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[2001] 1 C.F. 563

IMM-4616-99

Zia Mahmood (demandeur)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Mahmood c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Evans, J.C.A.— Vancouver, 21 et 23 août 2000.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire du rejet par la SAI d’un appel concernant le refus de la demande de statut de résident permanent présentée par la sœur du répondant à titre de « parent » au sens de l’art. 2(1)h) du Règlement sur l’immigration de 1978 — L’art. 2(1)h) définit le terme « parent » comme une personne apparentée, indépendamment de son âge, dans le cas où le répondant n’a pas au Canada de parent du type prescrit — Entre la date de la demande et l’entrevue 38 mois plus tard, la conjointe, deux autres sœurs et le frère du répondant ont obtenu le statut de résident permanent — En règle générale, le demandeur doit remplir les conditions d’admissibilité fixées par règlement à la date de la décision — Il n’y a pas de droit acquis pour faire déterminer son admissibilité à un visa sur la base de faits qui n’existent plus — La politique qui sous-tend l’art. 21)h) a pour but d’améliorer la situation d’une personne qui n’a pas de parent au Canada — Le droit des parents à un visa dépend de la situation du répondant — La délivrance d’un visa en vertu de l’art. 2(1)h) à une personne dont le répondant a déjà des parents au Canada n’est pas compatible avec la politique qui sous-tend cette disposition — Il n’y a pas de raison, dans le contexte de l’art. 2(1)h), d’élargir le principe général — Le délai de 38 mois qui s’est écoulé entre la date de la demande et l’entrevue n’est pas important étant donné que la requérante était devenue inadmissible en vertu de l’art. 2(1)h) deux mois après avoir présenté sa demande, quand les autres sœurs du demandeur ont été admises à titre de résidentes permanentes.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par une personne qui a déposé un engagement de parrainage, attaquant la décision de la section d’appel de l’immigration de rejeter l’appel concernant le refus d’une demande présentée par la sœur du répondant en vue d’obtenir le statut de résidente permanente au Canada à titre de « parent » au sens de l’alinéa 2(1)h) du Règlement sur l’immigration de 1978, c’est-à-dire à titre de parente d’un répondant qui n’a pas, au Canada, de parent du type prescrit. Entre le moment où Mme Mazhar a demandé à être admise à titre de résidente permanente et la date de son entrevue par un agent des visas, la conjointe, deux autres sœurs et un frère du demandeur avaient obtenu le statut de résident permanent. La SAI a conclu que la date de l’entrevue par l’agent des visas était la date pertinente pour décider si Mme Mazhar respectait les conditions fixées par règlement pour être considérée comme une personne « appartenant à la catégorie de la famille ». Les questions étaient les suivantes : 1) une personne qui demande le statut de résident permanent en vertu de l’alinéa 2(1)h) doit-elle satisfaire aux conditions de la définition de « parent » à la fois au moment où elle demande le visa et à la date de l’entrevue avec l’agent des visas; et 2) le délai de 38 mois qui s’est écoulé entre la date de la demande de visa et la date de l’entrevue constitue-t-il un manquement à l’obligation d’agir équitablement?

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Le texte du Règlement et la politique sous-jacente laissent entendre qu’en règle générale un agent des visas peut délivrer un visa uniquement si le demandeur remplit les conditions d’admissibilité fixées par règlement à la date de la décision. Les demandeurs n’ont pas de droit acquis pour faire déterminer leur admissibilité à un visa sur la base de faits qui n’existent plus. De même, quand la situation change après la délivrance d’un visa et que le fondement factuel sur la base duquel ce visa a été délivré n’existe plus, l’admission peut être refusée sans droit d’appel parce que la personne n’est plus titulaire d’un « visa d’immigrant valide ». Le paragraphe 6(6) du Règlement prévoit expressément une exception à ce principe général. Il stipule qu’une personne qui satisfait aux autres critères de la définition de « fils à charge » ou « fille à charge » au moment de la demande comme au moment de la décision de l’agent des visas ne cesse pas d’être admissible dans la « catégorie de la famille » parce que, bien que cette personne ait eu l’âge prescrit au moment de la demande, elle ne l’a plus au moment de la décision de l’agent des visas. Il n’y a pas de disposition analogue concernant le « parent » visé à l’alinéa 2(1)h).

La politique qui sous-tend l’alinéa 2(1)h) semble viser principalement l’amélioration de la situation d’une personne qui n’a pas de parent au Canada. La réalisation de l’objectif de la politique ne serait pas favorisée en exigeant la délivrance d’un visa à un parent quand, au moment de la décision de l’agent des visas, le répondant n’est plus privé de la présence de membres de sa famille. Qui plus est, contrairement à un demandeur indépendant, le droit d’un parent à un visa dépend directement de la situation du répondant. L’alinéa 2(1)h) met particulièrement l’accent sur le fait que le répondant n’a pas de parent au Canada. Par conséquent, délivrer un visa en vertu de l’alinéa 2(1)h) à une personne dont le répondant a déjà des parents au Canada irait carrément à l’encontre de l’objectif de la politique qui sous-tend cet article. En outre, un « parent » au sens de l’alinéa 2(1)h) est une exception au principe général en ce sens que ce terme s’applique à n’importe quel parent de n’importe quel âge, et que l’exception se fonde principalement sur la situation du répondant. Le fait que le parent parrainé ne soit pas un parent éloigné, mais une sœur, ne peut être un élément déterminant dans la question plus générale de l’interprétation de la loi. Dans le contexte de l’alinéa 2(1)h), il n’y a pas de raison d’élargir le principe général.

2) Le délai de 38 mois n’a aucune importance. Mme Mazhar a cessé d’être admissible à titre de parente en vertu de l’alinéa 2(1)h) deux mois seulement après avoir présenté sa demande de visa quand sa sœur et sa famille ont obtenu le statut d’immigrants reçus. Le défaut de traiter une demande de visa dans les deux mois suivant sa réception ne peut être considéré comme un délai déraisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 3c), 77(1)a), b), (3) (mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 134), 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 79(1).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1), « parent » (édicté par DORS/93-44, art. 1), 4(1)h) (mod. par DORS/84-140, art. 1), 6(1) (mod. par DORS/92-101, art. 3), a) (mod. par DORS/83-675, art. 2), (6) (mod. par DORS/93-44, art. 5), a) (mod. par DORS/92-101, art. 3), b) (mod., idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISION SUIVIE :

Gill c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1984] 2 C.F. 1025; (1984), 13 D.L.R. (4th) 676; 60 N.R. 241 (C.A.).

DÉCISION APPLIQUÉE :

Bruan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 231 (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 122 (1re inst.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621; (1992), 6 Admin. L.R. (2d) 62; 16 Imm. L.R. (2d) 241; 136 N.R. 254 (C.A.); Mohammad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 48 F.T.R. 96; 14 Imm. L.R. (2d) 104 (C.F. 1re inst.); Yeung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 F.T.R. 205; 17 Imm. L.R. (2d) 191 (C.F. 1re inst.); Wong c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire du rejet par la section d’appel de l’immigration d’un appel du refus d’une demande de statut de résident permanent présentée par la sœur d’un répondant à titre de « parent », en vertu de l’alinéa 2(1)h) du Règlement sur l’immigration de 1978 (le parent d’un répondant qui n’a pas au Canada de parent du type prescrit) parce que, entre le moment de sa demande et la date de l’entrevue, d’autres parents du demandeur avaient obtenu le statut de résident permanent ([1999] I.A.D.D. no 2265 (QL)). Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Vicente V. Asuncion, pour le demandeur.

Emilia Pech, pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beck, Robinson & Company, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A.        INTRODUCTION

[1]        En décembre 1994, Zia Mahmood, résident permanent du Canada, a déposé un engagement de parrainage en vue de l’admission de sa sœur, Shahnila Mazhar, citoyenne et résidante du Pakistan. En décembre 1995, Mme Mazhar et sa famille ont demandé au haut-commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan, des visas pour leur admission au Canada à titre de résidents permanents.

[2]        Ils ont été reçus en entrevue par un agent des visas au haut-commissariat en février 1998, soit trois ans et deux mois après avoir présenté leur demande de visa. En mai 1998, ils ont été informés que leur demande de visa avait été refusée.

[3]        Mme Mazhar, la requérante principale du visa, a été jugée inadmissible en tant que « personne appartenant à la catégorie de la famille », catégorie dans laquelle elle avait présenté sa demande, c’est-à-dire à titre de parente d’un répondant qui n’a pas, au Canada, de parent du type prescrit : alinéa 2(1)h) [édicté par DORS/93-44, art. 1] du Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172. L’agent des visas a fondé sa décision sur le fait qu’entre le moment où Mme Mazhar a demandé un visa et la date de l’entrevue, la conjointe, deux autres sœurs et un frère de M. Mahmood avaient obtenu le statut de résident permanent au Canada.

[4]        M. Mahmood en a appelé devant la section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SAI) en faisant valoir que le refus d’accorder un visa était une erreur de droit parce qu’au moment où Mme Mazhar a demandé le statut de résidente permanente, M. Mahmood n’avait pas de parent au Canada et que sa sœur pouvait donc être admise au Canada à titre de parent parrainé en vertu de l’alinéa 2(1)h). Le fait que des circonstances tout à fait indépendantes de la volonté de M. Mahmood et de Mme Mazhar se soient produites et aient eu pour effet d’annuler son motif d’appartenance à la catégorie de la famille avant qu’elle soit interviewée par l’agent des visas, ne peut influer sur son admissibilité.

[5]        Dans une décision en date du 26 août 1999 [[1999] I.A.D.D. no 2265 (QL)], la SAI a suivi la décision qu’elle avait antérieurement rendue dans l’affaire Ali, Mohsin c. M.E.I. (T-80-9480 [en date du 20-7-81]) en concluant que la date de l’entrevue par l’agent des visas était la date pertinente pour décider si Mme Mazhar respectait les conditions fixées par règlement pour être une « personne appartenant à la catégorie de la famille » à titre de parente d’un résident permanent du Canada qui n’a pas d’autre parent au pays. Par conséquent, puisque Mme Mazhar n’était alors pas une « personne appartenant à la catégorie de la famille », l’appel de M. Mahmood a été rejeté parce qu’il outrepassait la compétence conférée à la SAI par le paragraphe 77(3) [mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 134] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[6]        M. Mahmood a été autorisé à demander le contrôle judiciaire de la décision de la SAI. Il a fait valoir que cette décision devait être infirmée au motif que la SAI avait commis une erreur de droit en interprétant les dispositions légales pertinentes comme exigeant que la personne qui demande un visa soit une « personne appartenant à la catégorie de la famille » à la fois au moment où elle demande le visa et à la date de l’entrevue avec l’agent des visas.

[7]        Subsidiairement, l’avocat a soutenu que, même si la SAI avait correctement interprété l’alinéa 2(1)h), le délai de 38 mois qui s’est écoulé entre le moment où Mme Mazhar a demandé son visa et la date de l’entrevue a porté atteinte au droit de M. Mahmood de parrainer l’admission de sa sœur au Canada et que ce délai constitue un manquement à l’obligation d’agir équitablement.

B.        LES DISPOSITIONS LÉGALES ET RÉGLEMENTAIRES

Règlement sur l’immigration de 1978 [art. 6(1) (mod. par DORS/92-101, art. 3), a) (mod. par DORS/83-675, art. 2), (6) (mod. par DORS/93-44, art. 5), a) (mod. par DORS/92-101, art. 3), b) (mod., idem)]

2. (1) Dans le présent règlement,

[…]

« parent » À l’égard d’un répondant, l’une des personnes suivantes :

[…]

h) une personne apparentée, indépendamment de son âge ou de son lien de parenté avec le répondant, dans le cas où le répondant n’a pas de conjoint, de fils, de fille, de père, de mère, de grand-père, de grand-mère, de frère, de sœur, d’oncle, de tante, de neveu ou de nièce :

(i) soit qui est citoyen canadien,

(ii) soit qui est résident permanent,

(iii) soit dont il peut par ailleurs parrainer la demande d’établissement.

[…]

6. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1), (3.1), (3.2), (4), (5) et (6), lorsqu’une personne appartenant à la catégorie de la famille présente une demande de visa d’immigrant, l’agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu’à toute personne à charge qui l’accompagne :

a) si elle et les personnes à sa charge, qu’elles l’accompagnent ou non, ne font pas partie d’une catégorie de personnes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement;

[…]

(6) L’agent des visas ne peut délivrer un visa d’immigrant à un fils à charge ou à une fille à charge visé à l’alinéa b) de la définition de « parent » au paragraphe 2(1), ou à un fils à la charge ou à une fille à la charge d’un parent, que si :

a) d’une part, au moment où l’agent d’immigration reçoit la demande de visa d’immigrant, le fils ou la fille répond aux critères concernant l’âge et l’état matrimonial ou le statut d’étudiant énoncés dans les définitions de « fils à charge » et « fille à charge » au paragraphe 2(1);

b) d’autre part, au moment où le visa est délivré, le fils ou la fille répond aux critères concernant l’état matrimonial ou le statut d’étudiant énoncés dans ces définitions.

Loi sur l’immigration

3. La politique canadienne d’immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en œuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité :

[…]

c) de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l’étranger;

[…]

77. (1) L’agent d’immigration ou l’agent des visas, selon le cas, peut rejeter une demande parrainée d’établissement présentée par un parent pour l’un ou l’autre des motifs suivants—dont doit être alors informé le répondant :

a) le répondant ne remplit pas les conditions fixées par les règlements;

b) le parent ne remplit pas les conditions fixées par la présente loi et ses règlements,

C.        QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Question 1 :  La SAI a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que Mme Mazhar n’était pas une « personne appartenant à la catégorie de la famille » parce qu’au moment de l’entrevue avec l’agent des visas elle ne remplissait plus les conditions fixées par l’alinéa 2(1)h) du Règlement, étant donné qu’un frère, deux autres sœurs et la conjointe de M. Mahmood l’avaient rejoint au Canada après la date de la demande de visa de Mme Mazhar?

[8]        Précisant que la Cour n’a rendu aucune décision traitant directement du point en litige (question sur laquelle je reviendrai aux paragraphes 25 à 28 des présents motifs), l’avocat du demandeur a établi une analogie avec des décisions dans lesquelles la Cour a statué que l’admissibilité des personnes qui demandent le statut de résident permanent dans d’autres catégories doit être déterminée à la date de la demande de visa. Ainsi, dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621 (C.A.), la Cour d’appel a statué que, pour être admissible à titre de neveu âgé de moins de 18 ans, un requérant parrainé devait satisfaire à la condition de l’âge au moment de la demande de visa.

[9]        De même, selon la prétention de l’avocat, il est bien établi que les points qui doivent être attribués au titre de la demande dans la profession à une personne qui fait partie de la catégorie des demandeurs indépendants sont « bloqués » au moment de la demande de visa, de sorte que le demandeur ne subit pas de préjudice si, au moment de l’entrevue, les points attribués au titre de la demande dans la profession à une personne ayant les compétences du demandeur ont été réduits. Voir, par exemple, Mohammad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 48 F.T.R. 96 (C.F. 1re inst.); Yeung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 F.T.R. 205 (C.F. 1re inst.).

[10]      À mon avis, le texte du Règlement et la politique sous-jacente laissent entendre qu’en règle générale un agent des visas peut délivrer un visa uniquement si le demandeur remplit les conditions d’admissibilité fixées par règlement à la date de la décision : Gill c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1984] 2 C.F. 1025 (C.A.).

[11]      Les demandeurs n’ont pas de droit acquis pour faire déterminer leur admissibilité à un visa sur la base de faits qui n’existent plus. De même, quand la situation change après la délivrance d’un visa et que le fondement factuel sur la base duquel ce visa a été délivré n’existe plus, l’admission peut être refusée sans droit d’appel parce que la personne n’est plus titulaire « d’un visa […] d’immigrant en cours de validité » : Bruan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 231 (1re inst.).

[12]      Le paragraphe 6(6) du Règlement est une exception expresse à ce principe général. Il prévoit qu’une personne qui satisfait aux autres critères de la définition de « fils à charge » ou de « fille à charge » au moment de la demande comme au moment de la décision de l’agent des visas ne cesse pas d’être admissible dans la « catégorie de la famille » parce que, bien que cette personne ait eu l’âge prescrit au moment de la demande, elle ne l’a plus au moment de la décision de l’agent des visas. Il n’y a pas de disposition analogue concernant le « parent » visé à l’alinéa 2(1)h).

[13]      Pour ce qui est de la jurisprudence sur laquelle l’avocat de M. Mahmood s’appuie, Lidder, précité, lui est de peu d’utilité parce que la question dans cette affaire était de savoir si le demandeur devait satisfaire aux critères fixés par règlement au moment de la demande de visa, ou s’il était suffisant qu’il ait satisfait à ces critères antérieurement quand l’engagement de parrainage avait été déposé. En statuant que le moment pertinent était la date de la demande, la Cour n’a pas eu à se pencher sur la question dont je suis saisi, c’est-à-dire se demander si un changement de situation après la demande de visa et avant la date de l’entrevue avec l’agent des visas pourrait rendre le demandeur inadmissible.

[14]      Les affaires que j’ai citées au paragraphe 9 sont plus pertinentes; dans ces affaires, il a été statué que les points attribués au titre de la demande dans la profession sont « bloqués » au moment où une personne demande un visa dans la catégorie des demandeurs indépendants. Toutefois, à mon avis, il y a lieu également ici de faire une distinction.

[15]      Tout d’abord, il serait injuste que les demandeurs indépendants subissent un préjudice résultant de la réduction du nombre de points pouvant leur être attribués au titre de la demande dans la profession, étant donné que les modifications du nombre de points sont le résultat d’une mesure administrative prise par le ministre. Deuxièmement, si les demandeurs indépendants ne connaissaient pas au moment de leur demande le nombre de points pouvant leur être attribués au titre de la demande dans la profession, cela pourrait dissuader certains travailleurs qualifiés de demander un visa, et ainsi miner une importante politique adoptée par le législateur.

[16]      Par contraste, la politique qui sous-tend l’alinéa 2(1)h) semble viser principalement l’amélioration de la situation d’une personne qui n’a pas de parent au Canada. Il est difficile de voir comment on pourrait contribuer à la réalisation de l’objectif de la politique qui sous-tend cette disposition particulière en exigeant la délivrance d’un visa à un parent quand, au moment de la décision de l’agent des visas, le répondant n’est plus seul au Canada, sans l’avantage de la présence de membres de sa famille. Qui plus est, contrairement à un demandeur indépendant, le droit d’un parent à un visa dépend directement de la situation du répondant.

[17]      Les causes décidées avant l’adoption du paragraphe 6(6) du Règlement dans lesquelles il a été statué qu’une personne est admissible à titre de « fils à charge » ou de « fille à charge » même si, après la date de la demande et avant la décision de l’agent des visas, la personne a dépassé l’âge maximum prescrit pour être parrainée dans cette catégorie, se rapprochent encore davantage du cas en l’espèce : voir, par exemple, Wong c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.). À mon avis, il s’agit là également d’exceptions au principe général fondées sur des considérations qui ne s’appliquent pas aux parents parrainés en vertu de l’alinéa 2(1)h).

[18]      Tout d’abord, une demande de visa ne peut empêcher une personne de vieillir, puisque cela est inévitable. Par conséquent, il serait manifestement arbitraire de faire dépendre l’admissibilité d’un demandeur de la date à laquelle l’agent des visas rend sa décision. Par contraste, il n’y a rien d’inévitable dans le fait qu’un répondant cesse d’avoir des parents au Canada. À cet égard, il est pertinent de noter que la Cour n’a pas dispensé les personnes qui étaient parrainées à titre de fils à charge ou de filles à charge de satisfaire par ailleurs aux autres critères d’admissibilité concernant l’état matrimonial et le statut d’étudiant au moment de la décision de l’agent des visas.

[19]      Deuxièmement, l’âge n’est qu’un critère parmi plusieurs auxquels une personne doit satisfaire avant de pouvoir obtenir un visa dans la catégorie de la famille à titre de « fils à charge » ou de « fille à charge ». Donc, le fait qu’une personne ait dépassé l’âge prescrit au moment de la décision de l’agent des visas, mais en étant par ailleurs admissible à tous autres égards, n’annule pas totalement le fondement de l’admissibilité tel qu’il est défini dans les règlements. Ainsi donc, l’admission d’une telle personne peut partiellement contribuer à la réalisation de l’objectif de la politique adoptée par le législateur. L’âge n’est qu’un élément de la notion de dépendance définie par règlement et ce n’est vraisemblablement pas le plus important.

[20]      Par contre, l’alinéa 2(1)h) met particulièrement l’accent sur le fait que le répondant n’a pas de parent au Canada. Par conséquent, délivrer un visa en vertu de l’alinéa 2(1)h) à une personne dont le répondant a déjà des parents au Canada irait carrément à l’encontre de l’objectif de la politique qui sous-tend cet alinéa.

[21]      Troisièmement, les dispositions concernant l’admission au Canada des enfants à la charge d’un répondant touchent au cœur même de la définition de la catégorie de la famille et de l’objectif de la politique énoncé à l’alinéa 3c) de la Loi sur l’Immigration, savoir, faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l’étranger.

[22]      Cela n’est pas le cas d’une personne qui est un « parent » au sens de l’alinéa 2(1)h), qui est une exception au principe général en ce sens que ce terme s’applique à n’importe quel parent de n’importe quel âge, et que l’exception se fonde principalement sur la situation du répondant. Le fait que le parent parrainé en l’espèce ne soit pas un parent éloigné, mais une sœur, ne peut être un élément déterminant dans la question plus générale de l’interprétation de la loi.

[23]      Par conséquent, dans le contexte de l’alinéa 2(1)h), je ne vois aucune raison d’assouplir la règle générale selon laquelle une personne doit encore satisfaire aux conditions d’admissibilité à la date de la décision de l’agent des visas.

Question 2 :  La SAI a-t-elle commis une erreur de droit quand elle a conclu que le refus de délivrer un visa n’était pas vicié par le délai de 38 mois qui s’est écoulé entre la demande de visa et la décision de l’agent?

[24]      Pour répondre brièvement à cette question, il suffit de dire que, puisque l’une des sœurs de M. Mahmood, accompagnée de sa famille, a obtenu le droit d’établissement en février 1996, soit deux mois seulement après que Mme Mazhar eut fait sa demande, et qu’une autre de ses sœurs a obtenu le droit d’établissement en août 1996, le délai de 38 mois n’a aucune importance. Par conséquent, si l’on interprète correctement le Règlement, Mme Mazhar n’était plus admissible à titre de parent en vertu de l’alinéa 2(1)h) deux mois seulement après avoir présenté sa demande de visa. Le défaut de traiter une demande de visa dans les deux mois suivant sa réception ne peut être considéré comme un délai déraisonnable. Par conséquent, je n’ai pas à décider si, dans d’autres circonstances, un délai de 38 mois aurait pu constituer un déni d’équité procédurale qui aurait vicié le refus de l’agent des visas.

D.        OBSERVATIONS ADDITIONNELLES

[25]      Après avoir rédigé une version préliminaire des présents motifs, je suis tombé sur l’arrêt Gill c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1984] 2 C.F. 1025 (C.A.), qui m’a semblé à toutes fins pratiques régler la présente demande. Parce que cet arrêt n’avait pas été inclus dans les cahiers de la jurisprudence soumis par les parties, même s’il semblait traiter directement du point en litige, j’ai demandé aux avocats de me soumettre leurs observations sur son applicabilité aux faits de l’espèce. Je les remercie de s’être libérés rapidement pour que nous puissions traiter de ce point au cours d’une conférence téléphonique.

[26]      L’arrêt Gill, précité, traitait d’une version antérieure de l’alinéa 2(1)h) [alinéas 4(1)h) (mod. par DORS/84-140, art. 1)]; malgré quelques différences entre le libellé de la loi à cette époque et le texte en vigueur aujourd’hui, ces différences ne sont pas déterminantes. Dans cette affaire, une demande de parrainage d’un parent avait été présentée en vertu de dispositions équivalentes à celles de l’alinéa 2(1)h) actuel et, entre le moment de la demande de visa du parent et la décision de l’agent des visas, le répondant s’était marié et avait parrainé l’admission de son épouse au Canada.

[27]      Le juge Hugessen de la Cour d’appel est parvenu à la conclusion suivante (à la page 1028) en s’appuyant sur une « simple interprétation grammaticale » (à la page 1027) de l’alinéa 4(1)h), qui est l’équivalent de l’alinéa 2(1)h) du Règlement, et du paragraphe de la Loi correspondant au paragraphe 77(1) [auparavant le paragraphe 79(1) de S.C. 1976-77, ch. 52] :

Il s’ensuit que le répondant doit avoir cette qualité et au moment où la demande d’établissement est faite et au moment où elle est prise en considération. Étant donné qu’après son mariage […], l’appelant ne pouvait plus remplir les conditions exigées par l’alinéa 4(1)h), c’est à bon droit que la demande d’établissement qu’il avait parrainée a été rejetée.

[28]      L’avocat de M. Mahmood a cherché à établir une distinction d’avec l’arrêt Gill, précité, en faisant valoir que le répondant du parent avait également parrainé l’admission de son épouse, alors que l’épouse de M. Mahmood avait été admise dans la catégorie des demandeurs indépendants. Toutefois, je ne vois pas la pertinence de cette distinction dans le contexte de l’interprétation des dispositions applicables : l’alinéa 2(1)h) n’est pas limité à des situations où le répondant n’a pas par ailleurs de parents au Canada dont il a parrainé l’admission. Les différences dans les délais de traitement des demandes d’immigration dans les deux cas ne sont pas non plus pertinentes quant à la question d’interprétation de la loi en l’espèce.

[29]      L’avocat a également laissé entendre que la position du ministre, selon laquelle la requérante n’était plus un « parent » du fait de l’arrivée au Canada d’un frère, de deux sœurs et du conjoint de M. Mahmood après que Mme Mazhar eut demandé un visa, était irrecevable. Il en serait ainsi parce que la demande de visa avait passé « l’étape de la sélection administrative » et que les rapports médicaux avaient été demandés à un moment où, du point de vue légal maintenant adopté par le ministre, la requérante avait cessé d’appartenir à la catégorie de la famille. L’avocat a soutenu que le fait que la demande eût passé « l’étape de la sélection administrative », et que les rapports médicaux eurent été demandés, constituait des éléments permettant de conclure que la requérante était admissible en vertu de l’alinéa 2(1)h).

[30]      Comme je n’ai aucune preuve de la pratique suivie par les agents des visas à cet égard, et des inférences que l’on peut légitimement en tirer, cet argument doit immédiatement être rejeté.

E.        CONCLUSIONS

[31]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Au vu de la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Gill, précité, par lequel je suis lié, je refuse de certifier une question en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration.

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