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T‑1532‑05

2007 CF 596

Eli Lilly Canada Inc. (demanderesse)

c.

Novopharm Limitée et le ministre de la Santé (défendeurs)

et

Eli Lilly and Company Limited (défenderesse/ brevetée)

Répertorié : Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltée (C.F.)

Cour fédérale, juge HughesOttawa, 14 au 17, 22 et 23 mai; 5 juin 2007.

Brevets Demande en vue dobtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Novopharm Limitée relativement à lolanzapine jusqu’à lexpiration du brevet no 2041113 (le brevet 113)   Le retrait par Novopharm du premier avis dallégation (AA) et la signification ultérieure dun deuxième AA ne constituait pas un abus de procédure parce que Novopharm a agi de la seule façon possible, le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ne prévoyant aucun moyen pratique de modifier un AA   Le brevet 113 a fait lobjet dune instance analogue où un autre fabricant de génériques (Apotex Inc.) a mis en litige sa validité   Une ordonnance en interdiction a été prononcée dans cette instance quelques jours après laudition de la demande en lespèce   Les allégations dinvalidité avancées par Apotex ne pouvaient être prises en considération en lespèce que si Novopharm présentait « de meilleurs éléments de preuve » ou « un argument juridique plus valable »   Cependant, largument portant sur linsuffisance du mémoire descriptif du brevet 113 était considéré comme nouveau parce quil na pas été invoqué par Apotex La demanderesse na pas prouvé le caractère infondé des allégations de Novopharm touchant linsuffisance   Demande rejetée.

Il sagissait dune demande en vue dobtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Novopharm Limitée relativement à lolanzapine, un médicament neuroleptique, jusqu’à lexpiration du brevet canadien no 2041113 (le brevet 113). Ce brevet, qui vise lolanzapine ou son utilisation en vue de fabriquer un médicament pour traiter la schizophrénie, a fait lobjet dune instance analogue introduite par la demanderesse (Lilly) contre Apotex, un autre fabricant de génériques, et dont les motifs accordant lordonnance en interdiction ont été prononcés par la juge Gauthier (Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., [2008] 2 R.C.F. 636) quelques jours après laudition de la demande en lespèce. La seule question mise en litige dans les deux instances était la validité du brevet 113. Cependant, Novopharm a mis en litige deux arguments quant à la validité qui nont pas été examinés dans laffaire Apotex, c.‑à‑d. le caractère suffisant et lutilité.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Avant la présente instance, Lilly a présenté une demande en interdiction par suite dun avis dallégation (AA) qui lui a été signifié par Novopharm à l’égard du brevet 113. Novopharm a retiré cet AA, puis en a signifié un deuxième invoquant de nouveaux arguments sans en reprendre dautres avancés dans le premier AA. Cela ne constituait pas un abus de procédure. Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ne prévoit aucun moyen pratique de modifier un AA. Une fois quune instance a été introduite, le fabricant de génériques ne peut modifier son AA quen le retirant et en en présentant un nouveau. Ce nest quune fois que la Cour est saisie de laffaire dans le cadre dune audience sur le fond, ou quelle a rendu une décision, que le fabricant de génériques  na plus la possibilité de proposer un nouvel AA.

Il était loisible à Novopharm de mettre en litige la validité du mémoire descriptif du brevet 113 parce que la juge Gauthier ne s’était pas penchée sur cette question dans laffaire Apotex. Les allégations dinvalidité de Novopharm qui avaient également été soulevées dans laffaire Apotex ne pouvaient être prises en considération que si la Cour déterminait après un examen des motifs donnés dans laffaire Apotex quil y avait « de meilleurs éléments de preuve » ou « un argument juridique plus valable » dans la présente instance (Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltée). Il sagirait sinon dun abus de procédure.

Les revendications pertinentes du brevet 113 ont été interprétées et sa partie descriptive a été passée en revue. Lolanzapine, le composé sélectionné, était décrite comme 1) étant nettement supérieure à la flumézapine et à dautres composés non nommées, 2) ayant un meilleur profil deffets secondaires que des agents neuroleptiques déjà connus, et 3) ayant un degré dactivité très avantageux. Ces avantages nont pas été suffisamment exposés. Lilly na pas exposé clairement et explicitement la nature de linventionsi invention il y a eurésidant dans les propriétés de la seule olanzapine qui justifierait quon lui octroie un nouveau monopole sous la forme dun brevet distinct (lolanzapine fait partie dun très vaste genre ou dune très vaste classe de composés chimiques visés par le brevet canadien no 1075687). Plus particulière-ment, bien que linvention dans le choix de lolanzapine consiste en les soi‑disantes propriétés « surprenantes et inattendues » de lolanzapine « comparativement à la flumézapine et à dautres composés apparentés », aucune comparaison de la sorte nest faite dans le brevet 113 et aucune donnée na été fournie à lappui de cette revendication. Lilly na donc pas prouvé le caractère infondé des allégations de Novopharm touchant linsuffisance de lexposé. La demande a été rejetée pour cette raison. Les autres allégations dinvalidité avancées par Novopharm ont été rejetées.

lois et règlements cités

Loi de 1935 sur les brevets, S.C. 1935, ch. 32, art. 35.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5, art. 7.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 27(3)b) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31), 43 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16; L.C. 1993, ch. 15, art. 42), 45 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 53.

Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P‑4, art. 36.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, art. 5 (mod. par DORS/98‑166, art. 4; 99‑379, art. 2), 6 (mod. par DORS/98‑166, art. 5; 99‑379, art. 3), 7(1) (mod. par DORS/98‑166, art. 6).

Règles  des  Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 213 à 219, 221, 300 (mod.   par  DORS/2002‑417,  art.  18(A);  2004‑283, art. 37).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153; Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., [2008] 1 R.C.F. 174; 2007 CAF 163; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77; 2003 CSC 63.

décisions examinées :

Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140; confirmant 2006 CF 341; Eli Lilly & Co. v. Zenith Goldline Pharms., Inc., 2005 U.S. Dist. LEXIS 44282 (S.D. Ind., May 9, 2005); conf. par 471 F.3d 1369 (Fed. Cir. 2006); KSR Intl Co. v. Teleflex Inc., 127 S. Ct. 1727 (2007); Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 781; Bayer AG c. Apotex Inc., [1998] A.C.F. no 1593 (1re inst.) (QL); AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183; Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., [2008] 2 R.C.F. 636; 2007 CF 455; Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2005] 2 R.C.F. 269; 2004 CAF 393; Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140; Pfizer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2008] 1 R.C.F. 672; 2007 CF 446; Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751 (C.A.); Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504; Pioneer Hi‑Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623; Sanofi‑Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 421; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] 2 R.C.F. 137; 2006 CAF 214; In re I.G. Farbenindustrie A.G.s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.); Parks‑Cramer Co. v. Thornton & Sons Ltd., [1969] R.P.C. 112 (H.L.); Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153; 2002 CSC 77; Eli Lilly and Co. c. Nu‑Pharm Inc., [1997] 1 C.F. 3 (C.A.).

décisions citées :

Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1482; Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423; Aguonie v. Galion Solid Waste Material Inc. (1998), 38 O.R. (3d) 161; 156 D.L.R. (4th) 222; 17 C.P.C. (4th) 219; 107 O.A.C. 115 (C.A.); Calgon Carbon Corp. c. North Bay (Ville de), 2005 CAF 410; Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2008] 1 R.C.F. 19; 2007 CF 300; Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289; 64 N.R. 287 (C.A.F.); Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; 2000 CSC 67; Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett‑Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555; Western Electric Co., Inc. et al. v. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570; Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; confirmant [1999] A.C.F. no 84 (C.A.) (QL);  confirmant [1997] A.C.F. no 1096 (1re inst.) (QL); Free World Trust c. Electro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; 2000 CSC 66.

doctrine citée

Chakrabarti, Jiban K. et al. « 4‑Piperazinyl‑10H‑thieno [2,3‑b][1,5]benzodiazepines as Potential Neuroleptics » (1980), 23 J. Med. Chem. 878.

Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd. Toronto : Carswell, 1969.

DEMANDE en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Novopharm Limitée relativement à l’olanzapine jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2041113. Demande rejetée.

ont comparu :

Anthony George Creber, Jay Zakaïb, John Norman et Cristin A. Wagner pour la demanderesse et la défenderesse/brevetée.

Jonathan Stainsby, Andrew Skodyn et Andy Radhakant pour la défenderesse Novopharm Limitée.

Personne n’a comparu pour le défendeur le ministre de la Santé.

avocats inscrits au dossier :

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., Ottawa, pour la demanderesse et la défenderesse/brevetée.

Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour la défenderesse Novopharm Limitée.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur le ministre de la Santé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1] Le juge Hughes : Il s’agit d’une demande formée par Eli Lilly Canada Inc. sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, dans sa version modifiée (le Règlement AC), tendant à obtenir de la Cour qu’elle interdise au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité [AC] à Novopharm Limitée au titre de comprimés pour administration orale de drogues contenant de l’olanzapine en concentrations de 2,5, 5, 7,5, 10 et 15 mg jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2041113 (le brevet 113). Pour les motifs dont l’exposé suit, je conclus que Lilly n’a pas démontré le caractère infondé de l’allégation de Novopharm selon laquelle le mémoire descriptif du brevet 113 est insuffisant. La présente demande est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse Novopharm.

Les questions en litige

[2]De nombreuses questions ont été mises en litige dans la présente instance. Je les examinerai dans l’ordre

suivant :

1. L’abus de procédure (paragraphes 14 à 29)

Quel est l’effet du fait que Novopharm ait signifié un premier avis d’allégation [AA] affirmant l’invalidité du brevet 113 et que Lilly ait introduit une instance à cet égard et déposé sa preuve par affidavits, pour voir ensuite Novopharm retirer ce premier AA et en déposer un autre, affirmant aussi l’invalidité, qui fait l’objet de la présente espèce?

2. L’instance Apotex (paragraphes 30 à 99)

Quel est l’effet d’une décision très récente de notre Cour concernant la validité du brevet 113, où le fabricant de génériques intéressé n’était pas Novopharm, mais Apotex?

3. La validité du brevet 113 (paragraphes 100 à 190)

a) La charge de la preuve (paragraphes 100 à 102)

b) L’interprétation (paragraphes 103 à 126)

c) Le caractère suffisant de l’exposé (paragraphes 127 à 165)

d) L’article 53 (paragraphes 166 à 173)

e) L’antériorité (paragraphes 174 à 176)

f) L’évidence (paragraphes 177 à 180)

g) Le double brevet (paragraphes 181 à 185)

h) L’utilité (paragraphes 186 à 190)

Je dresserai d’abord la liste des témoins, pour ensuite examiner chacune de ces questions et sous‑questions.

Les témoins

[3]Lilly a déposé la preuve par affidavits de 13 témoins. Elle a présenté tous ces témoins comme experts sauf trois (M. Pullar, Me Forman et Mme Schuurmans). Quatre des témoins experts—le Dr Williams, et MM. Bauer, Thisted et Szot—ont proposé des éléments supplémentaires de contre‑preuve, ainsi qu’un autre témoin cité comme expert, le Dr McEvoy. Tous les témoins de Lilly, sauf Mme Schuurmans, technicienne juridique, ont été contre‑interrogés. Voici la liste de ces témoins :

1. M. Pullar (témoin factuel)—ancien chef du groupe de recherche neuroscientifique chez Lilly.

2. M. Nichols—chimiste médicinal faisant des recherches dans le domaine. Il interprète l’état de la technique sous les rapports de l’antériorité, de l’évidence (notamment de la sélection) et du double brevet.

3. M. Mailman—chimiste médicinal et neuropsycho-pharmacologue, qui interprète l’état de la technique sous les rapports de l’antériorité, de l’évidence (notamment de la sélection) et du double brevet.

4. M. Burk—chimiste qui examine les publications invoquées comme antériorités.

5. M. Szot—toxicologue qui dépose dans le sens de la non‑évidence de la toxicité moindre de l’olanzapine et touchant l’allégation de déclarations fallacieuses, notamment le point de savoir si l’étude sur chiens de Lilly était défectueuse.

6. Le Dr Williams—psychiatre qui dépose dans le sens de la non‑évidence, des résultats inattendus et du succès commercial de l’olanzapine.

7. M. Murphy—agent de brevets qui dépose sur les pratiques et procédures du Bureau canadien des brevets et répond aux allégations de déclarations fallacieuses et de double brevet. Je n’ai accordé aucun poids aux parties de son témoignage exprimant des opinions sur le droit applicable.

8. Me Forman (témoin factuel)—avocat de brevets américain ayant participé à une action américaine où la validité de l’étude sur chiens était en litige. Il donne des renseignements 1) sur l’étude canine effectuée par Ivax (l’étude d’imagerie de perfusion myocardique) et 2) sur l’étude canine effectuée par un autre défendeur à l’action américaine, Dr. Reddy’s Laboratories, Ltd. (l’étude de Calvert). Je n’ai accordé aucun poids aux parties de son témoignage où il se prononce sur des questions scientifiques.

9. M. Bauer—vétérinaire et spécialiste de biomédecine comparée qui dépose sur les questions relatives aux études canines.

10. M. Thisted—biostatisticien qui répond à l’allégation selon laquelle les résultats de l’étude sur chiens ne seraient pas statistiquement significatifs.

11. M. Brogan—économiste déposant sur le succès commercial du Zyprexa.

12. Mme Schuurmans (témoin factuel)—technicienne juridique qui propose des renseignements contextuels sur le premier AA et une meilleure copie de l’une des pièces.

13. Le Dr McEvoy—psychiatre et l’un des experts principaux de l’étude Catie, qui traite les nouvelles questions soulevées par les Drs Rosenheck et Leber.

[4]Novopharm a produit la preuve par affidavits de huit témoins, tous présentés comme experts sauf Mme Hucman, technicienne juridique. Ils ont tous été contre‑interrogés, y compris cette dernière. Voici la liste de ces témoins :

1. M. Press—chimiste médicinal qui dépose sur l’état de la technique dans les années 1980 et la question de l’évidence.

2. M. Hanessian—chimiste médicinal qui dépose sur les questions de l’antériorité et de l’évidence.

3. Le Dr Healy—psychiatre qui offre des services de consultant indépendant et travaille parfois à ce titre pour Lilly. Il dépose sur les questions de l’antériorité et de l’évidence, ainsi que sur l’efficacité et les effets secondaires de l’olanzapine.

4. Le Dr Rosenheck—psychiatre qui participe au contrôle du traitement de quelque 100 000 schizo-phrènes. Il dépose sur l’efficacité et les effets secondaires de l’olanzapine.

5. M. Greco—endocrinologue vétérinaire qui dépose sur les questions liées aux études canines.

6. Le Dr Pentel—interniste qui dépose sur les questions toxicologiques.

7. Le Dr Leber—médecin ayant déjà travaillé à la United States Food and Drug Administration (USFDA) et ancien chef de la Division de neuropharmacologie de cet organisme. Il dépose sur les allégations de supériorité de l’olanzapine et les questions de réglementation.

8. Mme Hucman (témoin factuel)—technicienne juridique qui a produit plusieurs documents auxquels renvoie l’AA.

[5]Je rappelle avant d’aller plus loin que l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C (1985), ch. C‑5, dispose qu’une partie ne peut produire la preuve de plus de cinq témoins experts sans l’autorisation de la Cour. Je pense que certaines décisions de notre Cour ont amené d’aucuns à penser que cette disposition veut dire cinq témoins par question en litige. Je n’essaierai pas de décider cette question ici.

[6]La Cour d’appel fédérale fait observer au paragraphe 41 de l’arrêt Abbott Laboratories. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140 [ci‑après Pharmascience Inc.], que la validité forme une question unique. Or la validité est la seule question dont la Cour soit saisie dans la présente espèce.

[7]J’ai fait remarquer aux parties à l’audience qu’elles devraient se limiter à cinq témoins experts. Elles n’ont guère tenu compte de ma remarque, en grande mesure parce qu’elles avaient toutes deux intérêt à ne pas le faire. Il convient de redire à quel point il est difficile pour un tribunal saisi d’une instance relative à un AC d’assimiler une multitude d’opinions d’expert ou censées telles, qui concernent surtout des questions scientifiques, opinions toutes présentées par écrit et composant souvent plusieurs volumes. Les juges sont des êtres humains, pas des ordinateurs.

[8]Les observations qui précèdent constituent un avertissement. Le nombre des témoins et la quantité des pièces doivent être réduits dans les instances relatives à un AC. Je reviendrai sur ce point quand il sera question des dépens.

[9]Novopharm soutient que devraient être radiés certains paragraphes des affidavits de témoins de Lilly —soit Szot, Mailman, Williams (2), Bauer (2) et Thisted —au motif qu’ils s’écartent des questions pertinentes.

[10]Je considère ces arguments comme secondaires. Aucune partie de la preuve attaquée n’est suffisamment dénuée de pertinence pour en justifier la radiation. J’accorderai à chaque élément de preuve le poids qui convient.

Les décisions américaines

[11]La Cour de district des États‑Unis pour le District sud de l’Indiana a rendu une décision (Eli Lilly & Co. v. Zenith Goldline Pharms. Inc., 2005 U.S. Dist. LEXIS 44282, 9 mai 2005) touchant un brevet américain très semblable au brevet 113, en litige dans la présente espèce. Le tribunal américain y a examiné une grande partie des antériorités examinées dans la présente instance. En outre, l’étude sur les chiens y était en litige comme elle l’est ici. La Cour de district a prononcé la validité du brevet, et sa décision a été confirmée par la Cour d’appel des États‑Unis pour le circuit fédéral (CAFC) le 26 décembre 2006, 471 F.3d 1369.

[12]Novopharm soutient que l’effet de ces décisions, en particulier pour ce qui concerne la question de l’évidence, est sérieusement mis en question par l’arrêt ultérieur de la Cour suprême des États‑Unis KSR Int’l. Co. v. Teleflex Inc., 127 S. Ct. 1727 (2007).

[13]Je refuse de m’engager dans le moindre examen de ces décisions judiciaires américaines. S’il est vrai que les décisions de tribunaux étrangers, en particulier de cours de juridictions supérieure et d’appel respectées comme celles des États‑Unis, s’avèrent souvent instructives, il n’appartient pas à notre Cour de se demander si un tribunal étranger aurait statué différem-ment à la lumière d’un arrêt rendu ultérieurement par un tribunal de degré supérieur du même pays, pas plus que notre Cour ne devrait considérer comme contraignante en quoi que ce soit—bien qu’elle puisse se révéler instructive—la décision d’un tribunal étranger, même si les brevets en cause sont semblables et les parties apparentées.

L’abus de procédure

[14]Lilly soulève une exception selon laquelle l’AA de Novopharm en date du 20 juin 2005, qui est à l’origine de la présente demande en interdiction formée par Lilly devant notre Cour, constituerait un abus de procédure. Ce moyen est fondé sur le fait que Novopharm avait signifié à Lilly un AA antérieur, en date du 5 août 2004, où elle déclarait avoir demandé au ministre un AC l’autorisant à vendre au Canada des comprimés d’olanzapine en concentrations de 2,5, 5, 7, 5, 10, 15 et 20 mg et où elle affirmait l’invalidité des revendications pertinentes du brevet 113. Au reçu de ce premier AA, Lilly avait introduit devant notre Cour, sous le régime de l’article 6 [mod. par DORS/98‑166, art. 5; 99‑379, art. 3] du Règlement AC, une instance mettant en litige les allégations d’invalidité (dossier T‑1734‑04 [2006 CF 781]). Elle avait ensuite déposé sa preuve principale par affidavits. Or, peu avant la date limite fixée pour le dépôt de sa propre preuve, Novopharm avait retiré son AA, sans donner d’explications. Notre Cour, par ordonnance en date du 19 juin 2006, a autorisé Novopharm à se désister de l’instance T‑1734‑04 et en a adjugé les dépens à Lilly. L’ordonnance proprement dite est muette sur la question de l’abus de procédure, mais la protonotaire Tabib formule à ce sujet les observations suivantes au paragraphe 9 de son exposé des motifs :

Pour ma part, je ne vois pas comment on pourrait sanctionner Novopharm pour avoir déposé un AA subséquent en la condamnant aux dépens dans la présente instance. Si l’assertion de Lilly suivant laquelle le nouvel AA de Novopharm repose sur des moyens similaires et constitue un abus de procédure a un certain fondement, la question devrait alors être régulièrement tranchée lors de l’examen de la demande T‑787‑05, qui porte précisément sur cet AA. Si elle conclut à l’abus de procédure, la Cour accordera une réparation à Lilly à l’issue de son examen au fond de cette demande ou en lui adjugeant les dépens. Si abus il y a, il réside dans les agissements auxquels s’est livrée Novopharm à la suite du retrait de l’AA. C’est donc sur les conséquences de cet abus de procédure que les sanctions devraient être axées et non sur les faits survenus avant l’abus. Il est illogique et insensé de sanctionner des actes futurs en adjugeant les dépens sur la base avocat‑client dans une instance qui ne saurait elle‑même être qualifiée d’abusive.

[15]Lilly fait valoir que l’AA qui nous occupe aujourd’hui est identique au précédent en ce que la seule question qu’il soulève est celle de la validité du brevet 113. Elle développe cet argument aux paragra-phes 14 à 21 de son avis de demande, dont je reproduis ci‑dessous les paragraphes 17 à 21 :

[traduction] 17. Une instance introduite sous le régime de l’article 55.2 se trouve privée d’objet en cas de retrait de l’AA, de sorte que Lilly Canada essaie de mettre fin à l’instance antérieure dont il s’agit. Cependant, elle n’a pu encore y arriver, le dossier T‑1734‑04 restant devant la Cour du fait que Novopharm conteste le montant des dépens qu’elle réclame.

18. Il est loisible à la seconde personne de retirer son AA, mais elle ne devrait pas le faire dans le but de s’assurer déloyalement un avantage ou d’une manière équivalant à un abus de procédure. Or la tactique employée par Novopharm constitue bel et bien un tel abus.

19. Plus précisément, Novopharm présente maintenant son nouvel AA après avoir eu le loisir d’analyser durant plus de sept mois la preuve produite par Lilly Canada dans la première instance (T‑1734‑04).

20. Dans sa deuxième lettre, Novopharm invoque en grande partie les mêmes antériorités à l’appui de ses allégations de destruction de nouveauté et d’évidence. En outre, elle a modifié son allégation antérieure d’invalidité de la sélection en invoquant en plus cette fois l’article 53 de la Loi sur les brevets.

21. En conséquence, le dernier en date des AA de Novopharm devrait être rejeté au motif de l’abus de procédure.

Les motifs d’invalidité invoqués dans le premier AA diffèrent de ceux du présent AA. Novopharm a ainsi abandonné les allégations de caractère indéfini et de portée excessive de certaines revendications et a ajouté celles de double brevet, de nullité sous le régime de l’article 53 de la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4] et d’inexploitabilité de l’invention.

[16]Il convient de faire preuve de prudence devant les allégations d’abus de procédure formulées contre un fabricant de génétiques dans une instance relative à un AC. L’alinéa 6(5)b) du Règlement AC permet seulement au fabricant de génétiques, et non à une première personne comme Lilly, de former une requête en rejet de demande au motif de l’abus de procédure. De plus, la règle 221 des Règles des Cours fédérales [DORS/98‑ 106, règle 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2)] n’autorise la radiation, à ce motif, que des actes de procédure. Or l’AA n’est pas un acte de procédure et ne relève donc pas de cette règle. Par ailleurs, le Règlement AC ne prévoit pas de procédure de modification de l’AA, certainement pas en tout cas une fois que l’affaire est portée devant les Cours fédérales; voir Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1482, aux paragraphes 7 à 13.

[17]Les Cours fédérales se sont déjà penchées sur la question des AA multiples. Le juge Sexton a formulé à ce sujet les observations suivantes au paragraphe 41 d’un récent arrêt unanime de la Cour d’appel fédérale, Pharmascience Inc. :

On n’autorisera donc habituellement pas qu’un même fabricant de génériques présente de multiples AA relativement à un médicament particulier en alléguant l’invalidité d’un brevet particulier, même si chaque avis porte sur des motifs différents d’invalidité. Il peut toutefois y avoir exception à cette règle, comme les juges majoritaires l’ont mentionné dans P&G (paragraphe 22), dans les cas où la partie intéressée n’a pu découvrir des faits pertinents liés à la question, même en faisant preuve de diligence raisonnable, lors du premier litige.

[18]Il faut se demander à quelle étape du processus prévu par le Règlement AC se pose la question de l’abus de procédure par signification d’AC multiples. La signification de l’AA par un fabricant de génériques (la seconde personne) à un innovateur (la première personne) n’enclenche pas la procédure judiciaire. Celle‑ci ne commence que lorsque l’innovateur, le cas échéant, introduit une demande en interdiction sous le régime du paragraphe 6(1) du Règlement AC. Lorsqu’il forme une telle demande, l’innovateur peut décider laquelle ou lesquelles des allégations formulées dans l’AA il souhaite contester. Par conséquent, la totalité ou une partie seulement de l’AA peut se trouver mise en jeu dans la procédure judiciaire, et seulement dans le cas et au moment où l’innovateur forme une demande en interdiction devant la Cour.

[19]Dans Bayer AG c. Apotex Inc., [1998] A.C.F. no 1593 (QL), le juge Gibson de notre Cour a entendu en même temps deux instances relatives à un AC. Les parties et le brevet étaient les mêmes. L’une des instances concernait un premier AA qui affirmait l’invalidité sur la base d’un brevet chilien. L’autre instance portait sur un AA affirmant l’invalidité non seulement sur la base du brevet chilien, mais aussi d’un brevet espagnol et d’une demande de brevet déposée en Allemagne. Il n’avait pas été donné d’explication satisfaisante du fait que les antériorités espagnole et allemande ne figuraient pas dans le premier AA. Le juge Gibson a conclu que le deuxième AA constituait un abus de procédure, sauf dans la mesure où il traitait le brevet chilien. On peut lire ce qui suit sur cette question aux paragraphes 32 et 33 de son exposé des motifs :

Lorsqu’une « deuxième personne » estime que son AA est incomplet et qu’une demande découlant de cet AA a déjà été présentée, si aucune explication satisfaisante n’est fournie au sujet de l’omission de présenter tous les faits dans l’AA, je ne peux conclure qu’une quelconque obligation incombe à la « première personne ».

J’estime que le cinquième AA envoyé par Apotex à Bayer n’est pas distinct du quatrième. En conséquence, je suis convaincu qu’il constitue un abus de procédure, non pas des procédures de la présente Cour, étant donné qu’il ne s’agit pas d’un document lié à une instance devant la présente Cour, si ce n’est qu’à titre d’élément de preuve, mais plutôt d’un abus du régime réglementaire établi par le Règlement. En raison de cet abus de procédure, l’issue de l’instance dans le dossier no T-591‑96 suivra celle de l’instance dans le dossier no T‑35‑96. Je ne me fonderai sur les documents déposés dans le dossier no T‑591‑96 que dans la mesure où ils renvoient de quelque manière à la demande de brevet présentée au Chili et au brevet octroyé à la suite de cette demande. Il ne sera pas tenu compte des documents concernant la demande de brevet allemand de la famille I, de la demande de brevet espagnol et du brevet qui a été octroyé à la suite de cette demande. [Notes omises]

[20]Il est à noter que, dans l’affaire Bayer, la Cour avait été saisie des deux AA simultanément : aucun des deux n’avait été retiré avant l’introduction de la demande.

[21]Dans l’arrêt Pharmascience, la Cour d’appel fédérale a examiné la décision Bayer du juge Gibson et a fait remarquer ce qui suit à la fin du paragraphe 43 de son exposé des motifs :

Le juge [Gibson] a ainsi conclu que le cinquième AA constituait un abus de procédure, puisqu’on n’avait pas expliqué suffisamment pourquoi on n’avait pas présenté les nouveaux éléments de preuve dans l’avis précédent.

[22]La Cour d’appel fédérale a ensuite analysé au paragraphe 45 de Pharmascience son propre arrêt antérieur AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183 :

Pharmascience a également cité l’arrêt de la Cour, AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183 (AstraZeneca). On alléguait dans cette affaire que le dépôt par un fabricant de génériques d’un second AA constituait un abus de procédure. Avant de trancher la question, le juge Evans a commencé par réitérer comme principe « qu’une seconde personne qui répète une allégation dans un second AA commet un abus de procédure, à moins que les fondements juridiques et factuels soient distincts de ceux qui étayaient l’allégation antérieure » (AstraZeneca, paragraphe 21). Le juge Evans a ensuite évalué les deux AA en cause et conclu que les allégations dans l’un et l’autre avis étaient distinctes, de sorte qu’il n’y avait pas abus de procédure. Il existe toutefois deux différences essentielles entre l’affaire qui nous occupe et l’affaire citée, qui empêchent son application à la présente affaire. Premièrement, dans AstraZeneca, Apotex Inc. avait retiré son premier AA parce qu’elle avait de la difficulté, en établissant la formulation de son médicament, à satisfaire aux normes réglementaires en matière d’innocuité et d’efficacité. AstraZeneca avait donc mis fin à la procédure d’interdiction qu’elle avait précédemment engagée, de sorte que, fait important, les allégations figurant dans le premier AA n’avaient pas été examinées sur le fond par un tribunal.

[23]Ainsi, dans AstraZeneca, la Cour était disposée à entendre une demande touchant un second AA dans un contexte où le retrait du premier avait été expliqué, en l’occurrence par la difficulté éprouvée à remplir les exigences des autorités de contrôle des médicaments. En outre, dans cette même affaire, le second AA soulevait une nouvelle question, relative à l’absence de contrefaçon.

[24]En fin de compte, la Cour d’appel fédérale a confirmé dans Pharmascience [2006 CF 341] la décision du juge de première instance d’interdire au fabricant de génériques d’invoquer les allégations qu’il avait formulées dans le second AA. On peut lire ce qui suit aux paragraphes 1, 2, 60 et 62 de cet arrêt :

Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour fédérale dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 341, dans laquelle le juge O’Keefe a appliqué la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (la préclusion) pour empêcher Pharmascience Inc. (Pharmascience) de plaider les allégations figurant dans son second AA relativement au brevet canadien no 2,261,732 (le brevet 732) dont Abbott Laboratories est titulaire. De l’avis du juge O’Keefe, Pharmascience ne pouvait tenter de plaider des questions additionnelles qu’elle avait omis de faire valoir dans le cadre du litige intervenu entre les mêmes parties et portant sur le même brevet tranché antérieurement par le juge Gibson.

On demande à la Cour d’appel d’établir si les fabricants de médicaments génériques devraient être autorisés à présenter de multiples AA relativement à un même brevet, lorsqu’ils allèguent dans chacun que le brevet est invalide. J’en suis venu à la conclusion que la doctrine de la préclusion devrait, dans la plupart des cas, empêcher ces fabricants d’alléguer une seconde fois l’invalidité d’un brevet, sauf si le fondement invoqué pour l’allégation subséquente ne pouvait être déterminé lors de la première instance en faisant preuve de diligence raisonnable, ou s’il existe une autre raison spéciale exceptionnelle qui justifie l’exercice par un juge de son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la doctrine de la préclusion dans l’affaire dont il est saisi.

                                                                                                                                                                [. . .]

Contrairement à ce que prétend Pharmascience, toutefois, il n’y a pas eu passage en droit d’une situation où il était permis de présenter de multiples avis alléguant l’invalidité à une autre où agir ainsi donne lieu à l’application de la préclusion. Comme je l’ai expliqué dans la section précédente, Pharmascience n’a pu citer aucune décision où l’on ait accepté la présentation de multiples avis alléguant l’invalidité. La Cour et la Cour fédérale n’ont autorisé la présentation d’avis successifs que dans les cas où les allégations y figurant pouvaient être considérées distinctes, comme lorsque le fabricant de génériques invoque une nouvelle formulation ou un nouveau procédé pour la fabrication d’un médicament, ou lorsqu’il y a eu retrait de l’AA précédent avant la tenue d’une audience.

La préclusion découlant d’une question déjà tranchée est un concept qui existe de longue date en common law. Le fait qu’on n’ait jamais expressément examiné dans une décision antérieure la question en litige dans le présent appel ne veut pas dire que le présent arrêt modifie le droit applicable. Comme l’analyse précédente l’a démontré, à vrai dire, le présent arrêt ne fait que confirmer l’état actuel du droit.

Pharmascience, par conséquent, n’a pas réussi à étayer sa prétention selon laquelle il n’était pas loisible au juge O’Keefe de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser l’application de la préclusion. [Non souligné dans l’original.]

[25]L’élément commun à Bayer et à Pharmascience est que le premier AA avait en fait été débattu dans le cadre d’une audience. Dans Bayer, il l’avait été conjointement avec le second AA. Dans AstraZeneca, on avait présenté en preuve un motif plausible du retrait du premier AA, à savoir la difficulté éprouvée à remplir les exigences des autorités de contrôle des médicaments.

[26]Dans la présente espèce, le premier AA n’est pas parvenu au stade de l’audience, et aucune explication de son retrait n’a été donnée ni aucun élément tendant à justifier ce retrait n’a été produit en preuve. De plus, les deux AA ne mettent en question que la validité du brevet 113, le second invoquant de nouveaux argu-ments à l’appui de l’invalidité sans en reprendre d’autres avancés dans le premier. Novopharm fait valoir que le fabricant de génériques ne peut modifier son AA qu’en le retirant et en en présentant un nouveau, étant donné qu’il ne lui est pas permis de le modifier directement, en tout cas une fois que la Cour en est saisie. Cette voie, explique‑t‑elle, n’est guère commode, mais, étant donné la procédure ésotérique et souvent illogique des instances relatives à un AA, c’est la seule possible. Le fabricant de génériques qui emploie ce moyen peut avoir à en souffrir du fait d’une condamnation aux dépens dans l’instance dont il se désiste et en souffrira certainement si son nouvel AA entraîne l’introduction d’une demande devant la Cour et, par suite, une autre suspension de 24 mois de l’administration de la demande d’approbation de sa drogue. Le fait qu’il modifie son AA de la seule manière possible en pratique ne devrait pas empêcher le fabricant de génériques de tenter sa chance devant la Cour.

[27]Je souscris à la position de Novopharm. La procédure ésotérique et peu commode des instances relatives à un AC ne lui offrait aucun moyen pratique de modifier son AA. Le fabricant de génériques disposé à subir une condamnation aux dépens et un nouveau sursis réglementaire de 24 mois pour modifier son AA sait que cette modification lui coûtera cher, mais c’est la seule possibilité que lui ouvre la procédure en vigueur.

[28]Ce n’est qu’une fois que la Cour est saisie de l’affaire dans le cadre d’une audience sur le fond, comme dans Bayer, ou que la Cour a rendu une décision, comme dans Pharmascience, que le fabricant de génériques n’a plus la possibilité de proposer un nouvel AA portant sur la question de la validité, sauf entrée en ligne de compte d’un élément nouveau qui n’aurait pu être découvert auparavant.

[29]Je conclus de tout ce qui précède qu’il n’y a pas eu abus de procédure dans la présente espèce.

L’instance Apotex (réunissant les dossiers T‑156‑05 et T‑787‑05)

[30]L’audience de la présente demande a eu lieu peu après que la juge Gauthier de notre Cour eut rendu son jugement et communiqué son exposé des motifs à l’issue d’une instance analogue introduite par Eli Lilly Canada Inc. contre Apotex Inc. à l’égard du brevet 113 et réunissant les dossiers T‑156‑05 et T‑787‑05 (l’instance Apotex). Par cette décision, dont l’exposé des motifs a été publié sous la référence neutre 2007 CF 455 [Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., [2008] 2 R.C.F. 636 (C.F.)], la juge Gauthier a accordé l’ordonnance en interdiction demandée. La seule question en litige devant elle était celle de la validité du brevet 113. Elle a conclu au caractère infondé des allégations d’Apotex sur cette question.

[31]La question de la contrefaçon n’était pas en litige dans l’instance Apotex, pas plus qu’elle ne l’est ici. La seule question mise en litige dans cette instance était la validité du brevet 113, comme elle est aussi la seule contestée dans la présente espèce. La juge Gauthier a examiné les motifs suivants invoqués par Apotex à l’appui de sa thèse de l’invalidité du brevet 113 :

1) L’antériorité, en particulier pour ce qui concerne les antériorités Chakrabarti et Schauzu (paragraphes 247 à 295). Elle a conclu que la preuve dont elle était saisie ne remplissait pas les conditions rigoureuses dont dépend l’antériorité.

2) L’évidence, en particulier pour ce qui concerne les antériorités Chakrabarti (paragraphes 296 à 358). Elle a conclu au caractère infondé de l’allégation d’évidence.

3) Le double brevet, relativement au brevet canadien no 1075687 (le brevet 687), qui avait été délivré à Lilly le 19 avril 1980 (paragraphes 359 à 364). Elle a conclu qu’il n’y avait pas double brevet.

4) La nullité sous le régime de l’article 53, Apotex affirmant que Lilly avait omis de communiquer des antériorités pertinentes et avait donné des renseigne-ments propres à induire en erreur touchant l’étude sur chiens à laquelle le brevet 113 fait référence, et que l’intention de Lilly d’induire en erreur, si elle n’était pas directement établie par la preuve, pouvait s’en déduire (paragraphes 365 à 382). La juge Gauthier a constaté qu’il n’avait été produit aucun élément tendant à prouver que Lilly sût à l’époque pertinente que le chien n’était pas un modèle valable ou que l’étude canine était défectueuse. Elle a de même constaté que le propos délibéré d’induire en erreur ne pouvait se déduire du dossier de la preuve.

[32]La juge Gauthier a conclu au paragraphe 383 de son exposé des motifs que Lilly avait établi le caractère infondé de chacune des allégations formulées par Apotex dans son avis de demande.

Comparaison de la présente espèce et de l’instance Apotex

[33]Apotex n’est pas partie à la présente espèce, mais il y a identité de la demanderesse (Lilly) et du brevet en litige (le brevet 113) dans les deux instances. Novopharm,  la  défenderesse à la présente espèce – la « seconde personne », selon la terminologie du Règlement AC—n’est pas liée à Apotex, mais elle avance en partie les mêmes allégations relatives à l’invalidité qu’Apotex dans l’instance antérieure.

[34]La juge Gauthier a eu l’heureuse idée de joindre à son exposé des motifs (en annexe A) la liste des témoins ayant déposé dans l’instance Apotex, assortie d’un bref exposé des qualités professionnelles de chacun. Un bon nombre des témoins qui ont déposé en faveur de Lilly dans l’instance Apotex sont les mêmes que ceux qui ont déposé pour elle dans la présente espèce. Il est à noter que, même s’il ne figure pas sur la liste susdite, M. Tom Brogan a aussi déposé pour le compte de Lilly dans l’instance Apotex. Lilly a produit dans la présente espèce des éléments de preuve additionnels, soit les témoignages de M. Mailman, chimiste médicinal, et du Dr McEvoy, psychiatre, ainsi qu’un affidavit en réponse supplémentaire du Dr Williams, qui avait aussi déposé dans l’instance Apotex.

[35]Novopharm a produit dans la présente espèce les affidavits de huit témoins, y compris une technicienne juridique, qui ont tous été contre‑interrogés. Aucun de ces témoins n’avait déposé dans l’instance Apotex.

[36]Il ne serait pas légitime d’exposer une comparaison directe de la preuve des témoins de l’instance Apotex et de celle des témoins, qu’ils soient ou non les mêmes, de la présente espèce, puisque la preuve admise dans ladite instance n’a pas été versée au dossier dont la Cour est ici saisie. Je précise cependant que j’ai effectué cette comparaison. Je constate que les affidavits des témoins de Lilly sont essentiellement les mêmes dans les deux instances, et que leurs contre‑ interrogatoires ne révèlent pas de différences importantes. De même, je constate que la nature de la preuve des témoins d’Apotex, qu’il s’agisse des affidavits ou des contre‑interrogatoires, ne présente pas de différences importantes d’avec celle des témoins qui ont déposé pour Novopharm dans la présente espèce. Cependant, je ne ferai pas référence à cette comparaison ni ne m’en servirai pour parvenir à ma décision dans la présente espèce. La raison pour laquelle je m’abstiens de comparer les éléments de preuve produits dans les deux instances, mis à part la seule utilisation de ce qui ressort de l’exposé des motifs de la juge Gauthier, est que la preuve produite dans l’instance Apotex ne fait pas partie du dossier de la présente espèce. L’examen du dossier de la présente espèce ne permettrait pas à la Cour d’appel ni à qui que ce soit de décider en connaissance de cause les questions liées à une comparaison de ladite espèce avec l’instance Apotex. On ne pourrait établir une telle comparaison que si l’instance Apotex était inscrite au dossier, par exemple par la voie d’une requête formée sous le régime de l’alinéa 6(5)b) du Règlement AC. Cependant, une telle requête ne peut être formée que par la seconde personne, soit en l’occurrence Novopharm, qui n’aurait naturellement pas intérêt à le faire.

[37]Une autre façon de faire inscrire l’instance Apotex au dossier de la présente espèce aurait consisté pour Lilly à présenter une requête en jugement sommaire sous le régime des règles 213 à 219 des Règles des Cours fédérales. Il y a des raisons pratiques pour lesquelles cela était impossible. Premièrement, l’exposé des motifs de la juge Gauthier a été communiqué moins d’un mois avant la date prévue pour le commencement de l’instruction de la présente espèce, et la règle 214 prévoit dans le cas des requêtes en jugement sommaire l’obligation de déposer l’avis au moins 20 jours avant la date de l’audition. Deuxième-ment, le critère applicable au jugement sommaire, énoncé à la règle 216, est le point de savoir s’il existe une « véritable question litigieuse ». Les cours d’appel ne sont guère disposées à permettre aux tribunaux de première instance de rendre leurs décisions sur une base moindre qu’un dossier d’instruction complet, en particulier lorsque sont contestées des questions de fait, de crédibilité ou de droit, ainsi qu’en témoignent les arrêts suivants : Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423; Aguonie v. Galion Solid Waste Material Inc. (1998), 38 O.R. (3d) 161 (C.A.); et Calgon Carbon Corp. c. North Bay (Ville de), 2005 CAF 410).

[38]Lilly n’aurait pas eu matière à former une requête en radiation sous le régime de la règle 221, puisque Novopharm n’a pas déposé d’acte de procédure. Un AA, en effet, n’est pas un acte de procédure.

[39]Donc, restent à la Cour dans la présente espèce l’identité de la demanderesse (Lilly) et du brevet (le brevet 113), ainsi que l’exposé des motifs de la décision rendue par la juge Gauthier dans l’instance Apotex. Cet exposé montre que Lilly a cité les mêmes témoins et que quatre questions relatives à la validité ont été mises en litige dans les deux affaires, soit l’antériorité, l’évidence, le double brevet et l’article 53. Il ressort également à l’évidence de l’exposé des motifs de la juge Gauthier que les questions dont elle était saisie ont été débattues avec autant de sérieux que de vigueur.

[40]On m’avise que l’instance Apotex est maintenant en appel.

Les différences entre l’instance Apotex et la présente espèce

[41]Pour ce qui concerne l’allégation d’invalidité du brevet 113, Novopharm met ici en litige deux autres questions en plus de celles qu’a examinées la juge Gauthier dans l’instance Apotex. Ce sont le caractère suffisant de l’exposé et l’utilité.

[42]Novopharm soutient que l’étude sur chiens à laquelle Lilly se réfère dans le brevet 113 était défectueuse. Novopharm reconnaît que pour faire accueillir son moyen fondé sur l’article 53 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, dans sa version modifiée, elle doit prouver que Lilly s’est référée à l’étude défectueuse, ou a omis de communiquer tous les renseignements pertinents à son sujet, avec le propos délibéré d’induire en erreur. Or le propos délibéré est difficile à établir par preuve directe, et encore plus par inférence.

[43]Novopharm a recours à une approche juridique différente. Elle fait valoir que l’étude sur chiens était défectueuse et que le fait pour Lilly d’avoir inclus dans la partie descriptive du brevet 113 certains éléments d’information à l’exclusion d’autres, touchant non seulement l’étude sur chiens mais aussi d’autres aspects, signifie qu’elle n’a pas rempli les conditions prévues par l’alinéa 27(3)b) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31] de la Loi sur les brevets, qui dispose que le mémoire descriptif doit exposer l’invention dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art de confectionner, construire, composer ou utiliser cette invention. Ce moyen est exposé, entre autres, aux paragraphes 151, 152 et 153 du mémoire de Novopharm, que je reproduis ici :

[traduction] 151. L’alinéa 27(3)b) de la Loi sur les brevets porte ce qui suit :

Le mémoire descriptif doit [. . .] exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention.

Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, alinéa 27(3)b.

152. Les passages soulignés de chacune des dispositions citées ci‑dessus révèlent que l’article 53 aussi bien que l’alinéa 27(3)b) concernent le caractère suffisant du mémoire descriptif et les fins de la divulgation. L’article 53 ajoute un élément de volonté à la question, c’est‑à‑dire qu’il soulève le point de savoir si l’omission ou l’addition « est volontairement faite pour induire en erreur ». L’alinéa 27(3)b), quant à lui, pose seulement la question de savoir si le mémoire descriptif expose « dans des termes complets, clairs, concis et exacts » les renseignements nécessaires pour permettre à la personne versée dans l’art de produire et d’utiliser l’invention.

153. Le seuil que prévoit le paragraphe 27(3) est « très bas », mais si l’affirmation d’utilité du breveté se révèle fausse, ce dernier n’a pas « franchi ce seuil bas » et son brevet est nul pour cause d’insuffisance de l’exposé. [Souligné dans l’original].

[44]Ce moyen est suffisamment différent des arguments examinés par la juge Gauthier pour qu’on puisse dire que celle‑ci ne l’a pas pris en considération, directement ou indirectement, dans le raisonnement qui l’a amené à sa décision dans l’instance Apotex. Elle fait explicitement observer aux paragraphes 115, 119, 122 et 123 de ses motifs qu’Apotex n’a pas invoqué l’insuffisance de l’exposé. Il est donc permis à Novopharm de mettre cette question en litige dans la présente espèce et d’y présenter ab initio ses conclusions sur ce sujet.

Les conséquences de la décision Apotex sur la présente espèce

[45] Pour établir si la décision Apotex a des conséquences sur la présente espèce et, dans l’affirmative, quelles elles sont, il faut examiner le Règlement AC. Notre Cour et les cours de degré supérieur ont étudié l’histoire de ce règlement dans de nombreuses décisions, dont il n’est pas nécessaire de répéter ici les conclusions à ce sujet. Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2008] 1 R.C.F. 19 (C.F.), est un exemple récent de telles décisions.

[46]Aux fins qui nous occupent ici, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2005] 2 R.C.F. 269, est un bon point de départ. Selon l’article 5 [mod. par DORS/98‑166, art. 4; 99‑379, art. 2] du Règlement AC, la « seconde personne », soit en général un fabricant de génériques tel que Novopharm, qui souhaite mettre sur le marché canadien une drogue semblable à une autre déjà approuvée et pour laquelle le ministre a délivré un AC à la « première personne », soit un innovateur tel que Lilly, et qui veut s’épargner les efforts et les dépenses qu’exigeraient les essais cliniques et autres opérations du même ordre, doit entre autres signifier un AA à la première personne dans le cas où celle‑ci a inscrit un ou plusieurs brevets sous le régime du Règlement AC. L’AA doit comporter une ou plusieurs allégations, par exemple que le brevet est invalide ou que la nouvelle drogue ne le contreferait pas. L’AA doit aussi énoncer le fondement juridique et factuel de ces allégations. La première personne peut, si elle le souhaite, introduire une demande, telle que celle de l’instance Apotex ou celle dont notre Cour est ici saisie, tendant à faire prononcer une ordonnance qui interdirait au ministre d’accueillir la demande de la seconde personne en lui délivrant un AC.

[47]L’article 6 du Règlement AC prévoit pour la première personne des « droits d’action », lui permettant de « demander au tribunal » de rendre une ordonnance d’interdiction. À la Cour fédérale, ces droits s’exercent par le dépôt d’une demande sous le régime des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] et 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] et suivants de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], et des règles 300 [mod. par DORS/2002-417, art. 18(A); 2004-283, art. 37] et suivantes. On introduit une telle instance au moyen d’un avis de demande. La preuve consiste en affidavits et en contre‑interrogatoires effectués hors la présence de la Cour, dont les transcriptions sont présentées à celle‑ci. Cette procédure ne comporte ni communication préalable ni comparution de témoins. Chacune des parties choisit les éléments de preuve qu’elle souhaite produire; la partie adverse n’a pas la possibilité de recourir à la procédure de la communication préalable pour faire des investigations ou prouver le bien‑fondé de sa cause. La Cour, quant à elle, n’a pas la possibilité de voir ou d’entendre les témoins en personne ni de leur poser ses propres questions, de sorte qu’il est rare qu’elle puisse évaluer convenablement leur crédibilité.

[48]Une fois saisie de l’affaire, la Cour doit établir sous  le  régime  du paragraphe 6(2) du Règlement AC si les allégations de la seconde personne sont « fondée[s] ».

[49]Tout doit se faire en hâte. Selon le paragraphe 7(1) [mod. par DORS/98‑166, art. 6] du Règlement AC, l’affaire doit se régler, depuis l’introduction de l’instance jusqu’à la décision de la Cour, dans un délai de 24 mois, sauf appel. Dans la pratique, il faut un certain temps aux parties pour établir et produire leurs affidavits, effectuer les contre‑interrogatoires, s’occuper de toutes questions que fait surgir la preuve, et rédiger et déposer leurs conclusions écrites. Au moment où la Cour peut enfin entendre les conclusions orales à l’audience, elle ne dispose souvent que de quelques semaines pour rendre une décision motivée. En général, cette décision exige l’examen de questions complexes, non seulement de droit, mais aussi de chimie, de pharmacie et de médecine, sur lesquelles on a habituellement produit une multitude d’éléments de preuve contradictoires.

[50]Cette procédure est tout à fait insatisfaisante sous presque tous les rapports.

[51]La Cour d’appel fédérale a examiné dans Procter & Gamble, la nature sommaire de cette procédure revêtant la forme d’une demande et la signification du terme « fondée » sous le régime du Règlement AC. Pour ce qui concerne la nature de la procédure, la Cour n’a pas adopté la norme de la « véritable question litigieuse » appliquée aux requêtes en jugement sommaire. Elle formule à ce sujet les observations suivantes au paragraphe 21 de son exposé des motifs :

Le gouverneur en conseil a établi que la décision prise en application du Règlement devait être fondée sur une preuve écrite, et non orale, et libérée de toutes les formalités applicables aux mesures préparatoires à l’instruction. Je conviens avec P&G que le Règlement tire son origine des considérations de principe du gouverneur en conseil, lesquelles supposent une pondération des droits des brevetés et des fabricants de médicaments génériques. Le Règlement confère des avantages et impose des obligations autant aux brevetés qu’aux fabricants de médicaments génériques. Il n’appartient donc pas à la Cour de modifier cet équilibre en adoptant la norme de preuve de la « véritable question litigieuse » que ni le libellé ni le contexte du Règlement ne justifient.

[52]Pour ce qui concerne le terme « fondée », la Cour a conclu qu’il signifie tout simplement qu’elle doit décider les questions suivant la « norme de preuve ordinairement applicable en droit civil », aucune disposition du Règlement n’indiquant l’applicabilité d’une norme moins rigoureuse. La Cour écrit à ce sujet au paragraphe 17 :

Contrairement à la prétention de Genpharm, le terme « fondée » ne connote pas une norme de preuve moins exigeante que la preuve établie selon la prépondérance des probabilités. Dans une affaire civile, la présomption veut que, en l’absence de toute indication contraire, le terme « fondée » connote la norme de preuve ordinairement applicable en droit civil. Une telle présomption peut être renversée si le contexte dans lequel le terme est employé l’indique. Cependant, rien dans le Règlement que Genpharm a invoqué n’indique que la norme applicable diffère de celle ordinairement applicable en droit civil.

[53]Par conséquent, la procédure, avec tous ses défauts, revêt la forme d’une demande, et la norme de preuve applicable à la question fondamentale de savoir si les allégations sont fondées est celle qui a normalement cours au civil.

[54]Lorsqu’on veut établir si les allégations sont fondées selon la norme ordinaire en matière civile, la question se pose habituellement de savoir sur qui pèse la charge de la preuve. On a beaucoup débattu ce point. La Cour d’appel fédérale a récemment mis fin à ce débat en termes énergiques par l’arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153. C’est sur le demandeur, soit la première personne, que pèse la charge d’établir son droit à l’ordonnance d’interdiction contre le ministre. Il s’ensuit que le demandeur supporte aussi la charge de la preuve dans le cas où la validité du brevet est en litige et où la seconde personne a produit la moindre preuve susceptible, si elle est admise, de réfuter la présomption de validité que prévoit la Loi sur les brevets. Je reprends ici à mon compte les observations suivantes formulées par la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 9 et 10 de cet arrêt :

La présomption de validité

Il ne fait désormais plus aucun doute qu’il incombe au requérant qui sollicite une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement de démontrer le bien‑fondé de sa demande. Abbott estime que, dans la présente affaire, le juge n’a pas correctement appliqué ce principe, compte tenu de la présomption de validité prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, dont voici le texte :

43. (2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.

                                                                                                  [. . .]

Je considère que le juge n’a pas commis l’erreur qu’on lui reproche. La formulation de la présomption prévue au paragraphe 43(2) est plutôt faible (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Limited, [2002] 4 R.C.S. 153, le juge Binnie, au paragraphe 43). Cette présomption n’est donc pas concluante pour une demande d’interdiction présentée en vertu du Règlement si, comme c’est le cas en l’espèce, le dossier contient la moindre preuve susceptible, si elle est admise, de réfuter la présomption en question (voir Rubbermaid (Canada) Ltd. c. Tucker Plastic Products Ltd. (1972), 8 C.P.R. (2d) 6 (C.F. 1re inst.) à la page 14, et Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285, au paragraphe 9).

[55]Il faut donc conclure des arrêts Procter & Gamble et Abbott Laboratories, que pèse sur le demandeur—la première personne—la charge de présenter à la Cour les moyens de preuve et de droit nécessaires pour établir, suivant la norme habituelle au civil, que ne sont pas fondées les allégations relatives à l’invalidité du brevet formulées par la seconde personne, dans le cas où celle‑ci a produit tant soit peu d’éléments de preuve à l’appui de ces allégations.

[56]La définition du critère qu’implique le terme « fondée » étant acquise, la Cour doit aussi se rappeler que les questions en litige peuvent être la contrefaçon (ce qui n’est pas le cas dans la présente espèce ni dans l’instance Apotex) et la validité. Si l’on peut s’appuyer sur divers motifs pour affirmer l’invalidité d’un brevet, on reste néanmoins dans le cadre d’une seule « question en litige », soit la validité. Par conséquent, les Cours fédérales se sont montrées jusqu’à maintenant peu disposées à permettre la remise en litige de cette question dans le contexte des instances relevant du Règlement AC. Ce problème s’est déjà posé sous la forme du cas où le même fabricant de génériques (la même seconde personne), ayant succombé une fois à propos de la validité, essaie une deuxième fois de faire valoir ses moyens à ce sujet. C’est par exemple ce genre de situation qui a fait l’objet du récent arrêt Abbot Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140, où la Cour d’appel fédérale a refusé à un fabricant de génériques l’autorisation d’attaquer une deuxième fois la validité d’un brevet en s’appuyant sur de nouveaux motifs. Le juge Sexton écrit ce qui suit au nom de la Cour au paragraphe 41 de cet arrêt :

Ce que le Règlement oblige notamment la seconde personne à établir, c’est que le brevet est invalide ou qu’il ne serait pas contrefait. En d’autres mots, la « question » à trancher est celle de l’invalidité ou de l’absence de contrefaçon. Les motifs particuliers au moyen desquels la seconde personne souhaite démontrer l’invalidité, que ce soit l’évidence, l’antériorité, la portée excessive ou encore l’absence de prédiction valable ne constituent pas des questions distinctes aux fins de la préclusion fondée sur une question déjà tranchée, ne constituant plutôt simplement que des façons différentes pour la seconde personne d’aborder la question de l’invalidité. On n’autorisera donc habituellement pas qu’un même fabricant de [génériques] présente de multiples AA relativement à un médicament particulier en alléguant l’invalidité d’un brevet particulier, même si chaque avis porte sur des motifs différents d’invalidité. Il peut toutefois y avoir exception à cette règle, comme les juges majoritaires l’ont mentionné dans P&G (paragraphe 22), dans les cas où la partie intéressée n’a pu découvrir des faits pertinents liés à la question, même en faisant preuve de diligence raisonnable, lors du premier litige. Il ne s’agit pas d’une pareille exception en l’espèce. Pharmascience ne conteste pas qu’elle aurait pu soulever des motifs d’invalidité additionnels dans le premier AA, mais soutient uniquement qu’il lui est permis de scinder ses prétentions en vertu du régime établi par le règlement.

[57]Dans un autre arrêt très récent, Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltée, [2008 1 R.C.F. 174, la Cour d’appel fédérale s’est demandé si une première personne pouvait faire valoir un brevet contre une seconde personne différente dans une instance relevant du Règlement AC lorsque la Cour avait prononcé, par une décision définitive antérieure, l’invalidité de ce brevet. La Cour a rendu une décision partagée, le juge Sexton parlant au nom de la majorité. L’origine de l’affaire était une requête formée sous le régime de l’alinéa 6(5)b) par une seconde personne (un fabricant de génériques) qui soutenait que ce serait un abus de procédure de la part de la première personne que d’invoquer un brevet déjà déclaré invalide dans une instance l’ayant opposée à une autre seconde personne. Le juge Sexton écrit ce qui suit (au nom de la majorité, comme je l’ai déjà dit) aux paragraphes 37 et 38 de son exposé des motifs :

Dans le contexte du Règlement, le fait d’inciter à utiliser efficacement des ressources judiciaires limitées suscite également des préoccupations particulières. Ces ressources sont déjà considérablement grevées par les très nombreuses instances engagées en vertu du Règlement. Toute tentative visant à grever davantage les ressources des parties et des tribunaux en engageant des actions répétitives sans justification convaincante milite fortement en faveur d’une conclusion d’abus de procédure.

Par conséquent, même si la décision de la juge Mactavish ne dicterait pas l’issue de la présente demande et, de ce fait, s’il est impossible de dire que Sanofi‑Aventis n’a aucune chance de succès, je suis néanmoins contraint de conclure que la demande relative à l’AA de Novopharm constitue un abus de procédure et qu’il convient donc de la rejeter.

[58]La présente espèce pose un problème distinct. Nous avons ici affaire à la contestation par un fabricant de génériques (une seconde personne) de la validité d’un brevet récemment déclaré valide dans une autre instance relative à un AC, qui opposait la première personne à un fabricant de génériques différent.

[59]Le juge Sexton a examiné le cas où un brevet a été déclaré valide à l’encontre des allégations d’un premier fabricant de génériques. Selon lui, le premier fabricant de génériques se trouverait alors empêché d’avancer ultérieurement des allégations tendant à faire prononcer l’invalidité du même brevet. Cependant, ajoute‑t‑il, il ne serait pas interdit à un fabricant de génériques différent d’affirmer l’invalidité du brevet en se fondant sur de meilleurs moyens de preuve ou de droit. Il écrit ainsi au paragraphe 50 de son exposé des motifs :

Les AA multiples délivrés par le même fabricant en rapport avec un médicament particulier et alléguant l’invalidité d’un brevet particulier sont généralement interdits, même si l’on invoque des motifs d’invalidité différents dans chaque cas. Cependant, dans le cas où un fabricant particulier a formulé une allégation mais a omis de présenter les arguments requis pour montrer que l’allégation en question était justifiée, il serait injuste d’empêcher un fabricant ultérieur, disposant de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable, de l’introduire. Cette situation peut donner lieu à un résultat contradictoire, mais cette préoccupation cède le pas au risque de faire preuve d’iniquité à l’endroit du fabricant à qui l’on interdit de faire valoir ses arguments juste parce que la démarche d’un autre fabricant était inadéquate. Il est nécessaire dans chaque cas de mettre en équilibre l’effet d’une instance sur l’administration de la justice et l’iniquité que l’on cause à une partie en l’empêchant de faire valoir ses arguments.

[60]La question devient alors celle de savoir comment la Cour peut établir si les moyens de preuve sont « meilleurs » ou les moyens de droit « plus valables ». Comme je le disais plus haut, le Règlement AC ne permet pas à une première personne de former une requête en abus de procédure sous le régime de l’alinéa 6(5)b). Par ailleurs, les dispositions des Règles de notre Cour touchant le jugement sommaire ou la radiation ne sont pas applicables à ce cas. Par conséquent, notre Cour ne peut établir les constatations nécessaires qu’en examinant l’exposé des motifs de la décision antérieure.

[61]Bien qu’aucune des parties n’ait formé de requête ni n’eût probablement pu le faire, la Cour dispose elle‑même d’un pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent pour empêcher les abus de procédure. Au paragraphe 35 de Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., le juge Sexton s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Toronto (Ville) c. S.F.C.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, au paragraphe 35 duquel la juge Arbour écrit :

Les juges disposent, pour empêcher les abus de procédure, d’un pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent.

[62]Selon la jurisprudence, notre Cour peut donc, à son gré, étudier l’exposé des motifs donné par la juge Gauthier dans l’instance Apotex et établir si le fabricant de génériques a présenté, touchant la validité du brevet 113, « de meilleurs éléments de preuve » ou « un argument juridique plus valable » dans la présente espèce que dans ladite instance. Si tel est le cas, elle doit examiner ces meilleurs moyens de preuve et de droit. Si la Cour constate l’absence de tels moyens plus valables, ce serait un abus de procédure que de permettre un nouvel examen de l’affaire. Le terme « abus » dans ce contexte ne signifie pas du tout que le deuxième fabricant de génériques ait commis un acte répréhen-sible : tel n’est pas le cas. Ce n’est que quelques jours avant l’audience de la présente espèce qu’il aurait pu avoir connaissance de la publication prochaine de la décision de l’instance Apotex. Le terme « abus » signifie plutôt ici que le fait d’examiner l’affaire ab initio la deuxième fois (c’est‑à‑dire dans la présente espèce) constituerait un gaspillage des ressources de la Cour et risquerait de donner lieu à des résultats contradictoires. Le deuxième examen ne doit avoir pour objet que le point de savoir si le fabricant de génériques dispose de « meilleurs éléments de preuve » ou de moyens de droit « plus valables », lesquels, si l’on en constate l’existen-ce, doivent être examinés ab initio. Évidemment, si le fabricant de génériques avance contre la validité du brevet un argument qu’on n’a pas fait valoir dans l’instance Apotex, la Cour l’examinera aussi ab initio.

[63]Il y a un autre élément à prendre en considération, à savoir la courtoisie judiciaire. Le juge Barnes de notre Cour a récemment étudié cette question dans Pfizer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2008] 1 R.C.F. 672. Après avoir examiné l’exposé des motifs donné par le juge Sexton dans Sanofi‑Aventis, en particulier son paragraphe 50, cité plus haut, le juge Barnes a conclu (voir surtout les paragraphes 30 à 33 de son exposé des motifs) que le principe de la courtoisie judiciaire n’est peut‑être pas facilement applicable aux instances relatives à un AC, mais que n’en subsiste pas moins la nécessité de la prévisibilité et de la cohérence lorsqu’il s’agit de questions, telles que l’interprétation des brevets, qu’on examine à partir du brevet lui‑même et non de la preuve, ou lorsque les moyens de preuve ne sont pas différents.

[64]Par conséquent, la Cour peut aborder la question du point de vue de l’« abus de procédure » ou de la « courtoisie judiciaire », ou des deux.

[65]J’examinerai donc les moyens de preuve et de droit invoqués dans la présente espèce et les comparerai à ceux de l’instance Apotex, mais seulement tels qu’ils apparaissent à la lecture de l’exposé des motifs de la juge Gauthier, afin d’établir si je suis saisi de meilleurs éléments de preuve ou de moyens de droit plus valables. Il ne fait pour moi aucun doute que les questions que la juge Gauthier avait à trancher ont été débattues de manière approfondie et vigoureusement contestées. Il ne faudrait pas que la Cour se trouve plus tard dans le cas où l’instance antérieure pertinente n’aurait été introduite que pour la forme ou dans le cas où l’une des parties n’aurait fait fonction que d’homme de paille. Dans de telles circonstances, la Cour ne devrait pas s’estimer volontiers liée par la décision antérieure.

Les questions décidées dans l’instance Apotex

[66] Apotex a contesté la validité du brevet 113, mais n’a pas allégué l’absence de contrefaçon de ce brevet. Il en va de même dans la présente espèce. Novopharm attaque la validité du brevet 113, mais ne fait pas valoir l’absence de contrefaçon.

[67] La juge Gauthier, forte de sa riche expérience d’avocate plaidante, a bien réussi à concentrer l’attention des parties à l’instance Apotex sur les ques-tions et la preuve pertinentes. Elle formule à ce sujet les remarques suivantes aux paragraphes 6 et 7 de son exposé des motifs :

L’audience des présentes demandes a pris sept jours entiers et n’a pas duré plus longtemps uniquement parce que les parties sont convenues de se contenter d’indiquer à la Cour la preuve la plus pertinente qu’elle devrait examiner et d’exposer à grands traits les questions de droit et de procédure à trancher. Il n’y a pas eu beaucoup de temps pour examiner les volumineux recueils de jurisprudence et de doctrine soumis par les parties, même si elles sont d’accord pour dire que certaines des questions de droit concernant les « brevets de sélection » sont tout à fait nouvelles et importantes. En fait, Apotex laisse entendre que les brevets de cette nature feront à l’avenir l’objet de nombreuses instances relatives à un AC et ajoute que, de même que ces brevets sont parfois désignés « brevets de la deuxième génération », les instances du type AC où ils sont mis en litige pourraient aussi être dites « de la deuxième génération ». Il est à espérer que nous trouverons une manière plus efficace de mener ces instances que l’on continue de qualifier de « sommaires », étant donné que, dans la présente espèce par exemple, la nécessité de limiter l’audience à sept jours a obligé la Cour à examiner après celle‑ci plus d’une centaine d’affaires et une quantité considérable d’éléments de preuve.

Comme il apparaîtra plus tard, une bonne partie de cette preuve se rapporte à des questions qui ne sont tout simplement pas très pertinentes à l’égard de la décision à rendre. Chacune des parties a élevé de nombreuses objections contre la preuve produite par la partie adverse, invoquant notamment le ouï‑dire et l’omission de présenter en preuve des faits sous‑jacents aux opinions des experts. On a aussi contesté l’admissibilité de certains éléments, et les deux parties ont mis en discussion le poids à attribuer aux opinions de divers experts.

[68]La juge Gauthier exprime aux paragraphes 8 et 9 de son exposé des motifs le sentiment que partagent tous les juges appelés à instruire une instance relative à un AC. Les proportions excessives que prend le dossier de la preuve, le recours à de trop nombreux experts et l’obligation d’établir un exposé détaillé des motifs touchant les questions scientifiques et juridiques les plus complexes dans des délais trop courts constituent autant de raisons de conclure à la pressante nécessité de réviser l’ensemble du processus.

1) L’interprétation des revendications du brevet 113

[69]On peut dire de façon très générale que le brevet 113 porte sur un composé chimique déterminé, à savoir l’olanzapine, dont les caractéristiques particulières supposées et le fait qu’il serait exempt de certaines caractéristiques indésirables le rendraient utile pour le traitement de troubles du système nerveux central.

[70]Les revendications 3, 6 et 13 du brevet en cause, reproduites au paragraphe 39 de l’exposé des motifs de la juge Gauthier, sont représentatives des revendications qui étaient en litige dans l’instance Apotex comme de celles qui le sont dans la présente espèce. La juge note l’absence de question litigieuse touchant l’interprétation du brevet.

Lors de l’audience, les parties se sont entendues sur le fait qu’il n’y avait aucun litige relativement à l’interprétation du brevet 113 et que la proposition d’Apotex de fabriquer et de vendre des comprimés d’olanzapine contrefaisait à tout le moins les revendications suivantes :

3. 2‑méthyl‑10‑(4‑méthyl‑1‑pipérazinyl)‑4H‑thiéno‑ [2,3‑b][1,5] benzodiazépine, ou un sel d’addition acide pharmaceutiquement acceptable de ce composé.

                                                                                                                                                                                [. . .]

6. L’utilisation d’un composé conformément à la revendication 2 ou 3 en vue de la fabrication d’un médicament pour le traitement de la schizophrénie.

                                                                                                  [. . .]

13. Une composition pharmaceutique renfermant le composé décrit à la revendication 3 ainsi qu’un diluant ou un vecteur pharmaceutiquement acceptable de ce composé.

[71]La formule chimique énoncée à la revendication 3 peut être simplement remplacée par le terme « olanza-pine » aux fins de la présente analyse.

[72]La question de l’interprétation s’est posée de nouveau devant la juge Gauthier au moment de l’examen de la question de l’évidence. Elle a commencé cet examen par une analyse des « propriétés spéciales » de l’olanzapine et de la sélection aux paragraphes 332 et 333 de son exposé des motifs. Elle a traité expressément les questions d’interprétation aux paragraphes 334 à 337:

La première étape consiste donc à examiner ce que renferme le brevet. À la fin de l’audience, la Cour avait l’impression que les parties n’étaient pas en désaccord pour ce qui est de l’interprétation du brevet. Elles semblaient s’entendre sur le fait que l’olanzapine était décrite comme un antipsychotique qui, en situation clinique, avait globalement un meilleur profil que les agents antipsychotiques déjà connus (y compris les composés visés par le brevet 687) en raison :

i) de sa forte activité chez l’homme (meilleure que ce à quoi on s’attendait d’après les tests chez l’animal);

ii) de ses ESEP minimes;

iii) de l’élévation faible et temporaire des enzymes hépatiques et de la CPK;

iv) de l’élévation du taux de prolactine plus faible que celle causée par d’autres médicaments neuroleptiques utilisés actuellement;

v) de l’absence d’effet sur la numération des leucocytes;

vi) de l’absence d’augmentation du taux de cholestérol chez le chien (et donc d’un risque plus faible de hausse du taux de cholestérol chez l’homme).

Cependant, au cours d’une conférence téléphonique tenue avec les parties, il est apparu que cela n’était pas le cas pour la cholestérolémie. Dans une lettre complémentaire du 2 avril 2007, Apotex soutient [traduction] « que le brevet 113 pose que l’olanzapine n’entraînerait pas chez l’homme une élévation cliniquement significative du taux de cholestérol ». À cet égard, la défenderesse s’appuie en particulier sur le libellé du premier paragraphe de la page 6 du brevet 113. Elle se réfère aussi au paragraphe 34 de l’affidavit de M. Klibanov, qui porte en fait sur la comparaison entre le composé  222 et l’olanzapine plutôt que sur la question précise des avantages attribués à l’olanzapine elle‑même.

En fait, lorsqu’on a demandé à MM. McClelland et Castagnoli lors de leurs contre‑interrogatoires de donner une interprétation à première vue du brevet, ils ont tous deux semblé le comprendre comme posant que l’olanzapine n’élevait pas le taux de cholestérol chez les chiens.

Quoi qu’il en soit, la Cour n’a pas à se prononcer de manière définitive sur cette question. Dans les faits, même si la Cour adoptait, aux seules fins de la présente espèce, l’interprétation proposée par Apotex, elle ne conclurait pas que son allégation d’évidence soit fondée. [Notes en fin de texte omises.]

[73]Ainsi, la juge Gauthier interprète comme suit les revendications en cause : elles portent sur l’olanzapine en tant qu’agent antipsychotique qui, en situation clinique, présente un meilleur profil d’ensemble que les agents antipsychotiques antérieurement connus (y compris ceux qui font l’objet du brevet 687), du fait d’un certain nombre de facteurs, soit au moins cinq, et peut‑être six si l’on prend en compte la cholestérolémie. Elle n’a pas constaté, dans le contexte de l’examen du motif de l’évidence, la nécessité d’établir s’il était essentiel de prendre la cholestérolémie en considération aux fins de l’interprétation des revendications.

2) L’antériorité

[74]Le premier motif invoqué pour contester la validité du brevet 113 dans l’instance Apotex était l’antériorité. La juge Gauthier énonce avec concision au paragraphe 246 la thèse d’Apotex à cet égard :

L’invention doit être nouvelle. Dans la présente espèce, Apotex soutient que l’invention telle que la décrivent les revendications du brevet 113 est entièrement divulguée par le brevet ’687 et l’article de Schauzu. Comme on l’a vu plus haut, Apotex avait d’abord allégué dans son AA que les revendications en cause étaient antériorisées par « Chakrabarti 1980 »; cependant, il ne sera pas nécessaire d’examiner cet article en détail, étant donné qu’Apotex n’a guère attiré l’attention sur lui à l’audience. Qu’il suffise ici de noter que les parties s’entendent pour dire que « Chakrabarti 1980 » ne divulgue pas explicitement l’olanzapine et que cet article est beaucoup plus pertinent pour l’analyse relative à l’évidence.

[75] La juge Gauthier passe en revue aux paragraphes 247 à 268 les principales décisions judiciaires applicables à la question de l’antériorité, pour ce qui concerne en particulier les brevets dits de sélection, soit les brevets qui revendiquent des compositions qu’on peut considérer comme antérieurement divulguées en tant que comptant parmi un grand nombre de compositions semblables, mais qui ont été sélectionnées à partir de ce grand nombre en tant que pourvues de propriétés particulières et inattendues.

[76]La juge Gauthier résume au paragraphe 266 de son exposé des motifs le droit relatif à l’antériorité pour ce qui concerne les brevets dits de sélection :

Seuls peuvent faire l’objet d’une sélection les composés qui n’ont pas été réalisés auparavant et dont les propriétés ne peuvent être prédites avec tant soit peu de certitude (c’est‑à‑dire dont la découverte des avantages particuliers exige des recherches empiriques). Ces composés ne feront pas l’objet d’une antériorité s’il y a eu divulgation de leur classe en termes généraux ou la simple énumération des noms des membres de cette classe. [Souligné dans l’original.]

[77]C’est à la lumière de ces principes qu’elle a examiné l’état de la technique.

[78]Les antériorités invoquées par Apotex, soit le brevet 687, ainsi que l’article de Schauzu et les articles de Chakrabarti de 1980, sont les mêmes que celles que fait valoir Novopharm dans la présente espèce.

[79]En résumé, le brevet 687 (le brevet canadien no 1978687, délivré à Lilly le 15 avril 1980 et nommant Chakrabarti et Tupper comme inventeurs) divulgue un grand nombre de composés de structure tricyclique censés être utiles relativement à l’activité du système nerveux central (le SNC). Cette structure est représentée au paragraphe 22 de l’exposé des motifs de la juge Gauthier. Comme celle‑ci le dit au paragraphe 256, Lilly ne contestait pas que la personne versée dans l’art pût produire de tels composés, y compris celui que vise expressément la revendication du brevet 113.

[80]La juge Gauthier explique au paragraphe 273 de son exposé des motifs que le composé désigné olanzapine, soit celui que revendique explicitement le brevet 113, fait partie d’une grande classe dite des composés les plus privilégiés qui est décrite dans le brevet 687 de manière générale en fonction de plusieurs critères, mais que ce dernier ne le divulgue pas expressément. Elle constate aux paragraphes 274 et 275 que l’olanzapine n’avait été réalisée par personne avant l’année seuil 1982. Au paragraphe 276, elle rejette l’argument d’Apotex suivant lequel les avantages particuliers supposés de l’olanzapine auraient pu être prédits et qu’une simple vérification les aurait révélés. Ayant constaté que seules des recherches empiriques auraient pu établir les effets secondaires de l’olanzapine, elle conclut au paragraphe 277 que le brevet 687 ne détruit pas la nouveauté des revendications du brevet 113.

[81]Ensuite, aux paragraphes 278 et suivants de son exposé des motifs, la juge Gauthier examine un article scientifique désigné « l’article de Schauzu ». Ce document examine certains composés antipsychotiques de structure tricyclique analogue à celle de l’olanzapine, à ceci près que, pour obtenir l’olanzapine, il aurait fallu ajouter un deuxième atome d’azote dans un de leurs cycles. Apotex soutenait que cet élément d’information avait en fait été divulgué, mis à part une erreur facile à découvrir. Lilly a fait valoir, se référant à une note de bas de page, que l’atome de fluor que comporte un autre des trois cycles de certains des composés antérieurs était en fait présent dans les composés qu’analysait Schauzu, mais avait été omis par erreur dans le diagramme. Donc, les deux parties affirmaient l’existence d’erreurs dans l’article de Schauzu.

[82]La juge Gauthier a conclu aux paragraphes 294 et 295 de son exposé des motifs que l’article de Schauzu ne détruisait pas la nouveauté de l’olanzapine.          

3) L’évidence

[83]Le deuxième motif sur lequel s’appuyait Apotex pour contester la validité du brevet 113 était l’évidence.

[84]Partant du principe souvent cité que le juge Hugessen a formulé à la page 294 de Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), la juge Gauthier récapitule le droit canadien relatif à l’évidence aux paragraphes 296 et suivants de son exposé des motifs.

[85]Aux paragraphes 301 à 304, elle expose l’état du droit sur la question particulière des brevets dits de

sélection :

L’invention n’est évidente que si la solution du problème est claire comme de l’eau de roche. Au Canada, le critère de l’évidence n’est pas la question de savoir si la solution « méritait un essai », mais plutôt si l’invention supposée aurait pu se faire sans réflexion, expérimentation ou recherche sérieuses; voir par exemple Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58 (Div. gén. Ont.), aux paragraphes 61 et 62.

Ainsi que le faisait remarquer la Cour suprême du Canada dans Farbwerke Hoechst, précité (citant une décision antérieure [à la page 944]) : « Le chercheur patient a droit aux mêmes avantages du monopole d’exploitation que celui qui fait une découverte par chance ou par inspiration soudaine. »

Comme il a été dit plus haut, la question de savoir si sont prévisibles les propriétés d’un composé sélectionné compris dans une classe que revendique le brevet d’origine est pertinent pour l’analyse de la nouveauté. Cependant, il ne fait aucun doute que l’inventivité du brevet de sélection réside dans les propriétés particulières qui doivent être énoncées dans la divulgation : Pfizer, [2007] 2 R.C.F. 137 (C.A.F.), précité.

Pour établir si un composé non encore réalisé a des propriétés imprévues, il faut répondre à la question de savoir si une simple vérification peut confirmer ces propriétés ou si, au contraire, il faut une recherche empirique.

[86]C’est à la lumière de ces principes (comme elle le dit au paragraphe 307) qu’elle a examiné les faits de l’instance dont elle était saisie.

[87]Elle résume les moyens d’Apotex concernant l’évidence aux paragraphes 308 et 309 de son exposé des

motifs :

Apotex soutient qu’il suffit à la Cour d’établir si la personne versée dans l’art cherchant un bon neuroleptique ou un antipsychotique atypique de remplacement serait directement et facilement arrivée à l’olanzapine. La Cour, explique‑t‑elle, n’a pas à être convaincue que les avantages que décrit le brevet 113 étaient eux aussi évidents, puisqu’ils sont simplement des propriétés inhérentes à l’olanzapine. En outre, selon elle, une simple vérification pouvait établir ces avantages, étant donné que tous les tests utilisés par Lilly étaient connus.

Apotex affirme que, quoi qu’il en soit, si un composé est évident pour une fin donnée, tout avantage supplémentaire qu’il s’avère présenter est une prime dénuée de pertinence : Hallen Co. v. Brabantia (U.K.) Ltd. [1991] R.P.C. 195; et Ivax Pharmaceutical (U.K.) Ltd. v. Chugai Seiyaku Kabushiki Kaisha [2006] EWHC 756 (Pat.), au paragraphe, no 65v). Enfin, fait‑elle valoir, même si la personne versée dans l’art avait le choix entre de nombreuses possibilités évidentes, toutes les voies qui se présentent sans exercice d’esprit inventif sont évidentes : Ivax, précité, au paragraphe 65, no i). [Note en fin de texte omise.]

[88]Après examen de la preuve, la juge Gauthier conclut aux paragraphes 314 à 316 et 350 et 351 que l’invention n’était pas évidente :

La Cour a examiné de très près la preuve des experts d’Apotex à la lumière des observations formulées par cette dernière dans son mémoire et du sommaire de son argumentation sur l’évidence utilisé à l’audience. La Cour ne peut en conclure non plus que la personne versée dans l’art serait directement et facilement arrivée à la solution que représente l’olanzapine.

Le nombre des experts cités par Apotex ne l’a guère aidée à cet égard. En fait, MM. McClelland, Castagnoli et Klibanov arrivent tous à l’olanzapine, mais par des voies quelque peu différentes, ce qui, à en juger intuitivement, semble aller à l’encontre du critère applicable, qui exige une solution claire comme de l’eau de roche.

Ces experts s’appuient tous sur l’état de la technique pour expliquer comment ils en sont arrivés à inclure l’olanzapine dans leur liste restreinte de candidats, ou de candidats de réserve, au développement d’un nouveau médicament. Mais la Cour a la nette impression qu’ils ont tous appliqué une sagesse rétrospective.

                                                                                                  [. . .]

La Cour conclut que la découverte des avantages particuliers de l’olanzapine exigeait une recherche empirique et constituait une activité inventive.

En outre, vu l’ensemble de la preuve, la Cour ne doute pas que le profil global d’effets secondaires décrit dans le brevet 113 témoigne d’un avantage substantiel du composé sélectionné par rapport aux autres membres de la classe faisant l’objet du brevet 687, ainsi qu’à d’autres agents antipsychotiques connus.

4) Le double brevet

[89]Le troisième motif invoqué par Apotex pour contester la validité du brevet 113 était le double brevet.

[90]La juge Gauthier récapitule la jurisprudence applicable aux paragraphes 359 à 362 de son exposé des motifs, où elle note que celle‑ci définit deux types de double brevet, soit le « brevet pour la même invention » et le « double brevet relatif à une évidence ». Elle fait observer au paragraphe 360 qu’Apotex avait au départ invoqué les deux types, mais n’avait fait valoir dans sa plaidoirie à l’audience que le double brevet relatif à une évidence. Elle conclut au paragraphe 363 que n’a pas été démontrée l’existence d’un double brevet relatif à une évidence :

Comme j’ai constaté à la suite de mon analyse des moyens d’Apotex que l’état de la technique citédans l’AA et invoqué dans les divers affidavits d’experts produits devant moi ne constitue pas une antériorité ni n’établit l’évidence de l’olanzapine et de ses avantages pour le traitement de la schizophrénie, la Cour conclut qu’il ne peut y avoir double brevet dans la présente espèce.

5) L’article 53

[91]Le dernier motif invoqué par Apotex pour attaquer la validité du brevet 113 était la nullité sous le régime de l’article 53 de la Loi sur les brevets. Le paragraphe (1) de cet article dispose ce qui suit :

53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il n’est nécessaire pour démontrer ce qu’ils sont censés démontrer, et si l’omission ou l’addition est volontairement faite pour induire en erreur.

[92]Selon cet article, les omissions ou les additions dont le mémoire descriptif est entaché doivent avoir été volontairement faites pour induire en erreur.

[93]La thèse d’Apotex à cet égard se fondait sur une étude canine dont il est fait état aux pages 5 et 6 du mémoire descriptif du brevet 113 [cité au paragraphe 34 de l’exposé des motifs de la juge Gauthier] :

[traduction] Dans des études de toxicité menées chez le chien avec un composé très analogue, le 2‑éthyl‑10‑(4‑méthyl‑ 1‑pipérazinyl)‑4H‑thiéno[2,3‑b]‑[1,5] benzodiazépine, à raison de 8 mg/kg, on a observé chez quatre des huit chiens une hausse significative du taux de cholestérol, alors qu’aucune hausse du taux de cholestérol n’a été notée avec le composé visé par l’invention.

[94]Il est fait mention aux pages 4, 4a et 5 du brevet 113 de tests expérimentaux relatifs à l’action durable de l’invention sur le SNC, ainsi que d’essais cliniques. Ces essais et tests, conjointement avec l’étude sur chiens, ont mené à la conclusion formulée comme suit à la page 6 du brevet [citée au paragraphe 37 de l’exposé des motifs de la juge Gauthier] :

[traduction] Globalement, dans des situations cliniques, le composé de l’invention est nettement supérieur aux antipsychotiques déjà connus et présente un meilleur profil d’effets secondaires. De plus, son activité est beaucoup plus forte. [Souligné par la juge Gauthier.]

[95]La juge Gauthier résume les moyens invoqués par Apotex à ce sujet aux paragraphes 365 et 366 de son exposé des motifs :

Apotex soutient que Lilly a délibérément omis d’informer l’examinateur d’antériorités pertinentes et qu’elle lui a communiqué, au sujet de l’étude comparative sur chiens (voir la ligne 25 de la page 5 du brevet 113), des renseignements qui induisent en erreur pour diverses raisons liées à la pertinence du modèle canin, à la qualité de l’étude et à sa signification statistique.

Apotex a pratiquement admis ne posséder aucun élément de preuve directe de l’intention qu’aurait eue Lilly d’induire le commissaire aux brevets en erreur, mais elle fait valoir qu’on peut déduire une telle intention de la preuve produite dans la présente espèce, qui établit selon elle que l’information en question induit en fait.

[96]Quant à la question de savoir si l’étude sur chiens était de nature à induire en erreur, la juge Gauthier y a répondu par la négative. Elle écrit ainsi aux paragraphes 377 et 378 :

Aucun élément de preuve ne tend à établir que Lilly savait, à l’époque pertinente, que le modèle canin ne convenait pas, que son étude était viciée ou que les résultats de celle‑ci étaient non significatifs.

En fait, la Cour accepte la preuve de MM. Szot et Bauer comme quoi le chien, animal résistant à la cholestérolémie, était un modèle reconnu à l’époque pour ce genre d’étude. Il est également à noter à ce propos que l’expert d’Apotex n’a pas déclaré qu’une autre espèce animale était plus reconnue ou convenait mieux comme modèle.

[97] Pour ce qui concerne la condition du propos délibéré que prévoit le paragraphe 53(1), la juge Gauthier a constaté que la preuve au dossier ne lui permettait de conclure ni directement ni par inférence qu’elle fût remplie. Elle écrit en effet au paragraphe 381 :

Comme nous le disions plus haut, il n’existe aucun élément de preuve directe que Lilly ait cherché à induire en erreur sciemment. Il est également évident que la Cour ne peut déduire du dossier de preuve produit par Apotex une intention de tromper. Comme il a aussi été dit plus haut, c’est là un élément essentiel pour établir la validité de l’allégation avancée par Apotex sous le régime de l’article 53. Par conséquent, la Cour n’est pas d’avis qu’Apotex se soit acquittée de son fardeau de présentation et que la présomption de validité soit réfutée.

6) La conclusion de l’instance Apotex

[98] La juge Gauthier a formulé au paragraphe 383 de son exposé des motifs la conclusion d’ensemble qu’aucune des allégations de l’AA d’Apotex n’était fondée et elle a prononcé l’ordonnance d’interdiction demandée.

Les questions à trancher dans la présente espèce

[99]Par conséquent, il m’incombe dans la présente espèce de trancher les questions suivantes à propos de chacun des arguments avancés par Novopharm à l’appui de la thèse de l’invalidité :

1. Cet argument est‑il nouveau et différent? (Dans l’affirmative, il sera examiné ab initio.)

2. Si l’argument en question a déjà été examiné par la juge Gauthier, suis‑je saisi dans la présente espèce de « meilleurs » éléments de preuve ou de moyens de droit « plus valables » que ceux que révèle son exposé des motifs, de telle sorte que je pourrais m’écarter de ses conclusions?

La validité du brevet 113

A) LA CHARGE DE LA PREUVE

[100]La question se pose souvent de savoir sur qui pèse la charge de la preuve, concernant en particulier la validité, dans les instances relatives à un AC. Le paragraphe 43(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42] de la version la plus récente de la Loi sur les brevets, comme le faisaient respectivement les articles 43 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16] ou 45 [mod., idem] de ses versions antérieures, établit une présomption de validité du brevet, sauf preuve contraire, dans les actions ordinaires relevant de cette Loi.

[101]Dans les instances relatives à un AC, il incombe au demandeur, c’est‑à‑dire à la première personne (comme Lilly en l’occurrence), de prouver qu’aucune des allégations de la seconde personne (le fabricant de génériques) n’est fondée. Cette catégorie comprend l’allégation d’invalidité. De nombreux innovateurs ont déployé de grands efforts pour convaincre la Cour que la présomption de validité qu’établit la Loi sur les brevets déplace le fardeau de la preuve dans les instances relatives à un AC, de telle sorte que le fabricant de génériques aurait à prouver l’invalidité en dépit de la charge pesant sur la première personne d’établir le caractère infondé des allégations d’invali-dité.

[102]La Cour d’appel fédérale a mis fin à ce débat par l’arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153, auquel je me suis référé plus haut. Qu’on me permette de me répéter partiellement en disant que si la seconde personne a produit devant la Cour tant soit peu d’éléments de preuve à l’appui de ses allégations d’invalidité, la charge pèse sur la première personne (c’est‑à‑dire le demandeur, soit Lilly en l’occurrence), suivant la norme habituelle au civil, de présenter à la Cour les moyens de preuve et de droit propres à la convaincre que ne sont pas fondées les allégations d’invalidité du brevet formulées par la seconde personne (c’est‑à‑dire le fabricant de généri-ques, soit Novopharm dans la présente espèce).

B) L’INTERPRÉTATION DU BREVET 113

[103]Dans une instance relative à un brevet, la première chose à faire est d’interpréter celui‑ci (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43). Cette règle s’applique non seulement aux revendications, mais aussi, s’il y a lieu, à l’ensemble du brevet (Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett‑Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la page 563; et Western Electric Co., Inc. et al. v. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la page 572).

[104]L’interprétation appartient au seul tribunal (Whirlpool et Burton Parsons). Le rôle de l’expert, s’il est besoin d’experts, se limite à aider le tribunal à se mettre à la place de la personne versée dans l’art à l’époque pertinente (Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275, au paragraphe 11). La Cour d’appel fédérale a expliqué dans les termes suivants la nature du rôle de l’expert au paragraphe 33 de l’arrêt Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751

 (C.A.) :

Il est reconnu en droit que le rôle d’interprétation d’une revendication de brevet appartient exclusivement au juge de première instance. Selon la stricte théorie du droit, les témoins experts, les personnes versées dans l’art, ont pour tâche de fournir au juge la connaissance technique nécessaire pour interpréter un brevet comme s’il était lui‑même une personne versée dans l’art. Lorsque les experts ne s’entendent pas, c’est au juge de première instance qu’il appartient de trancher de façon définitive. [Note en fin de texte omise.]

[105]La juge Gauthier n’a pas eu à traiter de manière approfondie la question de l’interprétation, car les parties se trouvaient dans une large mesure d’accord sur ce sujet, et quand elles ne l’étaient pas, elle a pu formuler ses conclusions sans tenir compte de leur désaccord.

[106]Les parties à la présente espèce s’entendent sur le fait que seules les revendications 1 à 16 inclusivement sont en litige, et que les revendications 3, 6 et 13, dont je reproduis ici le texte, peuvent être considérées comme représentatives de ces revendications en litige.

[traduction]

3. 2‑Méthyl‑10‑(4‑méthyl‑1‑pipérazinyl)‑4H‑thiéno‑[2,3‑b] [1,5] benzodiazépine.

                                                                                                 [. . .]

6. L’utilisation d’un composé conformément à la revendication 2 ou 3 en vue de la fabrication d’un médicament pour le traitement de la schizophrénie.

                                                                                                 [. . .]

13. Une composition pharmaceutique renfermant le composé décrit à la revendication 3 ainsi qu’un diluant ou un vecteur pharmaceutiquement acceptable de ce composé.

[107]Il n’est pas contesté que la formule chimique énoncée à la revendication 3 peut être remplacée par le terme « olanzapine », de sorte que les revendications peuvent être reformulées plus simplement comme suit :

3. Olanzapine

                                                                                                 [. . .]

6. L’utilisation de l’olanzapine en vue de la fabrication d’un médicament pour le traitement de la schizophrénie.

                                                                                                 [. . .]

13. Une composition pharmaceutique renfermant de l’olanzapine ainsi qu’un diluant ou un vecteur pharma-ceutiquement acceptable de celle‑ci.

[108]Il faut aussi interpréter le mémoire descriptif pour bien comprendre les arguments avancés relative-ment aux brevets dits « de sélection ».

[109]Le brevet 113 relève de la « nouvelle Loi », c’est‑à‑dire qu’il a été délivré à la suite d’une demande déposée au Canada après le 1er octobre 1989. Par conséquent, la date pertinente pour l’interprétation de ce brevet est la date de publication de la demande correspondante, soit le 26 octobre 1991.

[110]Le mémoire descriptif, qui débute à la page 1, mentionne que l’invention concerne des composés « nouveaux » utilisés comme produits pharmaceuti-ques :

[traduction] Cette invention concerne de nouveaux composés organiques et l’utilisation de ces composés comme produits pharmaceutiques.

[111]Le mémoire descriptif réduit le domaine d’intérêt aux troubles du SNC tels que la schizophrénie et indique que les médicaments disponibles pour le traitement des troubles de ce genre sont souvent associés à des « effets secondaires indésirables » :

[traduction] Il existe actuellement beaucoup de médicaments disponibles pour le traitement des troubles du système nerveux central. Parmi ceux‑ci figure une classe, les neuroleptiques, indiquée dans le traitement des troubles mentaux graves, telles la schizophrénie et les maladies schizophréniformes. Les médicaments offerts pour de tels troubles sont souvent associés à des effets secondaires indésirables, et il faudrait disposer de meilleurs produits pour maîtriser ou éliminer les symptômes d’une façon plus sûre et efficace. De plus, de nombreux patients ne répondent pas au traitement pharmaceutique actuel ou n’y répondent qu’en partie, et on estime que le pourcentage des personnes qui ne répondent  pas  ou répondent en partie se situe entre 40 % et 80 % des personnes traitées.

[112]Les parties reconnaissent qu’il existe deux types généraux connus depuis longtemps de neuroleptiques : les neuroleptiques typiques et les neuroleptiques atypiques. Les neuroleptiques typiques sont des médicaments qui causent ce qu’on appelle des effets secondaires extra‑pyramidaux (ESEP), soit, en langage profane, des tremblements involontaires de la tête et du corps. Les neuroleptiques atypiques, qui ne causent pas de tels effets secondaires, sont jugés préférables. Ces effets sont décrits à la page 1 du brevet :

[traduction] Depuis que les neuroleptiques ont été introduits sur le marché, on a observé que les patients étaient susceptibles de présenter des symptômes extra‑pyramidaux induits par ces médicaments, notamment le parkinsonisme médicamenteux, des réactions dystoniques aiguës, l’acathisie, des dyskinésies tardives et la dystonie tardive. L’échelle SAS (Simpson Angus Scale), l’échelle BARS (Barnes Akathisia Rating Scale) et l’échelle AIMS (Abnormal Involuntary Movement Scale) sont des échelles bien connues pour évaluer les symptômes extra‑pyramidaux. La grande majorité des médicaments disponibles pour le traitement de la schizophrénie peuvent provoquer ces effets secondaires extra‑pyramidaux lorsqu’ils sont utilisés à des doses qui atténuent les symptômes de la maladie. La gravité des effets indésirables et/ou l’inefficacité chez un nombre considérable de patients se soldent fréquemment par une observance faible du traitement ou par l’arrêt de celui‑ci.

[113]Dans le haut de la page 2 du brevet sont mentionnés d’autres effets secondaires indésirables, dont la sédation et la dépression. Dans le paragraphe suivant, il est fait mention de deux médicaments existants, l’halopéridol et la clozapine, qui entraînent des effets secondaires indésirables. L’halopéridol peut provoquer des tremblements involontaires. La clozapine peut entraîner une agranulocytose (diminution du nombre de globules blancs) :

[traduction] L’halopéridol, neuroleptique couramment utilisé, est l’un de ces médicaments pour lequel on a signalé une forte incidence de symptômes extra‑pyramidaux et qui pourrait aussi provoquer une dyskinésie tardive. Plus récemment, la clozapine, médicament qui fait partie d’un vaste groupe de neuroleptiques tricycliques, a été lancée sur le marché avec l’allégation selon laquelle elle n’entraînerait pas d’effets extra‑pyramidaux. Toutefois, il s’est avéré que chez certains patients, le composé entraînait une agranulocytose, soit une diminution du nombre de globules blancs qui peut mettre la vie en jeu, et il ne peut maintenant être employé que sous observation et supervision médicales très strictes.

[114]À la page 2, ligne 17, se trouve une analyse d’une antériorité, soit le brevet britannique no 1533235. Ce brevet est reconnu par les parties comme l’équivalent du brevet canadien 687, analysé par la juge Gauthier dans ses motifs et invoqué par Novopharm en l’espèce. Ainsi, le brevet 113 reconnaît que le brevet britannique (et le brevet canadien 687) constitue antériorité.

[115]À la page 2, ligne 17 du brevet 113, il est indiqué que l’antériorité vise un groupe de composés neuroleptiques qui peut être décrit, aux moyens des conventions de la chimie, comme une structure particulière dotée de trois cycles. Les lignes qui figurent à trois endroits du diagramme indiquent que d’autres éléments ou groupes d’éléments chimiques pourraient être placés à ces endroits. Lorsqu’un trait coupe une ligne d’un cycle en son milieu, cela signifie que le ou les substituants chimiques peuvent être placés à l’une des différentes positions convenables sur ce cycle. Selon le brevet 113 :

[traduction] Le brevet britannique 1533235 décrit un autre groupe de composés neuroleptiques. Parmi ces composés figurent les thiénobenzodiazépines qui possèdent la structure générale suivante.

Image

[116]Les parties conviennent que le nombre de composés qui pourrait être inclus dans cette formule générale pourrait se chiffrer à plusieurs billions. Cependant, le brevet 113 identifie l’un de ces composés, la flumézapine, comme une « tête de série » et précise que les essais cliniques ont été interrompus en raison d’une toxicité possible se manifestant sous forme de problèmes hépatiques. Des effets secondaires extra‑ pyramidaux ont aussi été notés :

[traduction] La tête de série de ce groupe, la flumézapine (7‑fluoro‑2‑méthyl‑10‑(4‑méthyl‑1‑pipérazinyl)‑4H‑thiéno‑ [2,3‑b][1,5]‑benzodiazépine), a été développée jusqu’à l’étape d’administration clinique à des patients de psychiatrie atteints de schizophrénie. Au total, 17 patients ont été traités par la flumézapine avant que l’essai clinique ne soit interrompu après consultation avec la Food and Drug Administration des États‑Unis, en raison de l’incidence trop forte des cas de hausse d’enzymes, la créatine phosphokinase (CPK), et les enzymes hépatiques SGOT (transaminase glutamique oxalo‑acétique sérique) et SGPT (transaminase glutamique pyruvique sérique) estimée grâce aux échantillons de sang prélevés chez les patients, échantillons dans lesquels les valeurs des enzymes dépassaient de beaucoup les valeurs normales, indiquant une possible toxicité. En ce qui concerne la hausse courante des enzymes hépatiques, la flumézapine est semblable à la chlorpromazine, neuroleptique utilisé depuis longtemps, mais dont l’innocuité a été remise en question.

Dans les essais cliniques de la flumézapine, deux des patients ont commencé à présenter des effets secondaires extra‑pyramidaux, mesurés d’après l’échelle AIMS susmentionnée.

[117]Par conséquent, pour ce qui est de « l’antério-rité», le brevet 113 nous enseigne que deux médicaments utilisés pour traiter des patients, l’halopéridol et la clozapine, entraînent des effets secondaires indésirables. En ce qui concerne un troisième médicament, la flumézapine, qui appartient à la classe décrite dans le brevet britannique de Lilly (brevet canadien 687), les essais cliniques ont été interrompus en raison d’effets secondaires indésirables.

[118]« L’invention » est décrite à la page 3 du brevet 113 comme un composé qui possède des propriétés « surprenantes et inattendues » comparativement à la flumézapine et à d’autres composés apparentés. On y indique ce qui suit :

[traduction] Nous avons découvert un composé qui possède des propriétés surprenantes et inattendues comparativement à la flumézapine et à d’autres composés apparentés.

Le composé de l’invention possède la formule suivante

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ou est un sel d’addition acide de ce composé. La base libre de la formule (I) est le 2‑méthyl‑10‑(4‑méthyl‑1‑pipérazinyl) ‑4H‑thiéno[2,3‑b]‑[1,5]benzodiazépine.

[119]Une déclaration concernant des « résultats surprenants et excellents » est faite à la page 4 du brevet. On y décrit le composé, dans des « tests expérimen-taux »  et  des  « essais  cliniques »,  comme offrant un « traitement relativement sûr et efficace » des troubles nerveux. On y affirme ce qui suit :

[traduction] Le composé de l’invention a donné des résultats surprenants et excellents, décrits plus en détail ci‑après, dans des tests expérimentaux visant à déterminer son action sur le système nerveux central et dans des essais cliniques, résultats qui témoignent de l’utilité du composé dans le traitement relativement sûr et efficace d’une vaste gamme de troubles du système nerveux central.

[120]Il est indiqué aux pages 4, 4a et 5 du brevet qu’une « forte activité » a été observée dans le traitement des troubles tels que la schizophrénie à des « doses étonnamment basses ». Un essai libre (non à l’insu) est mentionné de façon générale, et il est indiqué que dans ces « essais cliniques en cours », on a noté une « forte activité » aux doses les plus faibles, par exemple 2,5 à 5 mg par jour.

[traduction] Les résultats des tests pharmacologiques montrent que le composé de l’invention est un antagoniste de la dopamine au niveau des récepteurs D‑1 et D‑2 et qu’il possède de surcroît des propriétés antimuscariniques et anticholinergiques ainsi qu’une activité antagoniste au niveau des récepteurs 5 HT‑2. Il possède également une activité au niveau des récepteurs noradrénergiques. Ces propriétés indiquent que le composé est un neuroleptique potentiel possédant des propriétés relaxantes, anxiolytiques ou anti‑émétiques et est utile dans le traitement des troubles psychotiques tels que la schizophrénie, les maladies schizophréniformes et le délire aigu. À des doses plus faibles, le composé est indiqué dans le traitement de l’anxiété légère.

Comme il a déjà été mentionné, le composé de l’invention a présenté une forte activité lors de l’évaluation clinique de patients de psychiatrie atteints de schizophrénie, et cette forte activité a été observée à des doses étonnamment faibles. Les doses se sont révélées plus faibles que celles auxquelles on se serait attendu d’après les observations sur le composé faites lors des premiers essais sur des modèles animaux. Le profil d’activité du composé chez les patients correspond à celui d’agents neuroleptiques connus utilisés avec succès, une similitude évidente étant notée entre la performance du composé et celle d’agents neuroleptiques connus lors de l’évaluation par les principales échelles telles que l’échelle BPRS (Brief Psychiatric Rating Scale) (Schizophrenia Sub‑scale) et l’échelle CGI (Clinical Global Impression).

Dans le premier essai libre (non à l’insu) mené à terme du composé de l’invention chez des patients schizophréniques, six des huit patients ayant suivi le traitement pendant au moins 2 semaines ont vu leur état s’améliorer de 66 % à 87 % après 4 semaines, d’après l’évaluation par l’échelle BPRS, avec des doses quotidiennes variant de 5 à 30 mg. Les résultats préliminaires de trois autres essais cliniques en cours semblent confirmer cette forte efficacité aux doses les plus faibles utilisées durant le premier essai et à des doses encore plus faibles, par exemple 2,5 et 5 mg par jour.

[121]Aux pages 12 à 15, d’autres déclarations sont faites, basées sur des « modèles » et des « essais de liaison in vitro », suggérant que des doses de 0,05 à 30 mg par jour, et de préférence de 0,1 à 20 mg par jour, pourraient être utilisées selon le trouble à traiter, les cas les plus sérieux pouvant recevoir une dose de 2 à 15 mg; mais de préférence de 2,5 à 10 mg par jour. Les cas plus légers pourraient recevoir une dose de 0,1 à 5 mg, mais de préférence de 0,5 à 1 mg par jour.

[122]À la page 5, le brevet indique, en termes généraux seulement, que le composé n’a que de « légers » effets sur le foie, entraîne une hausse « plus faible » des taux de prolactine et ne provoque « aucune modification » du nombre de globules blancs. Cependant, aucune donnée n’est fournie à l’appui de ces affirmations :

[traduction] De plus, on a noté une faible incidence de cas de hausse légère et transitoire seulement des enzymes hépatiques chez des patients traités par des doses thérapeutiques, et les taux plasmatiques de créatine phosphokinase (CPK) sont plus bas qu’avec la flumézapine, ce qui indique que les effets indésirables sur le tissu musculaire sont plus légers. Par ailleurs, le composé de l’invention provoque une hausse des taux de prolactine plus faible que d’autres neuroleptiques actuellement utilisés, ce qui laisse croire à des perturbations moins importantes du cycle menstruel et à une diminution de la gynécomastie et de la galactorrhée. Aucune modification du nombre de globules blancs n’a été observée au cours des essais cliniques.

[123]Par la suite, on trouve à la page 5 et à la page 6 une brève analyse d’une étude chez le chien, qui a été amplement débattue en preuve et dans les plaidoiries. Le passage indique que dans une étude de toxicité chez le chien, l’olanzapine a été comparée à un autre composé qui, dans la preuve, est appelé l’éthylolanzapine ou, parfois, le composé 222. Il est indiqué dans le brevet que quatre des huit chiens ayant reçu le composé ’222 ont présenté une « hausse significative » du taux de cholestérol, alors que chez les chiens ayant reçu de l’olanzapine, aucune hausse n’a été observée :

[traduction] Au cours d’études de toxicité chez le chien menées avec un composé très analogue, le 2‑éthyl‑10‑ (4‑méthyl‑1‑pipérazinyl)‑4H‑thiéno[2,3‑b]‑[1,5] benzodiazépine, à une dose de 8 mg/kg, quatre des huit chiens ont présenté une « hausse significative » du taux de cholestérol, alors qu’avec le composé de l’invention, aucune hausse de ce taux n’a été observée.

[124]À la page 6 du brevet figure un résumé des avantages allégués de l’olanzapine :

[traduction] Donc, dans l’ensemble, dans des situations cliniques, le composé de l’invention a affiché une supériorité marquée et un meilleur profil d’effets secondaires que des agents neuroleptiques déjà connus, en plus d’avoir un degré d’activité très avantageux.

[125]Le reste de la partie descriptive du brevet n’est pas pertinent aux fins du litige devant la Cour. On peut y lire que l’olanzapine peut être utilisée sous forme de base libre ou sous forme de sel, et diverses formes de sel sont mentionnées. Des procédés de production de l’olanzapine sont décrits. Il n’y a aucune controverse à ce sujet; les parties conviennent qu’une personne versée dans l’art à tous les moments pertinents aurait pu fabriquer de l’olanzapine. Il est mentionné que l’olanzapine pourrait être administrée par divers moyens tels les capsules, les comprimés et l’injection.

[126]Par conséquent, aux fins d’interprétation des revendications du brevet, les revendications pertinentes ne visent que l’olanzapine ou son utilisation en vue de fabriquer un médicament pour traiter la schizophrénie, ou une composition pharmaceutique renfermant de l’olanzapine. Aucune propriété ni aucun avantage ne sont revendiqués dans les revendications. Cependant, la partie descriptive du brevet, particulièrement les pages 4 à 6, promettent au lecteur que dans des situations cliniques de traitement des troubles du SNC tels que la schizophrénie, l’olanzapine est nettement supérieure (à la flumézapine et à un ou plusieurs autres composés non nommés), a un meilleur profil d’effets secondaires que des agents neuroleptiques « déjà connus » (trois sont mentionnés dans le brevet, mais seuls l’halopéridol et la clozapine étaient connus; la flumézapine faisait l’objet d’essais cliniques et n’était donc pas connue du public) et a un degré d’activité très avantageux (comparative-ment à quelque chose qui, encore une fois, n’est pas défini). En bref, l’olanzapine est décrite comme meilleure, mais meilleure que quoi? Meilleure que la flumézapine seulement? Que les autres billions de composés du brevet britannique? Ou meilleure que quelques‑uns de ces composés seulement, et, le cas échéant, lesquels?

C) LE CARACTÈRE SUFFISANT DE L’EXPOSÉ ET LES BREVETS DE SÉLECTION

[127]Je passe directement à l’argument relatif à l’invalidité du brevet 113 qui n’a pas été invoqué devant la juge Gauthier, à savoir celui de l’insuffisance de l’exposé. Cet argument est avancé à la section 7 et au paragraphe 7.1 de l’AA de Novopharm.

[128]La question du caractère suffisant de l’exposé revêt une importance particulière lorsqu’il s’agit des brevets de sélection de la catégorie à laquelle appartient le brevet 113. Il faut examiner la jurisprudence générale relative au caractère suffisant de l’exposé à la lumière de deux conditions particulières auxquelles sont soumis les brevets de sélection : la caractéristique inventive de la sélection d’un composé ou d’un groupe de composés à partir d’un ensemble donné doit résider dans les attributs inattendus ou surprenants du composé ou du groupe sélectionnés, et cette caractéristique inventive doit être exposée clairement dans le mémoire descriptif.

[129]L’alinéa 27(3)b) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31] de la version postérieure à octobre 1996 de la Loi sur les brevets, prescrit au breveté d’exposer clairement dans le mémoire descriptif le mode de confection de la composition, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à la personne versée dans l’art de la confectionner ou de l’utiliser. Cet alinéa est libellé comme suit :

27. [. . .]

(3) Le mémoire descriptif doit :

                                                                                                 [. . .]

     b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé, et d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention.

[130]Cet article de la Loi sur les brevets a porté antérieurement les numéros 35 [Loi de 1935 sur les brevets, S.C. 1935, ch. 32] ou 36 [Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P‑4]. Deux arrêts‑clés de la Cour suprême du Canada examinent la condition du caractère suffisant du mémoire descriptif. Le premier est Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504. On trouve aux pages 517 et 518 de cet arrêt le passage suivant, souvent cité, que le juge Dickson [tel était alors son titre] a rédigé au nom de la Cour au sujet des exigences de description découlant de l’article qui portait alors le numéro 36 :

L’article 36 de la Loi sur les brevets est le pivot de tout le système des brevets. La description de l’invention qui y est faite est la raison pour laquelle l’inventeur obtient un monopole sur l’invention pour un certain nombre d’années. Comme le souligne Fox dans Canadian Patent Law and Practice (4e éd.), à la p. 163, l’octroi d’un brevet est une sorte de marché entre l’inventeur d’une part et Sa Majesté, agissant pour le public, d’autre part. L’octroi a deux considérations : [traduction] « la première, c’est qu’il doit y avoir une invention nouvelle et utile, la seconde, l’inventeur doit, en contrepartie de l’octroi du brevet, fournir au public une description adéquate de l’invention comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole. » La description dont parle Fox est celle qui est exigée par l’art. 36 de la Loi sur les brevets.

On ne peut dire que la rédaction de l’art. 36 est heureuse. Elle donne l’impression d’être un brassage d’idées glanées au hasard plutôt qu’un effort pour énoncer, de façon concise et précise, un ou des principes directeurs. C’est peut‑être explicable parce que l’article est le fruit de modifications successives au cours des années. Ce texte ne se prête tout simplement pas à une interprétation serrée et littérale. Il est et on doit le lire comme un énoncé du législateur, en termes généraux, de ce que le demandeur doit révéler à la face du monde avant d’être autorisé à obtenir la concession d’un monopole en vertu d’un brevet.

[131]C’est l’analyse que propose ensuite le juge Dickson de l’exposition de l’utilité dans le mémoire descriptif qui soulève des difficultés s’agissant de l’examen d’un brevet de sélection. Il explique aux pages 525 à 527 que, si l’invention doit posséder le caractère de l’utilité, le breveté n’est pas tenu de décrire dans l’exposé (aussi appelé « divulgation ») en quoi elle est nouvelle, ni d’y en vanter l’effet ou l’avantage. Il écrit aux pages 525 et 526 :

Avec tous égards, je suis d’avis que la Cour d’appel fédérale a aussi commis une erreur en jugeant que le par. 36(1) exige une indication distincte de l’utilité réelle de l’invention en cause. Il y a un exposé utile dans Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la p. 59 sur le sens de « inutile » en droit des brevets. Le terme signifie [traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ». On n’a pas prétendu que l’invention ne produirait pas les résultats promis. L’exposé dans Halsbury’s Laws of England (ibid.) poursuit :

     [traduction] [. . .] ce n’est pas l’utilité pratique de l’invention ni son utilité commerciale qui importe à moins que le mémoire descriptif ne laisse prévoir une utilité commerciale, il n’importe pas non plus que l’invention apporte un avantage réel au public ni qu’elle soit particulièrement adaptée au but visé. [Les notes en bas de page ont été omises.]

et il conclut :

     [traduction] [. . .] il y a suffisamment d’utilité pour justifier un brevet si l’invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile. [Les notes en bas de page ont été omises.]

Le droit canadien est au même effet. Dans l’arrêt Rodi & Wienenberger A.G. v. Metalliflex Limited ((1959), 19 Fox Pat. C. 49) (confirmé en cette Cour [1961] R.C.S. 117), la Cour d’appel du Québec a, à la p. 53, suivi la décision Unifloc Reagents, Ld. v. Newstead Colliery, Ld. ((1943), 60 R.P.C. 165), dont elle cite l’extrait suivant, à la p. 184 :

     [traduction] Si, quand on l’utilise conformément aux instructions données dans le mémoire descriptif, l’invention produit les résultats promis, elle est utile au sens où ce terme est employé dans le droit des brevets. La question à se demander est celle de savoir si l’on fait ou réalise ce que le mémoire descriptif dit de faire, on peut faire ou réaliser ce que le mémoire descriptif dit qu’on peut faire ou réaliser.

Même si (i) le par. 36(1) exige que l’inventeur indique et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu’il réclame comme son invention et si (ii) pour être brevetable une invention doit consister en quelque chose de nouveau et d’utile (art. 2) qui n’était pas connue ou utilisée par une autre personne avant que l’inventeur l’ait faite (al. 28(1)a)), je ne donne pas aux derniers mots du par. 36(1) une interprétation qui oblige l’inventeur à décrire, dans sa divulgation ou ses revendications, en quoi l’invention est nouvelle et de quelle manière elle est utile. Il doit dire ce qu’il revendique avoir inventé. Il n’est pas obligé de vanter l’effet ou l’avantage de sa découverte s’il décrit son invention de manière à le produire.

[132]Les brevets en litige dans Consolboard n’étaient pas des brevets de sélection, de sorte que la question du caractère suffisant de l’exposé ne s’y posait pas sous ce rapport.

[133]La question du caractère suffisant de l’exposé s’est de nouveau posée dans l’arrêt Pioneer Hi‑Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, où le juge Lamer [tel était alors son titre], au nom de la Cour suprême, a examiné le même article de la Loi sur les brevets [le paragraphe 36(1)]. Il traite la question du caractère suffisant de l’exposé aux pages 1636 et 1637 de l’exposé des motifs et résume son analyse aux pages 1637 et 1638, où il conclut qu’il faut divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention et définir la « nature de l’invention » :

En résumé, la Loi sur les brevets exige du demandeur qu’il présente un mémoire descriptif comprenant la divulgation et les revendications (Consolboard Inc., précité, à la p. 520). Les tribunaux canadiens ont eu l’occasion d’énoncer au cours des années le test qu’il faut appliquer pour savoir si la divulgation est complète. Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention. Afin d’être complète, celle‑ci doit remplir deux conditions : l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie (le président Thorson dans Minerals Separation North American Corp. v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, à la p. 316). Le demandeur doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu’ambiguë alors qu’un manquement à la seconde l’invaliderait parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation (le juge Pigeon dans Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett‑Parkard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la p. 563; Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, à la p. 1113), et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation, précité, à la p. 316).

[134]Il convient ensuite d’examiner les conditions de validité du brevet de sélection. La Cour d’appel fédérale a récemment récapitulé ces conditions aux paragraphes 16 à 19 de l’arrêt Sanofi‑Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 421. En termes simples, est valide le brevet de sélection qui revendique, dans un composé faisant partie d’une classe de composés antérieurement divulguée, un avantage qui n’a pas été antérieurement divulgué (ou, autrement dit, qui n’appartient pas à l’état de la technique). Les paragraphes en question sont ainsi libellés :

En toile de fond aux arguments qu’elle soumet en appel, l’appelante affirme que le juge Shore a considéré à tort que le brevet en cause était un brevet de sélection valide. Bien que le juge n’ait pas expressément employé l’expression « brevet de sélection », son analyse procède de la prémisse que le brevet 777 est un brevet de ce type. Un brevet de sélection valide, brièvement, est un brevet revendiquant un avantage que présente un composé qui appartient à une catégorie de composés faisant l’objet d’un brevet antérieur mais qui n’a pas été divulgué par ce brevet.

Dans l’arrêt récent Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214 (Pfizer c. Canada), notre Cour a appliqué les règles relatives aux brevets de sélection. Le juge Malone, rendant le jugement de la Cour, a exposé le fondement des décisions rendues en cette matière :

Il existe deux catégories générales de brevets de produit chimique : les « brevets d’origine », qui portent sur une invention source comportant la découverte d’une nouvelle réaction ou d’un nouveau composé, et les « brevets de sélection », qui supposent un choix entre des composés connexes procédant du composé original qui ont été décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine (voir In Matter of I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 283, p. 321, juge Maugham).

     Il y a peu de jurisprudence canadienne sur la question des brevets de sélection, mais la décision I.G. Farbenindustrie a bien défini les principaux éléments de ce type de brevets, et lord Diplock l’a citée en l’approuvant dans une affaire de la Chambre des lords où il a statué que [traduction] « l’étape inventive dans un brevet de sélection consiste en la découverte qu’un ou plusieurs éléments d’une catégorie de produits antérieurement connue offre certains avantages spéciaux à une fin particulière, lesquels n’auraient pu être prévus avant que cette découverte ne soit faite » (voir Beechman Group Ltd. c. Bristol Laboratories International S.A., [1978] R.P.C. 521, p. 579). Tous les éléments de la catégorie connue qui sont revendiqués doivent posséder les avantages spéciaux, lesquels doivent différer des avantages qu’une personne versée dans l’art se serait attendue à trouver dans un grand nombre d’éléments de la catégorie antérieurement divulguée (c.‑à‑d. une qualité d’une nature particulière) (voir I.G. Farbenindustrie, p. 323).

     Les brevets de sélection encouragent les chercheurs à continuer d’exercer leur génie inventif de façon à découvrir de nouveaux avantages à des composés appartenant à la catégorie connue. Ils peuvent être demandés pour une sélection opérée dans une catégorie comportant des milliers d’éléments ou n’en comportant que deux (voir, par exemple, I.G. Farbenindustrie, p. 323 et E.I. Dupont de Nemours & Co. (Witsiepse’s) Application, [1982] F.S.R. 303 (C.L.), p. 310).

Dans E.I. Dupont de Nemours & Co., lord Wilberforce a donné les indications suivantes concernant la question de savoir si une publication antérieure s’oppose à la brevetabilité d’une innovation connexe (p. 310‑311) :

[traduction]

     [. . .] la divulgation d’une invention n’équivaut pas à la publication antérieure d’une invention postérieure si la première invention ne fait qu’indiquer une direction pouvant mener à la seconde. Dans un passage maintes fois cité et très utile de l’arrêt General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 456, p. 486, de la Cour d’appel, le juge Sachs a écrit :

      « Aussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas. Il faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté. »

Les métaphores séduisantes peuvent certes être dangereuses pour qui recherche la précision, mais cet extrait n’en illustre pas moins que ce qu’on prétend être une divulgation antérieure doit indiquer clairement que l’utilisation des éléments pertinents (soit ceux qui seront finalement sélectionnés) donne un produit présentant les avantages prédits pour la catégorie de composés. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande a bien exprimé ce principe. Au sujet de la pénicilline semi‑synthétique, le juge Cooke a dit :

      Lorsqu’un tel composé n’a pas encore été fabriqué, il est souvent difficile de prédire ses propriétés avec un tant soit peu de confiance et, alors, il ne serait ni exact ni juste d’affirmer que l’invention revendiquée a été « publiée », même si un chimiste compétent pourrait se rendre compte de la possibilité d’obtenir le composé par des moyens courants. Il faut que le composé ait été réalisé et que ses propriétés aient été découvertes pour qu’il y ait invention pouvant donner lieu à publication. (Je souligne)

Cette conclusion va dans le sens de l’énoncé suivant du juge Maugham en lui ajoutant une précision utile :

      Naturellement, il faut se souvenir que les composés sélectionnés n’ont pas été faits auparavant, car alors le brevet ne satisferait pas à l’exigence de nouveauté (I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents, 1.c. p. 321).

Les brevets 875 et 777 se prêtent à l’analyse se rapportant aux brevets de sélection. Le brevet 875 porte sur une catégorie générale de composés utiles à l’inhibition de l’agrégation plaquettaire ainsi que sur un procédé de préparation de ces composés, tandis que le brevet 777 identifie l’isomère dextrogyre d’un racémate particulier, lequel racémate a été divulgué dans le brevet 875 mais n’a jamais été décomposé, et dont la décomposition produit un isomère présentant des propriétés spéciales.

[135] L’invention réside donc dans le fait d’avoir établi qu’un composé faisant partie d’une catégorie de composés antérieurement divulguée présente un avantage non divulgué antérieurement; le brevet qui revendique un tel avantage est valide si ce dernier ne pouvait être prédit « avec [. . .] tant soit peu de confiance » et si la personne versée dans l’art ne « se serait [pas] attendue à [le] trouver dans un grand nombre d’éléments de la catégorie antérieurement divulguée ». La Cour d’appel fédérale explique au paragraphe 31 de Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] 2 R.C.F. 137, que l’évitement d’un désavantage est assimilable à l’« avantage » en question :

Pour satisfaire à l’exigence d’utilité découlant du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4 (ancienne Loi), les éléments sélectionnés doivent présenter un avantage par rapport à la catégorie en général (voir Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) [Ltd.], [1981] 1 R.C.S. 504, aux pages 525 et 526). Ce dernier arrêt a donné une définition large de l’utilité nécessaire à la validité d’un brevet dont traite Halsbury’s Laws of England (3e éd.), vol. 29, à la page 59 :

[traduction] [. . .] il y a suffisamment d’utilité pour justifier un brevet si l’invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile.

Toutefois, il n’existe aucune exigence juridique particulière quant au type précis d’avantage nécessaire. Il est établi que le critère en matière d’avantage comprend l’évitement d’un désavantage, comme c’est le cas en l’espèce (voir I.G. Farbenindustrie, à la page 322).

[136] L’avantage, cependant, doit être exposé dans le mémoire descriptif. Le breveté ne peut se contenter de déclarer que le composé ou le groupe de composés sélectionné comporte des avantages. Il doit exposer clairement l’invention, c’est‑à‑dire les avantages précis de ce composé ou de ce groupe, ainsi que le faisait observer le juge Maugham aux pages 321 à 323 de l’arrêt In re I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 239 (Ch. D.), auquel la Cour d’appel fédéral se réfère dans Sanofi‑Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 421. On peut lire ce qui suit aux pages 322 et 323 de Farbenindustrie :

[traduction] Il est clair, par exemple, qu’une simple vérification n’est pas une invention; voir Sharpe & Dohme Inc. v. Boots Pure Drug Co. Ld., (1928) 45 R.P.C. 153. Lorsque le mode de fabrication est décrit dans le brevet d’origine, le brevet de sélection ne doit pas être la reproduction exacte de la description de ce procédé, accompagnée d’un exposé des propriétés des substances sélectionnées. Personne ne peut se faire délivrer un brevet pour avoir simplement établi les propriétés d’une substance connue.

                                                                                                 [. . .]

Je dois ajouter quelques mots au sujet de la rédaction du mémoire descriptif d’un tel brevet. Il devrait être évident, après ce que j’ai dit au sujet de l’essence de l’étape inventive, qu’il est nécessaire pour le breveté de définir en termes clairs la nature de la caractéristique que possède selon lui la sélection sur laquelle il revendique un monopole. Il n’a en réalité divulgué aucune invention s’il affirme simplement que le groupe sélectionné possède des avantages. Tout à fait indépendamment de la question dite du caractère suffisant de l’exposé, il doit divulguer une invention, ce qu’il ne fait pas, dans le cas d’une sélection de caractéristiques spéciales, s’il ne définit pas adéquatement ces caractéristiques. Les mises en garde formulées de façon répétée à la Chambre des lords en ce qui a trait à l’ambiguïté ont, je crois, un poids spécial dans le contexte des brevets de sélection. Natural Colour etc. Ld. v. Bioschemes Ld., (1915) 32 R.P.C. 256, à la p. 266; voir aussi British Ore etc. Ld. v. Minerals Separation Ld., (1910) 27 R.P.C. 33, à la p. 47.

[137]On peut résoudre la question de l’exposition exigée dans le mémoire descriptif, pour ce qui concerne les brevets de sélection par opposition aux brevets ordinaires, de la même façon que l’a fait la Chambre des lords dans Parks‑Cramer Co. v. Thornton & Sons Ltd., [1969] R.P.C. 112. Bien qu’ils n’eussent pas affaire à un brevet de sélection, les lords juges avaient à trancher la même question, à savoir : quel est le niveau d’exposition exigé dans un mémoire descriptif? Ils ont donné à cette question la réponse suivante : Dans le cas où la définition de l’invention dépend de la présence ou de l’absence d’un effet ou d’un avantage donné, celui‑ci doit être exposé clairement dans le mémoire descriptif. Lord Upjohn écrivait ce qui suit à la page 134 de cet arrêt :

[traduction] On a débattu devant Vos Seigneuries la question du contenu essentiel du mémoire descriptif. J’estime bien établi que, à condition que le mémoire descriptif expose de manière suffisamment détaillée l’invention et les moyens de la réaliser et que la revendication définisse de manière également détaillée la nature de l’invention, le breveté n’est pas tenu d’énoncer la théorie sur laquelle repose le fonctionnement de l’invention, qu’il peut même en fait exposer de manière erronée cette théorie ou la raison pour laquelle il croit que l’invention fonctionne et que, de manière générale, il n’a pas l’obligation d’énoncer les avantages de ladite invention. Cependant, je souscris entièrement aux observations suivantes formulées par lord Fletcher Moulton à la page 750 de Clay v. Allcock & Co. Ltd. (1906), 23 R.P.C. 745 :

« L’avocat du demandeur a invoqué le principe bien connu du droit des brevets selon lequel l’inventeur n’a pas à préciser l’effet ou les avantages de son invention s’il la décrit de manière qu’elle puisse être réalisée. Mais il n’en va pas ainsi dans le cas où la définition nécessaire dépend de la présence ou de l’absence d’un tel effet ou avantage. Il ne peut alléguer le fait que celui‑ci est une simple conséquence comme excuse pour ne pas l’avoir exposé, si son invention se trouve insuffisamment définie du fait de cette non‑exposition. »

Dans la présente espèce, il me paraît que le mémoire descriptif n’expose nulle part l’avantage obtenu, à savoir la possibilité d’enlever le tissu ouaté ou le duvet de toute l’étendue du sol en passant simplement l’aspirateur à intervalles rapprochés dans un sens et dans l’autre des allées.

[138] Lord Wilberforce a fait des remarques semblables à la page 139 de cet arrêt.

[139]On peut donc conclure ce qui suit de cet examen du droit relatif au caractère suffisant de l’exposé des brevets de sélection :

1. Peut faire l’objet d’un brevet de sélection valide l’invention qui réside dans la sélection d’un ou de plusieurs membres d’une classe antérieurement divulguée, à condition que le ou les membres sélectionnés possèdent un avantage particulier que la personne versée dans l’art n’aurait pu auparavant découvrir, ou dont elle n’aurait pu prédire la présence, dans un grand nombre des membres de cette classe.

2. La possibilité d’éviter un désavantage est assimilable à un avantage.

3. L’avantage doit être exposé clairement dans le mémoire descriptif. Il ne suffit pas de déclarer que le groupe sélectionné possède des avantages ou est exempt de désavantages; il faut exposer l’avantage en termes clairs, complets et suffisamment détaillés pour permettre à la personne versée dans l’art de se faire une idée précise de sa nature.

Les avantages sont‑ils suffisamment exposés dans le mémoire descriptif du brevet 113

[140] La question qu’il faut trancher dans la présente espèce concernant le caractère suffisant de l’exposé est celle de savoir si les « avantages » sont suffisamment exposés dans le mémoire descriptif du brevet 113.

[141] Il faut aborder cette question en établissant quels étaient les « avantages » en cause, c’est‑à‑dire quelles étaient les propriétés que n’aurait pu découvrir ou prédire la personne versée dans l’art, à la date pertinente, relativement à la classe de composés faisant l’objet du brevet’687 ou du brevet britannique correspondant. La date pertinente pour l’interprétation du brevet 113 est celle à laquelle il est devenu accessible au public aux fins de consultation, soit le 26 octobre 1991 : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, aux paragraphes 42 à 62.

[142]Le brevet 113 reconnaît explicitement l’antériorité du brevet britannique no 1255235. Une telle déclaration lie le breveté : Whirlpool Corporation et al., c. Camco Inc. et al., [1997] A.C.F. no 1086 (1re inst.) (QL), au paragraphe 150; conf. par [1999] A.C.F. no 84 (C.A.) (QL), et [2000] 2 R.C.S. 1067. Le brevet britannique est pour l’essentiel identique au brevet canadien687, auquel se réfère la juge Gauthier dans sa décision et que Novopharm invoque dans la présente instance.

[143]Selon la preuve présentée par les témoins, tel M. Szot, témoin pour Lilly, au paragraphe 27 de son affidavit, durant les années 1980, Lilly tentait de découvrir un composé qui serait aussi efficace que son composé existant, la clozapine, mais qui n’entraînerait pas les effets secondaires connus de ce composé, tels des effets extra‑pyramidaux et des troubles hépatiques, hématologiques et endocriniens. Plus particulièrement, la clozapine entraînait une agranulocytose, c’est‑à‑dire une diminution du nombre de globules blancs. Par conséquent, un groupe différent de composés faisait l’objet d’études, soit ceux divulgués dans le brevet britannique.

[144]Le brevet britannique (brevet canadien687) était décrit dans le brevet 113 comme divulguant un groupe de composés neuroleptiques. Le brevet britannique débute ainsi :

[traduction] L’invention concerne une nouvelle classe de composés ayant une action utile sur le système nerveux central (ci‑après décrit par l’abréviation, SNC) [. . .]

[145]Le brevet britannique décrit une formule générale à partir de laquelle peuvent être dérivés un grand nombre de composés possédant tous cette formule. Le brevet réduit la taille du groupe en décrivant le groupe privilégié et le groupe le plus privilégié. Les parties reconnaissent que si quelqu’un se donnait la peine d’écrire toutes les formules concevables, l’olanzapine serait l’une d’entre elles. Le groupe le plus vaste a été estimé à plusieurs billions de composés et le groupe le plus privilégié, à environ 150 000 composés. Les parties ont convenu que l’olanzapine faisait partie du groupe privilégié ainsi que du plus grand groupe défini, mais elles ne s’entendaient pas à savoir si elle faisait partie ou non du groupe le plus privilégié.

[146]Il est entendu que l’olanzapine n’est nulle part expressément divulguée dans le brevet britannique ou le brevet 687. Des composés structuralement similaires connus sous le nom d’éthylolanzapine, de flumézapine et d’éthylflumézapine sont divulgués. Pour donner une idée de la similitude structurale entre ces composés et la clozapine, je reproduis le tableau suivant fourni par Novapharm :

STRUCTURE CHIMIQUES

In the chart below and on the pages that follow: / Dans le tableau ci-dessous et dans les pages qui suivent

-     Methyl  /  Méthyle                                        =              Me            =              - CH3

-     Ethyl  /  Éthyle                                             =              Et             =              - CH2-CH3

-     Fluorine  /  Fluor                                          =              F

-     Chlorine  /  Chlore                                        =              CI

Name  /  Nom

Structure / Structure

Date Known (Source)  /

Date où le composé a été connu (source)

Clozapine / Clozapine

1960's

(first Press Affidavit

A.R. Vol 6, Tab 86,

paragraph 10) /

ann.es 1960

(awffidavit First Press,

D.A. vol. 6, onglet 86,

paragraphe 10

Ethyl flumezapine  /

Éthylflumézapine

as early as 1980

(687 Patent and counterparts /

dès 1980

(brever 687 et

équivalents)

Flumezapine / Flumézapine

as early as 1980

(687 Patent and counterparts /

dès 1980

(brever 687 et

équivalents)

Ethyl Olanzapine  / Éthylolanzapine

as early as 1980

(687 Patent and counterparts /

dès 1980

(brever 687 et

équivalents)

Olanzapine / Olanzapine

at issue / en litige

[147]À la page 10 du brevet britannique (et aux pages 21 et 22 du brevet canadien 687), il est indiqué que les composés visés par le brevet ont une action utile sur le SNC, y compris en ce qui concerne le traitement de la schizophrénie et de l’anxiété. Les composés sont décrits comme efficaces à un intervalle très large de doses, par exemple à des doses de 0,1 à 20 mg/kg par jour, mais de préférence de 0,1 à 10 mg/kg par jour. Cela correspondrait, pour la faible dose, à 5 mg/jour pour une personne de 50 kg (110 livres) et à 10 mg/jour pour une personne de 100 kg. Il est dit que les composés peuvent être administrés par voie orale ou par ingestion sous forme de compositions pharmaceutiques bien connues.

[148]À ce point, nous pouvons faire référence à la page 3 du brevet ′113, où il est écrit ce qui suit :

[traduction] Nous avons découvert un composé qui possède des propriétés surprenantes et inattendues comparativement à la flumézapine et à d’autres composés apparentés. [Non souligné dans l’original.]

[149]La flumézapine est l’un des composés expressément divulgués dans le brevet britannique et dans le brevet canadien 687; les « autres composés apparentés » sont probablement d’autres composés divulgués dans ces brevets. Soixante‑neuf composés sont expressément divulgués dans ces brevets.

[150]Lilly prétend que les « autres composés apparentés » seraient ceux divulgués plus particulière-ment par le Dr Chakrabarti (maintenant décédé), inventeur nommé dans le brevet britannique (le brevet canadien 687) et également un inventeur désigné dans le brevet 113, qui fait l’objet du litige en l’espèce. Il a rédigé deux articles en 1980, un en particulier qui est parfois désigné comme « Chakrabarti 1980 (a) », [«4‑Piperazinyl‑10H‑thieno [2,3‑b] [1,5] benzodiaze-pines as Potential Neuroleptics »] qui a été publié dans le Journal of Medical Chemistry [(1980), 23 J. Med. Chem. 878], et qui fournit des données détaillées sur les 76 composés appartenant à la classe de composés divulgués dans le brevet britannique, montrant que certains sont plus efficaces et moins toxiques que d’autres. L’olanzapine ne fait pas partie de ce groupe.

[151]En fait, les « autres composés apparentés » ne sont pas expressément définis dans le brevet 113. Tout ce qui est dit de l’invention concerne ses « propriétés surprenantes et inattendues » comparativement à ces autres composés et à la flumézapine.

[152]Aux pages 4, 4a et 5 du brevet 113, de plus amples détails sont censés être donnés. Il ne s’agit cependant que d’une simple rhétorique, car même dans le premier paragraphe complet de la page 5, seul paragraphe à présenter des données, les données sont peu nombreuses et ne renferment aucune comparaison, que ce soit avec la flumézapine ou avec un autre composé. Je reproduis ces passages :

[traduction] Le composé de l’invention a donné des résultats surprenants et excellents, décrits plus en détail ci‑après, dans des tests expérimentaux visant à déterminer son action sur le système nerveux central et dans des essais cliniques, résultats qui témoignent de l’utilité du composé dans le traitement relativement sûr et efficace d’une vaste gamme de troubles du système nerveux central.

Les résultats des tests pharmacologiques montrent que le composé de l’invention est un antagoniste de la dopamine au niveau des récepteurs D‑1 et D‑2 et qu’il possède de surcroît des propriétés antimuscariniques et anticholinergiques ainsi qu’une activité antagoniste au niveau des récepteurs noradrénergiques. Ces propriétés indiquent que le composé est un neuroleptique potentiel possédant des propriétés relaxantes, anxiolytiques ou anti‑émétiques et est utile dans le traitement des troubles psychotiques tels que la schizophrénie, les maladies schizophréniformes et le délire aigu. À des doses plus faibles, le composé est indiqué dans le traitement de l’anxiété légère.

Comme il a déjà été mentionné, le composé de l’invention a présenté une forte activité lors de l’évaluation clinique de patients de psychiatrie atteints de schizophrénie, et cette forte activité a été observée à des doses étonnamment faibles.

Les doses se sont révélées plus faibles que celles auxquelles on se serait attendu d’après les observations sur le composé faites lors des premiers essais sur des modèles animaux. Le profil d’activité du composé chez les patients correspond à celui d’agents neuroleptiques connus utilisés avec succès, une similitude évidente étant notée entre la performance du composé et celle d’agents neuroleptiques connus lors de l’évaluation par les principales échelles telles que l’échelle BPRS (Brief Psychiatric Rating Scale) (Schizophrenia Sub‑scale) et l’échelle CGI (Clinical Global Impression).

Dans le premier essai libre (non à l’insu) mené à terme du composé de l’invention chez des patients schizophréniques, six des huit patients ayant suivi le traitement pendant au moins 2 semaines ont vu leur état s’améliorer de 66 % à 87 % après 4 semaines, d’après l’évaluation par l’échelle BPRS, avec des doses quotidiennes variant de 5 à 30 mg. Les résultats préliminaires de trois autres essais cliniques en cours semblent confirmer cette forte efficacité aux doses les plus faibles utilisées durant le premier essai et à des doses encore plus faibles, par exemple 2,5 et 5 mg par jour.

[153]Ce qui est indiqué ici n’est pas très différent de ce qui figure dans le brevet britannique et dans le brevet canadien 687, soit que les troubles du SNC, y compris la schizophrénie et l’anxiété légère, peuvent être traitées et que des doses aussi faibles que 5 mg par jour pouvent être administrées.

[154]Pas une seule donnée comparative n’est fournie pour étayer la déclaration de l’invention à la page 3, selon  laquelle l’olanzapine possède des [traduction] « propriétés surprenantes et inattendues comparativement à la flumézapine et à d’autres composés apparentés » (non souligné dans l’original).

[155]À  la  page  5  du  brevet  113,  on  parle ensuite « d’avantages » associés aux effets secondaires moin-dres. Encore une fois, aucune donnée comparative n’est fournie,  le brevet ne faisant appel qu’à la rhétorique sous la  forme  d’adjectifs  tels  que « légère » et « plus faible » :

[traduction] De plus, on a noté une faible incidence de cas de hausse légère et transitoire seulement des enzymes hépatiques chez des patients traités par des doses thérapeutiques, et les taux plasmatiques de créatine phosphokinase (CPK) sont plus faibles qu’avec la flumézapine, ce qui indique que les effets indésirables sur le tissu musculaire sont moindres. Par ailleurs, le composé de l’invention provoque une hausse plus faible des taux de prolactine que d’autres neuroleptiques actuellement utilisés, ce qui laisse croire à des perturbations plus faibles du cycle menstruel et à une diminution de la gynécomastie et de la galactorrhée. Aucune modification du nombre de globules blancs n’a été observée dans les essais cliniques. [Non souligné dans l’original.]

[156]Le brevet 113 renferme aussi une analyse de l’étude chez le chien. Il s’agit des seules données comparatives que renferment le brevet. La comparaison n’est pas effectuée avec la flumézapine, mais avec l’éthylolanzapine, qui est probablement l’un des « autres composés apparentés » mentionnés à la page 3. L’étude chez le chien est présentée aux pages 5 et 6 :

[traduction] Au cours d’études de toxicité chez le chien menées avec un composé très analogue, le 2‑éthyl‑10‑ (4‑méthyl‑1‑pipérazinyl)‑4H‑thiéno[2,3‑b]‑[1,5] benzodiazépine, à une dose de 8 mg/kg, quatre des huit chiens ont présenté une hausse significative du taux de cholestérol, alors qu’avec le composé de l’invention, aucune hausse de ce taux n’a été observée.

[157]L’étude chez le chien a été amplement débattue en preuve et dans les plaidoiries. L’exactitude des éléments présentés n’est pas remise en question. La question soulevée est que Lilly a enregistré beaucoup d’autres données qui auraient dû être présentées et qu’une personne versée dans l’art qui aurait examiné toutes les données serait peut‑être arrivée à des conclu-sions différentes quant à l’efficacité de l’olanzapine, et ce, non seulement en ce qui concerne le cholestérol, mais aussi d’autres paramètres.

[158]Les données fournies sur l’étude chez le chien amènent à se demander pourquoi un élément de comparaison particulier, l’éthylolanzapine, a été choisi. D’autres composés auraient‑ils donné des résultats différents? On se demande en quoi consistaient les protocoles de l’étude et combien de chiens ont reçu de l’olanzapine, ces éléments, n’ayant pas été divulgués. Les experts ne s’entendent pas à savoir si de telles données peuvent être extrapolées ou non aux humains.

[159]Il semble que Lilly a remis à l’examinateur de brevets responsable du traitement de la demande du brevet 113 d’autres données concernant l’étude chez le chien, comme le montre l’affidavit de M. Murphy. Cependant, ce qui se passe au bureau des brevets, le « file wrapper », n’est pas admissible pour l’interpréta-tion d’un brevet (Free World Trust c. Electro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, aux paragraphes 62 à 67). Le litige en l’espèce concerne le caractère suffisant de la divulgation dans le brevet lui‑même, et non pas de la divulgation à un examinateur de brevet.

[160]La conclusion relative à l’invention dans le choix de l’olanzapine à partir d’un groupe connu est énoncée à la page 6 du brevet. On y fait mention d’une supériorité « marquée », d’un « meilleur » profil d’effets secondaires et d’une activité « très avantageuse ». Il s’agit encore une fois simplement de rhétorique.

[traduction] Donc, dans l’ensemble, dans des situations cliniques, le composé de l’invention a affiché une supériorité marquée et un meilleur profil d’effets secondaires que des agents neuroleptiques déjà connus, en plus d’avoir un degré d’activité très avantageux. [Non souligné dans l’original.]

[161]Il est possible que, au cours d’utilisations et d’études subséquentes, l’olanzapine ait présenté certaines de ces caractéristiques. Cependant, MM. Rosenheck et McEvoy, deux des auteurs d’une telle étude menée au début des années 2000, l’étude Catie, qui ont témoigné pour des parties adverses, ne s’entendaient pas sur le fait de savoir si, il y a trois ans à peine, il était possible ou non d’établir que l’olanzapine possédait une supériorité remarquable ou n’entraînait pas d’effets secondaires. Or, on ne doit pas s’appuyer sur des études récentes; il faut plutôt se demander si le brevet lui‑même divulgue suffisamment l’invention dans le mémoire descriptif. La confirmation après le fait ne ferait que mener aux abus contre lesquels a mis en garde le juge Binnie dans l’arrêt de la Cour suprême relatif à l’affaire Apotex Inc. c. Wellcome Foundation  Inc.,  [2002] 4 R.C.S. 153, au paragraphe 80 :

Si l’état du droit était différent, les grandes sociétés pharmaceutiques pourraient (sous réserve de considérations relatives aux coûts) adopter une approche tous azimuts en faisant breveter une multitude de composés chimiques à toutes sortes de fins souhaitables mais non réalisées, dans l’espoir que, comme à la loterie, un certain pourcentage des composés s’avéreront, par un heureux hasard, utiles aux fins revendiquées. Un tel système de brevets récompenserait la capacité de payer ainsi que l’ingéniosité des agents de brevets plutôt que celle des véritables inventeurs.

[162]J’estime que le brevet 113 ne divulgue pas assez d’éléments dans le mémoire descriptif quant à l’invention dans le choix de l’olanzapine à partir d’un groupe de composés déjà divulgués. Le brevet britannique antérieur indique que toute la classe de composés est utile dans le traitement des troubles du SNC. L’invention dans le choix de l’olanzapine consiste en les soi‑disantes propriétés « surprenantes et inattendues » de l’olanzapine « comparativement à la flumézapine et à d’autres composés apparentés ». Aucune comparaison de la sorte n’est faite dans le brevet 113. Aucune donnée n’est fournie. Tout ce qui nous reste, c’est de la rhétorique, par exemple, la mention d’une « forte efficacité » ainsi que d’effets secondaires « légers et transitoires » et « plus faibles ». La mention brève et déroutante d’une étude chez le chien ne concerne que l’éthylolanzapine et n’enseigne rien au sujet de la flumézapine et d’autres composés.

[163]J’accepte en tant qu’observations valables et rationnelles les réponses du Dr Leber, témoin expert de Novopharm, docteur en médecine qui a été pendant de nombreuses années directeur de la Division of Neuropharmalogical Drug Products de la Food and Drug Administration des États‑Unis, aux questions qui lui ont été posées durant le contre‑témoignage et qui figurent aux pages 75 et 76 de la transcription :

[traduction]

QPour clarifier les choses, vous dites que des essais cliniques randomisés auraient pu être menés pour comparer la toxicité de la flumézapine et de l’olanzapine administrées aux mêmes doses efficaces. Ensuite, vous dites que dans la mesure où le brevet 113 permet d’en juger, Lilly n’a mené aucun essai de ce type. Je cherche à clarifier les choses [. . .] pour pouvoir mener ces essais cliniques randomisés à des fins de comparaison directe, Lilly aurait dû obtenir que le blocage de la demande relative à la flumézapine soit levé?

RRevenons plutôt en arrière. Personne n’oblige quiconque à dire qu’un médicament est supérieur à un autre. Si vous revendiquez une supériorité, à mon avis, vous devez fournir des preuves qui permettent de tirer une telle conclusion de façon fiable et juste.

QD’accord.

RDonc, à mon sens, si vous ne pouvez pas fournir de preuves, cela ne veut pas dire que vous avez le droit de faire une affirmation, et cela parce que vous ne pouvez pas fournir de preuves.

[164]Étant donné qu’elle a déjà exercé monopole de brevet sur un groupe de composés comprenant l’olanzapine dont tous les membres sont déclarés utiles pour le traitement des troubles du SNC, Lilly ne s’est tout simplement pas acquittée de sa dette en exposant clairement et explicitement la nature de l’invention—si invention il y a—résidant dans les propriétés de la seule olanzapine, qui justifierait qu’on lui octroie un nouveau monopole sous la forme d’un brevet distinct.

[165]Je conclus que Lilly n’a pas prouvé le caractère infondé des allégations de Novopharm touchant l’insuffisance de l’exposé.

L’ARTICLE 53

[166]L’article 53 de la Loi sur les brevets, dispose que le brevet est nul si le breveté a donné dans son mémoire descriptif plus ou moins de renseignements qu’il n’est nécessaire, dans le but d’induire en erreur :

53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il n’est nécessaire pour démontrer ce qu’ils sont censés démontrer, et si l’omission ou l’addition est volontairement faite pour induire en erreur.

[167]L’analyse de la question du caractère suffisant de l’exposé que nous avons proposée plus haut visait à établir si le breveté avait mis dans le mémoire descriptif suffisamment d’éléments pour permettre à la personne versée dans l’art de bien comprendre la nature et le fonctionnement de l’invention. La présence ou l’absence d’un propos délibéré d’induire en erreur n’entre pas en ligne de compte dans l’examen de la question du caractère suffisant de l’exposé.

[168]L’article 53 exige que soit prouvé un élément subjectif, à savoir que le breveté avait l’intention d’induire en erreur. Novopharm soutient que Lilly avait une telle intention. Or Lilly conteste cette allégation. Par conséquent, Novopharm doit produire des éléments de preuve à l’appui de son affirmation. Si elle n’en produit pas ou si ceux qu’elle produit se révèlent insuffisants, son allégation n’est pas fondée, même si Lilly ne présente elle‑même aucun élément de preuve. Si Lilly et Novopharm produisent toutes deux des éléments de preuve, la Cour doit les évaluer et établir si les allégations de Novopharm sont « fondée[s] » selon la norme de preuve habituelle au civil.

[169]S’appuyant sur les paragraphes 18 et 19 de l’arrêt Eli Lilly and Co. c. Nu‑Pharm Inc., [1997] 1 C.F. 3 (C.A.), Novopharm soutient que lorsqu’une assertion repose sur des renseignements qui sont à la disposition particulière de l’une des parties, celle‑ci est tenue de la prouver si elle veut bénéficier d’une dérogation. Mais la question examinée dans Nu‑Pharm était celle de savoir si la partie qui formule une affirmation touchant sa propre conduite doit la prouver ou si elle peut se contenter d’invoquer les assertions de son AA. Or, dans la présente espèce, nous avons affaire aux affirmations de l’une des parties, soit Novopharm, concernant la conduite de l’autre partie, à savoir Lilly. Novopharm ne peut formuler des assertions sur la conduite de la partie adverse dans son AA, puis attendre tranquillement que cette dernière produise des éléments de preuve propres à les réfuter. La vieille maxime « Qui affirme doit prouver » reste applicable. Novopharm soutient que Lilly avait une intention déterminée. Elle doit donc soit présenter des éléments pour prouver ce fait, soit prendre des mesures pour obtenir de Lilly les éléments de preuve nécessaires en en demandant communication à cette dernière ou en priant la Cour de prononcer une ordonnance de production. Or Novopharm n’a pas demandé une telle ordonnance dans la présente espèce.

[170]Novopharm a produit la preuve de deux témoins sur ce sujet. L’un de ces témoins est le Dr Healy, psychiatre indépendant qui a fourni à l’occasion des services d’assistance socio‑psychologique à Lilly. Il y a environ dix ans, selon son contre‑interrogatoire, au cours de discussions avec des membres du service de commercialisation de Lilly, il avait posé sur l’histoire de l’olanzapine des questions auxquelles on n’avait pas répondu. Je n’estime pas cette preuve convaincante. Je reproduis ici un passage de la transcription de ce contre‑interrogatoire

 (questions 288 à 295) :

288Q.Et seriez‑vous d’accord avec moi pour dire que vous n’avez connaissance dans la présente affaire d’aucun élément de preuve—de preuve factuelle—tendant à établir la nature de la participation du service de commercialisation à cette décision, si participation il y a eu?

R.Eh bien, comme je vous l’ai déjà dit, lorsque, environ dix ans avant que je ne sois appelé à témoigner dans la présente affaire, je suis parti de manière désintéressée en quête de l’histoire de cette drogue, j’ai constaté que la compagnie était peu disposée à parler officiellement de la manière dont elle avait été réellement développée, réticence que je n’ai pas observée—que je ne crois pas avoir observée, en fait, relativement aux autres drogues sur l’histoire desquelles j’ai essayé d’enquêter.

289Q.Donc, Lilly a décidé de ne pas répondre à vos questions?

R. Il semblerait bien, en effet.

de 1995 ou à peu près, oui.

291Q.Y a‑t‑il à votre connaissance une raison quelconque pour laquelle le personnel de Lilly pourrait n’avoir pas voulu s’entretenir avec vous?

R.Eh bien, comme je vous l’ai donné à entendre, il se peut que l’une de ces raisons soit que Lilly ne voulait pas relater en détail l’histoire des origines de cette drogue ni qu’on l’examine de trop près.

292Q.Cela pourrait‑il être lié à certaines des choses que vous disiez au sujet du Prozac à cette époque?

R.Non, parce que je dois vous dire que l’agente des relations publiques pour le Prozac au Royaume‑Uni, lorsque j’ai fait sa connaissance à peu près au même moment – je dois rappeler qu’à cette époque j’était consultant pour la compagnie, je travaillais en assez étroite collaboration avec celle‑ci, je donnais des conférences à son personnel et j’y avais des tas d’amis. Quelques années plus tard, l’agente des  relations publiques pour le Prozac au Royaume‑Uni, lorsque j’ai fait sa connaissance, m’a dit : « Dr Healy, je suis si heureuse de faire votre connaissance. Vous faites plus que n’importe qui d’autre pour les ventes de Prozac au Royaume‑Uni. » Alors [. . .]

293Q.Elle parlait de la controverse que vous aviez suscitée sur le Prozac?

R.Cette controverse n’a en rien nui à la compagnie ni à ses ventes. Je continuais à rencontrer des membres du personnel de l’entreprise et à leur parler; nos relations étaient très, très cordiales.

294Q.Le personnel de cette compagnie est cordial?

R.Ce qui était nettement différent à ce propos, c’est qu’on n’était pas du tout disposé à parler de l’histoire de l’entreprise.

295Q.Et cela se passait en 1995 ou 1996?

R.Pour autant que je me souvienne.

[171]Novopharm  a  aussi  produit  un  affidavit  du Dr Leber, dont j’ai déjà parlé. Le Dr Leber conjecture que Lilly a probablement soumis le composé à de nombreux essais, dont le brevet ne fait mention d’aucun. Ce n’est là, en fin de compte, que pure supposition.

[172]Novopharm fait grand cas de ce qu’elle définit comme une insuffisance de preuve de la part de Lilly, peut‑être attribuable selon elle à la dissimulation. Or, comme nous l’avons vu plus haut, Lilly n’était pas tenue de produire d’éléments de preuve, et Novopharm n’a pas demandé l’aide de la Cour pour contraindre qui que ce soit à déposer ou à communiquer des documents. Lilly a pourtant produit la preuve d’un de ses anciens employés ayant récemment pris sa retraite, M. Pullar, qui, je l’estime établi, a participé activement à la gestion de plusieurs des services de recherche et des études liés à l’olanzapine. Le contre‑interrogatoire de M. Pullar par Novopharm n’était parfois guère autre chose qu’une tentative d’obtenir communication préalable de documents dont ce dernier ne disposait pas. Les instances telles que la présente sont des demandes et sont destinées à rester de nature sommaire. Qui veut obtenir communication préalable de pièces dispose d’autres moyens, par exemple l’action en jugement déclaratoire d’invalidité.

[173]Vu la preuve, j’estime établi que ne sont pas fondées les allégations avancées par Novopharm sous le régime de l’article 53 de la Loi sur les brevets, notamment son affirmation comme quoi Lilly aurait eu l’intention d’induire en erreur.

E) L’ANTÉRIORITÉ

[174]Novopharm avait allégué que la nouveauté des revendications en litige du brevet 113 se trouvait détruite par, notamment, le brevet canadien687 et l’article de Schauzu.

[175]J’estime ne pas avoir à donner d’analyse approfondie de cette allégation dans le présent exposé des motifs. Les moyens de preuve invoqués à cet égard sont ici les mêmes, sous tous les rapports importants, que ceux qu’a examinés la juge Gauthier dans son propre exposé des motifs. Les moyens de droit sont aussi les mêmes dans les deux instances.

[176]J’arrive aux mêmes conclusions que la juge Gauthier touchant la question de l’antériorité. Les allégations de Novopharm à ce sujet ne sont pas fondées.

F) L’ÉVIDENCE

[177]Novopharm a allégué que les revendications en litige du brevet 113 étaient évidentes, étant donné les connaissances générales courantes à la fin des années 1980, notamment celles qu’avaient apportées, parmi d’autres publications, le brevet canadien 687, l’article de Schauzu et les deux articles de Chakrabarti de 1980.

[178]La question n’est pas simplement de savoir si l’« olanzapine » était évidente au motif que, tôt ou tard, une personne étudiant les formules divulguées par le brevet 687 aurait établi la formule de ce composé ou l’aurait peut‑être réalisé. Il s’agit plutôt de savoir, du point de vue de l’évidence, si la personne versée dans l’art serait directement et facilement arrivée à la conclusion que, parmi les composés divulgués par le brevet’687 et d’autres antériorités pertinentes, l’olanzapine était celui qui possédait les propriétés particulières qu’expose le mémoire descriptif du brevet 113 dans les termes suivants (pages 3 à 6) :

[traduction]

[. . .] un composé qui possède des propriétés surprenantes et inattendues comparativement à la flumézapine et à d’autres composés apparentés

                                                                                                 [. . .]

[. . .] le  composé de  l’invention  a  affiché  une  supériorité marquée et un meilleur profil d’effets secondaires que des agents neuroleptiques déjà connus, en plus d’avoir un degré d’activité très avantageux.

[179]Contrairement à ce qui était le cas à propos de la question du caractère suffisant de l’exposé, nous n’avons pas à nous demander ici si le brevet expose suffisamment l’invention pour être valide. Aux fins de l’examen de la question de l’évidence, les déclarations ci‑dessus sont considérées comme vraies. Il s’agit plutôt de savoir si la personne versée dans l’art serait directement et facilement arrivée à la conclusion que c’était l’olanzapine qui possédait ces propriétés.

[180]Ici encore, je constate que Novopharm n’a pas produit d’éléments de preuve sensiblement différents de ceux qu’a examinés la juge Gauthier dans son exposé des motifs. De même, les moyens de Novopharm concernant l’évidence ne sont pas différents de ceux que la juge Gauthier a analysés dans ledit exposé. J’arrive à la même conclusion qu’elle : les allégations relatives à l’évidence ne sont pas fondées.

G) LE DOUBLE BREVET

[181]Novopharm soutient que les revendications en litige du brevet 113 sont invalides au motif que Lilly les avait déjà fait breveter dans le cadre du brevet 687.

[182]Comme la juge Gauthier le rappelle dans son exposé des motifs, la règle du double brevet est d’origine jurisprudentielle et peut être envisagée de deux points de vue. Selon le premier, on se demande si la « même invention » a été revendiquée. Selon le second, on se pose la question de savoir si les revendications du brevet en litige sont « évidentes » par rapport au brevet antérieur. L’avocat de Novopharm a déclaré n’invoquer que le double brevet relatif à l’« évidence ».

[183]L’argument du double brevet n’est utile que dans le cas où le brevet antérieur ne date pas d’assez longtemps pour qu’il soit possible de faire valoir les moyens classiques fondés sur l’antériorité et l’évidence. Il ne sert pas à grand‑chose d’invoquer le double brevet dans le cas contraire. Si le tribunal accueille les moyens classiques, il n’est pas nécessaire qu’il examine l’argument du double brevet. Si les moyens classiques sont rejetés, l’argument du double brevet le sera aussi.

[184]Dans la présente espèce, la Cour a rejeté les moyens fondés sur l’antériorité et l’évidence. Elle rejette donc aussi l’argument du double brevet.

[185]Comme la juge Gauthier, je conclus que ne sont pas fondées les allégations de double brevet formulées par Novopharm.

H) L’UTILITÉ

[186]Novopharm soutient que les revendications en litige du brevet 113 ne présentent pas le caractère de l’utilité et sont par conséquent invalides. On n’a pas invoqué ce moyen devant la juge Gauthier, de sorte que je peux l’examiner ici ab initio.

[187]Les parties s’entendent sur le fait que l’olanzapine se trouve sur le marché et est utilisée commercialement pour le traitement de troubles du système nerveux tels que la schizophrénie. Selon la preuve de M. Brogan, qui n’est pas sérieusement contredite, la version commerciale de ce médicament, le Zyprexa, jouit d’un notable succès de vente.

[188]L’allégation de Novopharm est que n’a pas été atteint le niveau d’utilité que prédit le mémoire descriptif, à la page 6 du brevet 113, pour ce qui concerne la supériorité [traduction] « marquée », le [traduction] « meilleur » profil d’effets secondaires et le niveau d’activité [traduction] « très avantageux ». Sur ce point, l’avocat de Lilly a invoqué les observations suivantes formulées par Fox à la page 150 de The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., Toronto : Carswell, 1969 :

[traduction]

L’utilité en tant que décrite : Le véritable critère de l’utilité d’une invention est le point de savoir si, une fois mise en pratique par une personne compétente, elle aura l’effet prévu et si elle sera en fait utile, au moment de la délivrance du brevet, aux fins indiquées par le breveté. « Si, quand on l’utilise conformément aux instructions du mémoire descriptif, elle produit les résultats promis, l’invention est utile au sens que revêt ce terme en droit des brevets. La question à se poser est celle de savoir si, lorsqu’on fait ce que le mémoire descriptif dit de faire, on peut obtenir ou réaliser ce que le mémoire descriptif dit qu’on peut obtenir ou réaliser. Ainsi que lord Maugham le faisait observer dans Mullard Radio Valve Co. Ltd. v. Philco Radio & Television Corpn. of Great Britain Ltd. et al. : « Il s’agit de l’utilité aux fins indiquées par le breveté, que cette utilité soit commerciale ou non. Il suffit que l’invention, mise en pratique par une personne compétente, permette d’obtenir les résultats prédits ou, comme on dit parfois, que “la machine marche”. » Le juge Simonds a exprimé la chose de manière encore plus succincte : « L’invention a une utilité réelle : elle fonctionne. » [Notes en bas de page omises.]

[189]On a produit des éléments de preuve, par exemple les témoignages des Drs Rosenheck et McEvoy, auteurs de la récente étude Catie, touchant le point de savoir si l’olanzapine est vraiment meilleure que les autres drogues actuellement vendues pour les mêmes usages et si elle cause un accroissement de la cholestérolémie et des gains pondéraux.

[190]Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette preuve, étant donné les conclusions relatives au caractère suffisant de l’exposé. Si le mémoire descriptif n’expose pas suffisamment la nature de l’invention et les résultats qu’elle est censée produire, il n’est pas possible d’établir en connaissance de cause si le niveau d’utilité prédit à l’égard de ces résultats peut être atteint.

CONCLUSION

[191]La Cour conclut que Lilly n’a pas démontré le caractère infondé des allégations d’insuffisance de l’exposé formulées par Novopharm et, pour ce motif, elle rejette la présente demande. Lilly a cependant prouvé le caractère infondé des allégations de Novopharm touchant l’antériorité, l’évidence, le double brevet et l’article 53. Il n’est pas nécessaire d’examiner les allégations relatives à l’utilité, étant donné la conclusion d’insuffisance de l’exposé.

[192]Les dépens seront adjugés à Novopharm. Les parties présenteront leurs conclusions touchant le montant des dépens ou, subsidiairement, les critères à appliquer à leur cotisation. Ces conclusions ne dépasseront pas cinq pages à interlignes et caractères normaux et devront être déposées dans les 10 jours suivant la date du présent jugement. Je n’accorderai à Novopharm que les dépens relatifs à cinq témoins experts, puisque la Cour n’a pas autorisé par ordonnance le recours à un plus grand nombre de tels témoins. Novopharm pourra choisir les témoins experts au titre desquels elle réclamera des dépens.

[193]Le ministre n’a pas participé à la présente instance, de sorte qu’aucuns dépens ne seront adjugés en sa faveur ni contre lui.

                                                                                         JUGEMENT

POUR CES MOTIFS,

LA COUR STATUE CE QUI SUIT :

1) La demande est rejetée.

2) Les dépens sont adjugés à Novopharm. Les parties présenteront leurs conclusions écrites sur la question des dépens, conformément aux instructions de l’exposé des motifs, dans les 10 jours suivant la date du présent jugement.

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