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[2012] 4 R.C.F. 3

A-115-10

2011 CAF 35

Vithal Sapru, Amita Sapru, Radika Sapru, Rishi Sapru (appelants)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Sapru c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Layden-Stevenson et Stratas, J.C.A.—Toronto, 14 décembre 2010; Ottawa, 1er février 2011.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Appel à l’encontre de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration de rejeter la demande de résidence permanente de l’appelant principal — La médecin agréée a conclu que le fils de l’appelant avait un état de santé qui risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux — La médecin n’a pas procédé à une évaluation individualisée — L’agent d’immigration a souscrit à l’avis médical — Les appelants contestent l’évaluation « générique » non individualisée — La Cour fédérale a conclu que la médecin a tenu compte des éléments de preuve non médicaux, qu’elle n’était pas tenue de rechercher des renseignements concernant la capacité et l’intention des appelants d’atténuer le fardeau excessif, que les motifs de l’agent d’immigration légitimaient les motifs insuffisants de la médecin — Il s’agissait de savoir si un médecin agréé est tenu de rechercher des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des appelants d’atténuer le fardeau excessif dès le début de l’examen et s’il a l’obligation de fournir des motifs suffisants lorsqu’il conclut qu’une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires — Les appelants sont les mieux placés pour fournir des éléments de preuve quant à leur capacité et leur intention d’atténuer le fardeau excessif — Le médecin agréé n’est pas tenu de demander des renseignements à une étape plus précoce — Le médecin agréé doit cependant soumettre à l’agent d’immigration des renseignements suffisants pour le convaincre que l’avis médical est raisonnable — Les motifs de l’agent d’immigration ne suppléent pas à l’insuffisance des motifs de la médecin du fait que l’agent d’immigration ne peut pas procéder à une évaluation utile de l’avis du médecin, que l’agent immigration et la médecin n’ont pas collaboré pendant le processus d’évaluation, que la Cour fédérale a commis une erreur en se fondant sur l’affidavit de la médecin, que les motifs de l’agent d’immigration n’étaient pas indépendants de l’avis médical — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard de la décision d’un agent d’immigration de rejeter la demande de résidence permanente de l’appelant principal à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés.

Une médecin agréée a diagnostiqué chez le fils de l’appelant principal une déficience intellectuelle et a conclu que son état de santé risquait d’entraîner un  fardeau excessif pour les services sociaux. La médecin n’a pas procédé à une évaluation individualisée du fardeau probable pour les services sociaux comme l’a exigé la Cour suprême du Canada dans Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (Hilewitz). L’agent d’immigration a souscrit à l’évaluation de la médecin dans la lettre d’équité. Dans leur réponse à la lettre d’équité, les appelants ont contesté la nécessité de recourir aux services sociaux ainsi que l’examen qu’il ont qualifié d’évaluation « générique » non individualisée. La médecin a conclu que la réponse à la lettre d’équité ne contenait aucun renseignement qui inciterait à penser que son évaluation initiale était inexacte. En informant les appelants qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences en matière de résidence permanente, l’agent d’immigration a repris intégralement les renseignements concernant le diagnostic et l’état de santé de leur fils qui se trouvaient dans la déclaration médicale ainsi que dans la lettre d’équité. La Cour fédérale a conclu, entre autres, que la médecin avait tenu compte des éléments de preuve non médicaux concernant la capacité et l’intention de la famille de compenser un éventuel fardeau excessif, qu’elle n’était pas tenue de rechercher des renseignements concernant la capacité et l’intention des appelants de compenser un éventuel fardeau excessif et que les motifs de l’agent d’immigration légitimaient les motifs insuffisants de la médecin.

Il s’agissait de savoir si le médecin agréé doit chercher des renseignements à propos de la capacité et l’intention des appelants d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux dès le début de l’examen et si le médecin agréé qui conclut qu’une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires en application de l’art. 38(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés a l’obligation de fournir des motifs suffisants, qui est une obligation indépendante de l’obligation de l’agent d’immigration de fournir des motifs.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Les appelants sont les mieux placés pour fournir des éléments de preuve quant à leur capacité et leur intention d’atténuer le fardeau excessif. Le médecin agréé n’est pas tenu de demander des renseignements à une étape plus précoce, dans la mesure où il examine avec soin et avec un esprit ouvert la réponse à la lettre d’équité. Le médecin agréé doit transmettre une lettre d’équité qui expose clairement toutes les préoccupations pertinentes pour que le demandeur sache ce qu’il a à démontrer et qu’il ait une véritable possibilité d’y répondre utilement.

Le médecin agréé a l’obligation de fournir à l’agent d’immigration des renseignements suffisants susceptibles de le convaincre, au moment où il se prononce sur l’interdiction de territoire, que l’avis du médecin est raisonnable. Ce principe est bien établi dans la jurisprudence élaborée sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration et s’applique toujours sous le régime actuel. Lorsqu’il évalue une interdiction de territoire pour motifs sanitaires, le médecin doit tenir compte tant des facteurs médicaux que des facteurs non médicaux et transmettre à l’agent d’immigration un avis médical sur les troubles pathologiques dont le demandeur est atteint. En l’espèce, la Cour fédérale a conclu à tort que les motifs de l’agent d’immigration suppléent à l’insuffisance des motifs de la médecin. Premièrement, l’agent d’immigration ne peut pas procéder à une évaluation utile de l’avis du médecin. L’agent immigration doit être présumé avoir su que l’évaluation initiale de la médecin qui a conduit à la lettre d’équité ne correspondait pas à l’évaluation individualisée exigée par l’arrêt Hilewitz. Deuxièmement, aucun détail n’a toutefois été consigné dans le dossier certifié du tribunal au sujet de la collaboration entre l’agent d’immigration et la médecin pendant le processus d’évaluation du fardeau excessif, comme il est exigé dans le Bulletin opérationnel 063 de Citoyenneté et Immigration Canada. Enfin, l’importance que la Cour fédérale a accordée à l’affidavit de la médecin pose problème en ce que l’agent d’immigration ne disposait pas de l’affidavit lorsqu’il a examiné le caractère raisonnable de l’avis de la médecin, et qu’on ne peut se servir d’un affidavit pour étayer les motifs de l’auteur de la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire. Les motifs de l’agent d’immigration n’étaient pas indépendants de l’avis médical. Sans avis médical approprié quant à l’état de santé du fils de l’appelant principal et aux besoins spéciaux en découlant, il était prématuré de la part de l’agent d’immigration de juger si le plan proposé par les appelants était suffisant. La décision de l’agent d’immigration a été donc annulée et l’affaire renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il la réexamine en se fondant sur un avis médical valide établi par un autre médecin agréé.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, art. 19(1)a)(ii).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 38(1), 42.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 1(1) « fardeau excessif » (mod. par DORS/2009-163, art. 1(A)), 20, 30(1)a), (4) (mod. par DORS/2004-167, art. 9), 34.

Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (mod. par. DORS/2005-339, art. 1), art. 22 (mod. par DORS/2002‑232, art. 11).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706; Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2009] 2 R.C.F. 576.

décisions citées :

Colaco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 282; Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 FCA 404, [2006] 3 R.C.F. 392; Gao c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 114 (1re inst.) (QL).

DOCTRINE CITÉE

Citoyenneté et Immigration Canada. Bulletin opérationnel 063. « Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux », 22 septembre 2008, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2008/bo063.asp>.

appel de la décision (2010 CF 240, [2011] 2 R.C.F. 501) par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard de la décision d’un agent d’immigration de rejeter la demande de résidence permanente de l’appelant principal à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Cecil Rotenberg, c.r. et Mario Bellissimo pour les appelants.

Lorne McClenaghan pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Bellissimo Law Group pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Dawson, J.C.A. : Le présent appel soulève d’importantes questions concernant la responsabilité du médecin agréé qui se prononce sur une interdiction de territoire pour motifs sanitaires sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). Plus précisément, lorsqu’il examine la capacité et l’intention du demandeur d’atténuer le fardeau excessif qu’il risque d’imposer aux services sociaux, quels sont les renseignements dont le médecin agréé doit s’enquérir et à quel moment doit‑il le faire? Le médecin agréé doit‑il par la suite fournir à l’agent d’immigration des motifs suffisants pour justifier son avis que l’état de santé de l’étranger risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada?

[2]        Ces questions sont soulevées dans le cadre de l’appel de la décision de la Cour fédérale portant la référence 2010 CF 240, [2011] 2 R.C.F. 501. Le juge de la Cour fédérale a certifié les deux questions suivantes à titre de questions graves de portée générale :

a) Lors de l’examen de la question de savoir si une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires en application du paragraphe 38(1) de la Loi, le médecin [agréé] est‑il tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux dès le début de l’examen ou est‑il suffisant que le médecin [agréé] transmette une lettre d’équité et s’appuie sur la réponse des demandeurs à cette lettre?

b) Le médecin [agréé] qui conclut qu’une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires en application du paragraphe 38(1) de la Loi a‑t‑il l’obligation de fournir des motifs suffisants, qui est une obligation indépendante de l’obligation de l’agent des visas de fournir des motifs et qui n’est donc pas remplie par la présentation de motifs nettement suffisants de la part de l’agent des visas?

1.         Rappel des faits

[3]        M. Vithal Sapru, qui est ingénieur de profession, a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Sa femme Amita, qui est pédiatre, et leurs enfants, Radika et Rishi, étaient inclus dans sa demande. M. Sapru et tous les membres de la famille devaient se soumettre à un examen médical.

[4]        Les résultats des examens ont été passés en revue par une médecin agréée (la médecin). Celle‑ci a signé une déclaration médicale (IMM 5365) dans laquelle elle a diagnostiqué chez Rishi une déficience intellectuelle. Se fondant sur son examen des résultats de l’examen médical et de l’ensemble des rapports dont elle avait pris connaissance, la médecin a conclu que Rishi [traduction] « a un état de santé risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux » au Canada. Plus particulièrement, elle a écrit ce qui suit :

[traduction] Né le 18 octobre 2001, le demandeur est âgé de huit ans et souffre d’un retard du développement. Il est atteint d’un retard psychomoteur et d’un retard dans le développement de la parole à la suite d’une hypoxie périnatale. Son IRM indique une diminution du volume de la substance blanche accompagnée d’une myélinisation retardée. Suivant l’adaptation indienne de l’échelle Binet‑Simon, il a l’âge mental d’un enfant de quatre ans et son quotient intellectuel se situe entre 60 et 65. À l’heure actuelle, il dépend de sa famille pour la plupart des activités de la vie courante et il connaît un retard relativement à la plupart des capacités d’adaptation. Suivant le consultant, Rishi est un enfant spécial qui nécessitera des soins et une éducation spéciaux.

Dans le contexte canadien, le demandeur et les membres de sa famille devraient subir une évaluation et un examen complets de la part d’une équipe pluridisciplinaire d’acquisition des aptitudes pour établir, et mettre ensuite en œuvre, un plan d’intervention approprié pour faire face aux problèmes médicaux et pour s’occuper des lacunes de Rishi sur le plan de ses capacités d’adaptation.

Il est probable que le demandeur et les membres de sa famille qui le soutiennent auront besoin de divers services sociaux, et notamment de services d’éducation spécialisée jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 21 ans, de services d’orthophonie et d’autres services visant à promouvoir une relative autonomie qui seraient axés sur l’acquisition d’aptitudes de base de la vie quotidienne et de la plus grande autonomie possible. Il aura probablement besoin d’une formation et d’un encadrement en matière de communications, de soins personnels, de compétences fonctionnelles, de soutien à domicile, d’aptitudes sociales et communautaires et de santé et de sécurité. Ces services comprendraient également l’accès à divers milieux protégés ansi qu’à des programmes d’assistance aux parents et aux membres de la famille et de prise en charge temporaire pour donner du répit aux personnes qui s’occupent de lui. Ces services pluridisciplinaires et ces programmes d’éducation spécialisés que son état exige, qui lui seront dispensés jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge adulte, sont coûteux.

Suivant mon examen des résultats de son examen médical et de l’ensemble des rapports que j’ai reçus, je conclus que Rishi a un état de santé qui risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada. Plus précisément, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que son état de santé entraîne des coûts qui excéderaient probablement la moyenne canadienne per capita sur une période de cinq ans. Le demandeur est donc interdit de territoire en application du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[5]        La médecin a ensuite dressé une liste détaillée des services sociaux dont elle croyait que Rishi aurait besoin ainsi que le coût de ces services.

[6]        Pour former cette opinion, la médecin n’a pas procédé à une évaluation individualisée du fardeau probable que Rishi risquerait d’entraîner pour les services sociaux (par opposition à son admissibilité à de tels services). Dans l’arrêt Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, la Cour suprême du Canada a exigé que l’on procède à cette évaluation individualisée. La médecin ne l’a pas fait parce que, jusqu’à ce que notre Cour rende l’arrêt Colaco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 282, Citoyenneté et Immigration Canada était d’avis que l’arrêt Hilewitz ne s’appliquait pas aux demandes de résidence permanente présentées dans la catégorie des travailleurs qualifiés (Citoyenneté et Immigration Canada, Bulletin opérationnel 063 [« Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux », le 24 septembre 2008]).

[7]        Après avoir reçu la déclaration médicale, l’agent d’immigration désigné (l’agent d’immigration) a écrit à M. Sapru pour lui faire part de la crainte que Rishi soit une personne dont l’état de santé risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada (la lettre d’équité). La lettre d’équité reprenait intégralement le diagnostic posé dans la déclaration médicale ainsi que les détails du trouble médical dont on disait que Rishi souffrait ainsi que les services sociaux dont on disait qu’il aurait besoin. La lettre d’équité invitait M. Sapru à soumettre des renseignements supplémentaires portant sur l’un ou l’autre des points suivants :

• l’état médical indiqué dans la lettre d’équité;

• les services sociaux susceptibles d’être requis au Canada précisés dans la lettre d’équité;

• le plan individualisé de la famille pour garantir que les services sociaux canadiens n’auraient pas à assumer un fardeau excessif pendant la période de cinq ans ainsi qu’une « déclaration de capacité et d’intention » dûment signée.

[8]        La lettre d’équité précisait également ce qui suit :

[traduction] Afin de montrer que le membre de votre famille ne constituera pas un fardeau excessif pour les services sociaux s’il est autorisé à immigrer au Canada, vous devez prouver à la satisfaction de l’agent d’évaluation que vous avez un plan raisonnable qui peut être réalisé, les moyens financiers et l’intention de mettre ce plan en œuvre afin d’atténuer le fardeau excessif que vous imposeriez autrement aux services sociaux après votre immigration au Canada.

[9]        Une réponse a été donnée à la lettre d’équité (la réponse à la lettre d’équité). La docteure Sapru, la mère de Rishi, a reconnu que son fils souffrait d’un [traduction] « retard de développement », mais, s’appuyant sur les [traduction] « deux lettres ci‑jointes qui font état de l’avis qui […] a été donné [aux autorités canadiennes] au sujet de son état général », elle contestait la gravité de l’état de son fils.

[10]      La docteure Sapru contestait également l’ampleur des services sociaux dont Rishi aurait besoin au Canada et s’inscrivait en faux contre ce qu’elle a appelé l’évaluation « générique » non individualisée. Elle a expliqué qu’au Canada, Rishi fréquenterait une école privée aux frais de la famille et qu’elle lui enseignerait aussi à la maison parce qu’elle ne pourrait pas continuer à exercer sa profession au Canada. Les demandeurs ont également soumis une convention d’indemnisation signée par M. Sapru, par son épouse et par le frère et la belle‑sœur de M. Sapru, qui résident en Ontario. Cette convention était censée indemniser pour une période de cinq ans les ministres ontariens de la Santé et de l’Éducation pour le cas où Rishi fréquenterait l’école publique et demanderait à la province de l’Ontario de payer ses services de physiothérapie. Aucune « déclaration de capacité et d’intention » n’a été fournie.

[11]      De plus, le beau‑frère de M. Sapru, qui habite au Canada, a soumis un affidavit dans lequel il déclarait notamment sous serment qu’il permettrait à son frère et aux membres de sa famille d’utiliser une maison à leur arrivée au Canada.

[12]      La réponse à la lettre d’équité a été envoyée à la médecin pour examen. Une évaluation des exigences en matière d’équité procédurale a ensuite été effectuée par la médecin puis transmise à l’agent d’immigration. Dans cette évaluation, la médecin a énuméré les autres documents qu’elle avait examinés et qui étaient joints à la réponse à la lettre d’équité. Elle a écrit :

[traduction] J’ai examiné le dossier médical concernant l’étranger en cause ainsi que les documents supplémentaires susmentionnés, et je suis d’avis qu’aucun renseignement tendant à indiquer que l’évaluation médicale initiale est inexacte n’a été fourni. Il n’y a donc pas suffisamment d’éléments de preuve justifiant pour le moment de modifier ou de réviser l’évaluation médicale de l’étranger en cause, qui conserve donc la cote M5.

[13]      Aucune lettre, note, courriel ou autre écrit n’a été versé au dossier du tribunal administratif pour expliquer comment la médecin s’y était prise pour analyser les renseignements contenus dans la réponse à la lettre d’équité ni pour préciser les raisons pour lesquelles elle concluait qu’on ne trouvait dans la réponse à la lettre d’équité aucun renseignement qui inciterait à penser que l’évaluation initiale était inexacte.

[14]      Par lettre datée du 11 juin 2009 (la lettre de décision), l’agent d’immigration a informé M. Sapru qu’il ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence permanente au Canada parce que son fils Rishi était interdit de territoire pour motifs sanitaires. Dans la lettre de décision, l’agent d’immigration a repris intégralement les renseignements concernant le diagnostic et l’état de santé de Rishi qui se trouvaient dans la déclaration médicale ainsi que dans la lettre d’équité. Il a ensuite écrit :

[traduction] Par lettre datée du 9 décembre 2008, vous avez été avisé qu’il vous était loisible de soumettre des renseignements complémentaires au sujet de l’état de santé ou le diagnostic en question. Les renseignements et documents complémentaires que vous avez soumis ont été transmis à notre médecin agréée qui, après les avoir examinés, a conclu que les évaluations médicales n’avaient pas changé et a confirmé la déclaration d’interdiction de territoire.

Je suis convaincu que l’avis de la médecin agréée au sujet de l’interdiction de territoire du membre de votre famille (Rishi Sapru) pour motifs sanitaires est raisonnable. En conséquence, le membre de la famille qui vous accompagne, Rishi Sapru, est interdit de territoire en application du paragraphe 38(1) parce qu’il a un état de santé risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada. [Non souligné dans l’original.]

[15]      Les notes consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (les notes du STIDI) indiquent que l’agent d’immigration a accepté l’avis de la médecin suivant lequel Rishi demeurait interdit de territoire pour motifs sanitaires.

[16]      Les notes du STIDI font également état des préoccupations de l’agent d’immigration qui s’inquiétait du fait que M. Sapru n’avait pas soumis de plan crédible pour compenser le fardeau excessif que Rishi entraînerait pour les services sociaux. Par exemple, l’agent d’immigration n’était pas convaincu que la docteure Sapru resterait à la maison pour s’occuper de Rishi (parce qu’elle avait travaillé sans interruption depuis 1992), il a conclu que l’offre d’une résidence familiale faite par le beau‑frère n’était pas crédible et, comme Rishi voyait des spécialistes en Inde, l’agent d’immigration estimait que Rishi continuerait probablement à voir des médecins spécialistes au Canada. À son avis, la convention d’indemnisation n’était pas suffisante pour établir que Rishi n’entraînerait pas un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens.

2.         Décision de la Cour fédérale

[17]      Après avoir rappelé les faits et exposé les décisions de la médecin et des agents d’immigration ainsi que les questions en litige devant la Cour fédérale, le juge a commencé son analyse. Il a commencé par examiner la norme de contrôle. Il a fait observer que les demandeurs alléguaient que la médecin ne s’était pas conformée aux obligations énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Hilewitz. Le juge a estimé qu’il s’agissait d’une question de droit qui était assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Les conclusions, tant médicales que non médicales, devaient faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[18]      Le juge a poursuivi en tirant les conclusions suivantes qui nous intéressent dans le présent appel :

i. Le médecin a l’obligation d’effectuer une analyse complète de tous les facteurs, médicaux et non médicaux, pertinents pour déterminer s’il y aura un fardeau excessif pour les services sociaux. L’agent d’immigration doit ensuite examiner la décision du médecin pour s’assurer que tous les facteurs pertinents ont été pris en compte par le médecin (paragraphes 23 à 26).

ii. Le juge s’est fondé sur l’affidavit souscrit par la médecin dans la demande de contrôle judiciaire pour conclure qu’elle avait tenu compte des éléments de preuve non médicaux concernant la capacité et l’intention de la famille de compenser un éventuel fardeau excessif pour les services sociaux (paragraphes 27 à 30 et 34).

iii. Lors de son évaluation médicale initiale, la médecin n’avait pas à s’enquérir de la capacité et de l’intention des demandeurs de compenser tout fardeau excessif. Les demandeurs étaient les mieux placés pour fournir des éléments de preuve quant à leur capacité et leur intention, et une possibilité équitable de le faire leur a été offerte dans la lettre d’équité (paragraphe 35).

iv. Les motifs de la médecin étaient insuffisants parce qu’ils n’expliquaient pas comment elle avait analysé la réponse à la lettre d’équité ni comment elle était parvenue à ses conclusions. Les motifs détaillés fournis par l’agent d’immigration venaient toutefois compenser l’insuffisance des motifs de la médecin, et ce, parce que le Bulletin opérationnel 063 oblige l’agent d’immigration et le médecin à collaborer tout au long du processus décisionnel. L’agent d’immigration peut ainsi demander des éclaircissements au médecin en cas de doute quant à savoir si la décision du médecin est raisonnable ou complète. De plus, les motifs fournis par l’agent d’immigration étaient suffisants et permettaient aux demandeurs de comprendre la raison pour laquelle leur demande de résidence permanente a été rejetée. Les demandeurs ont bénéficié d’un processus décisionnel équitable et transparent (paragraphes 37 à 42).

3.         Cadre législatif

[19]      La disposition de la Loi qui est la plus pertinente dans le présent appel est le paragraphe 38(1), qui prévoit que l’état de santé de l’étranger qui « risqu[e] d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé » emporte interdiction de territoire pour motifs sanitaires. L’article 42 de la Loi étend cette interdiction de territoire aux autres membres de la famille :

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

Inadmissibilité familiale

[20]      Le Règlement complète ces dispositions de la manière suivante. En premier lieu, le paragraphe 1(1) du Règlement définit comme suit la notion de « fardeau excessif » [mod. par DORS/2009-163, art. 1(A)] :

1. (1) […]

Définitions

« fardeau excessif » Se dit : 

a) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de cinq années consécutives suivant la plus récente visite médicale exigée par le présent règlement ou, s’il y a lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période, sur une période d’au plus dix années consécutives;

b) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé qui viendrait allonger les listes d’attente actuelles et qui augmenterait le taux de mortalité et de morbidité au Canada vu l’impossibilité d’offrir en temps voulu ces services aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents.

« fardeau excessif »

excessive demand

[21]      En second lieu, l’alinéa 30(1)a) prévoit que l’étranger qui demande un visa de résident permanent ainsi que les membres de sa famille sont requis de se soumettre à une visite médicale. Le paragraphe 30(4) [mod. par DORS/2004-167, art. 9] du Règlement prévoit ensuite ce qui suit :

30. […]

(4) L’étranger visé au paragraphe (1) qui cherche à entrer au Canada doit être titulaire d’un certificat médical attestant, sur le fondement de la plus récente visite médicale à laquelle il a été requis de se soumettre aux termes de ce paragraphe dans les douze mois qui précèdent, que son état de santé ne constitue vraisemblablement pas un danger pour la santé ou la sécurité publiques et, sauf si le paragraphe 38(2) de la Loi s’applique, ne risque pas d’entraîner un fardeau excessif. [Non souligné dans l’original.]

Certificat médical

[22]      L’article 34 du Règlement donne ensuite les directives suivantes au médecin chargé d’examiner l’état de santé de l’étranger :

34. Pour décider si l’état de santé de l’étranger risque d’entraîner un fardeau excessif, l’agent tient compte de ce qui suit :

a) tout rapport établi par un spécialiste de la santé ou par un laboratoire médical concernant l’étranger;

b) toute maladie détectée lors de la visite médicale.

Fardeau excessif

[23]      Enfin, l’article 20 du Règlement impose les obligations suivantes à l’agent d’immigration :

20. L’agent chargé du contrôle conclut à l’interdiction de territoire de l’étranger pour motifs sanitaires si, à l’issue d’une évaluation, l’agent chargé de l’application des articles 29 à 34 a conclu que l’état de santé de l’étranger constitue vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risque d’entraîner un fardeau excessif.

Évaluation pour motifs sanitaires

4.         Questions et analyse

            a.         Norme de contrôle

[24]      Je souscris à la prétention de l’intimé suivant laquelle, dans le cas d’un appel d’une décision rendue par la Cour fédérale à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire, la norme de contrôle applicable est celle de savoir si le juge de la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et s’il l’a ensuite appliquée correctement (Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23).

[25]      En ce qui concerne la norme de contrôle choisie par le juge en l’espèce, voici ce qu’il a écrit au paragraphe 16 de ses motifs:

En l’espèce, les demandeurs allèguent que la médecin a omis de remplir les obligations énoncées dans l’arrêt Hilewitz. Il s’agit d’une question de droit qui doit être examinée selon la décision correcte. Les demandeurs soulèvent également des questions d’équité procédurale, qui doivent être examinées selon la décision correcte (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539).

[26]      La première question certifiée vise à déterminer si un médecin est tenu, par la Loi et par l’arrêt Hilewitz de la Cour suprême, de rechercher activement des renseignements dès le début de son examen. À mon avis, le juge a qualifié à bon droit cette question de question de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte.

[27]      Dans la seconde question certifiée, on demande à la Cour si le médecin a l’obligation de fournir des motifs suffisants. Là encore, je conviens avec le juge qu’il s’agit d’une question portant sur la teneur des obligations imposées par les principes d’équité procédurale. La Cour n’a pas à faire preuve de déférence sur ces questions (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, au paragraphe 53).

            b.         La première question certifiée

[28]      Par souci de commodité, je reproduis à nouveau la première question certifiée :

Lors de l’examen de la question de savoir si une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires en application du paragraphe 38(1) de la Loi, le médecin [agréé] est‑il tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux dès le début de l’examen ou est‑il suffisant que le médecin [agréé] transmette une lettre d’équité et s’appuie sur la réponse des demandeurs à cette lettre?

[29]      Suivant les appelants, l’évaluation initiale du médecin doit être effectuée en vue de fournir un certificat médical. Il s’ensuit, à leur avis, que lorsqu’il établit son avis médical initial, le médecin doit être conscient de l’objectif ultime : procéder à une évaluation individualisée des services sociaux dont le demandeur aura besoin et déterminer si ces services entraîneront un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada et s’il est possible pour le demandeur de compenser ou d’atténuer ce fardeau excessif par une contribution personnelle. Les appelants expliquent que, pour ce faire, le médecin doit chercher dès le début à obtenir le plus de renseignements possible pour être en mesure de tirer les conclusions nécessaires.

[30]      Le juge a examiné cet argument au paragraphe 35 de ses motifs, où il a écrit :

Les demandeurs sont les mieux placés pour fournir des éléments de preuve de leur capacité et de leur intention et une possibilité équitable de le faire leur a été offerte dans la lettre d’équité. Il n’y a aucune raison pour laquelle un médecin devrait demander des renseignements à une étape plus précoce, dans la mesure où il examine avec soin et avec un esprit ouvert toute réponse à la lettre d’équité.

[31]      À mon avis, le juge avait raison, pour les motifs qu’il a exposés. J’ajouterais toutefois une mise en garde. La conclusion du juge tenait pour acquis que la lettre d’équité donnait au demandeur une « possibilité équitable » de répondre à toutes les préoccupations du médecin. Pour ce faire, il est nécessaire que la lettre d’équité explique clairement toutes les préoccupations pertinentes pour que le demandeur sache ce qu’il a à démontrer et qu’il ait une véritable possibilité d’y répondre utilement.

[32]      Je répondrais donc comme suit à la première question certifiée :

Le médecin agréé n’est pas tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux dès le début de l’examen. Il suffit qu’il leur transmette une lettre d’équité qui expose clairement toutes les préoccupations pertinentes et qui leur accorde une véritable possibilité de répondre utilement à toutes ces préoccupations.

            c.         La seconde question certifiée

[33]      Voici le texte de la seconde question :

Le médecin [agréé] qui conclut qu’une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires en application du paragraphe 38(1) de la Loi a‑t‑il l’obligation de fournir des motifs suffisants, qui est une obligation indépendante de l’obligation de l’agent des visas de fournir des motifs et qui n’est donc pas remplie par la présentation de motifs nettement suffisants de la part de l’agent des visas?

[34]      Voici comment le juge a disposé de cette question (aux paragraphes 37 à 42) :

La deuxième question est la mesure dans laquelle la médecin devait fournir des motifs pour sa décision. Les demandeurs soutiennent que ses motifs à l’égard des éléments de preuve non médicale étaient insuffisants. Elle a simplement dit que son examen de tous les documents de la réponse à la lettre d’équité ne lui avait pas fait changer son évaluation initiale.

Je n’hésite pas à conclure que ces motifs sont insuffisants. Ils n’expliquent pas comment la médecin a analysé la réponse à la lettre d’équité ni comment elle a tiré ses conclusions. L’agent des visas a toutefois fourni des motifs détaillés et a conclu que les demandeurs n’avaient pas la capacité et l’intention. La question est de savoir si cela légitime les motifs de la médecin.

Les demandeurs font valoir que ce n’est pas le cas, pour deux raisons. Premièrement, l’agent des visas doit examiner la décision de la médecin et cela exige des motifs suffisants de la part de la médecin pour ce faire. Deuxièmement, puisque la médecin est le décideur réel, les demandeurs exigent qu’elle leur fournisse ses propres motifs pour qu’ils puissent comprendre la raison pour laquelle leur demande a été rejetée.

En ce qui a trait au premier argument des demandeurs, l’agent des visas ne se trouve pas dans la position d’une cour de justice à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire, dont l’examen doit porter sur des motifs écrits. Selon le Bulletin opérationnel 063, l’agent des visas et le médecin doivent collaborer tout au long du processus décisionnel. L’agent des visas peut demander des éclaircissements auprès du médecin en cas de doute quant à savoir si la décision est raisonnable ou complète. Ainsi, l’examen de la décision de la médecin par l’agent des visas ne nécessite pas de motifs exhaustifs.

En ce qui a trait au deuxième argument des demandeurs, la Cour suprême du Canada a affirmé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que les motifs peuvent être fournis par une autre personne que le décideur réel. Selon la Cour suprême, au paragraphe 44 de l’arrêt Baker :

[Cela] fait partie de la souplesse nécessaire, ainsi que l’ont souligné Macdonald et Lametti, loc. cit., quand des tribunaux évaluent les exigences de l’obligation d’équité tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d’assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l’équité procédurale. Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu’en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons.

Dans les circonstances de l’espèce, je suis convaincu que les motifs fournis par l’agent des visas sont suffisants et qu’ils permettront aux demandeurs de comprendre la raison pour laquelle leur demande de résidence permanente a été rejetée. Les demandeurs ont bénéficié d’un processus décisionnel équitable et transparent. Ce motif de contrôle judiciaire ne peut être retenu. [Non souligné dans l’original.]

[35]      Pour bien examiner la seconde question certifiée, je vais commencer par regarder le rôle respectif des agents d’immigration et des médecins lorsqu’ils évaluent une interdiction de territoire pour motifs sanitaires.

[36]      Se fondant sur l’arrêt Hilewitz et sur le paragraphe 30(4) du Règlement, le juge a conclu que le médecin qui examine la possibilité de l’existence d’un fardeau excessif doit déterminer si l’admission du demandeur risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Le juge a également conclu que, pour procéder à cette appréciation, le médecin doit tenir compte tant des facteurs médicaux que des facteurs non médicaux. Je suis du même avis. J’ajouterais que le médecin doit transmettre à l’agent d’immigration un avis médical sur les troubles pathologiques dont le demandeur est atteint ainsi que sur le coût probable du traitement requis. Lorsqu’un demandeur soumet un plan de gestion de son état de santé, le médecin doit tenir compte notamment de la faisabilité du plan et de la disponibilité des services et en informer l’agent d’immigration. Dans chaque cas, ce que le médecin doit fournir correspond aux renseignements qu’il a en main. Cette liste n’est pas censée être une énumération exhaustive de ce qu’on attend du médecin dans chaque cas.

[37]      Pour ce qui est du rôle de l’agent d’immigration, les parties sont d’accord pour dire que l’agent d’immigration doit s’en remettre à l’avis du médecin pour tout ce qui a trait aux questions médicales, y compris l’état de santé du demandeur, les coûts probables de traitement et la question de savoir si l’état de santé du demandeur risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Elles s’entendent aussi pour dire qu’avant de pouvoir s’en remettre à l’avis d’un médecin, l’agent d’immigration doit s’assurer que l’avis donné par le médecin est raisonnable.

[38]      L’avocat du ministre affirme ce qui suit :

[traduction] La Cour a, dans des arrêts remontant aux années 1980 et 1990, confirmé que l’agent des visas a l’obligation de s’assurer que l’avis médical est raisonnable. L’avis médical qui est contradictoire au point d’être quasi incohérent ou qui exprime des possibilités plutôt que des probabilités est inacceptable. Voir, par exemple :

Ahir c. Canada (M.E.I.), [1984] 1 C.F. 1098 (C.A.)

Bola c. Canada (M.E.I.), (1990), 107 N.R. 311 (C.A.)

Hiramen c. Canada (M.E.I.), (1986), 65 N.R. 67 (C.A.)

Deol c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992), 145 N.R. 156 (C.A.)

[39]      Je conviens que ce principe est bien établi dans la jurisprudence. Ainsi, dans l’arrêt Hilewitz, la Cour suprême a jugé, au paragraphe 70, que les agents des visas avaient « commis une erreur en confirmant le refus des médecins agréés de prendre en considération l’incidence possible de la volonté des familles d’apporter leur soutien ». Bien que la jurisprudence citée par les parties ait été élaborée sous le régime d’une loi qui a depuis été abrogée, la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2 (l’ancienne loi), je suis convaincue que l’ancienne loi et son règlement d’application sont suffisamment semblables au régime législatif actuel pour rendre cette jurisprudence applicable. Je relève en particulier que, tout comme l’article 20 du Règlement oblige l’agent d’immigration à conclure à l’interdiction de territoire de l’étranger si un médecin a estimé que l’état de santé de l’étranger risque d’entraîner un fardeau excessif, le sous‑alinéa 19(1)a)(ii) de l’ancienne loi prévoit :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

a) celles qui souffrent d’une maladie ou d’une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu’un médecin agréé, dont l’avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

[…]

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé; [Non souligné dans l’original.]

Personnes non admissibles

[40]      Suivant la jurisprudence qui a été élaborée sous le régime de l’ancienne loi, l’avis du médecin n’est pas raisonnable lorsque, par exemple, le médecin n’a pas procédé à l’évaluation individualisée exigée par l’arrêt Hilewitz, n’a pas tenu compte de tous les renseignements pertinents ou a fondé son avis sur des renseignements insuffisants ou a donné un avis incomplet, contradictoire ou incohérent. Le caractère raisonnable de l’avis médical doit être apprécié au moment où il est donné et au moment où l’agent d’immigration s’y est fondé (voir, par exemple, Gao c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 114 (1re inst.) (QL).

[41]      Il ressort de cet examen du rôle respectif des agents d’immigration et des médecins qu’en raison de l’obligation faite à l’agent d’immigration de s’assurer que l’avis du médecin est raisonnable, ce dernier doit soumettre à l’agent d’immigration des renseignements suffisants susceptibles de le convaincre que l’avis médical est raisonnable.

[42]      Les éléments dont l’agent d’immigration a besoin pour être en mesure de déterminer si l’avis du médecin est raisonnable dépendent des circonstances particulières de chaque cas. Par exemple, les admissions faites, sans plus, par l’étranger dans sa réponse à la lettre d’équité dispenseraient probablement de la nécessité de disposer de motifs détaillés de la part du médecin sur la question. De plus, le médecin dispose de plusieurs moyens pour transmettre des renseignements suffisants à l’agent d’immigration. Ainsi, le médecin peut fournir des motifs suffisants dans un rapport qu’il soumet à l’agent d’immigration. Il pourrait aussi fournir verbalement des motifs suffisants si l’agent d’immigration consigne ses paroles dans les notes du STIDI, ou par une combinaison de communications verbales et écrites en consignant l’avis donné verbalement dans les notes du STIDI. Ainsi, le médecin pourrait transmettre à l’agent d’immigration des notes dans lesquelles il examine et apprécie l’ensemble des renseignements pertinents, ou encore l’agent d’immigration pourrait consigner dans les notes du STIDI les observations et conclusions pertinentes faites par le médecin au cours de leurs échanges, conformément à la collaboration entre eux qu’envisage le Bulletin opérationnel 063. Dans chaque cas, l’agent d’immigration peut demander des éclaircissements au médecin et consigner la réponse du médecin dans les notes du STIDI. Les motifs du médecin peuvent être communiqués à l’agent d’immigration par une combinaison de ces moyens ou par d’autres moyens.

[43]      Ce qui importe, c’est qu’au moment où il se prononce sur l’interdiction de territoire, l’agent d’immigration doit disposer de suffisamment d’éléments d’information du médecin pour pouvoir être convaincu que l’avis du médecin est raisonnable.

[44]      Par conséquent, je répondrais comme suit à la seconde question certifiée :

Le médecin agréé qui vérifie si l’état de santé de l’étranger risque d’entraîner un fardeau excessif a l’obligation de fournir à l’agent d’immigration des renseignements suffisants susceptibles de le convaincre que l’avis du médecin est raisonnable.

            d.         Application de ces principes à la présente affaire

[45]      Le juge a estimé que les motifs de la médecin étaient insuffisants. Je suis du même avis. Nul ne conteste dans le présent appel la conclusion du juge à cet égard.

[46]      Le juge a toutefois poursuivi en affirmant que les motifs détaillés fournis par l’agent d’immigration compensaient l’insuffisance des motifs de la médecin. Les motifs exposés par le juge pour justifier cette conclusion se trouvent aux paragraphes 39 à 42 de ses motifs, qui ont été cités précédemment au paragraphe 34.

[47]      Pour les motifs qui suivent, je ne partage malheureusement pas la conclusion du juge suivant laquelle les motifs de l’agent d’immigration suppléent à l’insuffisance des motifs de la médecin.

[48]      Premièrement, l’agent d’immigration devait se demander si l’avis de la médecin était raisonnable ou non. Les motifs de la médecin, qui étaient insuffisants, ne permettaient pas de procéder à une évaluation utile. Vu l’ensemble des faits de la présente affaire, il est particulièrement important de rappeler que l’agent d’immigration doit être présumé avoir su que, selon la politique de Citoyenneté et Immigration Canada, l’évaluation initiale de la médecin qui a conduit à la lettre d’équité ne correspondait pas à l’évaluation individualisée exigée par l’arrêt Hilewitz. Ce fait a d’ailleurs été signalé dans la réponse à la lettre d’équité, dans laquelle la docteure Sapru se plaignait du caractère général de l’évaluation de la médecin. Conscient de cette lacune de l’évaluation initiale, il était particulièrement important que l’agent d’immigration soit convaincu que la médecin avait effectué l’évaluation individualisée exigée. Or, l’agent d’immigration ne disposait d’aucun élément qui aurait raisonnablement pu lui permettre de tirer une telle conclusion.

[49]      Deuxièmement, le juge a cité le Bulletin opérationnel 063 qui indique que « [l]es agents d’immigration et les médecins doivent travailler en étroite collaboration pendant le processus et consigner les détails relatifs à celle‑ci ». En l’espèce, aucun détail n’a toutefois été consigné dans le dossier certifié du tribunal au sujet de cette collaboration. La seule allusion à une communication entre l’agent d’immigration et la médecin se trouve dans les notes du STIDI, où il est fait mention d’une conversation entre l’agent d’immigration et la médecin avant la réception de la réponse à la lettre d’équité.

[50]      Enfin, il est fort possible que la conclusion du juge ait été influencée par sa conclusion antérieure suivant laquelle la médecin avait « tenu compte des éléments de preuve non médicale en l’espèce comme elle était tenue de le faire ». La conclusion du juge était fondée sur le fait que, dans ses motifs, la médecin affirmait avoir pris connaissance de la réponse à la lettre d’équité, de même que sur l’affidavit que la médecin avait souscrit dans le cadre de l’instance en contrôle judiciaire et dans lequel elle affirmait qu’elle avait examiné la capacité et l’intention des demandeurs de s’occuper des besoins de Rishi.

[51]      Ainsi que le juge l’a reconnu, le fait pour la médecin d’affirmer dans ses motifs qu’elle avait pris connaissance de la réponse à la lettre d’équité ne suffisait pas pour rendre ses motifs suffisants. On ne peut pas accorder beaucoup de valeur à une déclaration aussi générale, qui ne fournit aucune précision sur ce que la médecin a fait et qui ne permet pas de savoir si les principes articulés dans l’arrêt Hilewitz ont été appliqués.

[52]      En ce qui concerne l’affidavit de la médecin, j’estime que l’importance que le juge a accordée à cet affidavit pose problème à deux égards. Premièrement, les renseignements contenus dans l’affidavit n’avaient pas été portés à la connaissance de l’agent d’immigration lorsqu’il examinait le caractère raisonnable de l’avis de la médecin. Il incombait à l’agent d’immigration de se demander si l’avis médical était raisonnable. Deuxièmement, ainsi que l’avocat du ministre l’a reconnu en toute franchise lors des débats, on ne peut se servir d’un affidavit pour étayer les motifs de l’auteur de la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire. Le juge Pelletier, qui s’exprimait au nom de la majorité, a écrit ce qui suit au nom de la Cour dans l’arrêt Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2009] 2 R.C.F. 576 (aux paragraphes 45 à 47) :

Il se peut que la juge de première instance ait été amenée à tirer cette conclusion en raison de la nature de l’affidavit déposé par le représentant du ministre. Bien que la lettre exposant les motifs du rejet de la demande de M. Sellathurai ne traite que des éléments de preuve portant sur la légitimité de la provenance des fonds saisis, le représentant du ministre a déposé un affidavit dans lequel il a répété et examiné les motifs de soupçonner relevés par l’agent des douanes tout en expliquant qu’il estimait que ces soupçons n’avaient pas été dissipés. À mon avis, ce genre d’affidavit est inapproprié et on n’aurait dû lui accorder aucune valeur.

Des juges de la Cour fédérale ont déjà dit qu’un tribunal ou un décideur ne peut améliorer les motifs donnés au demandeur par le biais d’un affidavit déposé dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire. Dans Simmonds c. M.R.N., 2006 CF 130, la juge Dawson a écrit, au paragraphe 22 :

Je ferais remarquer que le fait d’autoriser les décideurs à compléter leurs motifs après le fait dans des affidavits ne favorise aucunement la transparence du processus décisionnel.

Voir, dans le même sens, Kalra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 941, au paragraphe 15; Yue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 717, au paragraphe 3; Abdullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1185, au paragraphe 13. Toute autre conception de la question aurait pour effet de permettre aux tribunaux de corriger un vice entachant leur décision en déposant des motifs complémentaires sous forme d’affidavit. Agir ainsi revient à demander à l’auteur d’une demande de contrôle judiciaire de chercher à atteindre une cible mouvante. [Non souligné dans l’original.]

[53]      Aucune valeur n’aurait dû être accordée à l’affidavit de la médecin dans la mesure où elle cherchait à expliquer ou à étayer ses motifs.

[54]      Pour conclure sur ce point, rappelons que lorsqu’on examine la question de savoir si les motifs d’un médecin sont suffisants ou non, on ne cherche pas tant à savoir si les appelants ont reçu des motifs suffisants que si l’insuffisance des motifs a empêché l’agent d’immigration de juger si l’avis du médecin était raisonnable.

[55]      Il reste une question à examiner. L’intimé soutient énergiquement que, vu l’ensemble des faits de la présente affaire, l’insuffisance des motifs de la médecin ne tirait pas à conséquence parce que les motifs de l’agent d’immigration ne dépendaient pas de ceux de la médecin. Plus précisément, l’intimé fait valoir que les appelants ont reconnu dans la réponse à la lettre d’équité l’existence des besoins spéciaux de Rishi, mais qu’ils n’ont pas ensuite proposé un plan acceptable pour atténuer le fardeau entraîné par ces besoins spéciaux. En résumé, l’intimé soutient que l’agent d’immigration a fondé sa décision sur des facteurs non médicaux parce qu’aucun motif ne lui avait été communiqué au sujet des facteurs médicaux.

[56]      Malgré les arguments éloquents de Me McClenaghan, on ne m’a pas convaincu que les motifs de l’agent d’immigration étaient indépendants de l’avis médical. Je fais observer, en premier lieu, que, dans la lettre de décision qui a été transmise aux appelants, aucune mention n’est faite de la réponse à la lettre d’équité ou aux admissions qu’elle contenait. Le contenu de la lettre de décision a déjà été exposé au paragraphe 14. L’agent d’immigration déclarait dans la lettre de décision qu’il était convaincu que la décision de la médecin était raisonnable.

[57]      L’agent d’immigration mentionne effectivement la réponse à la lettre d’équité dans les notes du STIDI lorsqu’il expose plus en détail les motifs de sa décision. Voici ce qu’il a écrit :

[traduction] L’épouse de l’intéressé, qui est pédiatre, déclare dans sa lettre non datée que notre évaluation médicale est générique et qu’elle n’est pas individualisée. Elle affirme par ailleurs qu’elle ne conteste pas que Rishi souffre d’un retard de développement. L’intéressé n’a soumis aucun renseignement d’ordre médical qui permettrait de penser qu’il conteste les évaluations médicales du Ministère. Nous lui avons demandé de fournir une déclaration de capacité et d’intention, ce qu’il a omis de faire. Je ne suis pas convaincu que le plan qu’il a soumis soit crédible, et ce, pour les raisons suivantes :

[…]

Suivant les évaluations médicales et les renseignements fournis par le demandeur en réponse à la lettre d’équité procédurale, je suis convaincu que l’avis donné par la médecin au sujet de l’interdiction de territoire du membre de la famille de l’intéressé pour des motifs sanitaires est raisonnable. En conséquence, il est interdit de territoire par application du paragraphe 38(1) de la Loi au motif que l’état du membre de la famille qui accompagne l’intéressé risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. [Non souligné dans l’original.]

[58]      Il ressort de ce passage que l’agent d’immigration a effectivement tenu compte des évaluations médicales.

[59]      Le fait qu’au premier paragraphe des notes du STIDI précitées l’agent d’immigration ait commis une erreur lorsqu’il a affirmé que les demandeurs n’avaient soumis aucun renseignement médical permettant de penser qu’ils contestaient l’évaluation médicale de Rishi revêt une importance tout aussi grande lorsqu’il s’agit d’examiner les motifs de l’agent d’immigration.

[60]      Comme précédemment expliqué, tout en reconnaissant l’existence d’un certain retard du développement, la docteure Sapru s’est bel et bien inscrite en faux contre l’évaluation médicale. Voici ce qu’elle écrit :

[traduction] Si l’on se fie à votre avis, l’état de mon fils semble beaucoup plus grave que ce qu’il n’est en réalité. En fait, ses troubles de santé sont bénins ainsi qu’il ressort des deux lettres ci-jointes qui font état de l’avis qui vous a été donné au sujet de son état général.

[61]      Les deux lettres susmentionnées semblent renvoyer aux rapports que l’on trouve aux pages 640 et 641 du dossier d’appel, vol. II. Le premier rapport a été établi par un épileptologue et neurologue pour enfants qui a certifié que Rishi souffrait d’une [traduction] « microcéphalie accompagné d’un léger trouble d’apprentissage ». Ce médecin a également expliqué que Rishi [traduction] « a fait des progrès et s’est bien rattrapé. Il fréquente l’école régulière et participe à toutes les activités. Il a une intelligence légèrement inférieure à la moyenne et pourra probablement continuer à fréquenter les classes régulières et en suivre le rythme ». Le second rapport est signé par un « pédiatre consultant du développement » ainsi que par un « professeur honoraire et directeur du département de pédiatrie et de néonatologie » travaillant dans un hôpital pour enfants ayant des besoins spéciaux. De l’avis de ces deux spécialistes, Rishi [traduction] « souffre d’un léger retard de développement, d’une microcéphalie et de légers problèmes de concentration ». Ils précisent qu’il [traduction] « fréquente présentement l’école régulière » et estiment que, s’il fait des efforts constants, il devrait continuer à bien progresser.

[62]      Cet avis doit être mis en contraste avec la déclaration médicale, dans laquelle l’état de santé de Rishi est décrit comme suit : [traduction] « À l’heure actuelle, il dépend de sa famille pour la plupart des activités de la vie courante » et nécessite des soins et une éducation spéciaux. On trouve le passage pertinent de la déclaration médicale au paragraphe 4 des présents motifs.

[63]      L’agent d’immigration n’était pas habilité à se prononcer sur la gravité de la déficience de Rishi. Il revenait à la médecin d’évaluer l’ensemble de la preuve et de motiver ensuite de façon valable son avis quant à la gravité de toute déficience, les besoins spéciaux qu’entraînerait cette déficience et leur coût probable. Les motifs de l’agent d’immigration n’étaient pas indépendants de l’avis médical, si tant est qu’on puisse le considérer comme tel. Sans avis médical approprié quant à l’état de santé de Rishi et aux besoins spéciaux en découlant, il était prématuré de la part de l’agent d’immigration de juger si le plan proposé par les appelants était suffisant.

5.         Conclusion et dépens

[64]      Pour ces motifs, je suis d’avis de faire droit à l’appel et d’annuler la décision de la Cour fédérale. Prononçant le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre, j’annulerais la décision de l’agent d’immigration et je renverrais l’affaire à un autre agent d’immigration pour qu’il la réexamine en se fondant sur un avis médical valide établi par un autre médecin agréé. Je répondrais comme suit aux questions certifiées :

Q.        Lors de l’examen de la question de savoir si une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires en application du paragraphe 38(1) de la Loi, le médecin agréé est‑il tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux dès le début de l’examen ou est‑il suffisant que le médecin agréé transmette une lettre d’équité et s’appuie sur la réponse des demandeurs à cette lettre?

R.        Le médecin agréé n’est pas tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention des demandeurs d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux dès le début de l’examen. Il suffit qu’il leur transmette une lettre d’équité qui expose clairement toutes ses préoccupations pertinentes et qui leur accorde une véritable possibilité de répondre utilement à toutes ces préoccupations.

Q.        Le médecin agréé qui conclut qu’une personne est interdite de territoire pour des motifs sanitaires en application du paragraphe 38(1) de la Loi a‑t‑il l’obligation de fournir des motifs suffisants, qui est une obligation indépendante de l’obligation de l’agent des visas de fournir des motifs et qui n’est donc pas remplie par la présentation de motifs nettement suffisants de la part de l’agent des visas?

R.        Le médecin agréé qui vérifie si l’état de santé de l’étranger risque d’entraîner un fardeau excessif a l’obligation de fournir à l’agent d’immigration des renseignements suffisants susceptibles de le convaincre que l’avis du médecin agréé est raisonnable.

[65]      Les appelants réclament les dépens en faisant valoir qu’il existe des raisons spéciales justifiant de les adjuger. Les appelants n’ont cependant pas réclamé de dépens dans leur avis d’appel ou dans leur mémoire des faits et du droit. Bien qu’il s’agisse d’une raison suffisante pour leur refuser les dépens, j’ajouterais que je ne vois aucune raison spéciale justifiant d’adjuger des dépens. À mon avis, rien dans la conduite de l’intimé ne justifie de le condamner aux dépens. Il ressort de l’économie de l’article 22 [mod. par DORS/2002-232, art. 11] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 [mod. par DORS/2005-339, art. 1], qu’une simple erreur de la part de l’auteur de la décision est insuffisante pour justifier une condamnation aux dépens.

La juge Layden‑Stevenson, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.

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