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T-300-01

2002 CFPI 1221

Maria Salome Alfonso (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié: Alfonso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Blais—Montréal, 6 novembre; Ottawa, 26 novembre 2002.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Un demandeur de citoyenneté sollicite le bénéfice de l’application de l’art. 5(1.1) de la Loi sur la citoyenneté pour sa période de résidence avec son conjoint de fait canadien alors que celui-ci travaillait à l’étranger dans l’administration publique d’une province — Signification du terme «conjoint» contenu à l’art. 5(1.1) — La Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations, qui, dans l’art. 5(1.1), remplace «conjoint» par «époux ou conjoint de fait», n’est pas applicable parce qu’elle n’est pas encore en vigueur — Le juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur en profitant de son pouvoir discrétionnaire pour respecter le Guide des politiques de Citoyenneté, où l’on affirme que le mot «conjoint» désigne une personne mariée — Étant donné que les critères énoncés à l’art.  5(1) de Loi sur la citoyenneté sont cumulatifs, le fait que le juge des faits a commis une erreur dans son appréciation de la connaissance du Canada de la demanderesse, parce qu’il lui a posé des questions sur les quatre sujets énumérés à l’art. 15c) du Règlement sur l’immigration alors qu’il devait n’en choisir qu’un, n’est pas pertinent.

Interprétation des lois — Le terme «conjoint» contenu à l’art. 5(1.1) de la Loi sur la citoyenneté englobe-t-il les conjoints de fait? — La Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations, qui, dans l’art. 5(1.1), remplace «conjoint» par «époux ou conjoint de fait», n’est pas applicable parce qu’elle n’est pas encore en vigueur —  Il est inapproprié d’emprunter une définition du Règlement sur l’immigration de 1978.

La demanderesse, une citoyenne des Philippines, est arrivée au Canada en novembre 1996, et s’est établie avec son conjoint de fait dans la région de Montréal. De juin 1997 à juin 1999, la demanderesse a vécu à Hong Kong avec son conjoint, affecté en tant que chef de service au Service d’immigration du Québec à cet endroit. Trois ans jour pour jour après son arrivée au Canada, la demanderesse a présenté sa demande de citoyenneté canadienne. La demanderesse et son conjoint se sont mariés en mars 2000 à Montréal. Le juge de la citoyenneté a rejeté la demande au motif que la demanderesse ne satisfaisait ni aux exigences de résidence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (avoir accumulé trois ans de résidence au Canada dans les quatre ans qui ont précédé sa demande) ni aux exigences de connaissance de l’alinéa 5(1)e) de cette loi. En vertu du paragraphe 5(1.1), est assimilé à un jour de résidence tout jour pendant lequel l’auteur de la demande de citoyenneté a résidé avec son conjoint alors que celui-ci travaillait à l’étranger dans l’administration publique d’une province. Les questions litigieuses sont de savoir si le terme «conjoint» contenu au paragraphe 5(1.1) s’applique uniquement aux personnes mariées, et si le juge de la citoyenneté a commis une erreur en posant à la demanderesse des questions sur les quatre sujets énumérés à l’alinéa 15c) du Règlement sur l’immigration de 1978.

Jugement: l’appel est rejeté.

Le terme «conjoint» contenu au paragraphe 5(1.1) de la Loi sur la citoyenneté s’applique uniquement aux personnes mariées. La Loi sur la citoyenneté ne définit pas le terme «conjoint», et la modification qu’apporte à cette loi la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations, modification suivant laquelle, dans le paragraphe 5(1.1), «conjoint» est remplacé par «époux ou conjoint de fait», n’est pas applicable parce qu’elle n’est pas encore en vigueur. D’autre part, le Guide des politiques de Citoyenneté (le Guide) prévoit expressément que le mot «conjoint» désigne une personne mariée, mais de telles directives ne sont que des pratiques administratives. Toutefois, il serait inapproprié d’emprunter la définition de «conjoint» du Règlement sur l’immigration de 1978. En ne tenant pas compte de la Loi sur la modernisation et en profitant de son pouvoir discrétionnaire pour respecter le Guide, le juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur de droit. La présente affaire souligne l’importance de déterminer la date d’entrée en vigueur des modifications.

Le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait en utilisant un critère étranger à la Loi pour évaluer les connaissances de la demanderesse de la réalité canadienne. Bien que l’alinéa 15c) du Règlement sur la citoyenneté, 1993 exige que le juge de la citoyenneté choisisse l’un des sujets énumérés aux sous-alinéas (i) à (iv) pour évaluer si le demandeur de citoyenneté possède une connaissance suffisante du Canada, ce n’est pas ce que le juge de la citoyenneté a fait en l’espèce. Qui plus est, dans sa décision, le juge de la citoyenneté est muet quant à la séquence des questions posées et quant au sujet choisi au hasard. Il s’agit d’une erreur de droit. Toutefois, cela ne fait rien parce que les critères énoncés au paragraphe 5(1) sont cumulatifs et que la demanderesse n’a pas satisfait à deux d’entre eux.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 5(1), (1.1) (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 44, art. 1), 14(5).

Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations, L.C. 2000, ch. 12, art. 74, 75, 76, 77, 340.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Règlement sur la citoyenneté, 1993, DORS/93-246, art. 15 (mod. par DORS/94-442, art. 3).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) «conjoint» (mod. par DORS/85-225, art. 1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Huda (Re), [1999] A.C.F. no 538 (1re inst.) (QL); Bhardwaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 170 (C.F. 1re inst.).

doctrine

Côté, P.-A., Interprétation des lois, 3e éd. Montréal: Éditions Thémis, 1999.

Guide des politiques de Citoyenneté. chapitre CP5. Ottawa: Citoyenneté et Immigration Canada.

Le Nouveau Petit Robert. Paris: Dictionnaires Le Robert, 1993, «choisir», «choix».

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

Tremblay, Richard. L’entrée en vigueur des lois: principes et techniques. Cowansville, Que.: Éditions Yvon Blais, 1997.

APPEL du rejet d’une demande de citoyenneté canadienne au motif que le demandeur ne satisfait pas aux exigences de résidence et de connaissance prévues aux alinéas 5(1)c) et e) de la Loi sur la citoyenneté. Appel rejeté.

ont comparu:

Daniel Paquin pour la demanderesse.

Michel Pépin pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Alarie, Legault, Beauchemin, Paquin, Jobin, Brisson & Philpot, Montréal, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs de l’ordonnance et ordonnnance rendus en français par

[1] Le juge Blais: Il s’agit d’un appel interjeté aux termes du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, [L.R.C. (1985), ch. C-29] (Loi) à l’encontre de la décision rendue le 9 novembre 2000 par le juge de la citoyenneté George Springate, refusant la demande de citoyenneté canadienne présentée par la demanderesse parce qu’elle ne remplissait pas les exigences des alinéas 5(1)c) et 5(1)e) de la Loi.

FAITS

[2]La demanderesse est née le 14 janvier 1958, à San Mateo Rizal, aux Philippines.

[3]Le 3 novembre 1996, elle est arrivée au Canada et a été admise à titre de résidente permanente. À compter de cette date, la demanderesse s’est établie avec son conjoint de fait, M. Camille Côté, dans la région de Montréal.

[4]Du 1er juin 1997 au 30 juin 1999, soit un total de 759 jours, la demanderesse a vécu à Hong Kong en compagnie de M. Côté, affecté en tant que chef de service au Service d’immigration du Québec à cet endroit.

[5]Lors de ses séjours à l’étranger, la demanderesse allègue avoir accompagné M. Côté alors qu’il assumait ses fonctions.

[6]Le 3 novembre 1999, soit trois ans jour pour jour après son arrivée au Canada, la demanderesse a présenté sa demande de citoyenneté canadienne.

[7]La demanderesse et M. Côté se sont mariés le 25 mars 2000 à Montréal.

DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ

[8]Le 9 novembre 2000, le juge de la citoyenneté, George Springate (le juge), refusait la demande en raison de deux motifs. Premièrement, la demanderesse ne remplissait pas les exigences de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, soit qu’elle n’avait pas établi ni maintenu résidence au Canada, en ce qu’elle a fait défaut de démontrer, dans ses intentions et dans les faits, que son mode de vie était centralisé au Canada.

[9]Deuxièmement, la demanderesse ne satisfaisait pas les exigences de l’alinéa 5(1)e) de la Loi, soit qu’elle n’avait pas une connaissance adéquate du Canada et des responsabilités et privilèges reliés à la citoyenneté.

ISSUES

QUESTION EN LITIGE

[10]Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en rejetant la demande de citoyenneté de la demanderesse sur la base qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences des alinéas 5(1)c) et 5(1)e) de la Loi sur la citoyenneté, nécessitant ainsi l’intervention de cette Cour?

CADRE LÉGISLATIF

[11]Le paragraphe 5(1) de la Loi fait mention des critères d’attribution nécessaires afin d’obtenir le statut de citoyen:

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois:

[. . .]

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n’a pas depuis perdu ce titre en application de l’article 24 de la Loi sur l’immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

[. . .]

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté; [Non souligné dans l’original.]

[12]L’article 5(1.1) [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 44, art. 1] de la Loi cerne la notion de «jour de résidence»:

5. [. . .]

(1.1) Est assimilé à un jour de résidence au Canada pour l’application de l’alinéa (1)c) et du paragraphe 11(1) tout jour pendant lequel l’auteur d’une demande de citoyenneté a résidé avec son conjoint alors que celui-ci était citoyen et était, sans avoir été engagé sur place, au service, à l’étranger, des forces armées canadiennes ou de l’administration publique fédérale ou de celle d’une province. [Non souligné dans l’original.]

[13]L’article 15 [mod. par DORS/94-442, art. 3] du Règlement sur la citoyenneté, 1993 [DORS/93-246], (Règlement) énonce la façon d’évaluer la connaissance du Canada d’un demandeur de citoyenneté:

15. Une personne possède une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et privilèges attachés à la citoyenneté si, à l’aide de questions rédigées par le ministre, elle comprend de façon générale, à la fois:

a) le droit de vote aux élections fédérales, provinciales et municipales et le droit de se porter candidat à une charge élective;

b) les formalités liées au recensement électoral et au vote;

c) l’un des sujets suivants, choisi au hasard parmi des questions rédigées par le ministre:

(i) les principales caractéristiques de l’histoire sociale et culturelle du Canada,

(ii) les principales caractéristiques de l’histoire politique du Canada,

(iii) les principales caractéristiques de la géographie physique et politique du Canada,

(iv) les responsabilités et privilèges attachés à la citoyenneté autres que ceux visés aux alinéas a) et b). [Non souligné dans l’original.]

ANALYSE

1. Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur de droit en limitant l’interprétation du terme «conjoint», contenu au paragraphe 5(1.1) de la Loi, aux conjoints unis par le mariage?

[14]La demanderesse soutient qu’il y a absence de définition du terme «conjoint» dans la Loi. Ainsi, argumente-elle, ce terme doit se lire comme visant et incluant les conjoints de fait, tel que reconnu au Canada dans la conception moderne des conjoints. Selon elle, cette conception serait en harmonie avec la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982  sur  le  Canada,  1982,  ch.  11  (R.-U.)  [L.R.C. (1985),  appendice  II, no 44]]  et  conforme  à l’intention du législateur  canadien  tel  qu’exprimé  dans  la  Loi sur  la  modernisation  de certains  régimes d’avantages et d’obligations [L.C. 2000, ch. 12 (Loi sur la modernisation).

[15]Le 29 juin 2000, cette loi fut sanctionnée. Ses articles font référence aux articles des lois qu’elle modifie. En l’espèce, ses articles 74 à 77 font référence à la Loi sur la citoyenneté. C’est ainsi que dans la Loi, sous le titre «Modifications non en vigueur» [dans http://lois.justice.gc.ca/fr/C-29/nonenvigueur.html], aux articles 74 et 75, nous pouvons lire:

74. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur la citoyenneté est modifié par adjonction, selon l’ordre alphabétique, de ce qui suit:

«conjoint de fait» La personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an.

75. Dans le paragraphe 5(1.1) de la même loi, «conjoint» est remplacé par «époux ou conjoint de fait». [Non souligné dans l’original.]

[16]Or, puisqu’un texte de loi sanctionné doit, en principe, entrer en vigueur pour produire ses effets, on pourrait soumettre que ces modifications sont inapplicables au sujet de droit.

[17]Pierre-André Côté, dans Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Thémis, 1999, énonce aux pages 112-113:

Le texte de loi existe dès qu’il est adopté. Sa force exécutoire commence cependant avec son entré en vigueur [. . .]

Le texte de loi sanctionné doit, en principe, entrer en vigueur pour produire ses effets[i]. Il faut dire «en principe» car une loi sanctionnée, mais non mise en vigueur, n’est pas entièrement démunie d’effet. Par exemple, l’article 55 de la Loi d’interprétation québécoise prévoit que:

Lorsqu’une loi ou quelque disposition d’une loi entre en vigueur à une date postérieure à sa sanction, les nominations à un emploi ou à une fonction qui en découle peuvent valablement être faites dans les trente jours qui précèdent la date de cette entré en vigueur, pour prendre effet à cette date, et les règlements qui y sont prévus peuvent valablement être faits et publiés avant cette date [. . .]

L’article 7 de la Loi d’interprétation fédérale permet également de prendre validement certaines mesures avant l’entrée en vigueur d’un loi[ii] [. . .]

Une loi non mise en vigueur ne saurait cependant prévaloir sur le texte formel d’une loi exécutoire.

2 Sur l’inapplicabilité du texte non mis en vigueur: Potter Distilleries c. The Queen, (1982) 132 D.L.R. (3d) 190 (B.C.C.A.); Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112. Selon Richard Tremblay, il y aurait lieu de distinguer la force exécutoire de la loi, qui naît dès la sanction de celle-ci de sa force obligatoire, qui naît à la date d’entrée en vigueur. Dès sa naissance, la loi s’imposerait à l’Administration: il s’agit de ce que Tremblay appelle la «force exécutoire» de la loi. Quant à la «force obligatoire» de la loi, elle commencerait au moment où la loi s’impose aux particuliers, c’est-à-dire au moment de l’entrée en vigueur. Tremblay admet (à la page 32) que cette distinction, tirée du droit continental européen, n’a pas pour l’instant d’écho en droit canadien. Richard Tremblay, L’entrée en vigueur des lois – Principes et techniques, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997, pp. 17-47.

3 [Note omise.]

[18]Richard Tremblay, dans L’entrée en vigueur des lois: Principes et techniques, Éditions Yvon Blais, 1997, à la page 45, mentionne:

De façon générale, une loi ne saurait être pleinement effective à la date prévue pour son entrée en vigueur sans que les autorités chargées de l’appliquer agissent préalablement pour assurer son effectivité. Les actes accomplis par l’Administration durant cette phase préparatoire reposent, en principe, sur la seule force exécutoire de la loi. Les auteurs qui y ont vu de la rétroactivité prennent, à notre avis, la force exécutoire pour la force obligatoire136. C’est par son entrée en vigueur que la loi crée des droits et obligations pour les sujets de droit. Il s’ensuit que tout acte qui ne crée ni droit ni obligation est permis avant l’entrée en vigueur de la loi dans laquelle cet acte est prévu [. . .]

136 Selon le modèle de P.-A. Côté, [. . .], la force exécutoire commence dès l’entrée en vigueur de la loi pour se terminer avec son abrogation. C’est la «période d’observation» de la loi, c’est-à-dire «la période pendant laquelle ses prescriptions doivent être observées par les sujets de droit». Cette dernière s’oppose à la «période d’applicabilité» de la loi qui, étant conceptuellement plus large, peut commencer avant la période d’observation (la rétroactivité) ou se prolonger au-delà (la survie). Les mesures d’application de la loi qui sont prises par l’Administration avant l’entrée en vigueur de cette dernière tombent en dehors de la période d’observation de la loi et constitueraient, en conséquence, une application rétroactive de celle-ci.

[19]En l’espèce, la modification de la Loi devrait entrer en vigueur à la date fixée par décret, selon l’article 340 de la Loi sur la modernisation. Dans le cas qui nous concerne, le fait d’appliquer cette modification avant son entrée en vigueur créerait un droit pour la demanderesse, soit celui de pouvoir assimiler tout jour pendant lequel elle a résidé avec son conjoint, alors que celui-ci était citoyen et était au service à l’étranger de l’administration publique d’une province, comme jour passé au Canada.

[20]En ce qui a trait à la rétroactivité de la loi, une fois entrée en vigueur, Ruth Sullivan, éditrice, dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., (Toronto: Butterworths, 1994), énonce à la page 550:

[traduction] La présomption selon laquelle les lois n’ont pas d’effet rétroactif s’applique à toutes les lois, y compris aux lois qui procurent un avantage. Lorsqu’une loi n’a pour seul effet que de procurer un avantage, la présomption de non-rétroactivité peut être facile à réfuter. Cependant, des considérations comme la stabilité et la certitude demeurent pertinentes même lorsqu’il s’agit d’une surprise agréable. De plus, les lois qui procurent un avantage au public peuvent par ailleurs comporter des coûts. Une législature responsable se sera interrogée sur l’étendue des avantages qu’elle veut conférer. Les tribunaux ne peuvent inférer d’un simple silence de la législature qu’elle voulait procurer un avantage tant pour le passé que pour le futur.

et plus loin, à la page 551:

[traduction] Normalement, les lois ont une application immédiate et générale; c’est seulement lorsqu’elles ont un effet arbitraire ou injustement préjudiciable qu’il peut être justifié de limiter leur application.

[21]De son côté, le défendeur prétend que puisque le terme «conjoint» n’est pas défini dans la Loi, c’est le Guide des politiques de Citoyenneté, servant de guide opérationnel au personnel du programme de citoyenneté, qui doit être suivi. Dans ce guide, il est expressément prévu, à la sous-section 1.7.1 du chapitre CP5:

On a modifié la Loi sur la citoyenneté en 1988 afin de permettre au conjoint d’un citoyen canadien qui réside à l’étranger avec cette personne de prendre en compte certaines périodes spécifiques dans le calcul de la durée de résidence au Canada. Le mot «conjoint» désigne une personne mariée.

[22]Or, il est de jurisprudence constante que de telles directives ne sont que des pratiques administratives et qu’elles n’ont pas force de loi. Il a été décidé, dans Huda (Re), [1999] A.C.F. no 538 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 13 et 14:

Quant à la suggestion de la procureure des requérants que je doive tenir compte d’un délai de grâce de 90 jours en surplus, voici ce que nous dit le Citizenship Policy Manual, July, 1996:

CHAPTER 40: DATE TO DETERMINE RESIDENCE

Background:

A grace period of 90 days of absence within the three years is permitted for vacations or business trips.

D’entrée de jeu, il ne s’agit pas d’un délai mentionné dans la Loi ou dans un règlement mais davantage une procédure administrative qui serait appliquée par les juges de la Citoyenneté au moment de l’audition des requérants. [Non souligné dans l’original.]

[23]Plus récemment, le juge Rouleau dans Bhardwaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 170 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 24:

Il a déjà été établi que l’agent des visas doit prendre sa décision conformément à la loi et qu’on ne peut l’empêcher d’exercer son pouvoir discrétionnaire par l’entremise de directives qui n’ont pas force de loi (Ho c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 12 (C.A.F.)). Or, l’article 1.36 du ch. IS-1 du Guide de l’immigration est une politique. Il ressort de la preuve en l’espèce que l’agent des visas a effectivement tenu compte de l’emploi qui a été offert au demandeur, mais qu’il a conclu 1) que le fait que la Vishnu Hindu Society attendait ses services depuis six ans établissait clairement qu’en fait, l’organisme religieux rendait service au demandeur, et 2) que le demandeur n’avait pas d’antécédents professionnels directement liés au poste en cause et qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier acquière dans un délai raisonnable les compétences nécessaires en vue d’occuper ce poste. Compte tenu de ces faits, j’estime que l’agent des visas n’a pas agi de façon déraisonnable lorsqu’il a refusé d’accorder au demandeur les dix (10) points qui sont habituellement alloués au titre de l’emploi réservé. [Non souligné dans l’original.]

[24]Effectivement, ces directives ne servent que de «guide opérationnel» pour le personnel du programme de citoyenneté.

[25]De plus, le défendeur prétend qu’on devrait se fier sur la définition de «conjoint» contenue dans le Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78-172, art. 2(1) (mod. par DORS/85-225, art. 1)], qui exclut les conjoints de fait.

[26]Or, ni la Loi sur l’immigration _[L.R.C. (1985), ch. I-2], ni son règlement, ne sont sujets à la Loi sur la modernisation. On peut donc conclure que le législateur n’a pas jugé adéquat de modifier la définition de «conjoint» au sens de la Loi sur l’immigration, contrairement à la Loi sur la citoyenneté. Conséquemment, il serait impropre d’y emprunter cette définition.

[27]Ainsi, la véritable question réside dans le fait de déterminer quelle définition du terme «conjoint» doit adopter un juge de la citoyenneté lorsque la Loi ne le précise pas. Doit-il suivre le Guide des politiques de la Citoyenneté ou la modification non en vigueur de la Loi faisant expressément référence au terme en question?

[28]Richard Tremblay, dans L’entrée en vigueur des lois: principes et techniques, supra, établit à la page 95:

En effet, l’Administration et les tribunaux ne peuvent commencer à appliquer la loi aux citoyens qu’à compter de l’entrée en vigueur. D’autre part, il arrive que ces autorités accusent, pour différentes raisons, du retard dans l’application de la loi aux citoyens.

[29]Il en découle que, le juge, en ne tenant pas compte de la Loi sur la modernisation et en profitant de sa discrétion pour respecter le Guide des politiques de Citoyenneté, n’a pas commis d’erreur de droit.

[30]J’aimerais cependant souligner qu’il serait important de déterminer la date d’entrée en vigueur de ces modifications afin d’éliminer, d’une part, cette confusion juridique qui affecte le sort de potentiels Canadiens et d’autre part, cette incohérence législative.

2. Le juge a-t-il commis une erreur de fait en utilisant un critère étranger à la Loi pour évaluer les connaissances de la demanderesse de la réalité canadienne?

[31]La Cour a eu le bénéfice d’examiner le questionnaire utilisé par le juge dans l’évaluation des connaissances de la demanderesse.

[32]La demanderesse prétend que le juge aurait utilisé la règle de la moyenne de 50% comme étant le critère applicable pour apprécier ses connaissances du Canada et que ce critère est étranger à la Loi et au Règlement.

[33]Or, la lecture du questionnaire utilisé par le juge ne révèle pas l’utilisation d’un tel critère. Il ne fait que mentionner, à côté des questions posées à la demanderesse, ses réponses. De plus, sur l’«Avis au ministre de la décision du juge de la citoyenneté–Article 5» (page 26 du cahier de la demanderesse), dans la section «motifs», le juge a inscrit: [traduction] «5-1-E- Connaissance insuffisante du Canada.  11 mauvaises réponses sur 20». Aucune référence n’est faite relativement au fait qu’au moins 10 de ces 20 réponses devaient être justes.

[34]La demanderesse soumet de plus que le juge a commis une autre erreur en lui posant des questions sur les quatre sujets identifiés à l’alinéa 15c) du Règlement et en tirant des conclusions négatives relativement à la connaissance du Canada de la demanderesse en considérant ses réponses à l’égard des quatre sujets.

[35]L’alinéa 15c) du Règlement exige d’un demandeur une connaissance suffisante de l’un des quatre sujets mentionnés aux sous-alinéas i) à iv), que le juge doit choisir au hasard parmi des questions rédigées par le ministre.

[36]Le dictionnaire Le Nouveau Petit Robert, 1993, donne la définition suivante de:

choisir [. . .] Prendre de préférence [. . .] faire le choix de.

choix [. . .] décision par laquelle on donne la préférence à une chose, une possibilité en écartant les autres. [Non souligné dans l’original.]

[37]Il est évident, à la lecture de cet alinéa, que ce n’est pas ce que le juge a fait en l’espèce.

[38]Bien que la rédaction de l’alinéa 15c) du Règlement ne pèche pas par excès de clarté, il semble néanmoins clair que le législateur ait prévu que le juge choisisse l’un ou l’autre des quatre sujets, et ce au hasard.

[39]On pourrait sans doute lui reprocher d’avoir eu une approche trop étroite s’il avait posé ses questions sur un seul sujet, mais c’est ce que le Règlement précise. Il est possible que le juge ait décidé de poser des questions en dehors du sujet choisi au hasard, afin de permettre à la demanderesse d’élaborer sur ses connaissances. Cependant, ce n’est pas ce que la Loi et le Règlement lui imposent.

[40]Qui plus est, dans sa décision, le juge est muet quant à la séquence des questions posées et quant au sujet choisi au hasard. Il se contente de reproduire le texte du Règlement.

[41]Il s’agit d’une erreur de droit qui justifierait l’accueil de cet appel si les critères d’attribution de l’article 5(1) de la Loi n’étaient pas cumulatifs, ce qui n’est pas le cas.

[42]Effectivement, le texte de loi est clair: «Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois» [non souligné dans l’original] rencontre les critères d’attribution. En l’espèce, les critères n’étant pas satisfaits par la demanderesse étaient celui du temps passé au Canada préalablement à la demande, soit l’alinéa 5(1)c) de la Loi, ainsi que celui de la connaissance suffisante du Canada, soit l’alinéa 5(1)e) de la Loi.

[43]Je tiens à souligner l’excellente prestation des deux procureurs dans un dossier difficile où leurs commentaires de part et d’autre ont été particulièrement éclairants.

[44]J’ajouterais en terminant que c’est à regret que je ne puis souscrire à la requête de la demanderesse. Cependant, puisqu’elle est mariée depuis le 25 mars 2000, la demanderesse pourra déposer une nouvelle demande dans à peine quatre mois. Le cas échéant, je suggère que le défendeur accorde une priorité dans le traitement de ce dossier.

ORDONNANCE

EN CONSÉQUENCE, LA COUR ORDONNE:

Que l’appel soit rejeté.


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