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[2001] 1 C.F. 124

A-2-98

Le conseil de la Bande de Gordon (appelant)

c.

La Commission canadienne des droits de la personne et Sarah Laslo (intimées)

Répertorié : Canada (Commission des droits de la personne) c. Conseil de la Bande de Gordon (C.A.)

Cour d’appel, juges Strayer, Isaac et Sharlow, J.C.A. Saskatoon (Saskatchewan), 23 mai; Ottawa, 20 juillet 2000.

Peuples autochtones — Inscription — Le conseil de bande a refusé une habitation dans la réserve à une membre de la bande visée par le projet de loi C-31 mariée à un non-Indien — Bien qu’il y ait une preuve prima facie de discrimination, le TCDP ne peut pas accorder une réparation compte tenu de l’art. 67 de la LCDP, parce qu’il s’agit de décisions prises en vertu de la Loi sur les Indiens.

Droits de la personne — Le conseil d’une bande indienne a refusé une habitation dans une réserve à une membre de la bande mariée à un non-Indien — Preuve prima facie de motifs de distinction illicite (sexe, état matrimonial et race) — Toutefois, l’art. 67 de la LCDP empêche le TCDP d’accorder une réparation contre les décisions en matière d’habitation que le conseil de la bande prend en vertu de la Loi sur les Indiens.

L’intimée, Sarah Laslo, était à sa naissance membre de la Bande de Gordon et une Indienne inscrite en vertu de la Loi sur les Indiens. Elle a perdu son statut et sa qualité de membre de la bande en 1978 lorsqu’elle a épousé un non-Indien, mais elle les a recouvrés en 1985 compte tenu de modifications (projet de loi C-31) apportées à la Loi sur les Indiens. Depuis lors, l’intimée a tenté à plusieurs reprises de se faire attribuer une nouvelle habitation dans la réserve de la Bande de Gordon, mais en vain. On lui a dit que la politique de logement élaborée par la Bande de Gordon, qu’un comité du logement devait appliquer, prévoyait que les membres visés par le projet de loi C-31 et les personnes habitant avec une « personne non inscrite » n’auraient pas droit en priorité aux nouvelles habitations. On ne sait pas exactement quel était vraiment le rôle du comité du logement.

Sa plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant qu’elle avait été victime de discrimination en raison de son sexe et de son état matrimonial ainsi que pour des motifs fondés sur la race, a été rejetée. Le tribunal a conclu que, même s’il y avait une preuve prima facie de discrimination, l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) empêche toute réparation que le tribunal aurait par ailleurs pu lui accorder.

Le juge des requêtes a attribué l’échec de l’intimée, lorsqu’il s’était agi d’obtenir une habitation, aux décisions prises par le comité du logement ou à son inaction. Il a fait remarquer que ces décisions étaient influencées par la politique de logement de la Bande de Gordon, mais que l’origine de cette politique n’était pas claire. Il a conclu qu’étant donné que la preuve n’établissait pas que la plainte de l’intimée avait été causée par une décision émanant du conseil de bande, il n’y avait aucune décision qui puisse être visée par l’article 67 de la LCDP. Par conséquent, rien n’empêchait le tribunal d’accorder une réparation à l’intimée.

L’appelant soutient que si le conseil de la Bande de Gordon n’a pas pris la décision en cause, la plainte déposée contre lui devrait être rejetée. Subsidiairement, si le conseil de la Bande de Gordon a pris cette décision ou a autorisé la prise de cette décision, il s’agissait d’une décision prise en vertu de la Loi sur les Indiens et cette décision n’est pas assujettie à un examen en vertu de la LCDP.

Arrêt : l’appel est accueilli.

Le tribunal a eu raison d’inférer en se fondant sur la preuve que l’exclusion de l’intimée était fondée sur une décision ou sur une série de décisions prises, autorisées ou adoptées par le conseil de la Bande de Gordon.

Le tribunal a également eu raison de conclure que la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Desjarlais (Re), [1989] 3 C.F. 605 (C.A.), établit correctement que l’article 67 de la LCDP s’applique aux décisions qui, en raison de leur objet, relèvent du pouvoir expressément conféré par une disposition de la Loi sur les Indiens. Le tribunal a en outre à bon droit conclu que la décision contestée a été prise par le conseil de bande dans l’exercice du pouvoir qui lui est conféré en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens à l’égard de la prise de décisions concernant l’attribution d’habitations. L’article 67 de la LCDP empêche donc le tribunal d’accorder une réparation à l’intimée. En outre, à supposer, sans toutefois rendre de décision à cet égard, qu’il y ait eu des vices de procédure dans le processus décisionnel adopté par le conseil de bande au sujet de l’attribution des habitations, ces vices n’empêcheraient pas de conclure que la décision relative à l’attribution des habitations elle-même est une décision que le législateur a expressément confiée au conseil de la Bande de Gordon en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens.

Cela ne veut pas dire que les Indiens ne peuvent jamais se prévaloir de la LCDP. Les contestations fondées sur cette Loi ont porté fruit lorsque la Loi sur les Indiens ne constituait pas la source du pouvoir quant à la décision contestée. De plus, il est possible, malgré l’article 67 de la LCDP, de contester les décisions du conseil de bande en invoquant une violation de la Charte.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 6, 67.

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 14 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4), 20, 80, 81 (mod., idem, art. 15).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 14, 20.

Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 950.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Desjarlais (Re), [1989] 3 C.F. 605 (1989), 12 C.H.R.R. D/466; [1990] 1 C.N.L.R. 39; 102 N.R. 71 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; (1992), 9 O.R. (3d) 224; 93 D.L.R. (4th) 346; 138 N.R. 1; 55 O.A.C. 81.

DÉCISIONS CITÉES :

Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1997), 154 D.L.R. (4th) 344; 138 F.T.R. 275; [1998] 2 C.N.L.R. 212 (1re inst.); conf. par Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [2000] A.C.F. no 702 (C.A.) (QL); Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; (1999), 173 D.L.R. (4th) 1; [1999] 3 C.N.L.R. 19; 239 N.R. 1.

APPEL d’une décision de la Section de première instance (Laslo c. Conseil de la Bande indienne de Gordon (1997), 140 F.T.R. 230) qui a fait droit à une demande de contrôle judiciaire d’une décision du tribunal canadien des droits de la personne (Laslo c. Conseil de la bande indienne de Gordon, [1996] D.C.D.P. no 12 (QL)) de rejeter une plainte qu’avait déposée une Indienne mariée à un non-Indien contre une décision de lui refuser une habitation dans la réserve de la Bande de Gordon. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Merrilee D. Rasmussen, c.r. pour l’appelant.

René Duval et R. Daniel Pagowski pour les intimées.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wilson, Rasmussen, Regina (Saskatchewan) pour l’appelant.

Avocat, CCDP pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Sharlow, J.C.A. : Dans cet appel, il s’agit de savoir si la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, dans sa forme modifiée, autorise le tribunal canadien des droits de la personne à accorder une réparation à Sarah Laslo à l’égard de la plainte que celle-ci a déposée à la suite de la décision de lui refuser une habitation dans la réserve de la Bande de Gordon. La plainte a été déposée le 10 août 1989. Le tribunal a tenu une audience le 24 juillet 1995 ainsi que du 9 au 11 juillet 1996. Dans une décision en date du 4 décembre 1996 [[1996] D.C.D.P. no 12 (QL)], le tribunal a conclu que l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne l’obligeait à rejeter la plainte même s’il avait conclu à l’existence d’une preuve prima facie de motif de distinction illicite. L’article 67 se lit comme suit :

67. La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

[2]        La Commission canadienne des droits de la personne a demandé le contrôle judiciaire de la décision du tribunal. Le 30 décembre 1997 [(1997), 140 F.T.R. 230 (C.F. 1re inst.)], le juge des requêtes a accueilli la demande et a ordonné que la plainte soit renvoyée pour nouvelle audition et nouvelle décision par un tribunal différemment constitué. Le conseil de la Bande de Gordon interjette maintenant appel contre la décision du juge des requêtes.

[3]        La plupart des faits ne sont pas en litige. Sarah Laslo était à sa naissance une Indienne inscrite en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. Elle était alors membre de la Bande de Gordon. Elle a continué à en être membre jusqu’en 1978, lorsqu’elle a épousé un non-Indien. Lors de son mariage, l’article 14 de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, ch. I-6], tel qu’il était alors libellé, la privait de son statut d’Indienne et de sa qualité de membre de la Bande de Gordon.

[4]        La Loi sur les Indiens a été modifiée par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4 (projet de loi C-31) qui abrogeait l’article 14 et prévoyait le rétablissement du statut et de la qualité de membre des femmes qui étaient antérieurement exclues en raison de leur mariage à des non-Indiens. L’inscription de Mme Laslo à titre d’Indienne et sa qualité de membre de la Bande de Gordon ont été rétablies en 1985 conformément à ces modifications.

[5]        Les modifications prévues par le projet de loi C-31 permettaient également à une bande d’exercer un contrôle sur sa liste de membres, sous réserve de la Loi sur les Indiens et de l’approbation ministérielle du code d’appartenance aux effectifs de la bande. La Bande de Gordon n’a pas encore assumé la responsabilité de la tenue de la liste de la bande. Les documents soumis au tribunal donnent à entendre que c’est parce que l’on n’a pas répondu aux demandes que le conseil de la Bande de Gordon avait faites en vue d’un financement fédéral additionnel en prévision de l’augmentation du nombre de membres liée au projet de loi C-31.

[6]        Depuis 1985, Mme Laslo a tenté à plusieurs reprises de se faire attribuer une nouvelle habitation dans la réserve de la Bande de Gordon. Elle n’a jamais réussi à en obtenir une. Sa demande a initialement été consignée dans le procès-verbal de l’assemblée du 5 décembre 1985 du conseil de la Bande de Gordon. De nouvelles habitations ont été attribuées à plusieurs reprises par la suite, mais aucune n’a été attribuée à Mme Laslo.

[7]        Au fil des ans, Mme Laslo a reçu un certain nombre de lettres expliquant pourquoi aucune nouvelle habitation ne lui avait été attribuée. Dans une lettre qu’il a envoyée à Mme Laslo le 23 avril 1986, l’administrateur de la Bande de Gordon dit que le conseil de la Bande de Gordon avait constitué un comité du logement composé de cinq personnes, qui avait élaboré les critères permettant d’établir l’ordre de priorité. L’auteur de cette lettre informait également Mme Laslo que le conseil de la Bande de Gordon n’avait pas l’intention de demander de nouvelles habitations pour les membres visés par le projet de loi C-31 tant qu’un nouveau code d’appartenance aux effectifs et de résidence n’était pas adopté. Une lettre envoyée à Mme Laslo le 24 septembre 1986 par le chef de la Bande de Gordon renfermait un message similaire; on y joignait ce qui, disait-on, était la politique de logement de la Bande de Gordon telle qu’elle était alors en vigueur. La lettre disait entre autres choses que les membres visés par le projet de loi C-31 et les personnes qui habitaient avec une [traduction] « personne non inscrite » « n’auraient probablement pas priorité ». Or, les deux catégories s’appliquaient à Mme Laslo.

[8]        Dans une lettre datée du 26 juillet 1988, le chef disait à Mme Laslo que, compte tenu de son statut de membre visé par le projet de loi C-31, elle venait [traduction] « au troisième rang ». Une lettre que le chef a envoyée à Mme Laslo le 14 juillet 1989 se lit comme suit :

[traduction] Comme vous l’avez demandé, voici les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas agréer immédiatement votre demande en vue de l’obtention d’une nouvelle habitation :

1) Au cours de l’exercice actuel du moins, aucun financement au logement n’a été accordé en vertu du projet de loi C-31 au district Touchwood File Hills Qu’Appelle, dont la réserve de Gordon fait partie.

2) À l’heure actuelle, la réserve de Gordon n’a pas encore mis au point son code d’appartenance aux effectifs, qui conférerait aux anciens membres les droits dont bénéficient les autres membres, tout en évitant de permettre que des non-Indiens s’établissent dans la réserve et y possèdent éventuellement des biens.

J’espère que vous vous rendez compte de la gravité de la question.

[9]        Dans l’exposé conjoint des faits qui a été présenté au tribunal, il est dit que la Bande de Gordon a élaboré des lignes directrices sur l’habitation que le comité du logement devait appliquer. Un extrait de la version de 1986 mentionnant l’ordre de priorité aux fins du logement est ci-dessus décrit. Une autre version est jointe à l’exposé conjoint des faits; elle est intitulée : [traduction] « Lignes directrices relatives au logement D-9-89 ». Contrairement à la version de 1986, il n’y est pas question de l’ordre de priorité. On dit plutôt que les membres visés par le projet de loi C-31 et les personnes habitant avec une [traduction] « personne non inscrite » n’auraient pas droit aux nouvelles habitations.

[10]      Dans le procès-verbal de l’assemblée du conseil de la Bande de Gordon qui a eu lieu le 7 février 1986, il est fait mention d’une discussion au sujet de la création d’un comité du logement qui serait chargé d’examiner la liste de demandes de logement et de faire des recommandations au conseil de la Bande de Gordon au sujet de l’ordre de priorité. Selon le procès-verbal de l’assemblée du 21 mars 1986, une politique de logement désignée comme étant l’[traduction] « ébauche no 4 » a été adoptée, ainsi qu’une liste initiale de l’ordre de priorité en matière d’habitation. Selon les procès-verbaux des assemblées du 23 octobre 1986 et du 5 octobre 1987, les modifications que l’on se proposait d’apporter à la politique de logement ont été approuvées.

[11]      Les documents dont disposait le tribunal ne montrent pas clairement si le conseil de la Bande de Gordon a adopté la version de 1986 de la politique de logement qui a été envoyée à Mme Laslo, ou les [traduction] « Lignes directrices relatives au logement D-9-89 » qui étaient jointes à l’exposé conjoint des faits. Le rôle du comité du logement n’était pas non plus bien expliqué.

[12]      Le 10 août 1989, Mme Laslo a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne; elle alléguait que le conseil de la Bande de Gordon avait refusé de lui attribuer une habitation en raison de son sexe et de son état matrimonial ainsi que pour des motifs fondés sur la race, de sorte qu’elle était victime de discrimination pour un motif prohibé par l’article 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[13]      Lorsque le tribunal a entendu la plainte, le conseil de la Bande de Gordon a soutenu que le tribunal n’avait pas compétence pour instruire la plainte de Mme Laslo. Le conseil de la Bande de Gordon a participé à la préparation de l’exposé conjoint des faits aux fins de l’audience, il était représenté à l’audience et il a assisté à l’audience, mais aucune preuve n’a été présentée pour son compte et son avocate n’a pas contre-interrogé Mme Laslo.

[14]      Après avoir examiné l’exposé conjoint des faits et avoir entendu la preuve présentée par Mme Laslo, le tribunal a conclu à l’existence d’une preuve prima facie selon laquelle le conseil de la Bande de Gordon avait agi d’une façon discriminatoire envers Mme Laslo en lui refusant une habitation pour des motifs prohibés par l’article 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, c’est-à-dire à cause de son sexe, de son état matrimonial et de la race de son mari. Le tribunal a fait remarquer que les habitations dans la réserve avaient été attribuées aux membres de sexe masculin de la Bande de Gordon dont les conjointes non-Indiennes habitaient avec eux dans la réserve. Toutefois, comme il en a ci-dessus été fait mention, le tribunal a rejeté la plainte en se fondant sur l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[15]      Le tribunal a commencé son analyse en faisant remarquer que l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne doit s’interpréter restrictivement parce qu’il restreint l’étendue de la législation sur les droits de la personne (Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, à la page 339, juge Sopinka). Toutefois, le tribunal a également fait remarquer que dans l’arrêt Desjarlais (Re), [1989] 3 C.F. 605 (C.A.), la Cour a dit que l’expression « les dispositions prises en vertu de cette loi » (« any provision made under or pursuant to ») se rapporte non seulement aux règlements administratifs ou autres pris en vertu de la Loi sur les Indiens, mais aussi aux décisions qui sont prises dans l’exercice d’un pouvoir conféré par la Loi sur les Indiens.

[16]      Le tribunal a ensuite dit qu’en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens, le conseil de la Bande de Gordon est autorisé, sous réserve de l’application ministérielle, à attribuer une terre dans la réserve. L’article 20 se lit comme suit :

20. (1) Un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si, avec l’approbation du ministre, [la] possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.

[17]      Le tribunal a conclu que, d’une façon nécessairement implicite, le conseil de la Bande de Gordon est autorisé à déterminer s’il doit prendre une décision en vertu de l’article 20 et à décider du moment où il doit prendre pareille décision, et par conséquent à déterminer qui se verra attribuer une habitation dans la réserve. Dans le cas de Mme Laslo, le conseil de la Bande de Gordon avait exercé le pouvoir qui lui était conféré par l’article 20 en décidant de refuser une habitation à Mme Laslo. Même si cette décision avait à première vue un effet discriminatoire sur Mme Laslo pour un motif de distinction illicite, l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne empêche toute réparation que le tribunal aurait par ailleurs pu accorder à Mme Laslo.

[18]      Le juge des requêtes n’a pas trouvé à redire aux principes juridiques que le tribunal avait appliqués. Toutefois, il a considéré les faits sous un autre angle. Il a attribué l’échec de Mme Laslo, lorsqu’il s’était agi d’obtenir une habitation, aux décisions prises par le comité du logement ainsi qu’à une ligne de conduite selon laquelle, notamment, on n’avait pas tenu compte des demandes de Mme Laslo, on avait omis de s’occuper de ces demandes ou encore on avait omis de répondre à Mme Laslo. Le juge des requêtes a fait remarquer que les décisions du comité du logement étaient influencées par la politique de logement de la Bande de Gordon, mais que l’origine de cette politique n’était pas claire. Il a conclu qu’étant donné que la preuve n’établissait pas que la plainte de Mme Laslo avait été causée par une décision ou par des décisions émanant du conseil de la Bande de Gordon, il n’y avait aucune « disposition » (c’est-à-dire aucune décision) qui puisse être visée par l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par conséquent, rien n’empêchait le tribunal d’accorder une réparation à Mme Laslo.

[19]      Le conseil de la Bande de Gordon soutient que si le juge des requêtes a eu raison de conclure qu’il n’avait pas pris la décision de refuser une habitation à Mme Laslo, la plainte que cette dernière a déposée contre lui devrait être rejetée. Subsidiairement, si le conseil de la Bande de Gordon a pris cette décision ou a légitimement autorisé la prise de cette décision, il s’agissait d’une décision prise en vertu de la Loi sur les Indiens et cette décision ne peut pas être assujettie à un examen en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[20]      Avec égards, je ne souscris pas à la conclusion que le juge des requêtes a tirée au sujet de la source de la décision qui a donné lieu à la plainte de Mme Laslo. À mon avis, le tribunal a eu raison d’inférer en se fondant sur la preuve, et en particulier sur l’exposé conjoint des faits et sur les diverses lettres que le chef a envoyées à Mme Laslo, que l’exclusion de cette dernière était fondée sur une décision ou sur une série de décisions prises, autorisées ou adoptées par le conseil de la Bande de Gordon.

[21]      Toutefois, cela ne suffit pas pour régler cet appel. Il faut également examiner l’interprétation que le tribunal a donnée à l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Si le tribunal a commis une erreur à cet égard, la décision du juge des requêtes devrait être maintenue.

[22]      L’arrêt Zurich Insurance établit qu’il faut donner une interprétation stricte aux exceptions à la législation sur les droits de la personne. En même temps, l’adoption par le législateur de l’exception prévue à l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne doit être respectée. Il faut permettre l’application de l’article 67 dans son propre domaine.

[23]      L’article 67 faisait partie de la Loi canadienne sur les droits de la personne lorsqu’il a été édicté par S.C. 1976-77, ch. 33. À ce moment-là, la Loi sur les Indiens renfermait encore des dispositions telles que l’article 14 qui, était-il reconnu, était discriminatoire envers les femmes. L’article 67 visait initialement à protéger la Loi sur les Indiens et son régime contre un examen effectué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[24]      En 1985, l’effet discriminatoire de l’article 14 de la Loi sur les Indiens a été annulé par le projet de loi C-31. Toutefois, l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne n’a pas été modifié ou abrogé. Rien ne permet de conclure, comme la Commission le soutient, que l’objectif ou la portée prévue de l’article 67 aient été modifiés en 1985, lorsque le projet de loi C-31 a été adopté.

[25]      Par conséquent, il s’agit ici de déterminer si la décision contestée est une « disposition prise en vertu de » la Loi sur les Indiens.

[26]      Je suis d’accord avec le tribunal pour dire que la décision que cette Cour a rendue dans l’affaire Desjarlais, précitée, établit correctement que l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne s’applique aux décisions qui, en raison de leur objet, relèvent du pouvoir expressément conféré par une disposition de la Loi sur les Indiens. Je ne retiens pas l’argument de la Commission selon lequel cet aspect de la décision Desjarlais ne devrait pas être suivi parce qu’il s’agit d’une remarque incidente et parce que les faits de l’affaire ne soulevaient pas de questions relatives aux modifications apportées à la Loi sur les Indiens par le projet de loi C-31.

[27]      Je souscris également à l’avis du tribunal lorsqu’il dit que la décision contestée a été prise par le conseil de la Bande de Gordon dans l’exercice du pouvoir qui lui est conféré en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens à l’égard de la prise de décisions concernant l’attribution d’habitations. Le pouvoir conféré à l’article 20 comprend d’une façon nécessairement implicite une décision de ne pas attribuer d’habitation à Mme Laslo. Par conséquent, sous réserve des arguments additionnels soulevés par la Commission sur lesquels nous reviendrons ci-dessous, l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne empêche le tribunal d’accorder une réparation à Mme Laslo.

[28]      La Commission a soutenu que l’article 67 ne devrait pas protéger la décision que le conseil de la Bande de Gordon a prise de refuser une habitation à Mme Laslo parce que cette décision n’a pas été prise en vertu d’une procédure autorisée par le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens [C.R.C., ch. 950] pris par le gouverneur en conseil conformément à l’article 80 de la Loi sur les Indiens. Dans son argumentation orale, la Commission a également soutenu que le conseil de la Bande de Gordon devrait se voir refuser la protection de l’article 67 en ce qui concerne la décision particulière qui a été prise à l’égard de Mme Laslo. La Commission invoque cet argument parce que le conseil de la Bande de Gordon n’a pas pris de règlement administratif au sujet du logement ou de l’attribution d’habitations, comme il aurait pu et comme il aurait dû le faire en vertu de l’article 81. L’article 80 et les passages pertinents de l’article 81 se lisent comme suit :

80. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements sur les assemblées de la bande et du conseil et, notamment, des règlements concernant :

a) les présidents de ces assemblées;

b) les avis de ces assemblées;

c) les fonctions de tout représentant du ministre à ces assemblées;

d) le nombre de personnes requis à ces assemblées pour constituer un quorum.

81. Le conseil d’une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l’une ou l’ensemble des fins suivantes :

[…]

h) la réglementation de la construction, de la réparation et de l’usage des bâtiments, qu’ils appartiennent à la bande ou à des membres de la bande pris individuellement;

i) l’arpentage des terres de la réserve et leur répartition entre les membres de la bande […]

[…]

p.1) la résidence des membres de la bande ou des autres personnes sur la réserve;

p.2) l’adoption de mesures relatives aux droits des conjoints ou des enfants qui résident avec des membres de la bande dans une réserve pour toute matière au sujet de laquelle le conseil peut établir des règlements administratifs à l’égard des membres de la bande;

[29]      Le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens est de nature purement procédurale; il porte sur les questions énumérées à l’article 80 ainsi que sur la procédure à suivre aux fins de la délégation de questions aux comités. Comme il en a ci-dessus été fait mention, les procès-verbaux des assemblées du conseil de la Bande de Gordon présentés au tribunal ne montrent pas exactement quelle version de la politique du logement a été adoptée, ou quel était le rôle du comité du logement. Il n’y a rien dans les procès-verbaux qui dise que Mme Laslo ou d’autres femmes qui étaient dans une situation similaire ne devaient pas obtenir une habitation. Rien ne montre que le conseil de la Bande de Gordon ait édicté un règlement administratif en vertu de l’article 81 en matière de logement.

[30]      Toutefois, il est certain que Mme Laslo s’est vu refuser une habitation et, comme il en a ci-dessus été fait mention, la preuve étaye la conclusion selon laquelle le refus était en fin de compte une décision du conseil de la Bande de Gordon. À mon avis, la protection que l’article 67 fournit au conseil de la Bande de Gordon ne dépend pas de la question de savoir si sa décision de refuser une habitation à Mme Laslo est consignée d’une façon officielle dans les procès-verbaux des assemblées ou si, à certains égards, le processus décisionnel était fondé sur une politique de logement ou s’il avait été délégué à un comité, ou encore s’il était fondé sur un règlement administratif pris en vertu de l’article 81. À supposer, sans toutefois rendre de décision à cet égard, qu’il y ait eu des vices de procédure dans le processus décisionnel adopté par le conseil de la Bande de Gordon au sujet de l’attribution des habitations, ces vices n’empêcheraient pas de conclure que la décision relative à l’attribution des habitations elle-même est une décision que le législateur a expressément confiée au conseil de la bande de Gordon en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens.

[31]      Cela ne veut pas dire que les Indiens ne peuvent jamais se prévaloir de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les contestations fondées sur cette Loi ont porté fruit dans les affaires Desjarlais et Bande indienne Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1re inst.); confirmé par la Cour d’appel fédérale le 24 mai 2000 [2000 A.C.F. no 702 (QL)]. La Loi sur les Indiens ne constituait la source du pouvoir de prendre la décision contestée dans aucune de ces deux affaires.

[32]      De plus, il est possible, malgré l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de contester les décisions du conseil de la Bande Gordon en invoquant une violation de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], comme on l’a fait avec succès dans l’affaire Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203.

Conclusion

[33]      Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel sans adjuger les dépens (étant donné que les dépens n’ont pas été sollicités) et je rétablirais la décision du tribunal.

Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris à cet avis.

Le juge Isaac, J.C.A. : Je souscris à cet avis.

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