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[2017] 3 R.C.F. 56

IMM-18-16

2016 CF 1217

Nelly Penol Cedana (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Cedana c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Elliott—Toronto, 6 octobre; Ottawa, 2 novembre 2016.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Demande de contrôle judiciaire d’une mesure d’exclusion émise par la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu de l’art. 45d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés par laquelle la demanderesse a été déclarée interdite de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations, ce qui est contraire à l’art. 40(1)a) de la Loi — La demanderesse est arrivée au Canada dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants; elle a travaillé pour des parents de trois jeunes enfants pendant environ un an, mais elle a été plus tard congédiée — Elle a continué à habiter dans la maison et à s’occuper des enfants à temps partiel, tout en faisant de l’entretien ménager dans d’autres maisons — La demanderesse a pris des arrangements frauduleux avec les parents en ce qui a trait à ses revenus et en vue de recevoir des feuillets T4 — La demanderesse a omis ou dissimulé des faits importants dans sa demande de résidence permanente, mais elle a admis plus tard ces faux renseignements lors de l’entrevue — Il s’agissait de savoir si la mesure d’exclusion était déraisonnable sur le fond — L’avocat de la demanderesse a fait valoir que le concept d’intention coupable élaboré par la jurisprudence était une réponse à de fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi; que la demanderesse était une personne vulnérable envers laquelle les employeurs avaient une obligation fiduciaire — Cependant, la SI a abordé clairement et en profondeur la relation d’emploi, ses répercussions pour la demanderesse et la vulnérabilité de la demanderesse en l’espèce — La jurisprudence examinée appuie la conclusion de la SI — Les conclusions de la SI, soit que la demanderesse dissimulait des renseignements et que l’exploitation que les parents ont fait subir à la demanderesse n’étaient pas à l’origine des fausses déclarations de la demanderesse, étaient raisonnables — Les conclusions tirées par la SI ont été clairement décrites et étayées par des références aux éléments de preuve — Demande rejetée.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Citations à comparaître — La demanderesse contestait une mesure d’exclusion émise en vertu de l’art. 45d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés par laquelle elle a été déclarée interdite de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations, ce qui est contraire à l’art. 40(1)a) de la Loi — La demanderesse est arrivée au Canada dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants — Elle a été impliquée dans des arrangements illégaux et frauduleux avec ses employeurs — Lors de l’enquête, l’avocat de la demanderesse a cherché à délivrer une citation à comparaître pour obliger les anciens employeurs de la demanderesse à témoigner — Il s’agissait de savoir si l’audience de la SI était inéquitable sur le plan procédural puisque la SI a refusé de délivrer une citation à comparaître pour obliger les anciens employeurs de la demanderesse à témoigner — La règle 33(2) des Règles de la Section de l’immigration prévoit qu’en décidant de délivrer une citation à comparaître, la SI doit considérer les facteurs pertinents, dont deux sont mentionnés à la règle 33(2)a) (la nécessité du témoignage pour l’instruction approfondie de l’affaire) et à la règle 33(2)b) (la capacité de la personne de présenter ce témoignage) — Un examen de la preuve démontrait que la SI a tenu compte d’un certain nombre de facteurs pour rejeter la demande de citation à comparaître — La demanderesse n’a pas établi que l’audience à laquelle elle a eu droit devant la SI était de quelque façon que ce soit inéquitable sur le plan procédural ou qu’elle ait été compromise par le refus de la SI de délivrer une citation à comparaître à ses employeurs — De plus, les employeurs ne voulaient simplement pas témoigner — Par conséquent, la SI n’a pas commis d’erreur en refusant de délivrer une citation à comparaître aux employeurs; il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale — Les dispositions de la règle 33(2) des Règles ont été prises en compte et appliquées par la SI.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une mesure d’exclusion émise par la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu de l’alinéa 45d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés par laquelle la demanderesse a été déclarée interdite de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations, ce qui est contraire à l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

La demanderesse est arrivée au Canada en 2009 dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants. Après qu’une offre de placement initiale ne se soit pas concrétisée, elle a reçu un nouveau permis de travail pour travailler pour une enseignante et un avocat à titre d’aide familiale résidente pour leurs trois jeunes enfants. La demanderesse a été à l’emploi de la mère et du père (les parents) à ce titre pendant environ un an. La demanderesse a été plus tard congédiée; on lui a dit cependant qu’elle pouvait continuer à habiter dans la maison, mais qu’elle devrait se trouver un autre emploi d’aide résidente. La demanderesse a trouvé un nouvel emploi, mais elle avait des réserves quant à celui-ci. Par conséquent, des arrangements ont été pris avec le père des enfants pour qu’elle continue à habiter chez lui et à s’occuper des enfants à temps partiel, tout en travaillant ailleurs à temps partiel. La demanderesse a accepté l’idée et a pris des arrangements en vue de payer les parents pour l’hébergement et à la réception de ce montant, ils remettaient à la demanderesse un chèque libellé au même montant. Le père a affirmé à la demanderesse qu’il était encore son employeur et la demanderesse a commencé à faire de l’entretien ménager dans d’autres maisons. La demanderesse a reçu des feuillets T4 émis par la mère, laquelle a affirmé que les fonds recyclés étaient un revenu d’emploi versé à la demanderesse.

Lorsque la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente, elle a déclaré dans sa demande qu’elle avait travaillé à temps plein pour la mère et vivait de son salaire mensuel à titre d’aide familiale résidente. Elle n’a pas mentionné le travail d’entretien ménager à temps partiel. Les autorités de l’immigration ont reçu une lettre de dénonciation anonyme détaillée indiquant que la demanderesse travaillait pour plusieurs employeurs autres que son employeur légal. Lors de l’entrevue de l’immigration, la demanderesse a affirmé qu’elle a travaillé pour la mère à temps plein et la mère a confirmé cette fausse information. Lorsque les renseignements contenus dans la lettre de dénonciation ont été soulevés, la demanderesse a admis avoir effectué de l’entretien ménager à d’autres adresses et elle a confirmé qu’elle travaillait encore sans autorisation. Plus tard, l’agente a déclaré au défendeur que la demanderesse était inadmissible en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi pour avoir fait une présentation erronée en soumettant des renseignements frauduleux pour étayer sa demande de résidence permanente et en omettant des faits importants sur l’emploi occupé. Le rapport a ensuite été déféré à la SI en vue d’une enquête. À l’audience, la demanderesse a admis qu’elle avait omis ou dissimulé des faits importants, mais a affirmé que ces fausses déclarations étaient en fait attribuables à ses anciens employeurs. Elle a affirmé qu’elle croyait véritablement et raisonnablement que les renseignements qu’elle avait fournis aux autorités de l’immigration étaient exacts. L’avocat de la demanderesse a cherché à convaincre la SI de délivrer une citation à comparaître à plusieurs personnes, y compris les parents. Cependant, cette demande a été refusée même après avoir obtenu le réexamen de la question. Une mesure d’exclusion a été émise après que la demanderesse eut été déclarée interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations.

Il s’agissait de savoir si l’audience de la SI était inéquitable sur le plan procédural puisque la SI a refusé de délivrer une citation à comparaître pour obliger les anciens employeurs de la demanderesse (les parents) à témoigner et si la décision était déraisonnable sur le fond.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Le paragraphe 33(2) des Règles de la Section de l’immigration prévoit que, pour décider si elle délivre une citation à comparaître, la SI prend en considération tout élément pertinent, dont deux de ces facteurs sont mentionnés précisément dans les alinéas : la nécessité du témoignage pour l’instruction approfondie de l’affaire (alinéa 33(2)a) des Règles) et la capacité de la personne de présenter ce témoignage (alinéa 33(2)b)). Un examen de la preuve a démontré que la SI a tenu compte d’un certain nombre de facteurs pour rejeter la demande de citation à comparaître. La SI a conclu que la demanderesse pouvait fournir les faits, le contexte et les renseignements nécessaires pour étayer sa position sans qu’il soit nécessaire de faire témoigner les employeurs. Finalement, la SI a conclu que la demanderesse avait eu droit à une instruction approfondie de l’affaire, tel qu’il est prévu à l’alinéa 33(2)a) des Règles. La SI a pleinement examiné et accepté intégralement le témoignage de la demanderesse concernant sa relation d’emploi et l’entente prise à cet égard, et elle a également examiné la preuve documentaire. Il n’a pas été établi que l’audience à laquelle la demanderesse a eu droit devant la SI était de quelque façon que ce soit inéquitable sur le plan procédural ou qu’elle ait été compromise par le refus de délivrer une citation à comparaître à ses employeurs. Quant au facteur énoncé à l’alinéa 33(2)b), aucun élément de preuve ne démontrait que les employeurs n’étaient pas en mesure de témoigner pour l’une de ces raisons. Les employeurs ne voulaient simplement pas témoigner. La SI a tenu compte de l’argument de l’avocat selon lequel le témoignage des employeurs était indispensable dans cette affaire pour plusieurs raisons et a déterminé qu’elle serait prête à réexaminer la décision concernant la citation à comparaître si le témoignage des employeurs s’avérait pertinent. Après le témoignage de la demanderesse, la SI a confirmé qu’elle n’avait pas besoin d’entendre le témoignage des employeurs, et il n’y avait rien à reprocher à la SI dans sa façon de traiter ce facteur. Ce traitement était tout à fait équitable à l’égard de la demanderesse. En conclusion, la SI n’a pas commis d’erreur en refusant de délivrer une citation à comparaître aux employeurs et il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. Les dispositions du paragraphe 33(2) des Règles ont été prises en compte et appliquées par la SI.

Quant au bien-fondé de la décision, on a argumenté que la demanderesse était une personne vulnérable envers laquelle les employeurs avaient une obligation fiduciaire et que, par leur manquement à l’obligation fiduciaire, les employeurs ont été responsables des fausses déclarations dans sa demande de résidence permanente. L’avocat de la demanderesse s’est fondé sur la décision Baro c. Canada (Citoyenneté et Immigration) pour faire valoir que le concept d’intention coupable était une réponse à de fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi. Même si la SI n’a pas utilisé les mots « obligation fiduciaire », elle a abordé clairement et en profondeur la relation d’emploi et ses répercussions pour la demanderesse. La SI a également examiné de façon approfondie l’argument voulant que la demanderesse ait été une personne vulnérable dans sa relation d’emploi. La SI a déterminé que la demanderesse était complice et n’était pas aussi vulnérable qu’il a été soutenu, et qu’il y avait suffisamment de preuve pour soutenir cette conclusion. Le désir de la demanderesse de ne pas avoir à attendre un nouveau permis de travail a été le motif principal de ses actions et cet élément seul indiquait qu’un degré d’intention coupable sous-tendait ses fausses déclarations. La jurisprudence à cet égard confirme la conclusion de la SI. Les conclusions de la SI, soit que la demanderesse dissimulait des renseignements et que l’omission de la part des employeurs de rémunérer la demanderesse pour les heures supplémentaires travaillées et l’exploitation qu’ils lui ont fait subir ne sont pas à l’origine des fausses déclarations de la demanderesse, étaient raisonnables. Les conclusions tirées par la SI ont été clairement décrites et étayées par des références aux éléments de preuve. La décision selon laquelle la demanderesse a fait de fausses déclarations et dissimulé des faits importants qui auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 40, 44(1),(2), 45d).

Règles de la Section de l`immigration, DORS/2002-229, règle 33(1),(2).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Goburdhun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160; Société Canadian Tire Limitée c. Koolatron Corporation, 2016 CAF 2; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504; Baro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299.

DÉCISIONS CITÉES :

Ré :Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, [2015] 2 R.C.F 170; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Majlat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 965.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une mesure d’exclusion (2015 CanLII 97792) émise par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu de l’alinéa 45d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés par laquelle la demanderesse a été déclarée interdite de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations, ce qui est contraire à l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Mark Rosenblatt pour la demanderesse.

Hillary Adams pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Mark Rosenblatt, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

La juge Elliott :

I.          APERÇU

[1]        La demanderesse, Nelly Cedana (Nelly), est arrivée au Canada le 4 mars 2009, dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants. Après qu’une offre de placement initiale ne se soit pas concrétisée, elle a reçu un nouveau permis de travail le 17 juin 2009 pour travailler pour une enseignante (Shirel) et un avocat (David). Nelly est devenue bonne d’enfants et aide familiale résidente pour leurs trois jeunes enfants. Nelly a été à l’emploi de Shirel et de David à ce titre pendant environ un an. En septembre 2010, alors qu’elle était malade, Nelly est allée habiter chez un ami pendant la fin de semaine et le lundi suivant. Lorsqu’elle est revenue travailler le mardi après-midi, elle a été avisée qu’elle était congédiée. On lui a dit qu’elle pouvait continuer à habiter dans la maison, mais qu’elle devrait se trouver un autre emploi d’aide résidente.

[2]        Trois semaines plus tard, Nelly a trouvé un emploi d’aide résidente. Elle avait toutefois des réserves quant à la salle de bain qu’elle devait partager chez son nouvel employeur. Elle en a fait part à David lorsque celui-ci s’est enquis au sujet de son nouvel emploi. David a ensuite suggéré une solution de rechange à Nelly : elle pourrait continuer à habiter chez lui et à s’occuper des enfants à temps partiel, tout en travaillant ailleurs à temps partiel. Nelly a donc accepté de continuer à habiter chez Shirel et David. Sur le plan financier, Nelly a accepté de verser à David et Shirel un montant de 500 $ en argent comptant, deux fois par mois. À la réception de ce montant, ils remettaient immédiatement à Nelly un chèque libellé au même montant. David a affirmé à Nelly qu’il était encore son employeur. Nelly a commencé à faire de l’entretien ménager dans d’autres maisons et a utilisé l’argent gagné pour payer David et Shirel. Shirel a émis des feuillets T4 pour Nelly, affirmant que les fonds recyclés étaient un revenu d’emploi versé à Nelly.

[3]        En juillet 2011, Nelly a présenté une demande de résidence permanente. Elle a déclaré dans sa demande que, de juin 2009 à juillet 2011, elle travaillait à temps plein pour Shirel et vivait de son salaire mensuel à titre d’aide familiale résidente. Elle n’a pas mentionné le travail d’entretien ménager hebdomadaire à temps partiel. En novembre 2011, les autorités de l’immigration ont reçu une lettre de dénonciation anonyme détaillée indiquant que Nelly travaillait pour plusieurs employeurs autres que son employeur légal.

[4]        Le 21 février 2013, Nelly s’est présentée à une entrevue avec une agente de l’immigration concernant sa demande de résidence permanente. Lors de l’entrevue, Nelly a affirmé qu’elle a travaillé pour Shirel du 17 juin 2009 au 15 octobre 2012, à raison de huit heures par jour, cinq jours par semaine, et qu’elle recevait un salaire aux deux semaines. À titre de preuve, elle a présenté ses relevés bancaires. Elle a également présenté une lettre d’emploi, des relevés T4 pour les années d’imposition 2011 et 2012 et un relevé d’emploi, qui lui ont tous été transmis par Shirel. Avant sa rencontre avec Nelly, l’agente de l’immigration a eu un entretien téléphonique avec Shirel, qui lui a confirmé que Nelly a travaillé pour elle à temps plein jusqu’au 15 octobre 2012 et qu’elle n’a occupé aucun autre emploi pendant cette période. Les documents d’emploi indiquaient que Nelly a travaillé pour Shirel à temps plein à titre d’aide familiale résidente et a reçu au total 18 903,96 $ en 2011 et 14 824,81 $ en 2012. Ces faits sont faux. Nelly a travaillé environ 20 heures par semaine pour Shirel et David; elle a travaillé environ 25 heures par semaine à faire de l’entretien ménager pour d’autres personnes, qui la payaient directement en argent comptant.

[5]        Lors de l’entrevue, Nelly a d’abord confirmé qu’elle travaillait à temps plein pour Shirel à titre d’aide familiale. Lorsque l’agente lui a mentionné les renseignements contenus dans la lettre de dénonciation, Nelly a admis avoir effectué de l’entretien ménager à d’autres adresses. Elle a confirmé qu’elle travaillait encore sans autorisation. Elle s’est excusée d’avoir menti et a admis que les documents soumis contenaient des renseignements frauduleux. Elle a conclu l’entrevue en affirmant qu’elle avait fait des [traduction] « choses inacceptables » et qu’elle savait que [traduction] « c’est très grave ». La demande de résidence permanente a été rejetée le 22 février 2013. Nelly a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision, mais cette demande a été refusée le 18 mars 2014.

[6]        Le 12 avril 2013, l’agente a déclaré au ministre, aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), que Nelly était inadmissible en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour avoir « directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi » en soumettant des renseignements frauduleux pour étayer sa demande de résidence permanente et en omettant des faits importants sur l’emploi occupé. Le 15 avril 2013, le délégué du ministre a déféré le rapport conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR à la Section de l’immigration (la SI ou la Section) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en vue d’une enquête.

[7]        L’audience de la SI s’est déroulée à sept dates différentes au cours de l’année 2015. Nelly n’a pas nié qu’elle avait omis ou dissimulé des faits importants, mais a affirmé que ces fausses déclarations étaient en fait attribuables à ses anciens employeurs. Elle affirme qu’elle croyait véritablement et raisonnablement que les renseignements qu’elle avait fournis à Citoyenneté et Immigration Canada étaient exacts. Son avocat a fait valoir que Nelly vivait une situation exceptionnelle. Elle était une personne vulnérable victime de ses employeurs, qui ont profité d’elle.

[8]        Le 14 décembre 2015, la SI a conclu que Nelly était interdite de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations, ce qui est contraire à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Une mesure d’exclusion [Cedana c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CanLII 97792 (C.I.S.R.)] (la décision) a été prise en vertu de l’alinéa 45d) de la LIPR. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision a été déposée par Nelly le 4 janvier 2016. L’autorisation a été accordée le 8 juillet 2016.

II.         QUESTIONS EN LITIGE ET NORME DE CONTRÔLE

[9]        La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions. La première est que l’audience de la SI était inéquitable sur le plan procédural puisque la SI a refusé de délivrer une citation à comparaître pour obliger les anciens employeurs de Nelly à témoigner. L’autre question vise à savoir si la décision était déraisonnable sur le fond.

A.        Refus de délivrer une citation à comparaître aux employeurs

[10]      La SI a refusé de délivrer une citation à comparaître à Shirel et à David. L’avocat de Nelly affirme que cela était inéquitable sur le plan procédural. Il n’a pas abordé la question de la norme de contrôle. L’avocat du ministre cite Ré :Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, [2015] 2 R.C.F 170, aux paragraphes 34 et 42, pour faire valoir que la norme de contrôle applicable est la norme de décision correcte, mais que l’importance des décisions procédurales prises par un tribunal doit être établie selon la manière dont le tribunal a cherché à établir un équilibre entre, d’une part, la participation maximale et, d’autre part, l’efficacité et l’efficience du processus décisionnel.

[11]      Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502 (Khela), au paragraphe 79. Toutefois, comme le juge Stratas l’a souligné dans la décision Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, aux paragraphes 67 à 71, la Cour suprême, dans l’arrêt Khela, a également déclaré qu’« il fallait faire preuve d’une certaine déférence envers le décideur administratif par rapport à certains éléments de la décision touchant à la procédure ». Le juge Stratas a conclu que les lois dans ce domaine donnaient lieu à « une jurisprudence confuse ». Dans l’arrêt Société Canadian Tire Limitée c. Koolatron Corporation, 2016 CAF 2, le juge Near différencie les questions d’équité procédurale des autres questions de procédure. Au paragraphe 14, il y va de l’affirmation suivante : « [s]i je conviens que les questions relatives à l’équité procédurale appellent généralement une grande retenue, je ne suis pas prêt à dire la même chose des cas de manquement à l’équité procédurale ».

[12]      Les facteurs sous-jacents pris en compte pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale sont la notion que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et au contexte légal, institutionnel et social de la décision. Les personnes visées par la décision doivent avoir la possibilité de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22.

[13]      En l’espèce, les dispositions législatives du paragraphe 33(2) des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229 (les Règles de la SI), prévoient des facteurs particuliers que la SI doit prendre en compte au moment de délivrer une citation à comparaître. Les paragraphes 33(1) et (2) portent sur l’obtention d’une citation à comparaître :

Citation à comparaître

33 (1) La partie qui veut que la Section ordonne à une personne de témoigner à l’audience lui demande soit oralement lors d’une procédure, soit par écrit, de délivrer une citation à comparaître.

Éléments à considérer

(2) Pour décider si elle délivre une citation à comparaître, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

a) la nécessité du témoignage pour l’instruction approfondie de l’affaire;

b) la capacité de la personne de présenter ce témoignage.

[14]      Que la norme de contrôle soit la norme de la décision correcte ou la norme de la décision correcte tout en accordant une certaine déférence, l’obligation d’équité dans chaque cas dépendra des circonstances particulières de l’affaire. Le contexte législatif et administratif est essentiel pour déterminer le contenu de l’obligation. Les Règles de la SI assurent un certain pouvoir discrétionnaire à la SI au moment de déterminer si une citation à comparaître doit être délivrée. Cela suggère un degré de déférence. Toutefois, au bout du compte, l’obligation simple et prépondérante est l’équité, la notion centrale « d’exercice équitable du pouvoir », qui ne saurait être diluée ou occultée par des énumérations judiciaires utiles, mais non exhaustives : Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, aux paragraphes 40 à 42.

B.        Bien-fondé de l’affaire

[15]      Nelly allègue que la SI a commis des erreurs susceptibles de révision dans : 1) le traitement d’un rapport psychologique; 2) le traitement des arguments de Nelly sur la vulnérabilité des aides familiaux résidents; et 3) sa défense fondée sur l’obligation fiduciaire des employeurs à l’égard de Nelly. Chacun de ces arguments soulève des questions mixtes de fait et de droit. Ils sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47.

[16]      Selon la norme de la décision raisonnable, la question n’est ni celle de savoir si la cour de justice serait arrivée à la même conclusion que le tribunal administratif, ni celle de savoir si la conclusion que le tribunal administratif a tirée est correcte. Le caractère raisonnable concerne la retenue à l’égard des décisions rendues par le tribunal, particulièrement lorsqu’il tranche une question portant sur l’expertise d’un tribunal particulier. Cela signifie que le tribunal doit jouir d’une certaine latitude pour rendre ses décisions et que ses décisions doivent être confirmées lorsqu’elles sont compréhensibles et rationnelles et qu’elles correspondent à l’une des issues possibles que l’on pourrait légitimement envisager au regard des faits et du droit applicables : Majlat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 965, aux paragraphes 24 et 25; Dunsmuir, au paragraphe 47.

III.        REFUS DE DÉLIVRER UNE CITATION À COMPARAÎTRE

A.        Thèses des parties

[17]      Un examen du dossier du tribunal et de la transcription de l’audience indique que de nombreux arguments écrits ont été soumis par l’avocat de Nelly pour convaincre la SI de délivrer une citation à comparaître à plusieurs personnes, dont Shirel et David. Après le rejet initial de la demande de citation à comparaître par la SI, l’avocat de Nelly a demandé un réexamen de la question, qu’il a obtenu. Après d’autres plaidoiries, les citations à comparaître ont été une fois de plus refusées. Dans la présente demande, l’avocat allègue que la décision de ne pas citer les employeurs à comparaître constituait une erreur et était inéquitable sur le plan procédural pour Nelly.

[18]      L’avocat de Nelly a fait valoir devant la SI que le témoignage des employeurs était nécessaire, puisque des facteurs disculpants et atténuants ressortiraient d’un contre-interrogatoire vigoureux. Il fait valoir que, puisque les employeurs ont retenu les services d’un avocat, ils doivent avoir quelque chose à cacher, et qu’après avoir entendu leur témoignage, la SI verrait sûrement la situation sous un autre angle. L’avocat désire également que les employeurs témoignent puisqu’ils ont préparé les documents que le ministre considère comme frauduleux. L’avocat estime que le témoignage des employeurs démontrerait clairement à la SI que ceux-ci sont responsables de l’entente prise et des documents.

[19]      Le ministre fait valoir que la SI a dûment pris en considération la nécessité du témoignage et a déterminé que Nelly était capable de fournir elle-même les renseignements requis sans que la SI ait besoin d’entendre les employeurs.

B.        Analyse

[20]      Le paragraphe 33(2) des Règles de la SI prévoit que, pour décider si elle délivre une citation à comparaître, la Section prend en considération tout élément pertinent. Deux de ces facteurs sont mentionnés précisément dans les alinéas : a) la nécessité du témoignage pour l’instruction approfondie de l’affaire; et b) la capacité de la personne de présenter ce témoignage. Chaque alinéa sera examiné à tour de rôle.

1)         Alinéa 33(2)a) — la nécessité du témoignage pour l’instruction approfondie de l’affaire

[21]      L’avocat de Nelly a fait valoir dans la présente demande, comme il l’a fait auparavant devant la SI, que le témoignage des employeurs était nécessaire pour brosser un tableau complet. Il a affirmé que la SI n’avait aucune raison valide pour rejeter la demande. Cette affirmation n’est pas corroborée. Un examen de la transcription démontre que la SI a tenu compte des facteurs suivants pour rejeter la demande de citation à comparaître :

1.         la demanderesse subira de graves conséquences;

2.         la question centrale porte sur une fausse déclaration et la jurisprudence en la matière guidera la décision;

3.         au moment de déterminer si le témoignage des employeurs était nécessaire, la SI a conclu qu’elle disposerait du témoignage de la demanderesse et des arguments de l’avocat pour assurer une instruction approfondie de l’affaire;

4.         le contexte serait fourni par le témoignage de la demanderesse, tout comme les renseignements généraux et l’historique auxquels l’avocat a fait référence;

5.         les facteurs disculpants ou atténuants pourraient être fournis directement par la demanderesse;

6.         les renseignements sur les documents frauduleux pourraient être corroborés par la demanderesse.

[22]      La SI a conclu que Nelly pouvait fournir les faits, le contexte et les renseignements nécessaires pour étayer sa position sans qu’il soit nécessaire de faire témoigner les employeurs. Après la décision, la SI a également indiqué que la question serait réexaminée si elle estimait que le témoignage était encore nécessaire après avoir entendu l’ensemble de la preuve. En d’autres termes, la porte n’était pas complètement fermée à une citation à comparaître, mais celle-ci ne serait délivrée que pour assurer une instruction approfondie de l’affaire.

[23]      Finalement, la SI a conclu que Nelly avait eu droit à une instruction approfondie de l’affaire, tel qu’il est prévu à l’alinéa 33(2)a). De plus, la SI a pleinement examiné et accepté intégralement le témoignage de Nelly concernant sa relation d’emploi et l’entente prise à cet égard. Elle a également examiné la preuve documentaire, ce qui comprend les documents d’emploi frauduleux fournis à Nelly par Shirel. La SI a conclu que le témoignage des employeurs n’était pas nécessaire pour démontrer qu’ils étaient responsables des arrangements financiers ou des documents frauduleux. Elle a conclu que le témoignage de Nelly permettait de bien comprendre les circonstances entourant le cas et les questions sous-jacentes.

[24]      Je ne suis pas persuadée que l’audience à laquelle Nelly a eu droit devant la SI était de quelque façon que ce soit inéquitable sur le plan procédural ou qu’elle ait été compromise par le refus de délivrer une citation à comparaître à ses employeurs. Tant les notes d’entrevues prises par l’agente de l’immigration (qui a interrogé Shirel, faisant état de ses fausses déclarations) que les documents frauduleux déposés auprès de l’ARC [Agence du revenu du Canada] ont été transmis à la SI. Cette preuve est étayée par le témoignage de Nelly concernant les gestes de ses employeurs. La SI a conclu que Shirel a créé de faux documents. L’avocat n’a présenté aucune preuve que la SI a omis de recevoir ou de considérer et que les employeurs auraient pu fournir. Il n’a pas non plus suggéré qu’il existait des éléments de preuve ou des avis que Nelly n’a pas été en mesure de présenter à la SI dans son témoignage.

[25]      L’objectif déclaré de la demande de citation à comparaître était de donner à l’avocat la possibilité de contre-interroger les employeurs afin de démontrer qu’ils étaient responsables de l’entente et de la documentation. Après avoir entendu le témoignage de Nelly, la SI a accepté cette conclusion. Je suis incapable trouver des failles dans la décision rendue par la SI. La conclusion selon laquelle le témoignage des employeurs n’était pas nécessaire est confirmée par l’acceptation entière du témoignage de Nelly décrivant l’entente et les gestes de ses employeurs, y compris la falsification de documents. Par conséquent, la décision de ne pas délivrer une citation à comparaître aux employeurs est équitable sur le plan procédural.

2)         Alinéa 33(2)b)

[26]      L’avocat de Nelly a également fait valoir que la SI n’a pas pris en compte le facteur de l’alinéa 33(2)b), soit « la capacité de la personne de présenter ce témoignage ». À mon avis, l’alinéa 33(2)b) traite d’une situation où la personne citée à comparaître ne peut témoigner pour une raison ou une autre et où il serait inutile de délivrer une citation à comparaître. Par exemple, une personne peut ne rien savoir de la question en litige ou ne pas être en mesure de témoigner en raison de son âge ou d’un handicap physique ou mental. Aucun élément de preuve ne démontrait que les employeurs n’étaient pas en mesure de témoigner pour l’une de ces raisons. Les employeurs ne voulaient simplement pas témoigner. Le ministre a soutenu cette position.

[27]      L’argument de l’avocat à cet égard est que le témoignage des employeurs était indispensable dans cette affaire pour déterminer [traduction] « ce qu’ils avaient à cacher » en retenant les services d’un avocat et en refusant de témoigner. Contrairement aux observations présentées par l’avocat, la SI a tenu compte de cet argument. La SI a déterminé que le fait que les employeurs aient retenu les services d’un avocat n’était pas pertinent, affirmant toutefois, comme nous l’avons déjà mentionné, qu’elle serait prête à réexaminer la décision concernant la citation à comparaître si le témoignage des employeurs s’avérait pertinent. Après le témoignage de Nelly, la SI a confirmé qu’elle n’avait pas besoin d’entendre le témoignage des employeurs. Je n’ai rien à reprocher à la SI dans sa façon de traiter ce facteur; ce traitement était tout à fait équitable à l’égard de Nelly.

C.        Conclusion

[28]      Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincue que la SI a commis une erreur en refusant de délivrer une citation à comparaître aux employeurs. Le fait que Nelly soit en désaccord avec la décision de la SI ne signifie pas qu’elle a été prise de manière inéquitable sur le plan procédural. Les dispositions du paragraphe 33(2) ont été prises en compte et appliquées par la SI. L’avocat de Nelly a participé à toutes les séances, qui étaient réparties sur une période de plusieurs jours. Nelly a témoigné et a eu la possibilité de raconter son histoire. L’avocat de Nelly a été présent tout au long du processus. Il a eu la possibilité de l’interroger et de soumettre ses observations. La question à savoir si une citation à comparaître devait être délivrée a été abordée deux fois, puisqu’elle faisait l’objet de la décision initiale et de la demande de réexamen. À la conclusion de la preuve, la SI a, une fois de plus, pris en compte la question à savoir si le témoignage des employeurs était nécessaire et a déterminé que ce n’était pas le cas. La SI n’a formulé aucune conclusion défavorable relativement à la crédibilité, outre sur l’état d’esprit de Nelly, ce qui signifie que le témoignage des employeurs n’aurait pu en aucun cas modifier ses conclusions sur la crédibilité.

[29]      Je suis d’avis qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. Les facteurs du paragraphe 33(2) ont été entièrement pris en compte et tranchés. Nelly a eu la possibilité de présenter intégralement ses points de vue et ses éléments de preuve et la SI a tenu compte de l’ensemble de ton témoignage. Des motifs ont été fournis, tant à l’oral qu’à l’écrit, par la SI pour expliquer la décision initiale et le réexamen. La SI n’a commis aucune erreur dans sa décision.

IV.       BIEN-FONDÉ DES REVENDICATIONS

A.        Violation de l’obligation fiduciaire par les employeurs et vulnérabilité de Nelly

[30]      L’argument selon lequel Nelly était une personne vulnérable envers laquelle les employeurs avaient une obligation fiduciaire a été présenté comme pierre angulaire du cas de Nelly. L’argument est que par leur manquement à l’obligation fiduciaire à l’égard de Nelly, les employeurs sont responsables des fausses déclarations dans sa demande de résidence permanente. L’avocat invoque les faits de cette affaire pour placer Nelly dans un petit groupe de cas qui ont pris en compte le concept d’intention coupable comme réponse à de fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) [de la LIPR]. En se fondant sur la décision du juge O’Reilly dans Baro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 (Baro), l’avocat affirme que Nelly avait une conviction honnête et raisonnable de croire que, puisque David était avocat, le stratagème élaboré ne contrevenait pas à la LIPR.

[31]      L’avocat de Nelly a fait valoir que la SI n’a même pas pris en compte la défense fondée sur l’obligation fiduciaire, bien que la jurisprudence ait été portée à son attention. Je ne suis pas d’accord. Bien que la SI n’ait pas utilisé les mots « obligation fiduciaire », elle a abordé clairement et en profondeur la relation d’emploi et ses répercussions pour Nelly. Au paragraphe 63 de la décision, la SI a explicitement rejeté l’argument de l’obligation fiduciaire :

Les éléments de preuve à ma disposition ne me permettent pas de conclure que le cas de Mme Cedana satisfait à l’exception juridique très mince à l’égard d’un élément de connaissance suggestive. Mme Cedana savait qu’elle faisait une présentation erronée sur un fait important et avait une réticence sur ce fait. [Shirel] n’a pas présenté de déclarations ni de documents frauduleux à l’insu de Mme Cedana.

[32]      La SI a examiné la question à savoir si Nelly avait une conviction honnête et raisonnable qui la placerait dans la catégorie exceptionnelle décrite dans la décision Baro. La SI a conclu que le témoignage de Nelly selon lequel elle se fiait aux déclarations de David manque de crédibilité et était déraisonnable dans les circonstances. Les fondements de cette conclusion ont été entièrement énoncés aux paragraphes 42 à 62 de la décision. La SI a examiné la nature de la relation d’emploi. Parmi les raisons fournies par la SI pour rejeter la conviction alléguée de Nelly est son historique avec David et Shirel, ses emplois précédents occupés dans divers pays, sa scolarité (deux années de formation à titre de sage-femme) et sa connaissance des exigences du Programme d’aides familiaux résidents. La SI a déterminé qu’une approche raisonnable pour Nelly aurait été de demander conseil sur l’entente prise auprès d’un conseiller en immigration ou un agent de l’immigration, ou même auprès de l’agence de placement d’aides familiaux. Nelly n’a pas demandé de conseils ou de confirmation de la légalité de l’entente.

[33]      La SI a conclu que l’acceptation par Nelly de l’entente n’était pas fondée sur les déclarations de David. Le problème de Nelly est survenu lorsqu’elle aurait pu accepter un autre travail d’aide familiale résidente, mais a choisi de rester avec David et Shirel. En réponse à la demande de la SI à savoir pourquoi elle n’a pas accepté l’autre poste d’aide familiale résidente, Nelly a fourni trois raisons : 1) elle était très attachée aux enfants; 2) elle ne voulait pas attendre un nouveau permis de travail; et 3) tout retard dans la délivrance du permis de travail aurait retardé sa demande de résidence permanente, qui devait lui permettre de faire venir sa fille au Canada.

[34]      L’argument selon lequel Nelly était une personne vulnérable dans sa relation d’emploi a également été examiné de façon approfondie. La SI a déterminé que Nelly était responsable de son propre malheur. Elle a souligné précisément que, bien que l’employeur ait ouvert une voie illégale vers l’immigration, c’est Nelly qui a accepté cette voie plutôt qu’accepter le nouvel emploi d’aide familiale. Pour moi, le témoignage de Nelly selon lequel elle est restée avec David et Shirel plutôt qu’accepter un nouveau poste pour ne pas retarder sa demande de résidence permanente réaffirme le caractère raisonnable de la conclusion de la SI concernant le libre arbitre. Une autre possibilité s’offrait à elle, mais elle a choisi de ne pas en profiter.

[35]      La SI n’a pas non plus accepté la prémisse selon laquelle les employeurs sont responsables de la fausse déclaration de Nelly. Nelly a rempli elle-même sa demande de résidence permanente. Au moment de le faire, elle a omis de divulguer des renseignements sur son travail d’entretien ménager. Dans sa demande et lors de son entrevue avec l’agente de l’immigration, elle a indiqué qu’elle travaillait à temps plein à titre de bonne d’enfants. La SI a déterminé [au paragraphe 56] qu’elle a fait cette déclaration malgré le fait que « la majeure partie de sa journée de travail se passait chez d’autres personnes, et celles-ci la rémunéraient pour ses services ».

[36]      Si Nelly croyait réellement que l’entente prise avec David et Shirel était légale et ne contrevenait pas aux conditions de son permis de travail, il n’y avait aucune raison pour qu’elle omette de divulguer qu’elle faisait de l’entretien ménager chez d’autres personnes et ne travaillait pas comme aide familiale à temps plein. Lorsque Nelly a choisi de ne pas fournir des renseignements exacts sur son régime de travail, comme l’a expliqué la SI, elle est devenue responsable de son propre malheur.

B.        Rapport psychologique

[37]      Nelly a soumis à la SI un rapport préparé par la Dre Celeste Thirlwell, qu’elle a rencontré le 28 février 2015. La Dre Thirlwell a relaté l’arrivée de Nelly au Canada et son expérience de travail au pays, y compris les heures supplémentaires non rémunérées et le fait qu’elle soit revenue au travail pour les enfants. Quatre des cinq pages du rapport résument essentiellement les éléments de preuve de Nelly, qui ont été par la suite transmis à la SI. Dans son rapport, la Dre Thirlwell a déterminé que Nelly provient d’une culture qui privilégie l’obéissance envers les employeurs. Sa décision de ne pas accepter le nouveau poste et de rester avec Shirel et David selon cette nouvelle entente était [traduction] « fondée sur la situation désavantageuse de Nelly sur le plan de l’immigration et son affection pour les enfants ». Elle a également conclu que, [traduction] « surtout en raison de son statut d’avocat, Nelly a fait confiance à David et a cru à son affirmation que la situation était réglementaire sur le plan légal et de l’immigration […] Nelly n’était pas consciente, à ce moment, que l’entente mettrait en péril son avenir au Canada ».

[38]      Les éléments de preuve déposés devant la SI contredisent l’opinion de la Dre Thirlwell quant à la connaissance personnelle de Nelly de sa fausse déclaration. Que Nelly ait cru que les modalités de travail étaient légales ou non, les éléments de preuve sont suffisants pour démontrer qu’elle savait que Shirel et David n’étaient pas ses seuls employeurs et qu’elle ne travaillait pas à temps plein pour eux. Elle a confirmé à l’agente de l’immigration qu’elle travaillait à plusieurs autres endroits à faire de l’entretien ménager. Lorsque l’agente a demandé à Nelly si elle travaillait sans autorisation, sa réponse a été la suivante : [traduction] « Oui, je suis désolée d’avoir menti ». Elle a également confirmé qu’elle travaillait encore sans autorisation et que les documents soumis étaient frauduleux, puis elle a demandé de l’aide. Elle a conclu l’entrevue par la déclaration suivante : [traduction] « Madame, je sais que j’ai fait des choses qui ne sont pas acceptables, Madame, aidez-moi, je vous en prie, c’est pour ma fille […] Je sais que c’est très sérieux, donnez-moi une chance ».

[39]      La SI n’a pas accordé plus d’importance au rapport de la Dre Thirlwell qu’au témoignage de Nelly. En d’autres termes, malgré l’insistance de l’avocat de Nelly à affirmer le contraire, la SI a conclu que le rapport ne corroborait pas la version de Nelly. Il se limite à répéter le récit relaté par Nelly elle-même. La SI a déterminé que l’évaluation finale du rapport réitérait les observations de l’avocat concernant la vulnérabilité et l’exploitation ainsi que les convictions personnelles de Nelly, comme elle en a fait part à la Dre Thirlwell.

[40]      Je suis d’avis qu’il s’agit d’une conclusion que la SI peut raisonnablement tirer de l’ensemble de la preuve. Aucun test psychologique n’a été effectué par la Dre Thirlwell lors de l’évaluation de Nelly. En se fondant sur le récit de Nelly, la Dre Thirlwell a affirmé que selon son opinion professionnelle, [traduction] « Nelly est victime d’exploitation ». Elle a également conclu en affirmant que [traduction] « dans l’esprit de Nelly, elle ne faisait pas de fausse représentation de son historique d’emploi puisqu’elle travaillait comme aide familiale résidente sous les ordres de [David] et de [Shirel] ». Je note toutefois que cette dernière conclusion est une question mixte de fait et de droit et que la Dre Thirlwell ne possède pas l’expertise nécessaire pour l’évaluer. Il ne semble pas non plus que le récit de Nelly ait été vérifié et étudié de quelque façon que ce soit avant de tirer cette conclusion.

C.        Conclusion

[41]      Ni la SI ni notre Cour n’approuve ou n’excuse de quelque façon que ce soit les gestes posés par Shirel et David dans cette saga. Je suis consciente qu’ils n’ont pas témoigné et que ni la SI ni notre Cour n’a eu la possibilité d’entendre leur version des faits, mais à la lumière de la preuve qui figure au dossier, ils se sont comportés de manière choquante. Compte tenu de leurs professions et du fait qu’ils doivent montrer l’exemple à leurs trois jeunes enfants, ce comportement est extrêmement navrant. Toutefois, bien qu’ils aient élaboré le stratagème et créé les faux documents de travail, c’est Nelly elle-même qui a choisi d’utiliser ces documents pour étayer sa demande. Le comportement répréhensible de ses employeurs n’excuse en rien les gestes posés par Nelly.

[42]      La SI a déterminé que Nelly était complice et n’était pas aussi vulnérable que son avocat soutient, et qu’il y avait suffisamment de preuve pour soutenir cette conclusion. Nelly s’est lassée de travailler pour ses employeurs et les a quittés. Elle est revenue en raison des enfants. Après son congédiement, elle a trouvé un nouvel emploi, mais a accepté le stratagème de David et Shirel non pas parce qu’elle y était obligée, mais en raison des arrangements liés à la salle de bain, des enfants et du délai requis pour obtenir un nouveau permis de travail. De son propre aveu lors de l’audience de la SI et devant l’agente de l’immigration, le désir de Nelly de ne pas avoir à attendre un nouveau permis de travail a été le motif principal de ses actions. Cet élément seul indique qu’un degré d’intention coupable sous-tend ses fausses déclarations.

[43]      La jurisprudence à cet égard confirme la conclusion de la SI. En vertu de l’alinéa 40(1)a), une conclusion d’interdiction de territoire implique de faire une présentation erronée directement ou indirectement. La jurisprudence sur laquelle Nelly se fonde commence avec la décision Baro, au paragraphe 15, dans laquelle le juge O’Reilly a conclu que, bien qu’une omission innocente de fournir des renseignements importants puisse mener à une conclusion d’interdiction de territoire, il y a toutefois une exception si les demandeurs peuvent démontrer « qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants ».

[44]      La juge Strickland, dans la décision Goburdhun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 28, a indiqué dix principes tirés de la jurisprudence en vertu de l’article 40 [de la LIPR]. Les principes les plus pertinents à la situation de Nelly sont les suivants :

-     l’exception […] est assez étroite et ne s’applique qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté (Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 318 (CA) (QL));

-     l’article 40 a pour objectif de dissuader un demandeur de faire une fausse déclaration et de préserver l’intégrité du processus d’immigration. Pour atteindre cet objectif, le fardeau de vérifier l’intégralité et l’exactitude de la demande incombe au demandeur (Jiang [c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942], au paragraphe 35; Wang, précité, aux paragraphes 55-56);

-     les demandeurs ont une obligation de franchise et doivent fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, au paragraphe 41; Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15). [ Pas de citations complètes dans l’original.]

[45]      Nelly a rempli elle-même son formulaire de demande; elle avait donc la possibilité de s’assurer que l’information était complète et exacte. Il était donc raisonnable pour la SI de conclure qu’elle dissimulait des renseignements. Elle l’a admis elle-même à la SI et lors de son entrevue, lorsqu’elle a été confrontée par la lettre de dénonciation anonyme. Elle s’est ensuite excusée et a demandé de l’aide. Malheureusement pour Nelly, il était déjà trop tard. Même si on pouvait démontrer que Nelly croyait sincèrement que les arrangements financiers avec ses employeurs étaient légaux, ce que la SI a jugé invraisemblable, la vraie question est de savoir si Nelly croyait, selon l’explication fournie par ses employeurs, que le travail d’entretien ménager effectué pour d’autres personnes était considéré comme un travail d’aide familiale résidente pour l’employeur et n’avait pas à être divulgué.

[46]      Il était raisonnable pour la SI de conclure que l’omission de la part des employeurs de rémunérer Nelly pour les heures supplémentaires travaillées et les mauvais traitements généraux ou l’exploitation qu’ils lui ont fait subir ne sont pas à l’origine des fausses déclarations de Nelly. La SI a tenu compte de l’expérience de vie de Nelly à l’âge de 41 ans, ainsi que de son expérience de travail à titre de bonne d’enfants et son comportement au Canada. Elle a conclu que Nelly aurait pu accepter le nouvel emploi d’aide familiale résidente, mais a choisi de ne pas le faire. Elle aurait pu également divulguer l’entretien ménager effectué dans sa demande de résidence permanente, mais a choisi de dissimuler ce fait. Ses motifs étaient qu’elle désirait faire venir sa fille au Canada. Pour ce faire, elle a décidé de continuer à travailler pour un employeur qui abusait d’elle plutôt qu’attendre quelques mois de plus pour obtenir un nouveau permis de travail. Nelly a pris un risque, pensant que si d’autres aides familiaux avaient réussi à obtenir la résidence permanente avec ce type d’arrangement, elle pourrait le faire également. C’était une mauvaise décision et, avec le recul, elle doit le regretter sincèrement.

[47]      Les conclusions tirées par la SI sont clairement décrites et étayées par des références aux éléments de preuve. L’audience n’a été en aucun moment inéquitable sur le plan procédural pour Nelly. Les motifs de la décision sont intelligibles, transparents et justifiés. La décision selon laquelle Nelly a fait de fausses déclarations et dissimulé des faits importants qui auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le processus décisionnel et l’issue correspondent parfaitement aux critères établis au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir. Par conséquent, la décision est jugée raisonnable.

[48]      La demande est rejetée. Aucune partie n’a suggéré une question grave de portée générale aux fins de certification, et je juge qu’aucune question n’existe concernant les faits en l’espèce.

[49]      En conclusion, au terme de l’audience dans cette affaire, j’ai demandé à l’avocat du ministre si la question avait été portée à l’attention de la Gendarmerie royale du Canada, de l’Agence du revenu du Canada, du Barreau du Haut-Canada ou de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario. À ce moment, l’avocat n’avait aucun renseignement disponible à ce sujet.

[50]      Selon les éléments de preuve dont je dispose, je ne pourrais dire, et il ne m’appartient pas de le faire, si David et Shirel ont commis des infractions ou enfreint des règles de leurs ordres professionnels. Je crois toutefois que cela pourrait miner la confiance du public à l’égard de l’administration du système d’immigration au Canada si le ministre renvoyait Nelly du Canada sans soumettre cette question aux organismes concernés afin qu’ils enquêtent sur le comportement de ses employeurs. Les conséquences du non-respect des lois canadiennes en matière d’immigration ne devraient pas être subies uniquement par les personnes n’ayant pas le statut de citoyen, alors que des professionnels se trouvant en position de confiance se soustraient à l’examen de leurs actions.

JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.         La présente demande est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

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