Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T‑1124‑07

2007 CF 807

La Commission canadienne du blé (demanderesse)

c.

Le Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Canada (Commission du blé) c. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge Hansen—Ottawa, 25, 26 et 31 juillet 2007.

Agriculture — Contrôle judiciaire contestant le pouvoir de la gouverneure en conseil d’adopter l’art. 2 du Règlement modifiant le Règlement sur la Commission canadienne du blé, DORS/2007‑131 (le nouveau Règlement), qui modifie l’art. 9 du Règlement sur la Commission canadienne du blé —  La modification retirait l’orge et les produits de l’orge du pouvoir de commercialisation à guichet unique de la Commission canadienne du blé (la CCB) —  Les modifications apportées en 1998 à la Loi sur la Commission canadienne du blé (la Loi) donnent au législateur le pouvoir d’ajouter tout grain au pouvoir de commercialisation à guichet unique de la CCB et d’y retirer le blé et l’orge —  L’art. 46b) de la Loi a également été abrogé, conférant au gouverneur en conseil le pouvoir d’exclure le blé de l’application de la partie IV —  Le nouveau Règlement étendrait l’application de la partie III à l’orge, mais la retirerait du pouvoir de commercialisation à guichet unique de la CCB parce que la partie IV ne s’y étendait plus —  L’art. 47 ne mentionne pas expressément l’exclusion de l’orge ou d’autres grains, mais l’art. 47.1 prévoit expressément que l’orge peut être exclue de l’application de la Loi si certaines conditions sont réunies —  L’art. 47.1 confère au législateur le pouvoir d’exclure l’orge —  L’abrogation de l’art. 46b) de la Loi et l’édiction simultanée de l’art. 47.1 appuient la conclusion que le législateur avait l’intention de révoquer le pouvoir du gouverneur en conseil, conféré par l’art. 47, d’exclure l’orge et d’autres grains de l’application des parties III et IV de la Loi —  Les modifications apportées en 1998 à la Loi avaient pour objectif de créer des processus séparés et indépendants, l’un pour étendre l’application de la Loi à l’orge et l’autre pour exclure l’orge de l’application de la Loi —  Le nouveau Règlement est ultra vires et inopérant —  Demande accueillie.

Interprétation des lois —  Contrôle judiciaire contestant le pouvoir de la gouverneure en conseil d’adopter l’art. 2 du Règlement modifiant le Règlement sur la Commission canadienne du blé, DORS/2007‑131 (le nouveau Règlement) —  Examen de principes de législation déléguée et d’interprétation des lois —  Les art. 47 et 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, interprétés ensemble dans leur sens courant, délèguent au gouverneur en conseil le pouvoir d’étendre l’application de la Loi, mais réservent au législateur le pouvoir de l’exclure —  La disposition expresse (art. 47.1 de la Loi) l’emporte sur le pouvoir d’exclusion par règlement créé par l’application de l’art. 47 de la Loi et de l’art. 31(4) de la Loi d’interprétation  —  L’ajout de l’art. 47.1 de la Loi reflète une indication contraire du législateur qui écarte la présomption légale établie par l’art. 31(4) de la Loi d’interprétation que le pouvoir de prendre des règlements comporte le pouvoir de les modifier, de les abroger ou de les remplacer.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire contestant le pouvoir de la gouverneure en conseil d’adopter l’article 2 du Règlement modifiant le Règlement sur la Commission canadienne du blé, DORS/2007‑131 (le nouveau Règlement), qui modifie l’article 9 du Règlement sur la Commission canadienne du blé (le Règlement). La modification aurait retiré l’orge et les produits de l’orge (l’orge) du pouvoir de commercialisation à guichet unique de la Commission canadienne du blé (la CCB). En vertu des parties III et IV de la Loi sur la Commission canadienne du blé (la Loi), la CCB a le pouvoir exclusif sur le blé produit dans la région désignée. Des modifications apportées en 1948 ont donné au gouverneur en conseil le pouvoir d’étendre, par règlement, l’application de la partie III ou de la partie IV, ou des deux, à l’avoine ou à l’orge. En 1971, une modification à l’article 9 du Règlement a étendu à l’avoine et à l’orge l’application des parties III et IV, mais l’application à l’avoine de ces parties a été retirée par la suite; ces parties ne s’appliquent qu’à l’orge.

En 1998, l’article 47.1 a été ajouté; cette disposition oblige le ministre à observer certaines conditions avant de déposer un projet de loi ayant pour effet de soustraire du blé ou de l’orge à l’application de la partie IV ou d’étendre l’application des parties III et IV à un autre grain. En outre, l’alinéa 46b), qui conférait au gouverneur en conseil le pouvoir de soustraire tout type ou grade de blé à l’application de la partie IV, a été abrogé au même moment. Le 7 juin 2007, en vertu des articles 46, 47 et 61 de la Loi, la gouverneure en conseil a modifié l’article 9 du Règlement en étendant la partie III de la Loi à l’orge, retirant ainsi le monopole, ou le pouvoir de commercialisation à guichet unique, de la CCB sur l’orge.

Les questions à trancher étaient celles de savoir si la gouverneure en conseil avait le pouvoir de prendre le nouveau Règlement et si celui‑ci était ultra vires.

Jugement : la demande doit être accueillie.

L’article 47 donne expressément au gouverneur en conseil le pouvoir d’étendre l’application des parties III et IV, ou de l’une des deux parties, à l’orge et il ne mentionne pas expressément l’exclusion de l’orge ou d’autres grains. Cependant, l’article 47.1 prévoit expressément que l’orge peut être exclue de l’application de la Loi et le législateur s’est réservé le pouvoir d’exclure l’orge si certaines conditions sont réunies. Il n’y a aucun pouvoir expressément délégué au gouverneur en conseil lui permettant d’exclure l’orge. Les dispositions de la Loi, interprétées ensemble dans leur sens courant, délèguent au gouverneur en conseil le pouvoir d’étendre l’application à l’orge, mais réservent au législateur le pouvoir de l’exclure. L’alinéa 46b) de la Loi, qui a été abrogé, autorisait expressément l’exclusion par règlement du blé et de l’orge en vertu de la disposition sur l’édiction de nouveau, sans qu’il soit nécessaire de se fonder sur le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation, qui précise que le pouvoir de prendre des règlements comporte le pouvoir de les abroger. Le libellé de l’article 47.1 est semblable à celui de l’alinéa 46b), qui a été abrogé, à l’exception d’une différence importante : l’alinéa 46b) prévoyait l’exclusion par règlement et l’article 47.1 prévoit l’exclusion par le législateur. L’abrogation de l’alinéa 46b) et l’édiction simultanée de l’article 47.1 appuient la conclusion qu’au moment où les modifications ont été apportées en 1998, le législateur avait l’intention de révoquer le pouvoir du gouverneur en conseil, conféré par l’article 47, d’exclure l’orge et d’autres grains de l’application des parties III et IV de la Loi.

L’argument selon lequel la Loi prévoit deux régimes distincts en matière de modification de son application, un pouvoir réglementaire très restreint et un pouvoir législatif beaucoup plus large, a été rejeté. Lorsque l’article 47.1 est interprété en vue de déterminer la portée de la disposition en ce qui a trait à l’orge, il en ressort que l’un des pouvoirs expressément réservé au législateur est l’exclusion de l’orge de l’application de la Loi. Cette disposition expresse l’emporte sur le pouvoir d’exclusion par règlement créé par l’application de l’article 47 et du paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation. Le libellé de l’article 47 actuel ne mentionne que l’extension; il n’y a aucun terme explicite d’exclusion.

Enfin, en abrogeant l’ancien article 9 du Règlement et en le remplaçant par le nouvel article 9, la gouverneure en conseil a exclu l’orge du pouvoir de commercialisation à guichet unique de la CCB, pouvoir qui est expressément réservé au législateur en vertu de l’article 47.1. En 1998, le législateur n’avait pas l’intention de créer deux régimes distincts pour l’exclusion de l’orge de la Loi. Les modifications de 1998 avaient pour objectif de créer des processus séparés et indépendants, l’un pour étendre l’application de la Loi à l’orge, et l’autre pour exclure l’orge de l’application de la Loi. L’ajout de l’article 47.1 reflète une indication contraire du législateur qui écarte la présomption légale établie par le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation. Par conséquent, le nouveau Règlement est ultra vires et il est inopérant.

lois et règlements cités

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 3(1), 31(4).

Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1947, ch. 15.

Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C‑24, art. 2(1) « région désignée » (mod. par L.C. 1998, ch. 17, art. 1), 5 (mod., idem, art. 28(A)), 46 (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 49; 1997, ch. 36, art. 204; 1998, ch. 17, art. 24, 28(A)), 47 (mod. par L.C. 1995, ch. 31, art. 4), 47.1 (édicté par L.C. 1998, ch. 17, art. 25), 61.

Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1935, ch. 53, art. 29A (édicté par S.C. 1948, ch. 4, art. 5).

Règlement modifiant le Règlement sur la Commission canadienne du blé, DORS/2007‑131.

Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C., ch. 397, art. 9 (mod. par DORS/89‑282, art. 1; 2007‑131, art. 2).

Règlement sur la Commission canadienne du blé, DORS/71‑393, art. 9.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Bay Travel Centre Ltd. v. Registrar of Travel Services et al. (1981), 126 D.L.R. (3d) 685; 60 C.P.R. (2d) 6 (C. c. C.‑B.); Waddell v. Schreyer et al. (1983), 5 D.L.R. (4th) 254; [1984] 1 W.W.R. 307; 49 B.C.L.R. 305; 8 Admin. L.R. 266 (C.S.C.‑B.); Bell Canada c. Challenge Communications Limited, [1979] 1 C.F. 857 (C.A.); Canada 3000 Inc. (Re); Inter‑Canadien (1991) Inc. (Syndic de), [2006] 1 R.C.S. 865; 2006 CSC 24; Bank of Montreal v. Gratton (1987), 45 D.L.R. (4th) 290; [1988] 1 W.W.R. 372; 18 B.C.L.R. (2d) 138 (B.C.C.A.).

décision examinée :

Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général), T‑1962‑93, le juge Rothstein, jugement en date du 10‑9‑93, C.F. 1re inst., inédit.

DEMANDE de contrôle judiciaire contestant le pouvoir de la gouverneure en conseil de prendre le Règlement modifiant le Règlement sur la Commission canadienne du blé, DORS/2007‑131, et déclarant ce Règlement ultra vires et inopérant. Demande accueillie.

ont comparu :

John Lorn McDougall, c.r., Brian R. Leonard et Matthew Fleming pour la demanderesse.

Dave Hill et Stephen Vincent pour le défendeur.

Alan J. Ladyka pour l’intervenante, la province du Manitoba.

Donald A. McKillop, c.r. pour l’intervenante, la province de Saskatchewan.

G. Alan Meikle, c.r., pour l’intervenante, la province de l’Alberta.

avocats inscrits au dossier :

Fraser Milner Casgrain S.E.N.C.R.L., Toronto, pour la demanderesse.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Le sous‑procureur général du Manitoba pour l’intervenante, la province du Manitoba.

Le sous‑procureur général de la Saskatchewan pour l’intervenante, la province de Saskatchewan.

Le sous‑procureur général de l’Alberta pour l’intervenante, la province de l’Alberta.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

La juge Hansen :

Introduction

[1]Le 7 juin 2007, par le décret C.P. 2007‑937, la gouverneure en conseil a pris un règlement modifiant le Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C., ch. 397 (le Règlement). La modification apportée à l’article 9 [DORS/2007-131, art. 2] (le nouveau Règlement) du Règlement, qui entrera en vigueur le 1er août 2007, retirera l’orge et les produits de l’orge (l’orge) du pouvoir de commercialisation à guichet  unique  de  la Commission canadienne du blé (la CCB).

[2]Dans le dossier T‑1124‑07, la CCB soutient que la gouverneure en conseil n’avait pas le pouvoir de prendre le nouveau Règlement et elle demande à la Cour de déclarer le nouveau Règlement ultra vires et inopérant.

[3]Dans le dossier T‑1105‑07, le groupe Friends of the Canadian Wheat Board et d’autres parties (Friends) contestent aussi le pouvoir de la gouverneure en conseil de prendre le nouveau Règlement et ils demandent essentiellement la même réparation que la CCB.

[4]La protonotaire Aronovitch a ordonné que l’audition de ces deux demandes de contrôle judiciaire soit accélérée et que les demandes soient instruites en même temps. Elle a aussi accordé la qualité d’intervenantes aux provinces d’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba dans les deux dossiers.

[5]Les provinces du Manitoba et de la Saskatchewan appuient les demandeurs dans les deux dossiers et la province d’Alberta appuie la position du défendeur.

[6]Comme les demandes de contrôle judiciaire présentées dans les deux dossiers portent sur les mêmes questions de droit, que les demandeurs demandent la même réparation et que les intervenantes prennent la même position dans les deux dossiers, les présents motifs s’appliqueront aussi au dossier T‑1105‑07 et y seront déposés comme motifs du jugement.

Le contexte

[7]La Commission canadienne du blé est une personne morale sans capital‑actions. Elle n’est ni mandataire de Sa Majesté la Reine, ni une société d’État. Conformément à l’article 5 [mod. par L.C. 1998, ch. 17, art. 28(A)] de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C‑24 (la Loi), la mission de la CCB est « d’organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l’exportation, la commercialisation du grain cultivé au Canada ». En vertu des parties III [art. 31 à 44] et IV [art. 45 et 46] de la Loi, la CCB a le pouvoir exclusif sur le blé produit dans la région désignée. Au paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1998, ch. 17, art. 1] de la Loi, le terme « région désignée » est défini comme signifiant la région formée des provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et d’Alberta, et de la partie de la province de la Colombie‑ Britannique connue sous le nom de district de Peace River.

[8]Lorsque la première version de la Loi a été édictée en 1935 [Loi sur la Commission canadiene du blé 1935, S.C. 1935, ch. 53], la Loi ne s’appliquait qu’à la commercialisation du blé. À cette époque, la CCB n’avait pas le pouvoir exclusif sur le blé. Des modifications à la Loi adoptées en 1947 [Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1947, ch. 15] ont donné à la CCB le pouvoir exclusif sur la commercialisation du blé. L’ajout de l’article 29a à la Loi en 1948 [S.C. 1948, ch. 4, art. 5] a donné au gouverneur en conseil le pouvoir d’étendre, par règlement, l’application de la partie III ou de la partie IV, ou des deux, à l’avoine ou à l’orge. L’article 29a se lisait en partie comme suit :

29a. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, étendre l’application de la Partie III ou de la Partie IV, ou à la fois de la Partie III et de la Partie IV, à l’avoine ou à l’orge, ou tant à l’avoine qu’à l’orge.

(2) Lorsque le gouverneur en conseil a étendu l’application de quelque Partie de la présente loi, en vertu du paragraphe premier, les dispositions de ladite Partie sont censées être édictées de nouveau en la présente Partie, sous les réserves suivantes :

a) Le mot « avoine » ou « orge », suivant le cas, remplacera le mot « blé »;

b) L’expression « produits de l’avoine » ou « produits de l’orge », selon le cas, remplacera l’expression « produits du blé »;

[9]Entre 1949 et 1971, le gouverneur en conseil a pris des règlements étendant l’application des parties III et IV de la Loi à l’avoine et à l’orge à tous les ans pour chaque campagne agricole.

[10]En 1971, une modification à l’article 9 du Règlement [Règlement sur la Commission canadienne du blé, DORS/71-393] a étendu à l’avoine et à l’orge l’application des parties III et IV de la Loi. L’application à l’avoine des parties III et IV a été retirée en 1989 [DORS/89-282, art. 1]. Depuis ce temps, l’article 9 du Règlement est rédigé ainsi : « L’application des parties III et IV de la Loi est étendue à l’orge. »

[11]En plus de la création de la nouvelle structure de gouvernance de la CCB qui existe aujourd’hui, les modifications apportées à la Loi en 1998 comprenaient aussi l’ajout de l’article 47.1 [L.C. 1998, ch. 17, art. 25]. Cet article est rédigé comme suit :

47.1 Il ne peut être déposé au Parlement, à l’initiative du ministre, aucun projet de loi ayant pour effet, soit de soustraire quelque type, catégorie ou grade de blé ou d’orge, ou le blé ou l’orge produit dans telle région du Canada, à l’application de la partie IV, que ce soit totalement ou partiellement, de façon générale ou pour une période déterminée, soit d’étendre l’application des parties III et IV, ou de l’une d’elles, à un autre grain, à moins que les conditions suivantes soient réunies :

a) il a consulté le conseil au sujet de la mesure;

b) les producteurs de ce grain ont voté—suivant les modalités fixées par le ministre—en faveur de la mesure.

[12]L’alinéa 46b) de la Loi a aussi été abrogé par les modifications de 1998 [L.C. 1998, ch. 17, art. 24]. Il était ainsi rédigé :

46. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

[. . .]

b) soustraire tout type ou grade de blé, ou le blé produit dans une région donnée du Canada, à l’application de la présente partie, totalement ou partiellement, de façon générale, ou pour une période déterminée;

[13]Comme je l’ai déjà mentionné, le 7 juin 2007, en vertu des articles 46 [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 49; 1997, ch. 36, art. 204; 1998, ch. 17, art. 24, 28(A)], 47 [mod. par L.C. 1995, ch. 31, art. 4] et 61 de la Loi, la gouverneure en conseil a modifié le Règlement en remplaçant l’article 9 par l’article suivant :

9. L’application de la partie III de la Loi est étendue à l’orge.

[14]Par cette modification, l’application de la partie IV ne s’étendra plus à l’orge. Par conséquent, bien que la Commission canadienne du blé puisse continuer la commercialisation de l’orge, l’orge sera retirée du monopole de la CCB, soit son pouvoir de commercia-lisation à guichet unique.

Les observations du défendeur

[15]Le défendeur soutient que le principal pouvoir de réglementation se trouve au paragraphe 47(1) de la Loi. Ce paragraphe permet au gouverneur en conseil d’étendre, par règlement, l’application de certaines parties de la Loi à l’orge :

47. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, étendre l’application de la partie III ou de la partie IV, ou des deux, à l’avoine et à l’orge, ou à l’un des deux.

[16]Le paragraphe 47(1), interprété à la lumière du paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, donne au gouverneur en conseil le pouvoir d’abroger l’extension de l’application de la Loi à l’orge. Le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation est rédigé ainsi :

31. [. . .]

(4) Le pouvoir de prendre des règlements comporte celui de les modifier, abroger ou remplacer, ou d’en prendre d’autres, les conditions d’exercice de ce second pouvoir restant les mêmes que celles de l’exercice du premier.

[17]De plus, comme le prévoit le paragraphe 3(1) de la Loi d’interprétation, la présomption légale portant sur le pouvoir de prendre des règlements ne peut être écartée que s’il est clair et non équivoque qu’il existe une indication contraire dans la loi. Le paragraphe 3(1) est rédigé ainsi :

3. (1) Sauf indication contraire, la présente loi s’applique à tous les textes, indépendamment de leur date d’édiction.

[18]Le défendeur soutient que dans le présent cas, le législateur n’a pas exprimé d’indication contraire.

[19]Le défendeur fait aussi valoir que cette position cadre avec l’examen que le juge Rothstein [tel était alors son titre] a fait des conditions d’application du paragraphe 31(4) à la Loi dans la décision Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général), T‑1962‑93 (C.F. 1re inst.). Aux pages 9 et 10, le juge Rothstein a expliqué :

En étendant à l’orge l’application des parties III et IV de la Loi sur la Commission canadienne du blé, le gouverneur en conseil agit par règlement. Je ne puis constater l’existence d’aucun motif pour lequel le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation ne permettrait pas au gouverneur en conseil d’abroger l’extension de l’application des parties III et IV à l’orge, s’il décide de le faire.

À l’heure actuelle, l’article 9 du Règlement sur la Commission canadienne du blé, C.R.C. 1978, ch. 397, dans sa forme modifiée, étend à l’orge l’application des parties III et IV de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Le gouverneur en conseil n’a pas agi pour abroger cette extension, mais je ne puis voir pourquoi il ne pourrait pas le faire, à condition que ce soit conformément aux dispositions pertinentes de la Loi sur la Commission canadienne du blé et du paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation.

[20]Le défendeur soutient que, contrairement aux observations des demandeurs, les explications du juge Rothstein constituent les motifs déterminants de la décision et ne sont pas des remarques incidentes. Le défendeur fonde cet argument sur l’analyse suivante.

[21]La question en litige dans l’affaire Saskatchewan Wheat Pool était de savoir si le gouverneur en conseil pouvait, par règlement, déréglementer le commerce interprovincial de l’orge et les activités d’importation et d’exportation avec les États‑Unis. Le règlement en question déréglementait en partie la commercialisation à guichet unique de l’orge. En d’autres mots, les producteurs d’orge pouvaient vendre leur orge à des acheteurs aux États‑Unis sans passer par la CCB.

[22]Dans sa décision, le juge Rothstein a noté les ressemblances entre les dispositions de l’ancien article 29a et le pouvoir conféré par l’article 47 de la Loi qui permet au gouverneur en conseil d’étendre, par règlement, l’application des parties III et IV à l’avoine et à l’orge. À la page 6, le juge Rothstein a écrit :

Le législateur croyait qu’il était préférable de maintenir la souplesse et de laisser le gouverneur en conseil agir par règlement pour étendre le pouvoir exclusif de la Commission canadienne du blé sur l’avoine et l’orge [. . .]

[23]Après avoir cité l’article 29a, le juge Rothstein a conclu à la page 7 :

Par conséquent, le gouverneur en conseil pouvait, à sa discrétion, étendre l’application des parties III et IV de la Loi à l’avoine ou à l’orge, mais une fois qu’il le faisait, ces parties étaient réputées édictées de nouveau de façon à s’appliquer à l’avoine ou à l’orge. L’effet du libellé du paragraphe 29A(2) était d’appliquer les parties III ou IV uniquement avec les modifications nécessaires pour que ces parties s’appliquent à l’avoine ou à l’orge. Aucune modification des parties III et IV autre que celles qui étaient envisagées par l’article 29A n’était autorisée. Le gouverneur en conseil n’était pas investi du pouvoir de modifier les parties III et IV.

[24]Le défendeur soutient que la citation précédente constitue le fondement de la décision. Le gouverneur en conseil a un pouvoir limité, à savoir le pouvoir d’étendre le commerce à guichet unique en entier à l’orge ou d’abolir cette extension complètement. Le gouverneur en conseil n’a pas le pouvoir de modifier un aspect quelconque du pouvoir de commercialisation à guichet unique prévu à la partie IV de la Loi.

[25]Après un rappel de l’historique de l’extension de la Loi à l’orge par règlement, le juge Rothstein explique, aux pages 8 et 9 :

Je mentionne l’adoption annuelle de règlements parce qu’en l’espèce, les requérants soutiennent que le gouverneur en conseil, agissant en vertu de l’article 29A [maintenant article 47], promulgue en fait l’entrée en vigueur de la loi régissant le pouvoir que possède la Commission canadienne du blé à l’égard de l’orge et qu’une fois que ce pouvoir est exercé, il est épuisé. En d’autres termes, le gouverneur en conseil ne peut pas révoquer l’extension du champ d’application des parties III et IV une fois qu’il a étendu l’application de ces parties, et seul le législateur peut révoquer le pouvoir que possède la Commission à l’égard de l’orge.

La déduction que je fais à partir de l’extension annuelle de l’application des parties III et IV à l’avoine et à l’orge est que le gouverneur en conseil pourrait agir par règlement pour étendre le contrôle exclusif de la Commission au commerce de l’avoine et de l’orge pendant une campagne agricole s’il décide de le faire; toutefois, si au cours d’une campagne agricole, le gouverneur en conseil décide de ne pas le faire, la Commission n’exercerait aucun contrôle sur l’avoine et l’orge pendant cette campagne agricole, et ce, tant que le gouverneur en conseil ne déciderait pas d’étendre l’application des parties III et IV à une date ultérieure.

Ce point de vue est étayé par le fait que l’article 29A a été édicté de nouveau, à titre de disposition d’habilitation continuelle, en tant qu’article 47 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C‑24, dans sa forme modifiée.

Cela me fait conclure que l’extension de l’application des parties III et IV à l’avoine et à l’orge constitue une mesure réglementaire du gouverneur en conseil. La chose n’est pas analogue à la promulgation d’une loi et le pouvoir de réglementation n’est pas épuisé une fois que le gouverneur en conseil l’a exercé.

[26]Compte tenu de ce qui précède, le défendeur soutient que la conclusion, aux pages 9 et 10 fait partie intégrante de la décision, puisque le juge Rothstein a finalement décidé que le règlement contesté était ultra vires parce qu’il retirait en partie l’orge du pouvoir de commercialisation à guichet unique, alors que l’article 47 [de la Loi] et le paragraphe 31(4) [de la Loi d’interprétation] ne donnaient pas ce pouvoir au gouverneur en conseil.

[27]Le défendeur mentionne aussi que les pages 18 et 19 sont un autre aspect important de la décision. Le juge Rothstein a conclu dans ce paragraphe que, bien que l’article 47 confère au gouverneur en conseil le pouvoir d’étendre les parties III et IV à l’orge, telle est l’étendue du pouvoir de réglementation conféré. Les parties III et IV ne peuvent pas être modifiées en raison des dispositions sur l’édiction de nouveau qui est réputée.

[28]Enfin, le défendeur renvoie la Cour aux pages 19 et 20 de la décision. Ils sont ainsi rédigés :

J’ai déjà indiqué qu’à mon avis, l’article 47 de la Loi sur la Commission canadienne du blé et le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir de révoquer l’extension de l’application des parties III et IV de la Loi sur la Commission canadienne du blé à l’orge. Le point de vue selon lequel la Loi permettait au gouverneur en conseil de déréglementer complètement l’orge, mais non de la déréglementer en partie, comme on a ici tenté de le faire, me préoccupe quelque peu. J’ai minutieusement examiné l’article 47 pour voir s’il prévoyait implicitement que l’orge pouvait être partiellement déréglementée par le gouverneur en conseil. Je ne puis voir comment cela peut être le cas. Lorsque l’application des parties III et IV de la Loi sur la Commission canadienne du blé est étendue à l’orge, ces parties sont réputées édictées de nouveau. Le gouverneur en conseil n’est pas autorisé à modifier les parties III et IV, ce que laisse implicitement entendre la déréglementation partielle.

Je puis uniquement conclure que le législateur était uniquement prêt à permettre au gouverneur en conseil de déterminer si le commerce interprovincial et l’exportation de l’orge devaient être assujettis au même régime de réglementation prévu par la Loi que celui qui s’appliquait au blé. Si le gouverneur en conseil choisissait la déréglementation, la Commission canadienne du blé ne se livrerait pas au commerce de l’orge et aucun système d’octroi de licences ne s’appliquerait. Le marché de l’orge serait libre. Toutefois, si le gouverneur en conseil décidait de réglementer l’orge, la Commission exercerait un contrôle exclusif sur le commerce de l’orge soit en se livrant elle‑même au commerce de la denrée soit en accordant des licences à d’autres personnes pour le faire. La Loi n’envisage pas la déréglementation partielle par le gouverneur en conseil comme ce dernier a tenté de le faire par le décret C.P. 1993‑1399.

[29]Le défendeur reconnaît que la décision Saskatchewan Wheat Pool ne met pas fin au débat. La question aujourd’hui est de déterminer s’il s’est passé quelque chose depuis 1993 qui modifie ou écarte la conclusion du juge Rothstein. Le défendeur soutient qu’il ne s’est rien passé qui puisse miner la conclusion du juge.

[30]Le défendeur soutient qu’il faut présumer que, lorsqu’il a adopté les modifications en 1998, le législateur savait qu’il existait une présomption au paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation et qu’il connaissait l’issue de l’affaire Saskatchewan Wheat Pool. Le défendeur ajoute qu’en 1998, le législateur aurait pu abroger le pouvoir de prendre un règlement, prévu à l’article 47, ou la présomption qui se trouve au paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation, mais qu’il ne l’a pas fait.

[31]Le défendeur est aussi d’avis que la Loi prévoit deux régimes distincts pour la modification de la portée de son application. Premièrement, en vertu de l’application conjointe de l’article 47 et du paragraphe 31(4) [de la Loi d’interprétation], le gouverneur en conseil a le pouvoir d’étendre ou de révoquer, par règlement, l’application de la partie III ou de la partie IV, ou des deux, à l’avoine ou à l’orge. Deuxièmement, en vertu de l’article 47.1, le législateur peut étendre ou révoquer l’application de la Loi à toute catégorie de grain, y compris le blé et l’orge. Cependant, si un projet de loi est déposé visant à modifier l’application de la partie IV au blé ou à l’orge de quelque façon que ce soit, ou d’étendre l’application des parties III ou IV, ou des deux, à toute autre catégorie de grain, alors l’article 47.1 prévoit que deux conditions doivent d’abord être réunies.

[32]Le défendeur fait valoir que le fait que le nouvel article 47 [voir L.C. 1998, ch. 17, art. 25] non proclamé préserve le pouvoir du gouverneur en conseil d’étendre l’application ou d’abroger l’extension de l’application des parties III ou IV, ou des deux, à l’orge appuie aussi l’interprétation fondée sur la dualité des régimes. De plus, le paragraphe 47(5) prévoit des conditions semblables à celles de l’article 47.1 qui doivent être respectées avant que le ministre puisse recommander au gouverneur en conseil de prendre un règlement.

[33]Finalement, le défendeur soutient que le pouvoir prévu à l’article 47.1 est beaucoup plus étendu que celui, plus limité, qui est conféré au gouverneur en conseil par l’application de l’article 47 et du paragraphe 31(4) [de la Loi d’interprétation]. Sous réserve de certaines conditions, l’article 47.1 donne au Parlement le pouvoir d’ajouter tout grain, par exemple le canola, au pouvoir de commercialisation à guichet unique de la CCB. Dans le même ordre d’idées, le pouvoir d’exclusion prévu à l’article 47.1 est beaucoup plus étendu que le pouvoir limité d’exclusion prévu à l’article 47. À l’article 47.1, le pouvoir d’exclusion ne s’applique pas uniquement au blé et à l’orge, mais à tout type, catégorie ou grade de blé ou d’orge produit dans toute région du Canada. Comme le juge Rothstein l’a affirmé dans la décision Saskatchewan  Wheat  Pool, le pouvoir du gouverneur en conseil ne lui permet pas d’effectuer une déréglementation partielle en retirant un seul type d’orge de la commercialisation à guichet unique et en y laissant les autres, ou en y retirant l’orge produite en Alberta, mais pas l’orge produite dans les deux autres provinces des Prairies. Ces pouvoirs sont réservés au législateur en vertu de l’article 47.1. En comparaison, les pouvoirs prévus à l’article 47 servent simplement d’« interrupteur » : le gouverneur en conseil peut étendre l’application de la Loi à l’orge ou peut abroger une telle extension.

Analyse

[34]Avant d’analyser la validité du règlement en question en l’espèce, il convient d’examiner certains principes de législation déléguée et d’interprétation des lois.

[35]Il est bien établi que ceux à qui le législateur délègue un pouvoir de législation doivent exercer ce pouvoir conformément à la loi habilitante. Comme le juge Estey l’a expliqué dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735 [à la page 752] :

Cependant, à mon avis, l’essentiel du principe de droit applicable en l’espèce est simplement que dans l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi, le gouverneur en conseil, comme n’importe quelle autre personne ou groupe de personnes, doit respecter les limites de la loi édictée par le Parlement ou la Législature. Y déroger déclenchera le rôle de surveillance de la cour supérieure qui a la responsabilité de faire appliquer la loi, c’est‑à‑dire de s’assurer que les actes autorisés par la loi sont accomplis en conformité avec ses dispositions ou qu’une autorité publique ne se dérobe pas à une obligation qu’elle lui impose.

[36]Dans la décision Bay Travel Centre Ltd. v. Registrar of Travel Services et al. (1981), 126 D.L.R. (3d) 685, la juge en chef McLachlin, alors juge de la Cour de comté de la Colombie‑Britannique, a dégagé les principes suivants de la jurisprudence antérieure de la Cour suprême du Canada. Aux pages 693 et 694, elle écrit :

[traduction] Il est bien établi que le règlement ne peut pas excéder les dispositions légales en vertu desquelles il est pris, ni être incompatible avec ces dispositions. Le cas échéant, il s’agit d’une tentative d’ajouter à la loi ou de la modifier qui sera considérée comme étant ultra vires : Belanger v. The King (1916), 34 D.L.R. 221, 54 R.C.S. 265, 20 C.R.C. 343. Le pouvoir délégué doit être exercé rigoureusement et conformément à la loi habilitante; un règlement ne peut ni élargir, ni restreindre la portée ou le contenu du pouvoir délégué : King v. National Fish Co. Ltd., [1931] R.C. de l’É. 75. L’examen de la loi habilitante et du règlement en regard est la méthode d’interprétation appropriée. Elle fait ressortir tout excès de pouvoir de la part de l’entité à qui le pouvoir de réglementation a été confié : décision King v. National Fish Co. Ltd., précitée.

[37]Dans Waddell v. Schreyer et al. (1983), 5 D.L.R. (4th) 254 (C.S.C.-B), aux pages 271, 272 et 275, le juge Lysyk a fait certaines observations qui sont utiles pour la présente analyse. Il a affirmé :

[traduction] Pour déterminer la portée d’un pouvoir ou d’un pouvoir discrétionnaire délégué par le législateur, il peut être nécessaire d’aller plus loin que l’interprétation littérale de la disposition précise de la loi effectuant délégation pour qu’il soit possible de déterminer les limites que le législateur souhaitait donner à ce pouvoir ou à ce pouvoir discrétionnaire [. . .]

En utilisant des termes moins lourds qu’« infraction à une loi fédérale », le principe qui ressort est assez connu. Pour déterminer si la législation déléguée contestée se conforme aux exigences de la loi habilitante, il est essentiel de définir la portée du mandat conféré par le législateur en ce qui a trait à l’intention ou à l’objet de la loi dans son ensemble. Le fait de démontrer que le délégataire a respecté littéralement le libellé (souvent vague) de la loi habilitante lorsqu’il a pris un règlement n’est pas suffisant pour satisfaire au critère de la conformité à la loi. Le libellé de la disposition habilitante doit être interprété comme comportant l’exigence primordiale selon laquelle le règlement doit respecter l’intention et l’objet de la loi habilitante prise dans son ensemble.

[. . .]

[. . .] le délégataire ne peut pas rendre la loi fédérale inexécutable et ne peut pas s’y soustraire; il ne peut pas exercer son pouvoir discrétionnaire de façon arbitraire ni de façon qui ne soit pas conforme à l’intention ou à l’objet de la loi. Le délégataire ne doit pas seulement respecter littéralement le libellé de la disposition qui lui délègue ses pouvoirs, mais doit aussi respecter les limites à son mandat qui sont implicites dans le texte de loi pris dans son ensemble.

[38]Il est bien établi aussi que les règlements pris en application d’une loi ne peuvent avoir pour effet de modifier cette loi. Comme la Cour d’appel l’a affirmé dans l’arrêt Bell Canada c. Challenge Communications Limited, [1979] 1 C.F. 857, à la page 866 :

En cas de conflit entre la loi et un de ses règlements d’application, on doit considérer que la loi prévaut et que le règlement doit lui être subordonné.

[39]En ce qui a trait aux principes d’interprétation des lois, dans l’arrêt Canada 3000 Inc. (Re); Inter‑ Canadien (1991) Inc. (Syndic de), [2006] 1 R.C.S. 865, au paragraphe 36, la Cour suprême du Canada a répété le principe fondamental de l’interprétation des lois, soit qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ».

[40]Gardant à l’esprit ces principes, j’examinerai maintenant si le nouveau Règlement est ultra vires.

[41]Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’avis du défendeur selon lequel le nouveau Règlement est valide est fondé sur l’application conjointe de l’article 47 de la Loi et du paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation, sur la décision Saskatchewan Wheat Pool et sur l’absence d’une indication contraire qui écarterait la présomption légale visée au paragraphe 3(1) de la Loi d’interprétation.

[42]Je me pencherai d’abord sur la décision Saskatchewan Wheat Pool. Pour la présente analyse, il n’est pas nécessaire de déterminer si les pages 9 et 10 de la décision sont des remarques incidentes ou s’ils constituent les motifs déterminants de la décision. Même si je concluais que, les pages 9 et 10 constituent les motifs déterminants de la décision, la question reste tout de même de savoir s’il s’est passé quelque chose après la décision du juge Rothstein qui entraînerait un résultat différent aujourd’hui.

[43]En particulier, il faut déterminer si l’article 47.1 et l’abrogation de l’alinéa 46b) sont une indication contraire donnée par le législateur à l’encontre de l’utilisation de l’article 47 et du paragraphe 31(4) [de la Loi d’interprétation] comme fondement du pouvoir d’abroger le Règlement qui étend l’application de la partie IV de la Loi à l’orge.

[44]Le défendeur soutient qu’une indication contraire, aux termes du paragraphe 3(1) ) [de la Loi d’interprétation], doit être claire et non équivoque. À mon avis, il ne s’agit pas d’un énoncé correct du droit. Dans l’arrêt Bank of Montreal v. Gratton (1987), 45 D.L.R. (4th) 290, à la page 293, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a examiné le même terme dans la loi provinciale et a conclu :

[traduction] Il n’est pas nécessaire de relever l’indication contraire en termes précis; elle peut être sous‑entendue dans l’esprit de la loi, dans son historique ou dans d’autres circonstances qui entourent l’utilisation du terme en question. Bien que la loi intitulée Loi d’interprétation n’utilise pas les termes « le contexte l’exige par ailleurs », la conclusion qu’il existe une indication contraire peut être fondée sur le fait que le contexte l’exige par ailleurs.

[45]La première tâche à effectuer lors de l’interprétation des lois est de déterminer le sens courant ou la signification ordinaire de la disposition pertinente. En l’espèce, l’article 47 donne expressément au gouverneur en conseil le pouvoir d’étendre l’application des parties III et IV, ou de l’une des deux parties, à l’orge. L’article 47 ne mentionne pas expressément l’exclusion de l’orge ou d’autres grains. Cependant, l’article 47.1 prévoit expressément que l’orge peut être exclue de l’application de la Loi. De plus, dans l’article 47.1, le législateur s’est réservé le pouvoir d’exclure l’orge si certaines conditions étaient réunies. Dans la Loi même, il n’y a aucun pouvoir expressément délégué au gouverneur en conseil lui permettant d’exclure l’orge. Les dispositions de la Loi, interprétées ensemble dans leur sens courant, délèguent au gouverneur en conseil le pouvoir d’étendre l’application à l’orge, mais réservent au législateur le pouvoir de l’exclure.

[46]Les parties ont présenté une imposante preuve portant sur l’historique de la Loi, composée principalement d’extraits du Hansard. Je ne trouve pas que cette preuve soit particulièrement utile pour m’aider à discerner l’intention du législateur à l’époque où il a adopté les modifications de 1998. Dans de nombreux cas, il était impossible de déterminer avec certitude de quelle modification on discutait.

[47]Par contre, l’évolution de la Loi en ce qui a trait aux dispositions expresses portant sur l’inclusion et l’exclusion du grain est utile. Avant les modifications apportées en 1998, auquel moment l’article 47.1 a été ajouté à la Loi, l’alinéa 46b) de la Loi autorisait expressément l’exclusion par règlement du blé et de l’orge en vertu de la disposition sur l’édiction de nouveau, sans qu’il soit nécessaire de se fonder sur la Loi d’interprétation. L’alinéa 46b) a été abrogé au même moment où l’article 47.1 a été ajouté à la Loi. Le libellé de l’article 47.1 est semblable à celui de l’alinéa abrogé 46b), à l’exception d’une différence importante : l’alinéa 46b) prévoyait l’exclusion par règlement, et l’article 47.1 prévoit l’exclusion par le législateur. L’abrogation de l’alinéa 46b) et l’édiction simultanée de l’article 47.1 appuient la conclusion qu’au moment où les modifications ont été apportées, le législateur avait l’intention de révoquer le pouvoir du gouverneur en conseil, conféré par l’article 47, d’exclure l’orge et d’autres grains de l’application des parties III et IV de la Loi.

[48]Le défendeur soutient cependant que le pouvoir du gouverneur en conseil d’exclure l’orge de l’application des parties III et IV en vertu de l’article 47 ne va pas à l’encontre du pouvoir réservé au législateur en vertu de l’article 47.1. Cet argument est fondé sur l’affirmation du défendeur selon laquelle le législateur avait l’intention de créer deux régimes distincts en matière de modification de l’application de la Loi, un pouvoir réglementaire très restreint et un pouvoir législatif beaucoup plus large, ce que la Loi reflète. Par conséquent, les deux pouvoirs peuvent coexister harmonieusement. Je rejette cet argument. Le défendeur qualifie le pouvoir restreint prévu à l’article 47 d’« interrupteur ». Bien que cela ait pu être le cas avant les modifications apportées en 1998, lorsque l’article 47.1 est interprété en vue de déterminer la portée de la disposition en ce qui a trait à l’orge, il en ressort que l’un des pouvoirs expressément réservé au législateur est l’exclusion de l’orge de l’application de la Loi. Cette disposition expresse l’emporte sur le pouvoir d’exclusion par règlement créé par l’application de l’article 47 et du paragraphe 31(4) [de la Loi d’interprétation].

[49]Il y a aussi la question du nouvel article 47 qui a été édicté en 1998 mais qui n’est pas entré en vigueur. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

47. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, sur la recommandation du ministre, étendre à l’orge l’application de la partie III ou de la partie IV, ou des deux.

(2) En cas d’application du paragraphe (1), les dispositions de la partie en cause sont réputées édictées de nouveau dans la présente partie [. . .]

[. . .]

(5) Le ministre ne peut faire la recommandation mentionnée au paragraphe (1) à moins que les conditions suivantes soient réunies :

a) il a consulté le conseil au sujet de la mesure;

b) les producteurs d’orge ont voté—suivant les modalités fixées par le ministre—en faveur de la mesure.

[50]Le défendeur soutient que l’existence de ce nouvel article 47 va à l’encontre de la conclusion selon laquelle l’article 47.1 reflète une indication contraire. À mon avis, même si le nouvel article 47 était en vigueur, il ne changerait pas de façon importante l’issue des demandes en l’espèce. Le libellé de l’article 47 actuel ne mentionne que l’extension. Il n’y a aucun terme explicite d’exclusion. À première vue, sauf pour l’ajout de l’exigence portant sur la consultation du conseil et sur le vote des producteurs d’orge, le nouvel article 47 ne ferait rien d’autre que de continuer de permettre l’extension, par règlement, des parties III et IV à l’orge. Comme c’est le cas pour l’article 47 actuel, un pouvoir réglementaire d’exclusion ne pourrait être fondé que sur l’application conjointe du nouvel article 47 et du paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation.

[51]Il est important aussi de tenir compte de la raison pour laquelle l’article 9 du Règlement serait abrogé. L’article 9 du Règlement a d’abord été pris afin d’ajouter l’orge à l’application des parties III et IV de la Loi. Bien qu’à première vue, le nouveau Règlement étend simplement l’application de la partie III à l’orge, en abrogeant l’ancien article 9 du Règlement et en le remplaçant par le nouvel article 9, la gouverneure en conseil a en fait exclu l’orge du pouvoir de commercialisation à guichet unique de la CCB. Ce pouvoir d’exclusion est expressément réservé au législateur en vertu de l’article 47.1.

[52]À mon avis, en 1998, le législateur n’avait pas l’intention de créer deux régimes distincts pour l’exclusion de l’orge de la Loi. En fait, je conclus que les modifications de 1998 avaient pour objectif de créer des processus séparés et indépendants, l’un pour étendre l’application de la Loi à l’orge, et l’autre pour exclure l’orge de l’application de la Loi. L’ajout de l’article 47.1 reflète une indication contraire du législateur qui écarte la présomption légale établie par le paragraphe 31(4) de la Loi d’interprétation.

Conclusion

[53]Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le nouveau Règlement est ultra vires et qu’il est inopérant.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.             La demande de contrôle judiciaire est accueillie et les dépens sont accordés à la demanderesse.

2.             Le Règlement modifiant le Règlement sur la Commission canadienne du blé, DORS/2007-131, est ultra vires et est inopérant.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.