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A-561-03

2004 CAF 285

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Georgian College of Applied Arts and Technology (défendeur)

Répertorié: Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Décary, Létourneau et Sexton, J.C.A.--Ottawa, 31 août et 8 septembre 2004.

Commerce intérieur -- Contrôle judiciaire du refus du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) d'accorder à l'État les frais découlant de la défense qu'il a opposée avec succès à une plainte concernant un marché public -- Le Tribunal a pour politique de ne pas adjuger les frais à l'État en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l'art. 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur -- Il a soutenu que le fait de décourager les soumissionnaires de contester la procédure de passation des marchés publics irait à l'encontre de l'intention de l'ALÉNA qui est d'assurer que le gouvernement reçoit la meilleure valeur pour son argent -- Il s'est également appuyé sur la pratique suivie aux États-Unis et au Mexique -- Norme de contrôle applicable -- Le TCCE n'est pas légalement habilité à mettre en oeuvre des mesures pour encourager le dépôt de plaintes -- Ce pouvoir n'est pas conféré par l'art. 30.16 de la Loi -- L'art. 1017 de l'ALÉNA ne prévoit pas que le Canada ou le TCCE ont l'obligation d'encourager les plaintes -- La pratique suivie aux États-Unis et au Mexique ne doit pas être prise en considération étant donné que leur législation est différente de la législation canadienne -- Examen des circonstances particulières dans lesquelles il convient de refuser à l'État le remboursement de ses frais en matière de marchés publics -- Affaire renvoyée au TCCE avec pour instruction d'accorder les frais au demandeur.

La présente demande de contrôle judiciaire découle du refus persistant du Tribunal canadien du commerce extérieur d'accorder à Développement des ressources humaines Canada (DRHC) les frais découlant de la défense qu'elle a opposée avec succès à une plainte déposée par Georgian College of Applied Arts and Technology concernant un marché public. La Cour avait déjà annulé la décision du TCCE de refuser d'accorder les frais et avait renvoyé l'affaire au Tribunal pour qu'il traite la question des frais sur le fondement des principes appropriés.

Georgian College avait répondu à une demande de soumissions de DRHC concernant la prestation de services d'aide aux personnes sans emploi. Sa soumission ayant été rejetée, Georgian College a déposé une plainte sur le fondement du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur. Il a allégué que l'expression d'intérêt (EDI) publiée par DRHC était soumise aux dispositions sur les marchés publics de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) et de l'Accord sur le commerce intérieur (ACI). Le TCCE a rejeté la plainte pour le motif que les dispositions de l'ALÉNA et de l'ACI sur les marchés publics ne s'appliquaient pas. La question des frais n'a pas été abordée, mais le procureur général a plus tard demandé que les frais lui soient adjugés. La demande de frais a été rejetée pour trois motifs: 1) il était inutile d'adjuger des frais à l'État parce qu'il était représenté par des conseillers juridiques salariés du ministère de la Justice; 2) cela ne servirait qu'à accroître le fardeau déjà lourd des parties qui portent plainte devant le TCCE; et 3) la plupart des plaintes portées ont un certain fondement et sont déposées de manière franche et honnête. La Cour d'appel fédérale a statué que le TCCE avait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique générale consistant à refuser d'adjuger les frais à l'État. La Cour a également conclu que les facteurs dont il a été tenu compte n'étaient pas pertinents et elle a rejeté l'argument suivant lequel le TCCE avait le devoir d'encourager les intéressés à déposer des plaintes. L'affaire a été renvoyée au TCCE afin qu'il rende une nouvelle décision et celui-ci a encore une fois rejeté la demande de frais en se fondant sur la politique applicable et sur les faits particuliers de l'affaire. Le Tribunal a défendu sa politique de refuser les frais à l'État en invoquant le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'article 30.16 de la Loi sur le TCCE. Il a estimé que le fait de décourager les soumissionnaires potentiels de participer pleinement à la procédure de passation des marchés publics en imposant des frais qui ont pour effet de les dissuader de contester la procédure irait à l'encontre d'un objectif de l'ALÉNA: assurer que le gouvernement reçoit la meilleure valeur pour son argent. Le Tribunal a expliqué qu'à la différence du système judiciaire où les frais servent de moyen de dissuasion pour éviter des procès pour des motifs faibles, cela n'est pas nécessaire dans le cadre de l'examen des marchés publics étant donné que le TCCE n'accepte même pas d'enquêter sur une plainte qui ne donne pas une indication raisonnable qu'une infraction a été commise aux accords commerciaux. Il n'a pas accepté d'enquêter sur la moitié de toutes les plaintes. Il a également souligné que, suivant la législation américaine, seule la partie plaignante peut se faire rembourser ses frais lors d'une enquête sur les marchés publics auprès de l'organisme fédéral chargé d'examiner les contestations des offres. Au Mexique, des frais ne sont pas accordés contre l'une ou l'autre des parties dans une enquête sur les marchés publics.

Après avoir examiné les faits, le TCCE a conclu que DRHC avait incité Georgian College à répondre à l'EDI en se fondant sur le fait qu'il s'agissait d'un marché public pour lequel s'appliqueraient les dispositions de l'ALÉNA et de l'ACI. Le texte de l'EDI ainsi que l'absence de toute indication qu'il ne s'agissait pas d'un marché ont constitué une incitation à présenter des soumissions.

Arrêt: la demande doit être accueillie.

Dans l'examen de l'exercice par le TCCE de son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il y a lieu ou non d'accorder les frais dans un cas donné, la norme de contrôle est celle du caractère manifestement déraisonnable. Toutefois, c'est la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter qui s'applique pour décider si une pratique ou un principe invoqué par le TCCE est permis par les dispositions de la Loi.

En ce qui concerne la question de la politique applicable, rien dans la Loi ne justifiait que le TCCE fasse une distinction entre les parties plaignantes et l'État lorsqu'il rend une décision sur les frais. Notre Cour a déjà statué que le TCCE n'est pas légalement habilité à mettre en oeuvre des mesures visant à encourager les intéressés à déposer des plaintes. Ce pouvoir ne lui est certes pas conféré par l'article 30.16, la seule disposition législative citée dans les motifs du TCCE. Il y a toute une marge entre prévoir la juridiction pour le règlement de litiges et encourager les litiges. Pour ce qui est de l'argument suivant lequel l'article 30.16 devrait être interprété d'une manière conciliable avec les obligations prévues par l'ALÉNA, notamment avec l'article 1017 qui exige que chacune des Parties adopte et maintienne des procédures de contestation des offres pour les marchés, cet article ne prévoit toutefois pas que le Canada ou le TCCE ont l'obligation d'encourager les plaintes. Il précise simplement que les États contractants doivent permettre le dépôt de plaintes, s'assurer que les plaintes sont examinées de façon impartiale et en temps opportun, et ne pas empêcher la présentation de contestations. L'adjudication de frais à l'État n'est pas incompatible avec l'ALÉNA. Le TCCE a également commis une erreur en tenant compte du fait que les É.-U. et le Mexique n'accordent pas le remboursement des frais aux gouvernements qui ont gain de cause à l'égard des plaintes portées en matière de passation des marchés. La législation dans ces pays est différente. Les principes de politique générale formulés par le TCCE au soutien de sa décision ne satisfont pas à la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter.

Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Educom TS Inc., le juge Evans, J.C.A. a indiqué les circonstances dans lesquelles il conviendrait de refuser à l'État le remboursement de ses frais même s'il a obtenu gain de cause. Il est possible de s'écarter du principe général suivant lequel les dépens sont accordés à la partie qui a gain de cause si les agissements de l'État ont contribué jusqu'à un certain point au défaut du plaignant de présenter une soumission conforme ou s'ils ont incité celui-ci à porter plainte devant le Tribunal. Il n'est pas raisonnable de conclure que chaque fois que le mot «marché» est utilisé, l'entente envisagée sera assujettie aux accords commerciaux internationaux. On ne peut pas reprocher à DRHC la décision de Georgian College de poursuivre sa plainte.

Même si, dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour n'était pas habilitée à ordonner à Georgian College de payer les frais de l'appel, elle pouvait renvoyer l'affaire au TCCE et lui ordonner d'accorder au demandeur les frais qui s'élevaient à 3 327,05 $.

lois et règlements cités

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2, art. 1017.

Accord sur le commerce intérieur, Gazette du Canada, Partie I, vol. 129, no 17 (29 avril 1995).

Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 47, art. 30.11 (édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 44), 30.16 (édicté, idem).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(3) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

jurisprudence citée

décision appliquée:

Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, [2003] 4 C.F. 525; (2003), 228 D.L.R. (4th) 201; 2 Admin. L.R. (4th) 24; 305 N.R. 275 (C.A.).

décision examinée:

Canada (Procureur général) c. Educom TS Inc., 2004 CAF 130; [2004] A.C.F. no 574 (QL).

décisions citées:

Georgian College of Applied Arts and Technology (Re), [2002] T.C.C.E. no 49 (QL); Georgian College of Applied Arts and Technology (Re), [2002] T.C.C.E. no 73 (QL).

DEMANDE de contrôle judiciaire du refus persistant du Tribunal canadien du commerce extérieur d'accorder le remboursement des frais à l'État même s'il a eu gain de cause dans une plainte concernant un marché public (Georgian College of Applied Arts and Technology (Re), [2003] T.C.C.E. no 29 (QL)). Demande accueillie; il est ordonné au TCCE d'accorder le remboursement à l'État des frais dont le montant a été établi.

ont comparu:

Derek Rasmussen pour le demandeur.

Personne n'a comparu pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Personne n'a comparu pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Sexton, J.C.A.:

INTRODUCTION

[1]La présente demande de contrôle judiciaire découle du refus persistant du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) d'accorder à Développement des ressources humaines Canada (DRHC) les frais découlant de la défense qu'elle a opposée avec succès à une plainte déposée par Georgian College of Applied Arts and Technology (Georgian College) concernant un marché public. Notre Cour avait déjà annulé la décision du TCCE de refuser d'accorder les frais à DRHC et avait renvoyé l'affaire au TCCE pour qu'il traite la question des frais sur le fondement des principes appropriés. La question en litige dans la présente demande est celle de savoir si le TCCE l'a fait.

FAITS

[2]En 2001, Georgian College a répondu à une expression d'intérêt (EDI) publiée par DRHC qui invitait à présenter des soumissions concernant la prestation de services d'aide aux personnes sans emploi. Sa soumission ayant été rejetée, Georgian College a indiqué qu'il avait l'intention de déposer une plainte contre DRHC sur le fondement du paragraphe 30.11(1) [édicté par L.C. 1993, ch, 44, art. 44] de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 47 (la Loi) alléguant que l'EDI était soumise aux dispositions sur les marchés publics de l'Accord de libre-échange nord-américain [Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2] (ALÉNA) et de l'Accord sur le commerce intérieur [Gazette du Canada, Partie I, vol. 129, no 17 (29 avril 1995)] (ACI) et que DRHC ne s'était pas conformé à ces accords.

[3]C'est pourquoi des représentants de DRHC ont rencontré des représentants de Georgian College le 9 janvier 2002 et leur ont expliqué pourquoi la soumission de Georgian College n'avait pas été retenue.

[4]Le 14 février 2002, DRHC a écrit à Georgian College pour l'informer que l'EDI n'était pas visée par les accords commerciaux et qu'un processus d'appel d'offres n'était pas nécessaire. Georgian College a néanmoins persisté dans son désir de déposer une plainte, ce qu'il a fait le 28 février 2002.

[5]Le 29 mai 2002 [[2002] T.C.C.E. no 49 (QL)], le TCCE a rejeté la plainte de Georgian College pour le motif que les dispositions de l'ALÉNA et de l'ACI sur les marchés publics ne s'appliquaient pas. La question des frais n'a pas été abordée.

[6]Le 17 juillet 2002, le procureur général du Canada (PGC) a demandé au TCCE de lui adjuger les frais.

[7]Le 9 août 2002 [[2002] T.C.C.E. no 73 (QL)], le TCCE a rejeté la demande de frais du procureur général du Canada. Les facteurs dont le TCCE a notamment tenu compte dans sa décision sont les suivants:

a) il est inutile d'adjuger des frais à l'État parce qu'il est représenté par des conseillers juridiques salariés du ministère de la Justice;

b) adjuger les frais à l'État ne servirait qu'à accroître le fardeau déjà lourd des parties qui portent plainte devant le TCCE;

c) la plupart des plaintes portées devant le TCCE ont un certain fondement et sont présentées par les plaignants de manière franche et honnête.

[8]Le 2 mai 2003, notre Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par le PGC pour le motif que le TCCE avait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en suivant une politique générale de ne pas adjuger les frais à l'État (Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, [2003] 4 C.F. 525 (C.A.)).

[9]La Cour a également conclu que les facteurs dont a tenu compte le TCCE n'étaient pas pertinents et elle a en outre rejeté les arguments qui lui avaient été soumis et selon lesquels le TCCE avait le devoir de veiller au respect par le Canada de ses obligations internationales découlant de l'ALÉNA et de l'ACI en matière de marchés publics et qu'un tel devoir comportait celui d'encourager les intéressés à déposer des plaintes.

[10]La Cour a renvoyé l'affaire au TCCE afin qu'il rende une nouvelle décision en se conformant aux principes appropriés concernant les frais. Elle a notamment rappelé le principe suivant lequel en l'absence de circonstances exceptionnelles, les frais sont habituellement accordés à la partie qui a gain de cause.

[11]Le 3 novembre 2003 [[2003] T.C.C.E. no 29 (QL)], après avoir réexaminé la question des frais, le TCCE a encore une fois rejeté la demande de frais du PGC. Il a fondé sa décision sur deux principaux motifs, le premier étant la politique applicable et le deuxième, les faits particuliers de l'affaire.

A. Motif fondé sur la politique applicable

[12]Le tribunal a dit [aux paragraphes 11 à 15]:

Dans sa décision, la Cour a conclu qu'en l'espèce, le Tribunal avait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en suivant une pratique préétablie de refuser le remboursement de frais à l'État en matière de marché public malgré le fait qu'il ait gain de cause. Le pouvoir discrétionnaire du Tribunal découle de l'article 30.16 de la Loi sur le TCCE, qui stipule ce qui suit:

30.16(1) Les frais relatifs à l'enquête--même provisionnels--sont, sous réserve des règlements, laissés à l'appréciation du Tribunal et peuvent être fixés ou taxés.

(2) Le Tribunal peut, sous réserve des règlements, désigner les créanciers et les débiteurs des frais, ainsi que les responsables de leur taxation ou autorisation.

Cette disposition a été ajoutée par la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1994. Avant cette date, le prédécesseur du Tribunal, la Commission de révision des marchés publics, n'avait pas le pouvoir d'accorder le remboursement des frais contre une partie plaignante, même quand le comportement de la partie plaignante équivalait à un abus de la procédure de plainte.

La disposition citée ci-dessus, qui corrigeait le défaut mentionné en dernier, doit être interprétée dans son propre contexte, c'est-à-dire l'établissement d'un système de contestation des offres qui favoriserait des «procédures équitables, ouvertes et impartiales» conformément aux obligations du Canada découlant de l'ALÉNA. Selon le Tribunal, la disposition ci-dessus avait pour but d'assurer que l'organisme canadien chargé d'examiner les contestations des offres agirait en tant que «cour» facilement accessible afin d'assurer, par l'intermédiaire des accords commerciaux, l'intégrité de la procédure de passation des marchés publics.

La transparence et l'efficacité de la procédure de passation des marchés publics sont servies lorsqu'il existe un système de contestation des offres qui permet aux fournisseurs de contester les décisions en matière de marchés publics qui ont été prises sub rosa ou d'une façon autrement injuste. Un tel système met à la disposition des acheteurs du gouvernement un vaste réservoir de soumissionnaires concurrentiels, assurant ainsi que le gouvernement reçoit la meilleure valeur pour son argent. Le fait de décourager les soumissionnaires potentiels de participer pleinement à la procédure de passation des marchés publics en imposant des frais qui ont pour effet de les dissuader de contester la procédure irait à l'encontre de l'intention susmentionnée du chapitre de l'ALÉNA sur les marchés publics.

À la différence du système judiciaire, où les frais servent de moyens de dissuasion pour éviter des procès pour des motifs faibles ou non crédibles, il n'est pas nécessaire que les frais servent ainsi de moyens de dissuasion dans le cadre de l'examen de marchés publics. Aux termes de l'article 30.13 de la Loi sur le TCCE, le Tribunal peut, à la réception d'une plainte, décider d'enquêter sur cette plainte. De plus, il ne peut pas accepter d'enquêter sur toute plainte qui ne donne pas une indication raisonnable d'une infraction aux accords commerciaux. Par le passé, le Tribunal n'a pas accepté d'enquêter sur la moitié de toutes les plaintes. Le fait d'ajouter un moyen de dissuasion supplémentaire sous la forme de frais, alors que ces cas ont déjà passé cette procédure de validation, risquerait de créer un obstacle à l'examen des marchés publics.

Il a ajouté [aux paragraphes 20 à 25]:

De l'avis du Tribunal, l'article 30.16 de la Loi sur le TCCE est semblable à la LMSI à cet égard, du fait que le Tribunal doit tenir compte des termes des obligations du Canada découlant de l'AMP, de l'ACI et de l'ALÉNA pour interpréter les dispositions sur les marchés publics de la Loi sur le TCCE. Comme il a été indiqué, cet article faisait partie de la loi de mise en oeuvre de l'ALÉNA et doit être interprété en tenant compte de ce contexte.

Une telle approche indiquerait que le pouvoir discrétionnaire du Tribunal d'accorder le remboursement des frais contre les parties plaignantes doit être utilisé avec modération durant un conflit. Comme indiqué précédemment, l'intention expresse des accords commerciaux est, entre autres choses, de faciliter la transparence et l'efficience de la procédure de passation des marchés publics, rendant la contestation indépendante des offres disponible et accessible. Cette approche correspond à la pratique des autres parties de l'ALÉNA.

Dans la législation des États-Unis, seule la partie plaignante peut se faire rembourser ses frais lors d'une enquête sur les marchés publics auprès de l'organisme fédéral chargé d'examiner les contestations des offres, c.-à-d. le General Accounting Office (GAO). Les dispositions législatives pertinentes des États-Unis se lisent ainsi:

21.8 Recours.

[. . .]

d) Si le GAO décide qu'une invitation, une adjudication proposée ou une adjudication n'est pas conforme à la loi ou au règlement, il peut recommander que l'organisme contractant rembourse au contestataire les frais:

(1) de dépôt et de traitement de la plainte, y compris les honoraires d'avocat et les frais de consultants et de témoins experts;

(2) de préparation de la soumission et de la proposition.

e) Si l'organisme contractant décide de prendre des mesures correctives en réponse à la contestation, le GAO peut recommander que cet organisme verse au contestataire les frais raisonnables de dépôt et de traitement de la plainte, y compris les honoraires d'avocat et les frais des consultants et des témoins experts.

[traduction]

De même, au Mexique, selon le Secretaría de la Función Pública (auparavant le Secretaría de Contraloría y Desarrollo Administrativo), l'organisme national chargé d'examiner les contestations des offres, conformément au droit civil mexicain de ne pas imposer de frais contre l'une ou l'autre des parties dans une enquête sur les marchés publics, cette pratique est suivie.

Le fait que tous les trois organismes chargés d'examiner les contestations des offres de l'ALÉNA ont suivi une pratique semblable, dans le sens de ne pas imposer de frais aux parties plaignantes, n'est pas accidentel. Les trois états membres ont une obligation de rendre le mécanisme de contestation des offres accessible aux fournisseurs sur les territoires respectifs, entre eux.

Le Tribunal n'interprète pas la décision de la Cour comme lui interdisant de tenir compte de ces grandes considérations de politiques commerciales lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire lors d'une enquête individuelle sur les marchés publics, à condition que son pouvoir discrétionnaire soit exercé activement chaque fois, et non pas simplement écarté par un résultat préétabli du fait d'une politique ou d'une pratique quelconque.

B. Motif fondé sur les faits particuliers de l'affaire

[13]Le TCCE a conclu que DRHC avait incité Georgian College à répondre à l'EDI en se fondant sur le fait qu'il s'agissait d'un marché public pour lequel s'appliqueraient les dispositions de l'ALÉNA et de l'ACI. Pour tirer cette conclusion, le TCCE s'est appuyé sur la dernière phrase de l'EDI: «les soumissions ne se rendront pas toutes à l'étape de la proposition ou du marché». Le TCCE a estimé que cette phrase dans l'EDI ainsi que l'absence de toute indication qu'il ne s'agissait pas d'un marché avaient constitué une incitation à présenter des soumissions. Il a donc conclu que l'EDI avait induit Georgian College en erreur et que même DRHC n'était pas tout à fait certain d'avoir suivi la bonne procédure pour l'EDI. Étant donné ce manque de clarté, il était raisonnable pour Georgian College de conclure que les règles des accords commerciaux s'appliquaient à l'EDI.

[14]Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la deuxième décision lui refusant les frais en faisant valoir que cette décision n'est pas conforme à la directive donnée par notre Cour lors de la première demande de contrôle judiciaire. Il prétend que notre Cour a conclu que les raisons de principe invoquées par le TCCE pour refuser encore une fois le remboursement des frais ne justifiaient pas un tel refus, pas plus que les faits d'ailleurs.

NORME DE CONTRÔLE

[15]Dans la décision Georgian College, notre Cour a formulé deux normes différentes applicables au contrôle d'une décision du TCCE concernant les frais. Dans l'examen du simple exercice par le TCCE de son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'il y a lieu ou non d'accorder les frais dans un cas donné, la norme de contrôle est celle du caractère manifestement déraisonnable. Toutefois, lorsque la Cour décide si une pratique ou un principe invoqué par le TCCE est permis par les dispositions de la Loi, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[16]Par conséquent, il convient d'appliquer la norme du caractère manifestement déraisonnable à l'examen par le TCCE des faits particuliers de la présente espèce ainsi qu'à sa décision quant à savoir si, compte tenu de ces faits, il y avait lieu ou non d'accorder des frais. Toutefois, dans la mesure où le TCCE s'est appuyé sur des principes généraux applicables à toutes les décisions portant sur les frais, il convient d'examiner ces principes eu égard à la norme de la décision raisonnable.

ANALYSE DE LA POLITIQUE APPLICABLE

[17]À mon avis, rien dans la Loi ne justifierait que le TCCE fasse une distinction entre les parties plaignantes et l'État lorsqu'il rend une décision sur les frais. L'article 30.16 [édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 44] prévoit ce qui suit:

30.16 (1) Les frais relatifs à l'enquête--même provisionnels--sont, sous réserve des règlements, laissés à l'appréciation du Tribunal et peuvent être fixés ou taxés.

(2) Le Tribunal peut, sous réserve des règlements, désigner les créanciers et les débiteurs des frais, ainsi que les responsables de leur taxation ou autorisation. [Non souligné dans l'original.]

[18]Le TCCE a pour pratique d'accorder les frais aux parties plaignantes qui ont gain de cause. Rien ne justifie d'adopter une politique consistant à priver l'État des frais lorsqu'il a gain de cause.

[19]De plus, dans l'arrêt Georgian College, notre Cour a expressément conclu qu'il ne convenait pas pour le TCCE de refuser les frais à l'État parce qu'il souhaitait encourager ainsi le dépôt de plaintes afin d'assurer que le Canada se conforme aux obligations internationales découlant des accords commerciaux. Le juge Noël, J.C.A. a dit aux paragraphes 36 et 37:

S'il semble clair que la pratique de refuser les frais à l'État malgré qu'il ait gain de cause a l'effet d'encourager les intéressés à déposer des plaintes, le Tribunal n'a invoqué aucune disposition qui l'autoriserait à mettre en oeuvre des mesures à cette fin. En fait, la seule disposition législative citée dans les motifs est l'article 30.16, lequel, comme nous l'avons vu, ne confère pas un tel pouvoir. Le défendeur n'a cité aucune autre disposition que l'on pourrait interpréter comme conférant au Tribunal le pouvoir de jouer un rôle proactif en encourageant les plaintes.

J'accepte que le législateur a désigné le Tribunal comme la juridiction compétente pour juger les plaintes relatives aux marchés publics et que le Tribunal, en s'acquittant de cette fonction, est appelé à donner effet aux obligations internationales qui lient le Canada en matière de marchés publics. Mais il y a toute une marge entre prévoir la juridiction pour le règlement de litiges et encourager les litiges. Je ne trouve aucune disposition dans la Loi qui donnerait au Tribunal le pouvoir d'encourager ou d'inviter les litiges en matière de marchés publics en suivant une pratique de refuser les frais à l'État malgré le fait qu'il ait gain de cause. [Non souligné dans l'original.]

Par conséquent, le TCCE ne peut pas légitimement examiner ce principe lorsqu'il a décidé s'il y avait lieu d'accorder des frais en l'espèce. Il n'a invoqué aucune disposition de la Loi qui lui conférerait le pouvoir de refuser des frais afin d'encourager le dépôt de plaintes.

[20]Le TCCE a toutefois tenté de faire valoir que l'article 30.16 de la Loi devrait être interprété d'une manière conciliable avec ses obligations en vertu de l'ALÉNA, notamment avec l'article 1017. Les dispositions pertinentes de l'article 1017 sont les suivantes:

Article 1017: Contestation des offres

1. Afin de favoriser des procédures équitables, ouvertes et impartiales en matière de marchés publics, chacune des Parties adoptera et maintiendra des procédures de contestation des offres pour les marchés visés par le présent chapitre, en conformité avec les points suivants:

a) chacune des Parties permettra aux fournisseurs de présenter des contestations des offres portant sur tout aspect du processus de passation des marchés, lequel, pour l'application du présent article, débutera au moment où une entité décide des produits ou services à acquérir et se poursuivra jusqu'à l'adjudication du marché;

[. . .]

c) chaque Partie fera en sorte que ses entités examinent de façon impartiale et en temps opportun toute plainte relative à un marché visé par le présent chapitre;

d) qu'un fournisseur ait ou non cherché à régler sa plainte à l'amiable avec l'entité, ou que sa tentative se soit soldée par un échec, aucune des Parties ne pourra empêcher ledit fournisseur de présenter une contestation des offres ou d'utiliser toute autre voie de recours possible;

L'article 1017 ne prévoit toutefois pas que le Canada ou le TCCE ont l'obligation d'encourager les plaintes. Il précise simplement que les États contractants doivent permettre le dépôt de plaintes concernant le processus de passation des marchés, s'assurer que les plaintes soient examinées de façon impartiale et en temps opportun, et ne pas empêcher des personnes de présenter une contestation. Accorder des frais à l'État lorsqu'il conteste une plainte avec succès n'empêche pas un fournisseur de présenter une plainte. Par conséquent, l'adjudication de frais à l'État n'est pas incompatible avec l'ALÉNA. Les fournisseurs sont libres de présenter des plaintes; toutefois, si une plainte est finalement rejetée, l'État devrait avoir droit au remboursement de ses frais. Dans l'ensemble, le fait que le Canada a l'obligation de permettre à des personnes de déposer des plaintes ne signifie pas qu'il est tenu d'encourager le dépôt de ces plaintes en refusant d'accorder à l'État le remboursement de ses frais lorsqu'il a gain de cause.

[21]Il était également clair que le TCCE a commis une erreur en tenant compte du fait que les États-Unis et le Mexique n'accordent pas le remboursement des frais aux gouvernements qui ont gain de cause à l'égard des plaintes portées en matière de passation des marchés. La législation dans ces pays est différente et, par conséquent, elle n'est pas pertinente pour le TCCE. Au Canada--contrairement aux États-Unis et au Mexique--la Loi prévoit que des frais peuvent être accordés à toute personne.

[22]La norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter suppose que l'on doit déterminer si les motifs fournis par le décideur peuvent justifier la décision. À mon avis, les principes de politique générale formulés par le TCCE au soutien de sa décision ne satisfont pas à ce critère. Ils ne sont pas étayés par la législation et ils contredisent le principe général suivant lequel, en l'absence de circonstances exceptionnelles, les frais devraient être accordés à la partie qui a gain de cause.

ANALYSE DES FAITS

[23]Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Educom TS Inc., 2004 CAF 130; [2004] A.C.F. no 574 (QL) (Educom), le juge Evans, J.C.A. a précisé les circonstances particulières dans lesquelles il conviendrait de refuser à l'État le remboursement de ses frais quand il a obtenu gain de cause. Il a dit au paragraphe 11:

Le principe général suivant lequel les dépens suivent le sort du principal s'applique au pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 30.16(1) confère au Tribunal en matière d'attribution de frais. Le Tribunal peut s'écarter de ce principe général si les agissements de la partie qui obtient gain de cause ont contribué jusqu'à un certain point au défaut du plaignant de présenter une soumission conforme ou s'ils ont incité le plaignant à porter plainte devant le Tribunal. Il doit toutefois exister des éléments de preuve qui sont logiquement susceptibles d'appuyer une telle conclusion; de simples spéculations ne suffisent pas. Il ne suffit pas de relever une erreur mineure dans le dossier ou la procédure de passation du marché pour refuser les frais à l'État en cas de rejet de la plainte.

[24]Le TCCE n'a pas conclu que DRHC avait incité Georgian College à déposer une plainte. Au contraire, il a jugé que le manque de clarté de l'EDI avait amené Georgian College à répondre à l'EDI. Apparemment, le TCCE a conclu qu'en raison de la présence du mot «marché» dans l'EDI, il était raisonnable que Georgian College en déduise que l'ALÉNA s'appliquait. Toutefois, ce ne sont pas tous les marchés du gouvernement qui sont assujettis à l'ALÉNA et, de toute façon, il n'est pas raisonnable de conclure qu'en raison de la présence du mot «marché», toute entente envisagée sera assujettie aux accords commerciaux internationaux. Une telle entorse à la logique ne peut se justifier.

[25]Quoiqu'il en soit, DRHC a dit à Georgian College que l'EDI n'était pas visée par les accords commerciaux, ce qui n'a pas empêché Georgian College d'aller de l'avant. On ne peut pas reprocher à DRHC les actes de Georgian College et il n'y a aucun lien de causalité entre les actes de DRHC et la décision de Georgian College de poursuivre sa plainte.

CONCLUSION

[26]Le procureur général du Canada a demandé à notre Cour de lui adjuger les frais engagés pour contester la plainte. Les pouvoirs de notre Cour en cas de demande de contrôle judiciaire sont énoncés au paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)].

18.1 [. . .]

(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut:

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

[27]Ainsi, la Cour n'est pas habilitée à ordonner directement à Georgian College de payer les frais de l'appel. Toutefois, elle peut renvoyer l'affaire au TCCE et lui ordonner d'accorder les frais au demandeur.

[28]L'avocat du demandeur a fait valoir que le montant raisonnable des frais pour la première audience devant le TCCE serait de 3 327,05 $. Il a expliqué que ce montant inclut une somme de 3 182,75 $ pour les honoraires de l'avocat et de 144,30 $ pour les débours. Nous avons été informés que l'avocat du demandeur a consacré 35,15 heures à la contestation de la plainte. À mon avis, cette demande est raisonnable.

[29]Par conséquent, je ferais droit à la demande de contrôle judiciaire, j'annulerais la décision du Tribunal et je lui renverrais l'affaire en lui ordonnant d'accorder des frais de 3 327,05 $ au demandeur.

[30]À l'audience portant sur la présente demande, l'avocat du demandeur a indiqué que le demandeur ne sollicitait pas les frais contre Georgian College lors de la deuxième audience devant le TCCE ni les frais de la présente demande parce que Georgian College n'a pas comparu à l'une ou l'autre de ces audiences et n'a pas non plus présenté d'observations.

Le juge Décary, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Létourneau, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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