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T-166-00

2002 CFPI 943

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (demanderesse)

c.

Walter Obodzinsky (alias Wlodzimierz ou Volodya Obodzinsky) (défendeur)

Répertorié: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer-- Montréal, 27 août; Ottawa, 6 septembre 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Citoyens -- Aucune autorité légale, en avril 1950, en vertu de la Loi de l'immigration, du décret C.P. 3112 ou de la prérogative royale, pour interdire l'entrée et l'admission au Canada du défendeur à titre de résident permanent pour des raisons de sécurité.

Pratique -- Jugements et ordonnances -- Jugement sommaire -- Requête en jugement sommaire rejetant l'action en révocation de citoyenneté -- Les questions soulevées sont essentiellement des questions de droit -- Il est approprié de trancher la question de façon sommaire.

Couronne -- Pratique -- Prescription -- Décision à savoir si l'action est prescrite en vertu de l'art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et de l'art. 2876 du Code civil du Québec -- L'acquisition ou la perte de la citoyenneté sont imprescriptibles puisque ce sont des actes hors commerce -- L'action en révocation de citoyenneté ne fait l'objet d'aucune période de prescription.

Couronne -- Prérogatives -- La prérogative royale ne peut servir de fondement pour refouler un citoyen pour des raisons de sécurité -- La Loi de l'immigration vise l'ensemble de la prérogative relative à l'exclusion des étrangers pour des raisons de sécurité nationale.

Le défendeur a été admis au Canada temporairement, selon le décret C.P. 3112, en novembre 1946 à partir de l'Italie. En avril 1950, il a été admis de façon permanente au Canada en vertu du même décret C.P. 3112 pour acquérir par la suite la citoyenneté canadienne en 1955. En février 2000, la demanderesse a déposé une action en révocation de citoyenneté contre le défendeur en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté au motif qu'il avait acquis la citoyenneté par fraude, au moyen d'une fausse déclaration ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. En août 2002, le défendeur a présenté une requête en jugement sommaire au motif que l'action était prescrite, qu'elle était mal fondée en droit parce que la demanderesse n'avait pas à l'époque de son admission l'autorité légale d'interdire l'entrée et l'admission au Canada à titre de résident permanent pour des raisons de sécurité et que les allégations de fausses représentations portaient sur la légalité de son admission temporaire et non sur celle de son admission permanente au Canada.

Jugement: la requête doit être accordée.

Le défendeur a soutenu que l'action de la demanderesse était prescrite et devait être rejetée en vertu de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et/ou de l'article 39 de la Loi sur la Cour fédérale. Il s'agissait en l'espèce d'un processus «hybride» où d'une part la procédure ainsi que les règles de preuve étaient celles prévues pour toute action en justice mais d'autre part où le processus décisionnel n'appartenait pas à un juge mais plutôt au gouverneur en conseil. Les deux dispositions utilisent le terme «toute instance», un terme général qui comprend une action en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté. En vertu de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, puisque le défendeur a acquis son admission permanente et sa citoyenneté au Québec où il réside, les règles de droit en matière de prescription prévues au Code civil du Québec s'appliquent. Mais comme l'acquisition ou la perte de citoyenneté ne peuvent s'évaluer pécuniairement, elles ne sont pas dans le circuit économique, elles sont donc hors commerce. Selon l'article 2876, ce sont des droits qui «sont imprescriptibles».

La question de savoir si la Loi de l'immigration et le décret C.P. 3112 interdisaient l'entrée «d'agents» ou de «nazis» ou de «collaborateurs» lorsque le défendeur a été admis au Canada à titre de résident permanent était une question de droit que la Cour, étant en possession de la preuve nécessaire, était en mesure de trancher. Par conséquent, il était possible de trancher cette question de façon sommaire. Il a été décidé qu'à cette époque la Loi de l'immigration et les décrets pris en application de celle-ci ne permettaient pas le refoulement de candidats à l'immigration pour le motif qu'ils avaient collaboré avec l'ennemi: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203 (1re inst.). La preuve en l'espèce n'a pas démontré qu'un décret conférant l'autorité légale pour rejeter des candidats indésirables du point de vue de la sécurité avait été adopté avant juin 1950 (le décret C.P. 3112 était muet en ce qui concerne les collaborateurs, etc.). Par conséquent, lorsque le défendeur a acquis la résidence permanente en avril 1950, ni la Loi de l'immigration, ni aucun décret, n'interdisait son admission au Canada.

La prérogative royale ne pouvait pas servir de fondement à l'autorité légale pour refouler le défendeur pour des motifs de sécurité: il a été décidé dans la décision Dueck que la Loi de l'immigration vise l'ensemble de la prérogative royale relative à l'exclusion des étrangers pour des raisons de sécurité nationale.

lois et règlements

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 2876.

Loi de l'immigration -- Décret concernant l'entrée d'immigrants au Canada, C.P. 1950-2856, DORS/50-232, Gaz. C. 1950.II.814.

Loi de l'immigration, S.R.C. 1927, ch. 93, art. 3, 38.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10, 18.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 39(1), (2).

Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), art. 32 (mod., idem, art. 31).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 169a), 213.

jurisprudence

décisions appliquées:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203; (1998), 155 F.T.R. 1; 50 Imm. L.R. (2d) 216 (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493; (1997), 51 C.R.R. (2d) 65; 140 F.T.R. 183 (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Bogutin (1998), 144 F.T.R. 1; 42 Imm. L.R. (2d) 248 (C.F. 1re inst.).

distinction faite d'avec:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Kisluk (1999), 169 F.T.R. 161; 50 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées:

Markevich c. Canada, [2001] 3 C.F. 449; (2001), 199 D.L.R. (4th) 255; [2001] 3 C.T.C. 39; 2001 DTC 5305; 270 N.R. 275 (C.A.); Thomson c. Canada (Sous-ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385; (1992), 89 D.L.R. (4th) 218; 3 Admin. L.R. (2d) 242; 133 N.R. 345.

décision citée:

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Katriuk (1999), 156 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.).

doctrine

Baudouin, J.-L. Les obligations, 5e éd. Cowansville, Qc: Éditions Y. Blais, 1998.

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal: Éditions Thémis 1999.

REQUÊTE en jugement sommaire. Requête accordée.

ont comparu:

David Lucas et Sébastien Dasylva pour la demanderesse.

Johanne Doyon pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.

Doyon, Guertin, Montbriand & Plamondon, Montréal, pour le défendeur.

Voici les motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus en français par

[1]Le juge Tremblay-Lamer: Le défendeur est un citoyen canadien qui a été admis au Canada temporairement, selon le décret C.P. 3112, en novembre 1946 à partir de l'Italie. En avril 1950, il a été admis de façon permanente au Canada en vertu du même décret C.P. 3112 pour acquérir par la suite la citoyenneté canadienne en 1955.

[2]Le 1er février 2000, la demanderesse dépose une action en révocation de citoyenneté contre le défendeur. Elle demande à la Cour de décider, en vertu de l'alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, que le défendeur a acquis la citoyenneté canadienne par fraude, au moyen d'une fausse déclaration ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[3]Le 5 août 2002, le défendeur demande à cette Cour de disposer de l'action de la demanderesse de façon sommaire, en vertu de la règle 213 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 au motif que l'action est prescrite, qu'elle est mal fondée en droit parce que la demanderesse n'avait pas à l'époque de son admission l'autorité légale d'interdire l'entrée et l'admission au Canada à titre de résident permanent pour des raisons de sécurité et que les allégations de fausses représentations portent sur la légalité de son admission temporaire et non sur celles de son admission permanente au Canada.

1. Processus de révocation et jugement sommaire

[4]La demanderesse soutient que la règle 213 des Règles de la Cour fédérale (1998) ne peut s'appliquer à un renvoi visé à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, puisqu'il s'agit d'une action qui est accessoire à un processus de droit administratif et qu'en conséquence, les règles qui peuvent s'appliquer aux causes d'actions privées ou dans un contexte de droit privé ne devraient pas lui être applicables, à tout le moins la règle concernant les jugements sommaires.

[5]De plus, même si le jugement sommaire était disponible, l'action de la demanderesse ne devrait pas être rejetée sommairement puisque la Cour doit déterminer les faits en fonction du témoignage de nombreux témoins ordinaires et experts et que, puisque la crédibilité de ces témoins sera une question centrale, le procès est le meilleur forum pour décider de telles questions.

[6]Bien que je sois d'accord avec la demanderesse qu'il ne convient pas de prononcer un jugement sommaire lorsqu'il y a une détermination de faits nécessaire pour disposer de la requête, les questions soulevées dans la présente instance sont essentiellement des questions de droit, lesquelles peuvent de prime abord faire l'objet d'un jugement sommaire.

[7]L'alinéa 169a) des Régles de la Cour fédérale (1998) prévoit que le renvoi visé par l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté soit gouverné par les règles régissant les actions. Cette règle n'exclut pas les moyens procéduraux disponibles aux actions. À mon avis, la requête en jugement sommaire sera appropriée en autant que les critères applicables soient rencontrés.

[8]Lorsque les deux parties auront déposé la preuve relative aux questions invoquées, la Cour sera en mesure de décider de l'existence d'une question sérieuse à instruire quant aux faits relatifs à la prescription de l'action et à l'absence de fondement en droit de l'action de la demanderesse portant sur l'admission permanente du défendeur au Canada.

2. La prescription de l'action

[9]Le défendeur soutient que l'action de la demanderesse est prescrite et doit être rejetée en vertu de l'article 32 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 31] de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), c. C-50 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21] et ou de l'article 39 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), c. F-7, lesquels se lisent comme suit:

[Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif]

32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent lors des poursuites auxquelles l'État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

[Loi sur la Cour fédérale]

39. (1) Sauf disposition contraire d'une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province.

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n'est pas survenu dans une province.

[10]La demanderesse prétend pour sa part que ces dispositions ne s'appliquent qu'aux poursuites engagées devant les tribunaux par ou contre l'État pour la reconnaissance d'un droit en vertu d'une obligation de nature légale, contractuelle ou extra-contractuelle mais ne s'appliquent pas aux actions administratives de l'État comme en l'espèce la décision du ministre de faire rapport au gouverneur en conseil en vertu de l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté où la Cour n'est appelée à jouer qu'un rôle de détermination de faits et ce lorsque la personne intéressée l'exige aux termes de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté.

[11]La portée de la procédure visée à l'article 18 a déjà fait l'objet d'analyse par cette Cour. Dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203 (1re inst.), le juge Noël partageait l'opinion de Mme le juge McGillis dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493 (1re inst.), selon laquelle la procédure de révocation est de nature civile et donc est sujette au fardeau de preuve civil par opposition au fardeau de preuve criminel. Celle-ci qualifiait la conclusion de fait tirée par le juge qui préside un tel renvoi comme une question d'immigration purement et simplement. Elle s'exprimait ainsi au paragraphe 37:

[. . .] je suis convaincue que les principes d'interprétation fondamentaux énoncés dans la décision Ahani c. Canada, précitée, s'appliquent en matière de citoyenneté. J'ai donc conclu que la portée de la procédure prévue à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté doit être analysée dans le contexte des principes et des politiques qui sous-tendent les règles de droit relatives à l'immigration et à la citoyenneté, et non dans le contexte du droit criminel. En fait, comme je l'ai déjà mentionné, le juge qui préside un renvoi en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté tire uniquement une conclusion de fait concernant les circonstances dans lesquelles une personne a acquis la citoyenneté canadienne. Pour paraphraser mes propos dans la décision Ahani c. Canada, précitée, cette conclusion de fait est purement et simplement une question d'immigration. En l'espèce, je souscris à l'opinion exprimée par le juge Collier dans la décision Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens, précitée, selon laquelle un renvoi formé en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté est de nature civile et on doit lui appliquer la norme de la preuve en matière civile.

[12]Cette analyse appuie la thèse de la demanderesse à l'effet qu'il s'agit d'une action «administrative» laquelle ne peut être assimilée à une action en justice impliquant une cause d'action prise par une personne qui veut faire valoir un droit personnel.

[13]Bien que j'adopte les propos du juge McGillis, j'ajouterais qu'à mon avis il s'agit en l'espèce d'un processus «hybride» où d'une part la procédure ainsi que les règles de preuve sont celles prévues pour toute action en justice mais d'autre part où le processus décisionnel n'appartient pas à un juge mais plutôt au gouverneur en conseil. De ce fait, la déclaration ne contient aucune conclusion de réparation.

[14]Malgré cela, je constate du libellé de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif ainsi que l'article 39 de la Loi sur la Cour fédérale l'utilisation du terme «toute instance» et en anglais «any proceedings».

[15]Dans l'affaire Markevich c. Canada, [2001] 3 C.F. 449 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a confirmé la portée très large du terme «proceedings» au paragraphe 35:

Le terme «proceedings» a une très large portée. Bien que, dans un contexte juridique, ce terme fasse habituellement référence à une action en justice ou à des mesures prises par suite d'une ordonnance judiciaire, il peut également inclure [traduction] «toute action ou procédure légale» (Shorter Oxford Dictionary, vol. II, 3e éd. Oxford: Clarendon Press, 1990).

[16]Le juge Rothstein concluait au paragraphe 65:

Je conclus donc que les poursuites «auxquelles l'État est partie pour tout fait générateur» visées à l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif incluent à la fois les procédures devant une cour et les méthodes légales de recouvrement prévues dans la Loi de l'impôt sur le revenu. La disposition en matière de prescription applicable est le paragraphe 3(5) de la Limitation Act de la Colombie-Britannique. En vertu du paragraphe 3(5), une action ne peut être intentée après l'expiration d'un délai de six ans suivant la date à laquelle le droit d'agir en justice a pris naissance. Une action est définie comme incluant les voies de droit extrajudiciaires. Cet article est manifestement conçu pour avoir une large portée et ne pas être limité à une action en justice.

[17]Ainsi le renvoi visé par l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté pourrait être assujetti aux règles de la prescription puisque le législateur n'a prévu aucune exception en utilisant les mots «à toute instance» ou «any proceedings». Dans Markevich, précitée, le juge d'appel Rothstein fait remarquer ce qui suit au paragraphe 50:

Quand il a modifié l'article 32, le législateur aurait pu, s'il avait voulu, inclure les mots «devant la Cour» ou quelqu'autre formule, pour s'assurer que le paragraphe 32 ne prévoie de délais de prescription que pour les procédures devant une cour. Je pense que l'on peut équitablement conclure que le législateur, puisqu'il n'a pas agi ainsi, avait l'intention d'adopter l'interprétation de l'arrêt E.H. Price, de sorte que les «poursuites» («proceedings») prévues à l'article 32 incluent toutes les voies de droit relatives à une cause d'action, qu'elles soient engagées devant une cour ou autrement, et en particulier, toutes les mesures de recouvrement prévues dans la Loi sur la taxe d'accise et la Loi de l'impôt sur le revenu, à moins que ces lois n'en disposent autrement.

[18]Dans son ouvrage, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal: Thémis, 1999, à la page 349, Pierre-André Côté rappelle que «[l]a fonction du juge étant d'interpréter la loi et non de la faire, le principe général veut que le juge doive écarter une interprétation qui l'amènerait à ajouter des termes à la loi: celle-ci est censée être bien rédigée et exprimer complètement ce que le législateur entendait dire».

[19]Comme le souligne le juge Rothstein, précité, le législateur aurait pu inclure des mots qui pouvaient en restreindre la portée. Il n'a pas choisi de le faire. Cependant, cela ne suffit pas pour disposer de la question. Encore faut-il que l'action en révocation de citoyenneté soit prescriptible.

[20]L'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, précité, prévoit que les règles de droit en matière de prescription qui dans une province régissent les rapports entre particuliers s'appliquent à l'État sauf disposition contraire à la loi fédérale pour tout fait générateur survenu dans la province.

[21]Puisque le défendeur a acquis son admission permanente ainsi que sa citoyenneté au Québec où il réside, les règles de droit en matière de prescription prévues au Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, à mon avis, s'appliqueront.

[22]S'il était retenu que la cause d'action a pris naissance à l'étranger et au Québec (compte tenu des fausses déclarations alléguées par la demanderesse, lesquelles auraient été faites en Italie lors de son admission temporaire), le délai de prescription de six ans prévu à l'article 32 s'appliquerait.

[23]Il n'en demeure pas moins que les règles de droit applicables pour trancher les questions générales de droit privé suppléeront lorsque la loi fédérale est silencieuse. L'article 32 ne règle que la question du délai, alors même qu'il ne s'agit que d'une des questions qui peuvent se poser en matière de prescription. Il s'ensuit donc que le Code civil du Québec s'appliquerait de toute façon puisqu'il établit le droit commun dans les matières de droit privé.

[24]L'article 2876 du Code civil du Québec y prévoit:

Art. 2876. Ce qui est hors commerce, incessible ou non susceptible d'appropriation, par nature ou par affectation, est imprescriptible.

[25]La demanderesse soumet que l'acquisition ou la perte de la citoyenneté sont des actes hors commerce et conséquemment imprescriptibles. Je suis de cet avis. L'acquisition ou la perte de citoyenneté ne peuvent s'évaluer pécuniairement, elles ne sont pas dans le circuit économique, elles sont donc hors commerce. Il s'agit de droits qui sont qualifiés d'extra-patrimoniaux. En raison de leur vocation, ils sont intransmissibles, disparaissent en principe avec leur titulaire et sont imprescriptibles. Voir J.-L. Baudouin, Les obligations, 5e édition, 1998, pages 1 à 4.

[26]J'en conclus que l'action de la demanderesse n'est pas assujettie à la prescription. Je rejette la requête sur ce point.

3. Autorité légale pour examiner et rejeter des candidats pour des motifs de sécurité

[27]Le défendeur a été admis au Canada à titre de résident permanent au Canada en vertu du décret C.P. 3112 qui prévoyait que les candidats admis temporairement au Canada pour y travailler avaient droit, après l'exécution de leur contrat, à la résidence permanente, s'ils étaient autrement admissibles, à l'entrée et à la résidence, selon la Loi de l'immigration [S.R.C. 1927, ch. 93].

[28]Le défendeur soumet que lorsqu'il a été admis au Canada à titre de résident permanent, la Loi de l'immigration ainsi que le décret C.P. 3112 n'interdisaient pas l'entrée «d'agents» ou de «nazis» ou de «collaborateurs».

[29]Contrairement à ce que prétend la demanderesse, je suis d'avis que la requête du défendeur ne requiert pas la détermination de faits en fonction du témoignage de nombreux témoins ordinaires et experts. Cette Cour est appelée à déterminer si, à l'époque où le défendeur fut admis au Canada à titre de résident permanent, la demanderesse avait le pouvoir légal d'interdire l'entrée et l'admission permanente de ce dernier en vertu du décret C.P. 3112 ou de la prérogative royale. Il s'agit d'une question de droit dont cette Cour, étant en possession de la preuve nécessaire, est en mesure de trancher. Puisqu'il n'existe aucune question sérieuse à instruire au niveau des faits relativement à la question mentionnée ci-dessus, il est possible de disposer de cette question de façon sommaire.

[30]L'article 3 de la Loi de l'immigration en vigueur à l'époque prévoyait des motifs précis de refoulement. Cet article se lisait en partie comme suit:

3. Nul immigrant, passager, voyageur, ni autre individu, à moins qu'il ne soit citoyen du Canada ou n'ait un domicile au Canada, n'est admis à entrer ou à débarquer au Canada, ou, s'il y est débarqué ou y est entré, n'est admis à y rester, s'il appartient à l'une des catégories suivantes, ci-après appelées «catégories interdites», savoir:

[. . .]

d) Les personnes qui ont été trouvées coupables ou ont avoué avoir perpétré quelque crime impliquant turpitude morale;

[. . .]

i) Les personnes qui n'observent pas les conditions et exigences de règlements alors en vigueur et qui sont applicables à ces personnes sous le régime de la présente loi, ou n'y répondent pas ou ne s'y conforment pas;

[. . .]

p) Les étrangers de nationalité ennemie ou les personnes qui ont été des étrangers de nationalité ennemie et qui étaient ou peuvent être internés dans toute partie des possessions de Sa Majesté, ou par tout allié de Sa Majesté, le ou après le onzième jour de novembre mil neuf cent dix-huit;

[. . .]

q) Les personnes coupables d'espionnage à l'égard de Sa Majesté ou de tout allié de Sa Majesté;

r) Les personnes jugées coupables de haute trahison ou de trahison ou de conspiration contre Sa Majesté, ou d'avoir aidé en temps de guerre les ennemis de Sa Majesté, ou de tout crime semblable contre tout allié de Sa Majesté;

[31]Le pouvoir de refouler des candidats pour des raisons de sécurité ne figure pas dans cette liste. Par contre, l'article 38 de cette même Loi conférait au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire lui permettant d'interdire ou de restreindre, par proclamation ou arrêté, l'admission au Canada des immigrants. L'article 38 se lisait comme suit:

38. Le gouverneur en son conseil peut, par proclamation ou arrêté, lorsqu'il le juge nécessaire ou à propos,

[. . .]

c) Interdire, pendant une période de temps déterminée ou d'une manière permanente, le débarquement au Canada ou le débarquement à tous les ports d'entrée désignés, au Canada, ou limiter le nombre d'immigrants appartenant à quelque nationalité ou race, ou d'immigrants d'une catégorie ou occupation particulière, à cause d'une situation économique, industrielle ou autre régnant temporairement au Canada, ou parce que ces immigrants sont jugés impropres, eu égard aux conditions ou exigences climatériques, industrielles, sociales, éducationnelles, ouvrières ou autres du Canada, ou parce que ces immigrants sont considérés comme non désirables par suite de leurs coutumes, habitudes, modes de vie et méthodes particulières de posséder des biens, et vu leur probable inaptitude à s'assimiler facilement ou à assumer les devoirs et les responsabilités du citoyen canadien dans un temps raisonnable après leur arrivée au pays.

[32]Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Bogutin (1998), 144 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 66, le juge McKeown fait un bref historique de la question du contrôle sécuritaire:

En juillet 1946, lors de la deuxième rencontre du conseil de sécurité, il n'existait aucun organisme canadien qui s'occupait du contrôle de sécurité des candidats à l'immigration au point d'origine. On a décidé de former un comité chargé d'élaborer un règlement permettant de refouler les indésirables pour des raisons de sécurité. Le gouvernement a d'abord envisagé la possibilité de prévoir des critères de sécurité dans le règlement ou dans la Loi, mais cette idée a été écartée et le Cabinet a décidé que le contrôle de sécurité des candidats à l'immigration devait s'effectuer dans le cadre d'une structure administrative du Ministère plutôt que par voie législative. Les pièces versées au dossier ne renferment aucun élément de preuve clair et direct expliquant les motifs de cette décision. Les raisons en sont toutefois évidentes lorsqu'on les examine dans le contexte de la directive no 14 que le Cabinet a donnée en 1949.

[33]La directive no 14 se lisait comme suit:

Directive du Cabinet: Circulaire no 14:

Refoulement d'immigrants pour raisons de sécurité, N. A. Robertson, 28 octobre 1949. Document 805.

[traduction] Les personnes déplacées ainsi que certaines catégories de candidats à l'immigration souhaitant entrer au Canada font l'objet d'une enquête conformément aux procédures établies par la GRC. Les personnes entrant dans certaines catégories (c.-à-d. les communistes, les membres du parti nazi ou d'un parti fasciste ou de tout groupe révolutionnaire, les «collaborateurs» et les personnes qui se servent de noms ou de documents faux ou fictifs) sont considérées inadmissibles au sens de la Loi de l'immigration et leur demande de visa est rejetée. Comme certaines des personnes ainsi refoulées ne savent pas que les agences de sécurité et les services secrets sont au courant de leurs antécédents subversifs, la divulgation des motifs de leur refoulement risquerait d'éveiller les soupçons et de compromettre des sources de renseignement précieuses.

[34]Ainsi, la directive no 14 prévoyait que certaines catégories de personnes, comme les collaborateurs, étaient inadmissibles. Cependant, comme l'indique le juge Noël au paragraphe 287 de la décision Dueck, précitée, ces décisions devaient être rendues applicables d'une façon ou d'une autre:

Les décisions prises par le Cabinet le 5 août 1946 et le 5 février 1947 ont établi la politique du gouvernement en matière de contrôle de sécurité et prévoyaient clairement que les candidats à l'immigration ne pouvaient pas être admis à moins d'avoir fait l'objet d'un contrôle par la GRC conformément aux critères de sécurité applicables. Toutefois, une fois prises, les décisions du Cabinet doivent être rendues légalement applicables d'une façon ou d'une autre.

[35]Il conclut au paragraphe 298 de façon catégorique:

[. . .] qu'en juillet 1948, la Loi de l'immigration et les décrets pris en application de celle-ci ne permettaient pas le refoulement de candidats à l'immigration pour le motif qu'ils avaient collaboré avec l'ennemi. [Je souligne.]

[36]Pour le juge Noël , au paragraphe 288, ce n'est qu'en juin 1950 qu'un décret fut adopté (C.P. 2856) conférant au ministre le pouvoir discrétionnaire de refuser le débarquement d'immigrants pour raisons de sécurité par renvoi au libellé général contenu dans l'article 38.

Il ne fait aucun doute que l'article 38 de la Loi de l'immigration conférait le pouvoir nécessaire pour le faire à la condition que le décret approprié soit pris, mais ce n'est qu'en juin 1950 qu'on a pris un décret conférant au ministre le pouvoir discrétionnaire de refuser le débarquement par renvoi au libellé général contenu dans cet article.

[37]Le juge McKeown tire la même conclusion au paragraphe 73 de la décision Bogutin:

La directive no 14 du Cabinet a été mise en application par le décret C.P. 2856 du 9 juin 1950, qui interdisait l'entrée au Canada d'immigrants de toutes catégories, sauf ceux qui entraient dans certaines catégories comme les sujets britanniques et les ressortissants de colonies britanniques déterminées, les citoyens des États-Unis et les citoyens de France.

[38]Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Katriuk (1999), 156 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), le juge Nadon souscrit à cet avis.

[39]La demanderesse prétend que le fait qu'à une époque ultérieure, des préoccupations ont été exprimées quant à l'autorité légale pour rejeter des candidats insatisfaisants au niveau de la sécurité ne signifie pas que le Cabinet n'avait pas adopté un décret qui conférerait l'autorité légale pour rejeter des candidats indésirables d'un point de vue sécuritaire lorsqu'il a adopté le décret C.P. 3112.

[40]À mon avis, le juge Noël a déjà tranché cette question. Sa conclusion est tout aussi applicable en l'espèce. Il s'agit d'une conclusion de droit portant sur le sens même de la loi, des mêmes articles et des mêmes pouvoirs. La preuve en l'espèce ne démontre pas qu'un décret conférant l'autorité légale pour rejeter des candidats indésirables d'un point de vue sécuritaire ait été adopté avant juin 1950.

[41]La demanderesse invoque le paragraphe 1(a) du décret C.P. 3112 comme source du pouvoir de la demanderesse de refouler des candidats à l'immigration pour des raisons de sécurité. Ce paragraphe se lit comme suit:

[traduction]

1. Le ministre du Travail peut:

a) en prenant des dispositions avec les ministères intéressés, envoyer au Royaume-Uni et en Italie des représentants du ministère des Mines et des Ressources, des représentants du ministère du Travail ainsi que de la Gendarmerie royale du Canada pour interroger des personnes décrites ci-dessus, dont 4 000 seront sélectionnées pour occuper un emploi agricole au Canada, et défrayer les frais de transport et de séjour qu'engageront ces représentants dans l'exercice de leurs fonctions;

[42]Je ne vois pas comment on puisse inférer un tel pouvoir du libellé de ce paragraphe qui prévoit la participation de trois ministères pour la sélection de personnes qui cherchaient à venir travailler au Canada dans l'agriculture. Il est évident qu'il n'autorise pas le refoulement des immigrants pour des raisons de sécurité selon des critères légalement applicables.

[43]Par contre le décret C.P. 1950-2856 [DORS/50-232] conférait au ministre en termes clairs et exprès le pouvoir discrétionnaire de refuser à une personne de débarquer au Canada à moins qu'il ne soit démontré que cette personne:

4. [. . .]

a) [. . .] est un immigrant convenable, eu égard aux conditions climatériques, sociales, éducatives, industrielles, ouvrières ou autres, ainsi qu'aux besoins du Canada; et

b) [. . .] n'est pas indésirable en raison de ses coutumes ou de ses habitudes particulières, ou de son mode d'existence ou de son régime de propriété particulier, ou à cause de son incapacité probable de s'adapter promptement à la vie d'une collectivité canadienne, de s'y intégrer et d'assumer les devoirs de la citoyenneté canadienne dans un délai raisonnable après son entrée.

[44]Ceci est d'autant plus clair lorsque l'on compare ce décret à l'article 38 de la Loi de l'immigration puisque le décret C.P. 1950-2856 emprunte le libellé même de l'article 38, qui, rappelons, se lisait en partie comme suit:

38. [. . .]

c) [. . .] immigrants sont jugés impropres, eu égard aux conditions ou exigences climatériques, industrielles, sociales, éducationnelles, ouvrières ou autres du Canada, ou parce que ces immigrants sont considérés comme non désirables par suite de leurs coutumes, habitudes, modes de vie et méthodes particulières de posséder des biens, et vu leur probable inaptitude à s'assimiler facilement ou à assumer les devoirs et les responsabilités du citoyen canadien dans un temps raisonnable après leur arrivée au pays.

[45]Le décret C.P. 3112 quant à lui visait un groupe précis de personnes. Or, comme le fait remarquer le juge Noël, le contrôle de sécurité était une mesure d'application générale qui ne se limitait pas aux immigrants visés par un décret en particulier (Dueck, précitée, au paragraphe 281). Le juge Noël ajoute ce qui suit:

[. . .] lorsque le gouverneur en conseil a désiré exclure une catégorie précise de personnes indésirables en 1948, il l'a fait en termes clairs et exprès. Troisièmement, l'existence du pouvoir en vertu duquel le contrôle de sécurité était effectué a été une question préoccupante dès le tout début du programme de contrôle de sécurité jusqu'en 1950. Il n'a en aucun temps été suggéré que le décret C.P. 1947-2180 ou tout autre décret en vigueur pendant cette période conférait le pouvoir requis.

[46]Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Kisluk (1999), 169 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.) le juge Lutfy (tel était alors son titre) était convaincu en se fondant sur les décrets C.P. 4849 et C.P. 4851, qu'en décembre 1948, les agents d'immigration avaient légalement le pouvoir d'interdire l'entrée et l'établissement d'immigrants au Canada au motif qu'ils étaient indésirables ou qu'ils constituaient un risque pour la sécurité. Selon le juge Lutfy, l'interdiction générale décrétée au paragraphe introductif de ce décret, jointe à l'emploi du terme «peut», accordait à l'agent d'immigration le pouvoir de refuser l'entrée à des immigrants. Avec égards, je suis incapable en l'espèce d'en venir à cette conclusion.

[47]À mon avis, comme le décret C.P. 3112 est muet en ce qui concerne les collaborateurs, etc., aucun pouvoir légal de refuser le défendeur n'existait sur cette base. Comme l'indiquait le juge Noël dans Dueck, si le gouverneur en conseil avait voulu que le décret C.P. 3112 confère un tel pouvoir, il l'aurait fait en termes clairs et exprès.

[48]Bref, lorsque le défendeur a acquis la résidence permanente en avril 1950, ni la Loi de l'immigration, ni aucun décret, n'interdisait son admission au Canada.

[49]En ce qui a trait à la prérogative royale, le défendeur soumet que le décret C.P. 3112, en faisant explicitement référence à un droit de résidence, à condition d'être admissible selon la Loi de l'immigration, écartait la prérogative royale alléguée (pour rejeter des candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité) au profit de la Loi.

[50]Le fait qu'une prérogative royale peut être supprimée ou restreinte par voie législative a été établi par la Cour suprême du Canada dans Thomson c. Canada (Sous-ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, aux pages 397 et 398:

Il ne fait aucun doute que la prérogative de l'État peut être supprimée ou restreinte par voie législative. Dès qu'une loi régit un domaine qui relevait auparavant de la prérogative, l'État est tenu de s'y conformer. Voir à ce sujet Hogg, Constitutional Law of Canada (2e éd. 1985), à la p. 11. Ainsi, si les «recommandations» du comité visées au par. 52(2) sont assimilées à une décision liant le sous-ministre, alors la Loi a pour effet de restreindre la prérogative dont était auparavant investi le sous-ministre.

[51]En ce qui concerne la prérogative en l'espèce, le défendeur s'appuie sur la décision du juge Noël dans Dueck, précitée, au paragraphe 303 qui a conclu que la Loi sur l'immigration vise l'ensemble de la prérogative invoquée comme source du pouvoir de refouler des candidats à l'immigration pour des raisons de sécurité:

À mon avis toutefois, la Loi sur l'immigration vise l'ensemble de la prérogative que le demandeur invoque comme source du pouvoir de refouler des candidats à l'immigration pour des raisons de sécurité. La Loi de l'immigration en vigueur en 1948 habilitait le ministre des Mines et des Ressources à déterminer qui pouvait débarquer au Canada et qui, par définition, ne le pouvait pas. Lorsque l'on examine l'esprit de la Loi, on constate qu'il n'y avait apparemment aucune limite aux motifs que pouvait invoquer le ministre pour refuser l'admission au pays. Comme nous l'avons vu, l'article 38 de la Loi habilitait le ministre à interdire, par proclamation ou par arrêté, le débarquement au Canada en raison des «conditions ou exigences climatériques, industrielles, sociales, éducationnelles, ouvrières ou autres du Canada» ou en raison des «coutumes, habitudes, modes de vie et méthodes particulières de posséder des biens, et vu leur probable inaptitude à s'assimiler facilement [etc.]» de ces immigrants. C'est en vertu de cette disposition que le décret C.P. 1950-2856 a finalement été pris, et il est indubitable que cette disposition réglementaire a conféré au ministre concerné le pouvoir de refouler des immigrants pour des raisons de sécurité.

[52]Le procureur de la demanderesse soumet que la question de la prérogative royale en tant que base de l'autorité légale pour rejeter des candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité n'a pas été définitivement décidée. Il réfère aux propos du juge Lutfy dans l'arrêt Kisluk, précité, qui a laissé entendre que la Loi de l'immigration pourrait ne pas avoir complètement écarté la prérogative royale relative à l'exclusion des étrangers pour des raisons de sécurité nationale.

[53]Dans Kisluk, le juge Lutfy ne s'est pas prononcé de façon définitive sur la question de la prérogative royale. Le juge Noël, quant à lui, a clairement indiqué que la Loi de l'immigration vise l'ensemble de la prérogative royale relative à l'exclusion des étrangers pour des raisons de sécurité nationale. Je suis d'accord avec cette affirmation.

[54]Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire de traiter de l'argument subsidiaire du défendeur concernant son admission temporaire au Canada.

[55]En résumé, la Cour conclut que la demanderesse n'avait pas à l'époque de l'admission du défendeur au Canada l'autorité légale d'interdire son entrée et admission au Canada à titre de résident permanent pour des motifs de sécurité. La requête en jugement sommaire est accordée sur ce point. Le tout avec dépens.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE

La Cour conclut que la demanderesse n'avait pas à l'époque de l'admission du défendeur au Canada l'autorité légale d'interdire son entrée et admission au Canada à titre de résident permanent pour des motifs de sécurité. La requête en jugement sommaire est accordée sur ce point. Le tout avec dépens.

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