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[2013] 2 R.C.F. 447

IMM-3396-09

2011 CF 986

Orlando Rangel Lezama, Carman Eloisa Vital Rangel, Azul Estefania Rangel Vital, Dania Isabela Rangel Vital et Orlando Rangel Vital (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Rangel Lezama c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Russell—Toronto, 5 juillet; Ottawa, 11 août 2011.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada —Refugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant les demandes présentées par les demandeurs afin que leur soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des art. 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Les demandeurs sont des citoyens du Mexique — Le demandeur allègue qu’il a eu des rapports avec une organisation de trafic de drogue, sans le vouloir, à son entreprise de vente en gros de fruits et légumes, au Mexique — Le demandeur s’est heurté à des difficultés avec le trafiquant de drogue; il a craint pour sa vie et sécurité, et pour celles de sa famille — Les demandeurs se sont enfuis au Canada et ont présenté des demandes d’asile — La SPR a conclu que, bien que les demandeurs aient été victimes de crimes, ils n’avaient pas établi qu’il existait un lien entre leur crainte de persécution et un motif prévu par la Convention ou qu’ils étaient personnellement exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements cruels s’ils retournaient au Mexique, et qu’ils pouvaient obtenir la protection de l’État dans ce pays — Il s’agissait d’établir si la SPR a omis d’analyser la crainte subjective des demandeurs; si elle a commis une erreur dans son analyse relative à l’art. 96, en limitant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou en donnant des motifs inadéquats; si elle a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État, en vertu de l’art. 97, en particulier en tirant des conclusions déraisonnables concernant la vraisemblance — L’existence d’une crainte subjective n’était pas réellement en litige en l’espèce — La preuve objective n’était pas suffisante pour établir l’existence d’un lien entre les craintes des demandeurs et un motif prévu par la Convention ou pour réfuter la présomption relative à la protection adéquate de l’État — La nature et les sources des craintes des demandeurs ont été décrites clairement avant que la SPR n’entame son analyse du lien et de la protection de l’État — La SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en l’espèce — Étant donné que la preuve produite ne démontrait pas que l’État était complice du trafic de drogue, dénoncer le crime n’équivaut pas à dénoncer la conduite de l’État — Il fallait que les demandeurs établissent le bien-fondé de leur demande d’asile, et selon la prépondérance des probabilités, que la police était complice du crime en question, ce qu’ils n’ont pas fait — Compte tenu de la preuve relative à l’existence de relations politiques produite par les demandeurs, les motifs étaient adéquats et les sources sur lesquelles la SPR s’est appuyée étaient pertinentes — Les motifs de la SPR en ce qui concerne le lien étaient concis, mais ils n’étaient pas pour autant inadéquats — La conclusion de la SPR, à la suite de l’analyse de la protection de l’État fondée sur l’art. 97, a été tirée après l’examen du contexte en cause et des efforts faits effectivement par le Mexique — La conclusion appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit — Les demandeurs n’ont pas épuisé la protection de l’État qui leur était raisonnablement offerte; il n’y avait rien de déraisonnable dans l’analyse de la SPR sur cette question — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rejetant les demandes présentées par les demandeurs afin que leur soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Les demandeurs sont Mexicains et ont quatre enfants, dont deux sont citoyens du Mexique. Le demandeur allègue qu’il a eu des rapports avec une organisation de trafic de drogue sans le vouloir lorsqu’il a accepté que son entreprise de vente en gros de fruits et légumes vende des produits fournis par un trafiquant de drogue. Le demandeur s’est heurté à des difficultés avec le trafiquant de drogue; il a vendu son magasin et a fait des plans pour quitter le pays, car il craignait pour sa vie. Les demandeurs adultes ont subi certains incidents troublants avant de quitter le Mexique, et ils ont caché leurs enfants chez des membres de leur famille. Par la suite, ils se sont enfuis au Canada, où leurs enfants les ont rejoints peu après, et ils ont présenté des demandes d’asile. La SPR a conclu que, bien que les demandeurs étaient des victimes de crimes, ils n’avaient pas établi qu’il existait un lien entre leur crainte de persécution et un motif prévu par la Convention et, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils étaient personnellement exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture s’ils retournaient au Mexique, car ils pouvaient obtenir la protection de l’État dans ce pays.

Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs affirmaient, en particulier, que la SPR a commis une erreur déraisonnable en ne tirant pas une conclusion relative à la crédibilité et une conclusion claire concernant l’absence de crainte subjective, dans son analyse relative à l’article 96, que la SPR a mal appliqué le droit concernant l’existence d’un lien entre leur crainte de persécution et un motif prévu par la Convention, et qu’elle a commis une erreur dans son analyse relative à l’article 97 quant à la protection de l’État.

Les questions en litige étaient de savoir si la SPR a omis d’analyser la crainte subjective des demandeurs, si elle a commis une erreur dans son analyse relative à l’article 96 en limitant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou en donnant des motifs inadéquats, et si elle a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État en vertu de l’article 97, en particulier en tirant des conclusions déraisonnables concernant la vraisemblance.

Jugement : la demande doit être rejetée.

L’existence d’une crainte subjective n’était pas réellement en litige en l’espèce. La décision a révélé que le récit des demandeurs et leur crainte d’être la cible des actes du trafiquant de drogue ont été reconnus par la SPR. La preuve objective n’était pas suffisante pour établir l’existence d’un lien entre les craintes des demandeurs et un motif prévu par la Convention ou pour réfuter la présomption relative à la protection adéquate de l’État. La SPR a ajouté foi aux faits qui ont amené les demandeurs à quitter le Mexique ou à leur crainte de retourner dans ce pays. La nature et les sources des craintes des demandeurs ont été décrites clairement avant que la SPR n’entame son analyse du lien et de la protection de l’État, et la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard.

En l’espèce, le demandeur a refusé de se livrer à des activités criminelles. La preuve produite ne démontrait pas, selon la prépondérance des probabilités, que l’État et, en particulier, la police étaient complices des activités criminelles du trafiquant de drogue, ou que le demandeur dénonçait des acteurs de l’État. Étant donné qu’il n’y avait aucune preuve de la participation de l’État à l’opération de drogue du trafiquant, dénoncer cette participation n’équivaut pas à dénoncer la conduite de l’État. Même si le fait que le demandeur ait cru que la police était complice n’était pas tout à fait invraisemblable, les demandeurs devaient établir le bien-fondé de leur demande d’asile, selon la prépondérance des probabilités, ce qu’ils n’ont pas fait. Une personne qui refuse de participer à la perpétration d’un crime pour une question de conscience n’est pas, pour cette raison, membre d’un groupe politique. Compte tenu de la preuve relative à l’existence de relations politiques produite par les demandeurs, les motifs étaient adéquats, et les sources sur lesquelles la SPR s’est appuyée étaient pertinentes. Quant au caractère adéquat des motifs, il n’y avait rien d’inadéquat dans les motifs de la SPR en ce qui concerne le lien. Ce n’est pas parce qu’ils sont concis que les motifs donnés sont inadéquats.

La SPR a examiné la question de la protection de l’État au regard de l’article 97 seulement. Il ne fait aucun doute que la SPR a utilisé le critère des « sérieux efforts » pour évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État au Mexique. Elle a pris en compte « l’efficacité réelle de la protection » et a examiné « la situation réelle, et non […] ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place ». Il ressort d’un examen de la décision en l’espèce que la SPR n’a pas traité le Mexique comme une démocratie accomplie dans son analyse de la question de la protection de l’État. Les conclusions de la SPR selon lesquelles la preuve produite ne démontrait pas clairement que les autorités du Mexique ne seraient ni disposées ni aptes à aider les demandeurs n’ont pas été tirées sans l’examen du contexte en cause et des efforts faits effectivement par le Mexique; ses conclusions appartennaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Même si le demandeur craignait de s’adresser à la police locale concernant ses démêlés avec le trafiquant de drogue, d’autres possibilités s’offraient à lui, comme la SPR l’a mentionné. Les demandeurs n’ont pas épuisé la protection de l’État qui leur était raisonnablement offerte, et il n’y avait rien de déraisonnable dans l’analyse et les conclusions de la SPR sur cette question. Étant donné que les demandeurs n’ont rien fait pour obtenir la protection de l’État, que des organismes d’État avaient été constitués pour lutter contre la corruption et le trafic de drogue et que la SPR a examiné tout le contexte, la décision de la SPR semblait raisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72(2), 96, 97.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Palomares c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2000 CanLII 15637 (C.F. 1re inst.); Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 151, [2007] 1 R.C.F. 490; Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636; Jimenez Herrera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 499; Hernandez Fuentes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 457; Cruz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 929; Flores Dosantos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1174.

décision différenciée :

Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.).

décisions examinées :

Cobian Flores c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 503; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Lopez Villicana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1205; Prasad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 559; Velasco Moreno c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 993; Velasquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1201; Reynoso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 117 (1re inst.) (QL); Lopez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1176; Aviles Yanez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1059; Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL); Gonzalez Torres c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 234, [2011] 2 R.C.F. 480; Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.) (QL); Vigueras Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 359; Capitaine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 98; Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 R.C.F. 237; Moreno Hernandez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 772; Beltran Espinoza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 763; Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 812; Lara Deheza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 521; Flores Campos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 842.

décisions citées :

Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Montoya Martinez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 13; Boughus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 210; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Barajas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 21; Montagner Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 947; Perez Mendoza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 119.

DOCTRINE CITÉE

Amnesty International. Mexico: Laws without justice: Human rights violations and impunity in the public security and criminal justice system. AMR 41/002/2007, en ligne : < http://www.amnesty.org/en/library/asset/AMR41/002/2007/en/7aa562fb-d3c5-11dd-8743-d305bea2b2c7/amr410022007en.pdf >.

Washington Office on Latin America. At a Crossroads: Drug Trafficking, Violence and the Mexican State, Briefing Paper Thirteen, novembre 2007, en ligne : <http://www.wola.org/sites/default/files/downloadable/Mexico/past/Beckley%20Briefing13web%20%282%29.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (X (Re), 2009 CanLII 90577) rejetant les demandées présentées par les demandeurs afin que leur soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Andrew Brouwer pour les demandeurs.

Tamrat Gebeyehu pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jackman & Associates, Toronto, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

  Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Russell : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à la décision, en date du 8 juin 2009 [X (Re), 2009 CanLII 90577] (la décision), par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté les demandes présentées par les demandeurs afin que leur soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]        Les demandeurs sont des citoyens du Mexique. En plus des demandeurs mineurs qui sont parties à la présente instance, le demandeur et la demanderesse ont deux enfants plus jeunes qui sont nés au Canada en 2008 et qui ne sont pas parties à la présente instance.

[3]        Le demandeur allègue qu’il a eu des rapports avec une organisation de trafic de drogue sans le vouloir lorsque, en juin 2007, il a accepté que son entreprise de vente en gros de fruits et de légumes vende des produits fournis par Pascual Magana (M. Magana). Le 4 juillet 2007, il a découvert que M. Magana cachait de la cocaïne dans les cargaisons de produits que devaient venir chercher d’autres vendeurs. Lorsque le demandeur a confronté M. Magana, ce dernier a admis qu’il faisait partie d’une vaste organisation de trafic de drogue. Il a invité le demandeur à continuer de faire en sorte que son entreprise serve de point de transfert pour la drogue et l’a assuré que la police avait été achetée et qu’elle n’interviendrait pas. Lorsque le demandeur a refusé, M. Magana lui a dit qu’il allait devoir trouver une façon de lui faire garder le silence. Le demandeur a interprété ces propos comme une menace de mort. Il a vendu son magasin le 6 juillet 2007 et a fait des plans pour quitter le Mexique.

[4]        Le 8 juillet 2007, trois hommes se sont rendus chez les demandeurs à León. Ils leurs ont dit qu’ils avaient un message de M. Magana à transmettre et ils ont frappé le demandeur. Dès qu’il a repris conscience, le demandeur et la demanderesse ont amené leurs enfants chez les grands‑parents, qui habitaient tout près et, craignant que les hommes soient à leur poursuite, ils sont allés en camion jusqu’à Aguascalientes, à 100 kilomètres de là, pour voir un médecin. Peu de temps après, leurs enfants les ont rejoints et se sont installés tout près, chez la sœur du demandeur. Par la suite, le camion que le demandeur et la demanderesse avaient utilisé pour se rendre à Aguascalientes a été incendié, ce qui a fait croire au demandeur que M. Magana ou ses hommes les avaient suivis à cet endroit.

[5]        Le 15 juillet 2007, le demandeur et la demanderesse ont obtenu leurs passeports et se sont enfuis au Canada. Leurs enfants les ont rejoints deux mois plus tard. Le 14 janvier 2008, les demandeurs ont présenté des demandes d’asile, lesquelles ont ensuite été jointes à la demande du demandeur.

[6]        La SRP a instruit les demandes le 26 mai 2009. Les demandeurs étaient représentés par un consultant en immigration et un interprète était présent. Dans la décision qu’elle a rendue le 8 juin 2009, la SRP a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’il existait un lien entre leur crainte de persécution et un motif prévu par la Convention et, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils étaient personnellement exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture s’ils retournaient au Mexique, car ils ne pouvaient pas obtenir la protection de l’État dans ce pays. Pour ces motifs, les demandes fondées sur l’article 96 et sur l’article 97 ont été rejetées.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

L’analyse relative à l’article 96

[7]        La SPR a considéré que les demandeurs étaient des victimes de crimes. Leur crainte n’était pas liée à l’un des motifs prévus par la Convention, à savoir la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou les opinions politiques. Sur la foi de la jurisprudence de la Cour fédérale selon laquelle les victimes de crimes, de corruption ou de vendettas ne réussissent généralement pas à établir un lien entre leur crainte de persécution et un motif prévu par la Convention, la SPR a rejeté les demandes des demandeurs fondées sur l’article 96.

L’analyse relative à l’article 97

[8]        L’aspect déterminant de l’analyse relative à l’article 97 était le fait que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. La SPR a souligné que, sauf effondrement complet de l’État, celui‑ci est présumé capable de protéger ses citoyens. Les demandeurs d’asile peuvent réfuter cette présomption en produisant une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à les protéger. Il faut se demander si la protection de l’État est adéquate, bien que l’efficacité de cette protection doive être prise en considération. La preuve produite pour démontrer que la protection de l’État n’est pas adéquate doit être fiable et avoir une valeur probante et la norme de preuve applicable est la prépondérance des probabilités. Les demandeurs d’asile doivent s’adresser à l’État pour obtenir sa protection là où celle‑ci sera raisonnablement assurée. Lorsque l’État est une démocratie, il sera difficile pour le demandeur d’asile de prouver par prépondérance qu’il ne peut pas obtenir la protection de l’État.

[9]        En l’espèce, la SPR a examiné la preuve documentaire et l’a préférée au témoignage des demandeurs. La preuve documentaire indiquait que le Mexique est un pays démocratique qui n’est pas sur le point de s’effondrer. Au contraire, des « efforts sérieux » sont faits par le gouvernement mexicain pour lutter contre le crime et la corruption. Il existe un certain nombre de moyens pour dénoncer la corruption des fonctionnaires et des représentants de l’État, le trafic de drogue et les enlèvements, notamment en communiquant avec le Secrétariat de l’administration publique, le Secrétariat des services publics, le service d’aide aux citoyens — accessible par téléphone en tout temps — et le Bureau fédéral des enquêtes. Selon la SPR, les efforts conjoints déployés par le Mexique et les États‑Unis pour lutter contre la drogue et les crimes qui y sont liés ont permis de faire des progrès considérables en ce qui concerne la formation de policiers spécialisés, de raffiner les enquêtes et d’arrêter des personnes influentes.

[10]      Compte tenu de ces efforts sérieux, la SPR a conclu qu’il est raisonnable d’attendre des personnes se trouvant dans la situation des demandeurs qu’elles demandent l’aide de ces organismes d’État avant de présenter une demande d’asile dans un autre pays. Les demandeurs ne se sont pas adressés aux autorités et ils n’ont pas non plus produit une preuve claire et convaincante établissant que la protection de l’État ne serait pas raisonnablement assurée.

[11]      La SPR a reconnu la crainte des demandeurs de signaler l’incident à la police ainsi que leurs exemples d’autres incidents non reliés qu’ils ont signalés dans le passé à la police, en particulier en matière de violence familiale, sans obtenir satisfaction. La SPR a toutefois mentionné que, dans chacun de ces exemples, la police avait réagi, même si les résultats ne [au paragraphe 15] « permett[aient] [pas] d’arriver à la conclusion souhaitée par les demandeurs ».

[12]      La SPR a reconnu, en l’espèce, que le demandeur croyait que la police était complice dans le réseau de drogue de M. Magana parce que c’est ce que ce dernier lui avait dit. Toutefois, il n’avait aucune preuve de cette implication et il n’avait jamais vu des policiers avec M. Magana et n’avait jamais été contacté par des policiers liés à celui‑ci. La SPR a aussi souligné le témoignage du demandeur selon lequel M. Magana l’avait appelé sur son téléphone cellulaire et avait envoyé des hommes à son ancien lieu de résidence après la vente de son entreprise et sa fuite de León. Comme la SPR l’a fait remarquer cependant, c’est tout ce que M. Magana a fait. Jamais lui et ses hommes n’ont abordé les demandeurs mineurs ou les membres de la famille qui s’occupaient d’eux, que ce soit à León, à Aguascalientes ou près de cette ville. Selon la SPR, des trafiquants de drogue ayant des liens avec la police auraient à tout le moins rendu visite aux membres de la famille du demandeur. De plus, il semble invraisemblable que, s’il avait voulu que le demandeur garde le silence, M. Magana l’aurait suivi à Aguascalientes dans le seul but de mettre le feu à son camion et de lui montrer qu’il savait où il se trouvait, lui donnant ainsi la possibilité de prendre la fuite. La SPR a conclu en conséquence que M. Magana n’avait pas autant de relations que le demandeur le croyait.

[13]      La demande d’asile du demandeur a été rejetée et, comme elles étaient liées à celle‑ci, les autres demandes ont aussi été rejetées.

[14]      En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants du demandeur et de la demanderesse nés au Canada et la prétention selon laquelle ils seraient exposés à un risque inacceptable s’ils étaient envoyés au Mexique, la SPR a conclu qu’ils n’étaient pas des demandeurs d’asile et, en conséquence, que la décision ne s’appliquait pas à eux. En pratique, il faudra que le demandeur et la demanderesse déterminent ce qui est dans l’intérêt supérieur de ces enfants si le reste de la famille est renvoyée du Canada.

[15]      La SPR a conclu en outre, en ce qui a trait aux prétentions concernant les dangers que les femmes courent au Mexique, que le sexe n’a pas été invoqué à titre de motif de persécution et qu’aucune preuve démontrant que l’une ou l’autre des demanderesses craignait d’être persécutée en raison de son sexe au Mexique n’a été produite.

[16]      Enfin, en ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire invoqués, la SPR a indiqué que les demandeurs méritaient peut‑être d’être aidés, mais qu’il ne lui appartenait pas de statuer sur ces motifs.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[17]      Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

i. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État, en particulier en tirant des conclusions déraisonnables concernant la vraisemblance?

ii. La SPR a-t-elle omis d’analyser la crainte subjective des demandeurs?

iii. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son analyse relative à l’article 96 en exposant et en appliquant mal le droit?

iv. La SPR a-t-elle commis une erreur dans son analyse relative à l’article 96 en limitant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou en donnant des motifs inadéquats?

v. L’incompétence de leur consultant en immigration a-t-elle privé les demandeurs de la justice naturelle?

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[18]      Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Définition de « réfugié »

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Personne à protéger

LA NORME DE CONTRÔLE

[19]      La Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle dans tous les cas. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle vaine que la cour de révision doit examiner les quatre éléments de l’analyse relative à la norme de contrôle.

[20]      La première question en litige a trait à l’analyse de la protection de l’État effectuée par la SPR, en particulier aux conclusions concernant la vraisemblance qu’elle a tirées. Le caractère adéquat de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit à laquelle s’applique habituellement la norme de la raisonnabilité. Voir Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38.

[21]      Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse portera sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour n’interviendra que si la décision n’est pas raisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[22]      La deuxième question en litige porte sur l’omission alléguée de la SPR de tirer des conclusions relativement à la crainte subjective des demandeurs. Cette question concerne le caractère adéquat de la décision et est à ce titre susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir Montoya Martinez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 13, au paragraphe 21.

[23]      La troisième question consiste à déterminer si la SPR a mal exposé ou appliqué le droit. Il s’agit d’une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte. Voir Khosa, précité, au paragraphe 44.

[24]      La quatrième question consiste à déterminer si la SPR a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou a omis de donner des motifs adéquats. Ces questions ont trait à l’équité procédurale et sont assujetties à la norme de la décision correcte. Voir Boughus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 210, au paragraphe 22; Khosa, précité, au paragraphe 43.

[25]      La cinquième question — le déni de justice naturelle — est également assujettie à la norme de la décision correcte. Voir Khosa, précité, au paragraphe 43.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

            Les demandeurs

La SPR a commis une erreur en ne statuant pas sur la crainte subjective des demandeurs

[26]      La demande d’asile des demandeurs est fondée sur leur crainte d’être victimes de violence de la part de M. Magana et de son organisation de trafic de drogue, laquelle aurait des liens avec la police. Ils prétendent que la SPR a commis une erreur en ne tirant pas des conclusions claires au sujet de l’élément subjectif de leur demande, ainsi que de la crédibilité et de la vraisemblance de leur crainte subjective. Ils s’appuient sur la décision Cobian Flores c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 503 (Flores), où le juge Robert Mainville a dit au paragraphe 31 :

[…] sauf dans des cas exceptionnels, on ne devrait pas procéder à l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État sans avoir au préalable établi l’existence d’une crainte subjective de persécution. Le tribunal responsable des questions de fait devrait donc analyser la question de la crainte subjective de persécution, ou autrement dit, se prononcer sur la crédibilité du demandeur d’asile et sur la vraisemblance de son récit, avant d’aborder le volet de la crainte objective, ce dernier volet comprenant une analyse de la disponibilité de la protection de l’État.

Le membre a mal exposé et appliqué le droit dans le cadre de son analyse relative à l’article 96

[27]      Les demandeurs soutiennent que la SPR a mal exposé et appliqué le droit dans le cadre de son analyse relative à l’article 96 et qu’elle a ainsi limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Subsidiairement, la SPR n’a pas motivé de façon adéquate sa décision de rejeter la demande fondée sur l’article 96.

[28]      La conclusion de la SPR selon laquelle il n’y a aucun lien entre la crainte des demandeurs et un motif prévu par la Convention lorsque les demandeurs sont victimes d’un crime ou d’une vendetta personnelle est, selon les demandeurs, [traduction] « extrêmement simpliste ». La jurisprudence est plus nuancée que ne le pense la SPR. En outre, la preuve n’appuie pas les conclusions.

[29]      Le demandeur n’est pas simplement une victime de crimes et il n’a pas pris la fuite afin d’échapper à une vendetta. En fait, il a été personnellement ciblé pour avoir refusé de participer à des activités criminelles. L’opposition à ce type d’activités peut devenir une opposition aux autorités de l’État lorsque les activités criminelles sont répandues au sein de l’appareil de l’État ou lorsque les autorités de l’État en sont complices. Voir Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.) (Klinko). De plus, les raisons pour lesquelles le demandeur croit que les autorités de l’État étaient complices des activités criminelles en cause étaient solidement fondées sur l’information qu’il avait reçue de M. Magana et des prétendus liens de celui‑ci avec l’armée. La SPR aurait dû examiner la question de savoir si les demandeurs étaient visés par l’exception définie dans l’arrêt Klinko. En ne le faisant pas, elle a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

Les conclusions de la SPR concernant la vraisemblance étaient déraisonnables

[30]      Les demandeurs contestent les conclusions de la SPR concernant la vraisemblance du témoignage du demandeur selon lequel M. Magana était impliqué dans une vaste organisation de trafic de drogue qui avait acheté la police. Il était déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait vu davantage les partenaires de M. Magana avant de conclure que ce dernier était impliqué dans une vaste organisation criminelle. Le demandeur a découvert de la drogue dans les cargaisons de produits de M. Magana. Les trafiquants de drogue sont nécessairement liés à de vastes organisations. Il était tout aussi déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur s’adresse à la police, laquelle avait été payée pour ne pas intervenir dans les activités de M. Magana. Lorsque le demandeur a refusé de coopérer, les hommes de M. Magana lui ont livré un « message » violent. Comme la preuve documentaire le montre, le trafic de drogue est répandu au Mexique. Le fait que les hommes de M. Magana n’ont jamais ennuyé les enfants ou la famille du demandeur n’est pas pertinent. Le témoignage du demandeur ne comporte aucune incohérence. La SPR n’exprime aucune réserve quant à sa crédibilité, mais elle écarte son témoignage sans expliquer pourquoi.

La SPR a commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État

[31]      À cause de la manière dont elle a apprécié la preuve, en particulier sa conclusion selon laquelle la police n’était pas complice des activités de M. Magana, la SPR a conclu à tort que les demandeurs pouvaient obtenir la protection de l’État. N’eût été cette erreur, la SPR aurait reconnu que, vu leur situation, les demandeurs n’avaient pas à demander la protection de l’État étant donné que celle‑ci n’aurait pas été raisonnablement assurée. Voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (Ward).

[32]      Les demandeurs soutiennent que la SPR aurait dû procéder à une appréciation complète de la preuve relative à la protection de l’État. Compte tenu des problèmes de gouvernance et de corruption au Mexique, lesquels sont reconnus dans la documentation sur les conditions existant dans ce pays, il ne suffit pas de s’appuyer sur une déclaration générale selon laquelle le Mexique est une démocratie. Voir Lopez Villicana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1205 [ci-après appelée Villicana], au paragraphe 67. Le Mexique n’est pas une « démocratie complète » et la possibilité d’obtenir la protection de l’État ne peut être présumée. Selon un rapport du Washington Office on Latin America, la corruption des autorités de l’État et l’impunité dont jouissent les trafiquants de drogue nuisent aux efforts déployés par le pays pour assurer la primauté du droit et lutter contre le commerce de la drogue. Amnesty International signale que seuls les crimes les plus graves font généralement l’objet d’enquêtes. Combinée aux tentatives passées des demandeurs pour obtenir l’aide de la police relativement à des affaires moins graves — leurs plaintes ont été acceptées, mais n’ont fait l’objet d’aucun suivi de la part de la police —, cette preuve documentaire indique que la SPR a agi de manière déraisonnable en s’attendant à ce que les demandeurs s’adressent à l’État pour obtenir sa protection.

Le défendeur

Les conclusions de la SPR étaient raisonnables

[33]      Le défendeur soutient que la SPR pouvait raisonnablement tirer, sur la foi de la preuve documentaire, les conclusions concernant la protection de l’État auxquelles elle est arrivée. Les demandeurs prétendent qu’il y a des problèmes de gouvernance et de corruption au Mexique, mais la SPR a reconnu ce fait. La SPR possède l’expertise nécessaire pour apprécier la preuve documentaire et la soupeser par rapport à la preuve des demandeurs.

[34]      Les demandeurs prétendent également que la SPR n’a pas tiré de conclusions claires concernant leur crainte subjective. Ce n’est pas le cas. La SPR a analysé la vraisemblance des raisons pour lesquelles les demandeurs n’ont pas sollicité la protection de l’État et a rejeté leur explication selon laquelle ils croyaient que la police était complice des activités de M. Magana. En outre, même si la crainte subjective est établie, le fait que la SPR conclut que la protection de l’État aurait pu être obtenue est suffisant pour rejeter la demande. Voir Flores, précitée.

[35]      Le défendeur affirme qu’il n’y avait « guère de preuve » établissant un lien entre la crainte subjective des demandeurs et le motif des opinions politiques prévu par la Convention. Comme le juge Denis Pelletier, de notre Cour [auparavant la Section de première instance], l’a dit dans la décision Palomares c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15637 (Palomares), au paragraphe 15 : « Le fait de dénoncer la corruption peut être un acte politique, mais cela n’équivaut pas toujours à pareil acte ou encore les individus corrompus ne considèrent pas toujours la chose comme un acte politique. »

[36]      Enfin, le défendeur souligne que les demandeurs n’ont pas démontré que la conduite de leur ancien conseiller les avait privés du droit au respect des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale.

Le mémoire complémentaire du défendeur

[37]      Le défendeur conteste le fait que les demandeurs s’appuient sur la décision Flores, précitée, pour soutenir que la SPR a commis une erreur en ne tirant pas une conclusion claire concernant leur crainte subjective. En premier lieu, comme le défendeur l’a affirmé plus haut, la SPR a tiré une telle conclusion. Le juge James O’Reilly a toutefois opéré une distinction d’avec la décision Flores dans la décision Prasad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 559, au paragraphe 13 :

Étant donné que la Cour d’appel fédérale a clairement déterminé que l’article 97 contenait seulement une composante objective (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, au paragraphe 33), je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur en omettant de tirer une conclusion définitive quant à la crédibilité de la crainte subjective des demandeurs. En même temps, je conviens avec le juge Mainville que la protection de l’État ne devrait pas être analysée dans le vide. Il faudrait au moins déterminer la nature de la crainte du demandeur, pour ensuite analyser la capacité et la volonté de l’État à réagir aux circonstances du demandeur.

[38]      Le défendeur conteste aussi le fait que les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Klinko, précité, parce que les faits sont différents en l’espèce. Dans l’arrêt Klinko, le demandeur dénonçait la corruption institutionnelle par ses actions, alors que, en l’espèce, le demandeur n’a pas dénoncé le trafic de drogue; il a simplement refusé d’y participer parce que cela était interdit par la loi.

ANALYSE

[39]      Les demandeurs ont soulevé différentes questions. Il n’est cependant pas nécessaire de les examiner toutes compte tenu de la structure de la décision. La question déterminante en ce qui a trait à l’analyse relative à l’article 96 est l’existence d’un lien entre la crainte de persécution des demandeurs et un motif prévu par la Convention. Le seul motif examiné dans le cadre de l’analyse relative à l’article 97 est la protection de l’État.

La crainte subjective

[40]      Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur déraisonnable en ne tirant pas une conclusion relative à la crédibilité et une conclusion claire concernant l’absence de crainte subjective. Cette prétention a trait à la conclusion relative à l’article 96, qui est fondée sur l’absence de lien entre la crainte de persécution des demandeurs et un motif prévu par la Convention. Les demandeurs reconnaissent qu’elle ne s’applique pas à l’analyse relative à l’article 97.

[41]      Les demandeurs s’appuient sur une série de décisions rendues par notre Cour. En premier lieu, le juge Mainville a conclu au paragraphe 31 de la décision Flores, précitée, après avoir examiné minutieusement la jurisprudence :

[…] sauf dans des cas exceptionnels, on ne devrait pas procéder à l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État sans avoir au préalable établi l’existence d’une crainte subjective de persécution. Le tribunal responsable des questions de fait devrait donc analyser la question de la crainte subjective de persécution, ou autrement dit, se prononcer sur la crédibilité du demandeur d’asile et sur la vraisemblance de son récit, avant d’aborder le volet de la crainte objective, ce dernier volet comprenant une analyse de la disponibilité de la protection de l’État.

[42]      Ce principe a été appliqué par le juge en chef Allan Lutfy dans la décision Velasco Moreno c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 993, aux paragraphes 1, 3 et 4 :

À mon avis, une décision négative de la Section de la protection des réfugiés qui porte sur la question de la protection de l’État doit être examinée avec un soin particulier lorsque le commissaire choisit de ne tirer aucune conclusion relative à la crédibilité des allégations du demandeur concernant sa crainte subjective d’être persécuté.

[…]

Toutefois, le juge saisi d’une demande de contrôle judiciaire doit être convaincu que les allégations du demandeur, qui figurent normalement dans le Formulaire de renseignements personnels et dans la transcription de l’audience relative à la demande d’asile, ont été traitées comme véridiques par le décideur.

Ce n’est qu’à cette condition qu’on pourra procéder à un examen approprié de l’analyse du commissaire concernant la protection de l’État. La question de la protection de l’État ne saurait être un moyen d’éviter de rendre une décision claire au sujet de la crainte subjective de persécution.

[43]      Selon mon interprétation du passage de la décision Flores reproduit plus haut, les remarques du juge Mainville concernaient la protection de l’État. Dans la décision Velasquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1201, cependant, le juge James O’Reilly a récemment analysé de manière détaillée, aux paragraphes 15 à 22, les questions soulevées par une conclusion relative à une PRI [possibilité de refuge intérieur] :

La notion de PRI fait partie inhérente de la définition de réfugié au sens de la Convention, parce que le demandeur doit être un réfugié d’un pays, et non d’une certaine partie ou région d’un pays (voir Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1992] 1 CF 706, au paragraphe 6). Une fois que la Commission envisage une PRI, elle doit en déterminer la viabilité en fonction du critère à deux volets décrit dans l’arrêt Rasaratnam. Il incombe au demandeur de prouver qu’il n’y a aucune PRI ou qu’elle est déraisonnable dans les circonstances. Le demandeur doit en fait persuader la Commission, selon la prépondérance de la preuve, soit qu’il risque sérieusement d’être persécuté à l’endroit proposé par la Commission pour la PRI, soit qu’il serait déraisonnable pour lui de se réfugier à cet endroit étant donné sa situation particulière.

Il peut toutefois y avoir chevauchement entre l’examen de la PRI invoquée par la Commission et l’analyse que fait cette dernière de la protection de l’État. La première étape du critère relatif à la PRI est satisfaite s’il n’existe aucun risque sérieux de persécution à l’endroit proposé. Cette conclusion peut se fonder sur le faible risque de persécution ou sur la présence de ressources de l’État qui peuvent protéger le demandeur, ou sur les deux éléments. Dans l’un ou l’autre cas, cependant, l’analyse ne peut être effectuée si la Commission n’a pas déterminé le risque particulier auquel le demandeur s’expose.

De fait, l’omission de la Commission d’examiner les risques particuliers propres à un demandeur quand elle analyse la PRI constitue une erreur de droit (Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1010). C’est donc une erreur pour la Commission de tirer une conclusion générale relative à la PRI sans se reporter à la persécution précise invoquée par le demandeur d’asile ou à la situation particulière de ce dernier. Encore une fois, la première question à laquelle la Commission doit répondre quand il est question d’une PRI est de savoir si, selon la prépondérance de la preuve, il existe un risque sérieux que le demandeur soit persécuté à l’endroit proposé par la Commission. En règle générale, il n’est pas possible de répondre à cette question si la nature de la crainte du demandeur n’a pas été précisément déterminée.

De même, quand elle analyse la protection de l’État, la Commission commet une erreur de droit quand elle conclut à l’existence de cette protection sans examiner la situation personnelle du demandeur (Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 993). Dans l’affaire Moreno, la Commission était d’avis que le demandeur, natif de Bogota, ne serait pas ciblé par les FARC [Forces armées révolutionnaires de la Colombie] dans cette ville, contrairement à ce qu’affirmait le demandeur dans son témoignage. Cette conclusion veut nécessairement dire que la Commission n’acceptait pas la version des faits donnée par le demandeur, mais la Commission n’avait pas expressément tiré de conclusions défavorables relatives à la crédibilité. C’est là un des dangers d’évaluer la protection de l’État ou la PRI sans analyser les allégations du demandeur : des conclusions défavorables relatives à la crédibilité peuvent se glisser dans l’analyse sans être expliquées.

En l’espèce, après avoir affirmé que la PRI était la principale question en cause, la Commission devait déterminer si, selon la prépondérance de la preuve, il existait un risque sérieux que Mme Orozco soit persécutée à Bogota. Elle était tenue en outre d’établir si le déménagement à Bogota était déraisonnable dans la situation particulière de Mme Orozco.

Je conclus que l’omission de la Commission de déterminer le risque particulier que Mme Orozco disait craindre a donné lieu à une analyse inadéquate de la PRI. La Commission a conclu, par exemple, que Mme Orozco ne faisait pas partie d’un des groupes les plus ciblés par les FARC. Toutefois, la demanderesse prétendait avoir milité activement pour le parti conservateur et être une travailleuse humanitaire qui critiquait ouvertement les FARC. On ne sait pas vraiment pourquoi la Commission estimait que la demanderesse ne serait vraisemblablement pas ciblée, même si elle n’était pas agricultrice, élue, journaliste ou membre d’un autre groupe nommé dans la preuve documentaire. En outre, Mme Orozco a expliqué qu’elle s’était adressée à la police, mais que les menaces contre elles avaient continué et que des membres de sa famille ont été assassinés par la suite. Cette preuve avait manifestement un lien avec la question de savoir si l’État était en mesure de la protéger et, en définitive, s’il y avait une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée à Bogota. Pourtant, la Commission n’en dit rien.

Il se peut qu’en l’espèce, comme dans l’affaire Moreno, précitée, la Commission n’ait pas donné foi à certaines allégations de Mme Orozco. Si c’était le cas, elle avait l’obligation de tirer des conclusions expresses relativement à la crédibilité. L’analyse de la PRI ne peut remplacer ce genre de conclusion.

À mon avis, il ne s’agit pas ici d’un des rares cas où l’analyse de la PRI pourrait suffire en soi, indépendamment du risque particulier invoqué par Mme Orozco pour demander l’asile. La Commission était tenue de se demander à la fois si Mme Orozco s’exposait à un risque sérieux de persécution à Bogota et si sa réinstallation dans cette ville était, de toute manière, raisonnable pour une personne se trouvant dans sa situation. Sans cet examen, l’analyse de la PRI reste un exercice abstrait. En l’espèce, la Commission n’a pas discuté du risque auquel serait exposée une personne se trouvant dans la même situation que Mme Orozco. Cette omission constitue une erreur de droit, et je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire pour cette raison.

[44]      Le juge O’Reilly a aussi formulé des observations sur cette question dans la décision Prasad, précitée, aux paragraphes 10 à 14 :

Les demandeurs ont fait valoir que la Commission était tenue de tirer une conclusion définitive sur la nature du risque auquel ils étaient confrontés avant d’aborder la question de la protection de l’État. Ils se sont appuyés à cet égard sur deux décisions du juge Robert Mainville : Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503, et Jimenez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 727. Dans Jimenez, le juge Mainville a fait la déclaration suivante :

Une décision concernant la crainte subjective de persécution, ce qui comprend entre autres une analyse concernant la crédibilité du demandeur d’asile et la vraisemblance de son récit, devrait être prise par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin de fixer un cadre approprié pour procéder, s’il y a lieu, à une analyse de la disponibilité de la protection de l’État qui tient compte de la situation particulière du demandeur d’asile en cause. [Paragraphe 4.]

Dans la décision Flores, le juge Mainville a noté que l’article 97 de la LIPR, à l’instar de l’article 96, supposait à la fois une composante subjective et une composante objective (paragraphe 26), mais que la question de la protection de l’État n’était pertinente qu’à l’égard de la composante objective (paragraphe 27). Sur la base de ces conclusions, les demandeurs ont affirmé que la Commission avait commis une erreur en traitant de la protection de l’État sans évaluer leur crédibilité quant à leur crainte subjective de subir des mauvais traitements, même si leur demande s’appuyait seulement sur l’article 97 de la LIPR.

À mon avis, l’observation du juge Mainville au sujet de l’article 97 n’était pas essentielle à sa conclusion. Dans Flores, les articles 96 et 97 de la LIPR étaient tous les deux en cause. L’affirmation principale du juge Mainville selon laquelle il y aurait lieu d’évaluer les facteurs objectifs après que la crainte subjective d’un demandeur ait été établie se rapportait clairement à l’article 96. Elle l’a mené à conclure que la Commission avait fait erreur en traitant de la protection de l’État sans préciser le risque auquel on demandait à l’État de réagir. Le juge Mainville n’était pas appelé à se prononcer sur l’approche applicable dans un cas où, comme en l’espèce, seul l’article 97 était en jeu.

Étant donné que la Cour d’appel fédérale a clairement déterminé que l’article 97 contenait seulement une composante objective (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, au paragraphe 33), je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur en omettant de tirer une conclusion définitive quant à la crédibilité de la crainte subjective des demandeurs. En même temps, je conviens avec le juge Mainville que la protection de l’État ne devrait pas être analysée dans le vide. Il faudrait au moins déterminer la nature de la crainte du demandeur, pour ensuite analyser la capacité et la volonté de l’État à réagir aux circonstances du demandeur.

En l’espèce, je suis convaincu que la Commission a précisé la nature du risque redouté par les demandeurs, et qu’elle a ensuite considéré la question de savoir s’ils pouvaient bénéficier de la protection de l’État. Je ne vois aucune erreur dans sa démarche.

[45]      Je ne pense pas que les problèmes relevés dans ces affaires se posent en l’espèce. D’abord, l’analyse de la protection de l’État concerne uniquement la demande fondée sur l’article 97. La décision relative à la demande fondée sur l’article 96 dépend uniquement de l’existence d’un lien entre la crainte des demandeurs et un motif prévu par la Convention. Il ressort d’une lecture de la décision de la SPR dans son ensemble que, en ce qui concerne la question du lien, la SPR a accepté le récit de ce qui leur était arrivé fait par les demandeurs et qu’il n’y avait aucun problème concernant la crédibilité. Il est évident également que la SPR a reconnu la crainte subjective de persécution des demandeurs et la source de cette crainte. Cependant, même si tout ce que les demandeurs disent au sujet du fondement de leur crainte subjective est vrai, ce qu’ils disent n’établit pas le lien qui doit exister entre cette crainte et un motif prévu par la Convention.

[46]      L’existence d’une crainte subjective n’était pas réellement en litige en l’espèce. La décision révèle que le récit des demandeurs et leur crainte d’être la cible des actes de M. Magana ont été reconnus par la SPR. La preuve objective n’était pas suffisante pour établir l’existence d’un lien entre les craintes des demandeurs et un motif prévu par la Convention ou pour réfuter la présomption relative à la protection adéquate de l’État.

[47]      Certes, la SPR met en question l’interprétation faite par les demandeurs de ce qui leur est arrivé et de leurs craintes concernant ce qui leur arrivera probablement s’ils retournent au Mexique, mais elle ajoute foi aux faits qui ont amené les demandeurs à quitter le Mexique ou à leur crainte de retourner dans ce pays.

[48]      Quoi qu’il en soit, la nature et les sources des craintes des demandeurs ont été décrites clairement avant que la SPR entame son analyse du lien et de la protection de l’État. À mon avis, la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard. Voir Prasad, précitée, au paragraphe 13.

La SPR a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou a donné des motifs inadéquats — article 96

[49]      Les demandeurs affirment que la SPR a mal appliqué le droit concernant l’existence d’un lien entre leur crainte de persécution et un motif prévu par la Convention et qu’elle n’a pas adéquatement motivé sa décision de rejeter en conséquence leur demande fondée sur l’article 96.

[50]      Dans l’arrêt Ward, précité, la Cour suprême du Canada a défini l’opinion politique comme toute opinion sur une question dans laquelle l’appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé. La Cour d’appel fédérale a qualifié l’opposition à la corruption d’expression d’une opinion politique dans l’arrêt Klinko, précité, aux paragraphes 27, 30 et 31. Le juge Francis Muldoon, de notre Cour [auparavant la Section de première instance], a statué dans la décision Reynoso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 117 (QL), que l’opinion politique ne se limite pas à l’opinion partisane ou à l’appartenance à des mouvements partisans. Dans la décision Reynoso, par exemple, le demandeur en savait trop au sujet des activités d’un maire corrompu et il vivait dans la crainte d’être tué pour cette raison.

[51]      En l’espèce, le demandeur a refusé de se livrer à des activités criminelles. La preuve produite ne démontrait pas, selon la prépondérance des probabilités, que l’État et, en particulier, la police étaient complices du trafic de drogue de M. Magana ou que le demandeur dénonçait des acteurs de l’État. Certes, M. Magana a dit au demandeur que la police était payée pour ne pas intervenir dans l’opération de drogue, et le demandeur l’a cru. Il semble cependant que le demandeur a simplement cru M. Magana sur parole. La SPR a reconnu ce problème — le demandeur n’a jamais vu ou produit une preuve de la participation de l’État à l’opération de drogue de M. Magana. Les demandeurs veulent que la SPR et la Cour ajoutent foi à cette simple allégation concernant l’implication de la police et croient que l’ensemble de l’État est corrompu au point où dénoncer le trafic de drogue équivaut à dénoncer la conduite de l’État. Or, comme il n’y a aucune preuve de la participation de l’État à l’opération de drogue de M. Magana, dénoncer cette participation n’équivaut pas à dénoncer la conduite de l’État.

[52]      Je ne veux pas sous‑entendre qu’il est tout à fait invraisemblable que le demandeur ait cru que la police était complice. En fait, la preuve documentaire indique que la corruption des fonctionnaires est un problème au Mexique. La version des faits du demandeur concernant M. Magana est donc possible. Or, cela ne suffit pas : il faut que les demandeurs établissent le bien‑fondé de leur demande d’asile selon la prépondérance des probabilités et j’estime qu’ils ne l’ont pas fait.

[53]      La SPR ne disposait d’aucune preuve, autre que les affirmations des demandeurs, démontrant que les autorités étaient impliquées, qui était impliqué ou comment, et dans quelle mesure.

[54]      Une personne qui refuse de participer à la perpétration d’un crime pour une question de conscience n’est pas, pour cette raison, membre d’un groupe politique. Compte tenu de la preuve relative à l’existence de relations politiques produite par les demandeurs, les motifs étaient adéquats et les sources sur lesquelles la SPR s’est appuyée étaient pertinentes.

[55]      Il est utile en l’espèce de citer les observations formulées par le juge Pelletier dans la décision Palomares, précitée, au paragraphe 15 :

À mon avis, ces éléments de preuve ne suffisent pas pour établir le lien nécessaire à l’égard du statut de réfugié. Le fait de dénoncer la corruption peut être un acte politique, mais cela n’équivaut pas toujours à pareil acte ou encore les individus corrompus ne considèrent pas toujours la chose comme un acte politique. Le risque que la demanderesse court découle du fait qu’elle a été témoin d’un crime. Même si des membres de l’appareil étatique sont en cause, le dépôt d’une plainte ne constitue pas nécessairement une action politique, et cela ne veut pas dire non plus qu’ils considéreront la plainte comme une action politique. Il est difficile de faire des conjectures au sujet de la raison pour laquelle les autorités n’ont rien fait à la suite de l’identification, mais bien que cela puisse être à cause de la corruption, cela pouvait également être à cause d’une erreur d’identification. Quant aux tentatives qui ont été faites pour tuer la demanderesse, les auteurs du crime savaient où la demanderesse travaillait. Ils n’avaient pas besoin que l’on collabore officiellement avec eux pour trouver sa maison. Il suffisait de la surveiller. Je n’entends pas minimiser les craintes de la demanderesse, mais je désire plutôt signaler que le lien entre la sanction étatique ou la collusion est faible. Pour ces motifs, la décision de la SSR n’était pas déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[56]      En l’espèce également, le lien avec la sanction ou la collusion de l’État est ténu, et on ne peut reprocher à la SPR ses conclusions sur cette question.

[57]      Dans l’arrêt Klinko, précité, le lien n’était pas ténu, et les différences concernant les faits sont instructives au regard de l’espèce. La Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit à cet égard aux paragraphes 34 et 35 :

L’opinion exprimée par M. Klinko a pris la forme d’une dénonciation de la corruption de représentants de l’État. Cette dénonciation d’infractions commises par des représentants de l’État a mené à l’exercice de représailles contre lui. Il ne fait pas de doute, selon moi, que les agissements corrompus largement répandus au sein du gouvernement, dont le revendicateur a fait état dans son opinion, constitue une « question dans laquelle l’appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé ».

En effet, le dossier contient de nombreux éléments de preuve établissant que l’appareil étatique ukrainien était effectivement « engagé » dans la question sur laquelle portait la plainte de M. Klinko. Les rapports d’information sur le pays contiennent des déclarations du président de l’Ukraine et de deux agents principaux des services de sécurité ukrainiens concernant l’ampleur de la corruption au sein du gouvernement et la nécessité d’éliminer celle-ci tant sur le plan politique qu’économique. Dans les cas où, comme en l’espèce, les éléments corrompus sont si répandus au sein du gouvernement qu’ils font partie de la structure de ce dernier, une dénonciation de la corruption constitue l’expression d’une « opinion politique ». On aurait dû conclure, à mon avis, que M. Klinko a été persécuté en raison de ses « opinions politiques ».

[58]      À mon avis, la preuve n’établit pas le lien nécessaire en l’espèce.

[59]      Quant au caractère adéquat des motifs, le critère applicable a été énoncé à maintes reprises. La Cour d’appel fédérale l’a formulé dans les termes suivants dans l’arrêt Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, [2007] 1 R.C.F. 490, au paragraphe 14 :

Pour décider si les motifs expliquent suffisamment la décision, il est bon de se référer à l’objet recherché par l’obligation de motiver. Parmi les fonctions de la motivation exposées par le juge Sexton dans VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), deux fonctions sont particulièrement pertinentes à la présente affaire. Premièrement, la motivation aide le décideur à prendre en considération les facteurs dont il doit tenir compte au cours du processus décisionnel (au paragraphe 17). Deuxièmement, elle permet aux parties d’exercer leur droit de contrôle judiciaire (au paragraphe 19) et à la cour de procéder à un examen valable de la décision.

[60]      Compte tenu de ces considérations, je ne vois rien d’inadéquat dans les motifs en ce qui concerne le lien entre la crainte de persécution des demandeurs et un motif prévu par la Convention. Ce n’est pas parce qu’ils sont concis que les motifs donnés sont inadéquats.

La protection de l’État

[61]      Comme la question du lien permet de disposer de la demande des demandeurs fondée sur l’article 96, la SPR a examiné la question de la protection de l’État au regard de l’article 97 seulement.

[62]      Tout d’abord, les demandeurs affirment que la SPR impose un fardeau trop lourd quand elle dit au paragraphe 18 :

Le Mexique est un pays démocratique. Ainsi, le demandeur d’asile doit s’acquitter d’un lourd fardeau, celui de demander la protection des organismes de l’État dans son pays. Il doit faire ces démarches avant de demander l’asile à l’étranger.

[63]      Les demandeurs cherchent à s’appuyer sur la jurisprudence qui décrit le Mexique comme une démocratie émergente ayant de nombreux problèmes qui exigent une attention particulière, de sorte que la présomption relative à la protection de l’État qui s’attache habituellement à une démocratie accomplie ne saurait s’appliquer.

[64]      Les demandeurs renvoient la Cour à la décision rendue par le juge Roger Hughes dans Lopez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1176, au paragraphe 8 :

Une autre erreur de droit a trait à la nature de la protection de l’État qui doit être prise en compte. En l’espèce, le commissaire a conclu que le Mexique « fait de sérieux efforts » pour résoudre le problème. Ce n’est pas là le critère. Ce qui doit être pris en compte est l’efficacité réelle de la protection. Je reprends mes propos énoncés dans Villa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 1229, au paragraphe 14 :

14. L’avocat des demandeurs s’est vu accorder la possibilité de présenter des arguments supplémentaires concernant la PRI et il les a présentés par écrit. Il a ainsi mentionné de nombreux rapports tels que ceux publiés par les Nations Unies et les États-Unis ainsi que des décisions de la Cour, notamment Diaz de Leon c. Canada (MCI), 2007 CF 1307, paragraphe 28; Peralta Raza c. Canada (MCI), 2007 CF 1265, paragraphe 10; Davila c. Canada (MCI) 2006 CF 1475, paragraphe 25. Ces décisions ainsi que d’autres décisions de la Cour soulignent que le Mexique est une démocratie émergente, et non une démocratie accomplie, et qu’on doit tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place.

[65]      À mon avis, il ne fait aucun doute en l’espèce que la SPR a utilisé le critère des « sérieux efforts » pour évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État au Mexique. Elle a pris en compte « l’efficacité réelle de la protection » et a examiné « la situation réelle et non […] ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place ».

[66]      La SPR dit au paragraphe 18 de la décision que demander la protection est un « lourd » fardeau. Cela ne signifie pas cependant, dans le contexte de la décision dans son ensemble, que la SPR reconnaît sans conteste que le Mexique est comme le Canada ou est une démocratie accomplie et que nous pouvons supposer que la protection de l’État existe. Si c’était le cas, l’analyse détaillée de ce que le Mexique fait réellement, qui figure dans la décision, ne serait pas nécessaire.

[67]      La jurisprudence citée par les demandeurs enseigne qu’il faut examiner de près ce que le Mexique fait réellement pour protéger ses citoyens. Dans la décision Aviles Yanez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1059, la juge Danièle Tremblay-Lamer a décrit ce qui est nécessaire au paragraphe 32 :

Quoique le Mexique soit une démocratie fonctionnelle, il fait néanmoins face à des problèmes de gouvernance et de corruption qui sont bien documentés. Pour cette raison, la présomption de protection de l’État est quelque peu moindre et les décideurs doivent par conséquent procéder à l’appréciation complète de la preuve dont ils disposent. Cette appréciation doit notamment prendre en compte la situation générale ayant cours dans le pays d’origine du demandeur, toutes les mesures que celui-ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités (Zepeda, précitée, au paragraphe 20; Villicana v. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1205, 86 Imm. L. R. (3d) 191, au paragraphe 67).

[68]      Il ressort d’un examen de la décision en l’espèce que la SPR n’a pas traité le Mexique comme une démocratie accomplie dans son analyse de la question de la protection de l’État. Après avoir apprécié tous les éléments de preuve (y compris le contexte), toutes les démarches entreprises par les demandeurs et les rapports de ceux‑ci avec les autorités de l’État, la SPR est parvenue à la conclusion suivante [au paragraphe 21] :

Les demandeurs d’asile n’ont pas réussi à me convaincre, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, que les autorités du Mexique ne seraient ni disposées ni aptes à les aider. Bien que la criminalité et la corruption demeurent toujours problématiques au Mexique, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’État n’est ni disposé ni apte à offrir une protection adéquate, quoiqu’imparfaite. Les demandeurs d’asile n’ont pas fait d’efforts pour épuiser les recours qui leur étaient raisonnablement offerts afin de se prévaloir de la protection de l’État, quand cette protection leur aurait probablement été offerte.

[69]      Il est certes possible de ne pas souscrire à cette conclusion. Le Mexique est un pays particulièrement difficile à évaluer. L’évaluation dépend en grande partie des particularités de chaque cas et des éléments de preuve produits. Je ne peux pas dire cependant que la SPR a tiré ses conclusions en l’espèce sans avoir examiné le contexte en cause et les efforts faits effectivement par le Mexique, ou que ses conclusions n’appartiennent pas aux issues décrites dans l’arrêt Dunsmuir.

[70]      La grande faiblesse de la thèse des demandeurs tient au fait que le demandeur n’a pas signalé aux autorités le trafic de drogue auquel se livrait M. Magana (et ses prétendus liens avec la police) et ses attaques contre lui. On peut comprendre que le demandeur ait craint de s’adresser à la police locale, mais, comme la SPR l’a mentionné, d’autres possibilités s’offraient à lui.

[71]      Les demandeurs ont donné des exemples d’incidents survenus dans le passé, à la suite desquels eux‑mêmes ou d’autres personnes ont porté plainte à la police et n’ont reçu qu’une réponse insatisfaisante. Comme la SPR le fait remarquer cependant, ils ont reçu une réponse. C’est donc dire que la police fait des efforts — même si ceux‑ci ne sont pas toujours satisfaisants — pour protéger les citoyens. Comme la Cour d’appel fédérale l’a récemment conclu dans l’arrêt Flores Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, le critère relatif à la protection de l’État consiste à rechercher si cette protection est suffisante, non si elle est efficace en soi. La SPR s’est appuyée sur la preuve documentaire indiquant que l’État du Mexique fait des efforts et que ces efforts ont un effet sur la corruption et le commerce de la drogue. Je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont épuisé la protection de l’État qui leur était raisonnablement offerte et je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse et les conclusions de la SPR sur cette question.

[72]      Les demandeurs prétendent en outre que l’analyse de la protection de l’État est déraisonnable parce qu’elle repose, à tout le moins en partie, sur des hypothèses et sur une réticence à croire les demandeurs, plutôt que sur des inférences pertinentes tirées de la preuve. L’extrait que les demandeurs remettent en question se trouve au paragraphe 12 de la décision :

En l’espèce, le demandeur d’asile déclare qu’il était effrayé de s’adresser à la police parce que M. [Magana] lui avait dit qu’il s’agissait d’une grande organisation et que la police était payée pour laisser les membres de ladite organisation se livrer à leurs activités. Toutefois, le demandeur d’asile n’a jamais vu d’autres personnes avec M. [Magana] et n’a aperçu que deux autres personnes qui se chargeaient des livraisons. Le demandeur d’asile a été battu par trois hommes, qui lui ont dit qu’ils étaient venus lui transmettre un message de M. [Magana]. La police n’a jamais abordé le demandeur d’asile. En outre, lorsque le demandeur d’asile a quitté [León] pour se rendre à [Aguascalientes], il a laissé ses enfants chez sa belle-mère, à environ 150 mètres de là. Ni les demandeurs d’asile mineurs ni la belle-mère du demandeur d’asile n’ont eu d’ennuis à cet endroit. Les demandeurs d’asile mineurs sont allés vivre chez la sœur du demandeur d’asile à [Aguascalientes], où ils sont demeurés pendant deux mois après que le demandeur d’asile et la demandeure d’asile eurent quitté le Mexique. Les demandeurs d’asile mineurs n’ont pas non plus été embêtés à cet endroit, et les sœurs du demandeur d’asile non plus. Après le départ des demandeurs d’asile du Mexique, ni M. [Magana] ni ses associés n’ont fait d’efforts pour trouver les demandeurs d’asile, si ce n’est qu’ils se sont rendus à leur ancien domicile à [León]. Même si le demandeur d’asile croit avoir été suivi parce que le camion dans lequel il a fait la route a été retrouvé brûlé à [San Antonio], le premier endroit où il est allé à [Aguascalientes], et qu’il a reçu un appel de M. [Magana], qui disait savoir où se trouvait le demandeur d’asile, il croit que cette information a peut-être été divulguée par un ancien petit ami de sa sœur. Si M. [Magana] faisait partie d’un grand réseau de criminels, c’est-à-dire des narcotrafiquants, bien organisé et bénéficiant de relations, et qu’il voulait que le demandeur d’asile garde le silence, il semble invraisemblable qu’il suive les demandeurs d’asile à [Aguascalientes] seulement pour incendier leur camion et les avertir une fois de plus. En outre, il semble raisonnable que des criminels ayant des relations avec la police et les narcotrafiquants visitent au mois la maison des parents du demandeur d’asile et de la demandeure d’asile ou d’autres membres de leurs familles. Ils se sont plutôt rendus à l’ancien domicile des demandeurs d’asile à [León]. J’estime que M. [Magana] n’a pas autant de relations que ce que le demandeur d’asile semble croire.

[73]      La SPR peut évidemment apprécier ce que les demandeurs affirment au regard du sens commun et de la vraisemblance. Comme le juge Raymond Décary l’a dit dans l’arrêt Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage […] Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire.

[74]      Il faut se rappeler ici que ce qui est apprécié par la SPR, ce sont les craintes que M. Magana inspire aux demandeurs en raison de ses liens possibles avec des gangs, le trafic de drogue et l’État et qui expliqueraient pourquoi les demandeurs n’ont pas porté plainte à la police. La SPR affirme seulement que, à part ce que M. Magana a dit au demandeur, le contexte global de ce qui est arrivé aux demandeurs ne permet pas de croire que M. Magana entretient le genre de relations qui justifieraient que les demandeurs ne se soient pas adressés à la police. Les propos de M. Magana au sujet de son statut et de ses relations et les hypothèses que les demandeurs peuvent émettre ne doivent pas obligatoirement être acceptés sans être vérifiés. À mon avis, la SPR ne s’est pas livrée à des conjectures. Elle dit simplement que le prétendu domaine d’opérations de M. Magana et l’influence de ce dernier auprès des autorités de l’État ne semblent pas avoir été établis compte tenu que la menace émanant de M. Magana était qu’il forcerait le demandeur à garder le silence. Le moyen habituel de réduire une personne au silence lorsqu’on a des relations avec le milieu criminel et avec l’État n’a pas été utilisé en l’espèce. Cela inclut les relations que M. Magana aurait avec l’armée, qui n’ont pas été mentionnées expressément, mais qui, à mon avis, répondent manifestement à la même logique. Il est possible, dans ce cas également, de ne pas être d’accord avec la SPR, mais je ne pense pas que l’on puisse dire que sa conclusion générale n’appartient pas aux issues décrites dans l’arrêt Dunsmuir.

[75]      Enfin, les demandeurs contestent l’analyse de la protection de l’État au motif que la SPR ne traite pas expressément de la documentation indiquant que le Mexique n’est pas en mesure de protéger ses citoyens. Les demandeurs s’appuient sur la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (1re inst.), au paragraphe 17.

[76]      Les demandeurs citent le rapport du WOLA [Washington Office on Latin America] dans At a Crossroads: Drug Trafficking, Violence and the Mexican State, qui constituait la pièce 7.2 de la trousse de la SPR. Ils font aussi référence au document d’Amnesty International intitulé Mexico: Laws without justice: Human rights violations and impunity in the public security and criminal justice system, qui était la pièce 9.1 de la trousse de la SPR.

[77]      L’extrait tiré du rapport du WOLA traite de l’influence et du pouvoir des cartels de la drogue et de la corruption qui empêchent le Mexique d’assurer la primauté du droit et de lutter contre les organisations criminelles et le commerce de la drogue. Selon le rapport, l’impunité reste la norme au Mexique et seules les affaires les plus graves font généralement l’objet d’une enquête, après des efforts soutenus et probablement des représailles.

[78]      Les demandeurs se plaignent du fait que la SPR ne mentionne pas [traduction] « ces rapports crédibles et directement pertinents, qui étayent la thèse des demandeurs et vont à l’encontre de l’image généralement positive privilégiée par le membre ».

[79]      Je ne pense pas que la SPR adopte une [traduction] « image généralement positive » de la situation existant au Mexique. Les problèmes persistants concernant la criminalité et la corruption sont bien connus, mais la SPR souligne que l’État offre des services aux personnes qui, comme les demandeurs, craignent d’être victimes de violence aux mains de trafiquants de drogue et d’autres criminels. Elle souligne aussi que le Mexique offre de l’aide aux citoyens qui pensent avoir besoin de protection. En l’espèce, les demandeurs n’ont rien fait pour obtenir ces services et cette protection, de sorte qu’ils ne peuvent invoquer aucune expérience personnelle qui permettrait de croire que les efforts du Mexique et l’infrastructure de protections et de services actuelle n’auraient pas pu les aider avant qu’ils décident de venir au Canada. Dans ce contexte, je ne pense pas qu’il fallait mentionner expressément l’un ou l’autre de ces rapports. Le rapport du WOLA fait état des efforts déployés par le Mexique pour réduire le commerce de la drogue. Il met en lumière les difficultés à cet égard et propose des mesures qui permettraient de les surmonter. Il souligne en outre qu’il est « trop tôt » pour dire si les stratégies du gouvernement seront efficaces. Je ne vois rien dans le rapport qui contredise directement les conclusions de la SPR en l’espèce. La SPR reconnaît que des difficultés existent, mais elle confirme que le Mexique agit et que les autorités réagiront. Le rapport d’Amnesty International traite de violations des droits de la personne au sein du système de la sécurité publique et de la justice pénale. Or, les demandeurs ne fondaient pas leur demande sur ces problèmes. La SPR en a toutefois fait mention dans sa décision. Le rapport ne contredit pas ses conclusions d’une manière qui exigerait qu’il faille le mentionner expressément. Les commentaires des demandeurs sont hors contexte.

La jurisprudence récente de la Cour

[80]      L’examen que j’ai effectué de la jurisprudence récente de la Cour fait ressortir les éléments pertinents décrits ci‑après :

a.         Le demandeur a le fardeau de réfuter la présomption relative à la protection de l’État

La Cour d’appel fédérale a indiqué, dans l’arrêt Flores Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, que le demandeur d’asile a le fardeau de réfuter la présomption relative à la protection de l’État en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est insuffisante. Le demandeur doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante.

Dans la décision Gonzalez Torres c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 234, [2011] 2 R.C.F. 480 [ci-après appelée Torres], le juge Zinn a adopté une approche contextuelle pour déterminer si le demandeur d’asile avait réfuté la présomption relative à la protection de l’État (prenant en compte la nature de la violation des droits de la personne, le profil de l’auteur de celle‑ci, les efforts faits par la victime pour obtenir une protection, la réaction des autorités et la preuve documentaire). Je crois que la SPR a adopté une approche contextuelle appropriée en l’espèce.

b.         Le demandeur doit tenter d’obtenir la protection de l’État seulement si cette protection est raisonnablement assurée

La Cour suprême du Canada a indiqué, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, que le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, irait à l’encontre de l’objet de la protection internationale. Le juge La Forest a statué [à la page 724] que « l’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État [traduction] “aurait pu raisonnablement être assurée” ».

c.         Comment déterminer si la protection de l’État est raisonnablement assurée? Le Mexique dans l’éventail démocratique

La question consiste ensuite à savoir comment déterminer si la protection de l’État « aurait pu raisonnablement être assurée » dans un cas donné. La Cour d’appel fédérale a statué dans l’arrêt Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.) (QL), au paragraphe 5, que « plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui ». À l’inverse, moins les institutions de l’État sont démocratiques, moins le demandeur d’asile doit déployer des efforts et moins la protection de l’État est présumée être raisonnablement assurée.

La Cour a examiné la question du caractère suffisant de la protection de l’État au Mexique en évaluant la place de ce pays dans l’« éventail démocratique ». Ce n’est toutefois qu’un des facteurs à prendre en compte dans l’appréciation de la disponibilité de la protection de l’État.

Dans la décision Vigueras Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, le juge Luc Martineau a reconnu que le caractère adéquat de la protection de l’État dépend en très grande partie des faits; il ne peut pas être déterminé dans l’absolu [au paragraphe 28] : « Chaque cas en est un d’espèce. » Le fait qu’un juge de la Cour considère que la protection de l’État peut être obtenue dans un État mexicain particulier n’empêche pas un autre juge de conclure que le même État offre une protection inadéquate dans une affaire dont les faits sont différents. La Cour a souligné à maintes reprises que chaque affaire doit être tranchée en fonction de ses propres faits. Voir, par exemple, le juge Mainville dans la décision Flores, précitée, au paragraphe 38, et le juge Michael Phelan dans la décision Jimenez Herrera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 499, au paragraphe 10.

d.         Quelle est la place du Mexique dans l’éventail démocratique selon la jurisprudence de la Cour fédérale? Le Mexique n’est pas une démocratie développée

Dans la décision Capitaine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98, la juge Johanne Gauthier a statué que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur d’asile n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État était déraisonnable. Les motifs de la Commission n’appuyaient pas la conclusion selon laquelle le Mexique était une démocratie développée comme les États‑Unis ou Israël (voir les paragraphes 20 à 24). La juge Gauthier a aussi conclu plus précisément que, dans les faits de cette affaire, le raisonnement de la Commission ne permettait pas de conclure que le demandeur avait l’obligation de solliciter la protection du Mexique avant de s’enfuir au Canada.

S’engageant dans la même voie que la juge Gauthier, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a indiqué dans la décision Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 R.C.F. 237, au paragraphe 20, que la place du Mexique dans l’éventail démocratique obligeait la Commission à apprécier avec soin la preuve :

Je souscris à la façon qu’a la juge Gauthier d’aborder la question de la protection de l’État au Mexique. En effet, bien que le Mexique constitue une démocratie et veuille généralement assurer la protection de ses citoyens, la documentation abonde quant aux problèmes de gouvernance et de corruption qui y existent. Les décisionnaires doivent par conséquent apprécier avec soin la preuve dont ils sont saisis et laissant voir que le Mexique, bien qu’il veuille protéger ses citoyens, peut bien ne pas être en mesure de le faire. [Non souligné dans l’original.]

J’estime qu’en l’espèce la SPR a apprécié avec soin la preuve et a conclu que la police avait toujours donné suite aux plaintes des demandeurs, même si les résultats ne correspondaient pas à ceux que ces derniers auraient voulus.

Ma décision dans Villicana, précitée, fait partie de cette catégorie. Dans cette affaire, la SPR n’avait tiré aucune conclusion défavorable concernant la crédibilité et je devais déterminer si son analyse de la protection de l’État était raisonnable. J’ai rappelé la conclusion à laquelle la juge Tremblay‑Lamer était arrivée dans la décision Zepeda, précitée (cette affaire sera analysée plus loin), selon laquelle la jurisprudence de la Cour reconnaît que le Mexique est une démocratie qui fonctionne, mais aussi que c’est une démocratie qui souffre de problèmes de gouvernance et de corruption largement attestés, nécessitant de la part des décideurs une appréciation contextuelle complète de la preuve dont ils disposent sur la question de la protection de l’État. Les demandeurs ne s’étaient pas adressés aux autorités parce qu’ils craignaient de courir un danger s’ils le faisaient, le demandeur principal ayant précédemment été harcelé par la police à Mexico et celle‑ci étant en excellents termes avec les agents de persécution. Ils avaient aussi affirmé que, selon la preuve dont disposait la SPR, la police ne les aurait pas aidés s’ils s’étaient adressés à elle. J’ai conclu que la SPR n’avait pas effectué l’analyse contextuelle complète requise et, en particulier, n’avait pas examiné la preuve qui contredisait fortement ses propres conclusions. Je ne pense pas que ce problème existe en l’espèce.

[81]      Il y a eu d’autres affaires où la Cour a conclu que la présomption relative à la protection de l’État au Mexique avait été réfutée. Voir, par exemple, Barajas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 21; Montagner Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 947; Aviles Yanez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1059; Perez Mendoza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 119; Moreno Hernandez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 772.

La jurisprudence de 2010

La protection de l’État n’existe pas

[82]      Les décisions mentionnées ci‑dessus illustrent la position générale de la Cour sur la question de la protection de l’État.

[83]      Dans les affaires récentes où elle a considéré que la SPR avait agi de manière déraisonnable en concluant qu’il était possible d’obtenir la protection de l’État au Mexique, la Cour a constaté que la SPR avait omis de tenir compte d’éléments de preuve importants — des preuves subjectives propres à la situation du demandeur ou une preuve documentaire plus générale — tendant à démontrer l’absence de protection de l’État. En ce qui concerne la preuve documentaire, je souligne que la SPR a veillé très soigneusement à l’examiner en l’espèce.

[84]      Dans la décision Torres, précitée, le juge Zinn a statué [au paragraphe 47] que la conclusion de la SPR selon laquelle il était invraisemblable que la police fédérale n’ait pas pris de mesures contre les auteurs des violations était à la fois « déraisonnable et naïve », car « [l]e dossier regorge d’exemples de personnes ayant de bons contacts et qui sont protégées par la police à tous les échelons au Mexique ou qui, du moins, ne sont pas l’objet d’une enquête policière ». En l’espèce, il n’y a aucune preuve convaincante démontrant que des personnes ayant de bonnes relations sont impliquées. En fait, la SPR a conclu que M. Magana n’avait pas autant de relations que les demandeurs le croyaient.

[85]      Dans la décision Beltran Espinoza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 763, le juge Michael Kelen a conclu que le fait que la SPR n’avait pas pris en compte un article particulièrement pertinent du Los Angeles Times sur la protection de l’État était irréparable car ce journal était l’un des [au paragraphe 31] « journaux les plus crédibles des États-Unis et cet article était important et pertinent et il constituait une preuve contradictoire ».

[86]      Dans la décision Moreno Hernandez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 772, le juge Michel Beaudry a conclu que l’analyse de la question de la protection de l’État effectuée par la SPR était incomplète parce que, bien qu’elle ait fait mention des ressources à la disposition des femmes victimes de violence sous le régime de la loi mexicaine, la SPR n’avait mentionné aucun élément de preuve produit par la demanderesse qui démontrait l’inefficacité de la mise en œuvre de la loi en général. Le juge Beaudry a écrit [au paragraphe 19] : « De tels éléments de preuve étaient tout à fait pertinents en l’espèce et ils vont à l’encontre de la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse bénéficiait d’une protection adéquate de l’État. »

[87]      Dans la décision Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 812, j’ai conclu [au paragraphe 63] que « l’analyse que la SPR a faite de la question de la protection de l’État est stéréotypée, souvent dénuée de pertinence et qu’elle est insensible à la situation particulière en cause […] La SPR n’a tout simplement pas tenu compte de la masse de documents fiables et qui font autorité […] qui contredis[ait] directement les conclusions de la [SPR] suivant lesquelles le Mexique était en mesure de lui assurer la protection adéquate de l’État ».

La protection de l’État existe

[88]      Dans de nombreux cas toutefois, la Cour a confirmé la conclusion de la SPR concernant la possibilité d’obtenir la protection de l’État au Mexique.

[89]      Le juge Michel Shore a insisté sur l’importance de faire preuve de déférence à l’égard de la SPR dans la décision Lara Deheza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 521. Il a indiqué qu’il fallait reconnaître que la preuve contenue dans le Cartable national de documentation sur le Mexique était de qualité mitigée, mais que le décideur pouvait [au paragraphe 1] :

[…] accorder beaucoup d’importance à la corruption au Mexique et conclure que l’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que l’État offre de la protection ou, comme c’est le cas en l’espèce, […] accorder beaucoup d’importance à la volonté politique et aux moyens dont dispose l’État du Mexique et conclure que le Mexique peut protéger ses citoyens.

[90]      Le juge Shore a indiqué que, d’une façon ou d’une autre, il s’agit simplement de déterminer quel poids il convient d’accorder à la preuve. La Cour ne devrait pas intervenir s’il ne fait aucun doute que la SPR a pris en considération les éléments de preuve contradictoires concernant la protection de l’État et que sa décision fait partie des issues acceptables.

[91]      Dans la décision Flores Campos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 842, la SPR avait reproché à la demanderesse de ne pas avoir fait un suivi de la plainte qu’elle avait déposée à la police relativement à l’une des agressions commises par son ex‑mari et pour ne pas avoir exercé d’autres recours. Le juge Richard Boivin a conclu que [au paragraphe 30] « le tribunal n’a pas ignoré la preuve documentaire et a spécifiquement fait référence à cette preuve qui indique que la situation en matière de violence conjugale n’est pas idéale, mais que certains recours et services demeurent disponibles ».

[92]      De même, dans la décision Hernandez Fuentes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 457, où la demanderesse craignait d’être agressée sexuellement par son oncle au Mexique, le juge Yvon Pinard a indiqué [au paragraphe 14] qu’« [i]l incombe […] à la demanderesse de demander protection auprès d’organismes, autres que les services de police, mis sur pied pour protéger les femmes dans la même situation que la sienne. Il est maintenant bien établi en droit que le fait de ne pas assurer localement une exécution efficace des lois ne constitue pas un défaut de protection de l’État, et qu’un demandeur doit chercher protection et réparation auprès d’organismes de protection autres que les services de police ». À mon avis, ces remarques sont tout à fait pertinentes en l’espèce, où les demandeurs n’ont pas cherché protection ou réparation auprès d’organismes constitués précisément pour lutter contre la corruption de la police et le trafic de drogue.

[93]      Dans la décision Jimenez Herrera, précitée, le juge Phelan a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée avec diligence de son obligation de s’adresser à l’État pour obtenir protection. Il a fait observer au paragraphe 10 :

La présomption de l’existence de la protection de l’État au Mexique est devenue une source de complications; cependant, elle ne demeure qu’une présomption et peut être réfutée par la preuve. Il existe des éléments de preuve montrant que certaines régions et certaines autorités gouvernementales éprouvent de graves problèmes. Toutefois, il n’était pas déraisonnable de conclure que la présomption de la protection de l’État est applicable au Mexique. Il s’agit d’une démocratie contrôlant son territoire, dotée d’organismes gouvernementaux fonctionnels. Les faits propres à chaque affaire servent à déterminer si la présomption est réfutée en ce qui a trait à la personne, au groupe ou aux prétendus actes criminels en cause.

[94]      Dans la décision Cruz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 929, le juge Paul Crampton a examiné le cas de deux demandeurs — un homme et une femme — qui avaient fui le Mexique parce qu’ils craignaient l’ancien mari de la femme, un major de l’armée mexicaine. Celui‑ci avait enlevé le demandeur à quatre reprises. Les demandeurs ne s’étaient pas adressés à la police après le premier enlèvement parce qu’on leur avait dit que le major le découvrirait. Ils s’étaient adressés à la police locale après le deuxième enlèvement, mais rien n’avait été fait. Ils n’avaient pas porté plainte après le troisième enlèvement et ils avaient pris la fuite après le quatrième. La SPR a conclu que la présomption relative à la protection de l’État n’avait pas été réfutée et elle a reproché aux demandeurs de ne pas avoir fait appel à l’échelon supérieur (c.‑à‑d. la police d’État). Le juge Crampton a conclu que la décision de la SPR était fondée sur la preuve, laquelle démontrait qu’il y avait au Mexique des autorités qui aidaient les membres du public ayant eu affaire à des fonctionnaires corrompus, que des initiatives récentes visant à s’attaquer au problème de la corruption avaient eu un effet marqué et que la police mexicaine était à la fois disposée à protéger les victimes de crimes et capable de le faire. Ces remarques sont également, à mon avis, tout à fait pertinentes en l’espèce.

[95]      Enfin, dans la décision Flores Dosantos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1174, la juge Judith Snider était saisie du cas d’un demandeur qui craignait une personne ayant des liens avec le bureau du procureur général de l’État. Le demandeur avait porté plainte à la police locale, mais il croyait que rien n’avait été fait. La SPR a conclu que la police locale avait agi de manière appropriée à la suite de la plainte et que, de toute façon, le demandeur avait l’obligation de faire appel aux services et aux organismes d’État avant de prendre la fuite. La juge Snider [au paragraphe 14] a estimé que la conclusion de la SPR selon laquelle « “la prépondérance de la preuve objective liée aux conditions actuelles dans le pays porte à croire que l’État offre une protection adéquate, bien qu’imparfaite, aux victimes d’actes criminels […]” » était raisonnable. La Cour [au paragraphe 28] était convaincue par la conclusion de la SPR selon laquelle « le demandeur d’asile a bénéficié de l’attention de la police chaque fois qu’il a fait appel à elle ». Au bout du compte, la juge Snider a conclu que la preuve produite par le demandeur n’établissait pas que la protection de l’État n’était pas à sa disposition au Mexique. Cette décision concerne également directement la présente affaire dans laquelle les demandeurs admettent avoir reçu l’attention de la police chaque fois qu’ils se sont adressés aux autorités. Ils n’ont cependant pas cherché à obtenir l’aide d’organismes d’État constitués précisément pour s’occuper de plaintes semblables aux leurs, à savoir concernant la corruption de fonctionnaires et le trafic de drogue.

Conclusion

[96]      J’estime que la jurisprudence de notre Cour concernant la possibilité d’obtenir la protection de l’État au Mexique se ramène en fin de compte aux faits particuliers et au traitement de la preuve disponible dans chaque cas. Comme le juge Phelan l’a dit [au paragraphe 10] dans la décision Jimenez Herrera, précitée, « [l]es faits propres à chaque affaire servent à déterminer si la présomption [relative à la protection de l’État] est réfutée en ce qui a trait à la personne, au groupe ou aux prétendus actes criminels en cause ». La Cour répugnera à intervenir si la SPR s’intéresse à tout le contexte. En l’espèce, étant donné que les demandeurs n’ont rien fait pour obtenir la protection de l’État, que des organismes d’État avaient été constitués pour lutter contre la corruption et le trafic de drogue et que la SPR a examiné tout le contexte, la décision de celle‑ci me semble raisonnable et paraît faire partie des issues définies dans l’arrêt Dunsmuir. Il n’y a pas lieu que la Cour intervienne.

[97]      Les parties conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question à certifier. La Cour est aussi de cet avis.

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1. La demande est rejetée.

2. L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

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