souhaite conserver plus longtemps [***], le SCRS devra en faire la demande à la Cour et obtenir une autorisation à cette fin.

[205]   Les [***] ne divulguent pas en soi un contenu important. Par conséquent, la collecte de ces informations ne soulève pas de questions quant à l’établissement de liens avec des menaces envers la sécurité du Canada. Par nature, [***] recueillies dans l’exécution d’un mandat soulèvent systématiquement des préoccupations liées à la menace. Ces informations peuvent entrer dans le champ de la définition de menaces. Il ressort également de la preuve qu’il n’est pas facile d’évaluer la période de temps nécessaire pour [***].

[206]   Je conclus que la modification demandée et la période de conservation de [***] sont acceptables. Si elles sont toujours [***] à la fin de la période, les informations doivent être détruites, à moins que le SCRS présente une demande de prolongation. Durant la période [***], après avoir [***], le SCRS dispose [***] pour établir si elles peuvent être conservées conformément aux conditions des mandats et de la Loi sur le SCRS. S’il a besoin d’une période de conservation plus longue, le SCRS peut présenter une demande à la Cour.

[207]   Je suis conscient que [***]. Cette nouvelle disposition ne doit d’aucune façon être utilisée comme une échappatoire pour justifier la conservation de plus d’informations que nécessaire. Précisément, les [***] qui ne sont manifestement pas liées à la cible ou à la menace ne peuvent pas être conservées. De plus, cette condition ne peut pas être utilisée par le Service afin de déclencher la période d’examen à un moment opportun suivant la période de conservation prolongée applicable [***].

b)         Ajout d’une condition autorisant la conservation [***] aux mandats sur [***]

[208]   Pour le SCRS, les [***].

[209]   Le Service obtient des informations [***].

[210]   Le SCRS propose que l’utilité possible des informations recueillies dans l’exécution de mandats aux [***] soit examinée en même temps que leurs liens éventuels avec la menace ou la cible.

[211]   Je conclus que la conservation de [***] est appropriée dans la mesure où il demeure impossible au SCRS d’avoir accès [***]. La conservation de [***] doit être limitée aux [***].

c)         Ajout d’une condition régissant [***] aux mandats sur [***]

[212]   Le SCRS suggère une nouvelle condition qui régirait explicitement la [***].

[213]   Cette modification vise à maintenir l’intégrité des informations recueillies [***].

[214]   Étant donné que les mandats décernés en vertu du paragraphe 12(1) et de l’article 21 autorisent la collecte et la conservation d’informations liées à la cible et à la menace au sens de l’article 2 de la Loi, le texte de la loi n’autorise pas la conservation d’informations non liées à la cible et recueillies de manière fortuite, à moins qu’elles puissent être liées à la menace visée par les mandats. Ainsi, seuls [***] peuvent être conservés pour usage ultérieur, notamment aux fins d’autres enquêtes ou analyses judiciaires.

[215]   À moins d’être considérées comme liées à la menace, [***] peuvent être conservées pendant [***] au maximum. Comme je le préciserai sous peu, la période de conservation et de destruction de [***], en deux étapes, s’appliquera si les informations contenues dans [***] appartiennent de toute évidence à des tiers, n’ont pas d’incidence directe sur la cible ou ne sont manifestement pas liées à la menace.

[216]   À mon avis, une telle approche répond aux préoccupations exprimées par les deux groupes d’avocats à cet égard. Je souligne que le demandeur, dans sa réplique et en réponse aux observations des amici, a établi et proposé pour la première fois une distinction entre les [***]. Pour tenir compte de cette préoccupation, il faut formuler une nouvelle condition qui établira clairement [***]. (Voir les observations en réponse du demandeur, au paragraphe 87.)

d)         Destruction des informations

[217]   La Cour a imposé au Service l’obligation de détruire ce qui n’est pas considéré comme important aux fins de l’enquête ou qui n’est pas lié aux cibles des mandats. Cette obligation figure à titre de condition dans divers mandats.

[218]   Dans la demande [***], le juge en chef Crampton a soulevé des préoccupations relatives, entre autres, à la définition du terme « détruit » et au fait que le libellé du mandat ne permettait pas de conclure, comme il l’aurait fallu, qu’une information supprimée l’est de façon permanente et est irrécupérable. [***]. Par conséquent, la Cour veut s’assurer [***]. Pour tenir compte de cette réalité, le SCRS doit s’engager à ce que [***].

[219]   Cela dit et par souci de clarté, l’obligation devrait établir que ni le SCRS ni aucun autre service en son nom [***].

e)         Proposition concernant la délégation de pouvoirs et la responsabilité (remplacement de « directeur régional ou la personne désignée » par « employés du Service »)

[220]   Dans la lettre datée du 8 décembre 2015 adressée à la Cour, les avocats du SCRS ont proposé de changer le libellé des conditions prévues aux mandats pour que les responsabilités décisionnelles confiées au « directeur général régional ou [à] la personne désignée » le soient plutôt à tout « employé du Service ». Cette proposition a soulevé de nombreuses préoccupations chez les juges désignés, qui les ont exprimées lors des instances en banc et à l’occasion des demandes de mandats individuelles présentées depuis. Ainsi, le SCRS a demandé du temps pour réfléchir à sa proposition et la modifier. Il a ensuite proposé que la formulation « directeur général régional ou la personne désignée » soit remplacée par un segment différent, adaptable en fonction des trois types de décision prévus dans les modèles de mandats, c’est-à-dire dans les [***] ainsi que dans les conditions.

(i)         Commentaires généraux

[221]   D’emblée, une question a préoccupé la Cour : est-il approprié de confier à un employé quelconque, à un inconnu, la responsabilité décisionnelle qui incombait à une personne clairement désignée? La Cour craint qu’un tel changement ait une incidence négative sur l’obligation de rendre compte du SCRS. Le transfert de responsabilités doit s’effectuer avec soin. Les conditions actuellement prévues dans les mandats tiennent compte de cette préoccupation et exigent qu’un employé de haut rang, soit un « directeur général régional » ou « la personne désignée » (p. ex. une personne expressément désignée par le « directeur général régional »), prenne des décisions importantes conformément aux conditions figurant dans les mandats.

[222]   Par définition, les mandats sont de nature exceptionnelle et constituent des méthodes d’enquête intrusives. Il est inapproprié de demander à la Cour d’autoriser le transfert de ces importantes responsabilités décisionnelles à une catégorie appelée « employés du service ». Dans une telle situation, le concept de responsabilité revêt une grande importance. Confier ces responsabilités à une catégorie générique d’employés du SCRS ne permettrait pas d’améliorer l’obligation de rendre compte.

[223]   Comme il a été mentionné ci-dessus, le SCRS propose néanmoins que l’expression « directeur général régional ou la personne désignée » soit modifiable en fonction des trois types de décision prévus dans les mandats, en ce qui concerne [***] ainsi que les conditions. J’examinerai chacun en tenant compte des différentes situations, mais également de la position en constante évolution du SCRS sur la question.

(ii)        [***]

[224]   [***] qui doit incomber à un employé de niveau supérieur du SCRS pleinement responsable. (Voir l’affidavit de [***] daté du 24 mai 2016 et également son témoignage du 1er avril 2016, aux pages 49 à 82.)

[225]   [***] peuvent se trouver dans le mandat sur [***], aux paragraphes 3(g), 3(h), 3(i), 6(b), 6(e), et 13(f), le mandat sur [***], au paragraphe 1(b), et le mandat sur [***], au paragraphe 1. Dans tous les cas, à l’heure actuelle, l’importante décision qui consiste à modifier le mandat pour tenir compte notamment de [***] appartenant des tiers, doit être prise par l’un des sept directeurs généraux régionaux ou la personne désignée.

[226]   À mon avis, il faut s’assurer qu’une décision aussi importante soit prise par un cadre supérieur du SCRS, comme un directeur général régional. Il convient d’autoriser un cadre supérieur désigné à prendre la décision puisque cela s’inscrit dans son mandat en vertu de la Loi sur le SCRS, et que cela n’enfreint pas le mandat des juges désignés. Je souligne cependant que, pour qu’une telle délégation de pouvoirs demeure valide et légale, les informations recueillies doivent être liées à la menace établie dans le mandat et à sa cible. (Voir R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111 et Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), [1998] 1 C.F. 420 (1re inst.), dossier SCRS-36-97 (portant sur la clause des visiteurs).)

[227]   En l’espèce, le SCRS propose de limiter le pouvoir d’invoquer [***] au directeur général régional lui-même. Les renvois « directeur général régional ou la personne désignée » seraient donc remplacés par « directeur général régional » dans toutes [***]. Cela s’appliquerait aux modèles de mandats énumérés au paragraphe 225 des présents motifs. Je suis d’accord.

(iii)       [***]

[228]   Le mandat sur les [***], au paragraphe 7(e), le mandat sur [***], à l’article 4, et le mandat sur [***], au paragraphes 1(d) et 2, mentionnent qu’un directeur général régional ou la personne désignée peut [***] s’il existe des motifs raisonnables de croire que ces informations pourront servir dans l’enquête sur une menace envers la sécurité du Canada.

[229]   Les amici ont soulevé des préoccupations valables au sujet du libellé actuel de cette clause et en ont proposé un nouveau. Le PGC et les avocats du SCRS ont pris note de la proposition des amici et ont sollicité dans leur réplique que le débat soit reporté jusqu’à ce qu’une demande de mandat ultérieure soit présentée, en vue de bien examiner ce pouvoir.

[230]   Je suis d’accord avec les amici et le juge en chef dans le dossier [***] et avec certains de mes collègues, par exemple dans les dossiers [***], pour dire que la clause suscite des préoccupations importantes. En effet, elle peut permettre au SCRS d’obtenir des informations liées à des Canadiens qui ne sont pas la cible d’un mandat. Une telle possibilité m’inquiète. Tant que cette question n’est pas complètement réglée, la Cour ne renouvellera pas une telle clause. La Cour attendra la proposition du SCRS à cet égard.

(iv)       Autres changements : remplacement de « directeur général régional ou la personne désignée » par « employés désignés du Service » pour examiner les informations de tiers recueillies en vertu de mandats

[231]   Aux fins de l’application des conditions 2, 3 et 4 du mandat sur [***], des conditions 2, 3 et 4 du mandat sur [***], des conditions 2 et 3 du mandat [***], de la condition 2 du mandat sur [***], de la condition 2 du mandat sur [***] et de la condition 2 du mandat sur [***], le SCRS propose que l’expérience de l’« employé du Service » en matière d’exécution de mandats soit mentionnée dans la demande de mandats. À ce titre, le SCRS propose de remplacer l’expression « directeur général régional ou la personne désignée » par l’expression « employés désignés du Service ». Comme l’exige les conditions, la tâche consiste à examiner et à analyser les informations de tiers obtenues en vertu de mandats pour s’assurer que seules celles qui peuvent aider l’enquête sur la menace, servir dans le cadre de poursuites ou qui concerne la conduite des affaires internationales ou la défense du Canada sont conservées. Les autres informations doivent être détruites. Une telle décision est importante et doit être prise par une personne compétente.

[232]   Le SCRS propose la définition suivante pour [traduction] « employé désigné du Service » : « employé du Service désigné par le directeur ou faisant partie d’une catégorie d’employés qui, selon les politiques du Service, procèdent aux examens prévus dans les conditions des mandats, et dont un directeur général régional ou un directeur général assume la responsabilité des actions ».

[233]   En pratique, selon la preuve, une équipe d’employés du SCRS dotés de diverses expertises et expériences sur le terrain se charge d’exécuter les mandats. Comme le montrent les conditions prévues dans les mandats, la collecte d’informations exige souvent que les employés du SCRS examinent les informations pour déterminer si elles sont liées à la menace. Pour effectuer de tels examens, il faut notamment connaître les activités quotidiennes de la cible et son environnement. Un directeur général régional ne peut en réalité acquérir des connaissances distinctives sur chaque cible du SCRS [***].

[234]   Je conviens que les conditions prévues dans les mandats doivent tenir compte de la réalité opérationnelle et s’y adapter. Tant que l’obligation de rendre compte demeure importante, notamment parce que la responsabilité ultime repose sur le directeur général régional, les tâches opérationnelles relatives à l’examen des informations recueillies dans l’exécution d’un mandat devraient être confiées à la ressource la plus compétente, pourvu qu’il s’agisse d’une personne précise et non d’une catégorie d’employés. On pourrait donc y mentionner des personnes à condition que le directeur général régional demeure entièrement responsable.

[235]   Étant donné que la définition proposée dans les mandats renvoie aux « politiques du service », et que ces politiques font partie intégrante des mandats, la Cour demande au SCRS de toujours lui transmettre une copie de ces politiques dans les 30 jours suivant l’achèvement de leur élaboration pour que les juges désignés les examinent. Ceux-ci détermineront alors si elles respectent les exigences judiciaires prévues à l’article 21 de la Loi sur le SCRS. La question des modifications demandées sera finalement réglée lorsque la Cour aura eu l’occasion d’examiner les politiques.

f)          Suppression de la condition 2 du mandat sur [***]

[236]   Le SCRS propose de supprimer la condition 2 puisque les informations recueillies en vertu de ce type de mandat ne visent que la cible. Le SCRS soutient qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer un examen après la collecte d’informations étant donné que, dans le cadre de la demande de mandat, un juge désigné a déjà établi si les dossiers demandés sont utiles pour faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada.

[237]   Je suis d’accord avec l’idée derrière cette proposition, mais je ne modifierai pas la condition. Une telle modification n’est acceptable que tant et aussi longtemps que les informations recueillies portent toujours directement sur la cible. Cependant, si lors de la simple exécution d’un mandat, des informations susceptibles de ne pas se rapporter à la cible sont recueillies, un examen demeurera nécessaire pour s’assurer que ce n’est pas le cas. Par conséquent, compte tenu de cette préoccupation, je ne supprimerai pas la condition 2, qui demeurera la même.

g)         Modification du mandat sur [***] et du mandat sur [***] en ce qui concerne la condition 3

[238]   En ce qui concerne le mandat sur [***], le SCRS propose que la portée de la condition 3 actuelle (nouvelle condition 4 proposée) soit modifiée. Actuellement, les informations recueillies en application de la partie 4 font l’objet d’un examen après la collecte. Cependant, le SCRS prétend qu’un tel examen de suivi est redondant puisque toutes les informations recueillies en vertu de ce type de mandat sont visées par l’expression « [peut] aider l’enquête sur une menace envers la sécurité du Canada ». Je suis en partie d’accord avec cette proposition : la condition portant sur les [***] doit être maintenue, et il y a lieu d’ajouter une nouvelle condition 4. Je crois comprendre que le SCRS est d’accord.

[239]   Au même titre que le paragraphe ci-dessus, le SCRS propose de modifier la portée de la condition 3 puisqu’un examen après la collecte effectuée en application de la partie 5 du mandat sur [***] n’est pas nécessaire. Le SCRS propose que la condition 3 demeure inchangée en ce qui concerne [***] obtenues en application de la partie 6 du mandat sur les [***]. Je suis d’accord avec cette proposition; une nouvelle condition 4 doit être ajoutée.

h)        Ajout d’une nouvelle condition 3 au mandat sur [***]

[240]   Étant donné qu’aucune condition ne porte sur la collecte en vertu de l’article 2 du mandat sur [***], le SCRS propose qu’une nouvelle condition 3 soit ajoutée pour tenir compte du fait qu’un examen doit être effectué après une collecte en vertu d’un mandat sur [***]. Je suis d’accord avec cette proposition.

i)          Précisions sur les communications entre un avocat et son client et autres changements, dont certains sont déjà convenus

[241]   Cette proposition vise à assurer que le SCRS n’intercepte pas les communications entre un avocat et son client. Le SCRS propose que l’expression « toute communication entre un avocat et son client interceptée ou obtenue » soit remplacée par « toute communication entre un avocat et son client obtenue » dans la condition 1 des mandats sur [***], sur [***], sur [***] et sur [***]. Le terme « interceptée » est supprimé pour tenir compte du fait que, suivant ce changement, les communications entre un avocat et son client pourront être obtenues, mais pas interceptées. J’ai déjà accepté cette proposition. Ce changement a été accepté à la suite d’une directive émise le 11 janvier 2016.

[242]   Étant donné que le mot « obtention » n’est pas couramment utilisé en anglais, le SCRS propose de le remplacer par « obtained ». Par conséquent, comme il a déjà été accepté dans la directive émise, toutes les mentions du terme « obtention » dans les mandats doivent être changées pour « it was obtained ». Ce changement a déjà été accepté.

[243]   Le SCRS propose que la période d’examen actuelle aux fins de conservation [***] soit réduite à [***] pour les mandats sur [***], sur le [***] et sur les [***]. Cette proposition a déjà été acceptée.

[244]   Le SCRS propose que la condition 2 du mandat sur [***] soit la même que celle qui figure dans les mandats sur [***] et [***] pour assurer la cohérence dans les trois mandats. Je suis d’accord.

[245]   L’article 1 du mandat sur [***] établit des limites quant à ce qui peut être obtenu, tel que tout document ou objet en la possession [***]. Actuellement, ces limites ne figurent pas dans la condition 2 du mandat [***], alors que c’est le cas dans les mandats sur [***] et sur [***]. Le SCRS propose donc que, dans le mandat sur [***], les limites imposées à l’article 1 soient incorporées à la condition 2. Ce changement est proposé pour favoriser la cohérence, mais également parce qu’un examen après la collecte est nécessaire dans un nombre limité de situations.

[246]   Je suis d’accord, mais je signale qu’il s’agit d’un changement qui est plus que simplement stylistique. Le libellé initial exige que le SCRS examine toutes les informations recueillies, notamment les informations concernant la cible. Lorsque les informations sont considérées comme non liées à la menace, elles doivent alors être détruites. Une fois ce changement apporté, les informations liées à la cible ne seront plus examinées aux fins de destruction, et seulement les informations liées à des tiers le seront.

j)          Autres changements demandés à la suite des audiences en banc : nouvelle définition de « données connexes », communication et période de conservation de [***] au lieu d’une période indéterminée

[247]   Ce n’est que par suite de l’audience en banc tenue en 2011 qu’une formulation choisie a été incorporée au libellé pour préciser que le contenu d’une communication peut être détruit. Par ce changement, qu’il a apporté sans en informer dûment la Cour, le SCRS a effectivement établi une distinction entre le contenu et les données connexes. Étant donné que la condition rendait le mandat implicitement muet sur les données connexes, le SCRS a jugé qu’il pouvait indistinctement conserver des données connexes pour une période indéterminée. De 2006 à 2011, le SCRS a conservé ces données connexes sans qu’une condition prévue au mandat l’y autorise. En outre, après le « changement stylistique » apporté en 2011, le SCRS a continué à conserver de telles informations sans en informer la Cour de façon claire et transparente.

[248]   Maintenant que les audiences en banc sont terminées et vu les préoccupations soulevées par la Cour, le SCRS propose d’autres modifications, notamment définir les « données associées », examiner la définition de « communication » et, comme il a été mentionné plus haut, limiter la conservation des données connexes à une période de [***] plutôt qu’à une période indéterminée, comme c’est le cas depuis 2006.

[249]   Il peut être justifié d’examiner la définition de « communication » eu égard aux présents motifs, mais il sera probablement préférable de le faire à une étape ultérieure. Compte tenu de mes conclusions sur le mandat du SCRS, il n’est pas nécessaire d’examiner la proposition qui consiste à limiter la période de conservation des données connexes à [***]. Les données connexes ne peuvent aucunement être conservées parce qu’elles ne sont pas visées par le mandat législatif du SCRS.

[250]   J’ai exposé en détail plus haut les motifs à l’appui de ma conclusion selon laquelle le mandat et les fonctions du SCRS sont strictement limités par la loi. En 1984, le Parlement a établi par voie législative un service civil ayant un mandat défini et des fonctions précises afin d’empêcher que les erreurs graves, relevées par la Commission McDonald, ne se reproduisent. Une interprétation appropriée du paragraphe 12(1) et des articles 2 et 21 de la Loi sur le SCRS permet d’établir que le SCRS doit exécuter son mandat premier, c’est-à-dire faire enquête sur les menaces, selon le principe de la stricte nécessité. Il ne peut avoir recours à des méthodes intrusives qu’après la délivrance de mandats. Les informations recueillies dans l’exécution de ces mandats ne peuvent être conservées que si elles sont liées à des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’article 2. Les données connexes ne sont pas de telles informations.

[251]   Comme il est exposé en détail dans la partie de l’analyse des présents motifs, la Cour était et demeure préoccupée par la décision du SCRS de conserver des données connexes. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle le SCRS n’a pas compétence pour conserver des données connexes non liées à des menaces envers la sécurité du Canada, il n’est pas nécessaire, à ce moment, de définir les données connexes dans les modèles de mandats. Il n’y a également aucune raison pour la Cour de tirer des conclusions sur les attentes des particuliers en matière de vie privée découlant de la conservation de données connexes. Suivant la même logique, il n’est pas nécessaire de mettre en balance les intérêts de l’État et les droits à la vie privée en ce qui touche l’utilisation des données connexes aux fins d’enquête. Ces questions pourront être soulevées de nouveau dans des instances ultérieures pourvu que les contextes juridique et factuel concordent.

2)         Autres commentaires : processus en deux étapes pour examiner les informations recueillies en vertu d’un mandat

[252]   Étant donné que les données connexes ne sont pas liées à la menace et, partant, ne sont pas visées par les fonctions principales et le mandat premier strictement limités du SCRS, la conservation de ces informations pour une période indéterminée outrepasse la compétence du Service. Je ne suis pas arrivé à cette conclusion sans mûre réflexion. Je suis conscient que l’examen relatif à la condition 2 exige du temps et des ressources. Je sais que certains types d’informations recueillies en vertu de mandats attentatoires peuvent être examinés beaucoup plus facilement et rapidement que d’autres. En particulier, je suis conscient du fait que [***], que certains supports sont beaucoup plus difficiles d’accès que d’autres et que des informations sont évidemment liées à la menace tandis que d’autres ne le sont pas.

[253]   Compte tenu du nombre de variables en jeu, je propose deux périodes d’examen différentes pour traiter et examiner les informations recueillies en vertu de mandats. Premièrement, le SCRS disposera de [***] pour examiner les informations qui ne sont manifestement pas liées à la menace et qui n’impliquent pas la cible. Deuxièmement, les informations qui n’appartiennent pas à la première catégorie doivent être examinées pendant une période complète [***], c’est-à-dire dans [***] suivant la période initiale de [***]. À la suite de ces examens, les informations (le contenu et les données connexes) considérées comme inutiles à l’enquête sur une menace ou dans le cadre de poursuites ou dans les domaines de la conduite des affaires internationales ou de la défense du Canada doivent être détruites. À mon avis, la mise en œuvre d’un processus en deux étapes n’impose pas un fardeau excessif au SCRS. Le SCRS dispose [***] à compter de la date des présents motifs et jugement pour mettre en œuvre ce processus d’examen en deux étapes. S’il faut plus de temps, une requête en prorogation de délai pourra être présentée à la Cour.

V.        Conclusion

A.        Conclusions à l’égard des questions précisément énoncées

[254]   Voici les conclusions auxquelles je suis arrivé sur les questions énumérées au paragraphe 85 des présents motifs.

[255]   Premièrement, concernant l’obligation de franchise du SCRS, je conclus que ce dernier avait l’obligation, depuis 2006, de pleinement informer la Cour de l’existence de son programme de collecte et de conservation de données connexes. Le SCRS avait également l’obligation d’expliquer à la Cour exactement en quoi consistait ce programme. Le fait qu’il n’a rien dit avant 2016, outre l’allusion faite en décembre 2011 sous le prétexte de « raisons stylistiques », constitue un manquement à son obligation de franchise. En tant que partie comparaissant ex parte et à huis clos devant la Cour de façon régulière, le SCRS a la lourde obligation d’informer la Cour de l’usage qu’il fait des informations non liées à la menace recueillies dans l’exécution de mandats, ce qu’il a omis de faire.

[256]   Deuxièmement, je conclus que le qualificatif « dans la mesure strictement nécessaire » qui se trouve au paragraphe 12(1) permet d’établir que le mandat du SCRS est restreint. Le mandat limité du SCRS comprend les trois fonctions de collecte, de conservation et d’analyse des informations. Le qualificatif « dans la mesure strictement nécessaire » ne s’applique pas qu’à la fonction de collecte, mais également à la fonction de conservation. En outre, le paragraphe 12(1) ne doit pas être lu qu’en conjonction avec la définition de menaces envers la sécurité du Canada énoncée à l’article 2 de la Loi, mais également en conjonction avec l’article 21. Cet article a été créé en tant que disposition procédurale établissant le critère que le SCRS doit remplir pour présenter une demande de mandats attentatoires auprès d’un juge désigné de la Cour fédérale. Il précise également ce que doit contenir une demande de mandats. L’article 21 n’élargit pas le champ de compétence conféré par la loi au SCRS, puisque sa compétence est clairement définie du paragraphe 12(1) à l’article 16, lesquels doivent être lus en conjonction avec la définition de menaces envers la sécurité du Canada énoncée à l’article 2.

[257]   Troisièmement, je conclus que la conservation de données connexes outrepasse la compétence du SCRS selon la loi et qu’elle ne respecte pas les limites de son mandat premier et de ses fonctions principales.

[258]   Quatrièmement, les modifications aux conditions prévues dans les modèles de mandats proposées par les avocats du SCRS dans la lettre datée du 8 décembre 2015 et ensuite présentées lors de l’audience en banc sont acceptées en partie, selon les précisions déjà données. Mes conclusions précédentes ont évidemment une incidence sur certaines modifications demandées, tandis que d’autres modifications ont été expressément examinées.

[259]   Cinquièmement et enfin, les informations recueillies dans l’exécution de mandats doivent être examinées pour déterminer si elles peuvent aider l’enquête sur la sécurité nationale, servir dans le cadre de poursuites ou concerner les domaines de la conduite des affaires internationales ou de la défense du Canada. Les informations ainsi recueillies doivent être examinées au moyen du processus en deux étapes que j’ai décrit précédemment : en premier lieu, les informations qui ne sont manifestement pas liées à la cible du mandat ou à des menaces envers la sécurité du Canada doivent être examinées dans [***] suivant la collecte. En deuxième lieu, les informations qui n’entrent pas dans la première catégorie doivent être examinées dans [***], soit [***] après la fin de la première période. Dans les cas exceptionnels, par exemple [***], la période en deux étapes de [***] s’applique seulement à compter [***].

B.        Observations finales

[260]   Je suis tout à fait conscient des conséquences de ma décision sur le mandat et les fonctions du SCRS. Je ne suis pas arrivé à cette conclusion sans mûre réflexion. Au contraire, j’ai fait le maximum pour tenir compte de toutes les possibilités d’erreurs susceptibles de découler de mes conclusions. Au final, la primauté du droit doit prévaloir. Sans elle, on ne peut compter sur les agissements des particuliers et des institutions pour refléter fidèlement la responsabilité qu’on leur a confiée. Les lois du Canada doivent être interprétées selon l’intention du législateur. Si une loi limite les pouvoirs d’une institution, ces limites doivent être respectées. L’interprétation libérale des limites appliquées par l’institution elle-même peut seulement être élargie jusqu’à un certain point.

[261]   Le SCRS, un service canadien de renseignement, a le privilège d’exécuter ses fonctions au moyen de méthodes d’enquête intrusives qui, autrement, seraient considérées comme illégales. L’adoption de la Loi sur le SCRS a été la meilleure solution possible dans le contexte mondial consécutif aux guerres du XXe siècle, à la guerre froide et à la crise du FLQ [Front de libération du Québec]. Cependant, il a été considéré comme essentiel de définir et de restreindre le mandat du SCRS par voie législative pour éviter que les erreurs commises par son prédécesseur ne se reproduisent.

[262]   En 1984, le législateur a volontairement défini la « première fonction » (paragraphe 12(1)) du nouveau SCRS de façon limitée. Le SCRS a été chargé de recueillir des informations, dans la mesure strictement nécessaire, dans l’exécution de mandats décernés en réaction à des menaces envers la sécurité du Canada (article 2), sans plus. En conséquence, le principe de stricte nécessité appliqué à la collecte d’informations doit être pris en compte dans la conservation de ces informations. Beaucoup de temps s’est écoulé depuis, et la technologie utilisée dans l’exécution de mandats a tellement progressé que l’étendue et la quantité d’informations recueillies de manière fortuite ont augmenté de façon imposante. Même si la quantité d’informations recueillies est considérable, celles-ci doivent toujours faire l’objet d’un examen attentif pour s’assurer que leur collecte et leur conservation respectent la loi. L’évolution de la technologie n’est pas un prétexte pour contourner ou élargir des paramètres juridiques. Les informations qui ne correspondent pas aux paramètres prévus par la loi, qui imposent des limites aux fonctions et aux activités du Service, ne peuvent être légalement conservées. Si le SCRS conserve effectivement ces informations recueillies illégalement, la Cour doit intervenir et faire respecter la loi.

[263]   Je reconnais que d’autres services de renseignement fonctionnent différemment et qu’ils sont en mesure de s’adapter aux nouvelles technologies et aux nouveaux programmes. Les autres services canadiens ou étrangers ne sont pas nécessairement assujettis aux mêmes paramètres juridiques que le SCRS. Le fait que d’autres services fonctionnent de façon plus libérale et moins contrôlée ne permet pas au SCRS de modifier unilatéralement son mandat législatif. Étant donné que le mandat du SCRS est défini par voie législative, il est impératif de modifier la loi qui régit ses fonctions pour permettre au SCRS de fonctionner différemment, pourvu que le législateur le juge indiqué. Le SCRS doit toujours s’assurer qu’il possède le pouvoir législatif nécessaire pour exercer ses activités.

[264]   De manière incidente, compte tenu des présents motifs et des conclusions auxquelles je suis parvenu, sous réserve du processus d’appel, il est peut-être temps que les Canadiens relancent le débat sur le mandat et les fonctions de son service de renseignement national. Comme on l’a vu à la fin des années 1970 et au début des années 1980, un débat similaire s’était avéré fructueux. De nombreux points de vue différents ou opposés ont été exprimés, mais le Parlement du Canada a réussi à diriger les questions controversées vers l’adoption de la Loi sur le SCRS en 1984. Les 30 dernières années ont révélé que l’adoption de la Loi sur le SCRS était une excellente solution aux défis en matière de renseignement présentés par les modèles de l’époque. Toutefois, je suis d’avis que la Loi sur le SCRS accuse son âge. L’ordre mondial est en constante évolution; par exemple, les cyberattaques étatiques constituent une nouvelle forme de guerre, et une nouvelle ère découlant de l’ancienne guerre froide est en voie de prendre forme. En outre, les attaques terroristes font cruellement souffrir des civils partout dans le monde, la technologie évolue rapidement et les priorités et les opinions changent. Le Canada ne pourra que tirer profit d’un autre débat sur des enjeux aussi importants. Il faut offrir aux services canadiens de renseignement les outils nécessaires pour exercer leurs activités, mais le public doit être au courant d’un certain nombre de leurs méthodes de fonctionnement.

[265]   Dans les présents motifs, j’ai conclu que la conservation de données connexes outrepassait la portée de la Loi sur le SCRS, mais je crois qu’en vue des prochains débats, il est important de souligner que la preuve produite a établi que le traitement et l’analyse de données connexes apportent des résultats utiles en matière de renseignement. Dans certains cas, l’analyse de données conservées relativement à d’anciennes affaires a effectivement permis de dégager des pistes d’enquête et a mené à d’autres informations pertinentes et utiles. De plus, les données connexes elles-mêmes correspondent principalement à des chiffres associés à des noms; sans le contenu correspondant, les données connexes brutes ne peuvent avoir que des incidences limitées en matière de vie privée. Cela dit, lorsque les chiffres et les noms sont mis ensemble dans le cadre d’une enquête, les renseignements découlant de l’analyse peuvent révéler davantage et, par conséquent, avoir des incidences plus grandes sur les droits à la vie privée. Il ne m’appartient pas de décider si l’intérêt légitime de l’État à faire enquête sur des menaces, peu importe la qualité des renseignements produits, surpasse une telle atteinte aux droits à la vie privée. Un autre forum ou d’autres juges désignés pourraient être appelés à se prononcer sur ces questions.

[266]   En outre, j’avais envisagé d’ordonner la destruction des données connexes recueillies depuis 2006. J’ai décidé de ne pas le faire du fait que d’éventuelles questions de compétence pourraient être soulevées et que je n’ai pas eu la chance d’obtenir les observations des deux groupes d’avocats sur cette question.

[267]   Enfin, pour terminer les présents motifs fort élaborés, je tiens à répéter que les modèles de mandats sont des documents en constante évolution adaptés pour répondre aux préoccupations permanentes selon lesquelles les méthodes intrusives autorisées par les mandats doivent être bien maîtrisées, soigneusement examinées et correctement appliquées à la cible et à la menace. Tout en tenant compte des exigences et des besoins opérationnels du SCRS, les mandats ne devraient pas toucher des personnes innocentes qui bénéficient de tous les droits à une protection de leur vie privée. Les juges désignés doivent pleinement tenir compte de ces préoccupations fondamentales pour faire respecter la primauté du droit. Comme toujours, le SCRS a toute la latitude pour demander les changements qu’il estime justifiés.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

•           Le SCRS a manqué, une fois encore, à son obligation de franchise envers la Cour;

•           Le SCRS a un mandat limité qui ne l’autorise pas à conserver des données connexes, telles que définies aux paragraphes 33 et 34 des présents motifs, comme il le fait depuis 2006. Partant, la conservation de données connexes est donc illégale;

•           Le SCRS doit modifier les modèles de mandats conformément aux présents motifs;

•           Les amici curiae doivent d’abord passer en revue le présent jugement et les motifs qui l’accompagnent pour déterminer les parties qui peuvent être rendues publiques dans les sept jours suivant la date des présents motifs de jugement et jugement. Une fois ces sept jours écoulés, les avocats du PGC et du SCRS examinent le caviardage proposé dans les sept jours suivants. Toute question litigieuse doit être soumise au soussigné dans les trois jours suivants aux fins de décision.

VI.       Annexes

A.        Dispositions législatives applicables

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

Contrôle judiciaire

Demande de mandat

21 (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête, au Canada ou à l’extérieur du Canada, sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16.

Contenu de la demande

(2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l’affidavit du demandeur portant sur les points suivants :

a) les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);

b) le fait que d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises;

c) les catégories de communications dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont à autoriser;

d) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;

f) si possible, une description générale du lieu où le mandat demandé est à exécuter;

g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (5), de soixante jours ou d’un an au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;

h) la mention des demandes antérieures présentées au titre du paragraphe (1) touchant des personnes visées à l’alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.

Délivrance du mandat

(3) Par dérogation à toute autre règle de droit, mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s’il est convaincu de l’existence des faits mentionnés aux alinéas (2)a) et b) et dans l’affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à intercepter des communications ou à acquérir des informations, documents ou objets. À cette fin, il peut autoriser aussi, de leur part :

a) l’accès à un lieu ou un objet ou l’ouverture d’un objet;

b) la recherche, l’enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informations qui s’y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l’établissement de copies ou d’extraits par tout procédé;

c) l’installation, l’entretien et l’enlèvement d’objets.

Activités à l’extérieur du Canada

(3.1) Sans égard à toute autre règle de droit, notamment le droit de tout État étranger, le juge peut autoriser l’exercice à l’extérieur du Canada des activités autorisées par le mandat décerné, en vertu du paragraphe (3), pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada.

Contenu du mandat

(4) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes :

a) les catégories de communications dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont autorisés;

b) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;

d) si possible, une description générale du lieu où le mandat peut être exécuté;

e) la durée de validité du mandat;

f) les conditions que le juge estime indiquées dans l’intérêt public.

Durée maximale

(5) Il ne peut être décerné de mandat en vertu du paragraphe (3) que pour une période maximale :

a) de soixante jours, lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’alinéa d) de la définition de telles menaces contenue à l’article 2;

b) d’un an, dans tout autre cas.

Demande de mandat – mesures pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada

21.1 (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de prendre, au Canada ou à l’extérieur du Canada, des mesures pour réduire une menace envers la sécurité du Canada.

Contenu de la demande

(2) La demande est présentée par écrit et accompagnée de l’affidavit du demandeur portant sur les points suivants :

a) les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de prendre des mesures pour réduire une menace envers la sécurité du Canada;

b) les mesures envisagées;

c) le fait que les mesures envisagées sont justes et adaptées aux circonstances, compte tenu de la nature de la menace et des mesures, ainsi que des solutions de rechange acceptables pour réduire la menace;

d) l’identité des personnes qui sont touchées directement par les mesures envisagées, si elle est connue;

e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;

f) si possible, une description générale du lieu où le mandat demandé est à exécuter;

g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (6), de soixante jours ou de cent vingt jours au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;

h) la mention des demandes antérieures présentées au titre du paragraphe (1) touchant des personnes visées à l’alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.

Délivrance du mandat

(3) Par dérogation à toute autre règle de droit, mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s’il est convaincu de l’existence des faits qui sont mentionnés aux alinéas (2)a) et c) et énoncés dans l’affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à prendre les mesures qui y sont indiquées. À cette fin, il peut autoriser aussi, de leur part :

a) l’accès à un lieu ou un objet ou l’ouverture d’un objet;

b) la recherche, l’enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informations qui s’y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l’établissement de copies ou d’extraits par tout procédé;

c) l’installation, l’entretien et l’enlèvement d’objets;

d) les autres actes nécessaires dans les circonstances à la prise des mesures.

Mesures à l’extérieur du Canada

(4) Sans égard à toute autre règle de droit, notamment le droit de tout État étranger, le juge peut autoriser la prise à l’extérieur du Canada des mesures indiquées dans le mandat décerné en vertu du paragraphe (3).

Contenu du mandat

(5) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes :

a) les mesures autorisées;

b) l’identité des personnes qui sont touchées directement par les mesures, si elle est connue;

c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;

d) si possible, une description générale du lieu où le mandat peut être exécuté;

e) la durée de validité du mandat;

f) les conditions que le juge estime indiquées dans l’intérêt public.

Durée maximale

(6) Il ne peut être décerné de mandat en vertu du paragraphe (3) que pour une période maximale :

a) de soixante jours, lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de prendre des mesures pour réduire une menace envers la sécurité du Canada au sens de l’alinéa d) de la définition de telles menaces à l’article 2;

b) de cent vingt jours, dans tout autre cas.

B.        Bibliographie

Lectures essentielles

•           L’ensemble des affidavits, des transcriptions et des observations applicables.

•           La « Commission McDonald »

–          (Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Premier rapport : Sécurité et Information (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1980).)

–          (Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1-2 (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981).)

–          (Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Troisième rapport : Certaines activités de la GRC et la connaissance qu’en avait le gouvernement (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981).)

           Le « Rapport Pitfield »

–          (Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada (novembre 1983) (Président : P.M. Pitfield).)

•           La Réponse du gouvernement au « Rapport Pitfield »

•           (Solliciteur général du Canada. Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90 : Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, (février 1991).)

•           Les Débats pertinents tirés du Hansard

–          (Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 32lég., 2e sess. (10 février 1984), à la page 1272. Des débats tenus avant et après sont également utiles, mais sont éclipsés par la pertinence des Procès-verbaux du Comité permanent de la justice et des questions juridiques; voir ci-dessous.)

•           Les Procès-verbaux du Comité permanent de la justice et des questions juridiques concernant la discussion sur la Loi sur le SCRS en 1984

–          (Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule n28 (24 mai 1984), à la page page 28:52 (Président : Claude-André Lachance).)

•           Le Rapport quinquennal obligatoire suivant l’adoption de la Loi sur le SCRS

–          (Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Une période de transition mais non de crise : Rapport du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (septembre 1990) (Président : Blaine Thacker).)

•           La Réponse du gouvernement au Rapport quinquennal obligatoire

–          (Solliciteur général du Canada. Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90 : Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (Pierre H. Cadieux – Solliciteur général) (février 1991).)

•           Rapport annuel 2014-2015 du CSARS

–          (Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2014-2015 : Vers de nouveaux horizons : préparer le terrain du changement dans la surveillance des activités de renseignement de sécurité. Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2015.)

Ressources complémentaires

•           La « Commission MacKenzie »

–          Canada. Commission royale d’enquête sur la sécurité. Rapport de la commission royale d’enquête sur la sécurité (Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1969).)

•           La « Commission Kellock-Tashereau » aussi connue sous le nom de « l’affaire Gouzenko »

–          (Canada. Conseil privé. Le rapport de la Commission royale, nommée sous le régime de l’arrêté en conseil C.P. 411 du 5 février 1946 pour enquêter sur les faits intéressant et les fonctionnaires publics et autres personnes occupant des postes de confiance, de renseignements secrets et confidentiels aux agents d’une puissance étrangère : le 27 juin 1946, Ottawa : Imprimeur du Roi, 1946 (Ottawa : 27 juin 1946).)

•           L’analyse de la transition du projet de loi C-157 au projet de loi C-9 par Donald McDonald

–          (Canada. Loi et division de la recherche du gouvernement. Service canadien du renseignement de sécurité : comparaison entre les projets de loi C-157 et C-9 (Donald MacDonald) (Ottawa : Bibliothèque du Parlement, janvier 1984).)

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