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[2012] 3 R.C.F. 717

2010 CAF 348

A-209-09

Sirius Canada Inc. (demanderesse)

c.

CMRRA/SODRAC Inc., Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, Canadian Satellite Radio Inc. et Société canadienne de gestion des droits voisins (défenderesses)

A-210-09

CMRRA/SODRAC Inc. (CSI) (demanderesse)

c.

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), Société canadienne de gestion des droits voisins (SCGDV), Sirius Canada Inc. et Canadian Satellite Radio Inc. (défenderesses)

Répertorié : Sirius Canada Inc. c. CMRRA/SODRAC Inc.

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Dawson et Stratas, J.C.A.—Ottawa, 7 et 8 septembre, 16 décembre 2010.

Droit d’auteur — Contrôle judiciaire de la décision de la Commission du droit d’auteur du Canada homologuant des tarifs de redevances en vertu de l’art. 70.15 de la Loi sur le droit d’auteur, payables par Sirius Canada Inc., Canadian Satellite Radio Inc. (XM Canada) à l’égard de leurs services de radio par satellite — Les demanderesses ont reconnu le droit de la CMRRA/SODRAC Inc. (CSI) de percevoir de redevances pour la reproduction, mais ont contesté l’étendue de ce droit — Dans la demande de Sirius, le tarif en cause est imposé à l’égard des récepteurs de radio par satellite dotés d’une fonction de « tampon prolongé » ou d’une fonction d’enregistrement de blocs de programmation — Examen du sens de la dernière partie de l’art. 3 de la Loi, faisant état du droit d’autoriser les actes mentionnés à l’art.  3(1) — La personne qui autorise l’utilisation d’un appareil pouvant être utilisé de façon licite ou illicite pour violer le droit d’auteur, est présumée n’avoir autorisé que l’utilisation licite de l’appareil — Dans les circonstances de l’espèce, la présomption contre l’autorisation d’un acte de violation est réfutée par le degré de contrôle qu’exercent les fournisseurs de services de radio par satellite sur le contenu de leur radiodiffusion et sur les fonctions incluses dans les récepteurs de radio qu’ils fournissent à leurs abonnés — La Commission n’a pas fait erreur lorsqu’elle a conclu que les fournisseurs de services de radio par satellite, en fournissant à l’abonné un récepteur radio comportant un tampon prolongé ou une fonction d’enregistrement par blocs, autorisaient de ce fait l’abonné à copier tout le contenu radiodiffusé, y compris le contenu assujetti au droit d’auteur — En ce qui concerne la demande de CSI, la Commission a correctement conclu que la réalisation d’une copie n’est pas achevée tant que la copie n’existe pas sous une forme matérielle quelconque (Loi, art. 3(1)), que les copies électroniques d’œuvres stockées dans le serveur principal situé aux États-Unis ne relèvent pas de la compétence de la Commission, même si l’acte de copie a été entrepris au Canada — La Commission n’avait donc d’autre choix que de conclure qu’elle n’avait pas compétence pour imposer un tarif de redevances relativement à l’autorisation d’effectuer cette copie, même si l’autorisation a été donnée au Canada — Demandes rejetées.

La Cour devait statuer sur deux demandes de contrôle judiciaire, l’une présentée par Sirius Canada Inc. et l’autre par CMRRA/SODRAC Inc. (CSI), d’une décision de la Commission du droit d’auteur du Canada homologuant certains tarifs de redevances en vertu de l’article 70.15 de la Loi sur le droit d’auteur, payables par Sirius et Canadian Satellite Radio Inc. (XM Canada) à l’égard de leurs services de radio par satellite. Les tarifs homologués doivent être versés pour l’utilisation des répertoires de trois sociétés de gestion : la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), la Société canadienne de gestion des droits voisins (SCGDV) et CSI. Le droit de la SOCAN et de la SCGDV de percevoir des redevances de communication de Sirius et XM Canada n’a pas été contesté, non plus que le droit de la société CSI de recevoir certaines redevances de reproduction. Les deux demandes attaquent la décision de la Commission sur une série de questions juridiques afférentes au droit de CSI de recevoir des redevances.

La Commission a établi les tarifs sous forme de pourcentage des revenus totaux de Sirius et XM Canada. Deux composantes du tarif étaient en cause dans la demande de Sirius : l’une imposée à l’égard des récepteurs de radio par satellite dotés d’une fonction de « tampon prolongé », et l’autre imposée à l’égard d’une fonction d’enregistrement de blocs de programmation. En ce qui concerne la détermination du lieu où une œuvre est copiée, une question soulevée par CSI, la Commission a conclu que lorsqu’une copie électronique d’une œuvre est transmise au serveur principal aux États-Unis et y est stockée uniquement par suite de l’acte posé par une personne au Canada, la copie est produite aux Etats-Unis. La Commission n’avait donc pas compétence pour imposer un tarif de redevances applicable à cette copie.

En ce qui concerne la demande de Sirius, la question était de savoir si la Commission a commis une erreur de droit en concluant que le fournisseur de service de radio par satellite qui met à la disposition d’un abonné un récepteur doté d’une fonction de tampon prolongé ou d’enregistrement par blocs autorise nécessairement cet abonné à copier des œuvres visées par le droit d’auteur. Les principales questions soulevées dans la demande de CSI étaient de savoir si la Commission a commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour imposer un tarif de redevances à l’égard de la copie d’une œuvre effectuée aux États-Unis par suite d’un acte accompli directement par XM Canada au Canada; qu’elle n’avait pas compétence pour imposer un tarif de redevances à l’égard de l’autorisation donnée au Canada de faire une copie d’une œuvre aux États-Unis; et que Sirius et XM Canada n’ont autorisé la copie d’aucune œuvre aux États-Unis.

Arrêt : les demandes doivent être rejetées.

La réponse à la principale question soulevée par la demande de Sirius dépend du sens à donner à la dernière partie de l’article 3 de la Loi, qui renvoie au droit d’autoriser les actes mentionnés au début du paragraphe 3(1) ou aux alinéas 3(1)(a) à (i). Une jurisprudence abondante et constante donne un sens relativement restreint à la dernière partie du paragraphe 3(1) de la Loi. Lorsqu’une personne autorise l’utilisation d’un appareil qui peut être utilisé dans la légalité, mais dont l’utilisation illicite peut aussi violer le droit d’auteur, il faut présumer que la personne n’a autorisé que l’utilisation licite de l’appareil. La présomption peut être réfutée si la personne qui autorise l’utilisation de l’appareil est en mesure, en raison de sa relation avec l’utilisateur de l’appareil, d’exercer sur l’utilisation de celui-ci un contrôle permettant de conclure qu’elle a sanctionné toute violation du droit d’auteur découlant de l’utilisation de l’appareil. En l’espèce, on peut dire que les fournisseurs de services de radio par satellite autorisent leurs abonnés à utiliser toutes les fonctions des récepteurs radio qui leur sont fournis. Il convient d’accorder de prime abord aux fournisseurs de services de radio par satellite le bénéfice de la présomption contre l’autorisation d’utiliser les récepteurs pour violer le droit d’auteur. La Cour devait décider en l’espèce si la présomption avait été réfutée. En l’occurrence, la relation est celle de fournisseur de service de radio par satellite et d’abonné. Le fournisseur de service offre à l’abonné le contenu de la radiodiffusion et un récepteur qu’il faut utiliser pour capter le contenu radiodiffusé. Ainsi, l’abonné ne peut empêcher la copie du contenu radiodiffusé à moins de mettre le récepteur hors tension ou, si celui-ci est doté d’une fonction d’enregistrement par blocs, de désactiver cette fonction. Tout le contenu de radiodiffusion n’est certes pas assujetti au droit d’auteur, mais, concrètement, le fait d’utiliser un récepteur de radio par satellite selon le mode de fonctionnement prévu entraînera invariablement la réalisation de copies illicites en raison des choix technologiques faits par les fournisseurs de ces services. Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, la présomption contre l’autorisation d’un acte de violation est réfutée par le degré de contrôle qu’exercent les fournisseurs de services de radio par satellite sur le contenu de leur radiodiffusion et sur les fonctions incluses dans les récepteurs de radio qu’ils fournissent à leurs abonnés.

Malgré la présence d’avis d’exonération de responsabilité, les fournisseurs de services de radio par satellite n’auraient pu réalistement mettre en garde leurs abonnés contre la confection de copies violant le droit d’auteur, puisque la copie se faisait automatiquement dans le cas des deux types de récepteurs. En conséquence, la Commission n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a décidé que les fournisseurs de services de radio par satellite, en fournissant à l’abonné un récepteur radio comportant un tampon prolongé ou une fonction d’enregistrement par blocs, autorisaient de ce fait l’abonné à copier tout le contenu radiodiffusé, y compris le contenu assujetti au droit d’auteur.

En ce qui concerne la demande de CSI, la Commission a à bon droit conclu que la réalisation d’une copie n’est pas achevée tant que la copie n’existe pas sous une forme matérielle quelconque (paragraphe 3(1) de la Loi) et que les copies électroniques d’œuvres stockées dans le serveur principal situé aux ÉtatsUnis ne relèvent pas de la compétence de la Commission, même si l’acte de copie a été entrepris au Canada. Elle a également correctement conclu que, suivant le paragraphe 3(1), l’acte d’autorisation au Canada ne confère pas de droit d’action en vertu de la Loi lorsque la contrefaçon principale survient à l’extérieur du Canada. Selon la partie finale du paragraphe 3(1), l’autorisation à l’égard d’un acte particulier ne viole le droit d’auteur que si l’acte autorisé constitue luimême un acte de contrefaçon. Par conséquent, dès lors que la Commission a conclu, à juste titre, qu’elle n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances relativement à la copie d’une œuvre située aux ÉtatsUnis, elle devait conclure qu’elle n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances relativement à l’autorisation d’effectuer cette copie, même si l’autorisation a été donnée au Canada.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2 « contrefaçon » (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 1), « droit d’auteur » (mod., idem), « œuvre musicale » (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 53), 3 (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1993, ch. 23, art. 2, ch. 44, art. 55; 1997, ch. 24, art. 3), 27(1) (mod., idem, art. 15), 70.15 (édicté, idem, art. 46).

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 231.6 (mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 177)

JURISPRUDENCE CITÉE

Décision différenciée :

CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339.         

Décision examinée :

eBay Canada Ltd. c. M.R.N., 2008 CAF 348, [2010] 1 R.C.F. 145.

Décision citée :

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427.

  DEMANDES de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission du droit d’auteur du Canada (Services de radio par satelliteSOCAN (2005-2009); SCGDV (2007-2010); CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2009/20090408-m-b.pdf>) homologuant certains tarifs de redevances en vertu de l’article 70.15 de la Loi sur le droit d’auteur, payables par Sirius Canada Inc. et Canadian Satellite Radio Inc. à l’égard de leurs services de radio par satellite. Demandes rejetées.

ONT COMPARU

Andrew Reddon et Daniel G. C. Glover pour Sirius Canada Inc. (demanderesse dans le dossier A-209-09, défenderesse dans le dossier A-210-09).

Colette Matteau et David R. Collier pour CMRRA/SODRAC Inc. (demanderesse dans le dossier A-210-09, défenderesse dans le dossier A-209-09).

J. Aidan O’Neill pour la défenderesse Canadian Satellite Radio Inc. (dans les dossiers A-209-09 et A-210-09).

Personne n’a comparu pour les défenderesses Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique et Société canadienne de gestion des droits voisins (dossiers A-209-09 et A-210-09).

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour la demanderesse Sirius Canada Inc. (demanderesse dans le dossier A-209-09, défenderesse dans le dossier A-210-09).

Matteau Poirier Avocats Inc. et Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour CMRRA/SODRAC Inc. (demanderesse dans le dossier A-210-09, défenderesse dans le dossier A-209-09).

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., Ottawa, pour la défenderesse Canadian Satellite Radio Inc. (dans les dossiers A-209-09 et A-210-09).

  Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]          La juge Sharlow, J.C.A. : La Cour doit statuer sur deux demandes de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission du droit d’auteur du Canada [la Commission] rendue le 8 avril 2009 (corrigée le 6 mai 2009). Dans cette décision, répertoriée sous l’intitulé Services de radio par satelliteSOCAN (2005-2009); SCGDV (2007-2010); CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), la Commission a homologué, en vertu de l’article 70.15 [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 46] de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C‑42, certains tarifs de redevances payables par Sirius Canada Inc. (Sirius) et Canadian Satellite Radio Inc. (XM Canada) relativement à leurs services de radio par satellite.

[2]          Les tarifs homologués doivent être versés pour l’utilisation des répertoires de trois sociétés de gestion : la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) pour la communication d’œuvres musicales ou dramatico‑musicales (2005‑2009); la Société canadienne de gestion des droits voisins (SCGDV) pour la communication d’enregistrements sonores publiés constitués d’œuvres musicales et de prestations de ces œuvres (2007‑2010); CMRRA/SODRAC Inc. (CSI) pour la reproduction d’œuvres musicales (2006‑2009).

[3]          Le droit de la SOCAN et la SCGDV de percevoir des redevances de communication de Sirius et de XM Canada n’a pas été contesté devant la Commission, la seule question en litige portant sur le montant des redevances. Il n’a pas non plus été contesté que la société CSI a droit de recevoir certaines redevances de reproduction, mais l’étendue de ce droit est en litige. Les demandes en l’espèce, introduites respectivement par Sirius (A‑209‑09) et CSI (A‑210‑09), attaquent la décision de la Commission sur une série de questions juridiques afférentes au droit de CSI de recevoir des redevances. Les deux demandes ont été instruites ensemble. Les présents motifs visent à la fois l’une et l’autre.

Les faits

[4]          Les faits particuliers à chacune des questions soulevées en l’espèce sont exposés parallèlement à l’analyse de chaque question. Le contexte général dans lequel s’inscrivent les services de radio par satellite offerts par Sirius et XM Canada au cours des années en cause dans les présentes demandes est décrit aux paragraphes 8 à 26 de la décision de la Commission. L’exactitude de cette description, reproduite ci‑dessous (les renvois étant omis), n’est pas contestée :

L’industrie des services de radio par satellite a pris naissance aux États‑Unis. XM Satellite Radio (XM) a commencé ses opérations le 25 septembre 2001 et Sirius Satellite Radio (Sirius U.S.), le 1er juillet 2002. Ces entreprises ont été les premières et demeurent les plus importantes du monde dans ce domaine.       

XM utilise deux satellites géostationnaires de grande puissance dont l’orbite autour de la terre est en phase et qui procurent une couverture englobant toute la partie continentale des États‑Unis et le sud du Canada.

Sirius utilise trois satellites qui circulent autour de la terre selon une orbite elliptique. Ces satellites sont appelés géosynchrones et sont placés en orbite au‑dessus de l’équateur durant 16 heures par jour et sous celui‑ci, pour les autres 8 heures, permettant ainsi au satellite d’entrer en état de veille et de conserver de l’énergie.  

Le signal multiplex transmis par satellite aux récepteurs mobiles est codé de telle sorte que seuls les récepteurs munis d’une clé de déchiffrement permettant de débrouiller le signal peuvent le recevoir et le jouer.

L’expansion des services américains chez nous a été rendue possible par la formation de coentreprises exclusives avec des sociétés canadiennes. Le 16 juin 2005, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a délivré à [XM Canada] et Sirius des licences de radiodiffusion pour offrir des services de radio par satellite partout au Canada. [XM Canada] a commencé ses opérations le 22 novembre 2005 et Sirius, le 1er décembre 2005.    

À la fin de 2004, XM déclarait plus de 3,2 millions d’abonnés, et Sirius U.S. avait atteint le plateau du million d’abonnés. Lors de l’audience, Sirius et [XM Canada] avaient respectivement 200 000 et 120 000 abonnés. À l’été 2008, ces chiffres avaient augmenté à 750 000 et 440 000. Les services de radio satellitaire ont connu une pénétration rapide du marché. Il aura fallu 3,6 années à Sirius U.S. pour placer 5 000 000 d’unités entre les mains de clients américains, alors que le DVD a atteint le même nombre en 2,5 années, le lecteur MP3 en 4,8 années, le téléphone cellulaire en 10 années et la télévision par satellite en 10,6 années.        

Pour les besoins de l’espèce, l’infrastructure et l’exploitation des deux services américains, sur lesquels les services canadiens reposent, sont assez semblables. De façon à fournir un service radio ininterrompu, les services américains augmentent leur signal satellitaire en utilisant un réseau d’émetteurs terrestres. La technique qui, dit‑on, crée de la « diversité d’espace » évite les interruptions de signal. Avec cette infrastructure mixte, les services sont en mesure de livrer toute leur programmation à tous leurs abonnés, peu importe où ils se trouvent en Amérique du Nord lors de la réception.            

Sur le plan du contenu de la programmation, même si chaque service a conçu ses propres micro‑créneaux de programmation, les deux offrent un vaste choix de canaux de musique sans message publicitaire dans un large éventail de genres, de même que des canaux d’actualités, d’émissions pour enfants, de sports, de comédie, d’infovariété et de circulation. De plus, l’abonnement aux services par satellite offre les innovations suivantes : affichage texte du nom des artistes, du titre des chansons, des résultats sportifs et des cotes de la bourse, une fonction de repérage avertissant l’auditeur qu’une chanson ou un artiste tourne sur un autre canal, la possibilité de faire un enregistrement temporaire ou permanent, l’arrêt‑reprise de contenu audio en direct, le service Internet de transmission sur demande de certains canaux audio par le Web ainsi que l’utilisation du récepteur comme lecteur MP3.  

La programmation des services américains est créée et livrée au moyen d’un système de gestion de contenu (SGC) situé à leur studio principal de radiodiffusion. L’objectif de ce système est de mettre en mémoire une fois et de livrer plusieurs fois.      

[XM Canada] utilise un SGC fourni par Delat Digital Media System. [XM Canada] produit et livre 12 canaux en provenance du Canada de studios situés à Toronto et à Montréal. Les directeurs musicaux à ces deux sites sélectionnent les pièces qui sont par la suite injectées dans le système par des fonctions des postes de travail Delat situés dans ces deux villes. Ces postes sont reliés directement au SGC principal situé à Washington, D.C. par un lien de fibre optique (lien OC3).

Sirius utilise un SGC connu sous le nom de Nex Gen mais ne produit aucune programmation au Canada. Tout son contenu canadien est produit par des tiers canadiens fournisseurs de contenu. Ces derniers génèrent et livrent le contenu au centre de contrôle principal de Sirius, situé à New York.

XM dispose d’un ensemble de 82 studios à Washington ainsi que des studios à New York, Nashville et Chicago. La principale place d’affaires de Sirius U.S. est à New York et elle a d’autres studios à Los Angeles et Memphis. La programmation n’est habituellement pas livrée en direct, sauf bien sûr les événements sportifs en direct. Essentiellement, avant que la programmation ne soit transmise au satellite en vue de sa livraison, les directeurs de programmation doivent mettre en mémoire dans le serveur principal une copie de tous les fichiers de musique et audio. Les fichiers sont comprimés, encodés et compilés afin de réaliser le processus communément appelé « multiplexage ». Le choix et la programmation du contenu se font au moyen de logiciels spécialisés qui commandent au serveur principal le moment et l’ordre dans lesquels celui‑ci doit faire entendre les divers fichiers de musique ou audio. Le serveur dessert également les canaux alternatifs de livraison, dont les services de transmission sur demande sur Internet et aux cellulaires.           

Bien que les services par satellite canadiens utilisent abondamment la programmation de leurs partenaires américains, les conditions de leur licence du CRTC les obligent à inclure dans leur bouquet d’abonnement un minimum de contenu produit au Canada. En conséquence, des 130 canaux offerts par [XM Canada], 13 sont produits au Canada, alors que des 110 offerts par Sirius, 11 le sont. Les services de radio par satellite créent et livrent leur contenu canadien de façon quelque peu différente. Compte tenu des questions de droit soulevées, il est utile de souligner les caractéristiques qui différencient chaque service.        

[XM Canada] crée sa propre programmation. Un lien de communication numérique reliant les bureaux canadiens à l’infrastructure américaine permet aux stations de travail de transmettre des instructions directement du Canada aux serveurs et au logiciel d’ordonnancement situés dans les quartiers généraux de Washington. La programmation de [XM Canada] est donc conçue et contrôlée au Canada, mais produite de Washington.

[XM Canada] reçoit le contenu audio sous forme de CD ou par l’intermédiaire d’un service SDMN‑Musicrypt fourni par l’industrie de l’enregistrement sonore. À la réception d’un nouveau CD, l’équipe de production en fait une copie directement sur le serveur aux États‑Unis au moyen du lien numérique, sans en faire de copies de sauvegarde ou d’archivage. La nouvelle musique obtenue grâce au SDMN‑Musicrypt est reçue sous forme de fichiers audionumériques d’un serveur situé au Canada. Dans ce cas, une copie intermédiaire du fichier est mémorisée dans une station de travail située au Canada. Si l’équipe de production canadienne choisit la chanson, ce fichier est alors « transféré » dans le serveur principal à Washington par le lien de communication numérique.

Le moment venu de programmer le signal, le directeur de la programmation donne des instructions aux logiciels de répartition américains de jouer des chansons et des enregistrements vocaux donnés, dans un certain ordre et au moment opportun; le serveur situé à Washington les fait alors jouer à même ses propres disques durs en mixant les canaux canadiens et américains en un signal multiplex commun qui est transmis au satellite.              

Contrairement à [XM Canada], Sirius ne produit pas elle‑même de programmation; elle acquiert la totalité de son contenu canadien de tiers canadiens fournisseurs de contenu. Standard Radio Inc. fournit à Sirius un canal de musique rock canadienne connu sous le nom de Iceberg 95, produit dans des studios situés à Toronto. Le contenu est disponible sur CD et SDMN‑Musicrypt. La musique est répartie de Toronto, stockée dans le serveur principal de Sirius où elle est encodée et numérisée pour sa livraison au serveur du centre de contrôle principal à New York. Astral Media fournit à Sirius deux canaux de musique rock canadienne, Rock Velours et Énergie, en vertu d’un contrat de sous‑traitance avec Standard Radio. La programmation est créée à Montréal avec la même technologie que celle utilisée par Standard Radio. La musique est répartie de Montréal en boucle de six heures pour radiodiffusion quotidienne au moyen d’un logiciel appelé Music Master. Les fournisseurs de contenu compilent les fichiers de musique et créent la programmation sur un serveur situé dans leur studio de radiodiffusion respectif. Encore une fois, si des œuvres musicales sont fournies sur CD, une copie numérisée en est faite sur le serveur du fournisseur de contenu. Si des œuvres musicales sont fournies par SDMN‑Musicrypt, un lien numérique auquel ce service est branché est utilisé pour reproduire ce fichier dans le serveur canadien. Les fournisseurs canadiens de contenu de Sirius ne font pas de copie d’archives des œuvres musicales.   

Les fournisseurs de contenu de Sirius utilisent un logiciel de répartition spécialisé intégré à leur ensemble de serveurs pour déterminer les chansons et autres enregistrements vocaux qui seront joués ainsi que le moment où ils le seront. Lorsque vient le temps de diffuser une émission, le système de répartition la transmet à partir des copies dans les serveurs canadiens. Ces sorties de données sont intégrées aux installations américaines par des lignes de communication, mixées aux autres canaux américains et transmises aux satellites par liaison ascendante. Le contenu utilisé dans les signaux provenant du Canada n’est jamais vraiment stocké dans le serveur de Sirius U.S.       

Dans les deux cas, une fois que la programmation a été multiplexée et transmise aux satellites par liaison ascendante, elle est livrée aux récepteurs respectifs des abonnés au Canada et aux États‑Unis. Les systèmes de gestion des services par satellite indiquent aux récepteurs canadiens les canaux qu’un abonné est en droit de capter; ceux des systèmes américains font de même pour les abonnés américains. Bien que le signal reçu par les abonnés canadiens contienne tous les canaux offerts par les services américain et canadien, parce que le signal est chiffré, les abonnés n’auront accès qu’à un sous‑ensemble de canaux.

[5]          Les tarifs établis par la Commission sont énoncés sous forme de pourcentage des revenus totaux de Sirius et XM Canada. Ils sont résumés dans un tableau annexé aux motifs de la Commission. La principale partie de ce tableau est reproduite ci‑dessous, avec une colonne additionnelle, à droite, pour fournir une désignation qui correspond à chaque composante des tarifs :



Pleins taux

Désignation

 

SOCAN

4,26 %

S

 

SCGDV

1,18 %

N

 

CSI

Programmation (avec copies de diffusion)

0,10 %

C1

Tampon prolongé et écoute différée

1,87 %

C2

Stockage de pistes individuelles et de blocs de programmation

2,90 %

C3

TOTAL

Appareil ne pouvant copier (avec copies de diffusion)

5,54 %

S + N + C1

= T1

Appareil avec tampon prolongé et écoute différée

7,41 %

T1 + C2

= T2

Appareil de type MP3

10,31 %

T2 + C3

= T3

TOTAL (Moyen)

6,19 %

 

[6]          Les notes qui accompagnent le tableau complet dans la décision de la Commission expliquent ce qui suit : a) un escompte de 95 p. 100 s’applique au taux C1 (0,10 %) lorsque aucune copie de diffusion n’est effectuée; b) le taux C3 (2,90 %) suppose que l’appareil possède aussi les fonctions de tampon prolongé et d’écoute différée; c) le taux moyen (6,19 %) est fondé sur le postulat que 30 p. 100 des abonnés possèdent un récepteur équipé des fonctions de tampon et d’écoute différée, et que 3 p. 100 possèdent un récepteur de type MP3.

Loi sur le droit d’auteur

[7]          Pour trancher les présentes demandes, il est nécessaire d’examiner la portée territoriale de la Loi sur le droit d’auteur et d’établir ce que comporte l’« autorisation » de reproduire une œuvre. Les dispositions pertinentes de la Loi sur le droit d’auteur sont rédigées comme suit [art. 2 « contrefaçon » (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 1), « droit d’auteur » (édicté, idem), « œuvre musicale » (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 53), 3(1) (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 3), 27(1) (mod., idem, art. 15)] :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

Définitions

« contrefaçon »

a) À l’égard d’une œuvre sur laquelle existe un droit d’auteur, toute reproduction, y compris l’imitation déguisée, qui a été faite contrairement à la présente loi ou qui a fait l’objet d’un acte contraire à la présente loi ;

[…]

« contrefaçon »

infringing

« droit d’auteur » S’entend du droit visé :

a) dans le cas d’une œuvre, à l’article 3 ;

[…]

« droit d’auteur »

copyright

« œuvre musicale » Toute œuvre ou toute composition musicale — avec ou sans paroles — et toute compilation de celles‑ci.

[…]

« œuvre musicale »

musical work

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

[…]

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

[…]

Droit d’auteur sur l’œuvre

27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

Règle générale

Norme de contrôle

[8]          La détermination de tarifs de redevances appropriés constitue l’élément essentiel du mandat que la loi confie à la Commission. En général, l’examen de ces décisions, lorsqu’elles sont contestées par voie de contrôle judiciaire, commande la déférence. Toutefois, pour arrêter ces décisions, la Commission doit parfois se prononcer sur des questions de droit de portée générale, notamment des questions touchant l’interprétation de la Loi sur le droit d’auteur. La contestation de décisions de la Commission portant sur de telles questions de droit donne lieu à un examen fondé sur la norme de la décision correcte : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427, aux paragraphes 49 et 50 (l’affaire du tarif 22).

[9]          La nature de la plupart des questions soulevées en l’espèce est semblable à celles soulevées dans l’affaire du tarif 22, en ce sens que les demanderesses allèguent que la Commission a rendu une décision incorrecte sur des questions générales de droit d’auteur. J’ai examiné ces questions suivant la norme de la décision correcte. Les autres questions ont été examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[10]        Je traiterai d’abord de la demande de Sirius (A‑209‑09) et me pencherai ensuite sur celle de CSI (A‑210‑09).

La demande de Sirius (A‑209‑09)

[11]        Deux composantes du tarif sont en cause dans la demande de Sirius. L’une est le taux de 1,87 p. 100 désigné comme étant C2 dans le tableau exposé ci‑dessus. Ce taux est imposé à l’égard des récepteurs de radio par satellite munis d’une fonction de « tampon prolongé » qui met automatiquement en mémoire de 44 à 60 minutes de programmation diffusée sur le canal que l’abonné choisit d’écouter. Les modèles comportant cette fonction sont le Starmate Replay, le Starmate 4, le Sportster Replay et le Stiletto (SL 10 et SL 100). L’abonné qui possède un récepteur de radio par satellite doté de la fonction de tampon prolongé peut appuyer sur un bouton qui permet d’arrêter le contenu en direct et de le remplacer par l’écoute différée du contenu stocké en mémoire. Du fait que l’espace de mémoire dans un tampon prolongé est limité, le contenu en mémoire le plus ancien est automatiquement remplacé par du contenu nouveau une fois que l’espace tampon est entièrement occupé. Le contenu stocké en mémoire est perdu dès lors que l’abonné ferme le récepteur, le retire de sa station d’accueil ou change de canal.

[12]        L’autre composante du tarif soulevée dans la demande de Sirius est le taux de 2,90 p. 100 désigné comme étant C3 dans le tableau exposé ci‑dessus. Ce taux est imposé à l’égard de la fonction d’enregistrement de blocs de programmation, qui est incluse dans les modèles de récepteurs de radio par satellite « Stiletto » (SL 10 et SL 100). Lorsqu’un abonné active la fonction d’enregistrement de blocs, l’appareil met en mémoire plusieurs heures de contenu radiodiffusé qui pourra être écouté plus tard (le modèle SL 10 met en mémoire jusqu’à 10 heures de programmation en blocs de 6 heures, et le modèle SL 100, jusqu’à 100 heures de programmation en blocs de 6 heures). Si l’abonné appuie sur le bouton « love » pendant la diffusion d’une émission, le contenu diffusé à compter de ce moment (en plus de tout ce qui est accessible dans le tampon d’écoute différée) est mis en mémoire dans une « bibliothèque ». Le contenu gardé en mémoire peut être écouté en accédant à la bibliothèque. Il est automatiquement remplacé par le contenu d’une émission nouvellement mise en mémoire et par tout fichier MP3 téléchargé par l’abonné.

[13]        Il semble que certains récepteurs de Sirius puissent aussi être utilisés comme lecteurs MP3. La fonction MP3 ne permet pas à un abonné de radio par satellite d’enregistrer le contenu de la programmation diffusée sur radio par satellite. Néanmoins, la Commission a relevé que Sirius se présente sur le marché comme une solution de remplacement aux iPods ou aux lecteurs MP3, du fait, apparemment, que la fonction MP3 utilise la capacité de tampon du récepteur radio de Sirius décrite ci‑dessus. À mon avis, le fait que certains appareils de radio par satellite peuvent être utilisés comme des lecteurs MP3 est sans pertinence au regard des questions en cause dans la demande de Sirius.

[14]        Il est utile de régler d’entrée de jeu un point préliminaire d’importance relativement secondaire. La Commission a déclaré qu’elle s’appuyait en partie sur le fait que les parties ont convenu que ce qui est mis en mémoire dans le tampon prolongé d’un récepteur radio est une copie du contenu qui est faite par l’abonné (voir les motifs de décision de la Commission, au paragraphe 110). Sirius nie avoir convenu de ce point, mais n’a pas plaidé que le contenu stocké en mémoire n’est pas une copie. Elle a plutôt soutenu dans un de ses arguments subsidiaires que la Commission a manqué à son devoir de fournir des motifs suffisants sur la question de savoir si le contenu mémorisé dans le tampon prolongé — que Sirius qualifie de [traduction] « mémorisation éphémère » — est une reproduction d’une partie importante d’une œuvre. J’estime qu’il était loisible à la Commission de conclure, à la lumière du dossier, que le contenu d’une émission mémorisé dans le tampon prolongé est une copie faite par l’abonné. De plus, étant donné que le tampon prolongé mémorise 44 à 60 minutes de contenu radiodiffusé que l’abonné peut écouter en différé, la Commission n’aurait pu raisonnablement conclure que le contenu stocké à un moment quelconque dans le tampon prolongé ne constitue pas une partie importante de l’œuvre reproduite.

[15]        Le cœur même de la demande de Sirius réside dans sa contestation de la conclusion de la Commission selon laquelle le fournisseur d’un service de radio par satellite qui met à la disposition d’un abonné un récepteur doté d’une fonction de tampon prolongé ou d’enregistrement par blocs autorise nécessairement cet abonné à copier des œuvres visées par le droit d’auteur. La question que doit trancher la Cour est de savoir si la Commission a commis une erreur de droit en tirant cette conclusion.

[16]        L’analyse de la Commission sur ce point est comprise dans le paragraphe 113 de ses motifs, que voici :

À notre avis, [Sirius et XM Canada] ont autorisé une reproduction dans les présentes circonstances. Toutes les fonctions d’enregistrement dont sont dotés le « Stiletto » et les récepteurs semblables vendus par [XM Canada] sont tributaires de la décision de l’abonné de les utiliser. L’argument [de Sirius et XM Canada] selon lequel [celles‑ci] ne font que permettre l’utilisation d’équipement, laquelle peut s’avérer illicite ou non, et s’autorisant de ce fait pour supposer que les abonnés se servent des appareils dans le respect de la loi, n’est pas conforme à la preuve versée au présent dossier. [Sirius et XM Canada] ne sont pas passi[ves]. [Elles] contrôlent la programmation transmise aux abonnés en chiffrant le signal; en le décryptant, [elles] leur accordent le droit d’accéder à toute la programmation, y compris le droit d’utiliser tous ces services. [Sirius et XM Canada] peuvent programmer leurs récepteurs pour autoriser ou empêcher la copie. En ce qui concerne la copie de bloc, la pause, l’écoute différée et autres fonctions, l’accès au contenu reproduit dans le tampon prolongé est contrôlé par [Sirius et XM Canada]. L’abonné qui cesse de payer pour le service n’a alors plus accès au contenu stocké dans son récepteur. De plus, certains contrats de licence d’utilisation prévoient la possibilité pour les abonnés d’utiliser le logiciel du récepteur pour copier du contenu de programmation ou même des chansons ce qui autoriserait un abonné à supposer que [Sirius et XM Canada] sont cens[ées] disposer du pouvoir d’autoriser les copies privées.         

[17]        La réponse à la principale question soulevée dans la demande de Sirius dépend du sens à donner à la dernière partie de l’article 3 [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1993, ch. 23, art. 2; ch. 44, art. 55; 1997, ch. 24, art. 3] de la Loi sur le droit d’auteur, qui fait état du droit d’autoriser les actes mentionnés au début du paragraphe 3(1) ou aux alinéas 3(1)a) à i). Les parties pertinentes du paragraphe 3(1) prévoient (non souligné dans l’original) :

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque […]

[…]

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

Droit d’auteur sur l’œuvre

[18]        Une jurisprudence abondante et constante donne un sens relativement restreint à la dernière partie du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur. Cette jurisprudence est mise en relief dans le jugement qui constitue l’arrêt de principe sur ce point en droit canadien, CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 (l’affaire CCH).

[19]        Une des questions qui se posait dans l’affaire CCH était de savoir si le Barreau du Haut‑Canada, en mettant à la disposition des usagers de la Grande bibliothèque des photocopieuses libre‑service et en ne surveillant pas l’utilisation de ces photocopieuses, avait autorisé les usagers à copier les œuvres de la collection de la Grande bibliothèque, violant ainsi le droit d’auteur des propriétaires et des éditeurs de ces œuvres. Le Barreau avait affiché [au paragraphe 39] l’avis suivant au‑dessus de chaque photocopieuse : [traduction] « La législation sur le droit d’auteur au Canada s’applique aux photocopies et autres reproductions qui sont faites de documents protégés. Certaines reproductions peuvent constituer une violation du droit d’auteur. La bibliothèque n’assume aucune responsabilité en cas de violations susceptibles d’être commises par les utilisateurs des photocopieuses. »

[20]        La juge en chef, s’exprimant au nom de la Cour, a expliqué en ces termes le sens du mot « autoriser » (au paragraphe 38 de ses motifs) :

« Autoriser » signifie « sanctionner, appuyer ou soutenir » (« sanction, approve and countenance ») : Muzak Corp. c. Composers, Authors and Publishers Association of Canada, Ltd., [1953] 2 R.C.S. 182, p. 193; De Tervagne c. Belœil (Ville), [1993] 3 C.F. 227 (1re inst.). Lorsqu’il s’agit de déterminer si une violation du droit d’auteur a été autorisée, il faut attribuer au terme « countenance » son sens le plus fort mentionné dans le dictionnaire, soit [traduction] « approuver, sanctionner, permettre, favoriser, encourager » : voir The New Shorter Oxford English Dictionary (1993), vol. 1, p. 526. L’autorisation est néanmoins une question de fait qui dépend de la situation propre à chaque espèce et peut s’inférer d’agissements qui ne sont pas des actes directs et positifs, et notamment d’un degré suffisamment élevé d’indifférence : CBS Inc. c. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 All E.R. 812 (Ch. D.), p. 823‑824. Toutefois, ce n’est pas autoriser la violation du droit d’auteur que de permettre la simple utilisation d’un appareil susceptible d’être utilisé à cette fin. Les tribunaux doivent présumer que celui qui autorise une activité ne l’autorise que dans les limites de la légalité : Muzak, précité. Cette présomption peut être réfutée par la preuve qu’il existait une certaine relation ou un certain degré de contrôle entre l’auteur allégué de l’autorisation et les personnes qui ont violé le droit d’auteur : Muzak, précité; De Tervagne, précité. Voir également J. S. McKeown, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 21‑104, et P. D. Hitchcock, « Home Copying and Authorization » (1983), 67 C.P.R. (2d) 17, p. 29‑33.

[21]        Appliquant ces principes, la juge en chef a conclu que le Barreau n’avait autorisé aucune copie en violation du droit d’auteur de qui que ce soit. Je résumerai comme suit l’analyse qui a conduit à cette conclusion.

[22]        Lorsqu’une personne autorise l’utilisation d’un appareil qui peut être utilisé dans la légalité mais dont l’utilisation illicite peut aussi violer le droit d’auteur, il faut présumer que la personne n’a autorisé que l’utilisation licite de l’appareil (voir le paragraphe 43). Bien que des usagers de la Grande bibliothèque aient pu utiliser les photocopieuses pour violer le droit d’auteur, il est tout aussi plausible que les usagers les aient utilisées sans violer le droit d’auteur. Partant, le Barreau avait droit, à première vue, au bénéfice de la présomption contre l’autorisation d’un acte illicite.

[23]        Cette présomption n’est pas réfutée par la présence d’un avis notifiant à toute personne autorisée à utiliser l’appareil que certaines utilisations pourraient violer le droit d’auteur (paragraphe 44). Plus particulièrement, les « avis d’exonération de responsabilité » affichés près des photocopieuses dans la Grande bibliothèque ne constituaient pas une reconnaissance expresse, de la part du Barreau, de ce que les photocopieuses seraient utilisées de manière illicite.

[24]        La présomption peut être réfutée si la personne qui autorise l’utilisation de l’appareil est en mesure, en raison de sa relation avec l’utilisateur de l’appareil, d’exercer sur l’utilisation de l’appareil un contrôle permettant de conclure qu’elle a sanctionné, appuyé ou soutenu toute violation du droit d’auteur découlant de l’utilisation de l’appareil. Cependant, même si certains usagers de la Grande bibliothèque ont utilisé ses photocopieuses pour violer le droit d’auteur, le Barreau n’exerce pas sur les usagers de la Grande bibliothèque un contrôle de nature à réfuter la présomption. La Cour explique ce point de façon plus détaillée au paragraphe 45 (renvoi omis) :

Il n’existe pas entre le Barreau et les usagers de la bibliothèque une relation employeur‑employé permettant de conclure que le Barreau exerce un contrôle sur les usagers susceptibles de violer le droit d’auteur […] Le Barreau n’exerce pas non plus de contrôle sur les œuvres que les usagers décident de copier, sur les fins auxquelles ils les copient, ni sur les photocopieuses elles‑mêmes.

[25]        En l’espèce, on peut dire que les fournisseurs de services de radio par satellite autorisent leurs abonnés à utiliser toutes les fonctions des récepteurs radio qui leur sont fournis. Il convient d’accorder de prime abord aux fournisseurs de services de radio par satellite le bénéfice de la présomption contre l’autorisation d’utiliser les récepteurs pour violer le droit d’auteur. La Cour doit décider si cette présomption a été réfutée.

[26]        Dans les circonstances de la présente affaire, la réfutation dépend de la mesure dans laquelle les fournisseurs de services de radio par satellite contrôlent l’utilisation des récepteurs de radio satellitaire qu’ils fournissent à leurs abonnés. À cet égard, je ne crois pas que l’affaire CCH étaye la proposition selon laquelle le degré de contrôle requis pour réfuter la présomption suppose nécessairement l’existence d’une relation juridique particulière entre l’utilisateur de l’appareil et la personne qui en autorise l’usage. À mon avis, bien que le degré de contrôle requis puisse exister dans le cas, par exemple, d’une relation commettant‑préposé ou employeur‑employé, il peut également exister en d’autres circonstances.

[27]        En l’occurrence, la relation est celle de fournisseur de service de radio par satellite et d’abonné. Le fournisseur de service offre à l’abonné le contenu de la radiodiffusion (dont une partie, mais non la totalité, est assujettie au droit d’auteur) et un récepteur qu’il faut utiliser pour capter le contenu radiodiffusé. L’utilisation d’un récepteur qui inclut une fonction de tampon prolongé déclenche automatiquement la copie du contenu de 44 à 60 minutes de radiodiffusion, et l’utilisation d’un récepteur doté d’une fonction d’enregistrement par blocs activée entraîne automatiquement la copie de 10 à 100 heures de radiodiffusion.

[28]        Fait important, à mon avis, l’abonné ne peut empêcher la copie du contenu radiodiffusé à moins de mettre le récepteur hors tension ou, si celui‑ci est doté d’une fonction d’enregistrement par blocs, de désactiver cette fonction. Comme la copie se fait automatiquement, le seul contrôle susceptible d’être exercé sur la copie effectuée par un abonné relève des fournisseurs de services de radio par satellite. Eux seuls savent ce qui est diffusé et quand, et quel contenu radiodiffusé est protégé par le droit d’auteur. Eux seuls ont choisi de fournir à leurs abonnés des récepteurs qui empêchent ceux‑ci de faire un choix sur ce qui est copié dans le tampon prolongé une fois le récepteur mis sous tension, et de choisir ce qui est copié au moyen de la fonction d’enregistrement par blocs lorsque celle‑ci est activée, le cas échéant.

[29]        Il est vrai que tout le contenu de radiodiffusion n’est pas assujetti au droit d’auteur. Par contre, il est tout aussi vrai que lorsqu’une œuvre particulière est diffusée sur un canal donné et qu’un récepteur de radio par satellite est sous tension et syntonisé à ce canal, une partie ou la totalité de cette œuvre sera nécessairement copiée dans le tampon prolongé ou, dans le cas d’un appareil comportant une fonction d’enregistrement par blocs qui est activée, dans la mémoire d’enregistrement de blocs. Concrètement, le fait d’utiliser un récepteur de radio par satellite conformément au mode de fonctionnement prévu entraînera invariablement la réalisation de copies illicites en raison des choix technologiques faits par les fournisseurs de ces services.

[30]        L’élément de copie automatique effectuée par un récepteur de radio satellitaire est un facteur qui n’existait pas dans l’affaire CCH. Chaque usager de la Grande bibliothèque était libre de choisir ce qu’il convenait de copier ou de ne pas copier. Dans le cas présent, en revanche, tout abonné enclenche la reproduction de tout le contenu radiodiffusé reçu du seul fait de l’utilisation du récepteur de radio satellitaire tel qu’il est censé être utilisé. J’estime que dans les circonstances de l’espèce, la présomption contre l’autorisation d’un acte de violation est réfutée par le degré de contrôle qu’exercent les fournisseurs de services de radio par satellite sur le contenu de leur radiodiffusion et sur les fonctions incluses dans les récepteurs de radio qu’ils fournissent à leurs abonnés.

[31]        Cela m’amène à examiner la question des avis d’exonération de responsabilité, longuement débattue au cours de l’audience sur les présentes demandes. Des avis plus ou moins semblables aux avis d’exonération de responsabilité en cause dans l’affaire CCH sont formulés dans le [traduction] « guide de l’utilisateur » et dans le [traduction] « contrat de licence de l’utilisateur final » des récepteurs Stiletto. CSI soutient que certains énoncés, dans ces documents, pourraient être interprétés par les utilisateurs comme une [traduction] « indication » que la reproduction, dans le récepteur, de matériel assujetti au droit d’auteur, est autorisée. La Commission semble avoir souscrit à cet argument au paragraphe 113 de ses motifs, dont la dernière phrase est la suivante :

De plus, certains contrats de licence d’utilisation prévoient la possibilité pour les abonnés d’utiliser le logiciel du récepteur pour copier du contenu de programmation ou même des chansons ce qui autoriserait un abonné à supposer que les services par satellite sont censés disposer du pouvoir d’autoriser les copies privées.

[32]        Les avis qui ont été invoqués devant notre Cour sont rédigés somme suit :

Extrait du guide de l’utilisateur de Stiletto :

Plusieurs fonctions du Stiletto 10 [ou 100] permettent d’enregistrer et de mémoriser le contenu d’émissions pour écoute ultérieure. Le contenu diffusé est soumis aux lois sur les droits d’auteur et la diffusion de matériel protégé par droits d’auteur est interdite sans la permission expresse du détenteur des droits d’auteur. Afin d’éviter la diffusion illégale du matériel protégé par droits d’auteur, le Stiletto 10 [ou 100] vous empêche de copier électroniquement (enregistrer) les chansons ou émissions sur un autre appareil.

Extrait du contrat de licence d’utilisateur :

Vous pouvez utiliser le logiciel seulement à des fins personnelles et non commerciales. Vous ne pouvez utiliser le logiciel pour offrir un service commercial ou dans le cadre d’une application commerciale. Les copies de fichiers de contenu, dont notamment les chansons et autres enregistrements sonores, sauvegardés et/ou transférés à l’aide du logiciel, et qui sont protégés par les lois sur les droits d’auteur ou les lois connexes d’une juridiction, sont réservées à un usage personnel et vous ne pouvez les diffuser publiquement ni les distribuer à des tiers.

[33]        Ces avis, selon moi, visent principalement à mettre les abonnés en garde contre certaines utilisations interdites des copies de contenu radiodiffusé qui est stocké dans le récepteur de radio satellitaire et qui est susceptible d’être assujetti au droit d’auteur. Les avis auraient pu être plus complets s’ils avaient expressément informé les abonnés que le seul fait de recevoir du contenu radiodiffusé sur un appareil muni d’un tampon prolongé ou d’une fonction activée d’enregistrement par blocs peut donner lieu à la création d’une copie illicite du contenu radiodiffusé qui est protégé par le droit d’auteur. Néanmoins, je ne suis pas disposée à conclure, comme semble l’avoir fait la Commission [au paragraphe 113], que l’absence de cette information justifie la conclusion qu’un abonné pourrait présumer que les fournisseurs de services de radio par satellite « sont censés disposer du pouvoir d’autoriser les copies privées ». Je dirais toutefois que les fournisseurs de services de radio par satellite n’auraient pu réalistement mettre en garde leurs abonnés contre la confection de copies violant le droit d’auteur, puisque la copie se faisait automatiquement dans le cas d’un récepteur muni d’un tampon prolongé de même que dans le cas d’un récepteur comportant une fonction d’enregistrement par blocs lorsque cette fonction était activée.

[34]        Pour ces motifs, je conclus que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’elle a décidé que les fournisseurs de services de radio par satellite, en fournissant à l’abonné un récepteur radio comportant un tampon prolongé ou une fonction d’enregistrement par blocs, autorisaient de ce fait l’abonné à copier tout le contenu radiodiffusé, y compris le contenu assujetti au droit d’auteur. En conséquence, la Cour ne saurait faire droit à la demande de Sirius.

La demande de CSI (A‑210‑09)

[35]        CSI conteste la décision de la Commission à divers égards. Ses motifs de contestation se répartissent en deux catégories générales. La première porte sur la détermination du lieu où une œuvre est copiée et la question de savoir si une autorisation violant le droit d’auteur peut être donnée relativement à une copie faite à l’extérieur du Canada. La seconde a trait aux copies de contenu radiodiffusé effectuées dans la mémoire tampon d’une durée de quatre, six ou dix secondes que l’on trouve dans tous les récepteurs de radio par satellite.

1) Le lieu où une œuvre est copiée, et l’autorisation de copier à l’extérieur du Canada

[36]        Une copie de chaque œuvre qui peut être radiodiffusée par Sirius et par XM Canada est hébergée dans un serveur principal situé aux États‑Unis. Quand Sirius et XM Canada commandent à leur logiciel d’ordonnancement de jouer une œuvre précise, la commande est envoyée au serveur principal aux États‑Unis, et la piste correspondant à cette œuvre est transmise par liaison ascendante du serveur principal aux États‑Unis au satellite pour être diffusée au Canada dans le cadre des activités canadiennes de radiodiffusion de Sirius et de XM Canada.

[37]        Certaines des copies électroniques d’œuvres hébergées dans le serveur principal aux États‑Unis sont créées par l’intermédiaire d’une partie qui se trouve aux États‑Unis et qui en effectue la transmission suivant les instructions reçues de Sirius et XM Canada. D’autres sont transmises à partir des studios canadiens de XM Canada, ce qui représente une étape dans la programmation des canaux canadiens de celle‑ci.

[38]        La programmation comporte la sélection d’œuvres, dont certaines sont obtenues sous forme de disques compacts et d’autres par transfert électronique direct du SDMN‑Musicrypt à l’ordinateur de XM Canada au Canada. Après avoir sélectionné une œuvre pour l’ajouter à la liste de diffusion de XM Canada, le directeur musical de XM Canada active du Canada un dispositif technologique qui fait en sorte que le fichier électronique de musique est transféré du Canada à un serveur principal situé aux États‑Unis, où il demeure accessible en permanence pour être transmis par liaison ascendante au satellite et de là, au Canada.

[39]        CSI a soulevé les questions suivantes concernant les copies d’œuvres hébergées dans le serveur principal aux États‑Unis : la Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu a) que la Commission n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances à l’égard de la copie d’une œuvre effectuée aux États‑Unis par suite d’un acte accompli par XM Canada au Canada; b) que la Commission n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances à l’égard de l’autorisation donnée par XM Canada au Canada de faire une copie d’une œuvre aux États‑Unis; c) que Sirius et XM Canada n’ont autorisé la copie d’aucune œuvre aux États‑Unis?

[40]        La Commission a conclu que lorsqu’une copie électronique d’une œuvre est transmise au serveur principal aux États‑Unis et y est stockée uniquement par suite de l’acte posé par une personne au Canada, la copie est produite aux États‑Unis et la Commission n’a donc pas compétence pour imposer un tarif de redevances applicable à cette copie. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission a estimé que l’acte de reproduction se produit à l’endroit où la création de la copie est achevée, de sorte que la copie électronique d’une œuvre se concrétise aux États‑Unis lorsqu’elle est reçue par le serveur situé aux États‑Unis. Partant, la copie est faite aux États‑Unis même si le mécanisme à l’origine de sa création a été actionné au Canada.

[41]        CSI soutient que lorsque la reproduction est amorcée au Canada, l’acte de copier se produit au Canada parce que personne à l’extérieur du Canada ne peut être tenu responsable de cette copie. Cet argument suppose que la création de la copie, dans ces circonstances, ne peut être assujettie aux lois américaines sur le droit d’auteur et que le propriétaire du serveur situé aux États‑Unis qui permet l’utilisation de son serveur pour le stockage de copies d’œuvres musicales ne peut être tenu responsable en vertu des lois sur le droit d’auteur des États‑Unis. CSI n’a mentionné à la Cour aucun élément du dossier ni aucun précédent susceptibles d’étayer ce postulat, et je ne vois aucune raison de le retenir.

[42]        CSI s’appuie également sur l’arrêt eBay Canada Ltd. c. M.R.N., 2008 CAF 348, [2010] 1 R.C.F. 145, au paragraphe 52, pour soutenir que l’information stockée dans un ordinateur aux États‑Unis peut en droit être dite située au Canada pour l’application de l’article 231.6 [mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 177] de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1. CSI prétend que, suivant le raisonnement adopté dans cette affaire, la copie électronique d’une œuvre musicale gardée en mémoire sur le serveur aux États‑Unis peut être considérée comme étant située au Canada pour l’application de la Loi sur le droit d’auteur.

[43]        Rien, dans l’arrêt eBay, ne commande de conclure qu’aux fins de la Loi sur le droit d’auteur, une copie électronique d’une œuvre musicale stockée sur un serveur dans un pays donné se trouve aussi dans un autre pays du seul fait qu’une personne, dans cet autre pays, peut avoir accès à la copie. Je rejetterais une telle interprétation, parce qu’elle signifierait nécessairement qu’une copie particulière d’une œuvre peut être visée par la portée territoriale de la Loi sur le droit d’auteur et celle de lois sur le droit d’auteur d’un grand nombre de pays. Cette situation serait incompatible avec la limitation territoriale bien établie et bien comprise de la Loi sur le droit d’auteur (voir l’affaire du tarif 22, au paragraphe 56).

[44]        Je ne peux non plus accepter l’argument de CSI selon lequel la copie s’est produite à la fois au Canada et aux États‑Unis, de sorte que le lieu de création de la copie, aux fins de la Loi sur le droit d’auteur, devrait être déterminé en fonction du critère du « lien réel et substantiel » appliqué dans l’affaire du tarif 22. Cette affaire nécessitait la détermination, pour l’application de la Loi sur le droit d’auteur, du lieu où s’était produite une communication engagée dans un pays et reçue dans un autre. Une communication ne pouvant être établie sans qu’il y ait à la fois un expéditeur et un destinataire, il fallait adopter un critère fondé sur un principe pour établir si la communication serait située à l’endroit où se trouvait l’expéditeur ou à celui où se trouvait le destinataire. Il n’est pas nécessaire d’appliquer le principe retenu dans cette affaire — le critère du lien réel et important — pour déterminer le lieu de création de la copie lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la copie complétée n’existe qu’en un seul endroit.

[45]        Je conviens avec la Commission que la réalisation d’une copie n’est pas achevée tant que la copie n’existe pas sous une forme matérielle quelconque (voir le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur). Je suis également d’accord pour dire que les copies électroniques d’œuvres stockées dans le serveur principal situé aux États‑Unis ne relèvent pas de la compétence de la Commission, même si l’acte de copie a été entrepris au Canada. Je n’ai d’autre choix que de conclure que la contestation par CSI de cet aspect de la décision de la Commission doit être rejetée.

[46]        CSI plaide subsidiairement qu’une personne qui, au Canada, entreprend de faire une copie électronique d’une œuvre se trouvant aux États‑Unis, en a autorisé la copie et a de ce fait violé au Canada le droit d’auteur associé à l’œuvre, par application de la partie finale du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur. Se fondant sur son interprétation du paragraphe 3(1), la Commission a conclu que l’acte d’autorisation au Canada ne confère pas de droit d’action en vertu de la Loi sur le droit d’auteur lorsque la contrefaçon principale survient à l’extérieur du Canada. Je suis d’accord.

[47]        Selon mon interprétation de la partie finale du paragraphe 3(1), l’autorisation à l’égard d’un acte particulier ne viole le droit d’auteur que si l’acte autorisé constitue lui‑même un acte de contrefaçon. Par conséquent, dès lors que la Commission a conclu, à juste titre, qu’elle n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances relativement à la copie d’une œuvre située aux États‑Unis, elle devait conclure qu’elle n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances relativement à l’autorisation d’effectuer cette copie, même si l’autorisation a été donnée au Canada.

[48]        Par ailleurs, de l’avis de CSI, la Commission aurait dû conclure que Sirius et XM Canada autorisent la copie de toutes les œuvres musicales stockées dans les serveurs aux États‑Unis, y compris les copies créées par le fait d’une personne se trouvant aux États‑Unis. Cet argument doit aussi être rejeté, compte tenu de l’interprétation du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur exposée dans le paragraphe qui précède.

2) Copies enregistrées dans le tampon d’une durée de quatre à dix secondes

[49]        Les autres questions soulevées par CSI à l’encontre de la décision de la Commission ont trait à la mémoire tampon d’une durée de quatre à dix secondes incluse dans tous les récepteurs de radio par satellite fournis par Sirius et XM Canada à leurs abonnés. La mémoire tampon enregistre automatiquement de quatre à dix secondes de contenu de radiodiffusion. Le contenu enregistré est continuellement remplacé par le nouveau contenu reçu, de sorte qu’en tout temps, seules les quatre à dix dernières secondes de contenu radiodiffusé sont inscrites dans le tampon. Le contenu est joué pour l’auditeur en « défilement vertical » afin d’assurer une écoute harmonieuse sans aucune des interruptions qui pourraient être causées par des coupures momentanées dans la transmission.

[50]        Les questions posées à la Cour sont de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant : a) qu’il n’y a pas copie d’une œuvre lorsque des segments de quatre à dix secondes de cette œuvre sont copiés dans la mémoire tampon d’un récepteur de radio par satellite ou d’un ordinateur personnel; b) qu’un segment d’une durée de quatre à dix secondes ne constitue pas une partie importante de l’œuvre.

[51]        CSI est d’avis que la Commission a commis une erreur de droit en statuant que les quatre à dix secondes de contenu de radiodiffusion stockées momentanément en défilement dans la mémoire temporaire d’un récepteur de radio par satellite ne représentent ni une copie de l’œuvre, ni une copie d’une partie importante d’une œuvre. La conclusion de la Commission sur ce point est principalement une conclusion mixte de droit et de fait, mais CSI soutient essentiellement que la Commission a commis une erreur en estimant qu’une copie d’une œuvre ou d’une partie importante d’une œuvre existe uniquement si une reproduction complète de l’œuvre existe à un moment quelconque.

[52]        Bien que la Commission ait clairement jugé pertinent que le tampon d’une durée de quatre à dix secondes ne donne naissance à aucun moment à une copie de l’œuvre complète, je ne crois pas, à la lecture de ses motifs, qu’elle ait estimé ce point déterminant. Si je comprends bien les motifs de la Commission, sa conclusion tient non seulement à ce qu’une copie d’une durée maximale de quatre à dix secondes peut exister dans le tampon à tout moment, mais aussi à ce qu’en aucun moment un choix ne peut être exercé quant à ce qui entre dans la mémoire tampon ni quant au moment où le segment stocké est joué. À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure des faits au dossier que le contenu du tampon ne constituait ni une copie d’une œuvre complète ni une copie d’une partie importante d’une œuvre, et cette conclusion n’est pas fondée sur une erreur de droit. La demande de CSI fondée sur ce moyen ne peut être accueillie.

Conclusion

[53]        Je rejetterais les deux demandes de contrôle judiciaire, avec dépens.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.

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