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IMM-2355-01

2002 CFPI 1303

Mai Ha, Tha Mai Ha, Thien Mai Ha et la Corporation archiépiscopale de Winnipeg (demanderesses)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défendeur)

Répertorié: Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Dawson--Winnipeg, 27 juin; Ottawa, 17 décembre 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Réfugiés au sens de la Convention -- Des ressortissantes cambodgiennes qui résidaient au Vietnam depuis longtemps ont demandé le droit de résider en permanence au Canada à titre de réfugiées au sens de la Convention cherchant à se réinstaller -- L'agent des visas a rejeté leur demande parce qu'elles n'avaient pas démontré une crainte fondée de persécution et parce qu'il existait une autre «solution durable» -- Le gestionnaire de programme a confirmé la décision et décidé qu'il n'existait pas de considérations humanitaires pouvant justifier l'approbation de la requête -- 1) Les demanderesses ont produit la preuve de l'existence de «raisons impérieuses» -- L'agent a reconnu que la disposition législative (clause de cessation) ne lui était pas familière et qu'il n'en avait pas tenu compte -- L'agent a commis une erreur, mais l'erreur n'était pas fatale puisqu'il existait une «solution durable» -- 2) Sens de l'expression «solution durable» et du mot «réinstallation» -- Si les deux définitions sont lues conjointement, l'expression «aucune possibilité de réinstallation», dans le Règlement sur l'immigration de 1978, évoque une norme beaucoup moins rigoureuse que les mots figurant dans la section E de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés -- Aucun pays n'est juridiquement tenu de réinstaller des réfugiés -- Nécessité d'examiner l'objet de la réinstallation dans le contexte de la protection des réfugiés -- Le Guide de l'immigration: Traitement des demandes à l'étranger donne aux agents des visas des directives sur les points à prendre en compte pour savoir s'il y a ou non intégration au niveau local -- Les représentants du ministre doivent observer les directives ministérielles -- La conclusion de l'agent selon laquelle les demanderesses s'étaient intégrées au niveau local n'était pas déraisonnable -- Il n'importe pas de savoir combien de temps la réinstallation a nécessité -- 3) Selon l'arrêt rendu par la C.A.F. dans l'affaire Rajadurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), un gestionnaire de programme a le pouvoir de se prononcer sur la question des considérations humanitaires -- 4) La loi ne confère aucun droit d'obtenir la résidence permanente, et une décision négative ne prive donc pas le requérant d'un droit ou d'un avantage -- L'importance de la décision n'autorise pas l'élargissement du contenu de l'obligation d'équité -- Le choix procédural du ministre de ne pas autoriser la présence d'un avocat ne peut être contesté à la légère -- La nécessité pour l'État de maîtriser les coûts de l'administration et de ne pas freiner le bon déroulement du processus décisionnel doit être prise en compte -- 5) La preuve donnait à entendre que l'agent avait réduit son pouvoir discrétionnaire, mais il n'a pas été contre-interrogé sur son affirmation selon laquelle il avait effectivement tenu compte des circonstances de cette affaire -- Demande rejetée, questions certifiées pour la C.A.F.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- Décision d'un agent des visas rejetant une demande de résidence permanente -- Réfugiées au sens de la Convention -- Y a-t-il eu manquement à l'obligation d'équité parce que la décision concernant la demande fondée sur des considérations humanitaires a été déléguée au gestionnaire de programme? -- Y a-t-il eu manquement à l'obligation d'équité parce que l'avocat n'a pas été autorisé à assister à l'entrevue? -- L'agent des visas a-t-il réduit son pouvoir discrétionnaire parce qu'il a établi une règle interdisant aux avocats d'assister aux entrevues? -- Selon l'arrêt Rajadurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), C.A.F., un gestionnaire de programme a le pouvoir de se prononcer sur une demande fondée sur des considérations humanitaires -- La nature de la décision à rendre ne participait pas des décisions judiciaires au point de requérir des garanties procédurales approchant de celles qui sont propres au modèle judiciaire -- La loi ne confère aucun droit d'obtenir la résidence permanente, et une décision négative ne prive donc pas le requérant d'un droit ou d'un avantage -- Il n'y a pas élargissement du contenu de l'obligation d'équité -- Le choix effectué par un organisme en matière de procédure ne peut être contesté à la légère: arrêt rendu par la C.S.C. dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) -- Le requérant a la possibilité de participer utilement au processus décisionnel -- Nécessité pour l'État de maîtriser les coûts et de ne pas freiner le bon déroulement du processus décisionnel -- Certains éléments de preuve attestaient une soumission irréfléchie de l'agent à une politique générale, ce qu'il a nié, et l'agent n'a pas été contre-interrogé sur ce point -- La Cour n'a pas été convaincue que l'agent avait réduit son pouvoir discrétionnaire.

Les demanderesses, de nationalité cambodgienne, ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision d'un agent des visas qui avait rejeté leur demande de résidence permanente à titre de réfugiées au sens de la Convention cherchant à se réinstaller au Canada.

Les demanderesses sont trois soeurs âgées de 29 à 41 ans qui en 1975, furent contraintes, avec leurs parents ainsi que trois autres frères et soeurs, de s'enfuir au Vietnam pour échapper au régime des Khmers Rouges du Cambodge. Les demanderesses ont vécu au Vietnam depuis lors tandis que les autres membres de leur famille ont immigré au Canada il y a plusieurs années. Leur demande était parrainée par la personne morale demanderesse, un organisme religieux.

Une entrevue avec un agent des visas ayant été organisée, l'avocat des demanderesses a demandé l'autorisation d'y assister, mais sa requête a été refusée. La demande de résidence permanente fut rejetée, l'agent ayant conclu que les requérantes n'avaient pas démontré une crainte fondée de persécution et qu'il existait une autre «solution durable», puisque les demanderesses s'étaient réinstallées en permanence au Vietnam. Cette décision fut confirmée par un gestionnaire de programme, pour qui il n'existait aucune considération humanitaire pouvant justifier l'approbation de la requête.

Cinq moyens ont été soulevés par les demanderesses: 1) L'agent des visas a-t-il commis une erreur parce qu'il a ignoré l'exception relative aux raisons impérieuses? 2) La conclusion de l'agent des visas selon laquelle il existait une «solution durable» était-elle abusive et arbitraire? 3) L'agent des visas a-t-il manqué à l'obligation d'équité parce qu'il aurait à tort délégué à son gestionnaire de programme le soin de juger de l'existence de considérations humanitaires? 4) Y a-t-il eu manquement à l'obligation d'équité parce que l'avocat n'a pas été autorisé à assister à l'entrevue? et 5) L'agent des visas a-t-il réduit son pouvoir discrétionnaire parce qu'il a établi une règle interdisant aux avocats d'assister aux entrevues?

Jugement: la demande doit être rejetée, mais deux questions sont certifiées pour l'examen de la Cour d'appel.

1) Le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration prévoit qu'une personne ne perd pas le statut de réfugié si elle établit qu'il existe «des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée». Les demanderesses ont produit la preuve de l'existence de «raisons impérieuses», mais l'agent des visas a reconnu en contre-interrogatoire que cette disposition (la clause de cessation) ne lui était «pas vraiment» familière et qu'il n'en avait pas véritablement tenu compte. Le ministre a admis que l'agent des visas avait eu tort de méconnaître la clause de cessation, mais selon lui l'erreur n'était pas fatale, car l'existence d'une «solution durable» faisait que les demanderesses échappaient à la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller».

2) L'expression «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» était définie dans le Règlement sur l'immigration de 1978 comme un réfugié au sens de la Convention qui se trouve hors du Canada, qui cherche à être admis au Canada pour s'y réinstaller et à l'égard duquel aucune solution durable n'est réalisable dans un laps de temps raisonnable. L'expression «solution durable», à l'égard d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller, était définie ainsi: soit son rapatriement volontaire vers le pays de sa citoyenneté ou de sa résidence habituelle, soit sa réinstallation dans le pays de sa citoyenneté ou de sa résidence habituelle, dans un pays voisin ou dans le pays d'accueil, soit enfin une offre de réinstallation émanant d'un pays autre que le Canada. L'agent des visas s'est fondé sur le fait que les demanderesses étaient à même de demander la nationalité vietnamienne. Les demanderesses ont fait valoir que, pour l'application de ces définitions, il fallait se référer à la section E de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Si les deux définitions étaient lues conjointement, alors le mot «réinstallation» devait signifier que la personne réinstallée est considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays. Mais le sens ordinaire des mots employés dans la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» n'autorisait pas l'interprétation avancée par les demanderesses. En effet, la définition en question, lue conjointement avec la définition de «solution durable», parlait d'une personne pour laquelle il n'existait aucune possibilité de réinstallation. L'expression «aucune possibilité de réinstallation» évoque une norme beaucoup moins rigoureuse que les mots figurant dans la section E de l'article premier de la Convention. Cette dernière disposition est applicable à ceux qui sont au Canada et, si la norme qui préside à l'exclusion énoncée dans la section E est si élevée, c'est parce que, lorsqu'une personne est exclue de l'application de la Convention, elle peut dès lors être expulsée. En revanche, la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» concerne une personne qui cherche, depuis l'extérieur du Canada, à être admise au Canada et qui se trouve dans un pays d'asile. Comme l'indique le Manuel de la réinstallation publié par le HCNUR, «Aucun pays n'est juridiquement tenu de réinstaller des réfugiés».

Les demanderesses ont aussi affirmé que la conclusion selon laquelle il existait une «solution durable» était, au vu de la preuve, abusive et arbitraire. Pour juger de la justesse de la décision de l'agent des visas selon laquelle les demanderesses étaient intégrées dans la société vietnamienne, il était nécessaire d'examiner l'objet de la réinstallation dans le contexte de la protection des réfugiés. Les directives exposées dans le Guide de l'immigration: Traitement des demandes à l'étranger à propos de ce qui constitue une intégration locale mentionnent que les agents des visas doivent tenir compte des facteurs suivants: le réfugié a reçu formellement le droit d'asile, il est menacé de refoulement, il a le droit de chercher et d'occuper un emploi, ses enfants peuvent fréquenter l'école, il a le droit de revenir dans le pays ou le territoire d'accueil, et il peut acquérir la résidence permanente ou la citoyenneté. La Cour suprême du Canada ayant jugé, dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), que les représentants du ministre doivent observer les directives ministérielles, il s'agissait là de facteurs dont devait tenir compte l'agent des visas. Puisque les demanderesses avaient dit à l'agent qu'elles vivaient et travaillaient à Hô Chi Minh-ville, la conclusion de l'agent selon laquelle les demanderesses s'étaient intégrées au niveau local n'était ni manifestement déraisonnable ni clairement erronée. Si l'on est réinstallé, quel que soit le temps que l'on a pris pour y arriver, on ne saurait dire qu'il n'y a aucune possibilité de réinstallation.

3) Les demanderesses ont affirmé que la Loi donnait à l'agent des visas le pouvoir discrétionnaire résiduel d'admettre tel ou tel requérant pour des raisons d'ordre humanitaire et que ce pouvoir ne pouvait être sous-délégué à un gestionnaire de programme. L'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 9(4) de la Loi a été examiné par la C.A.F. dans l'arrêt Rajadurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration). Dans cette affaire, le juge Sharlow, qui avait exprimé une opinion dissidente mais qui n'était pas en désaccord sur ce point avec la majorité, avait indiqué que le pouvoir du ministre pouvait être délégué, notamment à un gestionnaire de programme. Le juge Stone, quant à lui, avait expliqué ainsi dans cet arrêt, le processus suivi: «la décision de l'agent des visas devait être prise avant que le gestionnaire de programme ait à déterminer s'il existait des raisons d'ordre humanitaire [. . .] C'est uniquement parce que l'agent des visas a attribué un nombre insuffisant de points d'appréciation que les appelantes sont devenues non admissibles. Avant que cette décision soit prise, le gestionnaire de programme n'avait aucun rôle en vertu de la Loi et du Règlement». Les demanderesses n'étant pas admissibles puisqu'elles ne remplissaient pas les conditions du paragraphe 7(1) du Règlement, elles ne pouvaient obtenir leur admission que si l'agent des visas exerçait favorablement son pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 114(2) de la Loi et l'article 2.1 du Règlement. La requête des demanderesses a donc été validement renvoyée au gestionnaire de programme pour examen.

4) Les demandes doivent être faites par écrit et elles peuvent être acceptées ou refusées, sans entrevue. Si une entrevue est accordée, elle a pour objet de recueillir des renseignements complémentaires auprès du requérant. Ce processus décisionnel ne requiert pas de garanties procédurales approchant de celles qui sont propres au modèle judiciaire. La Loi ne confère aucun droit d'obtenir la résidence permanente, et une décision négative ne prive donc pas le requérant d'un droit ou d'un avantage. L'importance de la décision n'autorisait donc pas un élargissement du contenu de l'obligation d'équité. Selon Citoyenneté et Immigration Canada, permettre aux avocats d'assister aux entrevues aurait un effet préjudiciable sur la capacité de CIC de gérer le Programme de réinstallation des réfugiés car cette mesure aurait pour effet d'introduire dans la procédure un élément contradictoire et formaliste, sans compter les délais et l'accroissement des coûts. L'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) permettait d'affirmer que le choix effectué par un organisme en matière de procédure ne peut être contesté à la légère. L'avocat est autorisé à présenter des conclusions écrites et l'obligation d'équité est accomplie en ce sens que le requérant a la possibilité de participer utilement au processus décisionnel. Finalement, la nécessité pour l'État de maîtriser les coûts de l'administration et de ne pas freiner le bon déroulement du processus décisionnel devait être prise en compte.

5) Il n'y avait rien d'excessif en soi à ce qu'un décideur administratif adopte une règle n'autorisant pas la présence d'un avocat, mais le ministre a admis que l'agent des visas entraverait injustement son pouvoir discrétionnaire s'il appliquait aveuglément la directive sans tenir compte des circonstances particulières d'une affaire. Le texte des notes du Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) et la réponse de l'agent à la requête de l'avocat attestent une soumission irréfléchie à une politique générale, mais l'agent des visas n'a pas été contre-interrogé sur son affirmation selon laquelle il avait effectivement tenu compte des circonstances de cette affaire. Puisque ce témoignage n'a pas été contesté, la Cour n'était pas persuadée que l'agent avait réduit son pouvoir discrétionnaire.

Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, mais deux questions sont certifiées: 1) Y a-t-il manquement au devoir d'équité lorsqu'un agent des visas refuse d'autoriser un avocat à assister à l'entrevue d'un requérant qui demande son admission au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller? et 2) Quels droits ou obligations un réfugié au sens de la Convention doit-il posséder en dehors du Canada pour être considéré comme réinstallé de telle sorte qu'il dispose d'une «solution durable»?

lois et règlements

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1E.

Loi sur l'immigration de 1976, L.C. 1976-77, ch. 52.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) «réfugié au sens de la Convention» (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), (2) (mod., idem), (3) (mod., idem), 9(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4), (2) (mod., idem), (4) (mod., idem), 19 (mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 77; ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83; 2000, ch. 24, art. 55), 37(1), 114(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102).

Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» (mod. par DORS/97-184, art. 1), «solution durable» (édicté, idem), 2.1 (édicté par DORS/93-44, art. 2), 7 (mod. par DORS/97-184, art. 2), 14 (mod. par DORS/83-339, art. 2; 84-809, art. 1; 97-184, art. 5).

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 139(1)d).

jurisprudence

décisions suivies:

Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; (2002), 208 D.L.R. (4th) 1; 37 Admin. L.R. (3d) 159; 90 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (3d) 1; 281 N.R. 1; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22.

décisions appliquées:

Rajadurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 11 Imm. L.R. (3d) 1; 266 N.R. 119 (C.A.F.); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2002] 2 C.F. 413; (2001), 208 D.L.R. (4th) 265; 283 N.R. 173 (C.A.); Voskanova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 258 (C.F. 1re inst.).

distiction faite d'avec:

Bouianova c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 67 F.T.R. 74 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 17 Imm. L.R. (3d) 319 (C.F. 1re inst.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560; (1989), 57 D.L.R. (4th) 663; [1989] 3 W.W.R. 289; 36 Admin. L.R. 72; 7 Imm. L.R. (2d) 253; 93 N.R. 81; Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 254 N.R. 388 (C.A.F.).

doctrine

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l'immigration: Législation (IL). Chapitre IL 3: Désignation et     délégation. Ottawa: Citoyenneté et Immigration Canada.

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l'immigration: Traitement des demandes à l'étranger (OP). Chapitre     OP 4: Sélection et traitement à l'étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et de membres des catégories précisées pour des motifs d'ordre humanitaire. Ottawa: Citoyenneté et Immigration.

Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Manuel de réinstallation. Genève, édition révisée de juillet     2002.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d'un agent des visas qui avait rejeté la requête présentée par les demanderesses en vue d'obtenir la résidence permanente au Canada à titre de réfugiées au sens de la Convention cherchant à se réinstaller. Demande rejetée et questions certifiées.

ont comparu:

David Matas, pour les demanderesses.

Sharlene Telles-Langdon, pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

David Matas Winnipeg, pour les demanderesses.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Dawson: Mai Ha, Tha Mai Ha et Thien Mai Ha (les demanderesses), de nationalité cambodgienne, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision d'un agent des visas du Haut-commissariat du Canada à Singapour qui avait rejeté leur demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugiées au sens de la Convention cherchant à se réinstaller au Canada.

RAPPEL DES FAITS

[2]Les demanderesses sont trois soeurs âgées de 29 à 41 ans. En 1975, elles furent contraintes, avec leurs parents ainsi que trois autres frères et soeurs, de s'enfuir au Vietnam pour échapper au régime des Khmers Rouges du Cambodge. Les demanderesses ont vécu au Vietnam depuis lors. Leurs parents et leurs trois frères et soeurs ont immigré au Canada en 1986 et en 1994.

[3]Le 8 septembre 1998, les demanderesses priaient le Haut-commissariat du Canada à Singapour de leur accorder la résidence permanente au Canada à titre de réfugiées au sens de la Convention cherchant à se réinstaller. Leur requête était parrainée par le Comité des réfugiés de Saint-Ignace, un organisme associé à la Corporation archiépiscopale de Winnipeg, la personne morale demanderesse.

[4]Une lettre datée du 24 août 1999 fut d'abord envoyée aux demanderesses. Cette lettre rejetait leur requête. Les demanderesses ont alors sollicité le contrôle judiciaire de cette décision et, par consentement du ministre, la demande de contrôle judiciaire fut accueillie. Le dossier des demanderesses fut alors réassigné à l'actuel agent des visas. Une entrevue fut fixée au 28 février 2001. En réponse à deux lettres de l'avocat des demanderesses, dans laquelle il sollicitait l'autorisation d'assister à l'entrevue, l'agent des visas répondit par écrit ce qui suit le 8 février 2001:

[traduction] Veuillez noter que nous n'autorisons pas les avocats ou représentants à assister aux entrevues. Vous pourrez attendre dans la salle d'attente, mais vous ne serez pas autorisé à assister à l'entrevue.

[5]L'entrevue a eu lieu le 28 février 2001 en l'absence de l'avocat des demanderesses. Le 9 mars 2001, l'agent des visas décidait de refuser la demande de résidence permanente. Avant de conclure ainsi, l'agent des visas avait estimé que les demanderesses ne répondaient pas à la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller», et cela parce qu'elles n'avaient pas démontré une crainte fondée de persécution. L'agent des visas a aussi estimé, comme on peut le lire dans la lettre de refus, que [traduction] «il y a une autre "solution durable" puisque vous êtes réinstallées maintenant en permanence au Vietnam».

[6]La décision de l'agent des visas est consignée plus en détail dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI), où l'agent écrivait, à propos de Mai Ha:

[traduction] LA REQUÉRANTE NE RÉPOND PAS À LA DÉFINITION D'UNE RÉFUGIÉE AU SENS DE LA CONVENTION ET, BIEN QU'ELLE SOIT PARRAINÉE PAR UN GROUPE, AUCUN MOTIF NE JUSTIFIE L'APPROBATION DE SA REQUÊTE. JE NE SUIS PAS CONVAINCU QU'IL EXISTE DES CONSIDÉRATIONS D'ORDRE HUMANITAIRE SUSCEPTIBLES DE JUSTIFIER L'APPROBATION DE SA REQUÊTE À CE TITRE.

[7]L'agent des visas a alors renvoyé le dossier à un gestionnaire de programme afin que la requête soit réexaminée au regard des considérations humanitaires. Le 28 mars 2001, le gestionnaire de programme confirmait la décision de l'agent des visas et décidait qu'il n'existait aucune considération humanitaire pouvant justifier l'approbation de la requête. Des lettres de refus datées du 11 avril 2001 furent envoyées aux demanderesses.

POINTS EN LITIGE

[8]Les demanderesses contestent la décision de l'agent des visas en soulevant cinq moyens:

1. L'agent des visas a-t-il commis une erreur parce qu'il a ignoré l'exception relative aux raisons impérieuses?

2. La conclusion de l'agent des visas selon laquelle il existait une «solution durable» au Vietnam était-elle abusive et arbitraire?

3. L'agent des visas a-t-il manqué à l'obligation d'équité parce qu'il aurait à tort délégué à son gestionnaire de programme le soin de juger de l'existence de considérations humanitaires?

4. Y a-t-il eu manquement à l'obligation d'équité parce que l'avocat n'a pas été autorisé à assister à l'entrevue? et

5. L'agent des visas a-t-il réduit son pouvoir discrétionnaire parce qu'il a établi une règle interdisant aux avocats d'assister aux entrevues?

ANALYSE

(i) L'agent des visas a-t-il commis une erreur parce qu'il a ignoré l'exception relative aux raisons impérieuses?

[9]La Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) définit ainsi, en son paragraphe 2(1), l'expression «réfugié au sens de la Convention» [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1]:

2. (1) [. . .]

«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

[10]Le paragraphe 2(2) [mod., idem] définit ainsi la manière dont une personne perd le statut de réfugié:

2. (1) [. . .]

(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où:

a) elle se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont elle a la nationalité;

b) elle recouvre volontairement sa nationalité;

c) elle acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

d) elle retourne volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée;

e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors du quel elle est demeurée ont cessé d'exister.

[11]La perte du statut de réfugié selon ce que prévoit l'alinéa 2(2)e) de la Loi (la clause de cessation) comporte une exception, qui est énoncée au paragraphe 2(3) [mod., idem] de la Loi:

2. (1) [. . .]

(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.

[12]Eu égard à ce régime législatif, lorsqu'un décideur est convaincu que le statut de réfugié ne peut être revendiqué parce que la situation ayant cours dans le pays a évolué selon ce que prévoit l'alinéa 2(2)e) de la Loi, alors le décideur est tenu de se demander s'il y a lieu d'appliquer le paragraphe 2(3) de la Loi. (Voir l'arrêt Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 254 N.R. 388 (C.A.F.).)

[13]En l'espèce, les demanderesses ont produit la preuve de l'existence des raisons impérieuses sur lesquelles elles s'étaient fondées pour invoquer le paragraphe 2(3) de la Loi. Cependant, l'agent des visas a reconnu en contre-interrogatoire que l'exception à la clause de cessation ne lui était «pas vraiment» familière et qu'il n'en avait pas véritablement tenu compte.

[14]Le ministre admet que l'agent des visas a eu tort de méconnaître la clause de cessation et tort également de ne pas s'être demandé s'il y avait lieu d'appliquer l'exception relative aux raisons impérieuses. Cependant, le ministre dit aussi que l'erreur n'est pas fatale, et cela parce que l'agent des visas a estimé à juste titre qu'une «solution durable» s'offrait aux demanderesses, de telle sorte qu'elles n'entraient pas dans la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller».

[15]Enchaînons avec la deuxième erreur invoquée.

(ii) La conclusion de l'agent des visas selon laquelle il existait une «solution durable» au Vietnam était-elle abusive et arbitraire?

[16]Lorsqu'il s'est demandé si les demanderesses répondaient à la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller», l'agent des visas s'est fondé largement sur le fait que les demanderesses étaient à même de demander la nationalité vietnamienne. L'agent a par conséquent estimé qu'une «solution durable» s'offrait aux demanderesses, de telle sorte qu'elles n'entraient pas dans la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller».

[17]L'expression «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» [mod. par DORS/97-184, art. 1] est définie au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement). Voici la définition:

2. (1) [. . .]

«réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» Personne, autre qu'une personne dont le cas a fait l'objet d'un rejet conformément au plan d'action global adopté le 14 juin 1989 par la Conférence internationale sur les réfugiés indochinois, qui est un réfugié au sens de la Convention:

a) qui se trouve hors du Canada;

b) qui cherche à être admis au Canada pour s'y réinstaller;

c) à l'égard duquel aucune solution durable n'est réalisable dans un laps de temps raisonnable.

[18]L'expression «solution durable» [édicté, idem] contenue dans la définition est définie quant à elle au paragraphe 2(1) du Règlement:

2. (1) [. . .]

«solution durable» À l'égard d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller, s'entend:

a) soit de son rapatriement volontaire vers le pays de sa citoyenneté ou de sa résidence habituelle;

b) soit de sa réinstallation dans le pays de sa citoyenneté ou de sa résidence habituelle, dans un pays voisin ou dans le pays d'accueil;

c) soit d'une offre de réinstallation émanant d'un pays autre que le Canada.

[19]Les demanderesses affirment que, pour interpréter ces dispositions, il faut se référer à la section E de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (Convention), un instrument mentionné dans la définition de «réfugié au sens de la Convention». La section E de l'article premier est ainsi rédigée:

E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

[20]Selon les demanderesses, pour que le Règlement s'accorde avec la Convention et avec la Loi, la «réinstallation» dont parle le Règlement dans la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» doit signifier que la personne réinstallée est considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays. Si une personne n'a pas ces droits et obligations, alors elle ne peut, d'affirmer les demanderesses, être considérée comme une personne réinstallée. Les demanderesses font donc valoir que la possibilité de demander la nationalité vietnamienne ne pourrait juridiquement déterminer le refus de l'agent des visas que dans le cas où une demande de nationalité présentée aux autorités vietnamiennes entraînerait la confirmation d'un statut préexistant.

[21]En l'espèce, les demanderesses disent qu'une demande de nationalité présentée en leur nom ne conduirait pas à la confirmation d'un statut préexistant. L'attribution de la nationalité vietnamienne requiert davantage que la simple production d'un formulaire. Selon les demanderesses, cinq conditions doivent être remplies, dont trois sont discrétionnaires aux yeux des autorités. Cette situation doit être distinguée de celle qu'avait examinée M. le juge Rothstein dans l'affaire Bouianova c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 67 F.T.R. 74 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, la demande de nationalité russe était une simple formalité. Par conséquent, la requérante ne pouvait affirmer qu'elle n'avait pas de pays de nationalité simplement parce qu'elle avait décidé de ne pas présenter une demande de nationalité.

[22]En réponse à cet argument, le ministre affirme que, s'agissant de la «solution durable», la réinstallation ne requiert pas la possession du même niveau de droits et obligations que le niveau des droits et obligations qu'une personne doit posséder pour être exclue en application de la section E de l'article premier de la Convention. Selon le ministre, dans la mesure où il existe un certain niveau d'intégration dans le premier pays d'asile, et dans la mesure où la personne concernée n'est pas menacée, cette personne devrait être considérée comme réinstallée au regard de l'application de la notion de «solution durable».

[23]Aucun des avocats n'a invoqué de précédent au soutien de ses arguments sur la question.

[24]À mon avis, le sens ordinaire des mots employés dans la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» n'autorise pas l'interprétation proposée par les demanderesses. En effet, la définition en question, lue conjointement avec la définition de «solution durable», parle d'une personne pour laquelle il n'existe, dans un laps de temps raisonnable, aucune possibilité de réinstallation dans le pays de sa citoyenneté, dans un pays voisin ou dans le pays d'accueil. L'expression «aucune possibilité de réinstallation» évoque une norme beaucoup moins rigoureuse que les mots figurant dans la section E de l'article premier de la Convention, lesquels parlent des mêmes droits que ceux qui sont attachés à la possession de la nationalité d'un pays. Dans ces conditions, je suis d'avis que la définition figurant dans le Règlement ne saurait exiger un lien aussi étroit avec le pays de résidence que ce que prévoit la section E de l'article premier.

[25]Il est vrai que l'exception de la «solution durable», dans le Règlement, a pour effet d'exclure du Canada les revendicateurs du statut de réfugié au motif qu'ils bénéficient d'une protection ailleurs, mais je souscris à l'argument du ministre selon lequel il y a une différence fondamentale entre les deux clauses d'exclusion.

[26]Cette différence vient de ce que la section E de l'article premier de la Convention s'applique à ceux qui sont au Canada. Le Canada, en tant que signataire de la Convention, a l'obligation d'offrir la protection de la Convention aux personnes se trouvant sur son territoire. Si la norme qui préside à l'exclusion énoncée dans la section E de l'article premier de la Convention est si élevée, c'est parce que, lorsqu'une personne est exclue de l'application de la Convention, elle peut dès lors être expulsée vers le pays où elle a des droits à titre de ressortissant de ce pays.

[27]En revanche, la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» concerne une personne qui cherche, depuis l'extérieur du Canada, à être admise au Canada et qui se trouve dans un pays d'asile. Le Canada n'est pas tenu en droit de réinstaller des réfugiés depuis l'étranger. C'est ce que dit le Manuel de réinstallation, publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, où l'on peut lire, à la page 3 du chapitre 1 ce qui suit:

Aucun pays n'a l'obligation légale de réinstaller des réfugiés. Seul un petit nombre d'États procède régulièrement à leur réinstallation, en attribuant des budgets, en établissant des programmes et en fixant des quotas annuels de réinstallation. Certains pays acceptent régulièrement de réinstaller des réfugiés, voire parfois en grand nombre, sans avoir fixé de quotas annuels. Le fait d'accepter de réinstaller des réfugiés est une véritable marque de générosité de la part des gouvernements, et le HCR apprécie les programmes permanents des États en matière de réinstallation.

[28]Par conséquent, je suis d'avis que la réinstallation en tant que «solution durable» ne requiert pas que celui ou celle qui cherche à se réinstaller possède le niveau de droits et d'obligations que doit posséder une personne pour être exclue de l'application de la Convention en conformité avec la section E de l'article premier de la Convention.

[29]Il s'ensuit que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur de droit lorsqu'il a estimé que les demanderesses avaient la possibilité de solliciter la nationalité vietnamienne. Il n'est pas non plus nécessaire en droit que la demande de nationalité vietnamienne conduise à la confirmation d'un statut préexistant pour qu'une «solution durable» s'offre au requérant dans un laps de temps raisonnable.

[30]Les demanderesses affirment aussi que la décision selon laquelle il existait une «solution durable» était, au vu de la preuve, abusive et arbitraire.

[31]Dans leur demande de résidence permanente, les demanderesses affirmaient qu'elles vivaient dans un camp de réfugiés où il n'y avait que deux familles. La sécurité y était apparemment faible, de telle sorte que les demanderesses craignaient d'y vivre seules. Elles s'étaient exprimées ainsi:

[traduction] Depuis 1994, nous n'avons aucune aide du HCNUR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés). Nos conditions de vie sont très difficiles. Au Vietnam, nous ne pouvons travailler ni résider nulle part à l'exception du camp 979A Song Be, au Vietnam. Nous ne faisons que des petits travaux dans le camp, ce qui n'est pas assez pour nous permettre de vivre. Nous n'avons d'ailleurs aucun droit dans ce pays, qu'il s'agisse du droit de vote, du droit d'aller où nous voulons ou du droit de lancer une entreprise au même titre que les Vietnamiens. Si nous voulons nous déplacer au Vietnam, nous devons remplir une foule de formalités complexes pour pouvoir le faire. C'est que, au Vietnam, nous ne sommes que des réfugiées.

[32]Rejetant leur requête, l'agent des visas a estimé que les demanderesses étaient intégrées au niveau local et qu'elles s'étaient donc réinstallées en permanence au Vietnam. Pour conclure ainsi, l'agent des visas s'est fondé en particulier sur le fait que les demanderesses ne vivaient plus dans un camp de réfugiés, mais avaient loué une maison à Hô Chi Minh-ville où elles travaillaient dans la confection. L'agent a donc écrit dans les notes du STIDI que les demanderesses étaient libres de vivre et de travailler au Vietnam.

[33]S'agissant de la conclusion de l'agent des visas selon laquelle les demanderesses étaient libres de vivre et de travailler au Vietnam, l'agent a répondu ainsi, durant son contre-interrogatoire:

48.     Q     Saviez-vous si elles se trouvaient à Hô Chi Minh-ville légalement ou illégalement?

R     Que voulez-vous dire par «légalement ou illégalement»?

49.     Q     «Légalement» signifie en conformité avec les lois vietnamiennes.

R     Je n'ai pas examiné cet aspect. Mais ce que je sais, c'est qu'elles louent un appartement à Hô Chi Minh-ville.

50.     Q     Connaissez-vous le système de contrôle des logements en vigueur au Vietnam?

R     Pas très bien.

51.     Q     En avez-vous entendu parler?

R     S'agit-il du système d'enregistrement des ménages? Oui.

[34]L'agent des visas s'est également fondé sur le fait que les demanderesses pouvaient solliciter la nationalité vietnamienne. S'agissant de ce droit, l'agent des visas a écrit dans son affidavit en opposition à la présente demande de contrôle judiciaire que, durant chaque entrevue, il avait parlé de la loi sur la nationalité à chaque requérante, qui, selon ce qu'il a pu constater, n'a pas mis en doute son admissibilité d'après la loi. Cependant, les notes du STIDI rédigées par l'agent révèlent que Mai Ha avait dit à l'agent que d'autres personnes avaient tenté sans succès d'obtenir la nationalité vietnamienne. Thien Mai Ha avait dit aussi à l'agent que d'autres personnes avaient essayé d'obtenir la nationalité, mais que le gouvernement ne le permettait pas.

[35]Pour juger de la justesse de la décision de l'agent des visas selon laquelle les demanderesses étaient intégrées au niveau local, il est nécessaire d'examiner l'objet de la réinstallation dans le contexte de la protection des réfugiés.

[36]Le Guide de l'immigration: Traitement des demandes à l'étranger (OP), chapitre OP 4: Sélection et traitement à l'étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et de membres des catégories précisées pour des motifs d'ordre humanitaire, en vigueur à l'époque pertinente, décrit la politique du Canada en matière de réfugiés et renferme des lignes directrices pour le traitement des demandes produites par des réfugiés au sens de la Convention cherchant à se réinstaller. Le chapitre mentionne ce qui suit:

La réinstallation est à la fois un instrument de protection et une des trois solutions durables aux problèmes des réfugiés. Les autres solutions durables sont le rapatriement et l'intégration locale dans le premier pays d'asile.

[. . .]

La réinstallation constitue une solution durable pour les personnes qui ont beaucoup de mal à s'intégrer dans le premier pays d'asile et qui ne peuvent retourner dans leur pays de citoyenneté ou de résidence habituelle.

[. . .]

Pour être admissible à la réinstallation au Canada, une personne doit répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention et:

·     se trouver hors du Canada;

·     ne pas être susceptible de retourner volontairement dans son pays dans un proche avenir;

·     ne pas être intégrée dans le pays d'accueil; et

·     ne pas avoir d'autre offre de réinstallation.

[37]En l'espèce, il n'a pas été fait état d'un rapatriement volontaire ni d'une autre offre de réinstallation, et il s'agissait donc de savoir si les demanderesses étaient intégrées au niveau local dans le pays d'asile.

[38]S'agissant de ce qui constitue une intégration locale, le chapitre OP 4 donne les instructions suivantes aux agents des visas:

Pour vérifier son intégration, vous devez tenir compte des facteurs suivants:

·     il a reçu formellement le droit d'asile;

·     il est menacé de refoulement;

·     il a le droit de chercher et d'occuper un emploi;

·     ses enfants peuvent fréquenter l'école;

·     il a le droit de revenir dans le pays ou le territoire d'accueil; ou

·     il aura droit à la résidence permanente ou à la citoyenneté dans l'avenir.

[39]Vu l'importance qu'il convient accorder à l'observation des directives ministérielles par les représentants du ministre, ainsi que l'expliquait la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 36, il s'agit là de facteurs dont devait tenir compte l'agent des visas pour savoir précisément si, dans un laps de temps raisonnable, il était ou non possible pour les demanderesses de s'intégrer au niveau local.

[40]La preuve dont disposait l'agent des visas était la suivante: Les demanderesses résidaient au Vietnam depuis 1975. Elles avaient à tout le moins le droit de solliciter la nationalité vietnamienne, mais l'agent des visas n'avait aucune idée du résultat possible d'une telle demande, et les demanderesses avaient exprimé l'avis qu'une telle demande serait vaine. Elles n'avaient pas présenté de demande. Les demanderesses avaient loué une maison à Hô Chi Minh-ville, où elles vivaient et où elles travaillaient dans la confection. L'agent savait qu'il existait un système de contrôle des logements au Vietnam, mais il n'a pas cherché à savoir si les conditions de logement étaient conformes au système de contrôle des habitations. On n'a pas donné à entendre qu'il y avait risque de refoulement.

[41]Après examen de la décision de l'agent des visas au regard des facteurs dont il devait tenir compte, et après examen de la preuve dont il disposait, je suis convaincue que l'agent a considéré les critères applicables, sans être influencé par des facteurs hors de propos. Au vu des affirmations formelles des demanderesses à l'agent selon lesquelles elles vivaient et travaillaient à Hô Chi Minh-ville, il m'est impossible de dire que la conclusion de l'agent selon laquelle les demanderesses s'étaient intégrées au niveau local était manifestement déraisonnable ou clairement erronée. Vu que la décision, à mon avis, résiste à l'examen, tant au regard de la norme de la décision manifestement déraisonnable qu'au regard de la décision raisonnable simpliciter, il ne m'est pas nécessaire de dire plus précisément quelle norme de contrôle est applicable.

[42]On a fait valoir, au nom des demanderesses, que, lorsqu'on se demande si «aucune solution durable n'est réalisable dans un laps de temps raisonnable», on doit tenir compte de la période durant laquelle les demanderesses avaient séjourné au Vietnam. En l'espèce, on affirme que, même si les demanderesses se réinstallaient demain, il ne s'agirait pas là d'un laps de temps raisonnable.

[43]Le ministre répond en affirmant qu'un agent des visas doit considérer la situation d'un requérant par rapport à la loi au moment où la décision est rendue. En l'espèce, le jour où la décision a été rendue, l'agent a estimé que les demanderesses s'étaient intégrées localement et cela suffisait. Je partage cet avis.

[44]La définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller» parle d'un cas où il n'y a «aucune possibilité» de réinstallation dans un laps de temps raisonnable. Il faut à mon avis en conclure que le critère est de nature prospective. Si l'on est réinstallé, quel que soit le temps que l'on a pris pour y arriver, on ne saurait dire qu'il n'y a aucune possibilité de réinstallation.

[45]On a aussi fait valoir au nom des demanderesses qu'il est abusif et arbitraire d'affirmer que les demanderesses pouvaient se déplacer et travailler à l'intérieur du Vietnam, alors que l'agent des visas savait qu'il existait des lois en la matière, sans pour autant chercher à se renseigner sur l'application de telles lois aux demanderesses.

[46]Cependant, là encore j'accepte l'argument du ministre selon lequel il appartenait aux demanderesses de présenter à l'agent des visas tous les faits pertinents. Vu que les demanderesses ne vivaient plus dans un camp de réfugiés, il leur incombait en toute justice d'expliquer à l'agent les choses qui rendaient précaire leur statut du moment, c'est-à-dire leur vie et leur travail à Hô Chi Minh-ville.

(iii) L'agent des visas a-t-il manqué à l'obligation d'équité parce qu'il aurait à tort délégué à son gestionnaire de programme le soin de juger de l'existence de considérations humanitaires?

[47]L'essentiel de l'argument des demanderesses est que c'est l'agent des visas qui aurait dû étudier leur demande fondée sur des considérations humanitaires et que, en tant que représentant du ministre, l'agent des visas ne pouvait pas sous-déléguer ce pouvoir au gestionnaire de programme. Cet argument est fondé sur l'analyse suivante de la Loi.

[48]Le paragraphe 114(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102] de la Loi est ainsi formulé:

114. (1) [. . .]

(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

[49]Le texte de l'article 37 de la Loi est le suivant:

37. (1) Le ministre peut délivrer un permis autorisant:

a) à entrer au Canada, les personnes faisant partie d'une catégorie non admissible;

b) à y demeurer, les personnes se trouvant au Canada qui font l'objet ou sont susceptibles de faire l'objet du rapport prévu au paragraphe 27(2).

[50]Le document de délégation général 1 du Guide de l'immigration: Législation (IL), chapitre IL 3 délègue aux agents au Canada et aux gestionnaires à l'étranger le pouvoir conféré au ministre par l'article 2.1 [édicté par DORS/93-44, art. 2] du Règlement.

[51]On soutient que l'alinéa 37(1)a) et le paragraphe 114(2) de la Loi faisaient tous deux partie de la Loi lorsque le texte original est entré en vigueur en 1978. L'article 2.1 du Règlement fut ensuite promulgué en 1993, et l'on affirme qu'il aurait effacé la distinction entre le paragraphe 114(2) et l'article 37 de la Loi. L'article 2.1 du Règlement élargit les pouvoirs du ministre, en lui permettant de décider d'admettre au Canada, à titre temporaire (paragraphe 37(1)) ou permanent (paragraphe 114(2)) une personne non admissible.

[52]L'intérêt de ce qui précède serait le suivant: celui ou celle qui a présenté une demande de visa à un consulat à l'étranger, mais qui n'est pas admissible faute de répondre aux conditions de la Loi ou du Règlement imposées à tous les immigrants, pourrait être admis dans le pays par un agent principal d'immigration en vertu du paragraphe 37(1) ou du paragraphe 114(2) de la Loi. Un agent des visas n'a pas le pouvoir d'admettre un tel immigrant. Cependant, si un immigrant remplit toutes les conditions générales de la Loi, mais ne répond à aucun des programmes autorisant l'admission au Canada, alors l'agent des visas conserverait le pouvoir discrétionnaire résiduel d'admettre l'immigrant pour des raisons d'ordre humanitaire. Il doit y avoir, affirme-t-on, inobservation d'une condition générale de la Loi avant qu'un agent principal d'immigration ne soit compétent pour rendre une décision fondée sur des considérations humanitaires.

[53]Par conséquent, on affirme, au nom des demanderesses, que c'est l'agent des visas, et non le ministre ou son représentant, qui a le pouvoir discrétionnaire résiduel d'admettre tel ou tel requérant d'asile, y compris les demanderesses, lorsqu'il existe des raisons humanitaires.

[54]Pour soutenir qu'elles remplissaient toutes les conditions générales de la Loi et du Règlement, les demanderesses affirment que les conditions des programmes envisagés dans le Règlement n'étaient pas des conditions imposées à chaque immigrant. Ainsi, tandis que l'article 14 [mod. par DORS/83-339, art. 2; 84-809, art. 1; 97-184, art. 5] du Règlement impose à chaque immigrant une obligation en matière de passeport et de documents de voyage, l'article 7 [mod., idem, art. 2] du Règlement qui concerne les réfugiés au sens de la Convention cherchant à se réinstaller ne s'applique pas à chaque immigrant.

[55]Le caractère résiduel du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas apparaîtrait dans le paragraphe 9(4) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 4] de la Loi, seule disposition de la Loi conférant le pouvoir de délivrer un visa. Le texte du paragraphe 9(4) est le suivant:

9. (1) [. . .]

(4) Sous réserve du paragraphe (5), l'agent des visas qui est convaincu que l'établissement ou le séjour au Canada du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements peut délivrer à ce dernier et aux personnes à charge qui l'accompagnent un visa précisant leur qualité d'immigrant ou de visiteur et attestant qu'à son avis, ils satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements. [Non souligné dans l'original.]

[56]On fait donc valoir qu'un agent des visas a deux décisions à prendre lorsqu'il étudie une requête. Il doit d'abord se demander si le requérant remplit les conditions de la Loi et du Règlement. Il doit ensuite se demander s'il y a lieu pour lui d'exercer son pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa. Le fait que le demandeur de visa remplit les conditions de la Loi et du Règlement ne lui donnerait pas un droit à l'admission. L'observation des conditions constitue plutôt le franchissement d'un seuil, qui rendrait possible l'admission du requérant. L'admission ou le refoulement de l'immigrant dépend de la manière dont l'agent des visas exerce son pouvoir discrétionnaire.

[57]Le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas est exercé en fonction du Règlement, mais les critères exposés dans le Règlement n'épuiseraient pas le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas. Autrement, d'affirmer les demanderesses, si le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas se limitait à accorder des visas à ceux et celles qui entrent dans les limites des programmes réglementaires, alors le pouvoir discrétionnaire de l'agent serait indûment restreint. Par conséquent, même si un requérant n'entre dans les limites d'aucun des programmes établis dans le Règlement, ce requérant peut néanmoins être admis au Canada dans la mesure où l'agent des visas en décide ainsi. L'un des fondements de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire résiduel, en accord avec les objets et principes de la Loi, serait l'admission pour des raisons d'ordre humanitaire.

[58]Pour étudier l'argument des demanderesses, il est nécessaire de considérer l'économie générale de la Loi et du Règlement. Voici le texte des paragraphes 9(1) [mod., idem], 9(2) [mod., idem] et 9(4) de la Loi:

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

[. . .]

(2) Le cas du demandeur de visa d'immigrant est apprécié par l'agent des visas qui détermine si le demandeur et chacune des personnes à sa charge semblent répondre aux critères de l'établissement.

[. . .]

(4) Sous réserve du paragraphe (5), l'agent des visas qui est convaincu que l'établissement ou le séjour au Canada du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements peut délivrer à ce dernier et aux personnes à charge qui l'accompagnent un visa précisant leur qualité d'immigrant ou de visiteur et attestant qu'à son avis, ils satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements.

[59]L'effet de ces dispositions est le suivant: quiconque hors du Canada souhaite devenir un résident permanent du Canada doit solliciter un visa d'immigrant avant de se présenter à un point d'entrée. La demande est alors examinée par un agent des visas, qui déterminera si le requérant a droit à un visa d'immigrant. Si l'agent des visas est sûr qu'il ne serait pas contraire à la Loi ou au Règlement de conférer le droit d'établissement, il peut alors délivrer un visa désignant le titulaire du visa comme une personne qui paraît remplir les conditions de la Loi et du Règlement.

[60]Passons maintenant à l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 9(4) de la Loi. La nature de ce pouvoir a été étudiée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Rajadurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 11 Imm. L.R. (3d) 1 (C.A.F.). Mme le juge Sharlow s'est exprimée ainsi aux paragraphes 18 à 25:

Un agent des visas qui s'acquitte de la tâche prévue au paragraphe 9(4) doit en premier lieu apprécier les qualités du demandeur. La plupart du temps, le demandeur doit répondre aux critères de sélection applicables aux immigrants tels qu'ils sont énoncés dans le Règlement sur l'immigration de 1978. Les critères de sélection sont destinés à permettre de déterminer si l'immigrant peut réussir son installation au Canada et la mesure dans laquelle il peut le faire. La sélection est faite au moyen de l'attribution de points pour un certain nombre de facteurs. La personne qui est un «parent aidé» au sens de la définition, comme l'étaient les deux appelantes ici en cause, répondrait aux critères de sélection si elle obtenait 65 points, c'est-à-dire cinq points de moins que le nombre de points qu'une personne qui n'est pas un parent aidé doit obtenir.

Dans le cadre d'une enquête connexe distincte, l'agent des visas doit déterminer si le demandeur appartient à l'une des catégories de personnes qui doivent se voir refuser l'admission. Il y a deux catégories de personnes non admissibles, à savoir celles qui sont désignées au paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration, qui ne peuvent tout simplement pas être admises au Canada, et celles qui sont désignées au paragraphe 19(2), qui sont en général non admissibles, mais qui peuvent, dans certaines circonstances, être autorisées à entrer au Canada pour une période d'au plus 30 jours.

Parmi les personnes non admissibles désignées au paragraphe 19(1), il y a les personnes qui sont atteintes de certaines invalidités physiques ou mentales, celles qui n'ont pas la capacité ou la volonté de subvenir à leurs besoins, celles qui ont commis certains genres d'infractions criminelles, celles qui sont membres de certaines organisations criminelles ou celles qui constituent un danger envers la sécurité. Il n'est pas soutenu que l'une ou l'autre des appelantes n'est pas admissible en vertu du paragraphe 19(1).

La liste des catégories de personnes non admissibles figurant au paragraphe 19(2) comprend les personnes qui ont des casiers judiciaires moins sérieux. Elle comprend également une catégorie «fourre-tout», à l'alinéa 19(2)d):

(2)     Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui:

[. . .]

d)     soit ne se conforment pas aux conditions prévues à la présente loi et à ses règlements ou aux mesures ou instructions qui en procèdent, soit ne peuvent le faire.

Ainsi, une personne qui ne répond pas aux critères de sélection pourrait, pour ce motif, appartenir à une catégorie de personnes non admissibles conformément à l'alinéa 19(2)d). Toutefois, il ne s'agit pas d'une conclusion inévitable. Une personne qui ne répond pas aux critères de sélection peut demander une dispense en vertu du paragraphe 114(2), qui se lit comme suit:

114(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

L'article 2.1 du Règlement qui se lit comme suit, donne effet à cette disposition:

2.1 Le ministre est autorisé à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi ou à faciliter l'admission au Canada de toute autre manière.

En l'espèce, une décision favorable qui aurait été prise en vertu du paragraphe 114(2) aurait dispensé les appelantes de l'obligation de répondre aux critères de sélection. En effet, on aurait renoncé à l'application des critères de sélection dans le cas des appelantes. La chose aurait pour effet de les exclure de la catégorie des personnes non admissibles en vertu de l'alinéa 19(2)b).

Le pouvoir que possède le ministre en vertu du paragraphe 114(2) peut être délégué à d'autres personnes. En l'espèce, le gestionnaire de programme, au bureau du Haut-commissariat du Canada, à Colombo, Sri Lanka, était un délégué autorisé du ministre pour l'application du paragraphe 114(2). [Non souligné dans l'original.]

[61]Le juge Sharlow exprimait une opinion dissidente dans l'arrêt Rajadurai, mais je ne crois pas que les motifs des juges majoritaires s'écartent de cette partie de son analyse.

[62]L'argument avancé au nom des demanderesses s'appuie sur l'idée selon laquelle les conditions exposées dans l'article 7 du Règlement, qui concernent les réfugiés au sens de la Convention cherchant à se réinstaller, ne sont pas des conditions d'admission au sens de l'alinéa 19(2)d) de la Loi. Cependant, à mon avis, le régime de la Loi et du Règlement, tel qu'il est reproduit ci-dessus, n'autorise pas cette affirmation, et cela pour les raisons suivantes.

[63]D'abord, à mon avis, le sens ordinaire des mots employés dans le Règlement ne saurait légitimer la distinction que les demanderesses voudraient faire reconnaître. Le critère de sélection que doit appliquer l'agent des visas lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 9(4) de la Loi est le suivant: serait-il contraire à la Loi ou au Règlement d'accorder le droit d'établissement? Voici le texte du paragraphe 7(1) du Règlement:

7. (1) Les exigences relatives à l'admission de la personne qui demande à être admise au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller, ainsi que des personnes à sa charge qui l'accompagnent, le cas échéant, sont les suivantes:

a) l'agent des visas est convaincu que la personne est un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller;

b) l'agent des visas détermine:

(i) soit qu'un groupe ou une personne morale parraine leur demande d'admission conformément à l'article 7.1,

(ii) soit qu'une aide financière ou autre est à leur disposition au Canada,

(iii) soit que la personne possède les ressources financières nécessaires pour assurer leur logement, subvenir à leurs besoins et les installer au Canada;

c) dans le cas où la personne et les personnes à sa charge qui l'accompagnent entendent résider au Canada ailleurs qu'au Québec, l'agent des visas détermine qu'elles pourront réussir leur installation au Canada, en tenant compte des facteurs suivants:

(i) leur aptitude à communiquer dans l'une des langues officielles du Canada,

(ii) l'âge de la personne,

(iii) leur niveau de scolarité, leurs antécédents de travail et leurs compétences,

(iv) le nombre de personnes à sa charge qui l'accompagnent et leur âge,

(v) leurs qualités personnelles, notamment leur faculté d'adaptation, leur motivation, leur esprit d'initiative, leur ingéniosité et autres qualités semblables;

d) dans le cas où la personne et les personnes à sa charge qui l'accompagnent entendent résider au Québec, le ministre compétent de cette province est d'avis, d'après les règlements d'application de la Loi sur l'immigration au Québec, L.R.Q., ch. I-O.2, compte tenu de leurs modifications successives, qu'elles pourront réussir leur installation au Québec. [Non souligné dans l'original.]

Formulées ainsi, ces conditions doivent être considérées comme les conditions du Règlement en matière d'admission.

[64]Deuxièmement, dans l'arrêt Rajadurai, précité, la Cour d'appel avait affaire à un cas où le requérant n'avait pas obtenu des points d'appréciation suffisants pour obtenir le droit d'établissement dans la catégorie des parents aidés et avait présenté une demande fondée sur des considérations humanitaires. Examinant la conséquence de l'insuffisance des points d'appréciation, M. le juge Stone, s'exprimant pour la majorité, avait écrit, au paragraphe 7:

L'agent des visas avait à déterminer si chacune des appelantes devait se voir attribuer un nombre suffisant de points d'appréciation pour appartenir à la catégorie des parents aidés. C'était là tout ce que l'agent des visas était autorisé à déterminer. Étant donné que l'agent des visas a décidé d'attribuer à chacune des appelantes un nombre insuffisant de points d'appréciation, ces dernières ne pouvaient pas être admises à titre de membres de cette catégorie, et l'alinéa 19(2)d) de la Loi avait donc pour effet de les empêcher d'être admises au Canada. [Non souligné dans l'original.]

[65]Puis le juge Stone s'était exprimé ainsi au paragraphe suivant:

[. . .] la décision de l'agent des visas devait être prise avant que le gestionnaire de programme ait à déterminer s'il existait des raisons d'ordre humanitaire. Si l'agent des visas avait attribué un nombre suffisant de points d'appréciation, les appelantes auraient obtenu un visa leur permettant de s'établir au Canada. C'est uniquement parce que l'agent des visas a attribué un nombre insuffisant de points d'appréciation que les appelantes sont devenues non admissibles. Avant que cette décision soit prise, le gestionnaire de programme n'avait aucun rôle en vertu de la Loi et du Règlement. Le gestionnaire de programme devait déterminer s'il devait dispenser les deux appelantes de l'application du Règlement même si elles étaient non admissibles comme l'avait conclu l'agent des visas et comme le prévoit l'alinéa 19(2)d) de la Loi. [Non souligné dans l'original.]

[66]Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont donc estimé que le fait de ne pas obtenir le nombre requis de points d'appréciation équivalait à l'inobservation d'une condition ou exigence du Règlement, ce qui entraînait la non-admissibilité. À mon avis, selon le même raisonnement, le fait de ne pas remplir les conditions du paragraphe 7(1) du Règlement entraîne une conséquence analogue, la non-admissibilité.

[67]Les demanderesses affirment que l'arrêt Rajadurai doit être écarté ici parce que, dans cette affaire, le requérant avait expressément invoqué l'application du paragraphe 114(1) de la Loi et non pas l'exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel de l'agent des visas. Cependant, même s'il existe à ce titre une distinction, elle ne modifie pas à mon avis la conclusion de la Cour d'appel sur la conséquence juridique d'une insuffisance de points d'appréciation.

[68]Troisièmement, le résultat de l'argument des demanderesses, c'est qu'un agent des visas aurait le pouvoir, selon le paragraphe 9(4) de la Loi, de délivrer un visa à toute personne, pour autant qu'elle ne soit pas une personne non admissible en raison des parties de l'article 19 [mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 77; ch. 49, art. 11; 1995, ch. 15, art. 2; 1996, ch. 19, art. 83; 2000, ch. 24, art. 55] de la Loi et du Règlement qui s'appliquent à tout immigrant (par exemple, les conditions ayant trait aux antécédents criminels et à l'état de santé). Le ministre fait valoir qu'une telle manière de voir rendrait le processus parfaitement subjectif, opaque et totalement à la merci de l'agent des visas. Je partage son avis. Ce résultat ne s'accorde pas selon moi avec une interprétation libérale de la Loi et du Règlement.

[69]Puisqu'il est acquis que, selon l'alinéa 19(2)d) de la Loi, les demanderesses doivent remplir les conditions du paragraphe 7(1) du Règlement, il s'ensuit que les demanderesses étaient non admissibles et ne pouvaient obtenir leur admission qu'à la faveur de l'exercice favorable du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas selon le paragraphe 114(2) de la Loi et l'article 2.1 du Règlement. La requête des demanderesses a donc été validement renvoyée au gestionnaire de programme pour examen.

[70]Dans les conclusions écrites déposées au nom des demanderesses, on faisait aussi valoir que le gestionnaire de programme avait manqué à l'obligation d'équité en ne motivant pas sa décision. Cependant, la demande de contrôle judiciaire ne conteste que la décision de l'agent des visas. Dans une ordonnance interlocutoire, le protonotaire principal adjoint avait décidé que les demanderesses ne pouvaient contester la décision du gestionnaire de programme [(2001), 17 Imm. L.R. (3d) 319 (C.F. 1re inst.)]. Je me suis donc abstenue de juger de la validité des motifs de la décision du gestionnaire de programme.

(iv) Y a-t-il eu manquement à l'obligation d'équité parce que l'avocat n'a pas été autorisé à assister à l'entretien organisé avec l'agent des visas?

[71]Les demanderesses font valoir que, bien qu'un requérant n'ait pas un droit automatique à un entretien avec un agent des visas, lorsqu'un tel entretien a lieu et que l'avocat du requérant n'est pas autorisé à y assister, on éprouve un fort sentiment d'injustice. D'ailleurs, le droit en cause (le droit d'un réfugié au sens de la Convention d'obtenir la résidence permanente au Canada si les conditions de la Loi et du Règlement sont remplies), ainsi que les graves inconvénients entraînés par le refus d'une demande de droit d'établissement fondée sur les difficultés et sur la réunification des familles, ferait que l'obligation d'équité appelle pour l'avocat le droit d'assister à l'entretien et de présenter des conclusions. Autoriser l'avocat à assister à l'entretien garantirait, affirme-t-on, la prise en considération des renseignements requis. Il s'agirait là d'un point particulièrement important dans la mesure où il n'est pas demandé à l'agent, au cours d'un entretien, de fouiller les aspects qui ne sont pas mis en avant par le requérant. On fait aussi valoir que la présence de l'avocat aurait fort bien pu ici aider l'agent à comprendre comme il convient la clause de cessation ainsi que son application.

[72]Pour étudier ces arguments, il importe de se rappeler que le contenu de l'obligation d'équité n'est pas absolu, mais qu'il est variable. Le contenu de l'obligation d'équité dans un cas donné doit être déterminé en fonction de toutes les circonstances, notamment les facteurs suivants:

1. la nature de la décision à rendre et le processus suivi pour la rendre;

2. la nature du régime législatif et les dispositions législatives en vertu desquelles le décideur exerce sa fonction;

3. l'importance de la décision pour la ou les personnes concernées;

4. les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et

5. la procédure choisie par l'organisme lui-même.

[73]À la base de tous ces facteurs réside l'idée selon laquelle l'objet des droits participatifs contenus dans l'obligation d'équité est de faire en sorte que les décisions administratives soient prises selon une procédure équitable et transparente, adaptée à la décision à rendre et à son contexte. Ceux et celles qui sont concernés par une décision doivent avoir la possibilité d'exposer pleinement leur version des faits et leurs conclusions et de s'assurer que le décideur en tient compte.

[74]S'agissant du premier facteur indiqué plus haut, la nature de la décision à rendre est administrative, en ce sens qu'elle suppose l'exercice d'un pouvoir d'appréciation considérable. Quant à la procédure devant être suivie, il incombe au requérant d'établir son admissibilité selon la Loi et le Règlement. Les demandes doivent être faites par écrit et elles peuvent être acceptées ou refusées, sans entrevue. Si une entrevue est accordée, elle a pour objet de recueillir des renseignements complémentaires auprès du requérant. Je suis donc d'avis que ni la nature de la décision à rendre, ni la procédure suivie, ne participent des décisions judiciaires au point de requérir des garanties procédurales approchant de celles qui sont propres au modèle judiciaire.

[75]S'agissant de la nature du régime législatif et des dispositions législatives, la Loi ne confère aucun droit d'obtenir la résidence permanente au Canada. Voir l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733. Selon la Loi, dans sa version d'alors [Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52], la décision de l'agent des visas était réformable, de droit, par contrôle judiciaire. Ces considérations ne prêtent pas appui, selon moi, à un contenu renforcé de l'obligation d'équité.

[76]Le troisième facteur concerne l'importance de la décision. Subjectivement, la décision est d'une grande importance pour le requérant, mais objectivement une décision négative ne prive pas le requérant d'un droit ou d'un avantage. Ce facteur n'autorise donc pas un élargissement du contenu de l'obligation d'équité.

[77]S'agissant du quatrième facteur, les demanderesses ne prétendent pas qu'elles pouvaient légitimement compter que leur avocat fût autoriser à assister à leur entrevue.

[78]Finalement, s'agissant de la procédure retenue par le ministre, le ministre, dans des notes de service sur les opérations intitulées «Politique sur les intervenants (avocats et consultants)», énonce le principe suivant:

·    En règle générale, seuls les demandeurs sont présents aux entrevues. Les agents des visas doivent adopter cette pratique qui semble être étayée par la jurisprudence de la Cour fédérale. La doctrine d'équité n'exige pas la présence de l'avocat à l'entrevue, et la Loi ne prévoit pas le droit à un avocat dans ce contexte.

[79]Le directeur adjoint et conseiller principal en matière de politiques, au sein de la Section de la réinstallation, Direction générale des réfugiés, Citoyenneté et Immigration Canada, a affirmé sous serment dans un affidavit produit en opposition à la présente instance que:

33. Selon CIC, permettre aux avocats d'assister aux entrevues aurait un effet préjudiciable sur la capacité de CIC de gérer le Programme de réinstallation des réfugiés et de réinstallation pour raisons humanitaires. Cette mesure aurait pour effet notamment d'introduire dans la procédure un élément contradictoire et formaliste, ce qui n'est pas souhaitable, sans compter les délais et l'accroissement des coûts. Chacun de ces effets est incompatible avec l'économie générale du programme.

[80]Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada faisait observer au paragraphe 27 que le choix effectué par un organisme en matière de procédure ne peut être contesté à la légère, surtout si une loi permet au décideur de choisir lui-même sa procédure.

[81]Après évaluation de ces cinq facteurs, j'arrive à la conclusion que, considérés globalement, ils ne soutiennent pas l'affirmation des demanderesses selon laquelle le devoir d'équité oblige l'agent des visas à autoriser la présence d'un avocat durant l'entrevue d'un requérant qui sollicite son admission au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller.

[82]Cette conclusion est également appuyée par le fait que, si l'on considère l'ensemble des circonstances, l'avocat est autorisé à présenter des conclusions écrites à l'agent des visas. Les sujets qu'examinera l'agent des visas durant l'entrevue seront des sujets qui concerneront le requérant et auxquels il sera en mesure de répondre puisqu'il en aura connaissance. À mon avis, ce processus donne au requérant l'indispensable et véritable occasion pour lui de soumettre son point de vue et sa version des faits à l'examen de l'agent des visas. Cette possibilité de participer utilement au processus décisionnel est ce que requiert le devoir d'équité.

[83]J'ai aussi à l'esprit l'avertissement de la Cour d'appel dans l'arrêt Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 2 C.F. 413: la Cour doit se garder d'imposer un niveau de procédure qui risquerait d'entraver indûment la bonne gestion du volume des demandes que doivent traiter les agents des visas. Selon les propos de la Cour d'appel, au paragraphe 32, «[l]a nécessité pour l'État de maîtriser les coûts de l'administration et de ne pas freiner le bon déroulement du processus décisionnel doit être mise en parallèle avec les avantages d'une participation de l'intéressé au processus».

(v) L'agent des visas a-t-il réduit son pouvoir discrétionnaire parce qu'il a établi une règle interdisant aux avocats d'assister aux entrevues?

[84]Finalement, les défenderesses soutiennent que le ministre a établi une règle interdisant aux avocats d'assister aux entrevues tenues dans les sections consulaires à l'étranger pour la délivrance de visas. Cette règle équivaudrait à une réduction illicite du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas. Les demanderesses désignent le langage employé par l'agent dans sa communication du 8 février 2001: «nous ne permettons pas aux avocats ou représentants d'assister à l'entrevue».

[85]Pour étudier cet argument, je pars du principe selon lequel, en règle générale, un décideur a la pleine maîtrise de sa procédure, pour autant qu'elle s'accorde avec le devoir d'équité et les dispositions législatives ou réglementaires applicables. Voir l'arrêt Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, aux pages 568 et 569.

[86]Par ailleurs, je partage l'observation de M. le juge Nadon, à l'époque membre de cette section de la Cour fédérale, dans le jugement Voskanova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 258. Au paragraphe 12 de sa décision, il écrivait:

Il ne fait aucun doute que les personnes qui prennent des décisions administratives peuvent, à titre de pratique administrative valable, et sans qu'un pouvoir légal les autorise à le faire, établir des lignes directrices et d'autres textes non obligatoires.

[87]Il s'ensuit qu'il n'y avait rien d'excessif en soi dans l'esprit général ou dans la directive des notes de service susmentionnées dont l'effet est d'exclure les avocats des entrevues conduites par les agents des visas.

[88]Nonobstant cette directive, il reste que l'agent des visas avait l'obligation d'étudier comme il convient la demande de l'avocat d'assister à l'entrevue. Le ministre admet que sur le plan du droit l'agent des visas entraverait injustement son pouvoir discrétionnaire s'il appliquait aveuglément la directive sans tenir compte des circonstances particulières de cette affaire et s'il considérait la directive comme une règle interdisant purement et simplement la présence d'un avocat.

[89]S'agissant de la preuve sur le sujet, la mention laconique portée le 8 février 2001 dans les notes du STIDI par l'agent des visas à propos de la demande de Thien Mai Ha concernant cette décision était la suivante: [traduction] «préparation d'une réponse manuscrite -- les représentants et avocats ne sont pas autorisés à assister aux entrevues». Dans l'affidavit de l'agent des visas déposé sous serment en opposition à la présente instance, l'agent affirmait que:

6. Le 19 novembre 2000 et le 7 février 2001, nous avons reçu de l'avocat de la demanderesse des lettres indiquant son intention d'assister aux entrevues de la demanderesse. J'ai estimé qu'il s'agissait là des entrevues des demanderesses, et j'écouterai leur récit, non celui de leur avocat. J'ai estimé aussi que les demanderesses n'ont pas besoin d'un avocat pour me relater leur version des faits. Eu égard à ces considérations, ce à quoi s'ajoute le fait que nos bureaux ont établi une politique écrite portant sur la présence des avocats durant les entrevues, j'ai répondu à l'avocat des demanderesses que nous n'autorisons pas les avocats ou représentants à assister aux entrevues.

[90]Le texte des notes du STIDI et la réponse du 8 février attestent une soumission irréfléchie à une politique générale, mais l'agent des visas n'a pas été contre-interrogé sur son affirmation selon laquelle il a effectivement tenu compte des circonstances de cette affaire avant de décider que l'avocat ne serait pas autorisé à assister à l'entrevue. Puisque le témoignage sous serment de l'agent des visas sur ce point précis n'a pas été contesté, je ne suis pas convaincue que l'agent a réduit son pouvoir discrétionnaire comme le prétendent les demanderesses.

[91]J'ai aussi examiné l'argument des demanderesses selon lequel le témoignage de l'agent des visas à propos des facteurs considérés par lui était un témoignage générique. Cependant, la correspondance de l'avocat dans laquelle il se proposait d'assister à l'entrevue était elle aussi générique. L'avocat écrivait simplement: [traduction] «[l]es soeurs, par l'entremise de leur famille au Canada, m'ont demandé d'assister avec elles à leur nouvelle entrevue afin de les aider à présenter à l'agent des visas leurs revendications du statut de réfugié. Pourriez-vous m'indiquer la date et le lieu de la nouvelle entrevue pour que je puisse y assister?» L'avocat n'exposait à l'agent des visas aucun des points plaidés devant la Cour et expliquant pourquoi sa présence était justifiée au vu des circonstances particulières de cette affaire.

CONCLUSION

[92]Le ministre a admis que l'agent des visas n'avait pas bien compris la clause de cessation et l'exception relative aux raisons impérieuses, mais, au vu de la conclusion de l'agent des visas selon laquelle il y avait une «solution durable» et puisqu'aucune erreur amendable n'a été commise selon moi par l'agent lorsqu'il est arrivé à cette conclusion, je suis d'avis que l'erreur n'a pas été déterminante dans la décision de l'agent.

[93]Vu mes conclusions relatives aux autres erreurs alléguées par les demanderesses, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[94]L'avocat des demanderesses voudrait que soient certifiées quatre questions, et l'avocate du ministre a consenti à ce que deux d'entre elles soient certifiées. Il s'agit des deux questions suivantes:

1. Y a-t-il manquement au devoir d'équité lorsqu'un agent des visas refuse d'autoriser un avocat à assister à l'entrevue d'un requérant qui demande son admission au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller?

2. L'expression «aucune solution durable n'est réalisable dans un laps de temps raisonnable», dans la définition de «réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller», au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration, doit-elle s'entendre d'une possibilité raisonnable ou d'une possibilité éloignée?

[95]Je suis convaincue que le point soulevé par la première question justifie une certification, et une ordonnance sera rendue certifiant cette question. Cela suffit à habiliter la Cour d'appel à examiner l'ensemble des points soulevés par l'appel. Voir l'arrêt Baker, précité, au paragraphe 12.

[96]Je trouve équivoque le texte de la deuxième question. Vu l'emploi constant des mots «solution durable» et «réinstallation», à l'alinéa 139(1)d) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, je certifie la question suivante:

Quels droits ou obligations un réfugié au sens de la Convention doit-il posséder en dehors du Canada pour être considéré comme réinstallé de telle sorte qu'il dispose d'une «solution durable»?

ORDONNANCE

[97]LA COUR ORDONNE:

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Les questions suivantes sont certifiées:

1. Y a-t-il manquement au devoir d'équité lorsqu'un agent des visas refuse d'autoriser un avocat à assister à l'entrevue d'un requérant qui demande son admission au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller?

2. Quels droits ou obligations un réfugié au sens de la Convention doit-il posséder en dehors du Canada pour être considéré comme réinstallé de telle sorte qu'il dispose d'une «solution durable»?

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