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A-615-01

2002 CAF 290

Genpharm Inc. (appelante)

c.

Le ministre de la Santé et la Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada et The Procter & Gamble Company (intimés)

Répertorié: Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé) (C.A.)

Cour d'appel, juges Linden, Rothstein et Sharlow, J.C.A.--Toronto, 13 juin; Ottawa, 8 juillet 2002.

Brevets -- Pratique -- Brevet ayant pour objet une nouvelle utilisation de polyphosphonates pour le traitement de l'ostéoporose (produit emballé en kit pour une utilisation intermittente, cyclique) -- Genpharm soutient que son produit ne constituerait pas une contrefaçon puisque celui-ci n'est pas emballé en kit -- Les avis d'allégation sont entachés d'un vice fatal parce que dans son énoncé détaillé, Genpharm n'a pas fourni de faits traitant des revendications pour l'utilisation contenues dans le brevet, ainsi elle n'a présenté aucun fait à l'appui de ses allégations de non-contrefaçon des revendications pour l'utilisation -- La preuve a établi que le produit de Genpharm serait utilisé pour le traitement de l'ostéoporose si celle-ci obtenait un avis de conformité -- Il y a contrefaçon du brevet pour les fins du Règlement si la vente d'un produit du fabricant de génériques a pour effet la contrefaçon du brevet par des patients qui font de ce produit une utilisation protégée -- Il y a contrefaçon du brevet, sinon directement, du moins indirectement.

Pratique -- Res judicata -- Irrecevabilité -- Brevet ayant pour objet une nouvelle utilisation de polyphosphonates pour le traitement de l'ostéoporose (produit emballé en kit pour une utilisation intermittente, cyclique) -- Le fabricant de génériques soutient que son produit ne constituerait pas une contrefaçon puisque celui-ci n'est pas emballé en kit -- Dans le cadre de l'instance en interdiction, l'ordonnance visant la production de certains extraits de la présentation abrégée de drogue nouvelle du fabricant de génériques n'empêchait pas le fabricant du produit d'origine de soulever les vices des avis d'allégation dans l'instance principale -- L'avis d'allégation n'est pas un document judiciaire, il n'est pas susceptible d'être amélioré par une ordonnance de la Cour.

En octobre 2001, le juge McKeown a rendu une ordonnance d'interdiction interdisant au ministre de la Santé de délivrer des avis de conformité à Genpharm Inc. pour son produit Gen-étidronate sous forme de comprimés renfermant 200 mg et 400 mg d'étidronate disodique, avant l'expiration du brevet de Procter & Gamble Co. (P&G) au motif que les avis d'allégation de Genpharm étaient entachés d'un vice fatal. Le juge McKeown n'a pas évalué le bien-fondé de la demande. Il s'agit en l'espèce d'un appel de cette décision. Genpharm soutient que le juge McKeown a commis une erreur en arrivant à cette conclusion parce que la validité des avis d'allégation avait été reconnue antérieurement et était chose jugée (sur requête aux termes du paragraphe 6(7) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), le juge Pelletier avait ordonné la production de certains extraits de la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) de Genpharm relative aux demandes d'avis de conformité) et, quoi qu'il en soit, les avis d'allégation sont valables et ne sont entachés d'aucun vice fatal.

Arrêt: l'appel doit être rejeté.

L'argument touchant l'irrecevabilité est mal fondé. Il est exact que l'ordonnance de divulgation n'a pas été portée en appel. Mais puisqu'on interjette appel des ordonannces, non des motifs, P&G n'avait aucun motif d'interjeter appel de cette ordonnance. On n'a pas demandé au juge Pelletier de décider si l'ordonnance de production aurait pour effet de purger le vice de l'avis d'allégation. On ne peut dire que l'ordonnance qu'il a rendue empêchait P&G de soulever les vices des avis d'allégation devant le juge McKeown ou empêchait ce dernier de se prononcer sur la demande d'interdiction sur la base du vice des avis d'allégation. L'avis d'allégation n'est pas un document judiciaire et il n'est pas susceptible d'être amélioré par une ordonnance de la Cour. Aucune des fins du paragraphe 6(7) ne vise à purger le vice entachant un avis d'allégation.

Les avis d'allégations sont entachés d'un vice fatal. Le brevet de P&G a pour objet une nouvelle utilisation d'un médicament existant, l'étidronate ou l'étidronate disodique, dans une thérapie à cycles intermittents pour le traitement de l'ostéoporose, puisque son utilisation continue n'était pas particulièrement utile. Si elle entravait la résorption osseuse, elle empêchait également la formation osseuse, entraînant un risque de fractures spontanées. L'utilisation intermittente semble supprimer l'effet néfaste, produisant ainsi une augmentation nette de la masse osseuse. Pour faciliter la prise conformément au schéma posologique intermittent, les revendications 1 à 16 du brevet de P&G prévoient un kit contenant un nombre approprié de comprimés d'étidronate disodique pour un nombre spécifique de jours et un nombre approprié de doses quotidiennes d'un supplément nutritionnel ou d'un placebo pour un nombre spécifique de jours.

Selon l'argument de Genpharm, la fabrication, l'utilisation ou la vente de son produit d'étidronate disodique ne contreferait pas le brevet de P&G puisqu'elle n'emballerait pas son produit dans un kit en combinaison avec un autre ingrédient actif ou un supplément nutritionnel. Toutefois, l'exigence, au sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, que le fabricant de génériques inclue «une allégation portant [. . .] qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites» implique nécessairement que l'énoncé détaillé doit renfermer le droit et les faits sur lesquels se fonde l'allégation portant qu'aucune des revendications du brevet ne sera contrefaite. Les énoncés détaillés de Genpharm considèrent uniquement les revendications pour le kit (1 à 16). Ils ne considèrent pas les revendications pour l'utilisation (17 à 37). Elle n'a ainsi présenté aucun fait à l'appui de ses allégations de non-contrefaçon des revendications 17 à 37. Par conséquent, la Cour ne peut conclure que les avis d'allégation de Genpharm sont fondés. Vu l'absence de ces faits, le juge McKeown se devait, suivant le paragraphe 6(2), de rendre une ordonnance d'interdiction, ce qu'il a fait.

Il n'était pas absolument nécessaire que la Cour se prononce sur le fond du litige, mais elle a quand même décidé de le faire. Les éléments de preuve ont convaincu la Cour que les actes et les intentions de Genpharm mèneraient inévitablement à l'utilisation de son produit d'étidronate disodique, le Gen-étidronate, pour le traitement de l'ostéoporose si elle obtient les avis de conformité qu'elle demande. Genpharm soutient également que le Règlement vise la contrefaçon du fabricant de génériques, et non celle des patients qui sont ceux qui utiliseront son produit. Toutefois, ce n'est pas ce que dit le sous-alinéa 5(1)b)(iv). Les mots «ne serai[t] contrefaite» ne sont pas suivis d'une restriction. Dans le cas d'un brevet d'utilisation, si la vente d'un produit du fabricant de génériques a pour effet la contrefaçon du brevet par des patients qui font de ce produit une utilisation protégée, il y aura contrefaçon du Règlement. En outre, l'alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets prévoit qu'un règlement peut être pris concernant les circonstances où la délivrance d'un avis de conformité peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet. Lorsque la contrefaçon est celle d'un patient dans le cas d'un brevet pour l'utilisation, on peut considérer que la délivrance de l'avis de conformité a pour effet la contrefaçon du brevet, sinon directement, du moins indirectement. Cette interprétation est aussi étayée par la définition de «revendication pour l'utilisation du médicament» à l'article 2 du Règlement. Les revendications pour l'utilisation visées au sous-alinéa 5(1)b)(iv) envisagent l'utilisation, non seulement par le fabricant de génériques, mais aussi par les patients, et il en résultera la contrefaçon par les patients qui utilisent un médicament vendu par un fabricant de génériques, même sans incitation de la part de ce fabricant. Dans le cas de revendications pour l'utilisation, dans la mesure où le fabricant de génériques ne peut établir qu'aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite par des patients ou d'autres personnes par la vente de son produit, il ne satisfera pas au critère du bien-fondé de l'allégation énoncé au paragraphe 6(2) du Règlement et une ordonnance d'interdiction doit être rendue. La preuve établit de façon écrasante qu'il est non seulement probable mais inévitable que le produit Gen-étidronate de Genpharm soit, en cas de délivrance des avis de conformité, utilisé pour le traitement de l'ostéoporose selon le schéma posologique cyclique qui constitue l'invention suivant le brevet de P&G.

Il s'ensuit que les allégations de non-contrefaçon de Genpharm ne sont pas fondées, et qu'il convient, sur le fond du litige, de rendre une ordonnance d'interdiction.

lois et règlements

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55.2(4) (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 2 «revendication pour l'utilisation du médicament», 5(1)b)(iv) (mod. par DORS/99-379, art. 2), (3)a) (mod., idem), 6(2),(7) (édicté par DORS/98-166, art. 5).

jurisprudence

décisions appliquées:

Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 129; 179 N.R. 122 (C.A.F.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272; 256 N.R. 172 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 12 C.P.R. (4th) 447; 274 N.R. 297 (C.A.F.); Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 538; 96 F.T.R. 189 (C.F. 1re inst.).

décision examinée:

Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), [2000] A.C.F. no 511 (1re inst.) (QL).

décisions citées:

Bande indienne de Blueberry River c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2001] 4 C.F. 451; (2001), 201 D.L.R. (4th) 35; [2001] 3 C.N.L.R. 72; 6 C.P.C. (5th) 1; 274 N.R. 304 (C.A.); Gronnerud (Tuteurs à l'instance de) c. Gronnerud, succession (2002), 211 D.L.R. (4th) 673; 287 N.R. 1 (C.S.C.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2001), 16 C.P.R. (4th) 21 (C.F.1re nst.); Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751; (1996), 68 C.P.R. (3d) 129; 199 N.R. 57 (C.A.).

APPEL de l'ordonnance de la Section de première instance (Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), (2001), 15 C.P.R. (4th) 496) interdisant au ministre de délivrer des avis de conformité à l'appelante pour son produit Gen-étidronate avant l'expiration du brevet de Procter & Gamble. Appel rejeté.

ont comparu:

Roger T. Hughes, c.r., et Kamleh J. Nicola pour l'appelante.

Personne n'a comparu pour l'intimé, le ministre de la Santé.

Ronald E. Dimock et Sheila R. Block pour l'intimée Procter & Gamble.

avocats inscrits au dossier:

Sim, Hughes, Ashton & McKay, LLP, Toronto, pour l'appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé le ministre de la Santé.

Dimock Stratton Clarizio, LLP., Toronto, pour l'intimée Procter & Gamble.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A.:

INTRODUCTION

[1]Il s'agit de l'appel de l'ordonnance du juge McKeown en date du 23 octobre 2001 (maintenant publiée à (2001), 15 C.P.R. (4th) 496) qui a accueilli la demande d'interdiction présentée par la Compagnie Pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc. et Procter & Gamble Company (P&G) en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié par DORS/98-166 et DORS/99-379. Cette ordonnance a interdit au ministre de la Santé de délivrer des avis de conformité à Genpharm Inc. (Genpharm) pour son produit Gen-étidronate sous forme de comprimés renfermant 200 mg et 400 mg d'étidronate disodique, avant l'expiration du brevet 1338376 de P&G (le brevet 376).

[2]Le juge McKeown a conclu que les avis d'allégation de Genpharm étaient entachés d'un vice fatal et il a rendu l'ordonnance d'interdiction sur ce seul motif. Il a estimé qu'il n'était pas nécessaire d'aller plus loin et d'évaluer le bien-fondé de la demande.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]Devant cette Cour, Genpharm fait deux observations en ce qui concerne la validité de ses avis d'allégation. Elle allègue que le juge McKeown a commis une erreur en concluant que les avis d'allégation étaient frappés d'un vice fatal parce que:

1. la validité des avis d'allégation avait été reconnue antérieurement et était chose jugée; et

2. quoi qu'il en soit, les avis d'allégation étaient valables et n'étaient entachés d'aucun vice fatal.

[4]En ce qui concerne le fond de la demande d'interdiction, Genpharm soutient ensuite que ses avis d'allégation alléguant la non-contrefaçon du brevet 376 étaient fondés et que l'ordonnance d'interdiction n'aurait pas dû être rendue.

Autorité de la chose jugée

[5]En ce qui a trait d'abord à l'autorité de la chose jugée, la notion qu'invoque Genpharm est l'irrecevabilité. Dans le cadre de l'instance en interdiction, sur requête de P&G aux termes du paragraphe 6(7) [édicté par DORS/98-166, art. 5] du Règlement, le juge Pelletier (tel était alors son titre) [Cie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), [2000] A.C.F. no 511 (1re inst.) (QL)] a ordonné la production de certains extraits de la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) de Genpharm relative aux demandes d'avis de conformité pour les comprimés de 200 mg et 400 mg de Gen-étidronate. L'extrait pertinent du paragraphe 6(7) est ainsi conçu:

6.(1) [. . .]

(7) Sur requête de la première personne [P&G], le tribunal peut, au cours de l'instance:

a) ordonner à la seconde personne [Genpharm] de produire les extraits pertinents de la demande d'avis de conformité qu'elle a déposée [. . .]

[6]Genpharm dit que, quel qu'ait pu être le vice de ses avis d'allégation, le juge Pelletier a conclu que le prononcé d'une ordonnance de divulgation aux termes du paragraphe 6(7) remédierait au défaut et que le juge McKeown ne pouvait trancher de nouveau cette question et conclure que les avis d'allégation étaient toujours viciés. Dans ses motifs du 17 avril 2000, le juge Pelletier a dit au paragraphe 8:

Selon moi, l'avis d'allégation signifié par Genpharm ne traite pas de façon adéquate des revendications du brevet et ne permettraient pas à P&G d'aborder pertinemment la question de la contrefaçon. La divulgation requise pour remédier à ce défaut est la divulgation des extraits suivants du volume principal.

Genpharm dit que l'ordonnance du juge Pelletier n'ayant pas été portée en appel, sa décision concernant la façon de remédier au vice des avis d'allégation a l'autorité de la chose jugée ou, plus précisément, permet d'opposer l'irrecevabilité.

[7]Il est exact que l'ordonnance du juge Pelletier n'a pas été portée en appel. Toutefois, cette ordonnance n'exigeait que la divulgation d'extraits de la PADN de Genpharm. Ce que Genpharm allègue en réalité, c'est qu'il n'y a pas eu d'appel des motifs du juge Pelletier, parce que ce sont les motifs, et non l'ordonnance, qui indiquent que la divulgation qu'il ordonnait remédierait à tout vice des avis d'allégation. Un principe élémentaire du droit veut qu'on interjette appel des ordonnances, non des motifs. En l'espèce, l'ordonnance visait la divulgation, ce que P&G demandait et a obtenu. P&G n'avait aucun motif d'interjeter appel de cette ordonnance.

[8]Je ne dis pas qu'il n'est pas permis de considérer les motifs pour déterminer l'objet réel d'une ordonnance. Voir Bande indienne de Blueberry River c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2001] 4 C.F. 451 (C.A.), au paragraphe 38. Mais les motifs du juge Pelletier en l'espèce ne font que confirmer que la question du remède à un avis d'allégation vicié n'a pas été soulevée devant lui. La seule question qu'il a tranchée était de savoir s'il allait ordonner, à la demande de P&G, la divulgation partielle de la PADN de Genpharm au profit de P&G. On ne lui a pas demandé de décider si l'ordonnance de production aurait pour effet de purger le vice de l'avis d'allégation. On ne peut dire que l'ordonnance qu'il a rendue empêchait P&G de soulever les vices des avis d'allégation devant le juge McKeown ou empêchait ce dernier de se prononcer sur la demande d'interdiction sur la base du vice des avis d'allégation.

[9]Quoi qu'il en soit, l'avis d'allégation n'est pas un document judiciaire et il n'est pas susceptible d'être amélioré par une ordonnance de la Cour. Dans Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), à la page 134, le juge Strayer, J.C.A. a dit:

Cela veut dire, à l'évidence, que la Cour n'a pas la compétence nécessaire pour rendre des ordonnances touchant le dépôt des avis d'allégation ou pour exiger que ces avis soient améliorés à tel ou tel égard.

Dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), le juge Stone, J.C.A., a dit au para-graphe 23:

L'intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l'énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d'une instance relative à la demande visée à l'article 6.

Dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 12 C.P.R. (4th) 447 (C.A.F.), le juge Stone, J.C.A., a dit au paragraphe 19:

[. . .] les décisions de notre Cour indiquent clairement que la seconde personne ne doit pas, dans le cadre d'une instance introduite en vertu de l'article 6, se fonder sur des faits qui vont au-delà de ceux précisés dans l'énoncé détaillé.

[10]Du fait qu'une ordonnance de la Cour ne peut remédier à un avis d'allégation vicié, on ne peut dire qu'une ordonnance en vertu du paragraphe 6(7) a cet effet. L'ordonnance rendue sous le régime de cette disposition l'est au profit du titulaire de brevet, pour lui permettre de décider de poursuivre ou non la demande d'interdiction ou pour l'aider à contester l'allégation de non-contrefaçon du fabricant de génériques. Elle peut avoir d'autres emplois. Toutefois, aucune de ces fins ne vise à purger le vice entachant un avis d'allégation.

[11]Je conclus que l'argument touchant l'irrecevabilité est mal fondé.

Les avis d'allégation étaient-ils entachés d'un vice fatal ?

Le brevet P&G

[12]Le brevet 376 de P&G a pour objet une nouvelle utilisation d'un médicament existant. Ce médicament est un polyphosphonate, précisément l'étidronate ou l'étidronate disodique. La nouveauté est son utilisation dans une thérapie à cycles intermittents pour le traitement de l'ostéoporose.

[13]Selon les données de base de l'invention dans le brevet, chez un adulte en santé, il y a perte et remplacement de la masse osseuse de telle façon que la résorption osseuse et la formation osseuse soient en équilibre. Chez les personnes ostéoporotiques, la masse osseuse est perdue plus rapidement qu'elle n'est remplacée.

[14]L'utilisation de polyphosphonates pour inhiber la résorption osseuse est bien connue. Toutefois, on a découvert que son utilisation continue dans une maladie chronique comme l'ostéoporose n'était pas particulièrement utile puisque si elle entravait la résorption osseuse, elle empêchait également la formation osseuse. De plus, l'inhibition chronique à long terme de la résorption osseuse et de la formation osseuse semblait entraîner des fractures spontanées.

[15]L'invention visée par le brevet 376 constitue une nouvelle façon d'utiliser des polyphosphonates pour le traitement de l'ostéoporose. Si l'on administre certains polyphosphonates, en quantité limitée, selon un schéma posologique spécifique et intermittent plutôt que chronique, il est possible d'inhiber la résorption osseuse et d'augmenter la masse osseuse. L'utilisation intermittente du polyphosphonate semble découpler la résorption osseuse et la formation osseuse en inhibant sélectivement la phase de perte ou de résorption sans gêner la phase de formation, produisant ainsi une augmentation nette de la masse osseuse.

[16]Cette nouvelle façon d'utiliser un polyphosphonate pour le traitement de l'ostéoporose est décrite dans les revendications 17 à 37 du brevet. La revendication 17, qui est la revendication pour l'utilisation la plus générale, prévoit:

[traduction] 17. Utilisation d'un polyphosphonate inhibant la résorption osseuse dans le traitement ou la prévention de l'ostéoporose chez les humains ou les animaux inférieurs qui sont atteints d'ostéoporose ou qui risquent de l'être, dans laquelle le polyphosphonate est utilisé en deux cycles ou plus incluant une période allant de 1 à 90 jours environ, suivie d'une période de repos allant de 50 à 120 jours environ.

[17]De plus, pour faciliter la prise conformément au schéma posologique intermittent, les revendications 1 à 16 du brevet 376 prévoient un kit contenant un nombre approprié de comprimés d'étidronate disodique pour un nombre spécifique de jours et un nombre approprié de doses quotidiennes d'un supplément nutritionnel ou d'un placebo pour un nombre spécifique de jours.

Les avis d'allégation de Genpharm

[18]Les avis d'allégation de Genpharm caractérisent l'invention protégée par le brevet 376 comme une méthode de traitement pharmaceutique qui consiste en un kit comprenant de l'étidronate ou de l'étidronate disodique et un supplément nutritionnel. Genpharm dit qu'elle n'emballera pas son produit d'étidronate disodique dans un kit en combinaison avec un autre ingrédient actif ou un supplément nutritionnel. Par conséquent, elle soutient que la fabrication, l'utilisation ou la vente de son produit d'étidronate disodique ne contreferait pas le brevet 376. L'allégation suivante figure dans l'énoncé détaillé du droit et des faits qu'elle a joint à ses avis d'allégation:

[traduction] Le brevet canadien no 1338376 (le brevet 376) porte sur un schéma posologique utilisé dans le traitement de l'ostéoporose. Ce schéma fait appel à un kit comprenant de l'étidronate ou ses sels pharmaceutiques (c.-à-d. l'étidronate disodique) et un supplément nutritionnel (c.-à-d. le bicarbonate de calcium). Le produit de Genpharm ne sera pas emballé comme un kit à utiliser avec un autre ingrédient actif ou un supplément nutritionnel. Genpharm veut faire approuver un produit dont le seul élément actif est l'étidronate disodique. Par conséquent, la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par Genpharm du médicament à l'égard duquel elle a déposé la demande d'avis de conformité ne contrefait pas le brevet.

Analyse visant à déterminer si les avis d'allégation présentent un vice fatal

[19]Selon les conclusions du juge McKeown, Genpharm tente d'intégrer, pour le brevet 376, les revendications relatives à l'utilisation aux revendications relatives au kit pour pouvoir dire qu'elle ne contrefera pas le brevet parce que son produit ne sera pas emballé en kit. C'est là toutefois une caractérisation erronée des revendications du brevet. Les revendications pour l'utilisation décrivent une nouvelle façon d'utiliser un polyphosphonate dans le traitement de l'ostéoporose, soit l'utilisation intermittente, cyclique d'un polyphosphonate, soit l'étidronate disodique. Les revendications pour le kit décrivent une façon de faciliter la prise conformément à la thérapie cyclique intermittente.

[20]Le sous-alinéa 5(1)b)(iv) [mod. par DORS/99-379, art. 2] et l'alinéa 5(3)a) [mod., idem] du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) prévoient:

5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue:

[. . .]

b) soit une allégation portant que, selon le cas:

[. . .]

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

[. . . ]

(3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée aux alinéas (1)b) [. . .], elle doit:

a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

[21]Les avis d'allégations de Genpharm allèguent bel et bien que le brevet 376 ne serait pas contrefait [traduction] «advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par Genpharm de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité», reprenant ainsi le libellé du sous-alinéa 5(1)b)(iv). De plus, ses avis d'allégation renferment bel et bien ce qui semble être des énoncés détaillés du droit et des faits sur lesquels ils se fondent. À première vue, ils sembleraient conformes au Règlement.

[22]Toutefois, les avis d'allégation et l'énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels ils se fondent doivent fournir tous les faits que le fabricant de génériques entend invoquer dans d'éventuelles procédures en interdiction. Il ne peut invoquer d'autres faits que ceux décrits dans son énoncé détaillé. Voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 12 C.P.R. (4th) 447 (C.A.), au paragraphe 19, le juge Stone, J.C.A.

[23]L'exigence, au sous-alinéa 5(1)b)(iv), que le fabricant de génériques inclue «une allégation portant [ qu]'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites» implique nécessairement que l'énoncé détaillé doit renfermer le droit et les faits sur lesquels se fonde l'allégation portant qu'aucune des revendications du brevet ne sera contrefaite.

[24]Je ne dis pas qu'il est nécessaire que le fabricant de génériques considère chacune des revendications dépendantes du brevet si la ou les revendications de base qui décrivent l'invention sont considérées dans l'énoncé détaillé. Toutefois, le fabricant de génériques ne peut passer sous silence les revendications qui décrivent l'invention fondamentale. S'il le fait, il ne fournira pas les faits démontrant qu'«aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite», et son avis d'allégation sera entaché d'un vice et ne sera pas conforme à l'article 5.

[25]Les énoncés détaillés de Genpharm ne démontrent pas qu'aucune revendication pour l'utilisation d'un polyphosphonate, c'est-à-dire l'étidronate disodique, dans un schéma posologique intermittent et cyclique pour le traitement de l'ostéoporose, qui est la nouvelle utilisation de l'étidronate disodique inventée par P&G, ne serait contrefaite advenant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par Genpharm de son produit d'étidronate disodique. Les énoncés détaillés considèrent uniquement les revendications pour le kit, soit les revendications 1 à 16. Ils ne considèrent pas les revendications pour l'utilisation, soit les revendications 17 à 37. Ils ne disent pas que le produit de Genpharm ne peut être utilisé dans une thérapie à cycles intermittents pour le traitement de l'ostéoporose. Les énoncés détaillés joints aux avis d'allégation ne tiennent pas compte des renvendications pour l'utilisation dans le brevet 376.

[26]Le paragraphe 6(2) du Règlement prévoit:

6. (1) [. . .]

(2) Le tribunal rend une ordonnance [d'interdiction] en vertu du paragraphe (1) à l'égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.

En l'espèce, Genpharm a prétendu que le brevet 376 ne serait pas contrefait advenant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par elle de son produit d'étidronate disodique. Genpharm n'a toutefois pas, dans son énoncé détaillé, fourni de faits traitant des revendications pour l'utilisation contenues dans le brevet 376. Elle n'a ainsi présenté aucun fait à l'appui de ses allégations de non-contrefaçon des revendications 17 à 37. Par conséquent, la Cour ne peut conclure que les avis d'allégation de Genpharm sont fondés. Vu l'absence de ces faits, le juge McKeown se devait, suivant le paragraphe 6(2), de rendre une ordonnance d'interdiction, ce qu'il a fait.

Le fond du litige

Introduction

[27]Étant donné qu'une ordonnance d'interdiction devait être rendue pour les motifs indiqués précédemment, il n'est pas absolument nécessaire, pour les fins de l'appel, de se prononcer sur le fond du litige. Toutefois, une ordonnance d'interdiction fondée sur un vice de procédure pourrait peut-être amener Genpharm à signifier un autre avis d'allégation qui ne soit pas entaché d'un tel vice, P&G pourrait présenter une autre demande d'interdiction et la question serait alors décidée au fond. Je n'ai pas à décider si un deuxième avis d'allégation aurait une utilité quelconque en l'espèce. Il suffit de dire que la Cour est en mesure de prévenir un litige inutile en examinant le présent appel au fond. Les parties ayant abordé le fond de l'affaire dans leurs affidavits et contre-interrogatoires ainsi que dans leur plaidoirie devant la présente Cour, celle-ci est en mesure d'examiner l'affaire au fond, ce que je m'empresse de faire.

[28]Comme le juge saisi de la requête a disposé de la question uniquement sur le fondement de la procédure, il n'y a pas de motifs sur le fond. Dans ces circonstances, il est nécessaire que la présente Cour procède à une évaluation de novo. Voir Gronnerud (Tuteurs à l'instance de) c. Gronnerud, succession (2002), 211 D.L.R. (4th) 673 (C.S.C.), au paragraphe 33, le juge Major.

La preuve

[29]L'étidronate disodique avait été utilisé pour le traitement de deux maladies relativement rares, la maladie de Paget et l'hypercalcémie de malignité. Le produit de P&G pour traiter ces maladies est le Didronel.

[30]L'invention faisant l'objet du brevet 376 de P&G comprend l'utilisation d'étidronate disodique en cycles intermittents pour le traitement de l'ostéoporose. Ce produit de P&G est le Didrocal.

[31]P&G prétend que ses revendications du brevet 376 pour l'utilisation en cycles intermittents d'un polyphosphonate, à savoir l'étidronate disodique, pour le traitement de l'ostéoporose, seraient contrefaites advenant la vente par Genpharm de son produit d'étidronate disodique. P&G invoque les éléments de preuve suivants à l'appui de cette prétention.

1. Genpharm utilise 14 comprimés de Gen-étidronate contenant de l'étidronate disodique, emballés sous alvéoles thermoformées et présentés en bandes, ce qui correspond au traitement intermittent et cyclique de l'ostéoporose décrit dans le brevet 376. C'est le même emballage que celui utilisé par P&G pour son produit Didrocal.

2. Genpharm se propose de vendre son produit Gen-étidronate à la fois en comprimés de 200 mg et de 400 mg, bien que le Didronel de P&G, l'équivalent sur le marché pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité, ne soit disponible que dans le format de 200 mg. Le format de 400 mg est le même que celui du produit Didrocal de P&G pour le traitement de l'ostéoporose. Si Genpharm voulait uniquement rendre son produit disponible pour la maladie de Paget et l'hypercalcémie de malignité, elle ne devrait se proposer de vendre son produit qu'en format de 200 mg.

3. Dans sa monographie du produit Didronel, P&G fait une mise en garde contre l'utilisation de ses produits Didronel ou Didrocal pour l'ostéoporose sans suivre la thérapie intermittente cyclique. Par contre, dans sa monographie du produit Gen-étidronate, Genpharm ne formule aucune précaution contre l'utilisation du produit pour le traitement de l'ostéoporose.

4. Genpharm a inclus dans la monographie de son produit des études qui comparent la biodisponibilité de son produit avec celle de l'étidronate disodique de Didrocal, le produit de P&G pour le traitement de l'ostéoporose, plutôt que celle de Didronel, le produit de P&G pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité.

5. Genpharm a désigné Didrocal comme produit de référence canadien. Un avis de conformité pour le produit de Genpharm indiquera le nom du produit de référence canadien et constituera une déclaration d'équivalence entre le produit Gen-étidronate de Genpharm et Didrocal. À ce titre, le produit de Genpharm, prétendument pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité, sera considéré comme l'équivalent de Didrocal, le produit utilisé pour le traitement de l'ostéoporose.

6. Le marché pour l'utilisation de l'étidronate disodique pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité est petit et déclinant alors qu'il est beaucoup plus étendu pour le traitement de l'ostéoporose.

[32]Genpharm ne nie pas ces faits, mais elle fournit des explications. Celles-ci m'apparaissent toutefois peu convaincantes. Genpharm prétend que l'emballage de 14 comprimés ne signifie rien. Pourtant, l'emballage de 14 comprimés n'est pertinent que dans le cas du schéma posologique intermittent pour le traitement de l'ostéoporose et non pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité.

[33]Genpharm reconnaît que le produit Didronel de P&G au Canada pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité commercialisé sous forme de comprimés de 200 mg. L'avocat allègue toutefois que les comprimés de 400 mg proposés par Genpharm sont destinés au marché américain. Si c'est le cas, Genpharm n'a aucune raison apparente de demander un avis de conformité canadien pour ses comprimés de 400 mg. De plus, au cours du contre-interrogatoire sur les affidavits, l'avocat de Genpharm s'est opposé aux questions adressées au déposant de Genpharm sur la commercialisation de son produit aux États Unis. Genpharm ne peut maintenant invoquer l'argument de la commercialisation aux États-Unis pour justifier une demande d'avis de conformité pour un comprimé de 400 mg alors qu'une telle preuve a été refusée à l'interrogatoire.

[34]Genpharm dit que sa monographie de produit ne contient aucune mise en garde contre l'utilisation de son produit Gen-étidronate pour le traitement de l'ostéoporose parce qu'elle a estimé prudent de ne pas mentionner l'ostéoporose. Cela n'est guère convaincant. La question primordiale en jeu dans la procédure d'interdiction étant de savoir si son produit sera utilisé selon le schéma posologique intermittent et cyclique pour le traitement de l'ostéoporose, il semble évident que si Genpharm entendait que son produit ne soit pas utilisé pour le traitement de l'ostéoporose, elle n'aurait aucune raison de ne pas inclure une mise en garde contre une telle utilisation dans sa monographie.

[35]Genpharm dit que le ministre a exigé qu'elle compare son produit à la plus forte posologie du produit de référence canadien, soit le Didrocal. Le seul motif crédible de Genpharm, semble-t-il, c'est qu'elle désirait se réserver la possibilité de voir son produit utilisé pour le traitement de l'ostéoporose.

[36]Genpharm ne fournit aucune autre explication sur les raisons pour lesquelles elle a désigné le Didrocal, le produit de P&G pour le traitement de l'ostéoporose, comme son produit de référence canadien, plutôt que le Didronel, le produit de P&G pour le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité. Il semblerait que la seule raison soit de s'assurer que le produit de Genpharm sera considéré comme l'équivalent de Didrocal et donc disponible pour le traitement de l'ostéoporose.

[37]En contre-interrogatoire, les déposants de Genpharm ont:

1. refusé de confirmer que le produit de Genpharm ne serait pas interchangeable avec le Didrocal de P&G sur le marché;

2. confirmé que l'intention de Genpharm était de commercialiser son produit pour les indications énumérées dans sa PADN, que l'une de ces indications était le traitement de l'ostéoporose et que le schéma posologique de 14 jours pour les comprimés de 400 mg était le schéma posologique pour l'ostéoporose;

3. indiqué que si quelqu'un affirmait que son produit était utilisé pour le traitement de l'ostéoporose, Genpharm ne prendrait aucune mesure pour prévenir une telle utilisation;

4. reconnu que le marché canadien pour l'utilisation de l'étidronate disodique dans le traitement de la maladie de Paget et de l'hypercalcémie de malignité était petit et déclinant et que c'était son utilisation pour le traitement de l'ostéoporose qui en faisait un produit d'importance.

[38]Le Dr Alan Tennenhouse, directeur du Centre des maladies osseuses de l'Université McGill et directeur de la Division du métabolisme osseux de l'Hôpital Général de Montréal, a déclaré, au paragraphe 64 de son affidavit, que le produit de Genpharm serait utilisé pour le traitement de l'ostéoporose:

[traduction] Même si le comprimé de 400 mg de Genpharm est indiqué pour le traitement de la maladie osseuse de Paget ou de l'hypercalcémie de malignité, le produit pourrait être utilisé, et le serait en certains cas, pour le traitement et la prévention de l'ostéoporose, selon le schéma cyclique mentionné ci-dessus.

[39]Peter A. Cook, pharmacien licencié en Colombie-Britannique, a déclaré que si les comprimés génériques de 400 mg d'étidronate disodique n'étaient pas désignés comme non interchangeables avec le Didrocal par le College of Pharmacists de la Colombie-Britannique, il donnerait aux patients le choix entre une ordonnance de Didrocal ou de comprimés en vrac d'étidronate disodique:

[traduction] Si les comprimés génériques de 400 mg d'étidronate disodique n'étaient pas désignés comme étant non interchangeables avec DIDROCAL par le College of Pharmacists de la Colombie-Britannique, alors, pourvu que l'ordonnance ne spécifie pas que DIDROCAL ne devrait pas être substitué, j'offrirais à tout patient qui se présente avec une ordonnance de DIDROCAL le choix d'une ordonnance de DIDROCAL ou d'une ordonnance de comprimés en vrac d'étidronate disodique et peut-être aussi des suppléments de calcium. Sur demande, j'emballerais les comprimés prescrits sous alvéoles thermoformées, même si je n'offrirais pas ce service sur une base régulière.

[40]Les éléments de preuve susmentionnés me convainquent que les actes et les intentions de Genpharm mèneraient inévitablement à l'utilisation de son produit d'étidronate disodique, le Gen-étidronate, pour le traitement de l'ostéoporose si elle obtient les avis de conformité qu'elle demande.

L'incitation

[41]Genpham soutient ensuite que même si la preuve établit que son produit Gen-étidronate sera utilisé pour le traitement de l'ostéoporose, cela ne constitue pas en soi une contrefaçon suivant le Règlement. Genpharm prétend que la contrefaçon suivant le Règlement est celle du fabricant de génériques, et non celle des patients qui utiliseront son produit. Par conséquent, dit Genpharm, la seule façon d'établir qu'elle a contrefait le brevet 376 est de déterminer qu'elle a incité les patients à la contrefaçon. (Voir AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2001), 16 C.P.R. (4th) 21 (C.F. 1re inst.), en appel, dossier A-716-01.) Genpharm dit qu'il est difficile de satisfaire au critère de l'incitation, tel qu'établi dans Dableh c. Ontario Hydro, [1996] 3 C.F. 751 (C.A.), aux pages 780-782, et que la preuve en l'espèce n'y satisfait pas.

[42]Les revendications en cause dans le présent appel sont les revendications pour l'utilisation. Par conséquent, les mots pertinents du sous-alinéa 5(1)b)(iv) sont: «une revendication pour l'utilisation du médica-ment ne serai[t] contrefaite[. . .] advenant [] la vente par elle [le fabricant de génériques] de [sa] drogue».

[43]Les mots «ne serai[t] contrefaite» ne sont pas suivis d'une restriction. En d'autres termes, le sous-alinéa 5(1)b)(iv) ne dit pas, comme Genpharm le prétend, que la contrefaçon doit être le fait du fabricant de génériques. Au contraire, en se référant expressément aux ventes par le fabricant de génériques («la vente par elle»), le gouverneur en conseil s'est intéressé au moment où il est pertinent d'assimiler des actes à ceux du fabricant de génériques en vertu du Règlement. Le gouverneur en conseil n'ayant pas employé la même expression «par elle» à propos de l'acte de contrefaçon dans le même sous-alinéa, il ne peut avoir voulu limiter nécessairement la contrefaçon aux actes du fabricant de génériques lui-même. Lorsque Genpharm dit que l'acte de contrefaçon doit être celui du fabricant de génériques, elle ajoute au Règlement, ce que la Cour ne doit pas faire.

[44]Dans le cas d'un brevet d'utilisation, si la vente d'un produit du fabricant de génériques a pour effet la contrefaçon du brevet par des patients qui font de ce produit une utilisation protégée, il y aura contrefaçon du brevet pour les fins du Règlement. Le lien entre le fabricant de génériques et la contrefaçon par le patient est la vente du produit par ce fabricant.

[45]L'alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifié [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2], qui autorise le gouverneur en conseil à prendre le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), prévoit qu'un règlement peut être pris concernant les circonstances où la délivrance d'un avis de conformité peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet. L'alinéa 55.2(4)e) dispose:

55.2 (1) [. . .]

(4) Afin d'empêcher la contrefaçon d'un brevet d'invention par l'utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d'une invention brevetée au sens du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre du Règlement, notamment:

[. . .]

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d'un titre visé à l'alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

Lorsque la contrefaçon est celle d'un patient dans le cas d'un brevet pour l'utilisation, on peut considérer que la délivrance de l'avis de conformité a pour effet la contrefaçon du brevet, sinon directement, du moins indirectement. C'est la conclusion du juge Richard (tel était alors son titre) dans Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 190 (C.F. 1re inst.), à la page 203. J'estime que cette conclusion était fondée et je la fais mienne dans la présente instance.

[46]J'estime que cette interprétation est aussi étayée par la définition de «revendication pour l'utilisation du médicament» à l'article 2 du Règlement:

2. [. . .]

«revendication pour l'utilisation du médicament» Revendication pour l'utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l'atténuation ou de la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes.

[47]Si l'on incorpore les termes de la définition dans le sous-alinéa 5(1)b)(iv), c'est-à-dire «[aucune] revendication pour l'utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l'atténuation ou de la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes», il en ressort que l'utilisation envisagée comprend l'utilisation par les patients. C'est dire qu'il faut envisager l'utilisation par un patient d'un médicament utilisé pour le diagnostic, le traitement, l'atténuation ou la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal, ou de leurs symptômes. Le fait est que les revendications pour l'utilisation visées au sous-alinéa 5(1)b)(iv) envisagent l'utilisation, non seulement par le fabricant de génériques, mais aussi par les patients, et qu'il en résultera la contrefaçon par les patients qui utilisent un médicament vendu par un fabricant de génériques, même sans incitation de la part de ce fabricant.

[48]L'objet du Règlement semble manifeste. Si un fabricant de génériques vend un produit et que cela a pour effet la contrefaçon d'un brevet par quiconque utilise le produit, c'est la contrefaçon que le Règlement vise à empêcher. Rien n'exige que le fabricant de génériques ait incité ou amené des patients ou d'autres personnes à contrefaire le brevet.

[49]Pour ce motif, j'estime que, dans le cas de revendications pour l'utilisation, il n'est pas nécessaire que le titulaire d'un brevet établisse que, par ses actions, le fabricant de génériques incitera ou amènera des patients ou d'autres personnes à contrefaire le brevet. Dans la mesure où le fabricant de génériques ne peut établir qu'aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite par des patients ou d'autres personnes par la vente de son produit, il ne satisfera pas au critère du bien-fondé de l'allégation énoncé au paragraphe 6(2) du Règlement et une ordonnance d'interdiction doit être rendue.

[50]En l'espèce, si un patient utilise le produit de Genpharm pour l'ostéoporose, les revendications pour l'utilisation que comporte le brevet 376 de P&G seraient contrefaites. C'est la vente de son produit par Genpharm qui aurait pour effet la contrefaçon. La preuve établit de façon écrasante qu'il est non seulement probable mais inévitable que le produit Gen-étidronate de Genpharm soit, en cas de délivrance des avis de conformité, utilisé pour le traitement de l'ostéoporose selon le schéma posologique cyclique qui constitue l'invention suivant le brevet 376.

[51]Il s'ensuit que les allégations de non-contrefaçon de Genpharm ne sont pas fondées, et qu'il convient, sur le fond du litige, de rendre une ordonnance d'interdiction.

CONCLUSION

[52]L'appel devrait être rejeté avec dépens.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

Le juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

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