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 [2014] 4 R.C.F. 657

IMM-10952-12

2013 CF 1158

Gift Tjitandjewa Kurija représenté par sa tutrice à l’instance Shayna Singer (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Kurija c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Annis—Toronto, 17 octobre; Ottawa, 14 novembre 2013.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié refusant la réouverture de la demande d’asile du demandeur — Le demandeur était âgé de 15 ans lorsqu’il est arrivé au Canada — Cependant, il a prétendu avoir 18 ans selon son passeport — Lors de l’audience, le conseil du demandeur a informé la Commission de l’âge réel du demandeur et du fait que le demandeur éprouvait de la difficulté à comprendre l’anglais — La Commission a conclu que le demandeur parlait un anglais adéquat et qu’il était majeur d’après ses documents de voyage et d’autres éléments de preuve — La Commission a ordonné à la représentante désignée de quitter l’audience — La Commission a rejeté la demande du demandeur — La demande de réouverture de sa demande d’asile, au motif que, durant l’audience, les principes d’équité procédurale n’avaient pas été respectés et qu’il aurait dû bénéficier d’un représentant commis d’office conformément à l’art. 167(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), a été également rejetée — Il s’agissait de savoir si la décision de ne pas rouvrir la demande était raisonnable — La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du caractère impératif de l’art. 167(2) de la LIPR lorsqu’elle a été appelée à déterminer, sur la foi des nouveaux éléments de preuve qui lui étaient présentés, si le demandeur avait 18 ans ou non au moment de la première audience — Le législateur a édicté une disposition non équivoque relative aux exigences d’équité fondamentale, qui découle d’une préoccupation largement reconnue concernant la capacité des personnes mineures de participer à part entière dans un système judiciaire dont le rôle est de déterminer leurs droits — L’art. 167(2) se fonde sur le fait qu’on reconnaît qu’une personne mineure se trouvant dans une situation exceptionnelle en étant appelée à participer à une instance relative à sa propre demande d’asile ne possède pas la capacité suffisante de participer pleinement à l’instance sans l’aide et les conseils spéciaux d’un représentant désigné — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de refuser de rouvrir la demande d’asile du demandeur.

Le demandeur était âgé de 15 ans lorsqu’il est arrivé au Canada. Cependant, il a affirmé avoir 18 ans et c’est cet âge qui figurait sur son passeport. Lors de l’audience, le conseil a informé la Commission que le demandeur n’avait pas 18 ans et qu’il éprouvait des difficultés à comprendre l’anglais. Cependant, la Commission a conclu que le demandeur parlait un anglais adéquat et qu’il était majeur d’après ses documents de voyage et d’autres éléments de preuve. La Commission a ordonné à la représentante désignée de quitter l’audience, puis elle a statué que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié ni de personne à protéger. Le demandeur a ensuite demandé la réouverture de sa demande au motif que, durant l’audience, les principes d’équité procédurale n’avaient pas été respectés et qu’il aurait dû bénéficier d’un représentant commis d’office conformément au paragraphe 167(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). En rejetant cette demande, la Commission a refusé de tenir compte des nouveaux témoignages de preuve relatifs à la date de naissance du demandeur.

Il s’agissait de savoir si la décision de la Commission de refuser de rouvrir la demande était raisonnable compte tenu du paragraphe 167(2) de la LIPR.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du caractère impératif du paragraphe 167(2) lorsqu’elle a été appelée à déterminer, sur la foi des nouveaux éléments de preuve qui lui étaient présentés, si le demandeur avait 18 ans ou non au moment de la première audience. Le paragraphe 167(2) est une disposition impérative, qui ne souffre aucune exception et qui ne permet aucune dérogation en raison de circonstances externes susceptibles d’atténuer les exigences qui en découlent. Le législateur avait l’intention d’édicter une disposition non équivoque relative aux exigences d’équité fondamentale, qui découle d’une préoccupation largement reconnue concernant la capacité des personnes mineures de participer à part entière dans un système judiciaire dont le rôle est de déterminer leurs droits. La règle 20 et le paragraphe 20(7) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, qui a remplacé la règle 15 des Règles de la Section de la protection des réfugiés sur lequel s’est fondée la Commission, appuient le recours à cette approche plus stricte. De plus, le paragraphe 167(2) se fonde sur le fait qu’on reconnaît qu’une personne mineure se trouvant dans une situation exceptionnelle en étant appelée à participer à une instance relative à sa propre demande d’asile ne possède pas la capacité suffisante de participer pleinement à l’instance sans l’aide et les conseils spéciaux d’un représentant désigné, qui est investi de ce rôle par les Règles. La Commission aurait dû évaluer non seulement le dossier mis à la disposition du premier tribunal, mais aussi l’ensemble de la preuve, afin de savoir si le demandeur était mineur ou non.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 69(4) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72(1), 167.

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, règles 15, 55.

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, règle 20.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Boguzinskaite c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 779.

décisions examinées :

Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148; Duale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 150; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 134.

décision citée :

Vashee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1104.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (X (Re), 2012 CanLII 99425) de refuser de rouvrir la demande d’asile du demandeur. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Aadil Mangalji pour le demandeur.

Manuel Mendelzon pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Long Mangalji LLP, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

1. Introduction

[1]        Le juge Annis : La demande d’asile de M. Kurija au Canada a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR [ou le tribunal]) le 25 mai 2012. M. Kurija a demandé la réouverture de sa demande, ce qui lui a également été refusé, le 20 septembre 2012 [X (Re), 2012 CanLII 99425]. Dans la présente demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), il conteste la décision refusant la réouverture de sa demande.

[2]        Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

2. Les faits

[3]        Gift Tjitandjewa Kurija a dit dans son témoignage être né en Namibie, le 15 juillet 1995. Quinze ans et neuf mois plus tard, il est arrivé au Canada, soit le 29 avril 2011. L’endroit où se trouve son père est considéré comme inconnu. La mère du demandeur, Flowrens Kurija, est décédée en 2005, quand il avait dix ans.

[4]        Le demandeur affirme qu’il a été ciblé parce qu’il avait été témoin d’un meurtre. Après que l’endroit où il se cachait eut été découvert, il s’est procuré un billet d’avion avec l’aide de sa grand‑mère et, au début de 2011, il s’est enfui au Canada. Il a voyagé muni d’un passeport indiquant que sa date de naissance était le 20 janvier 1993. Sa grand‑mère et sa tante lui avaient donné pour instruction de prétendre qu’il avait 18 ans, sans quoi il ne serait pas autorisé à voyager seul.

[5]        Une fois arrivé au Canada, M. Kurija a continué d’affirmer qu’il avait 18 ans. Cependant, la travailleuse sociale qui s’occupait de lui à Covenant House, où il a été hébergé au début de son séjour, ne croyait pas, en raison de son apparence physique, qu’il était aussi âgé. M. Kurija lui a finalement avoué son âge réel. Il a été dirigé vers l’organisme Delisle Youth Services en août 2011, et sa travailleuse sociale à cet endroit, Shayna Singer, a obtenu des documents de la Namibie indiquant sa vraie date de naissance. Mme Singer a été commise d’office comme représentante à M. Kurija devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[6]        À l’audience du 11 mai 2012, le conseil de M. Kurija a informé la Commission que ce dernier n’avait pas 18 ans et qu’il éprouvait des difficultés à comprendre l’anglais (même si aucun interprète n’avait été demandé). Cependant, le commissaire a conclu que M. Kurija parlait un anglais adéquat et qu’il était majeur d’après ses documents de voyage et d’autres éléments de preuve, de sorte qu’il a ordonné à la représentante désignée de quitter l’audience. Le commissaire a statué que M. Kurija n’avait pas qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[7]        M. Kurija a ensuite demandé la réouverture de sa demande au motif que, durant l’audience, les principes d’équité procédurale n’avaient pas été respectés.

3. La décision contestée

[8]        Le nouvel avocat du demandeur a conclu qu’au lieu de demander le contrôle judiciaire, M. Kurija devait chercher à faire rouvrir sa demande au motif qu’il aurait dû bénéficier d’un représentant commis d’office conformément au paragraphe 167(2) de la LIPR. À l’appui de sa demande de réouverture, M. Kurija a produit les documents suivants :

a)         L’original du certificat abrégé de naissance indiquant son lieu de naissance et précisant que sa date de naissance était le 15 juillet 1995. À l’audience, le demandeur n’a produit qu’une copie de certificat, parce qu’il n’avait pas l’original. La Commission n’a accordé aucun poids au document parce qu’il s’agissait d’une copie. L’original a été envoyé par la tante de M. Kurija, et un exemplaire de celui‑ci a été présenté à la Commission à l’audition de la demande de réouverture. Il semble, selon toute apparence, qu’il s’agit d’un document officiel, puisqu’il est imprimé sur du papier couleur et qu’il porte l’emblème de la République de Namibie en deux couleurs, de même qu’une estampille du ministère de l’Intérieur, service des affaires civiles, datée du 24 janvier 2004 et attestant qu’il s’agit d’un extrait certifié conforme du registre des naissances. Le document a été délivré bien avant la date à laquelle le demandeur s’est enfui au Canada.

b)         Un affidavit rédigé par le demandeur dans lequel celui‑ci explique pourquoi il a d’abord affirmé avoir 18 ans, suivant en cela les instructions de sa grand‑mère. Il indique aussi que la travailleuse sociale a assisté à toutes ses rencontres avec son avocat et qu’elle lui a expliqué les points qu’il trouvait difficiles à comprendre, soulignant la confiance et le réconfort que lui procurait sa présence. Il précise par ailleurs qu’il était confus et incapable de comprendre la majeure partie de ce qui se passait à l’audience.

c)         Un affidavit rédigé par sa travailleuse sociale dans lequel celle‑ci explique comment elle a découvert l’âge du demandeur et quels efforts elle a déployés pour obtenir des documents prouvant son âge réel. Il est particulièrement important de souligner qu’elle ne croyait pas que le demandeur avait 18 ans parce qu’il paraissait beaucoup plus jeune. Elle fait valoir aussi que le commissaire était [traduction] « extrêmement agressif » et qu’il balayait du revers de la main ce qu’elle lui disait. Elle indique qu’elle n’a pas eu la possibilité d’expliquer la situation ou de faire valoir pourquoi elle estimait que le demandeur était d’âge mineur. En outre, elle fait état des difficultés qu’éprouvait le demandeur en anglais et de sa capacité de comprendre les points soulevés dans la procédure se disant en outre convaincue qu’elle aurait pu jouer un rôle utile à l’audience en qualité de représentante désignée.

d)         Des courriels échangés entre la travailleuse sociale et l’ambassade à des dates antérieures à l’audience qui montrent les mesures prises par le demandeur en vue d’obtenir des documents appropriés.

e)         Des courriels entre la travailleuse sociale et la tante du demandeur. Dans ceux‑ci, la tante explique pourquoi les proches du demandeur lui ont dit de mentir sur son âge.

[9]        Le 20 septembre 2012, un tribunal différemment constitué a examiné les motifs de la première décision et souligné que le premier décideur avait motivé la décision dans laquelle il concluait, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’était pas une personne mineure. Le tribunal a refusé de tenir compte des nouveaux témoignages de preuve relatifs à la date de naissance du demandeur et des éléments de preuve à cet égard. Il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve présentés à l’audience initiale pour établir que des recherches suffisantes avaient été faites ou que les nouveaux renseignements n’auraient pu être obtenus avant la première audience en faisant preuve de diligence raisonnable.

[10]      Le tribunal a affirmé [au paragraphe 12] en outre que « l’un des documents laisse croire que les parents du demandeur auraient pu obtenir, au nom du demandeur, des documents officiels concernant la date de naissance de celui‑ci auprès du Bureau des affaires intérieures de la Namibie » [note en bas de page omise]. Il semble que le tribunal ne savait pas que la mère du demandeur était décédée et qu’on ne connaissait pas l’endroit où se trouvait son père.

[11]      Le tribunal a conclu également que l’ancienne règle 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 [abrogé, DORS/2012-256, art. 73] (les Règles) l’obligeait à établir s’il y avait eu un « manquement à un principe de justice naturelle » de la part de la SPR. Il a déterminé que le premier décideur avait pris en considération les observations concernant la nécessité qu’un représentant soit commis d’office et avait jugé que le demandeur avait la capacité de procéder sans l’aide d’un tel représentant. Le demandeur avait été représenté par un conseiller juridique. Par conséquent, il n’y avait eu aucun manquement à l’équité procédurale, et la demande de réouverture a été rejetée.

[12]      Le tribunal n’a pas statué sur la demande fondée sur le paragraphe 167(2), mais il en a fait mention. Il a précisé que la règle 15 des (anciennes) Règles portait sur des cas où il est nécessaire de désigner un représentant dans une instance de la SPR.

4. Questions en litige

[13]      La Cour est appelée à déterminer si le refus de la Commission de rouvrir la demande était raisonnable compte tenu du paragraphe 167(2) de la LIPR.

5. Norme de contrôle

[14]      Selon le demandeur, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique dans le cadre du présent contrôle judiciaire parce que ce dernier repose aussi bien sur une question d’équité procédurale ainsi que sur l’obligation légale de désigner un représentant, soit une question de droit pur. Le défendeur fait valoir que la norme du caractère raisonnable qui commande la retenue s’applique en l’espèce parce que la décision soumise au contrôle porte sur la réouverture de la demande d’asile et non pas sur la décision de désigner ou non un représentant.

[15]      Je conviens avec le défendeur que, en ce qui a trait à la décision de la Commission sur la réouverture de la demande d’asile, la norme de contrôle est celle du caractère raisonnable. Voir Boguzinskaite c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 779, aux paragraphes 8 et 9 :

      La seule question en l’espèce est celle de savoir si la décision de la Commission de ne pas rouvrir les demandes d’asile était raisonnable. La norme de contrôle est celle de la raisonnabilité : Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1185, et Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 133.

      Le rétablissement des demandes d’asiles [sic] qui ont été retirées fait l’objet du paragraphe 53(3) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, lequel prévoit que la demande de rétablissement peut être accueillie « soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire ».

[16]      Cependant, la norme de contrôle relative à l’interprétation du paragraphe 167(2) de la LIPR, disposition qui vise à garantir l’équité procédurale des instances portant sur des demandes d’asile, est celle de la décision correcte.

6. Analyse

[17]      Je conclus que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du caractère impératif du paragraphe 167(2) lorsqu’elle a été appelée à déterminer, sur la foi des nouveaux éléments de preuve qui lui étaient présentés, si le demandeur avait 18 ans ou non au moment de la première audience. L’article 167 est libellé comme suit :

167. (1) L’intéressé qui fait l’objet de procédures devant une section de la Commission ainsi que le ministre peuvent se faire représenter, à leurs frais, par un conseiller juridique ou un autre conseil.

Conseil

(2) Est commis d’office un représentant à l’intéressé qui n’a pas dix‑huit ans ou n’est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédure. [Je souligne.]

Représentation

[18]      La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2002 CAF 148, a eu l’occasion d’examiner la disposition similaire que le paragraphe 167(2) a remplacée, soit le paragraphe 69(4) [mod. par L.R.C. (1985), ch. 28, art. 18] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. I‑2, qui était libellé comme suit :

69. […]

(4) La Section du statut commet d’office un représentant dans le cas où l’intéressé n’a pas dix‑huit ans ou n’est pas, selon elle, en mesure de comprendre la nature de la procédure en cause.

Représentation

[19]      La Cour d’appel [fédérale] a conclu que la disposition impose une obligation et que le défaut de désigner un représentant au mineur constitue une erreur qui vicie la décision, nécessitant que celle‑ci soit annulée, comme elle le précise au paragraphe 6 de sa décision :

      Nous sommes d’avis que le par. 69(4) de la Loi sur l’immigration impose une obligation à la Section du statut de réfugié de désigner un représentant pour toute personne qui revendique le statut de réfugié et qui répond aux critères établis par la loi. Cette obligation survient dès que la Section du statut de réfugié prend connaissance de ces faits. Dans le présent dossier, l’âge de la revendicatrice mineure était apparent dès le début des procédures et la Section du statut de réfugié aurait dû lui désigner un représentant au moment où des procédures de désistement ont été envisagées, ce qui aurait dû être fait à tout le moins avant le dépôt de la requête de réouverture de la revendication. Le défaut de la Section du statut de réfugié constitue une erreur qui a vicié la décision de refuser la requête. [Non souligné dans l’original.]

[20]      Je suis conscient que cet arrêt n’a pas été retenu pour son principe général, étant donné la caractéristique distinctive de cette affaire, soit que l’âge de la revendicatrice mineure était en l’occurrence apparent. Cependant, il a été relevé dans plusieurs décisions que notre Cour a jugé que la SPR a une obligation stricte et que le défaut de désigner un représentant à un mineur a de façon constante donné lieu à une ordonnance renvoyant l’affaire pour une nouvelle audience ou un nouvel examen. Voir de façon générale les arrêts Vashee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1104; Duale c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 150 (Duale).

[21]      Je suis conscient également que des décisions nous enseignent que, dans certaines circonstances, le défaut de désigner un représentant ne viciera pas la décision sous‑jacente. Voir, par exemple, la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 134, où le juge Noël a déterminé que l’omission de désigner un représentant n’aura pas toujours pour effet de vicier la décision de la SPR; il s’exprime en ces termes au paragraphe 34 de ses motifs :

En l’espèce, je ne crois pas que la décision de la SPR est viciée compte tenu des faits suivants :

‑ Le demandeur était âgé de 17 ans et 10 mois au moment de l’audition, de 16 ans et 5 mois au moment de remplir son FPR et il était en tout temps en mesure de comprendre les procédures qui se déroulaient;

‑ Un représentant lui a été assigné avant l’audience et il a eu droit de rencontrer un travailleur social la veille de l’audition;

‑ Les invraisemblances de son récit sont trop nombreuses et importantes pour en venir à la conclusion que la décision de la SPR est viciée du fait qu’il n’avait pas atteint l’âge de 18 ans.

Je ne crois pas, compte tenu des circonstances en l’espèce, qu’il y a lieu d’invalider la décision de la SPR. Cependant, j’insiste sur l’importance de respecter le paragraphe 167(2) LIPR et les Directives, comme cela a maintes fois été rappelé par cette Cour.

[22]      En toute déférence pour l’opinion de mes collègues sur ce point, je considère que le paragraphe 167(2) est une disposition impérative, qui ne souffre aucune exception et qui ne permet aucune dérogation en raison de circonstances externes susceptibles d’atténuer les exigences qui en découlent. Je conclus que le législateur avait l’intention d’édicter ce que je décrirais comme une disposition non équivoque relative aux exigences d’équité fondamentale, qui découle d’une préoccupation largement reconnue concernant la capacité des personnes mineures de participer à part entière dans un système judiciaire dont le rôle est de déterminer leurs droits. Le souci du législateur de veiller à la défense adéquate des droits des mineurs ou à ce que la responsabilité de leurs actes leur soit imputée en fonction de la limite d’âge de 18 ans trouve écho sous différentes formes dans un large éventail de contextes juridiques en droit canadien, que ce soit en droit pénal, en droit des contrats ou en droit de la famille.

[23]      La représentation adéquate des jeunes immigrants dans le cadre de demandes d’asile devrait selon moi être tout autant source de préoccupation que l’impartialité du décideur. Je veux dire par là qu’il s’agit d’un élément de nature à porter un coup fatal à la décision en cause rendant nécessaire son annulation; il s’agit en outre d’un point au sujet duquel des éléments de preuve nouveaux sont recevables après le fait, qu’il s’agisse d’évaluer la partialité du décideur ou, comme en l’espèce, l’âge du demandeur.

[24]      Par analogie, la question de la capacité du mineur de participer pleinement à l’instance revêt la même importance fondamentale que la situation où surgissent des doutes quant à la neutralité du décideur. Que ce soit en ce qui concerne la compréhension de l’audience ou la communication appropriée des pensées, du point de vue et des instructions du demandeur à son avocat ou à la Commission, la nomination du représentant a des répercussions fondamentales sur l’équité de l’instance même. Les conséquences de l’absence de représentant ne peuvent être évaluées après le fait, parce qu’on ne peut pas savoir quelle aurait été l’issue de la demande si un représentant informé et proactif avait été désigné pour veiller à ce que son client participe pleinement à l’instance. Le cas d’une personne mineure soulève également une crainte d’iniquité du fait que l’intéressé ne puisse pas pleinement s’engager dans le processus.

[25]      En outre, même si je reconnais que des dispositions réglementaires ne peuvent servir à interpréter des lois, je souligne que la règle 20 actuellement en vigueur des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, qui a remplacé la règle 15 sur lequel s’est fondée la Commission en l’espèce, appuierait le recours à l’approche plus stricte dans l’application de la règle impérative relative à la désignation d’un représentant. Les attributions de cette personne sont décrites comme suit :

20. […]

(10) Les responsabilités d’un représentant désigné sont notamment les suivantes :

a) décider s’il y a lieu de retenir les services d’un conseil et, le cas échéant, donner à celui‑ci des directives, ou aider la personne représentée à lui donner des directives;

b) prendre des décisions concernant la demande d’asile ou toute autre demande ou aider la personne représentée à prendre de telles décisions;

c) informer la personne représentée des diverses étapes et procédures dans le traitement de son cas;

d) aider la personne représentée à réunir et à transmettre les éléments de preuve à l’appui de son cas et, au besoin, témoigner à l’audience;

e) protéger les intérêts de la personne représentée et présenter les meilleurs arguments possibles à l’appui de son cas devant la Section;

f) informer et consulter, dans la mesure du possible, la personne représentée lorsqu’il prend des décisions relativement à l’affaire;

g) interjeter et mettre en état un appel devant la Section d’appel des réfugiés, si nécessaire.

Responsabilités d’un représentant

[26]      De même, le paragraphe 20(7) des Règles actuellement en vigueur confirme l’application stricte des protections offertes à une personne mineure puisque celles‑ci prennent fin quand la personne atteint l’âge adulte.

20. […]

(7) La désignation d’un représentant pour une personne âgée de moins de dix‑huit ans prend fin lorsque celle‑ci atteint cet âge, à moins que ce représentant ait également été désigné pour elle parce qu’elle n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure.

Fin de désignation — personne qui atteint l’âge de dix-huit ans

[27]      Je conclus donc que le paragraphe 167(2) est libellé en termes impératifs, sans exceptions ni restrictions, de façon à indiquer à la Commission qu’elle ne doit pas se demander, par exemple, si le fait que le demandeur atteindra bientôt l’âge de la majorité, qu’il soit représenté par avocat, ou qu’il ait livré un témoignage pouvant soulever des doutes quant à sa crédibilité peut justifier de ne pas désigner un représentant. Étant donné que de telles déterminations peuvent seulement être infirmées suivant une norme qui nécessite la retenue, soit la norme du caractère raisonnable, une telle interprétation du paragraphe minerait considérablement son objectif, comme c’est arrivé en l’espèce.

[28]      Je ne considère pas non plus qu’il s’agit d’une obligation trop lourde pour la SPR. En l’espèce, la représentante désignée était présente et était en mesure d’aider le demandeur et la Commission. Plutôt que de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur parce que celui‑ci avait fourni un faux certificat de naissance, conclusion qui influe sur l’ensemble de la décision de la Commission et qui semble incorrecte à la lumière des éléments de preuve supplémentaires, pourquoi la Commission n’exercerait‑elle pas son pouvoir discrétionnaire d’une façon libérale et ne permettrait‑elle pas à la travailleuse sociale de rester sur place et d’aider le demandeur?

[29]      Étant donné que le paragraphe 167(2) est une disposition par laquelle le législateur impose une obligation d’équité fondamentale, le tribunal saisi de la demande de réouverture a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve qui lui ont été présentés pour qu’il détermine si le demandeur était d’âge mineur au moment de son audience devant la SPR. En l’espèce, il a non seulement commis une erreur en ne prenant pas en considération les facteurs énoncés au paragraphe 167(2), mais aussi en faisant fi des nouveaux éléments de preuve très probants produits à l’appui de la prétention du demandeur, à savoir qu’il était mineur à la date de l’audience.

[30]      En outre, au sujet des efforts insuffisants déployés pour obtenir des éléments de preuve, l’élément crucial de la décision de la Commission sur la demande de réouverture, c’est justement parce que le demandeur était d’âge mineur qu’il n’est pas possible de le tenir responsable de son défaut d’avoir produit des éléments de preuve établissant qu’il avait moins de 18 ans ou de tirer de ce défaut des conclusions défavorables au sujet de sa crédibilité. Le paragraphe 167(2) se fonde sur le fait qu’on reconnaît qu’une personne mineure se trouvant dans une situation exceptionnelle en étant appelée à participer à une instance relative à sa propre demande d’asile ne possède pas la capacité suffisante de participer pleinement à l’instance sans l’aide et les conseils spéciaux d’un représentant désigné, qui est investi de ce rôle par les Règles. Voilà pourquoi le législateur impose à la Commission l’obligation de nommer un représentant désigné pour veiller à ce qu’un mineur puisse participer de façon appropriée à l’instance et ne pas être blâmé pour des manquements, entre autres le défaut de se procurer des éléments de preuve ou même d’avoir fait de fausses déclarations, s’ils ont été commis dans un contexte particulier, notamment avoir pris l’avion à destination du Canada en prétendant faussement, par nécessité, avoir 18 ans.

[31]      Le tribunal saisi de la demande de réouverture aurait dû évaluer non seulement le dossier mis à la disposition du premier tribunal, mais aussi l’ensemble de la preuve — les éléments déjà produits et les nouveaux — afin de savoir si le demandeur était mineur ou non. Après avoir tiré sa conclusion sur l’âge du demandeur, il devait déterminer si la première décision était correcte, et non pas se prononcer sur le caractère raisonnable de cette décision à la lumière des éléments de preuve présentés lors de l’audience initiale.

[32]      Même si je suis dans l’erreur quant au caractère impératif du paragraphe 167(2) de la LIPR, je conclus en l’espèce que la représentante désignée aurait été en mesure d’aider le demandeur à comprendre les questions qui lui étaient posées, à faire valoir ses droits quand il semblait confus et à faire savoir qu’il éprouvait des difficultés avec la langue, ce qui aurait aidé la Commission. La crédibilité était l’enjeu le plus important lors de l’audience, et la travailleuse sociale, qui aurait été aussi la représentante désignée, aurait pu offrir un témoignage pertinent au sujet de ses conversations avec la tante et la grand‑mère du demandeur qui aurait appuyé la demande de ce dernier.

[33]      Je conclus que je me trouve dans la même situation que la juge Dawson, dans la décision Duale, précitée, qui a accueilli au paragraphe 20 une demande similaire touchant une décision qui concernait un demandeur d’asile âgé de moins de 18 ans et qui a affirmé ce qui suit : « [J]e ne suis pas en mesure de conclure avec certitude que le défaut de nommer un représentant commis d’office n’avait pu influer d’une façon défavorable sur l’issue de la revendication ».

8. Conclusion

[34]      La demande est accueillie et le dossier est renvoyé à un nouveau tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen, lequel devra tenir compte des éléments de preuve supplémentaires présentés à l’audience sur la demande de réouverture, dans le but de déterminer si le demandeur était d’âge mineur à la date de l’audience. Si c’est le cas, une nouvelle audience devrait avoir lieu devant un autre tribunal, et un représentant sera désigné pour aider le demandeur lors de cette audience, conformément au paragraphe 167(2) de la LIPR, même si le demandeur a 18 ans ou plus.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal pour nouvelle décision;

2.         Le nom du demandeur dans l’intitulé est modifié pour se lire Gift Tjitandjewa Kurija;

3.         Les parties ont indiqué qu’il n’y avait pas de question de portée générale à certifier.

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