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T-2222-03

2005 CF 328

Blood Tribe Department of Health (demandeur)

c.

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada et Annette J. Soup (défendeurs)

Répertorié: Blood Tribe (Department of Health) c. Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) (C.F.)

Cour fédérale, juge Mosley--Calgary, 18 novembre 2004; Ottawa, 8 mars 2005.

Protection des renseignements personnels -- Une ancienne employée du demandeur voulait obtenir communication de renseignements qui, croyait-elle, avaient été recueillis irrégulièrement et utilisés pour la discréditer -- Ordre a été donné au demandeur de produire certains dossiers en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la LPRPDE) -- Le demandeur a refusé de transmettre une liasse de lettres en alléguant le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client -- Point à décider dans le contrôle judiciaire: le commissaire a-t-il le pouvoir d'exiger la production de documents pour s'assurer du bien-fondé de la revendication de privilège? -- L'art. 12 de la LPRPDE donne au commissaire des instruments qui lui permettent d'enquêter indépendamment sur les plaintes -- La norme de contrôle à appliquer était celle de la décision correcte -- Examen des règles régissant le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client -- L'art. 12(1)c) de la LPRPDE habilite le commissaire à recevoir des éléments de preuve indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux, mais rien ne donne à penser que ses enquêtes peuvent être entravées par des questions d'immunité -- Les pouvoirs du commissaire doivent être interprétés d'une manière libérale, conforme à l'objet visé, étant donné le rôle essentiel qu'il exerce pour réaliser les objets du texte législatif -- Le commissaire n'est pas un organisme d'enquête habilité à engager des poursuites -- Il n'a qu'un pouvoir restreint de divulguer l'information obtenue au cours d'une enquête -- Demande rejetée.

Pratique -- Communications privilégiées -- Refus du demandeur de communiquer une liasse de lettres après avoir reçu ordre de produire des documents en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, parce que selon lui les lettres en question étaient protégées par le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client -- Position du commissaire: il devait voir les lettres pour s'assurer du bien-fondé du privilège revendiqué -- Point à décider dans le contrôle judiciaire: le commissaire a-t-il le pouvoir d'exiger la production de documents? -- Revue et description des règles relatives au privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client -- Le commissaire n'est pas un organisme d'enquête habilité à engager des poursuites criminelles -- La Loi n'autorise pas le commissaire à divulguer des renseignements soumis au privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client -- La LPRPDE est rédigée d'une manière qui donne à entendre que les enquêtes du commissaire ne peuvent pas être entravées par des revendications de privilège.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- La commissaire adjointe à la protection de la vie privée avait ordonné la production de dossiers en application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la LPRPDE) -- Le demandeur a refusé de produire certaines lettres en alléguant le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client -- La norme de contrôle a été déterminée au moyen de l'analyse pragmatique et fonctionnelle préconisée par la C.S.C. -- Puisque le point à décider concernait l'interprétation des pouvoirs du commissaire au regard de la loi, la Cour était aussi qualifiée que le commissaire pour répondre à cette question -- La C.S.C. ne s'est pas encore prononcée sur la question de savoir si la LPRPDE a un statut quasi constitutionnel comme c'est le cas pour la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais la Cour fédérale a estimé dans un jugement récent que tel est le cas -- La décision du commissaire doit être revue selon la norme de la décision correcte.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'une ordonnance de la commissaire adjointe à la protection de la vie privée pour que soient produits certains dossiers en application des alinéas 12(1)a) et c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la LPRPDE). Le demandeur, le Blood Tribe Department of Health, affirmait que les dossiers en cause sont protégés par le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client, un privilège auquel il n'était pas disposé à renoncer.

La défenderesse, Mme Soup, ancienne employée du demandeur, voulait obtenir la communication des renseignements personnels qui la concernaient et qui, croyait-elle, avaient été recueillis irrégulièrement et utilisés pour la discréditer. En réponse à une lettre du Commissariat à la protection de la vie privée, le demandeur a transmis au commissaire les documents demandés, à l'exception d'une liasse de lettres provenant de ses avocats. Le personnel du Commissariat a estimé qu'il devait examiner les lettres afin de vérifier le bien-fondé du privilège revendiqué, et la commissaire adjointe à la protection de la vie privée, exerçant le pouvoir qui lui avait été délégué, a ordonné la production des lettres. Refusant de s'exécuter, le demandeur a plutôt déposé cette demande. Il s'agissait de savoir si le commissaire a le pouvoir d'exiger la production de documents pour lesquels est revendiqué le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client, afin d'être en mesure de vérifier le bien-fondé du privilège revendiqué.

Jugement: la demande doit être rejetée.

Avant de juger la demande au fond, il fallait d'abord déterminer la norme de contrôle à appliquer. Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, on ne constate aucune clause privative ni aucun droit d'appel d'origine législative, et ce facteur était donc de portée neutre. Toutefois, la Cour d'appel fédérale a jugé que, lorsque le contrôle d'une décision administrative est possible en vertu de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, la norme de contrôle est une norme de niveau intermédiaire. S'agissant de la spécialisation du commissaire, et le point à décider étant l'interprétation des pouvoirs conférés par la Loi au commissaire, la Cour était aussi à même de répondre à cette question que l'était le commissaire, ce qui signalait une retenue moindre. Le troisième facteur concerne l'objet du texte de loi dans son ensemble et en particulier celui de la disposition en cause. Certes, l'un des objets de la Loi est la protection des renseignements personnels, mais cet objet doit être mis en équilibre avec l'intérêt des organisations commerciales pour la collecte, l'utilisation et la divulgation de renseignements personnels. La Cour suprême du Canada a jugé que la Loi sur la protection des renseignements personnels jouit d'un statut quasi constitutionnel, mais elle ne s'est pas encore prononcée sur la question de savoir si la LPRPDE jouit du même statut. Toutefois, la Cour fédérale a reconnu ce statut à la LPRPDE. S'agissant de l'objet de la disposition particulière en cause, l'article 12 de la LPRPDE a été promulgué pour donner au commissaire les instruments qui lui permettront d'enquêter indépendamment sur une plainte et de rédiger un rapport. Il semblerait à première vue nécessaire que le commissaire examine les renseignements en cause pour savoir si l'exception est applicable. Une certaine retenue devrait donc être montrée envers la décision contestée du commissaire. Le dernier facteur concerne la nature de la question. Ici, le point à décider était une pure question de droit, ce qui militait en faveur d'un contrôle fondé sur la norme de la décision correcte et, une fois les facteurs mis en équilibre, c'est la norme qui devrait s'appliquer ici.

La question des droits antagonistes, à savoir celui de la défenderesse et celui du demandeur, n'était pas déterminante. Vu le rôle essentiel qu'exerce le commissaire à la protection de la vie privée pour réaliser les importants objets de la législation, ses pouvoirs doivent être interprétés d'une manière libérale, conforme à l'objet visé. Il ne saurait exercer efficacement son rôle s'il lui est impossible d'obtenir les renseignements nécessaires pour constater les faits, simplement parce qu'un privilège est revendiqué. S'agissant de la présomption d'existence d'un privilège, le commissaire à la protection de la vie privée n'a pas le pouvoir de porter des accusations ni d'engager des poursuites contre les auteurs d'infractions. Il peut uniquement instruire une plainte et faire rapport sur ses conclusions. Toute mesure ultérieure visant à faire reconnaître le droit du plaignant à la communication de documents requiert une demande adressée à la Cour. Les lettres en cause émanaient des avocats du demandeur, et cela montre qu'il fallait scrupuleusement veiller à ce que, si les lettres étaient sujettes au privilège, leur contenu ne soit divulgué à personne d'autre qu'au commissaire, et uniquement pour une fin précise. La communication de ces renseignements au commissaire n'entraînerait pas un niveau inacceptable de risque du seul fait que la législation n'offre aucune protection particulière pour les documents une fois qu'ils se trouvent entre les mains du commissaire et que certains articles de la Loi permettent effectivement au commissaire de rendre publics certains renseignements. Le pouvoir du commissaire de divulguer des renseignements obtenus au cours d'une enquête se limite aux fins exceptionnelles et restreintes exposées à l'article 20, lequel ne s'applique pas aux documents relevant du secret professionnel liant l'avocat à son client. Le commissaire n'est pas habilité à divulguer tels renseignements.

Un autre argument avancé par le demandeur était que le pouvoir d'enquête conféré par l'article 12 devrait être interprété d'une manière plus restrictive que les pouvoirs correspondants conférés par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l'accès à l'information, et cela en raison de l'absence d'une disposition semblable à leurs paragraphes 34(2) et 36(2) respectivement. La réponse du commissaire était que ces dispositions avaient été édictées pour disposer des éventuelles revendications d'immunité de la Couronne lorsque la production de documents était exigée d'institutions fédérales. Sans de telles dispositions, il y aurait un conflit entre le pouvoir de contraindre à la production de documents et l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, qui aurait pour effet d'empêcher la divulgation. L'argument selon lequel l'immunité de la Couronne était la raison du choix du législateur de ne pas insérer une disposition semblable dans la LPRPDE était convaincant, mais la Cour n'a tiré aucune conclusion en la matière. La Cour n'a pas non plus affirmé que l'intention du législateur était d'exclure les documents confidentiels du champ des pouvoirs du commissaire. Quoi qu'il en soit, le texte de l'alinéa 12(1)c), qui permet au commissaire de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux, donne à penser que le législateur ne voulait pas que les enquêtes menées par le commissaire soient entravées par des questions d'immunité.

Une analogie a été faite avec l'examen de revendications fondées sur la sécurité nationale et avancées en vertu de l'article 51 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui donne au commissaire à la protection de la vie privée le pouvoir d'examiner les renseignements pour savoir si une exception a été invoquée à juste titre. C'est là le signe de la confiance du législateur dans la capacité du commissaire de protéger les renseignements sensibles. L'alinéa 12(1)a) confère au commissaire des pouvoirs d'enquête extraordinaires, qu'il peut exercer «de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives». Une cour supérieure a le pouvoir d'exiger la production de documents afin d'évaluer le bien-fondé de revendications de privilèges et, si le législateur avait voulu empêcher le commissaire d'évaluer le bien-fondé de telles revendications, il aurait pu expressément exclure ce pouvoir, comme il l'a fait dans plusieurs autres lois. Il fallait en conclure que les principes établis dans l'arrêt Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink ne requièrent pas que l'article 12 de la LPRPDE reçoive l'interprétation restrictive préconisée par le demandeur.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 488.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 71; 2000, ch. 17, art. 89; 2001, ch. 41, art. 80).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 50(3) (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 27), (4) (mod., idem).

Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, ch. 25.

Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, art. 10(1).

Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 36 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art, 187, ann. V, no 1).

Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 29.21 (édicté par L.C. 1998, ch. 35, art. 7), 29.22 (édicté, idem), 250.41(1) (édicté, idem, art. 82), (2) (édicté, idem).

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 24.1(3) (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 15), (6) (édicté, idem).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 37 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43; 2002, ch. 8, art. 183(1)b)).

Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, ch. J.1, art. 10.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 34 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187; ann. V, no 6), 51 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 159), 59(1).

Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, art. 3, 9 (mod. par L.C. 2000, ch. 17, art. 97; 2001, ch. 41, art. 82), 12, 13(3), 20, ann. I.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26).                            

Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1990, ch. P.41, art. 11.

Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 20, art. 8(2),(5) (mod. par L.C. 1995, ch. 40, art. 32).

jurisprudence citée

décisions appliquées:

Eastmond c. Canadien Pacifique Ltée (2004), 16 Admin. L.R. (4th) 275; 33 C.P.R. (4th) 1; 254 F.T.R. 169; 2004 CF 852; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information), [2004] 4 R.C.F. 181; (2004), 15 Admin. L.R. (4th) 58; 32 C.P.R. (4th) 464; 255 F.T.R. 46; 2004 CF 431; Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; (1982), 141 D.L.R. (3d) 590; 70 C.C.C. (2d) 385; 28 C.R. (3d) 289; 1 C.R.R. 318; 44 N.R. 462; Lyons v. Toronto (Computer Leasing Inquiry -- Bellamy Commission) (2004), 70 O.R. (3d) 39; (2004), 12 Admin. L.R. (4th) 157; 47 M.P.L.R. (3d) 82; 183 O.A.C. 273 (C.S.J.).

décisions distinctes:

Maranda c. Richer, [2003] 3 R.C.S. 193; (2003), 232 D.L.R. (4th) 14; 178 C.C.C. (3d) 321; 15 C.R. (6th) 1; 113 C.R.R. (2d) 76; 311 N.R. 357; 2003 CSC 67; Shell Canada Ltd. (In re), [1975] C.F. 184; (1975), 55 D.L.R. (3d) 713; 22 C.C.C. (2d) 70; 18 C.P.R. (2d) 155; 29 C.R.N.S. 361 (C.A.); Legal Services Society v. British Columbia (Information and Privacy Commissioner) (2003), 226 D.L.R. (4th) 20; [2003] 3 W.W.R. 399; 14 B.C.L.R. (4th) 67; 182 B.C.A.C. 234; 25 C.P.R. (4th) 5; 2003 BCCA 278; Bre-X Minerals Ltd. (Trustee of) v. Verchere (2001), 293 A.R. 73; 206 D.L.R. (4th) 280; [2002] 2 W.W.R. 71; 97 Alta L.R. (3d) 1; 29 C.B.R. (4th) 1; 12 C.P.C. (5th) 41 (C.A.).

décisions examinées:

Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, [2002] 3 R.C.S. 209; (2002), 312 A.R. 201; 217 Nfld. & P.E.I.R. 183; 216 D.L.R. (4th) 257; [2002] 11 W.W.R. 191; 4 Alta. L.R. (4th) 1; 167 C.C.C. (3d) 1; 3 C.R. (6th) 209; 96 C.R.R. (2d) 189; [2002] 4 C.T.C. 143; 2002 DTC 7267; 292 N.R. 296; 164 O.A.C. 280; 2002 CSC 61; R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445; (2001), 195 D.L.R. (4th) 513; 151 C.C.C. (3d) 321; 40 C.R. (5th) 1; 80 C.R.R. (2d) 217; 266 N.R. 275; 142 O.A.C. 201; 2001 CSC 14; Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809; (2004), 238 D.L.R. (4th) 1; 12 Admin. L.R. (4th) 171; 33 C.C.E.L. (3d) 1; 19 C.R. (6th) 203; 47 C.P.C. (5th) 203; 319 N.R. 322; 187 O.A.C. 1; 2004 CSC 31.

décisions citées:

Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; (2003), 257 N.B.R. (2d) 207; 223 D.L.R. (4th) 577; 48 Admin. L.R. (3d) 33; 31 C.P.C. (5th) 1; 302 N.R. 1; 2003 CSC 20; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; (2003), 223 D.L.R. (4th) 599; [2003] 5 W.W.R. 1; 11 B.C.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (3d) 1; 179 B.C.A.C. 170; 302 N.R. 34; 2003 CSC 19; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Englander c. Telus Communications Inc., [2005] 2 R.C.F. 572; (2004), 247 D.L.R. (4th) 275; 1 B.L.R. (4th) 119; 36 C.P.R. (4th) 385; 328 N.R. 297; 2004 CAF 387; Echo Bay Mines Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord) (2003), 308 N.R. 135; 2003 CAF 270; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles) (1998), 157 F.T.R. 15 (C.F. 1re inst.); conf. par (2000), 261 N.R. 19 (C.A.F.); conf. par [2002] 2 R.C.S. 773; (2002), 214 D.L.R. (4th) 1; 289 N.R. 281; 2002 CSC 53; Rowat c. Canada (Commissaire à l'information) (2000), 77 C.R.R. (2d) 79; 193 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3; (2002), 219 D.L.R. (4th) 385; 49 Admin. L.R. (3d) 1; 22 C.P.R. (4th) 289; 7 C.R. (6th) 88; 99 C.R.R. (2d) 324; 295 N.R. 353; 2002 CSC 75.

DEMANDE de contrôle judiciaire de l'ordre de production de certains documents qu'avait donné la commissaire adjointe à la protection de la vie privée. Demande rejetée.

ont comparu:

Gary A. Befus pour le demandeur.

Steve Welchner et Nathalie Daigle pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier:

Walsh Wilkins Creighton LLP, Calgary, pour le demandeur.

Nelligan O'Brien Payne LLP, Ottawa, pour la défenderesse Annette J. Soup.

Commissariat à la protection de la vie privée pour le défendeur le commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus par

[1]Le juge Mosley: Au cours d'une enquête sur une plainte déposée par Annette J. Soup, une ancienne employée du Blood Tribe Department of Health (le Service), la commissaire adjointe à la protection de la vie privée du Canada a ordonné la production de certains dossiers en application des alinéas 12(1)a) et c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la LPRPDE). Le Service sollicite le contrôle judiciaire de l'ordre de la commissaire adjointe. Il dit que les documents sont des communications pour lesquelles existe le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client, un privilège auquel il n'est pas disposé à renoncer.

LES FAITS

[2]Les événements à l'origine de la présente affaire ne sont pas contestés. Mme Soup voulait obtenir la communication de renseignements personnels qui la concernaient et que détenait le demandeur. Elle voulait contester l'exactitude de certains documents qui, croyait-elle, avaient été recueillis irrégulièrement et utilisés, selon elle, pour la discréditer devant le conseil chargé d'administrer le Service. Mme Soup s'est heurtée au refus de communication du dossier et elle a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée.

[3]Selon l'article 4.9 «Neuvième principe--Accès aux renseignements personnels», dans l'annexe 1 de la LPRPDE, Mme Soup avait le droit d'être informée de l'existence des renseignements personnels la concernant, de l'usage qui en était fait et de leur divulgation à des tiers, et le droit de les consulter afin d'en contester l'exactitude et l'intégralité et d'y faire apporter les corrections appropriées. Le droit de consultation n'est pas absolu. Des exceptions sont énoncées dans l'article 9 [mod. par L.C. 2000, ch. 17, art. 97; 2001, ch. 41, art. 82] de la Loi. Le paragraphe 9(3) prévoit que l'organisation n'est pas tenue de communiquer à l'intéressé des renseignements protégés par le secret professionnel liant l'avocat à son client.

[4]En novembre 2002, un membre du personnel du Commissariat à la protection de la vie privée a écrit au premier dirigeant du Service, M. Charles Weasel Head, pour l'informer qu'une plainte avait été reçue de Mme Soup et qu'une enquête avait été entreprise. La lettre décrivait la procédure qui serait suivie. Un double des notes ou pièces de correspondance relatives à l'emploi de Mme Soup était demandé. La lettre renfermait l'assurance que le dossier [traduction] «ne sera en aucun cas communiqué à la plaignante, et la plaignante ne sera pas informée de son contenu». Cette assurance fut réitérée dans des lettres ultérieures échangées entre le Commissariat et le Service et son avocat.

[5]En réponse à la demande, les documents détenus par le Service ont été assemblés et transmis au Commissariat, à l'exception d'une liasse de lettres provenant des avocats du Service, le cabinet Walsh Wilkins Creighton LLP. L'existence de ces lettres fut signalée au Commissariat le 9 avril 2003.

[6]Dans un affidavit daté du 5 juin 2003, Mme Katie Rabbit-Young Pine affirmait, au nom du Service, que [traduction] «l'information est protégée par le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client, et le Blood Tribe Department of Health n'est pas disposé à renoncer à ce privilège et ne peut donc communiquer ces documents à une tierce partie, y compris au Commissariat à la protection de la vie privée».

[7]Les documents étaient plus précisément décrits ainsi dans l'affidavit de Mme Rabbit-Young Pine:

[traduction]

a.     lettres écrites par nos conseillers juridiques, Walsh Wilkins Creighton LLP, au Blood Tribe Department of Health;

b.     les communications étaient confidentielles;

c.     les communications ont été reçues en conséquence directe de la consultation d'un avocat par le Blood Tribe Department of Health et elles avaient la forme d'avis juridiques donnés par le cabinet Walsh Wilkins Creighton LLP.

[8]Dans des communications ultérieures échangées entre le Service et le Commissariat, le Service proposait que l'affidavit de Mme Rabbit-Young Pine tienne lieu de preuve prima facie selon laquelle il existait un privilège à l'égard de la liasse de lettres. Le personnel du Commissariat était quant à lui d'avis que la revendication du privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client devait être vérifiée par examen des lettres.

[9]Le 27 octobre 2003, M. Weasel Head recevait signification d'une ordonnance lui enjoignant de produire les documents. Elle était signée par Heather Black, commissaire adjointe à la protection de la vie privée du Canada, à qui le pouvoir d'ordonner la production de documents avait été délégué par le commissaire1. L'ordonnance, délivrée en vertu des alinéas 12(1)a) et c) de la LPRPDE, exigeait la production [traduction] «des documents formant une liasse de lettres reçues du cabinet Walsh Wilkins Creighton LLP».

[10]M. Weasel Head n'a pas produit la liasse de lettres et le Service a présenté la présente demande de contrôle judiciaire pour contester la légalité de l'ordonnance délivrée par la commissaire adjointe. Le commissaire n'a pas émis d'opinion sur le point de savoir s'il existe ou non un privilège à l'égard des documents.

[11]La liasse de lettres ne fait pas partie du dossier dont la Cour est saisie. La Cour n'a pas été invitée à dire si la revendication de privilège est ou non fondée en ce qui a trait au contenu des documents en cause, et le dossier ne renferme non plus aucun élément précisant l'effet que le contenu des lettres pourrait avoir sur l'enquête du commissaire.

POINT LITIGIEUX

[12]Je formule ainsi le point soulevé dans la présente instance:

Le commissaire à la protection de la vie privée a-t-il, lorsqu'il enquête sur une présumée violation d'obligations prévues par la LPRPDE, le pouvoir de contraindre à la production de documents pour lesquels est revendiqué le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client, et cela pour s'assurer du bien-fondé de la revendication?

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[13]La partie 1 de la LPRPDE traite de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. L'article 3 décrit l'objet de la partie 1:

3. La présente partie a pour objet de fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l'échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels d'une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l'égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d'utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu'une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

[14]Le pouvoir de contraindre à la production de documents une organisation qui est l'objet d'une enquête selon la partie l du texte est prévu à l'article 12. Les portions applicables de l'article 12 sont les alinéas 12(1)a) et c), ainsi rédigés:

12. (1) Le commissaire procède à l'examen de toute plainte et, à cette fin, a le pouvoir:

a) d'assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les documents ou pièces qu'il juge nécessaires pour examiner la plainte dont il est saisi, de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives;

[. . .]

c) de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements--fournis notamment par déclaration verbale ou écrite sous serment--qu'il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux; [Non souligné dans l'original.]

Norme de contrôle

[15]Il n'y avait pas de divergence de vues entre les parties sur cet aspect, mais, avant de faire l'analyse de la question, il est nécessaire de dire quelle norme de contrôle est applicable. Selon l'approche pragmatique et fonctionnelle, la Cour doit examiner quatre facteurs pour savoir quelle norme de contrôle est applicable à une décision administrative donnée: 1) l'existence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi, 2) la spécialisation du tribunal administratif par rapport à celle de la juridiction de contrôle en ce qui concerne le point à décider, 3) l'objet du texte législatif dans son ensemble, et en particulier des dispositions en cause, et 4) la nature de la question--question de droit, question de fait ou question mixte de droit et de fait: Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[16]S'agissant du premier facteur, aucune clause privative ni aucun droit d'appel d'origine législative ne s'attachent à l'exercice du pouvoir conféré au commissaire par l'article 12. Ce facteur serait donc de portée neutre. Toutefois, la Cour d'appel fédérale a jugé, dans l'arrêt Echo Bay Mines Ltd. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord) (2003), 308 N.R. 135, que, lorsque le contrôle d'une décision administrative est possible en vertu de l'article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], la norme de contrôle est une norme de niveau intermédiaire.

[17]Deuxièmement, bien qu'il faille déférer à la spécialisation du commissaire en ce qui a trait à la conduite de ses enquêtes, la question essentielle à décider dans la présente instance concerne la manière d'interpréter la Loi dans la mesure où elle intéresse les pouvoirs exercés par le commissaire au cours d'une enquête. La Cour est aussi à même de répondre à cette question que le commissaire à la protection de la vie privée, ce qui signale une retenue moindre.

[18]Le troisième facteur concerne l'objet du texte législatif dans son ensemble et en particulier celui des dispositions en cause. Ainsi que l'a fait observer la Cour d'appel fédérale, un objet au moins de la LPRPDE est «certes axé sur la protection de la vie privée des personnes»: Englander c. Telus Communications Inc., [2005] 2 R.C.F. 572, au paragraphe 38.

[19]Cet objet doit être mis en équilibre avec l'intérêt des organisations commerciales pour la collecte, l'utilisation et la divulgation de renseignements personnels. La question de savoir où réside cet équilibre ou si le Service, ici demandeur, a le droit de recueillir et de conserver des renseignements personnels ne se pose pas dans la présente instance, même si, me semble-t-il, Mme Soup affirmait dans sa plainte que des renseignements la concernant avaient été irrégulièrement obtenus et utilisés par le Service.

[20]La Cour suprême du Canada a jugé que la Loi sur la protection des renseignements personnels préserve et renforce l'autonomie de la personne dans une société libre et démocratique et qu'elle jouit par conséquent d'un statut quasi constitutionnel: Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles) (1998), 157 F.T.R. 15 (C.F. 1re inst.); conf. par (2000), 261 N.R. 19 (C.A.F.); conf. par [2002] 2 R.C.S. 773. On ne sait pas si la Cour suprême reconnaîtra un jour ce même statut à la LPRPDE, mais mon collègue le juge Lemieux n'a eu aucune hésitation à tirer cette conclusion dans la décision Eastmond c. Canadien Pacifique Ltée (2004), 16 Admin. L.R. (4th) 275 (C.F.), au paragraphe 100. Je partage son avis, dans la mesure où le texte législatif protège la vie privée.

[21]S'agissant de l'objet de la disposition particulière en cause, l'article 12 de la LPRPDE a été promulgué, à mon avis, pour donner au commissaire à la protection de la vie privée les instruments qui lui permettront d'enquêter indépendamment sur une plainte et de rédiger un rapport sur ses conclusions et recommandations. En l'espèce, l'objectif de l'enquête est de dire si le droit d'une personne d'examiner ses renseignements personnels, sous réserve des limites prévues par la loi, a été violé. Ici, la limite est en l'occurrence l'exception prévue par le paragraphe 9(3), qui exclut les renseignements protégés par le secret professionnel liant l'avocat à son client. Il semblerait à première vue nécessaire que le commissaire examine les renseignements en cause pour savoir si l'exception est applicable. Une certaine retenue devrait donc être montrée envers la décision du commissaire de recourir, comme moyen de mener adéquatement son enquête, à une ordonnance de produire des documents.

[22]Le dernier facteur concerne la nature de la question--s'agit-il d'une question de fait, d'une question de droit ou d'une question mixte de droit et de fait? Comme l'expliquait la juge Dawson dans la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information), [2004] 4 R.C.F. 181 (C.F.), au paragraphe 169, et de nouveau au paragraphe 350, une pure question de droit et d'interprétation des lois commande une analyse plus rigoureuse et signale un contrôle fondé sur la norme de la décision correcte. Le point à décider dans la présente instance, formulé plus haut, est une pure question de droit et d'interprétation des lois. Aucune conclusion de fait ou conclusion mixte de droit et de fait n'est en cause.

[23]Mettant les facteurs en équilibre, j'arrive à la conclusion que la norme de contrôle de la décision du commissaire concernant son pouvoir d'ordonner la production de documents pour lesquels existe prétendument le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client est la norme de la décision correcte. L'ordonnance de produire les documents devrait donc être annulée si le commissaire s'est trompé en disant avoir le pouvoir d'évaluer les renseignements privilégiés.

PRIVILÈGE DU SECRET PROFESSIONNEL LIANT L'AVOCAT À SON CLIENT

[24]Il est utile de passer en revue les principes qui régissent le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. La règle de fond a été formulée ainsi par le juge Lamer (tel était alors son titre) dans l'arrêt Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 [à la page 875]:

1.     La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances où ces communications seraient susceptibles d'être dévoilées sans le consentement du client;

2.     À moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité;

3.     Lorsque la loi confère à quelqu'un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l'espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modalités d'exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d'un souci de n'y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante;

4.     La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement.

[25]Ces principes ont été réitérés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. C Fink, [2002] 3 R.C.S. 209. Au paragraphe 36 des motifs des juges majoritaires, la juge Arbour reprenait les propos suivants tenus, au paragraphe 45, par le juge Major dans l'arrêt R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445:

Toutefois, le secret professionnel de l'avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas. [Souligné par le juge Arbour.]

[26]Dans l'arrêt Lavallee, la Cour suprême a conclu que des normes rigoureuses étaient requises pour assurer la protection du privilège. Toute disposition légale entravant plus qu'il n'est absolument nécessaire le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client serait qualifiée d'abusive. Dans le contexte particulier soumis à la Cour suprême, à savoir une contestation de l'article 488.1 [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 71; 2000, ch. 17, art. 89; 2001, ch. 41, art. 80] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] portant sur les fouilles, perquisitions et saisies menées dans des cabinets juridiques, la Cour a jugé que la disposition contrevenait à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] parce qu'elle ne respectait pas la norme de l'atteinte minimale au droit protégé.

[27]La Cour suprême du Canada a eu l'occasion d'examiner de nouveau la question dans l'arrêt Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809. Cette affaire concernait un avis juridique rédigé par un avocat interne. La Commission ontarienne des droits de la personne avait refusé de communiquer l'avis dans une demande de contrôle judiciaire se rapportant à sa décision de ne pas enquêter sur une plainte. La Cour suprême a conclu que le privilège s'attachait à la protection de cet avis, et cela en dépit de la généralité de l'article 10 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, ch. J.1, qui exigeait le dépôt du «dossier de l'instance d'où émane la décision». S'exprimant pour la Cour, le juge Major écrivait, au paragraphe 33:

Un texte législatif visant à limiter ou à écarter l'application du privilège avocat-client sera interprété restrictivement: voir Lavallee, précité, par. 18. Le privilège avocat-client ne peut être supprimé par inférence. Si, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, un organisme administratif est maître de sa procédure, il reste que ces pouvoirs doivent être exercés conformément aux règles de justice naturelle et à la common law.

[28]Dans la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information), la juge Dawson, de la Cour fédérale, a eu l'occasion de revoir les principes établis par la jurisprudence, en examinant la portée de l'article 36 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187, ann. V, no 1], et en particulier du paragraphe 36(2), de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1. Le paragraphe 36(1) confère de vastes pouvoirs d'enquête semblables à ceux dont est investi le commissaire à la protection de la vie privée en vertu de l'article 12 de la LPRPDE, et l'article 34 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 187, ann. V, no 6] de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, confère lui aussi des pouvoirs d'enquête tout aussi étendus.

[29]Dans la portion pertinente du cas soumis à la juge Dawson, le commissaire à l'information avait délivré une assignation pour obtenir du Bureau du Conseil privé la production de certains documents pour lesquels existait prétendument le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. Les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. Ils reconnaissaient que le commissaire avait à première vue le pouvoir de contraindre à la production de tout document, privilégié ou non, relevant d'une institution fédérale et intéressant une affaire sur laquelle le commissaire enquête. Mais ils ont fait valoir, appliquant le critère Lavallee, que le commissaire ne pouvait pas examiner des documents sujets au privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client sauf si cela était absolument nécessaire pour son enquête, et selon eux ce critère n'avait pas été observé. L'article 36, en particulier son paragraphe (2), devait donc être interprété d'une manière restrictive afin d'empêcher le commissaire d'obtenir les documents.

[30]Le paragraphe 36(2) est ainsi formulé:

36. [. . .]

(2) Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à l'information a, pour les enquêtes qu'il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les documents qui relèvent d'une institution fédérale et auxquels la présente loi s'applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.

[31]En réponse à l'argument selon lequel le paragraphe 36(2) devait être interprété d'une manière restrictive, la juge Dawson s'est exprimée ainsi, aux paragraphes 356 à 358:

Premièrement, selon la jurisprudence de la Cour, la Loi doit être interprétée d'une façon libérale et fondée sur l'objet visé. Dans la mesure où la Loi précise que les décisions portant sur la divulgation de renseignements de l'administration doivent être examinées d'une façon indépendante de l'administration, l'interprétation que les demandeurs donnent au paragraphe 36(2) imposerait une restriction importante à la capacité du commissaire de conduire son enquête et de procéder à un examen indépendant.

Deuxièmement, si le législateur avait omis d'édicter le paragraphe 36(2) de la Loi, les principes énoncés dans l'arrêt Lavallee auraient bien pu s'appliquer pour limiter le pouvoir général d'ordonner la production de pièces qui est prévu à l'alinéa 36(1)a) de la Loi. Toutefois, à mon avis, en édictant le paragraphe 36(2), le législateur a employé des mots qui indiquent clairement son intention, à savoir que le commissaire doit, pour les enquêtes, avoir accès à tous les documents indispensables, «[n]onobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve». Interpréter le paragraphe 36(2) comme les demandeurs le préconisent serait, pour paraphraser les remarques que le juge Létourneau a faites dans l'arrêt Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), précité, paragraphe 33, incorporer des mots restrictifs qui ne s'y trouvent pas et cela irait à l'encontre de l'intention du législateur.

Troisièmement, à mon avis, cette interprétation est conforme au rôle du commissaire et au régime de la Loi dans son ensemble. Le commissaire est tenu, en vertu de la Loi, de protéger les renseignements privilégiés qui lui sont communiqués en vertu du paragraphe 36(2) de la Loi pour qu'il puisse procéder à un examen indépendant de la plainte. Les renseignements de nature délicate doivent être fournis au commissaire, de façon qu'il puisse exercer ses fonctions comme il se doit. Dans un cas, le commissaire pourrait recommander la communication d'une pièce privilégiée, mais il n'est pas autorisé à communiquer les pièces. Lorsqu'une pièce privilégiée qui ne fait pas l'objet d'une demande de communication est produite, mais qu'il s'agit d'une pièce pertinente ou accessoire à cette demande de communication, les règles et pratiques de la Cour en matière de confidentialité permettent plus facilement au commissaire d'utiliser cette pièce dans les procédures de révision engagées devant la Cour sans la verser au dossier public. L'application de cette pratique est démontrée dans l'arrêt Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 187 D.L.R. (4th) 127 (C.A.F.) (affaire Ethyl).

[32]Le pouvoir général de contraindre à la production de documents, un pouvoir conféré par l'article 12 de la LPRPDE, est semblable au pouvoir dont est investi le commissaire à l'information par le paragraphe 36(1) de la Loi sur l'accès à l'information, mais le texte du paragraphe 36(2), auquel correspond le paragraphe 34(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, n'est pas reproduit dans l'article 12 de la LPRPDE.

[33]Le point de savoir si un commissaire nommé sous l'autorité de la Loi de 2001 sur les municipalités de l'Ontario, L.O. 2001, ch. 25, et sous l'autorité de la Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1990, ch. P.41, a le pouvoir de contraindre à la production de documents pour lesquels est revendiqué le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client a été soumis à la Cour divisionnaire de l'Ontario dans l'affaire Lyons v. Toronto (Computer Leasing Inquiry--Bellamy Commission) (2004), 70 O.R. (3d) 39 (C.S.J.).

[34]Dans l'affaire Lyons, un témoin assigné à comparaître devant la commission d'enquête s'opposait à ce que quiconque, si ce n'est son propre avocat, examine le contenu de 18 boîtes scellées de documents pour savoir si le privilège s'y appliquait. Le commissaire avait décidé que les boîtes seraient ouvertes par l'avocat de la commission, qui examinerait leur contenu pour juger de leur utilité et de l'application d'un possible privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. Les documents suscitant un doute seraient soumis à un juge de la Cour supérieure, qui statuerait sur les questions contestées portant sur le privilège. Confirmant cette décision, la Cour divisionnaire a jugé que le processus d'examen préalable adopté par le commissaire portait une atteinte minimale au privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client.

[35]Selon l'article 11 de la Loi sur les enquêtes publiques, était inadmissible en preuve au cours de l'enquête «ce qui serait inadmissible en preuve devant un tribunal judiciaire en raison d'un privilège reconnu en droit de la preuve». Les documents contenus dans les boîtes, s'ils avaient effectivement été des documents privilégiés, n'auraient donc pas pu être produits aux fins de l'enquête. En revanche, l'alinéa 12(1)c) de la LPRPDE prévoit que le commissaire à la protection de la vie privée peut recevoir les éléments de preuve ou les renseignements «indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux».

ANALYSE

[36]De l'avis du demandeur, il y a dans la présente instance des droits antagonistes, à savoir celui de Mme Soup à la communication de son dossier d'emploi et celui du Service à la confidentialité des documents pour lesquels existe le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. Le demandeur fait valoir que le commissaire à la protection de la vie privée n'a pas un droit inhérent d'examiner les documents pour pouvoir dire s'ils sont privilégiés ou non. Le commissaire, d'affirmer le demandeur, est une tierce partie contre qui le privilège tient lieu de bouclier pour empêcher la communication d'échanges entre un avocat et son client.

[37]Le commissaire répond que c'est là méconnaître fondamentalement le mandat dont il est investi. Dans l'accomplissement de sa tâche, le commissaire est un médiateur neutre, dont le rôle consiste à établir des faits. Il ne conclut pas à la responsabilité civile ou pénale de quiconque, ni ne conclut à l'existence de droits d'une partie à l'égard d'une autre: Rowat c. Canada (Commissaire à l'information) (2000), 77 C.R.R. (2d) 79 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 28.

[38]Je souscris à l'avis du défendeur selon lequel l'existence de droits antagonistes entre Mme Soup et le demandeur n'est pas déterminante en ce qui concerne le champ des pouvoirs conférés au commissaire dans l'accomplissement de son mandat. Vu le rôle essentiel qu'exerce le commissaire à la protection de la vie privée pour réaliser les importants objets du texte législatif, les pouvoirs du commissaire doivent être interprétés d'une manière libérale, conforme à l'objet visé.

[39]Le législateur a attribué au commissaire le pouvoir d'intervenir dans des différends séparant des particuliers et des organismes à propos de la conservation et de l'utilisation de renseignements personnels, la tâche d'établir les faits et l'obligation de rédiger un rapport sur ses constatations. Je reconnais avec le défendeur qu'il ne saurait exercer efficacement ce rôle s'il lui est impossible d'obtenir les renseignements nécessaires pour constater les faits simplement parce qu'un privilège est revendiqué.

[40]Le demandeur reconnaît que le commissaire est investi d'un large pouvoir de contraindre à la production de documents, mais il fait valoir que, selon l'arrêt Lavallee, le pouvoir du commissaire doit être interprété d'une manière restrictive lorsque les documents que le commissaire voudrait examiner sont présumés être privilégiés. En l'espèce, de dire le demandeur, les documents désignés comme une «liasse de lettres» provenant de ses avocats devraient être réputés relever du champ du privilège, et cela sans examen: Maranda c. Richer, [2003] 3 R.C.S. 193.

[41]L'affaire Maranda concernait la perquisition menée dans un cabinet d'avocat par la police à l'occasion d'une enquête portant sur un présumé trafic de stupéfiants et un présumé blanchiment d'argent. La police recherchait des éléments attestant un présumé transfert de biens, obtenus criminellement, à l'avocat, pour paiement de ses services. Confirmant la conclusion du juge de première instance selon laquelle la perquisition était abusive aux termes de l'article 8 de la Charte--et le texte législatif habilitant inconstitutionnel --la Cour suprême a jugé que le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client est réputé s'appliquer aux mémoires d'honoraires et de débours des avocats. L'arrêt Maranda a eu pour effet de préciser que, en droit criminel, les seules exceptions au principe de la confidentialité qui seront tolérées seraient limitées, strictement définies et strictement contrôlées afin d'éviter que les avocats deviennent une ressource à exploiter lorsque leurs clients sont poursuivis, compromettant ainsi le droit fondamental de leurs clients de ne pas être contraints de témoigner contre eux-mêmes.

[42]Le demandeur invoque aussi l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Shell Canada Ltd. (In re), [1975] C.F. 184 (C.A.). La Cour d'appel fédérale avait jugé dans cette affaire que les vastes pouvoirs d'enquête conférés par le paragraphe 10(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, n'abrogeaient pas, directement ou implicitement, le principe du privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client. Cet arrêt était l'un des premiers à dire que le privilège était plus qu'une simple règle de preuve régissant l'utilisation de documents privilégiés comme éléments de preuve. Selon la Cour, le directeur n'avait pas le droit, aux fins de son enquête, d'obtenir communication de documents auxquels s'appliquait le privilège. Ainsi que le disait le juge en chef Jackett à la page 194, ce serait là une «formule obligatoire d'examen antérieur à la poursuite», qui porterait atteinte à une idée fondamentale de la justice.

[43]Les arrêts Maranda et Shell Canada concernaient tous deux la collecte de preuves au soutien de poursuites criminelles. Des documents confidentiels risquaient d'être communiqués aux organismes d'enquête eux-mêmes qui pouvaient porter des accusations criminelles contre les clients d'avocats. Ce n'est pas la situation à laquelle nous avons affaire ici. Le commissaire à la protection de la vie privée n'a pas le pouvoir de porter des accusations ou d'engager des poursuites pour la perpétration d'infractions. Il peut uniquement instruire une plainte et faire rapport sur ses conclusions. Toute mesure ultérieure visant à faire reconnaître le droit du plaignant à la communication de documents requiert une demande adressée à la Cour.

[44]Les lettres en cause émanaient des avocats du demandeur et cela montre manifestement qu'il faut soigneusement s'assurer que, si les lettres sont sujettes au privilège, leur contenu ne sera pas communiqué à la plaignante ou à quiconque, si ce n'est au commissaire et pour une fin précise. Je ne suis pas persuadé par les arguments du demandeur, qui allègue un risque appréciable et inacceptable de communication élargie.

[45]Une garantie de confidentialité a été offerte au tout début de l'enquête pour l'ensemble des renseignements que le demandeur était prié de communiquer. Cette garantie est à mon avis appuyée par l'économie de la Loi.

[46]Le paragraphe 20(1) de la LPRPDE prévoit ce qui suit:

20. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), 13(3) et 19(1), le commissaire et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance par suite de l'exercice des attributions que la présente partie confère au commissaire.

[47]Le demandeur prétend que la communication au commissaire de renseignements confidentiels entraînerait un niveau inacceptable de risque, parce que la législation n'offre aucune protection particulière pour les documents une fois qu'ils se trouvent entre les mains du commissaire et que, au contraire, plusieurs articles de la LPRPDE permettent au commissaire de rendre publics certains renseignements: paragraphes 20(2),(3),(4) et 13(3).

[48]Le demandeur fait reposer son argument sur l'arrêt Legal Services Society v. British Columbia (Information and Privacy Commissioner) (2003), 226 D.L.R. (4th) 20, dans lequel la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé qu'une décision du commissaire provincial à l'information et à la protection de la vie privée qui mettait en péril le privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client n'était pas acceptable, même si telle décision était, à d'autres égards, [traduction] «raisonnable». La décision en cause était une ordonnance de communiquer à un journaliste les noms des cinq avocats qui présentaient à la Société des services juridiques les états d'honoraires les plus élevés. Ce qui était en cause, c'était le droit d'obtenir une information détenue par une organisation qui était financée par les deniers publics et qui administrait le programme d'aide juridique de la province. La Cour d'appel, mettant en équilibre le droit à la communication et le principe du secret professionnel liant l'avocat à son client, a estimé qu'une telle divulgation posait un risque inacceptable, celui d'une révélation de renseignements confidentiels concernant les clients d'avocats.

[49]Ce risque ne se pose pas, à mon avis, en ce qui a trait à la décision du commissaire d'ordonner la production de documents selon la LPRPDE. Le pouvoir du commissaire de divulguer l'information obtenue au cours d'une enquête se limite aux fins exceptionnelles et restreintes exposées à l'article 20. Ce pouvoir n'englobe pas la communication à la plaignante, contrairement à ce qui a été ordonné dans l'affaire Legal Services Society. Les exceptions de l'article 20 ne s'appliquent pas, selon moi, aux documents relevant du secret professionnel liant l'avocat à son client, et le commissaire n'est pas habilité à les divulguer.

[50]Le demandeur fait valoir que le pouvoir d'enquête qui est conféré à l'article 12 doit être interprété d'une manière plus restrictive que les pouvoirs correspondants conférés par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l'accès à l'information, et cela en raison de l'absence d'une disposition semblable à leurs paragraphes 34(2) et 36(2) respectivement. Selon le demandeur, cela montre que le législateur a délibérément choisi d'exclure les documents confidentiels du champ des pouvoirs du commissaire aux termes de la LPRPDE et que le commissaire ne peut s'appuyer sur le texte général de l'article 12 pour violer le secret professionnel liant l'avocat à son client: arrêt Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne).

[51]Le commissaire répond que le paragraphe 36(2) de la Loi sur l'accès à l'information et le paragraphe 34(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ont été édictés pour disposer des éventuelles revendications d'immunité de la Couronne lorsque la production de documents est exigée des institutions fédérales auxquelles ces textes s'appliquent. Sans de telles dispositions, il y aurait un conflit entre le pouvoir, conféré par ces textes, de contraindre à la production de documents relevant peut-être de l'immunité de la Couronne, et l'article 37 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43; 2002, ch. 8, art. 183(1)b)] de la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), ch. C-5], qui aurait pour effet d'empêcher la communication. Ce conflit ne se pose pas en ce qui concerne le secteur privé, domaine d'application de la LPRPDE.

[52]Je ne puis déduire du dossier dont je suis saisi que l'immunité de la Couronne est la raison du choix du législateur de ne pas insérer une disposition semblable dans la LPRPDE, encore que selon moi l'argument soit convaincant. Toutefois, je ne puis non plus affirmer que l'intention du législateur était d'exclure les documents confidentiels du champ des pouvoirs du commissaire. Je relève que l'alinéa 12(1)c) prévoit que le commissaire peut recevoir les éléments de preuve ou les renseignements, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux. Ces mots donnent à penser que le législateur ne voulait pas que les enquêtes conduites par le commissaire soient entravées par des questions d'immunité.

[53]J'observe que, dans l'affaire Pritchard, la plaignante voulait obtenir communication d'un avis juridique rédigé par l'avocate de la Commission ontarienne des droits de la personne. Ce précédent n'intéresse pas directement la présente affaire. Les principes exprimés sont d'application générale, mais il s'agissait de savoir si l'avis juridique devait être inclus dans le dossier afférent à la demande de contrôle judiciaire présentée par la plaignante à l'encontre de la décision de la Commission. Selon moi, l'arrêt Pritchard appuie en l'espèce l'affirmation du commissaire à la protection de la vie privée, pour qui les documents confidentiels se trouvant entre ses mains seraient à l'abri de toute demande de communication.

[54]Le demandeur invoque une décision de la Cour d'appel de l'Alberta, Bre-X Minerals Ltd. (Trustee of) v. Verchere (2001), 293 A.R. 73. Selon lui, ce précédent permet d'affirmer que la divulgation de renseignements privilégiés ne peut être exigée par un syndic, fonction que le demandeur juge comparable à celle du commissaire dans la présente instance. L'affaire Bre-X avait pour thème les efforts accomplis par un syndic de faillite pour faire lever l'immunité de l'entreprise en faillite afin de pouvoir mettre la main sur ses actifs. La Cour d'appel de l'Alberta a jugé que l'immunité était personnelle et qu'elle n'avait pas été transmise au syndic lorsqu'il avait pris le contrôle des intérêts commerciaux de l'entreprise. Par ailleurs, il n'existait aucune disposition légale précise rendant les communications privilégiées susceptibles de divulgation. Il n'y a aucune analogie avec le rôle du commissaire dans la présente instance.

[55]Selon moi, il y a une analogie plus étroite à faire avec l'examen de revendications fondées sur la sécurité nationale et avancées par une institution fédérale en vertu de l'article 51 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 159] de la Loi sur la protection des renseignements personnels, en réponse à des demandes de communication de renseignements personnels. Dans de tels cas, le commissaire à la protection de la vie privée a le pouvoir d'examiner les renseignements pour savoir si une exception a été invoquée à juste titre: arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 47. Je reconnais avec le défendeur que c'est là le signe de la confiance du législateur dans la capacité du commissaire de protéger les renseignements sensibles.

[56]Le commissaire est investi de pouvoirs extraordinaires censés lui permettre de conduire efficacement ses enquêtes. Ces pouvoirs, de nature tant procédurale que fondamentale, peuvent être exercés «de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives» [soulignement ajouté] (alinéa 12(1)a)).

[57]Une cour supérieure a le pouvoir de contraindre à la production de documents afin d'évaluer le bien-fondé de revendications de privilège. Si le législateur avait voulu empêcher le commissaire d'évaluer le bien-fondé d'une revendication de privilège, il aurait pu expressément exclure ce pouvoir, comme il l'a fait dans plusieurs autres lois: Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 20, paragraphes 8(2) et 8(5) [mod. par L.C. 1995, ch. 40, art. 32]; Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, paragraphes 50(3) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 27] et (4) [mod., idem]; Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, articles 29.21 [édicté par L.C. 1998, ch. 35, art. 7], 29.22 [édicté, idem] et paragraphes 250.41(1) [édicté, idem, art. 82] et (2) [édicté, idem]; Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, paragraphes 24.1(3) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 15] et (6) [édicté, idem].

[58]Eu égard à l'économie générale du texte législatif et à l'obligation pour le commissaire de conduire efficacement ses enquêtes, les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Lavallee ne requièrent pas à mon avis que l'article 12 de la LPRPDE reçoive l'interprétation restrictive préconisée par le demandeur. En ordonnant au demandeur de produire des documents, le commissaire ne limitera ni ne rejettera aucun privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client dont le demandeur pourrait bénéficier pour les documents en cause. Je suis d'avis que, pour qu'il puisse achever son enquête, le commissaire doit nécessairement évaluer le privilège revendiqué, afin de savoir s'il s'applique ou non aux documents concernés. Cela n'empêchera pas le demandeur de revendiquer encore le privilège dans une instance ultérieure pouvant se rapporter à la plainte.

[59]Par conséquent, le commissaire a validement exercé son pouvoir d'ordonner la production de documents, et la présente demande sera rejetée. Puisque la question de l'interprétation du champ de la LPRPDE en ce qui a trait au privilège du secret professionnel liant l'avocat à son client semble s'être posée pour la première fois dans la présente instance, j'exercerai mon pouvoir discrétionnaire et ne rendrai aucune ordonnance d'adjudication de dépens en faveur de la partie qui a obtenu gain de cause.

ORDONNANCE

La Cour ordonne: la demande est rejetée; chacune des parties supportera ses propres dépens.

1  En application de l'art. 59(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21. L'art. 12(3) de la LPRPDE renferme une disposition semblable. La délégation consentie n'a pas été mise en doute dans la présente instance.

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