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T-894-06

2007 CF 641

Sun World International Inc. (appelante)

c.

Parmalat Dairy & Bakery Inc. (intimée)

Répertorié : Sun  World  International  Inc.  c. Parmalat Dairy & Bakery Inc. (C.F.)

Cour fédérale, protonotaire Aronovitch—Ottawa, 12 avril; 20 juin 2007.

Marques de commerce — Pratique — Demande afin d’ajouter un nouveau motif d’opposition à la déclaration d’opposition de l’intimée — La demande que l’appelante a présentée en vue de l’enregistrement de la marque de commerce « Black Diamond » a été rejetée — L’art. 56 de la Loi, qui régit les appels interjetés devant la Cour fédérale à l’encontre de décisions du registraire, précise qu’il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire — Bien que les parties puissent présenter des preuves additionnelles dans le cadre d’un appel, elles ne peuvent pas introduire de nouvelles questions, introduire un nouveau motif et déposer une nouvelle preuve quant à la nouvelle question — L’exercice de discrétion de novo prévu à l’art. 56(5) est fondé sur la capacité des parties à produire une nouvelle preuve — En vertu de l’art. 40 du Règlement sur les marques de commerce et de l’art. 56(5) de la Loi, le pouvoir de la Cour fédérale de substituer sa discrétion à celle du registraire ne peut être étendu de manière à englober la discrétion, conférée exclusivement au registraire, d’autoriser la modification d’une déclaration d’opposition — Demande rejetée.

Compétence de la Cour fédérale — Compétence pour autoriser une modification d’une déclaration d’opposition dans un appel interjeté à l’encontre d’une décision du registraire — La déclaration d’opposition transmise à la Cour fédérale en vertu de l’art. 60 de la Loi sur les marques de commerce n’était pas un « document » au sens de la règle 75 des Règles des Cours fédérales (les Règles) — En vertu de la règle 75, un « document » s’entend d’une plaidoirie, d’un document  introductif  d’instance  ou  d’un  document  qui doit  être  produit  en vertu des Règles dans une instance tenue devant la Cour fédérale — La déclaration d’opposition, un  document  introductif  d’instance  qui  ne  peut  être déposé  qu’auprès   du  Bureau des marques de commerce, fait  partie du dossier de la procédure d’opposition — La Cour fédérale n’a pas compétence, en vertu de la règle 75, pour autoriser une modification d’une déclaration d’opposition.

Il s’agissait d’une demande afin d’ajouter un nouveau motif d’opposition à la déclaration d’opposition de l’intimée. La demande que l’appelante a présentée en vue de l’enregistrement de la marque de commerce « Black Diamond » en rapport avec des prunes a été rejetée. L’appelante a porté la décision du registraire en appel devant la Cour fédérale. L’article 56 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), qui régit de tels appels, précise qu’il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire et confère à la Cour fédérale toute discrétion dont le registraire est investi. L’appelante a déposé une preuve additionnelle qui portait sur l’emploi et la confusion. La question à trancher était celle de savoir si, dans un appel interjeté à l’encontre d’une décision du registraire, la Cour fédérale a compétence pour autoriser une modification d’une déclaration d’opposition, qui est un acte introductif d’instance dans une procédure d’opposition.

Jugement  : la demande doit être rejetée.

Bien que les parties puissent produire une nouvelle preuve dans le cadre de l’appel, la nouvelle preuve ne peut porter que sur les questions soulevées devant le registraire. Les questions soulevées dans le cadre de l’appel sont limitées à celles soulevées devant le registraire. La Cour peut examiner de nouvelles preuves mais pas de nouvelles questions. Cependant, de nouveaux motifs sur une pure question de droit peuvent être ajoutés, mais uniquement en rapport avec une preuve déjà soumise au registraire.

La Cour fédérale n’a pas compétence pour autoriser une modification d’une déclaration d’opposition en vertu de la règle 75 des Règles des Cours fédérales (les Règles). La déclaration d’opposition n’est pas un « document » au sens de la règle 75. Il ressort clairement d’une lecture objective des règles 71 à 79 qu’un « document » au sens de la règle 75 est une plaidoirie, un document introductif d’instance ou un document qui doit être produit en vertu des Règles dans une instance tenue devant la Cour fédérale. Il ne comprend pas la déclaration d’opposition, qui est un document introductif d’instance qui doit être déposé auprès du Bureau des marques de commerce, et ne peut être déposé qu’auprès de celui-ci, pour les fins d’une procédure d’opposition.

L’exercice de discrétion de novo prévu au paragraphe 56(5) est fondé sur la capacité des parties à produire une nouvelle preuve. Compte tenu de la jurisprudence et du libellé clair de l’article 40 du Règlement sur les marques de commerce (le Règlement) et du paragraphe 56(5) de la Loi, rien ne permet de conclure que le pouvoir de la Cour de substituer sa discrétion à celle du registraire en vertu du paragraphe 56(5) peut être étendu de manière à englober la discrétion, conférée exclusivement au registraire, d’autoriser la modification d’une déclaration d’opposition en vertu de l’article 40 du Règlement. En l’espèce, la demande de modification de la déclaration d’opposition présentée par l’intimée devait être présentée au registraire, lequel se serait prononcé à son égard.

lois et règlements cités

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 6(2), 22, 30 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 64; 1994, ch. 47, art. 198), 38(2), 56, 60 (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 238).

Règlement sur les marques de commerce (1996), DORS/96-195, art. 40.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, règles 1102, 1104.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 54, 71 à 79, 317 (mod. par DORS/2002-417, art. 19; 2006-219, art. 11(F)), 318, 351.

jurisprudence citée

décisions appliquées  :

Halford c. Seed Hawk Inc., 2005 CAF 12; Borden, Inc. c. Aliments Hostess Ltée, [1990] 1 C.F. 570 (1re inst.).

décisions examinées  :

Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824; 2006 CSC 23; Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772; 2006 CSC 22; Conseil canadien des ingénieurs c. Lubrication Engineers, Inc., [1990] 2 C.F. 525 (C.A.).

décisions citées  :

McDonald’s Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd., [1994] A.C.F. no 638 (1re inst.) (QL); Carling Breweries Ltd. c. Molson Companies Ltd., [1984] 2 C.F. 920 (1re inst.); Pernod Richard c. Molson Breweries, [1992] A.C.F. no 706 (1re inst.) (QL); Bénédictine Distillerie de la Liqueur de l’Ancienne Abbaye de Fecamp c. John Labatt Ltée (1990), 28 C.P.R. (3d) 487 (C.F. 1re inst.); Esprit de Corp. c. S.C. Johnson & Co., [1986] A.C.F. no 801 (1re inst.) (QL); Brasserie Labatt Ltée c. Benson & Hedges (Canada) Ltée, [1996] A.C.F. no 370 (1re inst.) (QL).

DEMANDE afin d’ajouter un nouveau motif d’opposition à la déclaration d’opposition de l’intimée dans le cadre d’un appel interjeté devant la Cour fédérale à l’encontre de la décision du registraire rejetant la demande d’enregistrement d’une marque de commerce présentée par l’appelante. Demande rejetée.

ont comparu :

Kenneth D. McKay pour l’appelante.

A. David Morrow et Timothy O. Stevenson pour l’intimée.

avocats inscrits au dossier :

Sim, Lowman, Ashton & McKay LLP, Toronto, pour l’appelante.

Smart & Biggar, Ottawa, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]La protonotaire Aronovitch : Dans le contexte de l’appel sous‑jacent interjeté à l’encontre d’une décision rendue par le registraire des marques de commerce, l’intimée demande l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition en vue d’ajouter l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13] (la Loi) comme motif d’opposition et de déposer l’affidavit de Michael S. Mulvey à l’appui de ce nouveau motif.

[2]Les faits qui ont donné lieu à l’appel sous‑jacent sont les suivants.

[3]Sun World International, Inc. (Sun World) a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce « Black Diamond » en rapport avec des fruits et des légumes frais. Cette désignation fut ultérieurement abrégée à « prunes ». La marque a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce et elle a fait l’objet d’une opposition de la part de l’intimée Parmalat Dairy and Bakery Inc. (Parmalat) dans une déclaration d’opposition datée du 9 janvier 2002.

[4]Parmalat a eu gain de cause quant à son opposition. La demande d’enregistrement de Sun World a été rejetée au motif que l’appelante n’a pas établi qu’elle utilisait la marque à la date pertinente et elle n’a pas non plus démontré qu’il n’y aurait aucune probabilité raisonnable de confusion, au sens du paragraphe 6(2) de la Loi, entre la marque se rapportant à des prunes, telle que mentionnée dans la demande d’enregistrement, et la marque de l’intimée, laquelle se rapporte à du fromage. L’appel sous‑jacent est interjeté à l’encontre de cette décision du registraire.

[5]L’article 56 de la Loi régit les appels interjetés à la Cour fédérale à l’encontre des décisions rendues par le registraire des marques de commerce. Comme je l’expliquerai davantage plus loin, le paragraphe 56(5) de la Loi prévoit que, lors de l’appel, une preuve additionnelle peut être apportée. Ce paragraphe est ainsi libellé :

56. [. . .]

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a éte fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

[6]Sun World a déposé une preuve additionnelle dans le cadre du présent appel par voie de trois affidavits, et ce, en rapport avec l’emploi et la confusion.

[7]Parmalat affirme qu’elle a décidé de déposer la présente demande à la suite de la décision qu’a rendue la Cour suprême du Canada dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824 (Veuve Clicquot), quelques mois après que le registraire eut rendu sa décision. Parmalat explique que la Cour suprême a apporté des précisions quant au droit pertinent et a apporté des éclaircissements en ce qui a trait à la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à une marque de commerce prévue au paragraphe 22(1) de la Loi. Cet arrêt est particulièrement pertinent aux faits de la présente cause, de telle sorte que Parmalat dispose maintenant d’un fondement plus solide pour faire valoir un nouveau motif d’opposition à l’enregistrement de la marque de commerce de l’appelante et pour défendre la décision du registraire.

[8]L’intimée demande donc d’être autorisée à modifier sa déclaration d’opposition en vue d’ajouter un nouveau motif d’opposition, et ce, en vertu du paragraphe 22(1) et de l’alinéa 30i) de la Loi. Dans le nouveau motif d’opposition, il est allégué que, en vertu de l’alinéa 38(2)a) et de l’article 30 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 64; 1994, ch. 47, art. 198] de la Loi, la demande d’enregistrement ne répond pas aux exigences de l’alinéa 30i) car, à la date du dépôt de la demande, l’appelante ne pouvait pas être convaincue qu’elle avait droit d’employer la marque de commerce en rapport avec les marchandises décrites dans sa demande parce qu’un tel emploi serait illégal car il serait susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce, et ce, en contravention du paragraphe 22(1) de la Loi.

Les oppositions présentées par Sun World à l’égard de la requête

[9]Les oppositions présentées par Sun World à l’égard de la requête comportent deux volets. Sun World prétend d’abord que, dans un appel interjeté à l’encontre d’une décision du registraire, la Cour n’a pas compétence pour autoriser une modification d’une déclaration d’opposition, laquelle, affime‑t‑elle, est un acte introductif d’instance dans une procédure d’opposition. Le deuxième motif d’opposition est que l’article 22 de la Loi ne constitue pas l’un des motifs d’opposition prévus au paragraphe 38(2) de la Loi.

La nature de l’appel prévu à l’article 56

[10]L’article 56 ne constitue pas la voie d’appel habituelle; en effet, l’appel interjeté en vertu de cette disposition n’est pas obligatoirement instruit en fonction du seul dossier dont dispose le décideur. Comme je l’ai déjà affirmé, dans le cadre d’un appel interjeté en vertu de l’article 56, des preuves additionnelles peuvent être apportées au dossier soumis au registraire. C’est le cas en l’espèce.

[11]Comme une preuve additionnelle peut avoir une incidence importante sur les conclusions de fait du registraire, le juge de la Cour fédérale saisi de l’appel a le droit de substituer son pouvoir d’appréciation à celui du registraire, si le registraire a commis une erreur. L’appel s’apparente à une nouvelle audition.

[12]Le juge Binnie, au paragraphe 35 de Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, décrit comme suit la nature de l’exercice susmentionné :

Lorsqu’un  nouvel  élément  de  preuve est admis, il peut, selon  sa  nature,  apporter  un  éclairage tout à fait nouveau sur  le  dossier  dont  était saisie la Commission et amener ainsi  le  juge  des  requêtes   à   instruire   l’affaire   comme s’il  s’agissait  d’une  nouvelle  audition  fondée  sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel [. . .]

[13]Sun World prétend que bien que les parties puissent présenter des preuves additionnelles, elles ne peuvent pas introduire de nouvelles questions, encore moins, comme le propose Parmalat dans la présente requête, introduire un nouveau motif et déposer une nouvelle preuve quant à la nouvelle question.

[14]En effet, la jurisprudence de la Cour penche tout‑à‑fait  dans ce sens. En dépit du fait qu’une nouvelle  preuve  peut  être  produite  et que l’appel n’est  pas  instruit  en fonction du dossier dont disposait le  registraire,  la  nouvelle  preuve ne peut porter que sur  les questions soulevées devant le registraire. De plus, les questions soulevées dans le cadre de l’appel sont définies par celles qui ont été soulevées devant le registraire et y demeurent limitées. Voir McDonald’s Corp.  c.   Coffee   Hut   Stores   Ltd.,   [1994]   A.C.F. no 638 (1re inst.) (QL) (McDonald’s Corp.); Carling Breweries  Ltd. c. Molson Companies Ltd., [1984] 2 C.F. 920 (1re inst.), aux pages 922 à 924 (Carling Breweries); Pernod Richard c. Molson Breweries, [1992] A.C.F. no 706 (1re inst.) (QL) (Pernod); Bénédictine Distillerie de la Liqueur de l’Ancienne Abbaye de Fecamp c. John Labatt Ltée (1990), 28 C.P.R. (3d) 487 (C.F. 1re inst.) (Bénédictine); Esprit de Corp. c. S.C. Johnson & Co., [1986] A.C.F. no 801 (1re inst.) (QL) (S.C. Johnson).

[15]Autrement dit, sauf l’exception suivante, la Cour peut examiner de nouvelles preuves mais pas de nouvelles questions. L’exception est que de nouveaux motifs sur une pure question de droit peuvent être ajoutés, mais uniquement en rapport avec une preuve déjà soumise au registraire. Brasserie Labatt Ltée c. Benson & Hedges (Canada) Ltée, [1996] A.C.F. no 370 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 7 et 8 (Labatt).

[16]Selon Parmalat, la jurisprudence susmentionnée ne s’applique pas en l’espèce car les parties opposantes dans ces causes n’ont jamais entrepris, en appel, la démarche formelle visant à être autorisées à modifier leur déclaration d’opposition. Les parties opposantes ont plutôt tenté d’ajouter un nouveau motif d’opposition à leur avis d’appel (voir Carling Breweries, aux pages 924 et 925) ou à leur réponse à l’avis d’appel (voir Pernod, au paragraphe 40), ou elles ont tout simplement soulevé le nouvel argument de vive voix à l’audience, et ce, au détriment de la partie opposante.

[17]La démarche formelle visant à déposer une requête en modification d’une déclaration d’opposition repose sur une différence importante par rapport aux causes citées. Parmalat renvoie à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Conseil canadien des ingénieurs c. Lubrication Engineers, Inc., [1990] 2 C.F. 525 (C.A.) (CCI) à l’appui de la proposition que de nouveaux motifs d’opposition soulevés en appel en vertu de l’article 56 de la Loi peuvent être accueillis si la partie opposante modifie sa déclaration d’opposition et que cette modification n’occasionne aucun préjudice.

[18]Dans la cause CCI, l’intimée en appel a présenté une requête en vertu de l’ancienne règle 1102 des [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] (la disposition qui a précédé la règle 351 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)]) afin qu’on l’autorise à présenter une preuve additionnelle dans le cadre de l’appel. De plus, l’intimée a sollicité une ordonnance en vertu de l’ancienne règle 1104 des Règles de la Cour fédérale en vue d’obtenir l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition pour y ajouter un motif supplémentaire d’opposition à l’enregistrement de la marque de commerce de l’appelante. En rejetant la requête visant la production d’une nouvelle preuve, la Cour d’appel fédérale a appliqué un critère qui, selon Parmalat, est conforme au critère prévu à la règle 75 actuelle des Règles des Cours fédérales, à savoir, une modification sera autorisée, sauf si elle cause un préjudice qui ne peut pas être indemnisé par l’adjudication des dépens.

Compétence de la Cour d’autoriser une modification d’une déclaration d’opposition

[19]Parmalat prétend que sa demande n’est rien d’autre qu’une requête en modification présentée en vertu de la règle 75 des Règles des Cours fédérales et que la Cour a compétence pour l’accorder et elle souligne qu’aucun préjudice ne sera causé si la déclaration d’opposition est modifiée car les deux parties seront capables de produire une preuve quant au nouveau motif et de contre‑interroger à son sujet. Je souligne que, à cet égard, les dispositions des règles 75 et 54 des Règles des Cours fédérales sont, en fait, les seuls motifs énumérés à l’appui de la présente requête.

[20]Une deuxième source de compétence est également proposée par Parmalat. Elle est fondée sur son interprétation d’une conjugaison de l’article 40 du Règlement sur les marques de commerce (1996), DORS/96‑195, et du paragraphe 56(5) de la Loi. L’article 40 du Règlement sur les marques de commerce est ainsi libellé :

40. La modification d’une déclaration d’opposition ou d’une contre‑déclaration n’est admise qu’avec la permission du registraire aux conditions qu’il estime indiquées.

[21]Si j’ai bien compris, l’argument, est que, étant donné que l’appel est une audience de novo, la disposition du paragraphe 56(5) de la Loi qui autorise la production d’une preuve additionnelle dans le cadre d’un appel à la Cour fédérale et autorise la Cour fédérale à exercer les pouvoirs discrétionnaires conférés au registraire doit être interprétée comme s’appliquant également à la compétence du registraire d’autoriser une modification d’une déclaration d’opposition conformément à l’article 40 du Règlement sur les marques de commerce. La Cour fédérale est donc autorisée à exercer la discrétion par laquelle le registraire est autorisé à modifier la déclaration d’opposition.

[22]J’examinerai tout d’abord la question de la compétence de la Cour d’autoriser une modification d’une déclaration d’opposition en vertu du paragraphe 75(1) des Règles des Cours fédérales. Cette disposition prévoit que la Cour peut à tout moment, autoriser une partie à modifier « un document », aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

[23]Selon Parmalat, la déclaration d’opposition fait partie de ces documents. Elle fait partie du dossier d’opposition dont, en l’espèce, Sun World, a demandé la transmission à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi, et elle est donc un « document » au sens de la règle 75 des Règles des Cours fédérales.

[24]Je ne puis convenir que c’est là l’effet qu’il faut donner à la transmission d’un document à la Cour en vertu du paragraphe 60(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 238], lequel est reproduit ci‑dessous et lequel prévoit un mécanisme semblable à celui mentionné aux règles 317 [mod. par DORS/2002-417, art. 19; 2006-219, art. 11(F)] et 318 des Règles des Cours fédérales quant à la transmission d’une copie certifiée d’un dossier du tribunal à la Cour pour les fins d’un contrôle judiciaire :

60. (1) Sous réserve du paragraphe (2), lorsqu’un appel ou une demande a été présenté à la Cour fédérale en vertu de l’une des dispositions de la présente loi, le registraire transmet à ce tribunal, à la requête de toute partie à ces procédures et sur paiement du droit prescrit, tous les documents versés aux archives de son bureau quant aux questions en jeu dans ces procédures ou des copies de ces documents par lui certifies. [Soulignement ajouté.]

[25]Les deux ensembles de dispositions sont libellés en des termes semblables et ont trait à la « transmission » de ce qui constitue essentiellement le dossier soumis au décideur dont la décision fait l’objet d’un appel ou d’un contrôle judiciaire. Les documents, y compris la déclaration d’opposition, transmis en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi, ne sont pas, selon moi, des « documents » au sens de la règle 75 des Règles des Cours fédérales. Ils ont été déposés au bureau du registraire et font partie du dossier de la procédure d’opposition.

[26]Il ressort clairement d’une lecture objective des règles 71 à 79 que, un « document » au sens de la règle 75 des Règles des Cours fédérales est une plaidoirie, un document introductif d’instance ou un document qui doit être produit en vertu des Règles des Cours fédérales, dans une instance tenue devant la Cour fédérale. Il ne comprend pas la déclaration d’opposition, lequel est un document introductif d’instance qui doit être déposé et, en effet, ne peut être déposé qu’au Bureau des marques de commerce pour les fins d’une procédure d’opposition. Par conséquent, la Cour fédérale, selon moi, n’a pas compétence, en vertu de la règle 75 des Règles des Cours fédérales, pour autoriser une modification d’une déclaration d’opposition, un document qui n’est pas déposé à la Cour et qui fait partie du dossier sur lequel la décision faisant l’objet du présent appel est fondée.

[27]La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Halford c. Seed Hawk Inc., 2005 CAF 12 porte directement sur cette question. Dans cette cause, dans le cadre d’une requête interlocutoire présentée au cours d’un appel interjeté devant la Cour, la juge Sharlow a rejeté une requête en modification d’une plaidoirie à la suite d’un jugement et elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 10 de sa décision :

À mon avis, l’article 75 des Règles ne donne pas à la Cour le pouvoir d’accueillir, avant qu’il ne soit disposé d’un appel interjeté contre un jugement de la Cour fédérale, une requête en autorisation de modification des actes de procédure d’après lesquels a été instruit le procès [. . .]

[28]En effet, on ne m’a mentionné aucune décision dans laquelle une déclaration d’opposition a été modifiée dans le cadre d’un appel interjeté à la Cour. La cause CCI n’est d’aucune utilité car, dans cette cause, la requête a été rejetée sans que la Cour ne traite de la question de la modification d’une déclaration d’opposi-tion ou ne se penche sur la question de la compétence de la Cour à cet égard en appel.

[29]Parmalat n’a également renvoyé à aucune décision à l’appui de la thèse qu’une nouvelle question qui n’a pas été soulevée devant le registraire, et qui ne découle pas de la preuve soumise au registraire, peut être ajoutée en appel à la Cour. La raison étant que l’ajout d’une nouvelle preuve et le caractère de novo de l’audience qui suivra, ne signifient pas, comme Parmalat le donne à attendre, que l’appel est une affaire complètement différente. Il s’agit toujours d’un appel. McDonald’s Corp., au paragraphe 17.

[30]L’exercice de discrétion de novo prévu au paragraphe 56(5) n’est pas accordé à tous égards. Il est fondé sur la capacité des parties à produire une nouvelle preuve. Le juge MacNair dans Borden [Borden, Inc. c. Aliments Hostess Ltée, [1990] 1 C.F. 570 (1re inst.)] a souligné ce qui suit aux pages 575 et 576 :

À mon sens, la disposition permettant la présentation d’une preuve additionnelle lors d’un appel serait dénuée de sens si la Cour ne pouvait rendre une décision au sujet des questions soumises au registraire en prenant en considération les circonstances de l’affaire et à la lumière de cette preuve additionnelle. Il est clair que la Cour a le droit de substituer sa conclusion à celle du registraire lorsqu’elle est convaincue que ce dernier [traduction] s’est trompé. Dans une certaine mesure, l’appel ressemble à une audition de novo, mais avec la réserve suivante : bien que le droit de la Cour d’entendre de nouvelles preuves ne soit pas restreint, à mon avis, ces nouvelles preuves doivent se rapporter aux seuls faits qui sont pertinents aux questions mêmes soumises au registraire.

[31]Compte tenu de la jurisprudence et du libellé clair de l’article 40 du Règlement sur les marques de commerce et du paragraphe 56(5) de la Loi, absolument rien ne permet de conclure que le pouvoir de la Cour de substituer sa discrétion à celle du registraire en vertu du paragraphe 56(5) peut être étendu de manière à englober la discrétion, conférée exclusivement au registraire, d’autoriser la modification d’une déclaration d’opposi-tion. La demande de modification de la déclaration d’opposition, selon moi, devait être présentée au registraire, lequel se serait prononcé quant à elle.

[32]Comme les présentes conclusions sont déterminantes quant à l’issue de la présente requête, je n’ai pas à examiner si l’alinéa 22i) constitue un motif d’opposition pertinent en vertu du paragraphe 38(2) de la Loi. Une ordonnance sera rendue en conséquence.

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