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[2001] 2 C.F. 3

A-363-97

(IMM-29-97)

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant) (défendeur)

c.

Frank Mefret Cuskic (intimé) (demandeur)

Répertorié : Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Isaac, Létourneau et McDonald, J.C.A.Toronto, 2 et 5 octobre 2000.

Compétence de la Cour fédérale Section d’appel Caractère théorique Appel contre une décision de la C.F. 1re inst. qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire visant une mesure de renvoi et certifié la question de savoir si l’exécution d’une mesure de renvoi à l’encontre d’une personne visée par une ordonnance de probation qui renferme une convocation devant un agent de probation sur une base périodique précise ou selon la demande de l’agent de probation donne directement lieu à une transgression d’une décision rendue au Canada par une autorité judiciaire aux fins de l’art. 50(1)a) de la Loi sur l’immigration Déclaré coupable de deux infractions criminelles, l’intimé faisait l’objet d’une ordonnance de probation de deux ans lui enjoignant de se présenter à un agent de probation une fois par mois Il a été expulsé alors qu’il faisait l’objet de l’ordonnance de probation Les déclarations de culpabilité qui avaient fondé la mesure de renvoi ont été annulées; l’intimé est depuis revenu au pays La Cour a conclu que la présente affaire était propice à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’entendre et de trancher l’appel, malgré sa nature théorique, compte tenu du fait qu’elle a soulevé une question grave de portée générale, de même que des coûts, tant sur le plan social qu’humain, qui découleraient de la décision de ne pas trancher la question; une décision de notre Cour diminuerait en outre la charge de travail de la C.F. 1re inst., car la question fondamentale qui sous-tend la question certifiée est de nature répétitive et ne parvient jamais à la C.A.F. en temps utile étant donné que les ordonnances de probation sont habituellement expirées lorsque la C.F. 1re inst. est saisie de la question.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Renvoi de résidents permanents Appel contre une décision de la C.F. 1re inst. qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire visant une mesure de renvoi et certifié la question de savoir si l’exécution d’une mesure de renvoi à l’encontre d’une personne visée par une ordonnance de probation qui renferme une convocation devant un agent de probation sur une base périodique précise ou selon la demande de l’agent de probation donne directement lieu à une transgression d’une décision rendue au Canada par une autorité judiciaire aux fins de l’art. 50(1)a) de la Loi sur l’immigration Déclaré coupable de deux infractions criminelles, l’intimé faisait l’objet d’une ordonnance de probation de deux ans lui enjoignant de se présenter à un agent de probation une fois par mois Il a été expulsé alors qu’il faisait l’objet de l’ordonnance de probation L’art. 48 de la Loi sur l’immigration prévoit que la mesure de renvoi doit être exécutée dès que les circonstances le permettent L’art. 50 prévoit des exceptions L’art. 50(1)a) empêche l’exécution d’une mesure de renvoi dans les cas où l’exécution irait directement à l’encontre d’une autre décision rendue au Canada par une autorité judiciaire La C.F. 1re inst. a conclu que le renvoi de l’intimé irait directement à l’encontre de l’ordonnance de probation car elle empêcherait l’intimé de se rapporter à l’agent de probation Comme cette interprétation aurait des conséquences absurdes, il convient de la rejeter en faveur d’une solution de rechange plausible qui évite l’absurdité La solution de rechange consiste à considérer que les ordonnances de probation n’étaient pas destinées à surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi valable et à empêcher le ministre de remplir l’obligation qui lui incombe d’agir de façon diligente et expéditive Accepter l’interprétation de la C.F. 1re inst. irait à l’encontre de l’objectif de la partie III de la Loi, qui est l’expulsion rapide du Canada des individus non admissibles Il convient de répondre par la négative à la question certifiée.

Il s’agit d’un appel contre la décision dans laquelle la Section de première instance a accueilli une demande de contrôle judiciaire visant une mesure de renvoi et certifié la question suivante : l’exécution d’une mesure de renvoi à l’encontre d’une personne visée par une ordonnance de probation qui renferme une convocation devant un agent de probation sur une base périodique précise ou selon la demande de l’agent de probation donne-t-elle directement lieu à une transgression d’une décision rendue au Canada par une autorité judiciaire aux fins de l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur l’immigration?

L’intimé a été déclaré coupable de deux infractions criminelles. Une peine d’emprisonnement lui a été imposée, et il a fait l’objet d’une ordonnance de probation valide pour une période de deux ans qui lui enjoignait de se présenter à un agent de probation une fois par mois. À la date de son renvoi, l’intimé faisait toujours l’objet d’une ordonnance de probation. Le juge de la Section de première instance a conclu que le renvoi de l’intimé a directement donné lieu à une violation de l’ordonnance de probation, car il empêchait ce dernier de se présenter à l’agent de probation. En outre, il a conclu qu’il convenait d’appliquer l’alinéa 50(1)a) plutôt que le paragraphe 50(2) de la Loi sur l’immigration à l’ordonnance de probation une fois que l’individu en cause a été libéré. L’article 48 prévoit que sous réserve de l’article 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent. L’alinéa 50(1)a) empêche l’exécution d’une mesure de renvoi dans les cas où l’exécution irait directement à l’encontre d’une autre décision rendue au Canada par une autorité judiciaire. L’intimé avait déjà été expulsé lorsque les déclarations de culpabilité qui avaient fondé la mesure de renvoi prise contre lui avaient été annulées par la Cour d’appel de l’Ontario. L’intimé est depuis revenu au pays.

Arrêt : l’appel est accueilli et il convient de répondre par la négative à la question certifiée.

Bien que l’affaire fût théorique vu que l’intimé avait déjà été expulsé et qu’il était depuis revenu au Canada, la question fondamentale qui sous-tend la question certifiée est de nature répétitive et ne parviendra jamais à la Cour d’appel en temps utile étant donné que les ordonnances de probation sont habituellement expirées lorsque la Section de première instance est saisie de la question dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ou de sursis. Comme l’a souligné l’avocate du ministre, une décision de notre Cour résoudrait l’ambiguïté que suscite la question et diminuerait la charge de travail de la Section de première instance. Compte tenu du fait que la question certifiée était grave et de portée générale, de même que des coûts, tant sur le plan social qu’humain, qui découleraient de la décision de ne pas trancher la question, la Cour a conclu que la présente affaire était propice à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’entendre et de trancher l’appel, malgré sa nature théorique.

L’interprétation large que le juge de première instance a donnée aux exceptions précises prévues à l’article 50, en particulier à l’alinéa 50(1)a), mène à des conséquences injustes et déraisonnables que le législateur fédéral n’a pu vouloir produire. On permet à des individus qui ne sont pas admissibles à s’installer au pays parce qu’ils ont de graves antécédents criminels et qu’ils constituent une menace pour la vie et la sécurité d’autres personnes, et que le ministre est tenu d’expulser en vertu de la Loi, de demeurer temporairement au pays, malgré le coût social énorme que cela engendre, dans le cadre d’un programme visant à faciliter leur intégration sociale permanente, alors qu’une telle intégration est improbable, voire impossible, étant donné qu’ils seront expulsés à l’expiration de l’ordonnance de probation dont ils font l’objet. En outre, l’individu qui aura purgé sa peine d’emprisonnement sera susceptible d’être expulsé immédiatement après sa libération alors que, d’autre part, un autre individu lui aussi condamné à une peine d’emprisonnement ne pourra pas être expulsé si, en raison du danger qu’il pose, une ordonnance de probation a été décernée contre lui, outre la peine d’emprisonnement qui lui a été imposée. Bien qu’il soit probablement le plus dangereux des deux, ce dernier individu aura le droit, par suite d’une telle interprétation de l’alinéa 50(1)a) de la Loi, de demeurer dans la collectivité jusqu’à l’expiration de l’ordonnance. Enfin, les individus appartenant à des catégories de personnes non admissibles en vertu de l’article 19 de la Loi ou encore les personnes au sujet desquelles un rapport est présenté en vertu du paragraphe 27(1) seraient inutilement traités de façon différente, selon qu’ils font l’objet ou non d’une ordonnance de probation : ironiquement, recevraient un traitement plus favorable les personnes qui représenteraient un plus grand danger pour la sécurité d’autres citoyens du pays. Il convient, dans les circonstances de l’espèce, où il semble que les conséquences de l’adoption d’une interprétation seraient absurdes, de la rejeter en faveur d’une solution de rechange plausible qui évite l’absurdité. La solution de rechange consiste à considérer que les ordonnances de probation n’étaient pas destinées à surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi valable et à empêcher le ministre de remplir l’obligation que lui impose l’article 48 de la Loi d’agir de façon diligente et expéditive. Accepter l’interprétation que le juge de la Section de première instance a donnée à l’alinéa 50(1)a) va à l’encontre de l’objectif de la partie III de la Loi, qui, répétons-le, est l’expulsion rapide du Canada des individus non admissibles, et compromet l’efficacité de la Loi dans son ensemble.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 271 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 10; L.C. 1994, ch. 44, art. 19), 279(2) (mod. par L.C. 1997, ch. 18, art. 14).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 47, art. 77; ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83), 27(1) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5), 48, 50(1),(2), 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110.

DÉCISIONS CITÉES :

Russell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 3 Imm. L.R. (3d) 248 (C.F. 1re inst.); Clarke c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 147 F.T.R. 259 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1994.

APPEL d’une décision de la Section de première instance accueillant la demande de contrôle judiciaire d’une mesure de renvoi au motif que le renvoi irait directement à l’encontre d’une ordonnance de probation ((1997), 130 F.T.R. 232), en contravention de l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur l’immigration, qui empêche l’exécution d’une mesure de renvoi dans les cas où l’exécution irait directement à l’encontre d’une autre décision rendue au Canada par une autorité judiciaire. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Lori Hendriks pour l’appelant (défendeur).

Personne n’a comparu pour le compte de l’intimé (demandeur).

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant (intimé).

Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour l’intimé (demandeur).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Létourneau, J.C.A. : Conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73)] (la Loi), la question suivante a été certifiée en tant que question grave de portée générale :

L’exécution d’une mesure de renvoi à l’encontre d’une personne visée par une ordonnance de probation qui renferme une convocation devant un agent de probation sur une base périodique précise ou selon la demande de l’agent de probation donne-t-elle directement lieu à une transgression d’une décision rendue au Canada par une autorité judiciaire aux fins de l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur l’immigration?

[2]        Dès le début de l’audition du présent appel, un membre de la formation a soulevé la nature théorique de la question vu que l’intimé avait déjà été expulsé. L’avocate de l’appelant a convenu que la question était effectivement théorique de ce point de vue. En outre, elle nous a informés que les déclarations de culpabilité de l’intimé qui avaient fondé la mesure de renvoi prise contre lui avaient été annulées par la Cour d’appel de l’Ontario et que l’intimé était revenu au pays. Ce dernier renseignement élimine tout doute qui aurait pu subsister quant à la nature théorique de la question. Pourtant, elle a soutenu que la question fondamentale qui sous-tend la question certifiée est de nature répétitive de courte durée et ne parviendra jamais à la Cour d’appel en temps utile étant donné que les ordonnances de probation, qui sont valides de deux à trois ans, sont habituellement expirées lorsque la Section de première instance est saisie de la question dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ou d’une demande de sursis. Des décisions telles Russell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 3 Imm. L.R. (3d) 248 (C.F. 1re inst.), et Clarke c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 147 F.T.R. 259 (C.F. 1re inst.), illustrent le problème.

[3]        Elle a également soutenu qu’une décision de notre Cour résoudrait, dans l’intérêt public, l’ambiguïté que suscite la question, et diminuerait la charge de travail de la Section de première instance, où de telles questions sont présentement débattues.

[4]        Après un examen attentif du droit tel qu’énoncé dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, des arguments de l’appelant, du fait que la question certifiée est grave et de portée générale, de même que des coûts, tant sur le plan social qu’humain, qui découleraient de la décision de ne pas trancher la question, je suis parvenu à la conclusion que la présente affaire est propice à l’exercice, par notre Cour, de son pouvoir discrétionnaire d’entendre et de trancher l’appel, malgré sa nature théorique.

Les faits et la procédure

[5]        Il convient de faire un bref résumé des faits afin de comprendre et d’apprécier le contexte dans lequel la question a été certifiée.

[6]        L’intimé a été déclaré coupable de deux infractions criminelles punissables par voie de mise en accusation et susceptibles d’entraîner une peine d’emprisonnement d’au plus dix ans, soit l’infraction de séquestration, prévue au paragraphe 279(2) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46 (mod. par L.C. 1997, ch. 18, art. 14)], et celle d’agression sexuelle, qui est prévue à l’article 271 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 19, art. 10; L.C. 1994, ch. 44, art. 19] du même Code. Une peine d’emprisonnement de six mois lui a été imposée en vertu du premier chef d’accusation, qu’il devait purger en même temps qu’une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour, qui lui a été imposée en vertu du deuxième chef d’accusation. De plus, il a fait l’objet d’une ordonnance de probation valide pour une période de deux ans qui lui enjoignait notamment d’obtenir du counselling sur le plan psychiatrique et de se présenter à un agent de probation une fois par mois ou aussi souvent que cela lui serait demandé.

[7]        La déclaration de culpabilité a été inscrite le 17 janvier 1994. La peine a été prononcée le 14 mars 1994, et l’ordonnance de probation est entrée en vigueur à la date d’expiration de la peine d’emprisonnement. Le 13 décembre 1994, une mesure de renvoi a été prise contre l’intimé, qui a été expulsé du pays le 6 janvier 1997, alors que la Section de première instance n’avait pas encore tranché la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire qu’il avait déposée. À la date de son renvoi, l’intimé faisait toujours l’objet d’une ordonnance de probation, car celle-ci devait expirer le 13 mars 1998 ou vers cette date. La demande de contrôle judiciaire de l’intimé a été entendue et tranchée par un juge de la Section de première instance le 7 mai 1997 [(1997), 130 F.T.R. 232 (C.F. 1re inst.)].

La décision du juge saisi en révision dans le cadre de l’instance en contrôle judiciaire

[8]        Bien que la demande fût de nature théorique, le juge saisi en révision a entrepris de résoudre ce qu’il a appelé [au paragraphe 1] « une contradiction touchant l’exécution d’une mesure de renvoi de la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (ministre) et d’une ordonnance de probation de la Cour de l’Ontario (Division générale) ». Il a tiré un certain nombre de conclusions mais, pour les fins du présent appel, seules les conclusions suivantes sont pertinentes.

[9]        Le renvoi de l’intimé a directement donné lieu à une violation de l’ordonnance de probation, car il empêchait ce dernier de se présenter à l’agent de probation, comme il devait le faire.

[10]      En outre, le paragraphe 50(2) de la Loi ne traite pas de façon exhaustive des ordonnances d’emprisonnement et de probation, car il arrive que des personnes fassent l’objet d’une ordonnance de probation sans pour autant avoir été emprisonnées. En conséquence, l’article 50 doit être interprété dans son ensemble, et il convient d’appliquer l’alinéa 50(1)a), plutôt que le paragraphe 50(2), à l’ordonnance de probation une fois que l’individu en cause a été libéré. J’ai reproduit l’article 50 en entier afin de permettre une meilleure compréhension de la position du juge saisi en révision et des arguments qui suivront :

50. (1) La mesure de renvoi ne peut être exécutée dans les cas suivants :

a) l’exécution irait directement à l’encontre d’une autre décision rendue au Canada par une autorité judiciaire;

b) la présence au Canada de l’intéressé étant requise dans le cadre d’une procédure pénale, le ministre ordonne d’y surseoir jusqu’à la conclusion de celle-ci.

(2) L’incarcération de l’intéressé dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction, antérieurement à la prise de la mesure de renvoi ou à son exécution, suspend l’exécution de celle-ci jusqu’à l’expiration de la peine, compte tenu des réductions légales de peine et des mesures de clémence.

[11]      En tirant cette conclusion, le juge de révision a fait trois remarques. Premièrement, l’appelant pourrait demander à ce que les conditions d’une ordonnance de probation exigeant la présence de l’intéressé au Canada soient modifiées afin de permettre le renvoi légitime, en vertu de la Loi, d’une personne déclarée coupable d’une infraction. Une telle demande appellerait la collaboration et la participation des procureurs de la Couronne des provinces.

[12]      Deuxièmement, il y a une dichotomie entre l’exigence applicable en matière d’expulsion et l’objet d’une ordonnance de probation. L’exigence en matière d’expulsion prévoit, de façon générale, que le contrevenant est une personne qui ne doit pas demeurer au Canada, alors que l’objet de l’ordonnance de probation vise à réadapter ce dernier et à faciliter sa réinsertion sociale après qu’il a purgé sa peine d’emprisonnement. Je traiterai davantage de ces objectifs contradictoires plus loin.

[13]      Enfin, le juge a suggéré que le législateur fédéral examine de nouveau l’article 50 de la Loi afin de trancher le dilemme qu’engendre son libellé actuel.

L’analyse

[14]      L’article 48 de la Loi impose au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) une obligation générale d’exécuter la mesure de renvoi le plus rapidement possible en prévoyant qu’il doit agir dès que les circonstances le permettent. En voici le libellé :

48. Sous réserve des articles 49 et 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent.

Cependant, l’article 50 prévoit des circonstances précises dans lesquelles les mesures de renvoi ne peuvent être exécutées. En d’autres termes, l’exécution de la mesure de renvoi constitue la règle, et le sursis à l’exécution, l’exception. Le problème, comme l’a souligné le juge saisi en révision, provient du libellé large de l’alinéa 50(1)a).

[15]      L’avocate de l’appelant a d’abord fait valoir un argument fondé sur le libellé de la disposition. Elle a soutenu que le mot « directement » qui se trouve à l’alinéa 50(1)a) en restreint la portée car il exige un rapport immédiat de cause à effet entre le renvoi et la contravention à une autre décision. Selon ce raisonnement, le ministre n’est pas « directement » allé à l’encontre des conditions de l’ordonnance de probation vu qu’aucune de ces conditions ne prévoyait que l’intimé doive demeurer au Canada.

[16]      En outre, ce n’est pas le renvoi de l’intimé qui, selon elle, allait directement à l’encontre de l’ordonnance judiciaire; c’est plutôt l’incapacité de ce dernier de revenir au Canada qui l’a empêché de remplir les conditions de l’ordonnance de probation.

[17]      Je me contenterai de dire que ces deux arguments techniques ne sont pas fondés. Contrairement à ce que soutient l’appelant, l’obligation de l’intimé de se présenter périodiquement à son agent de probation exige nécessairement qu’il se trouve au Canada. Il n’est pas difficile de conclure que, du point de vue des faits à tout le moins, le renvoi de l’intimé l’empêchait « directement » de remplir cette condition.

[18]      Pour ce qui est du deuxième argument, j’estime qu’il résulte d’une confusion entre la cause, les moyens et l’effet. Le fait est que le renvoi de l’intimé a rendu ce dernier incapable de remplir les conditions de l’ordonnance de probation dont il faisait l’objet, car il l’empêchait de se présenter à son agent de probation, comme il devait le faire.

[19]      L’interprétation que l’appelant donne du mot « directement » tient compte du sens de ce seul mot dans les limites de l’alinéa 50(1)a) et omet de considérer le contexte de l’ensemble de la Loi. Il s’agit simplement d’une version modifiée de l’interprétation littérale que le juge saisi en révision n’aurait pas dû adopter et dont l’avocate s’est plainte. Il n’est pas surprenant qu’une telle interprétation ne soit pas utile à l’appelant, car elle mène à des conclusions semblables à celles que le juge a tirées en appliquant le même principe d’interprétation.

[20]      L’argument de l’appelant selon lequel le juge saisi en révision a omis de tenir compte de l’objectif général de la Loi, en particulier de la partie III, qui traite longuement de l’exclusion et du renvoi de personnes non admissibles, mérite toutefois un examen plus attentif. En effet, l’appelant a-t-il soutenu, le juge a plutôt interprété de façon littérale une disposition particulière comme l’article 50 sans avoir convenablement considéré le régime général que prévoit la Loi et son incidence sur la façon dont il convient d’interpréter une disposition particulière. En conséquence, une telle interprétation mène à des conclusions illogiques ainsi qu’à des résultats qui diffèrent à partir de distinctions négligeables.

[21]      Comme je l’ai déjà mentionné et comme il ressort au paragraphe 12 de la décision du juge, celui-ci était conscient du fait que son interprétation de l’article 50 donnait lieu à au moins un résultat incongru :

Il semble assez étrange que la ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ne puisse expulser un individu pendant que celui-ci est en liberté surveillée afin de protéger la société et de faciliter la réintégration du détenu en question dans une collectivité que, finalement, il ne réintégrera pas.

[22]      En effet, on permet à des individus qui ne sont pas admissibles à s’installer au pays parce qu’ils ont de graves antécédents criminels et qu’ils constituent une menace pour la vie et la sécurité d’autres personnes, et que le ministre est tenu d’expulser en vertu de la Loi, de demeurer temporairement au pays, malgré le coût social énorme que cela engendre, dans le cadre d’un programme visant à faciliter leur intégration sociale permanente, alors qu’une telle intégration est improbable, voire impossible, étant donné qu’ils seront expulsés à l’expiration de l’ordonnance de probation dont ils font l’objet.

[23]      En outre, l’interprétation large de l’alinéa 50(1)a) de la Loi mène à un drôle de résultat pour ce qui est de l’application du paragraphe 50(2). Ainsi, d’une part, un individu qui aura purgé sa peine d’emprisonnement sera susceptible d’être expulsé immédiatement après sa libération alors que, d’autre part, un autre individu lui aussi condamné à une peine d’emprisonnement ne pourra pas être expulsé si, en raison du danger qu’il pose, une ordonnance de probation a été décernée contre lui, outre la peine d’emprisonnement qui lui a été imposée. Bien qu’il soit probablement le plus dangereux des deux, ce dernier individu aura le droit, par suite d’une telle interprétation de l’alinéa 50(1)a) de la Loi, de demeurer dans la collectivité jusqu’à l’expiration de l’ordonnance.

[24]      Enfin, les individus appartenant à des catégories de personnes non admissibles en vertu de l’art. 19 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3; L.C. 1992, ch. 47, art. 77; ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83] de la Loi ou encore les personnes au sujet desquelles un rapport est présenté en vertu du paragraphe 27(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16; 1995, ch. 15, art. 5] seraient inutilement traités de façon différente, selon qu’ils font l’objet ou non d’une ordonnance de probation : ironiquement, recevraient un traitement plus favorable les personnes qui représenteraient un plus grand danger pour la sécurité d’autres citoyens du pays.

[25]      À mon avis, l’interprétation large que l’on a donnée aux exceptions précises prévues à l’article 50, en particulier à l’alinéa 50(1)a), mène à des conséquences injustes et déraisonnables que le législateur fédéral n’a pu vouloir produire. J’estime qu’il convient, dans les circonstances de l’espèce, [traduction] « où il semble que les conséquences de l’adoption d’une interprétation seraient absurdes […] de la rejeter en faveur d’une solution de rechange plausible qui évite l’absurdité » : voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., 1994, Toronto : Butterworths, à la page 79. La solution de rechange consiste, selon moi, à considérer que les ordonnances de probation n’étaient pas destinées à surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi valable et à empêcher le ministre de remplir l’obligation que lui impose l’article 48 de la Loi d’agir de façon diligente et expéditive.

[26]      Accepter l’interprétation que le juge saisi en révision a donnée à l’alinéa 50(1)a) va à l’encontre de l’objectif de la partie III de la Loi, qui, répétons-le, est l’expulsion rapide du Canada des individus non admissibles, et compromet l’efficacité de la Loi dans son ensemble.

[27]      Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel sans dépens et de répondre par la négative à la question suivante, qui a été certifiée :

L’exécution d’une mesure de renvoi à l’encontre d’une personne visée par une ordonnance de probation qui renferme une convocation devant un agent de probation sur une base périodique précise ou selon la demande de l’agent de probation donne-t-elle directement lieu à une transgression d’une décision rendue au Canada par une autorité judiciaire aux fins de l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur l’immigration? : Non

Le juge Isaac, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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