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T-2274-00

2003 CF 1518

Sa Majesté la Reine (demanderesse)

c.

Ipsco Recycling Inc. et General Scrap & Car Shredder Ltd., maintenant connues sous le nom de Jamel Metals Inc., exploitant une entreprise enregistrée comme société sous le nom et la dénomination sociale de General Scrap Partnership et XPotential Products Inc., Jacob Lazareck et Melvin Lazareck (défendeurs)

Répertorié: Canada c. Ipsco Recycling Inc. (C.F.)

Cour fédérale, juge Dawson--Winnipeg, 3, 4, 7, 8 et 9 avril, 23 et 24 juin; Ottawa, 23 décembre 2003.

Environnement -- La Couronne sollicite une injonction mandatoire permanente en vertu de l'art. 311 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement -- Les défendeurs exploitent des entreprises de recyclage -- Les résidus de déchiquetage de carcasses de véhicules automobiles (RDA) sont entreposés en piles -- Les matériels qui contiennent plus de 50 parties par million (ppm) en BPC sont considérés comme étant des «matériels contenant des BPC» et doivent être traités de la façon prescrite dans le Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC -- Environnement Canada a analysé la concentration en BPC des RDA des défendeurs -- Les résultats du ministère indiquaient que les concentrations excédaient le seuil autorisé -- L'analyse effectuée par les défendeurs indiquait des résultats sous le seuil -- Le plan de mesures correctrices proposé par les défendeurs a été jugé insatisfaisant -- Le ministère a sollicité une injonction portant que les RDA de certaines piles ou cellules, sont réputés être des matériels contenant des BPC, tant et aussi longtemps que les zones sous le seuil réglementaire n'auraient pas été identifiées et mises à l'écart -- Le prélèvement d'échantillons et l'analyse devaient être effectués par un tiers sous la direction et la surveillance du ministère, aux frais des défendeurs -- Demande rejetée -- Conditions à remplir pour l'obtention d'une injonction sous le régime de l'art. 311(1) de la Loi -- Norme de preuve requise -- Nécessité d'établir des motifs raisonnables et probables -- Est-il possible de délivrer une injonction dans le cas où un acte passé a un effet actuel et continu? -- Versions anglaise et française de la disposition -- Examen des facteurs contextuels et de l'économie de la Loi -- La Loi fournit un code complet de prévention de la pollution -- Elle prévoit des amendes importantes et des peines d'emprisonnement -- La Cour était préoccupée par le fait que la Couronne évite d'accorder les garanties procédurales en choisissant de procéder par voie d'injonction au lieu d'intenter une poursuite -- Examen des témoignages des experts pour déterminer si les RDA contiennent des BPC -- Analyse de la preuve -- Deux versions différentes des faits ont été présentées à la Cour -- Principale question: peut-on utiliser la moyenne d'une cellule ou pile entière, ou de sections plus petites («points chauds») pour déterminer s'il y a ou non 100 kg de RDA dont la concentration de BPC est supérieure à 50 ppm? -- Validité des données du ministère, utilisation des résultats individuels -- Recours à l'analyse statistique -- Explication des méthodes incompatibles -- Le Règlement permet-il l'utilisation de moyennes? -- Définition du terme «somme» au sens du Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC -- La question de la caractérisation des RDA relève de la science -- Lorsqu'il s'agit d'une substance hétérogène, la concentration moyenne de BPC est pertinente -- Le ministère a adopté une position contraire à celle exprimée par ses propres témoins -- L'analyse statistique est valable et nécessaire pour interpréter les données -- La concentration moyenne en BPC est sous le seuil réglementaire -- Les RDA ne constituent pas des matériels contenant des BPC.

Injonctions -- Le ministre de l'environnement sollicite une injonction mandatoire permanente en vertu de l'art. 311 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999) -- La concentration des résidus de déchiquetage de carcasses de véhicules automobiles excèderait la limite imposée par le Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC -- Conditions à remplir pour l'obtention d'une injonction sous le régime de l'art. 311(1) -- Les défendeurs font valoir que la Loi a été adoptée en vertu de la compétence du Parlement fédéral en matière criminelle, que l' injonction doit être accordée uniquement dans des cas exceptionnels -- En common law, le procureur général peut solliciter une injonction pour faire respecter les lois, mais uniquement dans des cas exceptionnels -- Il en est autrement lorsqu'une injonction est accordée dans les cas prévus par la loi -- Il n'est pas nécessaire de démontrer que le versement de dommages-intérêts ne suffirait pas ou qu'un préjudice irréparable serait subi si l'injonction était refusée -- Il n'est pas nécessaire d'avoir exercé d'autres recours -- La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser d'accorder l'injonction si elle est inéquitable pour une partie ou si son utilité est douteuse -- Norme de preuve requise -- Nécessité d'établir des motifs raisonnables et probables -- La Cour n'avait pas à décider de prononcer une injonction mandatoire pour empêcher la continuation d'une infraction vu son appréciation de la preuve scientifique présentée par les témoins experts.

Il s'agit d'une demande par Sa Majesté, représentée par le ministre de l'Environnement, en vue d'obtenir une injonction mandatoire permanente en vertu de l'article 311 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999). C'est la première fois que la Cour doit examiner une telle demande.

Les défenderesses, General Scrap Partnership et XPotential Products Inc., exploitent des entreprises de recyclage. La première déchiquette des véhicules automobiles; la seconde combine les matériels fournis par General Scrap aux déchets de matières plastiques provenant de divers produits. L'un des produits des opérations de déchiquetage de General Scrap sont les résidus de déchiquetage de carcasses de véhicules automobiles ou «RDA», des matériels non métalliques, qu'il fournit à XPotential. Il s'agit d'un mélange hétérogène composé de plastique, de mousse et d'autres matières. Environ 20 000 tonnes métriques de RDA sont entreposées aux installations de General Scrap. Un grand nombre de RDA sont stockés sur le site de XPotential.

En vertu du Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC, tout materiel qui contient plus de 50 parties par million (ppm) de BPC est défini comme «matériel contenant des BPC» et doit être traité de la manière prescrite par le Règlement. Le défaut de se conformer au Règlement constitue une infraction à la Loi.

Lorsque, en septembre 1997, Environnement Canada a avisé les défendeurs qu'ils feraient l'objet d'une inspection dans le but de déterminer les degrés de BPC contenus dans leur RDA, ces derniers ont retenu les services de leurs propres experts pour procéder à un échantillonnage et à une analyse des RDA. Le rapport qu'ils ont préparé indiquait que les concentrations en BPC étaient sous le seuil réglementaire, mais les rapports préparés par le ministère en 1997 et en 1999 indiquaient le contraire. Les défendeurs ont avisé Environnement Canada de ce qu'ils avaient l'intention de faire pour remédier au problème, mais le ministère a soutenu que les défendeurs n'avaient pas fourni de plan indiquant les mesures qu'ils entendaient prendre et il a déposé la présente demande au lieu de recourir à d'autres mesures de contrôle d'application prévues par la loi. Dans sa demande d'injonction, le ministère faisait valoir que tous les RDA des piles est et ouest des installations de General Scrap et tous les RDA des cellules 4 et 5 ainsi que de la cellule de séchage des installations de XPotential devaient être considérés comme des matériels contenant des BPC, tant et aussi longtemps que ces zones sous le seuil réglementaire n'auraient pas été identifiées et mises à l'écart. Tout protocole de prélèvement d'échantillons et d'analyse devrait être exécuté par un tiers sous la direction et la surveillance du ministère, mais aux frais des défendeurs. Les autres matériels contenant des BPC devaient être traités conformément au Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC.

Jugement: la demande doit être rejetée.

La première question en litige consistait à déterminer quelles étaient les conditions à remplir pour l'obtention d'une injonction sous le régime du paragraphe 311(1) de la Loi et la portée de ce paragraphe. Les défendeurs on soutenu que la Loi a été adoptée en vertu de la compétence du Parlement fédéral en matière criminelle et que la Cour doit accorder une injonction comme sanction de droit criminel uniquement dans des cas très exceptionnels. Ils affirment que l'exercice de cette compétence exceptionnelle est limité aux cas où il y a eu violation répétée et manifeste d'une loi et où les dispositions de la loi en matière d'exécution se sont révélées inefficaces. La jurisprudence invoquée par les défendeurs se distinguait de la présente affaire. En common law, le procureur général peut, dans des cas exceptionnels, solliciter une injonction pour faire respecter les lois. Toutefois, lorsqu'une loi prévoit ce recours, le pouvoir discrétionnaire de la Cour est plus restreint. Dans de telles affaires, la demanderesse n'a pas à démontrer que le versement de dommages-intérêts ne suffirait pas ou qu'elle subirait un préjudice irréparable si l'injonction était refusée. Il n'est pas non plus nécessaire d'avoir exercé d'autres recours. Même dans ce cas, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser d'accorder une injonction si son utilité est douteuse ou si elle est inéquitable.

Suivant le sens ordinaire du paragraphe 311(1), pour qu'un tribunal accorde une injonction, il doit conclure soit que le défendeur a accompli un acte qui constitue une infraction ou un acte tendant à sa perpétration, soit que celui-ci est sur le point d'accomplir, ou accomplira probablement, un acte qui constitue une infraction ou un acte tendant à sa perpétration. Si le tribunal en est convaincu, il peut accorder une injonction prohibitive ou une injonction mandatoire.

Les termes employés dans cette disposition n'appuient pas la conclusion des défendeurs portant que la Loi exige une preuve hors de tout doute raisonnable. La disposition traite des situations où «selon lui» (it appears to a court) une infraction a été perpétrée et non des situations où «l'existence [. . .] d'un fait constituant une infraction [. . .] a été établie». Sur ce point, le libellé de l'article 311 peut être comparé à celui de l'article 39 qui exige un degré de preuve plus élevé. L'emploi des termes «selon lui» laisse entendre que même la plus haute norme de preuve en matière civile n'est pas exigée. Par ailleurs, la Cour ne pouvait pas accepter l'allégation de la demanderesse selon laquelle elle n'avait pas à établir des motifs raisonnables et probables. À titre de partie demanderesse, il appartient au ministre de démontrer au tribunal l'existence, l'imminence ou la probabilité de la perpétration d'une infraction. Le tribunal doit au minimum avoir la conviction légitime, selon la preuve prépondérante, qu'il y a possibilité sérieuse qu'un fait constituant une infraction, ou tendant à sa perpétration, a été posé, ou le sera probablement. La conviction du tribunal doit être fondée sur des éléments de preuve dignes de foi.

Bien que le paragraphe en cause ait pour but de prévenir la perpétration d'infractions, la demanderesse allègue que, lorsqu'un acte passé a un effet actuel et continu, le tribunal peut délivrer une injonction ordonnant au défendeur de s'abstenir de tout acte non conforme à la loi. Bien que la version anglaise ne soit pas explicite en ce qui concerne les situations en cours, la version française prévoit expressément la possibilité d'ordonner à la personne de s'abstenir de tout acte susceptible de perpétuer le fait. De fait, la demanderesse a soutenu que l'infraction qui consiste à stocker les matériels contenant des BPC de façon non conforme est une infraction de nature continue au sens de l'article 276 de la Loi. Pour déterminer si le paragraphe 311(1) permet la délivrance d'une injonction mandatoire pour corriger une situation en cours, il était utile d'examiner les facteurs contextuels tels que l'économie de la Loi.

La Loi constitue un code complet de prévention de la pollution et de protection de l'environnement. Elle prévoit des amendes s'élevant jusqu'à 1 million de dollars ou jusqu'à 5 ans d'emprisonnement. Sur déclaration de culpabilité pour infraction à la Loi, le tribunal peut également rendre une ordonnance imposant d'autres obligations. Il peut notamment, en vertu de l'alinéa 291(1)a), ordonner au contrevenant de s'abstenir de tout acte risquant d'entraîner la «continuation» de l'infraction. Les défendeurs ont souligné l'absence de disposition expresse visant à empêcher la «continuation de l'infraction» dans la version anglaise de l'article 311 de la Loi. Elles ont également fait valoir qu'il est anormal que le même recours offert au paragraphe 311(1) dans le cas où il apparaît (appears dans la version anglaise) qu'une infraction a été commise soit également offert en cas de déclaration de culpabilité en vertu de l'article 291. Les garanties procédurales qui seraient accordées dans le cadre d'une poursuite pour infraction à la Loi peuvent en effet être évitées si le ministre choisit plutôt de demander réparation par voie d'injonction et la Cour avait des réserves en ce qui concerne la possibilité d'utiliser l'article 311 comme solution de rechange à la poursuite sous le régime de l'article 291. Toutefois, vu l'appréciation de la preuve par la Cour, il n'était pas nécessaire de tirer une conclusion définitive sur la question de savoir s'il est possible de prononcer une injonction mandatoire pour empêcher la continuation d'une infraction dans le cas où l'on cherche à corriger une situation existante.

La juge Dawson a poursuivi avec l'examen de la preuve scientifique et des témoignages des experts pour déterminer si les RDA constituaient des matériels contenant des BPC. Pour un résumé sur cette question, voir la Note de l'arrêtiste. Elle a ensuite analysé la preuve, soulignant qu'à la lecture des documents déposés par les parties, on avait l'impression que la Cour était saisie de deux dossiers différents, tellement les deux points de vue divergeaient bien qu'ils aient été fondés sur les mêmes faits. Bien que certains faits soient incontestés, la principale question était de savoir si on pouvait utiliser la moyenne d'une cellule ou pile entière, ou de sections plus petites, appelées points chauds, à l'intérieur d'une pile ou cellule, pour déterminer s'il y avait ou non 100 kg de RDA dont la concentration en BPC était supérieure à 50 ppm.

Voir la Note de l'arrêtiste pour un résumé des questions examinées par la Cour relativement à la validité des données d'Environnement Canada et l'utilisation des résultats individuels.

En ce qui concerne la question de l'analyse statistique, la demanderesse estimait que les conditions d'application de la moyenne, l'écart-type et l'intervalle de confiance pour des cellules ou piles entières n'étaient pas pertinents quant à la question de conformité. La méthode mise au point par les experts des défendeurs est basée sur la considération de chaque pile ou cellule entière comme une unité d'échantillonnage, une approche qui, allèguent-ils, est conforme au rapport de l'EPA de 1992. Toutefois, la demanderesse a soutenu que les termes employés dans le Règlement ne sont pas compatibles avec des moyennes et que le recours des défendeurs à une «moyenne» contredit le mot «somme» employé dans le Règlement. Elle alléguait que, dans ce contexte, le mot «somme» était le contraire du mot «moyenne». La Cour n'a pas souscrit à cette allégation portant que l'emploi du mot «somme» était incompatible avec l'utilisation de moyennes statistiques. La Cour a retenu l'argument des défendeurs selon lequel il faut tout d'abord s'assurer de la catégorie à laquelle appartient le matériel suspect et que si le matériel, en tout ou en partie, appartient à la catégorie des matériels contenant des BPC, il faut alors déterminer si la somme totale de matériels de BPC atteint ou dépasse 100 kg. La caractérisation appropriée des RDA est une question qui relève de la science. Lorsqu'il s'agit d'une substance hétérogène telle que des RDA, la concentration moyenne en BPC est pertinente. Le témoin de la demanderesse, M. Fingas, a affirmé qu'il avait pour tâche de concevoir et mettre en oeuvre une méthodologie d'échantillonnage qui permettrait d'obtenir des résultats «représentatifs de chaque cellule tout entière». Toutefois, la demanderesse allègue maintenant que ce sont les petites zones dans chaque pile ou cellule qu'il faut considérer. De plus, dans les rapports de 1997 et de 1999, les résultats de M. Fingas étaient exprimés sous forme de moyenne pour chacune des cellules ou piles en entier. Cela est contraire à l'argument qu'avance maintenant la demanderesse. M. Merks a convaincu la Cour que l'analyse statistique était pertinente et nécessaire à l'interprétation juste des données. La Cour a également accepté l'argument de M. Merks portant que la concentration moyenne des BPC était inférieure au seuil réglementaire et que les RDA des défendeurs ne constituaient pas du matériel contenant des BPC.

lois et règlements

Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33, art. 2(1)i), 17, 22, 29, 39, 217, 218, 235, 238(1), 239(1), 243 à 268, 272(1)a), 273(2), 274(1), 276, 290, 291(1), 311.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 78.1 (édicté par L.C. 1991, ch. 1, art. 24).

Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC, DORS/92-507, art. 2 «solide contenant des BPC», «substance contenant des BPC».

jurisprudence

distinction faite d'avec:

Gouriet v. Union of Post Office Workers, [1978] A.C. 435 (H.L.); Ontario (Attorney General) v. Ontario Teachers' Federation (1997), 36 O.R. (3d) 367; 44 O.T.C. 274 (Div. gén.); Ontario (Attorney General) v. Hale (c.o.b. Hale Sand and Gravel) (1983), 13 C.E.L.R. 19; 38 C.P.C. 292 (H.C. Ont.); Prince Edward Island (Minister of Community and Cultural Affairs) v. Island Farm and Fish Meal Ltd. (1989), 79 Nfld. & P.E.I.R. 228 (C.S. (Div. app.) Î-P.-É.).

décisions examinées:

Ontario (Minister of the Environment) v. National Hard Chrome Plating Co. (1993), 11 C.E.L.R. (N.S.) 73 (Div. gén. Ont.); Biolyse Pharma Corp. c. Bristol-Myers Squibb Co., [2003] 4 C.F. 505; (2003), 226 D.L.R. (4th) 138; 24 C.P.R. (4th) 417; 303 N.R. 63 (C.A.).

décisions citées:

Maple Ridge (District) v. Thornhill Aggregates Ltd. (1998), 162 D.L.R. (4th) 203; [1999] 3 W.W.R. 93; 109 B.C.A.C. 188; 54 B.C.L.R. (3d) 155; 47 M.P.L.R. (2d) 249 (C.A.C.-B.); Shaughnessy Heights Property Owners' Association v. Northup (1958), 12 D.L.R. (2d) 760 (C.S.C.-B.); Manitoba Dental Association v. Byman and Halstead (1962), 34 D.L.R. (2d) 602 (C.A. Man.); Canada (Canadian Transportation Accident Investigation and Safety Board) v. Canadian Press, [2000] N.S.J. no 139 (C.S.) (QL); Saskatchewan (Minister of the Environment) v. Redberry Development Corp., [1987] 4 W.W.R. 654; (1987), 58 Sask. R. 134; 2 C.E.L.R. (N.S.) 1 (B.R.); Capital Regional District v. Smith (1998), 168 D.L.R. (4th) 52; 115 B.C.A.C. 76; 61 B.C.L.R. (3d) 217; 49 M.P.L.R. (2d) 159 (C.A.); Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; (2002), 208 D.L.R. (4th) 107; 37 Admin. L.R. (3d) 252; 18 Imm. L.R. (3d) 93; 280 N.R. 268.

doctrine

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

U.S. Environmental Protection Agency. EPA Manual SW-846. Test Methods for Evaluating Solid Waste, Physical/Chemical Methods, 3rd ed. Washington: U.S.G.P.O., feuillets mobiles.

DEMANDE d'injonction mandatoire permanente présentée en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999) concernant des piles de résidus de déchiquetage de carcasses de véhicules automobiles qui constitueraient des matériels contenant des BPC. Demande rejetée.

ont comparu:

Duncan A. Fraser et Joel I. Katz pour la demanderesse.

James G. Edmond et John D. Stefaniuk pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.

Thompson Dorfman Sweatman, Winnipeg, pour les défendeurs.

Note de l'arrêtiste:

L'arrêtiste en chef a estimé qu'il convenait de publier les motifs de l'ordonnance d'une longueur de 96 pages sous une forme abrégée, comme l'y autorise le paragraphe 58(2) de la Loi sur les Cours fédérales. La présente décision est importante puisque c'est la première fois où la Cour devait se prononcer sur la possibilité de délivrer une injonction mandatoire en vertu du paragraphe 311(1) de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999). Les questions juridiques en litige sont publiées intégralement, mais une grande partie des faits et de la preuve scientifique contradictoire ont été omis. De courtes notes de l'arrêtiste remplacen t les parties omises.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]La juge Dawson: Dans la présente demande, Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre de l'Environnement (la demanderesse ou Environnement Canada), sollicite une injonction mandatoire permanente contre les défendeurs en vertu de l'article 311 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33 (la Loi). L'injonction demandée obligerait les défendeurs, ainsi que leurs mandataires et employés, à stocker tous les matériels contenant des BPC sur les lieux d'affaires de General Scrap & Car Shredder Ltd. et XPotential Products Inc., et qui sont présentement empilés à découvert ou stockés d'une autre façon inappropriée, dans des conteneurs suffisamment durables et robustes pour prévenir la fuite des BPC solides et des substances contenants des BPC ou empêcher qu'ils soient affectés par les conditions climatiques.

[2]Les présents motifs sont longs. Aux termes de ceux-ci, j'arrive à la conclusion que, vu l'ensemble de la preuve, Environnement Canada n'a pas démontré selon une preuve prépondérante que les défendeurs ont commis une infraction à la Loi en stockant les matériels contenant des BPC de façon innapropriée. En conséquence, la demande d'injonction est rejetée.

Note de l'arrêtiste (remplace une partie du paragraphe 2 jusqu'au paragraphe 44):

Les défenderesses, General Scrap et XPotential, exploitent des entreprises de recyclage. En 1967, General Scrap de Winnipeg a été la première entreprise de déchiquetage de carcasses de véhicules automobiles à ouvrir ses portes au Canada. Au cours du processus de déchiquetage, les métaux ferreux sont séparés des métaux non ferreux, comme le cuivre et l'aluminium ainsi que les résidus de déchiquetage de carcasses de véhicules automobiles ou «RDA». Ceux-ci sont composés de morceaux de plastique, de mousse, de caoutchouc, de tapis et de verre. Ils mesurent parfois plus d'un pied de longueur.

L'utilisation des BPC a été interdite au Canada en 1977. Avant l'entrée en vigueur de cette interdiction, ces substances étaient utilisées dans la fabrication de véhicules automobiles et d'appareils électroménagers. Ainsi, lorsque de vieux véhicules sont déchiquetés, les BPC qu'ils peuvent contenir restent dans les RDA en faibles concentrations. Une quantité de 500 grammes de BPC peut contaminer jusqu'à 10 tonnes de RDA au-delà du seuil réglementaire de concentration en BPC, soit 50 parties par million (ppm). On retrouve différentes quantités de la substance interdite dans les piles de stockage des RDA.

Les quelques 20 000 tonnes métriques de RDA entreposées aux installations de General Scrap sont réparties en trois piles. Ces RDA ont été produits entre 1969 et 1978. La défenderesse, XPotential, recycle des RDA avec des plastiques de post-consommation en vue de fabriquer des produits tels que des poteaux de clôture et des traverses de chemin de fer. Son établissement est situé à approximativement un mille des installations de General Scrap et est constitué d'une usine ainsi que d'une zone de cellules de stockage. Depuis 1996, XPotential a reçu environ 125 000 tonnes de RDA de General Scrap. Les RDA sont entreposés dans six cellules de stockage et une cellule de séchage. Selon Environnement Canada, ce sont les RDA des cellules nos 4 et 5 ainsi que la cellule de séchage qui sont préoccupants. Certains RDA de ces cellules sont des RDA qui avaient été entreposés pendant plusieurs années aux installations de General Scrap.

Le Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC, DORS/92-507, définit comme «matériel contenant des BPC» tout matériel qui contient plus de 50 ppm de BPC. De tels matériels contenant des BPC en quantité de 100 kg ou plus doivent être stockés et manipulés de la manière prescrite par le Règlement et le défaut de se conformer à celui-ci constitue une infraction.

Lorsque Environnement Canada a avisé les défendeurs de son intention de procéder à une inspection de leurs installations et de prendre des échantillons de RDA à des fins d'analyse pour déterminer leur concentration en BPC, ceux-ci ont demandé à Wardrop Engineering de procéder à un échantillonnage et à une analyse des RDA pour eux. Le rapport de Wardrop indiquait que les concentrations étaient sous le seuil réglementaire. Toutefois, le rapport d'Environnement Canada relevait, à trois endroits, des concentrations dépassant le seuil réglementaire: la pile ouest des installations de General Scrap et les cellules de stockage nos 5 et 6 des installations de XPotential. Le second rapport préparé par Wardrop, fondé sur son analyse des duplicatas des échantillons, indiquait que les concentrations ne dépassaient pas le seuil réglementaire. Environnement Canada n'a toutefois pas pris de mesures parce que le protocole d'analyse par lequel il était parvenu aux résultats contenus dans son rapport n'était pas le protocole prévu par le Règlement. Cependant, quelques mois plus tard, le ministère a prélevé de nouveaux échantillons et, en 1999, a publié un nouveau rapport indiquant que deux piles de RDA des installations de General Scrap ainsi que trois des quatre zones de stockage des installations de XPotential contenaient des concentrations en BPC dépassant la limite légale. General Scrap a avisé le ministère de son plan pour remédier au problème, mais s'est fait répondre qu'elle n'avait pas fourni de plan détaillé indiquant les mesures spécifiques qu'elle entendait prendre et les délais prévus pour les mettre en oeuvre et se conformer. Les défendeurs ont embauché Dillon Consulting ainsi qu'un autre expert pour mettre en place un processus de prélèvement d'échantillons qui fournirait des résultats les plus précis possible, mais le ministère a fait savoir qu'il n'entendait pas commenter le plan de prélèvement et d'analyse d'échantillons proposé. La demanderesse a entamé les présentes procédures sans d'abord avoir recours à d'autres mesures de contrôle d'application prévues par la Loi. Elle sollicite une injonction en alléguant que tous les RDA des piles est et ouest des installations de General Scrap et tous les RDA des cellules nos  4 et 5 ainsi que de la cellule de séchage des installations de XPotential doivent être considérés comme des matériels contenant des BPC, tant et aussi longtemps que ces zones dont les concentrations sont sous le seuil réglementaire n'auront pas été mises à l'écart des autres piles. Il était également demandé que le prélèvement d'échantillons, l'analyse et l'identification des matériels ne contenant pas de BPC soient effectués par un tiers aux frais des défendeurs, mais sous la direction et la surveillance du ministère. Les autres matériels contenant des BPC devaient être stockés ou détruits conformément au Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC.

II. LES QUESTIONS EN LITIGE

[45]Pour déterminer si l'injonction sollicitée doit être accordée dans la présente affaire, il importe de considérer les questions suivantes:

(i) Quelles sont les conditions à remplir pour l'obtention d'une injonction sous le régime du paragraphe 311(1) de la Loi et quelle est la portée de ce paragraphe?

(ii) Est-ce qu'une partie ou l'ensemble des RDA constituent des matériels contenant des BPC au sens du Règlement, de sorte que tous les défendeurs ou certains d'entre eux y contreviennent?

(iii) Dans l'affirmative, quels défendeurs contreviennent au Règlement?

(iv) La Cour doit-elle accorder l'injonction sollicitée?

III. ANALYSE

(i) Quelles sont les conditions à remplir pour obtenir réparation par voie d'injonction sous le régime du paragraphe 311(1) de la Loi et quelle est la portée de ce paragraphe?

[46]Les avocats m'informent que c'est la première fois que la Cour doit examiner une demande de réparation par voie d'injonction sous le régime du paragraphe 311(1) de la Loi. L'article 311 prévoit:

311. (1) Si, sur demande présentée par le ministre, il conclut à l'existence, l'imminence ou la probabilité d'un fait constituant une infraction à la présente loi, ou tendant à sa perpétration, le tribunal compétent peut, par ordonnance, enjoindre à la personne nommée dans la demande:

a) de s'abstenir de tout acte susceptible, selon lui, de perpétuer le fait ou d'y tendre;

b) d'accomplir tout acte susceptible, selon lui, d'empêcher le fait.

(2) L'injonction est subordonnée à la signification d'un préavis d'au moins quarante-huit heures aux parties nommées dans la demande, sauf lorsque cela serait contraire à l'intérêt public en raison de l'urgence de la situation.

a) L'application du paragraphe 311(1) est-elle limitée aux cas exceptionnels?

[47]L'argument fondamental des défendeurs concernant l'application de l'article 311 porte que la Loi dans sa totalité a été adoptée en vertu de la compétence du Parlement fédéral en matière criminelle. Il s'ensuit, allèguent-ils, que la compétence de la Cour pour accorder une injonction comme sanction de droit criminel est une compétence qu'on doit exercer avec prudence et uniquement dans des cas très exceptionnels. Ils appuient leur position sur la jurisprudence suivante: Gouriet v. Union of Post Office Workers, [1978] A.C. 435 (H.L.); Ontario (Attorney General) v. Ontario Teachers' Federation (1997), 36 O.R. (3d) 367 (Div. gén.); et Ontario (Attorney General) c. Hale (c.o.b. Hale Sand and Gravel) (1983), 13 C.E.L.R. 19 (H.C. Ont.). Les défendeurs affirment que l'exercice de cette compétence exceptionnelle est limité aux affaires où il y a eu violation répétée et manifeste d'une loi et où les dispositions de la loi en matière d'exécution se sont révélées inefficaces.

[48]J'estime que la jurisprudence invoquée par les défendeurs se distingue de la présente affaire. Dans les décisions qu'ils citent, soit aucune disposition législative spécifique ne permettait d'obtenir réparation par voie d'injonction, soit, comme dans Hale, précitée, la disposition législative prévoyant la réparation par voie d'injonction ne s'appliquait pas. Par conséquent, toutes les affaires invoquées mettaient en cause le droit du procureur général d'intenter une poursuite en common law pour tenter d'obtenir l'application d'une loi par voie d'injonction.

[49]La nature de l'injonction qu'un procureur général peut solliciter en common law pour faire respecter des droits publics est bien expliquée par le juge MacPherson dans Ontario Teachers' Federation, précité. Cette mesure de réparation cadre avec le rôle que joue le procureur général pour ce qui est d'assurer le respect des lois du pays. Les tribunaux ont statué qu'une telle réparation devait être accordée uniquement dans des cas exceptionnels.

[50]On doit toutefois établir une distinction importante entre une injonction prévue par la loi et l'injonction dont dispose le procureur général en vertu de la common law. Cette distinction est bien illustrée dans Ontario (Minister of the Environment) v. National Hard Chrome Plating Co. (1993), 11 C.E.L.R. (N.S.) 73 (Div. gén. Ont.). Dans cette affaire, la disposition législative prévoyant la délivrance d'une injonction indiquait que celle-ci avait pour but d'«empêcher» les infractions à la loi. La Cour a conclu que, comme la loi prévoyait uniquement l'octroi d'une injonction prohibitive, l'injonction mandatoire ne pouvait être accordée qu'en common law à la demande du procureur général agissant au nom de l'intérêt public. Il n'y avait ouverture à un tel recours en common law que lorsque la loi était bafouée et que ses dispositions s'avéraient inefficaces pour protéger l'intérêt public.

[51]Compte tenu de la jurisprudence invoquée par les parties, j'estime que, lorsqu'une loi prévoit un recours en injonction, la cour doit, au moment d'exercer son pouvoir discrétionnaire, tenir compte de considérations différentes de celles qui s'appliquent lorsque le procureur général intente une poursuite en common law en vue de faire respecter des droits publics. Les principes généraux suivants s'appliquent lorsqu'une injonction est prévue aux termes de la loi:

(i) Le pouvoir discrétionnaire de la cour est plus restreint. Les facteurs pertinents dans le cadre d'un recours en equity auront une application plus limitée. Voir: Prince Edward Island (Minister of Community and Cultural Affairs) v. Island Farm and Fish Meal Ltd. (1989), 79 Nlfd. & P.E.I.R, 228 (C.S. (Div. app.) Î.- P.-É.); Maple Ridge (District) v. Thornhill Aggregates Ltd. (1998), 162 D.L.R. (4th) 203 (C.A.C.-B.).

(ii) Plus particulièrement, le demandeur n'aura pas à démontrer que le versement de dommages-intérêts ne suffirait pas ou qu'il subirait un préjudice irréparable si l'injonction est refusée. Voir: Shaughnessy Heights Property Owners' Association v. Northup (1958), 12 D.L.R. (2d) 760 (C.S.C-B.); Manitoba Dental Association v. Byman and Halstead (1962), 34 D.L.R. (2d) 602 (C.A. Man.); Canada (Canadian Transporta-tion Accident Investigation and Safety Board) v. Canadian Press, [2000] N.S.J. no 139 (C.S. (QL).

(iii) Il n'est pas nécessaire d'avoir exercé d'autres recours. Voir: Saskatchewan (Minister of the Environment) v. Redberry Development Corp., [1987] 4 W.W.R. 654 (B.R. Sask.).

(iv) La cour conserve le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou non l'injonction. Les difficultés liées à l'imposition et à l'exécution d'une injonction ne l'emporteront généralement pas sur l'intérêt du public à faire respecter la loi. Toutefois, l'injonction ne sera pas accordée si son utilité est douteuse ou si elle est inéquitable pour une partie. Voir: Saskatchewan (Minister of the Environment) v. Redberry Development Corp., précité; Maple Ridge (District) v. Thornhill Aggregates Ltd., précité; Capital Regional District v. Smith (1998), 168 D.L.R. (4th) 52 (C.A.C.-B.).

(v) Il est plus difficile d'obtenir une injonction mandatoire. Voir: Canada (Canadian Transportation Accident Investigation and Safety Board) v. Canadian Press, précité.

b) Les éléments constitutifs du paragraphe 311(1)

[52]Ayant rejeté l'argument des défendeurs selon lequel le recours prévu à l'article 311 de la Loi n'est possible que moyennant la preuve de violations répétées de la loi et de l'inefficacité des autres sanctions, j'examinerai maintenant les éléments qui doivent être établis pour que la Cour puisse accorder une injonction mandatoire.

[53]Le point de départ de l'interprétation du paragraphe 311(1) de la Loi est l'énoncé de principe suivant qui est bien connu et accepté:

[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Voir: E. A. Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la page 87, tel que cité dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigra-tion), [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 27.

[54]Cette approche exige que le tribunal attribue à une disposition législative le sens qui concorde le mieux avec son libellé et son contexte. Bien que ni l'un ni l'autre ne puisse être ignoré, comme la Cour d'appel fédérale l'a fait remarquer dans Biolyse Pharma Corp. c. Bristol-Myers Squibb Co., [2003] 4 C.F. 505, au paragraphe 13, plus le sens ordinaire de la disposition est clair, plus les considérations contextuelles doivent être convaincantes pour justifier une interprétation différente.

[55]Avant de commencer cette analyse, il convient de reproduire de nouveau le libellé du paragraphe 311(1) de la Loi:

311. (1) Si, sur demande présentée par le ministre, il conclut à l'existence, l'imminence ou la probabilité d'un fait constituant une infraction à la présente loi, ou tendant à sa perpétration, le tribunal compétent peut, par ordonnance, enjoindre à la personne nommée dans la demande:

a) de s'abstenir de tout acte susceptible, selon lui, de perpétuer le fait ou d'y tendre;

b) d'accomplir tout acte susceptible, selon lui, d'empêcher le fait.

1. Le libellé--sens ordinaire et grammatical

[56]Suivant le sens ordinaire du paragraphe 311(1), pour qu'un tribunal accorde une injonction, il doit conclure:

(i) soit que le défendeur a accompli un acte qui constitue une infraction à la Loi ou un acte tendant à sa perpétration;

(ii) soit que le défendeur est sur le point d'accomplir, ou accomplira probablement, un acte qui constitue une infraction à la Loi ou un acte tendant à sa perpétration.

[57]Si le tribunal en est convaincu, il peut:

(i) accorder une injonction prohibitive enjoignant au défendeur de s'abstenir de tout acte susceptible, de l'avis du tribunal, de perpétuer l'infraction ou d'y tendre;

(ii) accorder une injonction mandatoire enjoignant au défendeur d'accomplir tout acte qui, selon le tribunal, est susceptible d'empêcher la perpétration d'une infraction.

Le libellé et la norme de preuve requise

[58]Les défendeurs allèguent que la Loi exige une preuve hors de tout doute raisonnable des faits ayant donné lieu à la perpétration de l'infraction. À mon avis, les termes employés au paragraphe 311(1), interprétés selon leur sens ordinaire et grammatical, n'appuient pas une telle conclusion. Je conclus ainsi parce que la disposition traite des situations où «selon lui» (le tribunal) (it appears to a court dans la version anglaise) un acte a été accompli, est susceptible d'être accompli ou sera probablement accompli et que cet acte constitue une infraction ou tend à sa perpétration. Si le législateur avait voulu exiger une preuve hors de tout doute raisonnable de la perpétration, ou de la probabilité de la perpétration d'une infraction, il aurait très probablement employé des termes plus précis pour dire par exemple que «l'existence, l'imminence ou la probabilité d'un fait constituant une infraction à la présente loi a été établie».

[59]Le tribunal peut également empêcher tout acte «susceptible, selon lui, de perpétuer le fait ou d'y tendre». Il peut ordonner que soit accompli tout acte «susceptible, selon lui, d'empêcher le fait». Encore une fois, le libellé est loin d'exprimer une exigence de preuve hors de tout doute raisonnable en ce qui concerne l'existence, l'imminence ou la probabilité d'un fait constituant une infraction.

[60]De plus, le libellé du paragraphe 311(1) doit être comparé à celui de l'article 39 de la Loi. Cet article accorde à quiconque a subi ou est sur le point de subir un préjudice ou une perte «par suite d'un comportement allant à l'encontre d'une disposition de la présente loi» le droit de solliciter du tribunal une injonction. Par conséquent, selon le libellé de l'article 39, le tribunal doit être convaincu que le préjudice ou la perte sont le résultat d'un comportement «allant à l'encontre de la Loi» pour être en mesure d'accorder l'injonction. Les termes employés au paragraphe 311(1), qui exigent uniquement que le tribunal ait, «selon lui», conclu à l'existence, l'imminence ou la probabilité d'un fait constituant une infraction, doivent être interprétés comme reflétant l'intention du Parlement d'exiger un degré moindre de preuve à l'article 311 qu'à l'article 39. Ce degré moindre de preuve ne peut équivaloir à une preuve hors de tout doute raisonnable, ni même à la plus haute norme de preuve en matière civile.

[61]Pour arriver à cette conclusion, j'ai examiné l'argument des défendeurs selon lequel l'article 29 de la Loi appuie la conclusion que la norme de preuve applicable en vertu de l'article 311 est la norme de preuve criminelle. L'article 29 prévoit:

29. Dans une action en protection de l'environnement, la charge de prouver l'existence de l'infraction et l'atteinte à l'environnement qui en découle repose sur la prépondérance des probabilités.

[62]Les défendeurs allèguent que, puisque l'article 311 et les dispositions connexes ne prévoient pas semblablement l'application de la norme civile, l'intention devait être d'exiger la norme applicable en matière criminelle.

[63]Cependant, il est à mon avis important de souligner que l'action en protection de l'environnement à laquelle renvoie l'article 29 peut uniquement être intentée par un particulier ayant demandé au ministre la tenue d'une enquête relative à une infraction, dans les cas où ce dernier n'a pas procédé à l'enquête ni établi son rapport ou encore que les mesures qu'il entend prendre à la suite de l'enquête ne sont pas raisonnables. L'action en protection de l'environnement constitue dès lors une forme de substitut à l'enquête convenable sur l'infraction alléguée. Le fondement de l'action est la preuve de la perpétration d'une infraction. Dans ces conditions, la nécessité de préciser la norme de preuve applicable est manifeste. Dans ce contexte, je ne suis pas disposée à inférer que, vu l'absence de disposition similaire à l'article 311, la norme de preuve applicable est la norme criminelle.

[64]Pour conclure sur cette question, je souligne également que rien à l'article 311 n'indique que la demande présentée par le ministre est de nature criminelle et justifie l'application de la norme de preuve en matière criminelle.

[65]Par ailleurs, Environnement Canada affirme qu'il lui faut uniquement démontrer qu'il y a des motifs de croire qu'on contrevient à la Loi. Le Ministère fait valoir qu'en l'absence d'une disposition législative expresse, il n'est pas nécessaire d'établir que cette conviction repose sur des motifs raisonnables et probables. Voici un extrait des observations écrites d'Environnement Canada:

[traduction]

31. Environnement Canada doit uniquement démontrer qu'il a des motifs de croire qu'on contrevient à la Loi. Sauf indication contraire de la loi, il n'est pas nécessaire que cette conviction repose sur des motifs raisonnables et probables ou de produire une preuve réelle de l'infraction.

Prince Edward Island (Minister of Community and Cultural Affairs) v. Island Farm and Fish Meal Ltd. (1989), 79 Nfld. & P.E.I.R. 228 (C.A.I.P.-É.)

[66]Bien que je rejette l'argument des défendeurs selon lequel la preuve exigée est une preuve hors de tout doute raisonnable des faits ayant donné lieu à la perpétration de l'infraction, je rejette également l'allégation d'Environnement Canada selon laquelle il n'a pas à établir qu'il a des motifs raisonnables et probables de croire à l'existence, l'imminence ou la probabilité de la perpétration d'une infraction à la Loi.

[67]Le sens ordinaire des termes employés au paragraphe 311(1) impose au ministre, à titre de partie demanderesse, le fardeau de démontrer au tribunal compétent l'existence, l'imminence ou la probabilité d'un fait constituant une infraction ou tendant à sa perpétration. S'il en est convaincu, le tribunal peut enjoindre à une partie de s'abstenir de tout acte susceptible, selon lui, de perpétuer le fait ou d'y tendre. Subsidiairement, le tribunal peut enjoindre à une partie d'accomplir tout acte susceptible, selon lui, d'empêcher le fait constituant une infraction. Bien que le libellé n'exige pas la preuve de la perpétration ou de l'imminence de la perpétration d'une infraction, le tribunal doit au minimum avoir la conviction légitime, selon la preuve prépondérante, qu'il y a possibilité sérieuse qu'un fait constituant une infraction, ou tendant à sa perpétration, ait été posé, le sera de façon éminente ou probable s'il ne délivre pas une injonction. Si le tribunal n'a pas cette conviction, le ministre n'aura pas réussi à démontrer l'existence des faits rendant probable qu'une infraction ait été perpétrée ou qu'un acte constituant une infraction ait été posé. La conviction du tribunal doit être fondée sur des éléments de preuve dignes de foi et sur toutes les inférences que cette preuve autorise. Il incombe au ministre de s'acquitter de ce fardeau.

[68]J'estime que l'affaire Island Farm and Fish Meal Ltd., citée par Environnement Canada, n'appuie pas son argument. Cette affaire portait sur le libellé d'une mesure législative provinciale qui permettait expressément qu'un arrêté ministériel soit délivré dans le cas où le ministre avait simplement lieu de croire qu'une infraction avait été commise. En raison des différences entre les termes employés dans chaque loi, on ne peut tirer de cette décision une proposition plus large applicable au paragraphe 311(1).

Le libellé et la prévention des infractions

[69]Environnement Canada allègue qu'une lecture globale du paragraphe 311(1) montre qu'il vise à prévenir la perpétration d'infractions à la Loi. Je partage cet avis. Cette interprétation est basée sur l'interdiction d'actes constituant une infraction, ou tendant à leur perpétration, et sur la disposition prévoyant que le tribunal peut ordonner à une partie d'accomplir un acte susceptible d'empêcher la perpétration d'une infraction s'il lui apparaît que tel sera l'effet de l'ordonnance.

[70]Par exemple, dans le cas où un acte unique et distinct constitue ou est susceptible de constituer une infraction à la Loi, le tribunal peut, en se fondant sur une preuve pertinente, ordonner qu'un certain acte soit accompli ou qu'on s'abstienne de tout acte pour prévenir la perpétration d'une infraction. Toutefois, si cet acte unique et distinct avait déjà été posé, le paragraphe 311(1) n'aurait aucune portée puisqu'il n'y aurait aucun acte à prévenir et aucune façon de prévenir la perpétration d'une infraction après le fait.

[71]Que se passe-t-il alors dans le cas où un acte passé ou actuel a un effet actuel et continu? Par exemple, est-il possible de délivrer une injonction prohibitive ou une injonction mandatoire si, par exemple, les RDA en cause constituent aujourd'hui, en tout ou en partie, des matériels contenant des BPC?

[72]Environnement Canada fait valoir que, dans une telle situation, le tribunal peut (en vertu de l'alinéa 311(1)a) de la Loi), enjoindre au défendeur par injonction de cesser d'agir d'une manière constituant une infraction ou tendant à perpétuer une infraction. Le sens ordinaire des termes employés à l'ailinéa 311(1)a) étaie comme suit cette interprétation.

[73]L'infraction en cause en l'espèce est le défaut allégué d'avoir stocké des matériels contenant des BPC de façon conforme au Règlement. Il s'agit d'une infraction prévue à l'alinéa 272(1)a) de la Loi, lequel sanctionne le fait de contrevenir la présente loi ou à ses règlements. L'alinéa 311(1)a) s'appliquerait par conséquent dans les cas où, pour paraphraser les termes de la disposition, le tribunal conclut que la personne a stocké des matériels contenant des BPC d'une manière contraire au Règlement. Dans de telles circonstances, le tribunal pourrait enjoindre aux défendeurs de s'abstenir de stocker des matériels contenant des BPC d'une manière contraire au Règlement parce que cette forme d'entreposage non conforme constituerait la perpétration d'une infraction. Bien que la version anglaise ne soit pas explicite en ce qui concerne les situations en cours, la version française de l'alinéa 311(1)a) prévoit expressément la possibilité d'ordonner à la personne «de s'abstenir de tout acte susceptible [. . .] de perpétuer le fait».

[74]Dans ce genre de situation, le tribunal pourrait également ordonner, en vertu de l'alinéa 311(1)b), que les matériels soient stockés conformément au Règlement s'il est convaincu que cette ordonnance va «empêcher le fait».

[75]À cet égard, Environnement Canada fait valoir que l'infraction qui consiste à stocker les matériels contenant des BPC de façon non conforme est une infraction de nature continue au sens de l'article 276 de la Loi. Celui-ci prévoit:

276. Il peut être compté une infraction distincte à la présente loi pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se continue l'infraction.

[76]Il s'ensuit en l'espèce que, selon Environnement Canada, bien que le défaut de se conformer au Règlement soit survenu avant que les présentes procédures soient intentées, l'infraction continue d'être perpétrée. Environnement Canada allègue que, tant que les matériels contenant des BPC demeurent stockés de façon non conforme au Règlement, l'infraction continue d'avoir lieu et une nouvelle infraction séparée et distincte est commise chaque jour. Ainsi, le tribunal peut prononcer une injonction mandatoire exigeant que les matériels contenant des BPC soient stockés conformément au Règlement pour prévenir la perpétration d'infractions séparées et distinctes.

[77]En réponse, les défendeurs font valoir que le libellé de l'article 276 de la Loi ne prévoit pas que l'infraction continue constitue une infraction séparée. L'article prévoit au contraire qu'«[i]l peut être compté une infraction distincte à la présente loi pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se continue l'infraction». Ces termes sont employés pour permettre la multiplication des peines et la poursuite de tout délai de prescription. Les défendeurs opposent l'article 78.1 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14 [édicté par L.C. 1991, ch. 1, art. 24], au libellé de l'article 276. Ils soulignent qu'Environnement Canada gère l'application des dispositions relatives à la protection de l'environnement contenues dans la Loi sur les pêches. L'article 78.1 de cette Loi prévoit:

78.1 Il est compté une infraction distincte à la présente loi ou à ses règlements pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se continue toute infraction à l'une de leurs dispositions.

[78]La Loi sur les pêches a été adoptée avant la Loi canadienne sur la protection de l'environnement et peut par conséquent appuyer l'argument des défendeurs selon lequel les termes employés à l'article 276 ne signifient pas que l'infraction continue à la Loi constitue une nouvelle infraction séparée et distincte pour chaque jour où la situation persiste. En dépit de cette allégation, l'article 276 de la Loi prévoit expressément que l'auteur peut être déclaré coupable d'une infraction distincte pour chacun des jours au cours desquels se continue l'infraction.

[79]Il est utile à ce stade d'examiner les facteurs contextuels facilitant l'interprétation du paragraphe 311(1) et qui devraient spécifiquement nous aider à déterminer si le paragraphe 311(1) permet la délivrance d'une injonction mandatoire pour corriger des situations en cours.

2. Le contexte

L'économie de la Loi

[80]La Loi peut être considérée comme un code complet de prévention de la pollution et de protection de l'environnement.

[81]La partie 2 de la Loi porte sur la participation du public à son application et son exécution. Tout particulier âgé d'au moins 18 ans qui réside au Canada peut demander au ministre l'ouverture d'une enquête relative à une infraction prévue par la Loi qu'il estime avoir été commise (article 17). Tel que mentionné précédemment, si le ministre responsable n'a pas procédé à l'enquête, ou a répondu défavorablement, et qu'il y a eu atteinte importante à l'environnement, alors le particulier qui a demandé l'ouverture de l'enquête peut intenter une action en protection de l'environnement (article 22). Le paragraphe 22(3) prévoit que, dans le cadre d'une telle action, le particulier peut demander:

22. (3) [. . .]

a) un jugement déclaratoire;

b) une ordonnance--y compris une ordonnance provisoire--enjoignant au défendeur de ne pas faire un acte qui, selon le tribunal, pourrait constituer une infraction prévue à la présente loi;

c) une ordonnance--y compris une ordonnance provisoire--enjoignant au défendeur de faire un acte qui, selon le tribunal, pourrait empêcher la continuation de l'infraction;

d) une ordonnance enjoignant aux parties de négocier un plan de mesures correctives visant à remédier à l'atteinte à l'environnement, à la vie humaine, animale ou végétale ou à la santé, ou à atténuer l'atteinte, et de faire rapport au tribunal sur l'état des négociations dans le délai fixé par celui-ci;

e) toute autre mesure de redressement indiquée-- notamment le paiement des frais de justice--autre que l'attribution de dommages-intérêts. [Non souligné dans l'original.]

[82]Le passage le plus important est la mention expresse à l'alinéa 22(3)c) d'une ordonnance «enjoignant au défendeur de faire un acte qui [. . .] pourrait empêcher la continuation de l'infraction» prévue par la Loi (non souligné dans l'original).

[83]L'article 39 de la Loi, également mentionné précédemment, prévoit que quiconque a subi ou est sur le point de subir un préjudice ou une perte par suite d'un comportement qui va à l'encontre d'une disposition de la Loi peut solliciter une injonction. L'injonction peut exiger que l'auteur de l'infraction cesse tout fait pouvant causer le préjudice ou la perte ou exiger qu'il pose tout acte visant à empêcher le préjudice ou la perte.

[84]La partie 10 de la Loi porte sur le contrôle d'application de celle-ci et prévoit des pouvoirs d'exécution importants. Le ministre responsable peut désigner des agents de l'autorité qui ont les pouvoirs d'un agent de la paix (article 217). Un agent de l'autorité peut inspecter un lieu s'il a des motifs raisonnables de croire qu'il y a une substance ou qu'il s'y tient une activité visées par un règlement (article 218). Dans le cadre d'une inspection ou d'une perquisition, l'agent de l'autorité peut ordonner à l'intéressé de prendre certaines mesures s'il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci a comm is une infraction à la Loi ou à ses règlements et que cette infraction continue d'être commise. L'article 235 porte sur l'ordre d'exécution et prévoit, pour l'essentiel, ce qui suit:

235. (1) Lors de l'inspection ou de la perquisition, s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la présente loi ou à ses règlements a été commise--et continue de l'être--ou le sera, dans les cas prévus au paragraphe (2), l'agent de l'autorité peut ordonner à tout intéressé visé au paragraphe (3) de prendre les mesures prévues au paragraphe (4) et, s'il y a lieu, au paragraphe (5) qui sont justifiées en l'espèce et compatibles avec la protection de l'environnement et la sécurité publique pour mettre fin à la perpétration de l'infraction ou s'abstenir de la commettre.

(2) Les cas de contravention sont:

[. . .]

b) leur possession, entreposage, utilisation, vente, mise en vente, publicité ou élimination;

[. . .]

(3) Pour l'application du paragraphe (1), les intéressés sont les personnes qui, selon le cas:

a) sont propriétaires de la substance en cause dans la perpétration de la prétendue infraction, d'un produit la contenant ou du lieu où se trouve cette substance ou ce produit, ou ont toute autorité sur eux;

b) causent cette infraction ou y contribuent.

(4) L'ordre peut enjoindre à l'intéressé de prendre une ou plusieurs des mesures suivantes:

a) s'abstenir d'agir en violation de la présente loi ou de ses règlements ou, au contraire, faire quoi que ce soit pour s'y conformer;

b) cesser une activité ou fermer notamment un ouvrage ou une entreprise, pour une période déterminée;

c) cesser l'exercice d'une activité ou l'exploitation d'une partie notamment d'un ouvrage ou d'une entreprise jusqu'à ce que l'agent de l'autorité soit convaincu qu'ils sont conformes à la présente loi ou ses règlements;

d) déplacer un moyen de transport vers un autre lieu, y compris faire entrer un navire au port ou faire atterrir un aéronef à un aéroport;

e) décharger un moyen de transport ou le charger;

f) prendre toute autre mesure que l'agent de l'autorité estime nécessaire pour favoriser l'exécution de l'ordre ou la protection et le rétablissement de l'environnement, notamment:

(i) tenir des registres sur toute question pertinente,

(ii) lui faire périodiquement rapport,

(iii) lui transmettre les renseignements, propositions ou plans qu'il précise et qui énoncent les mesures à prendre par l'intéressé à l'égard de toute question qui y est précisée. [Non souligné dans l'original.]

[85]L'ordre d'exécution peut donc enjoindre à l'intéressé qui continue de perpétrer une infraction de «faire quoi que ce soit pour s'y conformer [à la Loi ou à ses règlements]».

[86]Le destinataire de l'ordre doit l'exécuter dès la réception (paragraphe 238(1)). L'ordre est valable pour une période allant jusqu'à 180 jours (paragraphe 235(7)). La victime peut présenter des observations à l'agent de l'autorité avant qu'il ne rende son ordre ou présenter une demande de révision par un réviseur indépendant (articles 243 à 268). L'ordre demeure en vigueur à moins que le réviseur n'en décide autrement. Un appel de cette décision peut être interjeté devant la Cour fédérale. Faute par l'intéressé de prendre les mesures énoncées dans un ordre, l'agent de l'autorité peut les prendre ou les faire prendre (paragraphe 239(1)).

[87]La peine maximale prévue par la Loi pour une infraction est une amende d'un million de dollars et un emprisonnement de cinq ans (paragraphes 273(2) et 274(1)). Le tribunal peut également infliger une amende correspondant aux avantages tirés de la perpétration de l'infraction (article 290). Le paragraphe 291(1) dispose que, sur déclaration de culpabilité pour infraction à la Loi, le tribunal peut rendre une ordonnance imposant d'autres obligations. Il est libellé comme suit:

291. (1) En cas de déclaration de culpabilité pour infraction à la présente loi, le tribunal peut, en sus de toute peine prévue par celle-ci et compte tenu de la nature de l'infraction ainsi que des circonstances de sa perpétration, rendre une ordonnance imposant au contrevenant tout ou partie des obligations suivantes:

a) s'abstenir de tout acte ou activité risquant d'entraîner la continuation de l'infraction ou la récidive;

b) prendre les mesures jugées utiles pour réparer le dommage à l'environnement résultant des faits qui ont mené à la déclaration de culpabilité ou prévenir un tel dommage;

c) élaborer et exécuter un plan de prévention de la pollution ou un plan d'urgence environnementale;

d) exercer une surveillance continue des effets d'une substance sur l'environnement, de la façon que le ministre indique, ou verser, selon les modalités prescrites par le tribunal, une somme d'argent destinée à permettre cette surveillance;

e) mettre en place un système de gestion de l'environnement répondant à une norme canadienne ou internationale reconnue;

f) faire effectuer, à des moments déterminés, une vérification environnementale par une personne appartenant à la catégorie de personnes désignée, et prendre les mesures appropriées pour remédier aux défauts constatés;

g) publier, en la forme prescrite, les faits liés à la déclaration de culpabilité;

h) aviser les victimes, à ses frais et en la forme prescrite, des faits liés à la déclaration de culpabilité;

i) consigner telle somme d'argent jugée convenable, en garantie de l'exécution des obligations imposées au titre du présent article;

j) fournir au ministre, sur demande présentée par celui-ci dans les trois ans suivant la déclaration de culpabilité, les renseignements relatifs à ses activités jugés justifiés en l'occurrence;

k) indemniser le ministre, en tout ou en partie, des frais exposés par celui-ci pour la réparation ou la prévention du dommage à l'environnement résultant des faits qui ont mené à la déclaration de culpabilité;

l) exécuter des travaux d'intérêt collectif à des conditions raisonnables;

m) affecter, sous réserve du Code criminel ou des règlements d'application de l'article 278, toute amende ou autre sanction pécuniaire compte tenu des ordonnances rendues sur le fondement du dommage ou risque de dommage que cause l'infraction;

n) verser, selon les modalités prescrites, une somme d'argent destinée à permettre des recherches sur l'utilisation et l'élimination écologiques de la substance qui a donné lieu à l'infraction ou des recherches sur les modalités de l'exercice de la surveillance continue des effets de la substance sur l'environnement;

o) verser, selon les modalités prescrites, une somme d'argent à des groupes concernés notamment par la protection de l'environnement ou de la santé, pour les aider dans le travail qu'ils accomplissent au sein de la collectivité où l'infraction a été commise;

p) verser à un établissement d'enseignement, selon les modalités prescrites, une somme d'argent destinée à créer des bourses d'études attribuées à quiconque suit un programme d'études dans un domaine lié à l'environnement;

q) se conformer aux autres conditions jugées justifiées pour assurer sa bonne conduite et empêcher toute récidive. [Non souligné dans l'original.]

[88]Les alinéas 291(1)a), b) et f) sont pertinents. L'alinéa 291(1)a) permet au tribunal d'ordonner au contrevenant de s'abstenir de tout acte risquant d'entraîner la «continuation» de l'infraction; l'alinéa 291(1)b) permet d'ordonner au contrevenant de prendre les mesures jugées utiles pour réparer le dommage à l'environnement résultant de l'infraction, et l'alinéa 291(1)f) permet d'enjoindre au contrevenant de faire effectuer une vérification environnementale de la façon prescrite par le tribunal et de prendre les mesures appropriées pour remédier aux défauts constatés.

[89]Les défendeurs allèguent qu'un examen de l'économie de la Loi nous apprend que le législateur s'est exprimé clairement lorsqu'il entendait que la Loi s'applique aux infractions continues. Ainsi, l'alinéa 22(3)c) permet au tribunal d'enjoindre au défendeur d'accomplir un acte qui pourrait «empêcher la continuation de l'infraction», le paragraphe 235(1) prévoit qu'un ordre d'exécution peut être rendu contre un intéressé dans le cas où il y a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la Loi ou à ses règlements a été commise «et continue de l'être», et l'alinéa 291(1)a) permet au tribunal de rendre une ordonnance imposant au contrevenant de s'abstenir de tout acte risquant «d'entraîner la continuation de l'infraction». L'absence de disposition expresse visant à empêcher la «continuation de l'infraction» dans la version anglaise de l'article 311 de la Loi reflète, dit-on, l'intention du législateur de ne pas appliquer l'article 311 dans cette situation.

[90]Les défendeurs font également valoir, implicitement, que les ordonnances visées aux articles 22 et 291 enjoignant à un défendeur d'accomplir tout acte pouvant empêcher la continuation d'une infraction ou de s'abstenir de toute activité risquant d'entraîner la continuation d'une infraction sont délivrées après que le tribunal a déterminé qu'il y a eu infraction à la Loi. Tel que mentionné précédemment, il n'est pas nécessaire pour le ministre, dans le cadre d'une instance sous le régime du paragraphe 311(1) de la Loi, de démontrer l'existence d'une infraction, mais seulement qu'il apparaît qu'une personne a accompli, est sur le point d'accomplir ou accomplira probablement un fait constituant une infraction à la Loi ou tendant à sa perpétration. Les défendeurs font valoir, ce que j'admets, qu'il est dans une certaine mesure anormal que le même recours offert au paragraphe 311(1) dans le cas où il apparaît (appears dans la version anglaise) qu'une infraction a été commise ou pourrait être commise, soit également offert en cas de déclaration de culpabilité prononcée en vertu de l'article 291. Toutefois, un agent de l'autorité peut délivrer un ordre d'exécution pour enjoindre à un contrevenant de s'abstenir de contrevenir à la Loi ou de s'y conformer s'il a simplement des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise à la Loi ou à ses règlements. Bien que l'ordre d'exécution soit de durée limitée, il peut néanmoins enjoindre à l'intéressé de se conformer au Règlement et l'agent de l'autorité peut lui ordonner de prendre certaines mesures. Ces dispositions indiquent l'intention du législateur d'appliquer de larges mesures de réparation sur présentation d'une preuve moindre que le fait de la perpétration de l'infraction.

[91]La situation anormale alléguée par les défendeurs fait effectivement en sorte que les garanties procédurales qui seraient accordées dans le cadre d'une poursuite pour infraction à la Loi peuvent être évitées lorsque le ministre choisit plutôt de demander réparation par voie d'injonction en vertu du paragraphe 311(1). Les garanties dont dispose une personne poursuivie pour infraction comprennent le droit à une divulgation complète par le ministère public, à la présomption d'innocence et à la preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. Les procédures sous le régime du paragraphe 311(1) de la Loi, introduites devant notre Cour par voie de demande, ne comportent aucun droit à la communication préalable par le ministère public, aucune présomption d'innocence et je suis arrivée à la conclusion que la norme de preuve qui y est applicable est, selon ma conclusion, la norme de preuve civile.

[92]On pourrait éviter cette anomalie et le risque d'abus en interprétant l'article 311 comme s'il était de caractère prospectif et pro-actif, et servait à maintenir le statu quo en empêchant les actes futurs ou en enjoignant d'accomplir certains actes futurs de façon à prévenir la perpétration d'une infraction autre que celle qui a été commise ou qui est continuée. Suivant cette interprétation, l'article 311 ne pourrait servir à prévenir la perpétration d'une infraction qui a déjà été commise, qu'il s'agisse ou non d'une infraction continue. Dans ce cas, la délivrance d'un ordre d'exécution ou l'introduction d'une demande constitueraient des mesures de contrôle d'application appropriées.

[93]Les défendeurs font valoir qu'une telle interprétation ne serait pas incompatible avec l'esprit et les objets de la Loi.

[94]Les objets de la Loi peuvent être tirés de son préambule. Le législateur y indique l'engagement du gouvernement fédéral à notamment «privilégier, à l'échelle nationale, la prévention de la pollution» et à «adopter le principe de la prudence, si bien qu'en cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement». Ces principes seraient conformes à l'interprétation du paragraphe 311(1) comme disposition visant la prévention des infractions et non la correction de situations existantes. Il n'est pas nécessaire de soutenir l'interprétation contraire pour qu'il soit possible d'exercer des recours efficaces. Les dispositions de la Loi qui portent sur les actions en protection de l'environnement, les ordres d'exécution et le champ d'application d'un ordre donné sur déclaration de culpabilité pour une infraction offrent un plein éventail de mesures de contrôle et de recours.

c) Conclusion relative à la portée du paragraphe 311(1) de la Loi

[95]À mon humble avis, le manque d'uniformité dans le libellé de la Loi rend l'interprétation de l'article 311 plus difficile dans le cas d'une situation actuelle continue. L'absence de référence constante et expresse à la prévention de la continuation d'une infraction et les termes employés à l'article 276, qui diffèrent de ceux employés à l'article 78.1 de la Loi sur les pêches, appuient bel et bien l'interprétation préconisée par les défendeurs.

[96]J'ai des réserves en ce qui concerne la possibilité d'utiliser l'article 311 comme solution de rechange à la poursuite sous le régime de l'article 291 et d'ainsi priver le défendeur de son droit à la communication de la preuve du ministère public, à la présomption d'innocence et à la norme de preuve hors de tout doute raisonnable.

[97]Toutefois, en fin de compte, vu mon appréciation de la preuve, il n'est pas nécessaire de tirer une conclusion définitive sur la question de savoir s'il est possible de prononcer une injonction mandatoire pour empêcher la continuation d'une infraction dans le cas où l'on cherche à corriger une situation existante, statique. Le libellé de l'alinéa 311(1)b), lu conjointement avec l'article 276, est susceptible d'appuyer l'interprétation selon laquelle chacun des jours au cours desquels se continue l'infraction constitue une nouvelle infraction dont la perpétration peut être empêchée par la délivrance d'une injonction mandatoire. Je vais poursuivre mon analyse en me basant sur cette conclusion.

Note de l'arrêtiste (remplace les paragraphes 98 à 132):

La Cour a ensuite examiné la preuve pour déterminer si une partie ou l'ensemble des RDA constituaient des matériels contenant des BPC en se penchant d'abord sur les éléments présentés à l'appui de la demande. M. Fingas, titulaire d'une maîtrise ès sciences en chimie et un doctorat en sciences de l'environnement, a affirmé dans son affidavit qu'il était nécessaire de prélever des échantillons d'un nombre suffisant d'endroits différents dans chaque pile ou cellule de RDA pour obtenir des résultats statistiquement fiables et représentatifs. Un équipement d'excavation a été utilisé pour effectuer des prélèvements aux différentes profondeurs. Les concentrations en BPC des deux installations étaient supérieures au seuil autorisé. Selon M. Fingas, le stockage inapproprié des matériels contenant des BPC constitue un danger pour la santé et la sécurité des humains, de la vie végétale et des animaux. Il était en désaccord avec la méthode de Dillon et a expliqué qu'en mélangeant plusieurs échantillons, on obtient des concentrations moins élevées de BPC.

L'affidavit de David Clark a été produit en défense. Associé directeur chez Dillon et titulaire d'une maîtrise en génie de l'environnement, M. Clark est arrivé à la conclusion que la concentration moyenne des RDA ne dépassait pas le seuil réglementaire. Il a pris trois séries d'échantillons de RDA dans la cellule 5 aux installations de XPotential afin de vérifier la précision de trois protocoles pour l'échantillonnage sur le terrain. Selon M. Clark, le protocole d'échantillonnage utilisé par Environnement Canada était celui ayant la plus grande variance, et donc le plan d'échantillonnage le moins approprié des trois. Il a expliqué pourquoi le protocole utilisé pour la préparation du rapport Dillon devait être adopté. Jan Merks, expert en analyse statistique et en plans d'échantillonnage, estimait que l'analyse statistique des données contenues dans les rapports du ministère n'établissait pas qu'une cellule ou une pile de RDA avait une concentration moyenne de BPC qui s'écartait statistiquement du seuil réglementaire de 50 ppm. L'emploi par Dillon d'une méthode d'échantillonnage systématique stratifié était la méthode la plus appropriée pour procéder à l'échantillonnage de matériaux tels que les RDA en cause. Cette méthode permet une analyse statistique plus rigoureuse des données analytiques générées par le programme d'échantillonnage. M. Merks était d'avis que le rapport d'Environnement Canada de 1999 indiquait erronément avoir mis en pratique une procédure analogue à celle recommandée par l'Agence américaine pour la protection de l'environnement. D'autres témoins expert ont expliqué pourquoi les conclusions du ministère n'étaient pas fiables. Donald Davies, toxicologue, s'est présenté aux installations de General Scrap afin de procéder à une évaluation préliminaire des risques pour la santé et pour l'environnement. Il est arrivé à la conclusion que les BPC de ces installations ne constituaient un risque ni pour l'environnement, ni pour le public en général, ni pour les employés et les visiteurs, ni pour les espèces fauniques de la région. Il était de cet avis peu importe que les valeurs des concentrations de BPC contenus dans les RDA retenues soient celles de Dillon ou d'Environnement Canada.

c) Analyse de la preuve

[133]Au cours de sa plaidoirie, l'avocat de la demanderesse a fait observer qu'à la lecture des documents déposés par les parties, on a l'impression que la Cour est saisie de deux dossiers différents, tellement les deux points de vue divergent bien qu'ils soient fondés sur les mêmes faits. Tel est bien le cas.

[134]Pour que la demanderesse ait gain de cause, Environnement Canada doit établir, suivant la preuve prépondérante, que les RDA contiennent des BPC en quantité suffisante pour qu'ils soient étiquetés et entreposés de manière particulière conformément au Règlement.

[135]L'analyse de la preuve commence logiquement par ce qui n'est pas contesté, soit:

1. Pour que le Règlement s'applique, il faut que les RDA entrent dans la catégorie «matériel contenant des BPC». Pour ce faire, il faut que les RDA soient des «solides contenant des BPC» ou des «substances contenant des BPC», tels que définis dans le Règlement. Cela suppose ensuite que les RDA contiennent plus de 50mg de BPC par kilogramme de solide ou de substance (ou plus de 50ppm) et qu'il y ait 100kg ou plus de solides ou de substances contenant des BPC.

2. Ni la Loi, ni le Règlement ne prescrivent une stratégie ou une méthodologie particulière d'échantillonnage.

3. Dans le présent contexte, une stratégie d'échantillon-nage est le procédé grâce auquel on détermine le nombre d'échantillons individuels qui doivent être prélevés de chaque cellule ou pile de RDA, et l'endroit où les échantillons seront prélevés. À partir des analyses faites sur ces échantillons, on peut tirer des conclusions sur la cellule ou pile de RDA dans son ensemble, ainsi que sur les parties de cellule ou pile de RDA qui ne faisaient pas partie de l'échantillon. L'objet en litige, c'est ce qui est contenu dans les RDA et qui n'a pas été analysé.

4. Environnement Canada ne conteste pas les résultats des analyses individuelles obtenus grâce au programme d'échantillonnage des intimés, et rapportés par Dillon. Environnement Canada conteste les interprétations et les analyses de ces résultats par les défendeurs.

5. Les défendeurs contestent les résultats des analyses individuelles obtenus par Environnement Canada ainsi que l'analyse et l'interprétation de ces résultats par Environnement Canada.

6. La principale question qui oppose les parties est la suivante: peut-on utiliser la moyenne d'une cellule ou pile entière, ou de sections plus petites, appelées points chauds, à l'intérieur d'une pile ou cellule, pour déterminer s'il y a ou non 100kg de RDA dont la concentration de BPC est supérieure à 50ppm?

Note de l'arrêtiste (replace les paragraphes 136 à 176):

Les experts des défendeurs prétendaient que les données du ministère devaient être rejetées pour trois motifs: 1) elles étaient fondées sur un nombre insuffisant d'échantillons et sur un système d'échantillonnage inadéquat; 2) le ministère a dérogé à son propre plan d'échantillonnage, du moins en ce qui concerne la pile ouest de General Scrap; 3) une méthode d'échantillon-nage moins précise a été utilisée.

M. Fingas a confirmé en contre-interrogatoire qu'il s'était fortement appuyé sur le Rapport de l'Environmental Protection Agency (EPA) de 1992 pour calculer le nombre d'échantillons requis. Le témoin expert des défendeurs, M. Merks, a estimé que la méthode d'échantillonnage aléatoire stratifié du ministère est une méthode plus appropriée pour le contrôle statistique de la qualité de produits de consommation tandis que la méthode d'échantillonnage systématique stratifié de Dillon est la plus précise lorsqu'il s'agit de matériaux en vrac. Il convient de souligner que M. Merks n'a pas été contre-interrogé sur cette question. M. Fingas a confirmé que les directives d'échantillonnage du rapport de l'EPA de 1993, pour ce qui est des déchiqueteurs de métaux, recommandent de prendre 20 échantillons dans chaque pile mais qu'il en a prélevé beaucoup moins. Il a utilisé le rapport de l'EPA de 1992 qui porte principalement sur les déchets solides et non sur les RDA. La Cour a estimé que la mise en oeuvre d'un plan d'échantillonnage approprié était d'une importance cruciale pour l'évaluation des quantités de BPC contenues dans les RDA. Comme le soulignait le rapport de l'EPA de 1992 sur lequel M. Fingas s'est appuyé, «les données analytiques générées par un plan d'échantillonnage scientifiquement inadéquat sont de peu d'utilité, surtout dans le cas d'instances réglementaires ». Sur la question du plan d'échantillonnage le plus approprié, la préférence a été accordée au témoignage de M. Merks, plutôt qu'à celui de M. Fingas, compte tenu de son expertise reconnue. M. Mercks a rédigé un document sur cette méthode et a été reconnu comme témoin expert dans le domaine des plans d'échantillonnage dans plusieurs instances judiciaires et administratives.

La demanderesse a reconnu que le plan d'échantillonnage d'Environnement Canada n'a pas été suivi en ce qui concerne la pile ouest, dans la mesure où seuls des échantillons de surface ont été prélevés avec une pelle sur une petite partie de ladite pile. Son plan d'échantillonnage prévoyait l'utilisation d'une rétrocaveuse pour prélever des échantillons à des endroits choisis de façon aléatoire et à différentes profondeurs. Le but de cette méthode était de faire en sorte que chaque échantillon soit «représentatif d'une tranche de la pile entière ». La dérogation au plan d'échantillonnage a été rendue nécessaire parce que de la ferraille avait été placée sur le dessus de la pile, rendant cette dernière inaccessible par endroits. Cela a eu pour effet de réduire le degré de représentativité des «tranches » prélevées par le ministère dans la pile ouest.

La Cour a ensuite examiné la question de savoir si le ministère avait employé une méthode d'échantillonnage moins précise. Les deux parties ont convenu qu'il était important que le prélèvement élémentaire soit aussi homogène que possible. M. Merks a affirmé que le diviseur à riffles a soigneusement homogénéisé les échantillons primaires alors qu'Environnement Canada a homogénéisé ses échantillons à l'aveuglette. Les témoins experts Clark et Bertram ont tous deux conclu que la méthode d'échantillonnage utilisée par le ministère était moins fiable. La valeur de leurs témoignages n'a pas été entachée en contre-interrogatoire. Le rapport de l'EPA de 1992 indiquait pour quelle raison un échantillon prélevé à l'aveuglette ne peut pas remplacer adéquatement un échantillon prélevé de manière aléatoire. Ainsi, on ne peut garantir qu'une personne procédant à un échantillonnage à l'aveuglette ne favorise pas consciemment ou non le choix de certaines unités de population, rendant ainsi l'échantillon non représentatif de la population. En l'espèce, la méthode d'échantillonnage utilisée par le ministère entraîne l'accumulation de matière fine au fond du puits de reconnaissance et cette matière a une concentration plus élevée en BPC. Pour cette raison, la Cour estimait que la méthode employée par Environnement Canada donnerait des taux de BPC plus élevés. Selon la demanderesse, la méthode utilisée par Dillon masque les propriétés des matériaux contenus dans une cellule et que l'emploi de ce protocole consistant à utiliser le diviseur à riffles et à intercaler les échantillons produit artificiellement les résultats les plus faibles possibles. Elle a toutefois choisi de ne pas contre-interroger M. Merks -- la personne qui a établi ce protocole. Le rapport de l'EPA de 1992 soulignait l'importance de prélever et d'analyser un nombre relativement élevé d'échantillons composites; aucune preuve n'a démontré que Dillon ne s'est pas conformé à cette recommandation. La Cour a privilégié le témoignage de M. Merks selon lequel l'intercalage d'échantillons composites est une méthode appropriée. Elle n'était pas convaincue que le protocole d'intercalage avait été utilisé pour produire artificiellement les résultats de concentrations en BPC les plus bas possible.

[177]Bref, en ce qui concerne la validité des données d'Environnement Canada, j'arrive aux conclusion suivantes:

1. Le plan d'échantillonnage appliqué par Dillon est préférable à celui d'Environnement Canada, car Dillon a utilisé un échantillonnage systématique stratifié et a prélevé un plus grand nombre d'échantillons.

2. Environnement Canada a dérogé à son plan d'échantillonnage dans le cas de la pile ouest.

3. La méthode de sélection des échantillons utilisée par Dillon est supérieure en ce que les échantillons ont été soigneusement homogénéisés à l'aide du diviseur à riffles, puis sélectionnés de façon aléatoire et objective.

4. Il était opportun de recourir à des échantillons composites pour les besoins de l'analyse.

[178]J'aborde maintenant la question de l'utilisation qui peut être faite des résultats des tests individuels, en particulier ceux obtenus par Dillon.

Note de l'arrêtiste (remplace les paragraphes 179 à 193):

M. Fingas avait pour tâche de déterminer scientifiquement si les RDA présents dans les installations des défendeurs contenaient des BPC et il devait pour ce faire concevoir et mettre en oeuvre une méthodologie d'échantillonnage qui donnerait des résultats représentatifs de chaque cellule tout entière.

Les défendeurs ont fait valoir que les résultats obtenus pour des échantillons individuels ne peuvent en eux-mêmes servir à tirer des conclusions sur les caractéristiques d'un volume donné de RDA. M. Clark a affirmé qu'on ne pouvait pas présumer que les BPC sont distribués uniformément dans chacun des échantillons de deux litres; ils pourraient ne se trouver que dans une infime partie de l'échantillon. Cette erreur d'échantillonnage découle du fait que l'analyse ne porte pas sur la totalité des matériaux contenus dans l'échantillon primaire; il y a donc une certaine variabilité des résultats d'un échantillon à l'autre. La Cour a accordé sa préférence aux témoins experts des défendeurs plutôt qu'à M. Fingas à propos de l'utilisation des résultats obtenus pour chaque échantillon. La prémisse de la demanderesse selon laquelle on ne peut pas contester le fait que les résultats des analyses indiquent bien ce que contient chacun des échantillons de deux litres devait être rejetée. Comme il avait été démontré que des échantillons prélevés d'un même échantillon primaire peuvent donner des résultats d'analyse différents, un seul résultat obtenu à partir d'un échantillon primaire ne pouvait, en toute logique, s'appliquer à un volume accru de matériaux, que ce soit le contenu du godet de 20 litres de la rétrocaveuse ou tout le contenu du trou. M. Fingas a reconnu que les erreurs d'échantillonnage et de mesure sont normales lorsqu'on procède à l'échantillonnage des RDA parce que les RDA sont hétérogènes; et à cause de ces erreurs mêmes, des échantillons pris à une distance de deux pieds peuvent donner des résultats différents. Le rapport de l'EPA de 1992, qui faisait davantage autorité, indique que «l'expression "échantillon représentatif" peut prêter à confusion, sauf s'il s'agit de déchets homogènes auquel cas un échantillon peut représenter toute la population». L'EPA recommandait le recours à une base de données représentatives et affirmait qu'il était risqué de s'appuyer sur un seul échantillon.

3. Recours aux analyses statistiques

[194]L'essentiel du litige entre les parties, tel que défini par Environnement Canada, tient à la question suivante: peut-on utiliser la moyenne d'une cellule (ou pile) entière ou de zones plus petites (appelées points chauds) circonscrites dans une pile ou cellule pour établir si plus de 100 kg de RDA ont une concentration de BPC supérieure ou égale à 50 ppm?

[195]Le point de vue d'Environnement Canada est le suivant: les inférences statistiques (les conditions d'application de la moyenne, l'écart-type et l'intervalle de confiance pour des cellules ou piles entières) ne sont pas pertinentes quant à la question de la conformité au Règlement.

[196]Selon les défendeurs par contre, la question est de savoir si du matériel contient des BPC; il s'agit donc essentiellement d'un «test d'hypothèse». Afin d'établir si certains RDA étaient du matériel contenant des BPC, les experts consultés par les défendeurs ont mis au point un programme d'échantillonnage et d'analyse; ils ont constaté que pour caractériser les RDA, il était préférable de considérer chaque pile ou cellule entière comme une unité d'échantillonnage. Cette méthode, dit-on, est conforme à ce qui est proposé dans le rapport de l'EPA de 1992.

[197]Environnement Canada s'appuie sur le témoignage de M. Fingas qui a déclaré ce qui suit en contre-interrogatoire:

i) Si l'on consulte les documents, la distribution des BPC dans les RDA ne suit pas une distribution normale, ni une distribution normale logarithmique, ni aucune autre distribution: en fait, elle est très aléatoire. Aussi il ne faudrait pas, sous prétexte de procédé scientifique, recourir à la statistique avec ce type de données.

ii) Il est scientifiquement admis qu'on ne peut pas appliquer des méthodes statistiques à des données qui ne suivent pas une distribution normale.

iii) Même si, dans les rapports de l'EPA de 1992 et de 1993, on a recours à des applications statistiques afin d'analyser les données d'échantillonnage, ces applications statistiques ne peuvent être utilisées pour les RDA.

iv) M. Fingas s'est aussi inscrit en faux contre l'affirmation suivante, tirée du rapport de l'EPA de 1993 (manuel de directives d'échantillonnage à l'intention des opérateurs de déchiqueteuse de ferrailles):

[traduction] À cause des erreurs d'échantillonnage et des erreurs de laboratoire, on ne peut mesurer avec exactitude la concentration des substances toxiques. Toutefois, en ayant recours aux méthodes décrites dans cette section, il sera possible d'énoncer des affirmations semblables à celle-ci: «Les résultats de notre étude nous permettent d'affirmer, avec un degré de certitude de 95 %, que la concentration de BPC dans cette pile de RDA varie entre 40 ppm et 100 ppm.»

M. Fingas est en désaccord avec cette affirmation parce que, selon lui, on ne peut appliquer des méthodes statistiques à un matériel qui n'est pas normalement distribué.

[198]En plus d'invoquer le témoignage de M. Fingas, Environnement Canada soutient que les termes employés dans le Règlement ne sont pas compatibles avec des moyennes. Dans la partie concernant le matériel, le Règlement prévoit:

3. (1) Sous réserve des paragraphes (2), (4) et (5), le présent règlement s'applique aux matériels contenant des BPC suivants qui ne sont pas utilisés quotidiennement:

a) des liquides contenant des BPC, en une quantité de 100 L ou plus;

b) des solides ou des substances contenant des BPC, en une quantité de 100 kg ou plus;

[. . .]

(3) Pour l'application du paragraphe (1), la quantité de BPC ou de liquides, solides ou substances contenant des BPC, selon le cas, correspond à :

a) dans le cas de la personne qui est le propriétaire de matériels contenant des BPC ou qui en possède ou en contrôle, dans ou sur un bien ou sur un terrain, la somme de toutes les quantités de BPC ou de liquides, solides ou substances contenant des BPC, selon le cas, dont elle est le propriétaire ou qu'elle possède ou contrôle et qui se trouvent:

(i) dans ou sur ce bien,

(ii) sur ce terrain, y compris celui sur lequel se trouve le bien visé au sous-alinéa (i),

(iii) sur tout terrain contigu à celui visé au sous-alinéa (ii),

(iv) en deçà de 100 m de tout point situé sur les limites extérieures du terrain visé au sous-alinéa (ii) et du terrain contigu visé au sous-alinéa (iii);

b) dans le cas de la personne qui est le propriétaire ou le gestionnaire d'un bien dans ou sur lequel se trouve des matériels contenant des BPC ou d'un terrain sur lequel se trouvent de tels matériels, la somme de toutes les quantités de BPC ou de liquides, solides ou substances contenant des BPC, selon le cas, qui se trouvent:

(i) dans ou sur ce bien,

(ii) sur ce terrain,

(iii) sur tout terrain dont elle est le propriétaire ou le gestionnaire et qui est contigu à celui visé au sous-alinéa (ii),

(iv) en deçà de 100 m de tout point situé sur les limites extérieures du terrain visé au sous-alinéa (ii) et du terrain contigu visé au sous-alinéa (iii). [Non souligné dans l'original.]

Environnement Canada soutient que le recours des défendeurs à une «moyenne» afin d'établir si le Règlement sur les BPC s'applique contredit le mot «somme» employé dans ce Règlement; il en serait ainsi parce que, dans le contexte du Règlement sur les BPC, le mot «somme» est effectivement utilisé comme contraire du mot «moyenne». Faire la somme correspond à réunir uniquement des unités semblables, alors que faire une moyenne correspond à réunir des unités différentes.

[199]Les défendeurs invoquent l'affidavit et le rapport d'expert de M. Merks, rapport fondé sur une analyse statistique des résultats des tests. Ils soutiennent que les méthodes et les analyses statistiques sont essentielles pour bien interpréter les données d'échantillonnage.

[200]Tout d'abord, en ce qui concerne l'allégation de la demanderesse au sujet de l'utilisation du mot «somme» dans le Règlement, je regrette de ne pouvoir souscrire à l'observation selon laquelle l'emploi du mot «somme» est incompatible avec l'utilisation de moyennes statistiques. Je retiens l'argument des défendeurs selon lequel il faut tout d'abord s'assurer de la catégorie à laquelle appartient le matériel suspect. Si le matériel, en tout ou en partie, appartient à la catégorie des matériels contenant des BPC, il faut alors déterminer si la somme totale de matériels de BPC atteint ou dépasse 100 kg.

[201]Pour ce qui est de caractériser le matériel suspect, la Loi dispose à l'alinéa 2(1)i) que, pour l'exécution de la Loi, le gouvernement fédéral doit mettre à profit les ressources scientifiques et techniques pour cerner et résoudre les problèmes relatifs à l'environnement. M. Fingas a été formel dans son affidavit en ce qui concerne sa tâche: il devait mettre en oeuvre un programme dont «les résultats démontreraient scientifiquement» si les RDA en question étaient du matériel contenant des BPC. La caractérisation appropriée des RDA est donc une question qui relève de la science.

[202]Avant de prendre en considération les témoignages contradictoires de MM. Fingas et Merks, il faut d'abord répondre à l'argument selon lequel l'opinion de M. Merks ne serait pas pertinente parce que son témoignage se rapporte au calcul des concentrations moyennes de BPC dans chaque cellule ou pile. Je ne peux pas conclure que, lorsqu'il s'agit d'une substance hétérogène comme les RDA, la concentration moyenne de BPC soit inappropriée, et ce pour les raisons suivantes.

[203]Tout d'abord, M. Fingas a déclaré qu'on lui avait demandé de concevoir et de mettre en oeuvre une méthodologie dont les résultats seraient «représentatifs de chaque cellule tout entière». Cela est incompatible avec la position défendue maintenant par Environnement Canada selon laquelle ce sont les petites zones dans chaque pile ou cellule qu'il faut considérer.

[204]Deuxièmement, dans les rapports d'Environnement Canada de 1997 et de 1999, les résultats obtenus par M. Fingas étaient exprimés sous forme de moyenne pour chacune des cellules ou piles en entier. Ainsi dans les rapports de 1997 et 1999, les résultats étaient les suivants:

Moyenne               Moyenne        

(Rapport de 1997)                 (Rapport de 1999)

General Scrap

Pile est         33,4 ppm                 59,7 ppm

Pile centre         35,9 ppm                41,2 ppm

Pile ouest        85,4 ppm                54,6 ppm

XPotential

Cellule         5 61,3 ppm                 50,7 ppm

Cellule         6 96,7 ppm                42,0 ppm

S'appuyant sur le rapport d'Environnement Canada de 1999, M. Fingas a affirmé que [traduction] «au minimum, les cellules est et ouest aux installations de General Scrap ainsi que les deux cellules d'entreposage 4 et 5 et la cellule de séchage de XPotential ont des concentrations moyennes de BPC dépassant 50ppm et sont donc à proprement parler des matériels contenant des BPC» (non souligné dans l'original).

[205]Outre le témoignage de M. Fingas, l'affidavit de Shannon Kurbis, agente de l'autorité à Environnement Canada, fait référence aux concentrations moyennes. Elle dit ceci aux paragraphes 74 et 76:

[traduction]

Dans le rapport de 1999 de la Division des urgences--Sciences et Technologie, on fait état de deux piles de RDA à l'emplacement de General Scrap et on indique que trois des quatre aires d'entreposage de XPotential avaient des concentrations moyennes de BPC supérieures à 50ppm.

[. . .]

Les résultats moyens tirés du rapport de 1999 de la Division des urgences--Sciences et Technologie sont un reflet des concentrations minimales de BPC. Dans la lettre accompagnant le rapport, il est mentionné que General Scrap devrait immédiatement prendre les mesures nécessaires afin que le matériel contenant des BPC soit stocké conformément au Règlement sur les BPC.

[206]Les références, par l'expert et par l'agente de l'autorité d'Environnement Canada, à la concentration moyenne de chaque cellule ou pile pour caractériser une cellule ou pile comme étant du matériel contenant des BPC réfutent l'argument qu'avance maintenant Environnement Canada selon lequel la concentration moyenne n'est pas pertinente.

[207]Enfin, ainsi qu'il appert de l'affidavit de Mme Kurbis, Environnement Canada s'est basé sur les concentrations moyennes, ci-dessus mentionnées, pour décider s'il fallait ou non entreprendre une procédure d'exécution. Ainsi, en février 1998, Environnement Canada a averti les défendeurs que la pile ouest de General Scrap et les cellules 5 et 6 de XPotential contenaient des quantités de BPC qui dépassaient la limite réglementaire. S'appuyant sur le rapport d'Environnement Canada de 1999, la demanderesse prétend que les piles est et ouest de General Scrap et la cellule de séchage ainsi que les cellules 4 et 5 de XPotential renferment du matériel contenant des BPC.

[208]Bref, Environnement Canada (par l'entremise de M. Fingas) a conçu un plan d'échantillonnage afin d'obtenir des résultats représentatifs de chaque pile ou cellule en entier et a calculé la concentration moyenne de chaque pile ou cellule; puis il s'est servi de ces concentrations moyennes pour entreprendre une procédure d'exécution; enfin, il a présenté des éléments de preuve se rapportant aux concentrations moyennes. Par conséquent, je ne peux accepter l'argument d'Environnement Canada selon lequel la concentration moyenne d'une pile ou cellule n'est pas pertinente.

[209]Une fois la pertinence des concentrations moyennes établie, qu'en est-il des opinions contradictoires de MM. Fingas et Merks quant à l'opportunité d'appliquer une analyse statistique?

[210]M. Merks n'a pas été contre-interrogé, alors que M. Fingas l'a été. L'extrait suivant tiré du contre-interrogatoire de M. Fingas est, à mon avis, révélateur:

[traduction]

393.     Q Vous y revenez toujours et il y a eu de nombreuses questions à ce sujet. Ainsi, selon vous, on ne peut tout simplement pas recourir aux statistiques avec ce type de matériel.

A C'est exact.

394.     Q Et sur quelle source digne de foi, autre que vous-même, vous appuyez-vous? Y-a-t-il des sources que vous pourriez me citer et dans lesquelles on précise que les statistiques ne peuvent pas être appliquées aux RDA?

A Oui. Tous les manuels disent qu'on ne peut pas recourir aux lois normales de la statistique ou à la statistique de ce genre pour des distributions hétérogènes non normales.

395.     Q Les RDA, avez-vous--une publication quelconque, parce que je n'en ai qu'une seule et celle que j'ai, dit qu'il faut le faire. Montrez-moi des publications dans lesquelles il est indiqué qu'on ne peut appliquer la statistique aux RDA pour déterminer s'ils respectent les seuils établis, parce que c'est bien là la question qui doit être tranchée aujourd'hui. De quelle autorité vous réclamez-vous? J'aimerais le savoir.

A J'ai cette autorité en ce sens qu'il est scientifiquement connu qu'on ne peut appliquer la loi statistique normale aux échantillons qui ne suivent pas une distribution normale. Vous savez, c'est une notion élémentaire dans les manuels de statistique.

[211]Malheureusement, M. Fingas n'a soumis aucun texte ni aucun article particulier et il n'a pas non plus démontré que les échantillons ne suivaient pas une distribution normale. L'ouvrage auquel se réfère l'avocat dans la citation ci-dessus et dans lequel il est question des RDA est le rapport de l'EPA de 1992, rapport qui traitait précisément des RDA et dans lequel il est dit qu'à cause des erreurs d'échantillonnage et des erreurs d'analyse, [traduction] «il faut recourir à l'analyse statistique» pour obtenir les intervalles de confiance et les niveaux de confiance.

[212]Rappelons que les rapports de l'EPA de 1992 et de 1993 traitent de façon détaillée de l'utilisation des statistiques. Environnement Canada soutient toutefois qu'aucune preuve présentée devant la Cour n'a établi que les rapports de l'EPA doivent être considérés comme les meilleurs modèles à suivre en matière d'échantillonnage des RDA. Environnement Canada maintient donc qu'ils ne devraient pas être utilisés pour appuyer ou contester la pertinence d'un plan d'échantillonnage quel qu'il soit.

[213]À mon avis, la difficulté avec cet argument tient au fait que le rapport d'Environnement Canada de 1999 cite tout particulièrement les rapports de l'EPA de 1992 et de 1993 comme documents de référence. M. Fingas a admis en contre-interrogatoire que l'EPA est réputée en tant qu'organisme de réglementation en matière d'environnement et il a déclaré avoir fait précisément référence, dans le rapport d'Environnement Canada de 1999, à ces rapports dont il s'est fortement inspiré. M. Fingas a envoyé une copie de son plan d'échantillonnage à l'EPA afin qu'il soit examiné par un statisticien. Cette démarche a probablement été entreprise parce que M. Fingas n'avait pas d'expérience préalable dans le domaine de l'échantillonnage et de la caractérisation des RDA.

[214]De plus, dans une lettre en date du 11 septembre 1997, Environnement Canada a répondu à des questions soumises par les défendeurs et a déclaré que [traduction] «en réponse à vos questions au sujet des méthodes d'échantillonnage et d'analyse, Environnement Canada suivra les procédures habituelles d'échantillonnage telles que définies dans Test Methods for Evaluating Solid Waste, Chapter 9, Sampling Plan, publié par l'EPA en 1992. L'analyse de tous les échantillons se fera selon les méthodes d'essai établies dans le Règlement sur le stockage des matériels contenant des BPC», comme il était précisé dans la lettre. Le document intitulé Test Methods for Evaluating Solid Waste, Physical/Chemical Methods, Chapter 9 «Sampling Plan» auquel il est fait référence est le document qui, dans les présents motifs, est appelé rapport de l'EPA de 1992.

[215]Compte tenu des renvois au rapport de l'EPA de 1992 et du fait que M. Fingas s'est appuyé en partie sur ce rapport, j'estime qu'il y a lieu d'examiner ce qui a été dit dans le rapport de l'EPA de 1992 au sujet de l'utilisation de la statistique.

[216]Les passages suivants tirés de ce rapport sont importants:

[traduction] Cette partie du manuel traite de l'élaboration et de la mise en oeuvre d'un plan d'échantillonnage des déchets solides qui soit crédible d'un point de vue scientifique et des procédures concernant la chaîne de garde dans un plan d'échantillonnage. Les notions présentées dans cette section se rapportent à l'échantillonnage de tout déchet solide défini dans les règlements de l'EPA sur l'identification et la liste des déchets dangereux, y compris les matériels solides, semi-solides, liquides ou les matériels gazeux contenus en milieu fermé. Toutefois, la diversité des propriétés physiques et chimiques de ces matériels, ainsi que la diversité des installations de stockage (lagunes, piles à découvert, réservoirs, fûts de stockage, etc.) et de l'équipement correspondant, ne permettent pas d'établir le déroulement détaillé d'un plan d'échantillonnage en particulier. Parce qu'il incombe au propriétaire des installations de stockage d'élaborer un plan d'échantillonnage techniquement adéquat, il est donc recommandé que celui-ci consulte des ressources compétentes avant d'élaborer un plan. Cela est particulièrement important aux premières étapes du plan d'échantillonnage alors que les notions élémentaires de statistique appliquée doivent être maîtrisées. La statistique appliquée est la science qui, à l'aide d'outils conceptuels, évalue l'incertitude des inférences statistiques (c.-à-d. des conclusions générales fondées sur un savoir restreint).

9.1.1 Élaboration de plans d'échantillonnage adéquats

Un plan d'échantillonnage adéquat pour les déchets solides doit répondre à des objectifs tant réglementaires que scientifiques. Une fois ces objectifs clairement cernés, une stratégie d'échantillonnage appropriée, fondée sur les notions statistiques fondamentales, peut être élaborée. La terminologie propre à ces notions est passée en revue au tableau 9-1; les valeurs t de la distribution de Student qui doivent être utilisées avec les statistiques du tableau 9-1 figurent au tableau 9-2.

[. . .]

9.2.2.1 La statistique

Les débats sur l'échantillonnage des déchets conduisent souvent à des débats sur la statistique. Les objectifs de l'échantillonnage des déchets et de la statistique sont les mêmes: tirer des conclusions au sujet d'une population d'origine à partir des données recueillies sur un échantillon.

Il n'est donc pas surprenant que l'échantillonnage des déchets dépende si étroitement de la discipline très spécialisée qu'est la statistique et que les opérations d'échantillonnage et d'analyse comportent les mêmes éléments qu'une expérience statistique. [Non souligné dans l'original.]

[217]Les témoignages de MM. Fingas et Merks quant à la pertinence de l'analyse statistique se contredisent. M. Merks n'a pas été contre-interrogé; or j'estime (pour les raisons citées précédemment) que son opinion est valable. Le rapport de l'EPA de 1992, sur lequel M. Fingas admet s'être basé, prévoit le recours à la statistique afin de tirer des conclusions sur la population d'origine à partir des données recueillies sur l'échantillon. Shannon Kurbis avait prévenu les défendeurs qu'Environnement Canada suivrait les procédures d'échantillonnage habituelles décrites dans le rapport de l'EPA de 1992. M. Fingas n'a suggéré aucun article ou document susceptible d'appuyer ses dires quant à l'impossibilité d'appliquer la statistique aux RDA, non plus qu'il n'a fourni de preuves qu'il aurait fait les calculs nécessaires pour déterminer s'il s'agissait ou non d'une distribution normale.

[218]Pour tous ces motifs, je considère le témoignage de M. Fingas sur ce point moins convaincant que celui de M. Merks. J'accepte donc l'avis de M. Merks selon lequel l'analyse statistique est valable et, pour les motifs invoqués par les témoins des défendeurs et cités dans le rapport de l'EPA de 1992, j'accepte aussi qu'une analyse statistique est nécessaire à l'interprétation juste des données.

[219]Ayant conclu, d'après la preuve présentée en l'espèce, qu'une analyse statistique est nécessaire à l'interprétation juste des données, il s'ensuit que j'accepte l'opinion de M. Merks lorsqu'il dit que la concentration moyenne des BPC dans chacune des unités d'échantillonnage est inférieure au seuil réglementaire et que les RDA ne sont pas du matériel contenant des BPC. J'ai accepté le témoignage de M. Merks en tenant compte du fait qu'Environnement Canada n'a contesté aucune des données primaires qu'il avait utilisées ni le bien-fondé de son analyse statistique. Environnement Canada a plutôt contesté la pertinence de toute forme d'utilisation d'une application statistique.

[220]Pour arriver à cette conclusion, j'ai pris en considération l'argumentation de l'avocat de la demanderesse pour qui l'analyse statistique n'est qu'une prestation de «mathémagicien» qui permet de faire disparaître comme par enchantement les nombres trop élevés. Bien que l'image soit évocatrice, il faut croire qu'en toute logique les valeurs faibles disparaissent aussi. J'accepte donc, vu la preuve, que le recours aux concentrations moyennes est valable étant donné les erreurs inhérentes aux résultats des échantillons pris isolément.

[221]À cet égard, je crois qu'il est utile de comparer les résultats obtenus par M. Fingas dans les rapports de 1997 et de 1999 tels que rapportés au paragraphe 204. Le plan d'échantillonnage et la méthodologie étaient sensiblement les mêmes dans les deux rapports. Bien que les protocoles d'analyse chimique aient été différents (protocole 1/RM/3 en 1999 et 1/RM/31 en 1997), M. Fingas a témoigné que certaines études avaient démontré que l'on pouvait appliquer indifféremment l'un ou l'autre des deux protocoles d'analyse. On peut donc comparer à bon droit les résultats des deux rapports.

[222]Si l'on compare ces résultats, on note qu'en 1997 Environnement Canada avait établi que la pile ouest de General Scrap et les cellules 5 et 6 de XPotential étaient les zones où se trouvaient des matériels contenant des BPC. En 1999, il a été établi que des matériels contenant des BPC se trouvaient dans la pile est de General Scrap, mais qu'il n'y en avait pas dans la cellule 6 de XPotential. En 1997, Environnement Canada a déterminé que la concentration moyenne de BPC dans la pile est était de 33,4 ppm, alors qu'en 1999 la valeur était de 59,7 ppm. Dans la pile ouest, on a rapporté des concentrations de BPC de 85,4 ppm en 1997 et de 54,6 ppm en 1999. Or après 1994 environ, on n'a pas ajouté de RDA à l'une ou l'autre de ces piles. Dans un document d'Environnement Canada déposé en preuve, il est mentionné que les BPC ne se décomposent pas et ne se biodégradent pas de façon marquée dans un environnement naturel.

[223]La logique et le bon sens semblent indiquer qu'une méthode fiable et scientifiquement valable ne devrait pas donner des résultats aussi disparates dans les piles est et ouest.

[224]J'ai aussi pris en considération les observations de la demanderesse selon lesquelles la décision finale de l'EPA (1998) venait appuyer la position d'Environnement Canada.

[225]La décision finale de l'EPA est un texte réglementaire dont un passage a été présenté en preuve, après autorisation, par suite d'une question adressée par la Cour à M. Clark. Dans aucun témoignage ni aucun affidavit, il n'est fait référence à la décision finale de l'EPA.

[226]M. Clark a indiqué qu'à la sous-section R de la décision finale de l'EPA, on décrit les procédures pour la constitution d'échantillons représentatifs. Dans la décision finale de l'EPA, il est clairement mentionné qu'une des bonnes méthodes pour déterminer la concentration de BPC dans les échantillons est décrite dans le rapport de l'EPA de 1993. M. Clark a suivi les recommandations de la décision finale de l'EPA pour ce qui est de la taille des échantillons, des sous-échantillons et de la définition des échantillons composites.

[227]Environnement Canada soutient que dans la décision finale de l'EPA, il n'est nullement question d'analyse statistique et que c'est là un élément de preuve convaincant quant au fait qu'on ne doit pas appliquer des résultats analytiques aux RDA contaminés par des BPC. Environnement Canada affirme aussi qu'il est révélateur qu'il ne soit pas fait mention du rapport de l'EPA de 1993 dans la décision finale de l'EPA et que seul le rapport de 1992 est cité pour ce qui est des protocoles de laboratoire. Environnement Canada s'appuie aussi sur certaines parties de la sous-section N de la décision finale de l'EPA.

[228]Étant donné que M. Clark a peu consulté le texte de la décision finale de l'EPA et qu'aucun autre témoin n'y a fait référence, je ne suis pas disposée à accorder beaucoup d'importance à ce document.

[229]Aucun élément de preuve n'a été présenté au sujet de l'application de la sous-section N au cas dont il est question ici; et personne n'a indiqué à M. Clark que la sous-section N pourrait s'appliquer. Qui plus est, aucun élément de preuve n'a été présenté quant à l'existence de liens entre les rapports de 1992 et de 1993 de l'EPA et ce qui paraît être un texte réglementaire.

[230]Par ailleurs, si en 1998 l'EPA s'était écartée de façon marquée des avis ou positions énoncés dans ses rapports de 1992 et de 1993, il est permis de supposer que M. Fingas l'aurait mentionné soit dans son rapport de janvier 1999, soit dans l'affidavit sous serment présenté en 2000 devant la présente instance, soit lors de son témoignage de vive voix. Or il n'a à aucun moment fait référence à la décision finale de l'EPA, mais a plutôt cité, tant dans son rapport que dans son témoignage, les rapports de 1992 et de 1993 de l'EPA.

[231]Il convient d'examiner un dernier argument avancé par Environnement Canada. Il s'agit de l'allégation suivante: si la méthode appropriée pour s'assurer de la conformité au règlement est bien le calcul statistique de la concentration moyenne et l'intervalle de confiance pour une cellule ou une pile en entier, alors les données obtenues par les défendeurs montrent que la cellule de séchage et la cellule 5 de XPotential ainsi que la pile ouest de General Scrap sont bien des matériels contenant des BPC. Environnement Canada arrive à cette conclusion parce que ces cellules et cette pile ont des concentrations moyennes qui, considérées conjointement avec l'intervalle de confiance, dépassent 50 ppm pour ce qui est de la limite supérieure de l'intervalle de confiance. Environnement Canada s'appuie sur le passage suivant du rapport de l'EPA de 1992:

[traduction] Si la limite supérieure est inférieure au seuil établi, on considère que le contaminant chimique n'est pas présent à un niveau dangereux dans le déchet; sinon la conclusion contraire s'impose.

[232]Toutefois, un examen plus approfondi du passa-ge en question du rapport de l'EPA de 1992 révèle que, dans ce rapport, l'équation utilisée pour mesurer l'intervalle de confiance fixe un intervalle de confiance de 80 %. Les chiffres sur lesquels se base Environnement Canada ont été calculés, à partir des données fournies par les défendeurs, avec un niveau de confiance de 95 %. Si l'on refait le calcul avec un niveau de confiance de 80 % (niveau dont il est question dans le rapport de l'EPA et qui a servi à faire le calcul devant la Cour), alors la limite supérieure de l'intervalle de confiance est inférieure au seuil réglementaire. Par conséquent, les données ne viennent pas corroborer la thèse selon laquelle les deux cellules et la pile renferment ou constituent des matériels contenant des BPC.

III.     SI CERTAINS MATÉRIELS OU TOUS LES MATÉRIELS CONTIENNENT DES BPC, QUELS DÉFENDEURS CONTREVIENNENT AU RÈGLEMENT?

[233]Ayant conclu qu'Environnement Canada n'avait pas démontré que certains RDA contenaient des BPC, il m'est inutile d'examiner cette question. Toutefois, même si certains RDA des installations de General Scrap étaient des matériels contenant des BPC, je ne vois dans la preuve aucun élément étayant l'attribution d'une responsabilité à l'un ou l'autre des défendeurs ou à Jamel en ce qui concerne les installations de General Scrap.

[234]Suivant le témoignage clair et incontesté de M. Lazareck, IPSCO détient maintenant 100 % des actions de General Scrap, Jamel fournit les services de ses employés à General Scrap, mais MM. Jacob et Melvin Lazareck ne prennent plus part aux opérations courantes de l'entreprise. La seule preuve de la nature des services d'emploi fournis par Jamel était que celle-ci assumait la masse salariale des employés de General Scrap.

[235]L'obligation imposée par le Règlement relativement aux matériels contenant des BPC incombe à la personne qui est propriétaire de matériels contenant des BPC, ou qui en possède ou en contrôle.

[236]Selon la preuve produite devant moi, ni Jamel, ni Melvin Lazareck, ni Jacob Lazareck ne sont propriétaires de matériels contenant des BPC, n'en possèdent ou n'en contrôlent aux installations de General Scrap.

IV.     CONCLUSION, ORDONNANCE ET DÉPENS

[237]Compte tenu des conclusions que j'ai tirées eu égard à la preuve, je ne vois aucune raison de me pencher sur l'opportunité d'accorder une injonction dans l'exercice ultime du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[238]Pour les motifs susmentionnés, la demande d'injonction est rejetée. Il s'ensuit, et les parties en conviennent, que l'ordonnance par consentement provisoire doit être annulée.

[239]À la demande des avocats, l'adjudication des dépens est reportée. L'avocat des défendeurs devra contacter le greffe avant le 31 janvier 2004 pour demander la tenue d'une téléconférence en vue d'examiner la question des dépens.

ORDONNANCE

[240]LA COUR ORDONNE:

1. que la demande d'injonction soit rejetée;

2. que l'ordonnance par consentement provisoire délivrée par Mme la juge Heneghan dans le cadre de la présente instance soit annulée;

3. que l'adjudication des dépens soit reportée en attendant que les parties présentent des observations additionnelles à ce sujet.

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